Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fiscalité acceptée est une fiscalité équitable. Tel est l’équilibre que nous devons viser. Il s’agit non pas seulement de chiffres, mais aussi de la manière dont nous valorisons le travail, le capital et la solidarité pour tous.

À ce sujet, selon une enquête de la Fondation Jean-Jaurès, 33 % des Français ne sont pas du tout d’accord et 32 % plutôt pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle le système fiscal français est juste.

La France fait partie des États qui taxent moins le capital que le travail. Ces chiffres montrent à quel point notre système fiscal mérite d’être repensé. Concrètement, cela signifie que nous devons veiller à ce que le travail ne soit pas surtaxé, à ce que le capital contribue de manière juste à l’effort collectif et à ce que chacun perçoive l’impôt comme un outil de solidarité et non comme une sanction.

Je le dis avec d’autant plus de conviction que, comme épouse d’artisan, j’ai été particulièrement sensibilisée à la situation de celles et ceux qui, comme les artisans, les commerçants ou les petits entrepreneurs, font vivre nos territoires.

Ces professions représentent près de 1,8 million d’actifs, qui représentent environ 6,7 % de l’emploi total selon l’Insee. Elles effectuent un travail concret, souvent exigeant. Pourtant, elles se heurtent à une fiscalité qui est parfois perçue comme déconnectée de leur réalité quotidienne. Si l’on veut restaurer la confiance dans l’impôt, il faut reconnaître la contribution du travail indépendant.

Nous devons aussi penser à l’avenir. Notre pays vieillit ; les actifs seront demain moins nombreux, tandis que les besoins de financement – pour les retraites, la santé, la dépendance – vont croître. Comment le Gouvernement compte-t-il adapter la fiscalité du travail et du capital à cette nouvelle donne démographique, afin de garantir à la fois la justice entre les générations et la soutenabilité des politiques publiques ?

Par ailleurs, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour mieux accompagner les artisans, les commerçants et les indépendants, dont l’activité est essentielle, singulièrement dans la ruralité, mais qui se heurtent souvent à une fiscalité trop complexe et trop lourde, ainsi qu’à de nombreux obstacles lorsqu’il s’agit d’investir, de se former ou de transmettre leur savoir-faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Vous avez abordé, madame la sénatrice, de nombreuses dimensions de la fiscalité. Il s’agit de sujets très importants.

Je commencerai par répondre à la question relative à la fiscalité sur les petites entreprises. Il était très important pour le Gouvernement que, dans un contexte où un effort général est attendu de tous, l’effort demandé aux entreprises se concentre sur les plus grandes d’entre elles. En effet, vous avez raison, nombre de PME, d’artisans, de commerçants, ou d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont souvent confrontées à la dureté de la concurrence internationale, traversent un moment difficile.

Je n’énumérerai pas l’ensemble des secteurs en difficulté, mais je songe évidemment au secteur du commerce, en raison du bouleversement provoqué par le développement du commerce en ligne, ou à l’industrie, qui subit la vague chinoise, comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire.

C’est la raison pour laquelle la surtaxe de l’impôt sur les sociétés visera uniquement les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros, avec des seuils d’imposition fixés à plus de 1 milliard d’euros et à plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

C’est aussi la raison pour laquelle, à l’inverse, des baisses d’impôts sont prévues. Je songe en particulier à la baisse de la CVAE, qui bénéficiera aux PME et aux ETI.

Un autre sujet important que vous avez évoqué est celui de la simplification. En effet, l’opacité de notre système mine le consentement à l’impôt.

Notre système fiscal est ainsi construit que les taux d’imposition faciaux sont élevés, mais qu’il existe parallèlement un grand nombre de niches ou de crédits d’impôt pour les contourner. Ce système permet à certains de se livrer à des manœuvres d’optimisation fiscale – nous en avons parlé abondamment –, mais il s’accompagne aussi d’une grande opacité, de beaucoup de difficultés et de nombreux traitements administratifs.

Une bonne réforme fiscale consisterait à réduire le nombre de niches, quitte à baisser les taux des différents impôts. On obtiendrait ainsi davantage de transparence et d’égalité.

