Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, la fiscalité du capital est au cœur du débat budgétaire pour 2026. Nos concitoyens demandent plus de justice fiscale.

Les inégalités se creusent, avec presque 10 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté, alors que le montant total des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé depuis 2017. Ce montant, évalué alors à 600 milliards d’euros, atteignait 1 200 milliards d’euros en 2023. Ces inégalités croissantes rendent nécessaire la recherche d’une plus juste redistribution des richesses.

La fiscalité du travail et la fiscalité du capital répondent à des logiques différentes. L’une vise le financement des prestations sociales contributives, l’autre tend à taxer la rente et à limiter la concentration des richesses sur quelques-uns pour financer la solidarité nationale.

La redistribution, ainsi que le financement de la protection sociale et de la dette, est assurée de manière disproportionnée par le travail : pour les classes moyennes, le taux d’imposition est de 50 % ; pour les ultra-riches, il est de 26 % selon l’Institut des politiques publiques.

Le capital bénéficie pourtant à une infime proportion de la population. Il est excessivement protégé de l’effort fiscal, massivement abrité derrière des personnes morales, des entreprises, des holdings, sans que le ruissellement vers les classes plus modestes se soit fait sentir.

Par ailleurs, la multiplication des allègements généraux sur le travail, évalués à plus de 60 milliards d’euros, renforce encore cette injustice et accentue le sentiment que le salarié est toujours mis à contribution, au bénéfice de celui qui possède l’outil de travail.

Le système de protection sociale est souvent présenté exclusivement dans sa fonction de redistribution, de charge pour les entreprises. Or le système de sécurité sociale soutient très directement l’activité économique. C’est de l’argent qui circule, qui est dépensé dans des biens de consommation, qui contribue au développement économique dynamique de notre pays et qui ne présente pas de risque récessif pour notre économie.

Monsieur le ministre, quels sont les leviers que votre gouvernement prévoit d’actionner pour mettre fin à l’injustice que constitue cette concentration de richesses inédite, que l’on qualifie désormais de « sécession des ultra-riches » ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l’action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État. Madame la sénatrice, je livrerai tout d’abord un élément de constat : notre fiscalité est massivement redistributive pour 99 % des Français, car l’impôt sur le revenu est très progressif.

Le problème que vous mentionnez s’applique tout en haut de la courbe de distribution des richesses. Effectivement, une poignée de personnes ont la capacité de contourner l’impôt sur le revenu ou le prélèvement forfaitaire unique (PFU) par l’utilisation des holdings.

C’est la raison pour laquelle nous proposons dans le PLF initial, qui sera ensuite soumis à vos amendements, de taxer les holdings pour éviter ce contournement. C’est d’ailleurs une mesure que l’on peut retrouver dans d’autres pays, notamment aux États-Unis, que je mentionnais tout à l’heure.

Vous évoquez ensuite la question du financement de la protection sociale. Je constate que la baisse du coût du travail a participé, au cours des trente-cinq dernières années, d’une politique plutôt transpartisane, puisqu’elle a commencé sous le gouvernement d’Édouard Balladur, puis a été amplifiée sous le gouvernement de Lionel Jospin et poursuivie sous les gouvernements de Jacques Chirac, notamment par François Fillon en 2003. Elle a ensuite été encore intensifiée par François Hollande avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Si des gouvernements de droite, de gauche et du centre ont évité de concentrer la fiscalité sur le travail et sur les emplois, c’est précisément parce que nous avions en France un problème de chômage massif. Si nous décidons que seul le travail finance massivement la protection sociale, nous détruisons de l’emploi, des recettes pour la sécurité sociale et, surtout, des espoirs ou des désirs de mobilité sociale chez les Français des classes populaires.

Il y a donc une réflexion à mener, d’abord sur le calcul de ces allègements de charges – nous l’évoquions il y a quelques minutes –, puis sur des assiettes complémentaires de financement de la protection sociale. Il est extrêmement important d’agir en ce sens si nous voulons réduire l’écart entre ce qui est versé par l’employeur et ce qui est touché par le salarié, car s’il y a bien un domaine dans lequel la France se distingue des autres pays, c’est celui-là.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, ma question est plus technique et moins politique que celle de mes collègues. Je parle sous contrôle, à distance, de ma collègue Christine Lavarde.

