En ce lendemain du 11 novembre, je voudrais conclure mon propos par une citation de Clemenceau, pertinente et symbolique de notre état d'esprit : le législateur « a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles et que les mauvais ne le soient pas ». Voilà un parfait résumé de notre orientation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et sur des travées des groupes INDEP et RDSE – Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Duffourg, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est vu déléguer l'examen de l'article 8 du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, qui concerne le secteur des voitures de transport avec chauffeur, plus communément appelées « VTC ».

Ce mode de transport a subi de nombreux changements depuis son premier encadrement législatif, en 2009, par la loi de développement et de modernisation des services touristiques, dite loi Novelli. L'activité des VTC a été libéralisée et des plateformes d'intermédiation, comme Uber, qui est la plus connue, se sont développées.

Plusieurs lois ont modifié la législation initiale : je pense à la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, dite loi Thévenoud, à la loi du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes, dite loi Grandguillaume, et à la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, autant de tentatives pour clarifier quelque peu l'exercice de ce nouveau métier.

Néanmoins, la réglementation en vigueur comporte toujours de nombreuses lacunes, qui ont permis – comme vous le savez – l'apparition de fraudes sociales et fiscales et l'essor du travail dissimulé.

La fraude se développe aujourd'hui surtout par le biais des gestionnaires de flotte, qui se sont développés depuis trois ans. Il s'agit d'intermédiaires entre les plateformes et les chauffeurs de VTC. Ces derniers, qui exercent ou qui devraient exercer d'une manière indépendante par le biais de ces plateformes, sont aussi parfois salariés.

En réalité, comme vous l'avez compris, les gestionnaires de flotte sont souvent des sociétés-écrans, qui sont à l'origine de nombreuses fraudes sociales et fiscales. En effet, ces sociétés ne déclarent pas toujours l'activité de leurs chauffeurs, ce qui engendre du travail dissimulé. En outre, elles ont recours à de faux professionnels et même à des personnes qui exercent l'activité de transporteur sans avoir obtenu le permis de conduire.

L'article 8 pourrait répondre à certains de ces problèmes et nous permettre de contrecarrer cette fraude sociale et fiscale, mais d'une manière assez minime.

Cet article vise ainsi à sanctionner la mise à disposition au bénéfice d'un tiers de l'inscription d'une personne au registre des VTC.

Il tend aussi à imposer aux plateformes d'intermédiation qu'elles s'assurent que l'inscription des chauffeurs auprès du registre des VTC est réelle.

Il prévoit enfin l'instauration d'une obligation de vigilance pour ces plateformes d'intermédiation afin qu'elles ne favorisent pas le travail clandestin.

Bien entendu, la commission a accueilli favorablement l'ensemble de ces mesures, mais elle a souhaité augmenter les sanctions encourues : d'une part, en faisant passer de 150 000 euros à 3 millions d'euros l'amende prévue pour les plateformes qui ne respecteraient pas leur devoir de vigilance en matière de non-recours au travail dissimulé ; d'autre part, en rehaussant le quantum des peines pour l'exercice illicite de l'activité de VTC et en renforçant les moyens de contrôle des forces de l'ordre.

En résumé, cet article 8 a une portée assez limitée, sachant qu'il eût été inopportun, à l'époque de la création du statut, d'aller trop loin dans la régulation de l'activité des chauffeurs de VTC. Il existe aujourd'hui une concurrence déloyale entre les taxis, qui achètent une licence et répondent à des règles précises, et les chauffeurs de VTC, d'autant que sont apparues, du fait du développement de plateformes d'intermédiation et de gestionnaires de flotte, de nombreuses fraudes sociales et fiscales.

C'est dans ce contexte général d'ubérisation de la société, que ce soit en matière de transports ou de livraison de repas à domicile, que nous avons essayé d'assainir la profession de VTC et d'améliorer les conditions de son exercice. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, la fraude fiscale, souvent à grande échelle et en lien avec des pays étrangers et des paradis fiscaux, parfois en bande organisée, prive l'État français de recettes considérables.

Ce sont ainsi des dizaines de milliards d'euros qui nous font cruellement défaut pour rétablir les comptes du pays et réduire notre déficit public.