Enfin, il est important de continuer à accompagner les entreprises. Nous avons commencé par l’instauration du droit à l’erreur, mais, de manière plus générale, nous devons encore procéder à un mouvement de simplification considérable.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on entend souvent dire que, en France, les prélèvements pèseraient trop sur le travail et pas assez sur le capital, et qu’il conviendrait de rééquilibrer la situation.

Or ce constat est erroné. D’après l’OCDE, la France reste, en dépit des réformes Macron sur la fiscalité du capital de 2018, l’un des pays où la taxation de ce dernier est la plus élevée. Lorsque l’on tient compte de la superposition des impôts touchant son stock, son rendement et ses différentes mutations, on constate que le capital est non pas sous-taxé, mais au contraire surtaxé.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Vincent Delahaye. Le projet de loi de finances pour 2026, s’il est adopté, n’améliorera ni notre situation ni notre rang. Il majore, dans certains cas, le taux d’impôt sur les sociétés jusqu’à pratiquement 34 %, soit 13 points de plus que ce qui est pratiqué en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Par le biais de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, le taux d’imposition des revenus des capitaux mobiliers sera propulsé à 37,2 %, soit presque le double du taux pratiqué par l’Espagne socialiste, qui s’élève à 19 %. Ces deux mesures combinées reviennent à taxer un même capital à un taux proche de 60 %.

Voilà qui est suicidaire ! En effet, la surtaxation du capital dissuade la formation de capitaux nouveaux. Moins de capital rime avec une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou avec un chômage plus élevé si les salaires réels sont rigides.

On le voit, opposer travail et capital n’a économiquement aucun sens. L’épargne et l’investissement ont des retombées positives qui profitent à tous. Les pays qui traitent mieux le capital que nous, c’est-à-dire à peu près tous les pays de la planète, à commencer par nos voisins, l’ont bien compris, hélas à nos dépens.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : votre gouvernement va-t-il rayer d’un trait de plume les réformes de 2018 au nom de la stabilité, mais au détriment de notre prospérité ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, il ne vous aura pas échappé que le texte proposé par le Gouvernement ne prévoit rien de tout cela ! Il envisage plutôt la poursuite de la baisse des impôts de production.

En ce qui concerne la surtaxe à l’impôt sur les sociétés, les chiffres que vous citez auraient pu être encore plus élevés si vous aviez repris le taux, encore supérieur, que le gouvernement de Michel Barnier prévoyait d’instaurer l’année dernière.

Si la mise en œuvre de cette surtaxe peut se comprendre dans le contexte particulier, à la fois politique et budgétaire, que nous connaissons, celle-ci doit rester temporaire. En effet, il ne faut pas oublier le contexte international dans lequel nous nous trouvons.

J’ai d’ailleurs commencé mon propos liminaire en le rappelant. Nos entreprises industrielles sont confrontées à une concurrence féroce dans les domaines de la sidérurgie, de l’automobile et de la chimie, ainsi que dans bien d’autres secteurs, où elles subissent l’arrivée d’une vague d’importations de produits industriels asiatiques, en particulier chinois, qui déstabilise très profondément notre tissu industriel.

Lorsque nous discutons avec des industriels, qui ne sont en aucun cas des militants politiques, ils nous font simplement part de la réalité du terrain. Or rares sont ceux qui nous demandent d’augmenter les charges et les impôts… Ils nous demandent plutôt le contraire, parce qu’ils n’arrivent plus à dégager les marges nécessaires pour investir et lutter contre la concurrence internationale.

Je suis toujours très frappé de notre capacité à débattre successivement des sujets, comme s’il n’y avait aucun lien entre eux. Si notre débat de ce soir s’intitulait « Réindustrialisation et investissement productif », et non pas « Fiscalité du travail et fiscalité du capital : quels équilibres ? », je ne doute pas que notre discussion serait complètement différente. Nous parlerions tous de la concurrence déloyale de certains pays, des problèmes de compétitivité, etc. Et nous serions tous d’accord pour dire qu’il faut mettre le paquet sur l’industrie.