La France finance une partie de son modèle social par des prélèvements sur le capital. La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) viennent en effet compléter l’impôt sur le revenu dans le cadre du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

Or, pour les résidents fiscaux français non affiliés à la sécurité sociale française, la Cour de justice de l’Union européenne interdit d’appliquer la CSG et la CRDS, car ces contributions financent directement notre sécurité sociale nationale. Résultat, ces personnes ne sont aujourd’hui assujetties qu’au prélèvement de solidarité à 7,5 %, soit moins de la moitié du taux de droit commun de 17,2 %.

Avec ma collègue Christine Lavarde, nous avions proposé, lors du dernier examen budgétaire, une réforme visant à relever le prélèvement de solidarité de 7,5 % à 16,2 %, en contrepartie d’un abaissement de la CSG sur le capital de 9,2 % à 0,5 %, de manière à rester conformes au droit européen.

L’effet net était simple : neutralité pour les résidents affiliés en France et alignement vers le taux de droit commun pour les non-affiliés. Quant aux recettes supplémentaires attendues, monsieur le ministre, elles étaient de l’ordre d’un milliard d’euros.

Le ministre de l’époque avait demandé le retrait de l’amendement pour permettre une étude d’impact. Un an plus tard, cette proposition n’a reçu aucune suite. Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il enfin mettre à l’étude l’harmonisation du régime applicable aux non-affiliés, afin de rapprocher leur taux effectif du taux de droit commun ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l’action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État. Madame la sénatrice, votre question est précise, et je ne voudrais pas y répondre d’une manière qui ne le soit pas.

J’imagine que vous déposerez de nouveau un amendement similaire dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, sans doute dès le stade de la commission, et à coup sûr en séance publique. Je vous propose que nous revenions vers vous à ce moment-là, avec une réponse précise à la question de l’étude d’impact. En effet, je ne voudrais pas, ce soir, vous apporter des éléments inexacts.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Soyez assuré que nous déposerons cet amendement. Mais son sort doit être différent de celui de l’année dernière. Monsieur le ministre, un milliard d’euros, ce n’est pas rien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann.

M. Olivier Rietmann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite pointer aujourd’hui ce qui me semble être une profonde anomalie, qui devrait, je l’espère, tous nous convaincre d’alléger le coût du travail.

Depuis vingt ans, la part des revenus du travail dans les revenus des ménages français ne cesse de reculer : elle est passée de 57 % en 2000 à 52 % aujourd’hui. Les prestations sociales, elles, sont passées de 25 % à 29 %, soit 595 milliards d’euros, dont 400 milliards d’euros de pensions de retraite.

Autrement dit, notre pays vit de moins en moins de ceux qui travaillent et de plus en plus du travail des autres. Résultat, celui qui travaille a le sentiment d’être le seul à contribuer, sans en retirer de reconnaissance. Ce sentiment d’injustice est bien présent, et il est compréhensible qu’il suscite de la colère.

Songez que 29 millions de Français travaillent pour financer notre modèle social, qui bénéficie aux 17 millions de retraités, aux 2,5 millions de bénéficiaires des minima sociaux et au million et demi de chômeurs indemnisés.

Monsieur le ministre, nous devons dire les choses clairement : notre pays doit non seulement mieux rémunérer le travail, mais aussi travailler davantage, ce qui était d’ailleurs prévu jusqu’à la volte-face du Premier ministre.

J’ai deux questions très simples.

Tout d’abord, comptez-vous engager une refonte fiscale ambitieuse qui redonne toute sa valeur au travail, en allégeant la fiscalité qui pèse aujourd’hui sur les revenus d’activité ?

Ensuite, alors que notre démographie ne joue pas en notre faveur, nous avions su compenser cette réalité par une réforme courageuse du système de retraites. Dès lors, comment pouvez-vous sérieusement justifier la suspension de cette réforme, qui aura pour conséquence directe le découragement de ceux qui produisent ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, je vous remercie, car votre question permet de mettre le doigt sur le cœur du paradoxe français : nous avons à la fois un taux record de prélèvements obligatoires, une dette très importante et, chez énormément de Français, le sentiment que les services publics sont à l’os.