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Au moment où nous appelons les Français à contribuer à l'effort national, au moment où nous demandons aux collectivités locales de réduire leurs dépenses – et je dis cela au nom de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat –, il nous faut accélérer la lutte contre la fraude fiscale. C'est un enjeu de justice fiscale et de redressement de nos comptes publics. (Bravo ! sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Je me réjouis que le travail acharné que mènent depuis nombre d'années plusieurs de nos collègues, au premier rang desquels Nathalie Goulet, porte peu à peu ses fruits. (Ah ! sur plusieurs travées.)

Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité de plusieurs réformes déjà adoptées : la suppression du verrou de Bercy en 2018,…

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. … le plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière en 2023, qui a notamment conduit à la création, par décret, de l'Office national antifraude (Onaf), la loi du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques et, tout récemment, la proposition de loi de Nathalie Goulet pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, qui a été adoptée la semaine dernière au Sénat et qui doit poursuivre son parcours parlementaire.

L'ensemble de ces réformes a déjà produit des résultats significatifs, mais le recouvrement n'est pas toujours au rendez-vous, puisque l'écart entre les montants notifiés et ceux qui ont été effectivement encaissés atteignait 5,2 milliards d'euros en 2024 – une situation que nous devons corriger.

Concernant le projet de loi que nous examinons, la commission des finances a reçu délégation au fond sur sept articles et s'est saisie pour avis de l'article 14.

Ces huit articles, aujourd'hui complétés par plusieurs articles additionnels, s'organisent autour de trois axes : faciliter les échanges d'informations pour mieux détecter la fraude, afin de mieux lutter contre des schémas de plus en plus complexes ; sanctionner plus durement les réseaux criminels qui organisent un véritable pillage de nos finances publiques, via par exemple la criminalisation de l'escroquerie aux finances publiques en bande organisée prévue à l'article 18 ; améliorer le taux de recouvrement qui reste, je l'ai dit, insuffisant.

De son côté, la commission a souhaité compléter le texte par quatre mesures.

Première mesure : permettre aux agents du contrôle fiscal d'accéder aux terminaux de paiement électronique pour mieux lutter contre le transfert vers des comptes bancaires à l'étranger de sommes, parfois importantes, qui échappent ainsi à l'impôt français.

Deuxième mesure – cet amendement me tenait à cœur : demander au Gouvernement une évaluation du mécanisme de collecte de la taxe sur les transactions financières (TTF). Cette taxe, recouvrée depuis 2012 par un opérateur privé, fait l'objet de critiques récurrentes, notamment de la part de la Cour des comptes, mais pas seulement. Le protocole encadrant la relation entre l'opérateur et l'administration fiscale n'a pas été actualisé depuis 2012. Il est donc temps d'en évaluer la pertinence.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Troisième mesure : permettre à la DGFiP et à la douane d'exiger, dans le cadre de leur droit de communication bancaire, que les établissements de crédit leur transmettent des informations sous format dématérialisé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, la commission a adopté un amendement de Nathalie Goulet autorisant l'administration fiscale, lors de ses contrôles, à prendre copie de documents portant sur la régularité des reçus fiscaux délivrés par les organismes bénéficiaires, notamment dans le cadre du mécénat.

Mes chers collègues, ce texte nous permet de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre la fraude fiscale. Il constitue une base solide que nous allons, je n'en doute pas, consolider et enrichir au cours des débats grâce aux nombreux amendements qui ont été déposés – je m'en réjouis – et auxquels je serai très attentif. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP. – MM. Bernard Buis et Michel Masset applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cukierman, Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 278.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la motion.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2017, sous la présidence d'Emmanuel Macron, notre pays connaît un double mouvement inquiétant : les riches n'ont jamais été aussi riches et les pauvres jamais aussi pauvres.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Selon Oxfam, les 10 % les plus riches détiennent près de la moitié du patrimoine national, quand les 50 % les plus modestes doivent se partager à peine 8 %. Depuis la suppression de l'ISF et la mise en place de la flat tax, la richesse des 370 plus grandes fortunes françaises a doublé, atteignant plus de 1 000 milliards d'euros. Pendant ce temps, près de 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et la moitié des salariés gagnent moins de 2 100 euros net par mois.

Dans un pays ainsi fracturé, où la prospérité s'accumule en haut pendant que l'austérité se propage en bas, le texte que vous nous proposez, madame la ministre, monsieur le ministre, masque une inégalité béante.