Mettons en cohérence nos discours, sans quoi ce sont les industriels et les entreprises, donc les ouvriers qu’ils emploient, qui paieront l’addition.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos PME affrontent aujourd’hui de nombreux défis et subissent une instabilité politique préoccupante. L’imprévisibilité fiscale étouffe la confiance et freine l’investissement. Ces entreprises sont pourtant le socle de l’économie réelle, enracinée dans les territoires, souvent dans l’industrie, cœur battant de notre souveraineté économique.

La part de l’industrie dans la richesse nationale n’est plus que de 14 %, contre près du double il y a trente ans. Ce déclin tient moins à des fermetures spectaculaires d’usines qu’à un mal plus insidieux : le découragement des entrepreneurs et la peur d’investir faute de visibilité.

La fiscalité française demeure l’une des plus lourdes d’Europe, en particulier pour les PME. La suppression progressive de la CVAE constitue une avancée, mais elle doit s’inscrire dans une trajectoire claire et respectée, sans compensation par d’autres prélèvements. Nos chefs d’entreprise attendent non pas des faveurs, mais un cadre fiscal stable et lisible, qui récompense le travail et l’investissement.

La transmission des entreprises constitue également un enjeu majeur. Dans mon département de la Mayenne, de nombreuses PME familiales, patrimoniales, n’ont pas de successeur identifié, et les contraintes fiscales freinent les reprises. Préserver la transmission, c’est préserver des emplois, des savoir-faire et la vitalité de nos territoires.

Certains invoquent la justice fiscale pour taxer toujours davantage, mais la véritable justice, la seule qui soit durable, est de récompenser ceux qui entreprennent et de mieux valoriser le travail d’une façon générale ! Car sans création de richesses, il n’y a pas de solidarité possible.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous garantir la stabilité de notre cadre fiscal, encourager ce capitalisme familial qui fait la force de nos territoires et préserver la transmission des entreprises, plutôt que de les menacer avec de nouveaux alourdissements de la fiscalité des successions ?

Enfin, pouvez-vous éclaircir la position du Gouvernement concernant le pacte Dutreil, si précieux pour les chefs d’entreprise ? (MM. Olivier Rietmann et Emmanuel Capus applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l’importance du pacte Dutreil. Nous parlions à l’instant de la concurrence internationale. Celle-ci concerne évidemment les exportations – ou les importations, selon le point de vue français –, mais elle a aussi pour enjeu la préservation de notre tissu industriel, que nous devons protéger face aux prédations étrangères.

Le pacte Dutreil a été initialement conçu dans cette perspective. Il s’agissait d’éviter que l’application de droits de succession très élevés n’empêche la transmission d’une entreprise familiale aux descendants et n’aboutisse à livrer cette société à l’appétit des fonds d’investissement. À l’époque, d’ailleurs, on pensait beaucoup aux fonds de pension américains, mais sans doute, demain, s’agira-t-il plutôt de fonds issus du Moyen-Orient ou d’Extrême-Orient.

C’est la raison pour laquelle il est vital de préserver le pacte Dutreil, particulièrement dans les années qui viennent, alors que se profile une vague importante de transmissions d’entreprises, notamment d’entreprises de taille intermédiaire.

Certains proposent de réserver le pacte Dutreil aux petites entreprises. C’est absurde, parce que ce sont précisément les ETI qui sont la cible des manœuvres de prédation ! C’est la raison pour laquelle, j’y insiste, il faut préserver le pacte Dutreil.

Au cours de nos débats, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, nous aurons l’occasion d’apprécier s’il convient d’ajuster tel ou tel paramètre du dispositif, mais le cœur de notre politique doit être de préserver le pacte Dutreil. Celui-ci constitue, comme vous l’avez souligné, un instrument indispensable pour faciliter la transmission des entreprises, mais aussi pour préserver notre souveraineté économique et conserver la maîtrise de nos emplois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2023, l’OCDE calculait que, dans la quasi-totalité des pays, les revenus du capital étaient moins taxés que les revenus du travail. En France, la taxation sur les revenus du travail est supérieure de 14 points à celle qui est applicable aux dividendes. La question de la justice fiscale dans notre pays se pose quotidiennement avec prégnance.