En fait, tout est vrai : oui, le taux de prélèvements est important ; oui, le déficit l’est tout autant ; oui, nos services publics souffrent – les services publics du quotidien, comme l’éducation nationale et la justice, mais également les armées, fonction majeure de l’État, et bien entendu la santé, en particulier – vous avez eu raison de le rappeler – les hôpitaux, où les besoins d’investissement sont importants, même si des efforts sont engagés depuis plusieurs années.

L’explication de ce paradoxe est claire : à l’évidence, la dépense publique qui augmente massivement est la dépense sociale. Quand on emploie ce terme, cela suscite souvent un malentendu : on peut imaginer que cela recouvre des dépenses de lutte contre la pauvreté. Mais ce qui augmente énormément, ce sont d’abord les dépenses de retraite, puis celles de l’assurance maladie, soit deux types de prestations dont tout un chacun, vous et moi comme tous nos concitoyens, bénéficie ou bénéficiera un jour.

Comme vous, je suis convaincu que notre modèle de protection sociale ne pourra perdurer que si, collectivement, nous travaillons davantage, donc plus longtemps.

Toutefois, vous n’ignorez pas qu’il n’y a plus de majorité à l’Assemblée nationale pour défendre la réforme des retraites qui allait dans ce sens. Devant une telle situation politique, il faut être lucide. C’est pourquoi cette réforme sera suspendue, mais cela ne doit pas nous dispenser de réfléchir à l’avenir, notamment pour que le débat de 2027 repose sur de bonnes bases.

Évidemment, on aura alors des options très différentes, tant par le mode de financement des retraites retenu que par la vision économique. Mais si l’on arrive à construire au moins un cadre de référence commun, afin que l’on puisse partir des mêmes chiffres, du même constat, le débat démocratique qui devra trancher entre ces options pourra être de la meilleure qualité possible.

C’est sur cet enjeu important que les partenaires sociaux, les organisations syndicales comme patronales, sont convenus de travailler ensemble.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Pierre Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Pierre Vogel. Monsieur le ministre, la France constitue aujourd’hui un cas presque unique en Europe.

Elle est le seul pays à cumuler autant d’impôts sur la production : ils atteignent 125 milliards d’euros, soit 4,7 % de notre PIB, contre une moyenne européenne de 2,5 % et seulement 1 % en Allemagne. La fiscalité du travail, au sens large, demeure le principal canal de financement de la protection sociale et de nombreux dispositifs parafiscaux.

Ces impôts qui, comme la CVAE ou la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), ont pour assiette le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée s’empilent en cascade à chaque maillon de la chaîne de valeur ; ils pénalisent nos circuits longs, nos exportations industrielles et, finalement, notre production nationale.

À cela s’ajoute, pour près de 50 milliards d’euros, une myriade de prélèvements sur les salaires, dont je ne pourrai citer que quelques-uns : la taxe sur les salaires, le versement mobilité, la taxe d’apprentissage et la contribution supplémentaire à l’apprentissage, la participation des employeurs à l’effort de construction (Peec), la contribution de solidarité pour l’autonomie (CSA), la taxe de solidarité additionnelle (TSA), ou encore la contribution au Fonds national d’aide au logement (Fnal)…

Cette accumulation, incompréhensible pour les entreprises, résulte du millefeuille fiscal français : c’est un empilement sans cohérence ni logique économique.

Ces différentes contributions, souvent déconnectées de la productivité ou du résultat des entreprises assujetties, renchérissent mécaniquement le coût du travail. À la différence des impôts sur les bénéfices, elles sont dues dès le premier euro de salaire versé, indépendamment de la rentabilité de l’entreprise.

Le résultat, nous le connaissons : un coût du travail élevé, des effets de seuil pénalisants, une compétitivité fragilisée et une création d’emplois en berne dans les secteurs intensifs en main-d’œuvre.

Finalement, ces impôts de production ne se justifient ni par l’efficience ni par l’équité. Ils ne constituent qu’une ressource de court terme pour les finances publiques et représentent un frein durable à la compétitivité, à la réindustrialisation et au rebond du travail.

La question n’est pas seulement budgétaire, elle est philosophique : quelle place notre pays veut-il accorder au travail dans la création de richesse ? Nous devons bâtir une fiscalité qui encourage la production, l’emploi et l’investissement.