Depuis 2018, les lois prétendant lutter contre la fraude aux finances publiques se succèdent, mais aucune ne s'attaque sérieusement au fléau que représentent la fraude et l'évasion fiscales. Un fléau, dis-je, car ces pratiques coûtent chaque année plus de 100 milliards d'euros à la collectivité ; un fléau, car elles minent le consentement à l'impôt, creusent les inégalités et affaiblissent les services publics.

Depuis des années, les politiques publiques se concentrent presque exclusivement sur la fraude sociale, laissant intacte la fraude du capital. Ce texte, malgré son titre ambitieux, n'échappe pas à cette logique. Le rapporteur de la commission des finances le dit lui-même dans son rapport pour avis : le texte est modeste en matière de fraude fiscale, mais redoutablement efficace contre la fraude sociale.

Autrement dit, le Gouvernement concentre ses efforts là où la fraude est la plus faible et ferme les yeux là où elle est la plus coûteuse. Cette symétrie affichée entre fraude fiscale et fraude sociale n'est qu'un trompe-l'œil. Dans les faits, c'est toujours la même logique : faible avec les forts, fort avec les faibles !

M. Fabien Gay. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est vous, madame la ministre, qui avez parlé en premier pour nous présenter ce que vous qualifiez de fraude sociale avant, dans un deuxième temps seulement, de nous rappeler qu'il existe également, dans notre pays, une fraude fiscale.

On s'acharne donc sur les allocataires modestes (Mme la ministre hoche la tête en signe de dénégation.), cependant qu'on ménage les multinationales. Dans cette République inversée, on préfère finalement traquer le fraudeur de 640 euros plutôt que celui de 300 millions. C'est un choix politique, ce n'est pas le nôtre !

On envoie des contrôleurs chez les personnes en situation de handicap, on rogne sur les APL, on conditionne les allocations, on traque ceux que l'on qualifie de fraudeurs du quotidien, cependant que les grands cabinets d'audit peaufinent des montages d'évasion pour le CAC40, que les dividendes explosent – en six ans, +85 % ! –, que les aides publiques aux entreprises atteignent 211 milliards d'euros. La DGFiP, elle, a perdu 30 000 agents depuis 2008 !

Voilà l'asymétrie organisée par le Gouvernement : une justice à deux vitesses, une morale à géométrie variable, des moyens attribués de manière inégalitaire.

En prétendant lutter contre toutes les fraudes avec la même fermeté, l'exécutif entretient une illusion morale pour mieux justifier une politique de classe.

C'est d'ailleurs tout le cœur du macronisme : faire passer la protection des riches pour un effort de justice et la punition des pauvres pour une exigence républicaine. Résultat : tout contrôle sérieux des grandes entreprises devient impossible. Ce projet de loi ne combat pas la fraude, il déplace la cible, il détourne l'attention de la fraude structurelle du capital pour criminaliser la précarité.

Ironie tragique, oserai-je dire, puisqu'avec ce projet de loi le Gouvernement s'attaque ici aux conséquences sociales de ses propres politiques économiques, celles-là mêmes que les gouvernements successifs mènent sans relâche depuis 2017.

Les causes profondes, nous les connaissons : la libéralisation des capitaux, la mondialisation financière, la toute-puissance des multinationales, le développement du numérique, autant de mécanismes qui ont ouvert la voie à une économie du contournement.

Les grandes fortunes soustraient leur patrimoine à l'impôt, les multinationales déplacent leurs bénéfices vers les paradis fiscaux. Plutôt que de s'attaquer à ce système, le Gouvernement choisit, de fait, de renforcer la suspicion envers les allocataires.

Lorsque Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, affirme qu'il n'y a plus grand-chose à « gratter » en matière de fraude fiscale, il traduit lui aussi un choix politique : celui de protéger les plus aisés, ceux qui profitent du système actuel.

Oui, la fraude fiscale est celle des puissants. Pointer la fraude sociale, c'est donc détourner le regard des véritables causes de l'injustice. Les 100 milliards d'euros de fraude fiscale permettraient pourtant de financer l'intégralité du budget de l'éducation nationale et de la justice ou de refinancer nos hôpitaux, nos écoles, notre transition écologique.