Notre système fiscal repose actuellement sur la taxation des plus-values réalisées, c’est-à-dire celles qui résultent d’une cession d’actifs. Cependant, dans un contexte où les patrimoines financiers et immobiliers voient leur valorisation progresser de manière constante, les plus-values dites latentes, c’est-à-dire les gains non encore réalisés, mais constatables sur les actifs détenus, représentent une richesse réelle, qui alimente les inégalités patrimoniales croissantes.

Dans plusieurs pays, comme les États-Unis, à l’occasion de certains débats récents, il a été envisagé de mettre en œuvre une forme de taxation partielle de ces plus-values latentes, notamment pour les contribuables les plus aisés. Parfois, des expérimentations ont même été menées.

Aussi, monsieur le ministre, afin de renforcer l’équité de notre système fiscal, tout en assurant la soutenabilité budgétaire de nos politiques publiques, seriez-vous favorable à l’ouverture d’une réflexion, voire d’une expérimentation, concernant la création d’un dispositif de taxation des plus-values latentes applicable aux très hauts patrimoines ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de laction et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de lÉtat. Madame la sénatrice, je commencerai par répondre sur le constat. Lorsque l’on fait des comparaisons internationales, on observe que la France taxe davantage le travail et le capital que ses voisins européens.

De même, la France a à peu près la même structure de prélèvements obligatoires que ses voisins européens, à une exception près : on taxe davantage le stock de capital. Les pays scandinaves eux-mêmes ont aboli les impôts sur la fortune et les dispositifs similaires… Ces précisions me semblent importantes pour fixer le cadre de notre débat.

Ensuite, concernant votre question, la taxation des plus-values latentes implique de reconstituer toute l’histoire d’un bien au cours de trente, quarante ou cinquante ans… Ainsi, un appartement acheté dans les années 1970 ou 1980 se verrait taxé aujourd’hui sur la plus-value au moment de la succession, après le décès de son propriétaire. Je vous le dis comme je le pense, cela me paraît fou sur le fond et flou techniquement !

La question que vous posez sur la taxation des très hauts patrimoines doit plutôt être abordée sous l’angle du contournement de l’impôt, me semble-t-il. D’ailleurs, nous en avons parlé pour ce qui est de la contribution différentielle sur les hauts revenus et sur la question des holdings.

Il y a d’autres sujets qui, je n’en doute pas, seront évoqués lors de votre débat budgétaire et qui portent sur les différents dispositifs permettant aux très grandes fortunes, parce qu’elles les utilisent massivement, de contourner les impôts de droit commun. À mon sens, c’est la meilleure façon de procéder. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, à ma connaissance, ce que vous proposez n’a été fait dans aucun autre pays. (Mme Frédérique Espagnac proteste.)

Il faut réussir à s’assurer que les impôts qui sont prévus sont effectivement payés et, quand ils ne le sont pas, corriger les dispositifs qui permettent d’y échapper, sauf, évidemment, quand ceux-ci sont très précisément justifiés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. Si, monsieur le ministre, cela a été fait ou expérimenté, y compris aux États-Unis. (M. le ministre délégué proteste.)

Le constat est sans appel : 79 % des Français réclament plus de justice fiscale. Ce budget 2026 était l’occasion de donner un cap pour plus de justice fiscale, sociale et environnementale, en dégageant de nouvelles recettes. C’est ce que je propose à l’instant.

On estime que les plus-values latentes des 10 % les plus riches représentent environ 1 300 milliards à 1 500 milliards d’euros. Il s’agit non pas de prendre le capital, mais de le taxer chaque année à 1 % ou à 2 %, ce qui apporterait aujourd’hui 30 milliards d’euros au budget de l’État. Je vous laisse donc y réfléchir, dans cette période où nous recherchons des ressources pour les Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, en écoutant ce débat, il me semble que nous avons rétabli pendant un instant dans cet hémicycle les distinctions entre la droite et la gauche, qui, parfois, n’étaient plus très claires.

M. Thomas Dossus. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Ce soir, au moins, c’est clair : le capital, le travail … Cela nous rappelle les discours des ténors d’antan !