Aussi, monsieur le ministre, compte tenu de notre objectif partagé de reconquête industrielle, le Gouvernement entend-il engager un mouvement de baisse structurelle et de rationalisation des impôts de production, qui ciblerait prioritairement les taxes sur le chiffre d’affaires et les prélèvements fiscaux sur les salaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, la réponse est simple : oui !

Vous le savez, une baisse des impôts de production a été enclenchée à partir de 2021, à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros, et le projet de loi de finances qui vous sera bientôt soumis prévoit, dans sa version initiale, de poursuivre cet effort, en ciblant notamment la CVAE.

Pourquoi avoir choisi la CVAE parmi tous les impôts de production que vous avez mentionnés ? Le débat est récurrent, que ce soit au Parlement ou entre experts sur les chaînes de télévision : quels impôts de production vaut-il mieux cibler ? Nous avons retenu la CVAE, parce que, de tous ces impôts, c’est celui qui frappe le plus l’industrie, alors que la C3S, par exemple, affecte beaucoup plus, en proportion, le secteur de la finance.

Dans le contexte que nous connaissons, celui d’une concurrence industrielle féroce entre pays, et alors que plusieurs secteurs de l’industrie – l’automobile, la chimie, les puces et les semi-conducteurs… – font face, dans toute l’Europe, à une menace existentielle, c’est le bon choix. Ces secteurs de notre industrie peuvent être très rapidement balayés, au vu de la férocité du comportement de leurs compétiteurs internationaux.

Vous avez aussi eu raison de rappeler le décalage massif que l’on observe, concernant de tels impôts, entre la France et d’autres pays similaires, notamment l’Allemagne. Tout n’est certes pas parfait en Allemagne, mais ce pays a tout de même réussi, au cours des vingt dernières années, à défendre son industrie. Cette réussite est, à l’évidence, en partie due à une approche différente des impôts de production.

C’est la raison pour laquelle, malgré le contexte budgétaire tendu, et bien que cette politique ne soit pas forcément la plus populaire, le Gouvernement a choisi de vous proposer de poursuivre la diminution de la CVAE : nous sommes convaincus que, pour l’intérêt général et pour la défense de notre industrie, cette baisse est extrêmement importante.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc la fin de ce premier round, qui en appelle d’autres, dans quelques semaines dans cet hémicycle.

Ce fut, à cette heure de la soirée, un round à fleurets mouchetés, mais je dois dire, monsieur le ministre, que j’ai apprécié vos réponses très structurées : vous connaissez indéniablement vos sujets, et j’ai même décelé dans vos propos une voix progressiste, qui montre que votre passage au parti socialiste n’aura pas été totalement inutile. (Rires sur les travées du groupe SER. – M. le ministre délégué sourit.)

Mme Frédérique Puissat. C’était donc ça !

M. Patrick Kanner. Naturellement, monsieur le ministre, vous pouvez encore vous améliorer !

Le débat que nous venons de mener touche à l’un des fondements mêmes de notre pacte républicain. Je regrette à cet égard le départ prématuré de nos collègues du groupe Les Républicains.

Mme Frédérique Puissat. Moi, je suis là !

M. Patrick Kanner. Oui, il reste un otage… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Ce débat, disais-je, touche à l’un des fondements de notre pacte républicain : le rapport entre le travail et le capital, entre la valeur produite et la richesse captée. Ce n’est pas un débat technique, mes chers collègues : c’est un débat de civilisation.

Depuis la Révolution industrielle, l’équilibre entre ceux qui produisent et ceux qui possèdent a toujours constitué le socle du pacte social français, même si celui-ci a connu des soubresauts – le dernier en date aura été la crise des gilets jaunes.

Néanmoins, ce modèle de société se fragilise. En effet, désormais, la richesse vient non plus de l’effort, mais toujours plus de la rente. Ce n’est plus le travail qui élève, c’est le capital qui accumule. Pourtant, c’est encore le travail que l’on taxe, que l’on presse et que l’on culpabilise.

On nous avait promis une France moderne, réconciliée, dépassant les clivages. Mais, après huit ans de macronisme, monsieur le ministre, la réalité s’impose : c’est une politique de droite qui a été menée, une politique libérale assumée, au service du capital protégé. Suppression de l’ISF, allègement de la fiscalité du capital, affaiblissement de la progressivité de l’impôt… Pendant ce temps, à rebours du fameux mythe du ruissellement, l’ouvrier, l’infirmière et l’enseignant paient plein tarif.