Sur ce point, ce texte reste bien silencieux : aucune mesure sur les prix de transfert abusifs, aucune extension du reporting pays par pays, aucune transparence sur les aides publiques versées aux grandes entreprises. (Mme Nathalie Goulet lève les bras au ciel.) Ce silence n'est pas un oubli : c'est une vision de la société – une société où la pauvreté devient suspecte, où la solidarité se transforme en surveillance et où la protection sociale devient un instrument de contrôle.

La République sociale, celle qui est issue du Conseil national de la Résistance, reposait sur un principe simple : la solidarité nationale est un droit et non une faveur.

Aujourd'hui, vous inversez ce principe. Vous transformez le bénéficiaire en suspect et vous confiez à des algorithmes le soin de décider qui mérite d'être aidé : d'un côté, un contrôle social renforcé – accès aux fichiers, exploitation des données, suspension sur simple soupçon ; de l'autre, aucune avancée sur la fraude fiscale des grands groupes.

Pendant que vous multipliez les contrôles, des millions de personnes renoncent à leurs droits : 40 % des personnes éligibles au RSA n'en font pas la demande et ce taux de non-recours est de 50 % pour le minimum vieillesse et de 30 % pour l'assurance chômage, soit un total de près de 10 milliards d'euros d'aides non versées chaque année à celles et ceux qui en ont besoin.

Je veux le dire avec gravité : ce texte ne renforcera pas la confiance. Il institutionnalise la suspicion et détourne les moyens publics de la lutte contre la fraude fiscale pour mieux mettre l'accent sur la surveillance des plus vulnérables.

En vérité, ce projet de loi n'est rien d'autre qu'une austérité sociale déguisée en bonne morale républicaine. Alors que les budgets sociaux sont compressés, le Gouvernement s'invente un bouc émissaire : la fraude des pauvres.

C'est une vieille stratégie, me direz-vous : faire croire que les difficultés viennent des allocataires et non des exonérations ; que les difficultés viennent des familles modestes, qui ne font pas assez d'efforts, et non des grandes fortunes ; que les difficultés viennent des travailleurs précaires, qui devraient travailler plus, et non du capital qui leur impose cette précarité.

Enfin, ce texte consacre une dérive inquiétante, celle d'un État social qui devient progressivement un État policier. Les services publics deviennent des outils de détection ; la solidarité devient conditionnelle et sous contrôle permanent.

Tant que l'on refusera de s'attaquer à la fraude des grandes entreprises, toute politique de lutte contre la fraude sera et demeurera, à nos yeux, une imposture.

C'est pourquoi, avec cohérence et conviction, nous demandons le rejet pur et simple de ce projet de loi. Sous couvert d'équité, il renforce les inégalités, il affaiblit la République sociale, il détourne la lutte contre la fraude au profit d'un nouvel ordre de suspicion.

Il serait illusoire de faire croire, en cette période de grands débats budgétaires, que les pauvres et les riches seraient à égalité dans ce rapport de force – c'est tout le contraire.

Pour toutes ces raisons, j'ai souhaité, avec mon groupe, déposer cette question préalable. Au même titre que votre projet de loi de financement de la sécurité sociale et que votre projet de loi de finances, même amendés par l'Assemblée nationale, ce texte ne répondra en rien aux exigences des Français.

Ce que veulent les Français, c'est plus de justice sociale, plus de justice fiscale. Mieux vivre n'est pas un rêve : c'est une exigence, celle de redonner l'envie de croire en des lendemains meilleurs et la possibilité de les vivre, afin de sortir de la logique mortifère aujourd'hui à l'œuvre, qui n'est malheureusement que le terreau de l'extrême droite (M. Stéphane Ravier ironise.) ; c'est une nécessité pour la majorité de nos concitoyens, qui doivent sortir de la crise dans laquelle vous les avez plongés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, contre la motion.

Mme Nathalie Goulet. Je m'inscris en faux contre cette motion.

Il n'y a pas une indignation de droite contre la fraude sociale et une indignation de gauche contre la fraude fiscale : c'est une caricature. La fraude, qu'elle soit sociale, fiscale ou douanière, est une entrave à notre contrat républicain.

Que ce texte ne soit pas le Grand Soir de la lutte contre la fraude fiscale est une évidence, mais je ne suis pas d'accord avec la présentation – la caricature – qui en a été faite.

Pourtant, on ne peut guère me suspecter de ne pas vouloir lutter contre la fraude fiscale. Au contraire, j'ai toujours travaillé sur cette question et vous savez très bien que je l'ai fait de façon transpartisane, cela depuis plus de dix ans. C'est le fil rouge de mon mandat.