Pour ma part, je vais vous parler de succession. L’héritage est-il « ce truc qui vous tombe du ciel », comme l’a affirmé la présidente de l’Assemblée nationale ? Je ne le crois pas. Le travail serait surtaxé, ce qui est vrai, tandis que le capital serait sous-taxé, ce qui est faux.

C’est faux concernant les droits de succession et de donation, puisque seules la Corée du Sud et la Belgique en ont de plus élevés que la France.

C’est faux, surtout, pour ce qui concerne la fiscalité des transmissions en ligne collatérale ou entre non-parents. S’il s’explique par une augmentation des flux, le dynamisme de l’impôt sur l’héritage s’explique aussi par l’application de taux quasi confiscatoires pour les successions et donations en ligne collatérale.

Combiné à des abattements ridicules, un taux unique de 55 % s’applique aux neveux et nièces ; il est porté à 60 % pour les non-parents. Par exemple, une somme de 20 000 euros reçue d’un oncle ou d’une tante sera taxée à 33 %, taux qui s’applique en ligne directe pour une transmission de 2 millions d’euros.

Ma question, monsieur le ministre, est donc la suivante : dans un contexte sociologique et familial profondément transformé, ne faut-il pas éradiquer du système fiscal ces discriminations à l’égard de la parentèle la plus éloignée ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l’action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État. Madame la sénatrice, je trouve légitime de mener une réflexion sur l’adaptation de la fiscalité sur les successions et sur les donations aux évolutions des familles.

Quand j’étais parlementaire, j’avais défendu un amendement visant à permettre précisément de relever les abattements pour les beaux-enfants. Il y a aujourd’hui beaucoup de familles recomposées. Des beaux-pères ou des belles-mères sont en réalité comme des parents pour les beaux-enfants dont ils se sont occupés souvent toute leur vie. Or ils se voient appliquer au moment de la succession des abattements ridicules.

En effet – pardonnez-moi, je n’ai pas en tête le chiffre exact –, cet abattement est de l’ordre de 5 000 euros à peu près, alors que, ne serait-ce que pour un frère ou une sœur, il est déjà de 15 000 euros. Cela fait donc effectivement partie des modernisations importantes qui sont attendues, et il faut que nous ayons une réflexion sur ce sujet.

Il existe ensuite un débat plus général sur la question de la fiscalité des successions. On constate que, désormais, dans la part du patrimoine, le patrimoine hérité est supérieur au patrimoine acquis par une vie de travail. Une des explications tient au contexte économique dans lequel nous sommes : c’est le reflet d’une croissance qui est faible, avec des salaires nets qui sont trop faibles, nous en avons beaucoup parlé.

C’est aussi le reflet des prix de l’immobilier, qui ont énormément augmenté. En effet, quand on parle du patrimoine, c’est bien souvent du patrimoine immobilier qu’il s’agit pour l’immense majorité des Français, car c’est là que leur épargne est investie.

Ce constat doit donc nous amener, si nous avons des marges de manœuvre budgétaires, à concentrer les baisses d’impôt sur le travail. Le fait de ne plus pouvoir acquérir un logement sans être aidé par ses parents est tout de même un affront terrible à la méritocratie. Or, malheureusement, c’est le cas dans des endroits de plus en plus nombreux du pays.

Tous nos efforts doivent donc être consacrés à revaloriser le travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il faut aussi considérer les successions en matière agricole, qui posent un certain nombre de problèmes très sérieux pour les reprises d’exploitation. C’est un sujet sur lequel il faut travailler sereinement, dans la durée.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, monsieur le ministre, je rejoins à mon tour le bal… (Sourires.)

Dans ce débat sur la fiscalité du travail et du capital, je voudrais partir d’un élément souvent négligé : le patrimoine, qui constitue le socle du capital et le fruit, dans bien des cas, du travail et de la transmission.

La fiscalité française sur le capital est à la fois lourde et profondément hétérogène.