La droite invoque souvent le bon sens ; cela a encore été le cas tout à l’heure. Mais le bon sens, c’est de comprendre que la justice fiscale est, non pas une punition, mais une exigence de cohésion. Il n’y a pas de société durable lorsque l’effort est toujours demandé aux mêmes. Que l’on ne nous parle plus de mérite ! Il n’y a aucun millionnaire de moins de trente ans. Et aucun, ou presque, ne s’est bâti tout seul : ce sont des héritiers ou des traders, pas des héros.

Oui, il faut repenser notre fiscalité. Et le débat qui se tient ces semaines-ci à l’Assemblée nationale le permet, monsieur le ministre : aussi, faites encore un petit effort pour y parvenir, d’autant que cela vous évitera de redevenir trop vite député – nous vous souhaitons de rester longtemps ministre, tout en vous concédant que cela dépend un peu de nous… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

S’il faut, à notre sens, repenser la fiscalité en France, ce n’est pas pour punir la réussite, que nous soutenons : quand nous étions aux affaires, selon la formule consacrée, non seulement nous avons permis ces réussites privées, mais nous avons maîtrisé les comptes de la Nation. Non, s’il faut repenser la fiscalité, c’est d’abord pour redonner sens à l’idée même de République : celle où l’impôt unit, au lieu de diviser.

La droite a rompu avec ce qu’elle fut. Elle oublie trop souvent aujourd’hui, ma chère collègue Frédérique Puissat, ce que fut la droite sociale du général de Gaulle, celle qui savait que la grandeur de la France ne pouvait reposer sur la misère de ses enfants.

Aujourd’hui, nous avons 10 millions de pauvres, nous avons 12 % de smicards dans le monde salarié. Aujourd’hui, la droite a tourné le dos à l’esprit du Conseil national de la Résistance, à cette idée simple et magnifique que la prospérité ne vaut que si elle est partagée, comme d’ailleurs la production de richesses. Voilà ce qu’était le patriotisme fiscal de l’époque !

Désormais, la priorité n’est plus le bien commun ; c’est le rendement du capital. L’économie n’est plus au service de la Nation ; c’est la Nation qui se met au service des marchés. Ce renversement n’est pas neutre : c’est un choix moral, un choix de société.

On nous dit qu’il faut récompenser le risque et protéger la réussite. Mais ce que l’on appelle « modernité », c’est souvent la démission morale d’une époque. En effet, il y a un autre risque que celui que l’on invoque à foison : je pense au risque que prennent les travailleurs précaires, les jeunes sans logement, les soignants à bout, les enseignants désabusés. Quand nous parlons de justice fiscale, nous ne parlons pas de revanche. Nous parlons de responsabilité, nous parlons d’équité, car une République sans équité devient une fiction.

Alors que l’Assemblée nationale examine les textes budgétaires pour 2026, il convient, mes chers collègues, de rappeler que la fiscalité n’est pas qu’une affaire de comptes : elle dit aussi ce que nous voulons être comme société. Or nous n’avons pas honte de la société française ! Oui, elle est redistributrice, elle est protectrice des plus faibles. Tel est notre modèle de société, dont il faut assumer qu’il coûte de l’argent.

Nous, socialistes, défendons une fiscalité du travail plus juste, une contribution du capital plus équitable, un impôt réhabilité comme acte de fraternité républicaine. Cela s’impose, parce qu’il n’y a pas de République forte sans justice fiscale, pas de cohésion sans redistribution, pas de prospérité durable sans solidarité.

C’est ce message que notre groupe a voulu faire passer aujourd’hui, en conscience et en responsabilité. Tel est aussi le sens de notre engagement : redonner au travail la place qu’il mérite, redonner à l’impôt le sens du lien et redonner à la République le souffle de la justice.

Le consentement à l’impôt, la qualité des services publics, l’ascenseur social constituent sans nul doute les fondamentaux d’une République rénovée ; tel était le sens de notre débat de ce soir. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir contribué, même si nous n’avons pas toujours été d’accord. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».