La présentation qui vient d'être faite est, je le redis, caricaturale. Nous faisons face, nous allons le démontrer, à une fraude sociale qui n'est pas une fraude de pauvres ou d'immigrés ; c'est une fraude en réseaux organisés qui porte atteinte à nos systèmes sociaux et à notre pacte républicain. C'est la raison pour laquelle la présentation qui a été faite de ce texte – j'y insiste – est une caricature inacceptable.

Je suis donc, avec les membres du groupe Union Centriste, extrêmement opposée à la motion qui a été présentée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDPI.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il est bien entendu défavorable, monsieur le président, et je tiens, dans la droite ligne des propos de Nathalie Goulet, à en expliquer les raisons.

D'abord, contrairement à ce qui a été allégué, le texte issu de la commission n'épargne aucun fraudeur et nous y avons été particulièrement attentifs. À ceux qui opposent fraude fiscale et fraude sociale, je rappelle par exemple que l'article 22 du texte a pour objet la lutte contre le travail illicite – une fraude sociale – en cas de sous-traitance en cascade ; or les grands groupes que vous avez cités, ma chère collègue, sont concernés par cette question au premier chef, en tant que donneurs d'ordre.

Ensuite, nous avons essayé de donner aux services de l'État ce qu'ils nous ont demandé, c'est-à-dire des outils de lutte contre la fraude sociale et la fraude fiscale. Nous les avons armés conformément à leurs demandes.

Enfin, nous avons été extrêmement attentifs à respecter les garanties procédurales fondamentales : respect du contradictoire, droit au recours, traçabilité et transparence des informations consultées.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. David Amiel, ministre délégué. Madame la sénatrice, j'ai écouté avec attention votre défense de cette motion. J'y ai noté, si vous me permettez de le dire, un oubli, une erreur et, à mon sens, une faute.

Un oubli : celui du renforcement considérable de la lutte contre la fraude fiscale ces dernières années, puisque, en quatre ans, nous avons multiplié par deux la fraude détectée. Nous l'avons fait en recrutant des agents spécialisés au sein de la DGFiP et en renforçant les contrôles par des moyens technologiques.

Une erreur : assimiler la fraude sociale à une fraude des pauvres. Tel n'est pas du tout le cas, la sénatrice Nathalie Goulet l'a dit : la fraude à la sécurité sociale est une fraude de professionnels de la fraude.

M. David Amiel, ministre délégué. Elle est le fait d'officines spécialisées dans le détournement des remboursements de l'assurance maladie. Des entreprises fictives se constituent à la seule fin de toucher des remboursements d'actes qu'elles n'effectuent pas. Ce serait une grave erreur que de tolérer ces détournements qui ne sont en rien le fait de nos concitoyens les plus modestes.

Une faute : passer sous silence la nécessité de lutter contre la fraude. C'est précisément en prenant prétexte des fraudes qui existent que certains, sur d'autres bords politiques, s'en prennent à la sécurité sociale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. David Amiel, ministre délégué. Si nous sommes attachés au principe de la sécurité sociale – c'est le cas de la plupart d'entre nous –, si nous considérons que l'immense majorité des bénéficiaires comme des contributeurs est parfaitement honnête – c'est aussi le cas de la plupart d'entre nous –, alors il faut que nous nous donnions les moyens d'être extrêmement fermes pour réprimer les abus et les fraudes.

Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion de rejet. (MM. Ludovic Haye et Loïc Hervé applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je tiens tout d'abord à rappeler que j'ai déposé cette motion en ma qualité de présidente de groupe.

Ce qui est assez rassurant, finalement, c'est qu'il n'y a pas de surprise ! Vous êtes, les uns et les autres, prévisibles… Je ne sais pas si nous sommes dans la caricature,…

M. Olivier Paccaud. Vous l'êtes !

Mme Cécile Cukierman. … mais le fait est que vous menez un combat idéologique. Nous ne vous laisserons pas faire !

Il n'y a ni erreur ni caricature. Vous voulez faire prévaloir un seul mot, celui de fraude, pour le décliner au fil des articles. Monsieur le ministre, je vais reprendre l'exemple que vous avez donné. Soit on fait un texte qui s'attaque à la fraude des entreprises et on le nomme ainsi – étrangement, tel n'est pas le titre qui a été retenu par le Gouvernement, ni celui que défendraient mes collègues de la majorité sénatoriale –, soit on essaie de masquer le manque de moyens.