Lourde, car, selon l’OCDE, les prélèvements sur le capital représentent environ 12 % du PIB en France, contre 9 % en moyenne dans l’Union européenne, alors que la pression fiscale globale atteint déjà 43,8 % du PIB dans notre pays. Au sein du marché unique européen, cette pression doit nous interroger en ce qu’elle illustre la tension entre souveraineté fiscale nationale et liberté de circulation européenne, touchant à la fois aux personnes et aux capitaux.

Hétérogène, ensuite, parce que l’imposition varie fortement selon la nature du capital : plus clémente pour certains supports, comme l’assurance vie ou les plus-values à long terme, mais particulièrement lourde sur le capital productif et entrepreneurial. Cette diversité crée des distorsions profondes dans l’allocation de l’épargne.

Ces constats nous renvoient aux deux principes cardinaux de toute fiscalité que sont la nécessité et l’égalité, aujourd’hui largement fragilisés.

La nécessité, qui veut que l’impôt soit justifié par une dépense publique utile et efficiente, est aujourd’hui mise à mal par une fiscalité trop lourde qui décourage l’investissement productif, celui qui crée des emplois et soutient notre compétitivité. Et l’égalité vacille lorsqu’un patrimoine issu du travail – celui d’un agriculteur, d’un artisan, d’un chef d’entreprise –, est aussi lourdement taxé aujourd’hui.

L’enjeu est donc non pas d’opposer le travail et le capital, mais de restaurer un équilibre entre les deux pour plus de cohérence : il s’agit de reconnaître la valeur du risque et de la création, d’orienter l’épargne vers la production et de replacer le patrimoine au cœur d’une fiscalité plus lisible, plus juste et plus efficace.

Monsieur le ministre, en comparant la France à l’Allemagne et à l’Italie, il apparaît que nous restons champions toutes catégories de l’imposition, et même doubles médaillés d’or sur le patrimoine et la transmission. C’est un record que personne ne nous conteste, mais peut-être pourrions-nous accepter, pour une fois, de descendre de la plus haute marche du podium.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l’action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État. Monsieur le sénateur, nous sommes entrés pour plusieurs années dans une période d’ajustement budgétaire. Il ne s’agit pas d’une surprise, car c’est le cas à la suite de la plupart des grandes crises : c’était le cas après la crise du début des années 1990, après la crise financière de 2008, après la crise de la zone euro de 2010. Et c’est le cas, maintenant, après les crises sanitaire de 2020 et énergétique de 2022.

Il va nous falloir, si l’on en croit les travaux du Conseil d’analyse économique (CAE), dégager sur plusieurs années, j’y insiste, de l’ordre de 110 milliards à 120 milliards d’euros pour stabiliser notre dette en part du PIB. Ce n’est pas une règle qui nous est imposée par l’Europe ou par nous-mêmes ni un quelconque impératif de communication : c’est simplement une réalité mathématique !

La réflexion que nous menons sur la question fiscale doit donc être ciblée, puisque, évidemment, nous ne pourrons pas tout faire. Le débat que vous posez, qui est celui de la réallocation de l’épargne et des priorités, est le bon. C’est, en fait, celui que nous devrions avoir.

Pour ma part, je pense que nous devons parvenir à une forme de préférence productive. En effet, ce qui est devant nous, ce sont les deux urgences que j’évoquais au début : l’urgence sociale, c’est-à-dire faire en sorte que le travail paie ; et l’urgence économique, qui est de défendre notre tissu productif, notre tissu industriel face à la mondialisation et aux bouleversements technologiques.

Nous aurons réussi à traverser cette période d’ajustement budgétaire – je le répète, c’est normal après des crises de cette importance –, si nous parvenons dans le même mouvement à baisser les prélèvements sur les travailleurs et les actifs, sans quoi le contrat social ne tiendra pas, et à diminuer la pression sur les entreprises qui produisent, qui sont aux premières loges de la concurrence internationale – l’industrie est un très bon test à cet égard. Si nous y arrivons, nous aurons réussi quelque chose d’important.

En revanche, si nous fragilisons les actifs et si nous laissons notre tissu industriel être balayé par les concurrents internationaux, je crains que la décennie 2030 ne soit encore plus difficile pour nous.