Certes, il y a eu une telle hécatombe dans les effectifs de la DGFiP que l'on ne peut que remonter doucement la pente, mais n'en faites pas trop, monsieur le ministre : vous manquez cruellement de moyens humains. En effet, depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), il y a eu une baisse drastique du nombre de fonctionnaires de la DGFiP et des casses en règle de ce service public.

Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre avait annoncé qu'un projet de loi contre la fraude sociale et fiscale serait déposé en même temps que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale : chacun doit contribuer à l'effort.

Quant à moi, je dis les choses très simplement : les pauvres et les riches, c'est comme les pommes et les poires ; des fruits dans les deux cas, certes, mais la comparaison s'arrête là. Dans cette affaire, tout le monde n'est pas à armes égales !

Soit l'ambition du Gouvernement est de s'attaquer à la fraude des entreprises et du capital et nous serons à ses côtés ; soit il s'agit de jeter la suspicion sur les plus pauvres de notre pays et nous le combattrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Une fois n'est pas coutume, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable présentée par nos collègues communistes.

Monsieur le ministre, j'ai moi aussi écouté avec attention l'intervention de Mme Cukierman. Vous avez utilisé le mot de « faute », mais je n'ai pas perçu, dans son propos, l'idée qu'il ne fallait pas sanctionner les fraudeurs, quels qu'ils soient. Notre collègue a simplement critiqué un mélange des genres, ce projet de loi laissant supposer que les pauvres seraient aujourd'hui une menace pour les grands équilibres financiers de notre pays, thèse résumée dans la formule désormais célèbre du « pognon de dingue »…

Il est vrai qu'il existe des fraudeurs professionnels et je souhaite qu'ils puissent être sanctionnés, mais ils auraient pu l'être via un texte spécifique. Ce qui nous gêne dans ce que vous nous proposez, c'est ce mélange, cette association potentielle entre fraude sociale et fraude fiscale. Ces sujets auraient mérité deux débats séparés ; le travail parlementaire n'aurait pas été plus long et nous aurions été tout aussi efficaces.

C'est pour cette raison que nous soutiendrons la proposition présentée par nos collègues communistes. Elle a manifestement peu de chances d'être adoptée et, au regard des enjeux, nous participerons de manière particulièrement vigilante au débat parlementaire.

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.

M. Grégory Blanc. Nous n'avons pas non plus l'habitude de voter les questions préalables. Nous le ferons néanmoins aujourd'hui, pour une raison simple : ce texte n'est pas mûr ; il doit être retravaillé au profit d'une approche globale et complète de la lutte contre la fraude et le blanchiment.

Nous avons déposé un certain nombre d'amendements qui ont été retoqués. Ils l'ont été non pas sur le fond, mais en application de l'article 45 de la Constitution. Des amendements sur la corruption, sur les moyens à donner aux administrations, sur la lutte contre le blanchiment tel qu'il se pratique par exemple via la cession de parts de société civile immobilière – un sujet pourtant largement pointé du doigt dans le cadre des travaux de la commission d'enquête dont Nathalie Goulet était rapporteure : tous retoqués au motif de l'article 45.

A contrario, si nous voulons vraiment lutter contre la fraude, et notamment contre la fraude fiscale, alors le Parlement doit pouvoir légiférer sur la base d'un texte complet qui nous permette d'y raccrocher tous les sujets importants.

Je vous renvoie aux propos du ministre Amiel, la semaine dernière, sur la proposition de loi de nos collègues Goulet et Daubet, mais aussi à ce que disait le Gouvernement, la semaine précédente, lorsque nous avons examiné la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire, ou encore aux débats sur la proposition de loi, dite Cazenave, contre toutes les fraudes aux aides publiques.

On est dans le « saucissonnage » !

Et, à force de saucissonner, on laisse des trous dans la raquette ; les mailles du filet laissent passer certains gros poissons dont le trafic gangrène nos territoires.

Oui, il faut reprendre ce travail. Le Gouvernement doit nous donner les moyens de nos ambitions en matière de lutte contre la fraude, contre toutes les fraudes, y compris la fraude fiscale.