M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l’industrie. Certes, monsieur le sénateur, la dette n’est pas un fardeau, mais il faut agir pour qu’elle ne le devienne pas. Tel est l’enjeu !
Si la charge de la dette équivaut aujourd’hui à 2,2 % de notre PIB, nous voudrions qu’elle reste dans une épure raisonnable. En effet, même avec les mesures de freinage que nous proposons, d’ici à quelques années, ce taux pourrait atteindre 3 %.
Vous avez indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, que le remboursement de la dette ne devait être pas notre mission première. Bien sûr, l’objet de la dette est, avant tout, de financer des investissements.
La dette ne financerait pas les services publics, dites-vous, monsieur Barros… Malheureusement, notre dette, qui devrait servir essentiellement à financer l’investissement, est aujourd’hui largement utilisée pour régler des dépenses de financement, c’est-à-dire de service public.
Ne laissons donc pas accroire que l’endettement de la France ne ferait qu’alimenter les marchés financiers. Sur ces derniers, heureusement, nous trouvons des gens qui nous prêtent de l’argent, et le font encore dans des conditions raisonnables. Cependant, si nous n’agissons pas, ce ne sera plus le cas.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de l’examen du projet de loi de finances pour 2026 par notre assemblée, le présent débat, demandé par la majorité sénatoriale, s’apparente à un premier tour de piste.
J’aimerais formuler quelques remarques de fond.
Premièrement, j’insiste à mon tour sur le fait que la dette n’est pas seulement un stock ; il s’agit, tout d’abord, d’un ratio de solvabilité. Ainsi, le niveau de toute dette n’est véritablement critique que si l’on ne peut la rembourser. La question est donc avant tout celle du revenu. Par exemple, un banquier, lorsqu’il prête, ne s’intéresse pas seulement au montant avancé. Il considère aussi les revenus et la crédibilité financière de l’emprunteur. Or, de ce point de vue, la gestion des années 2023 et 2024 s’est avérée déficiente, ce qui a largement été documenté et débattu ici même.
Ainsi, en matière de crédibilité, l’irresponsabilité récente de nos gouvernants a fragilisé notre assise financière. Il convient, très calmement, de le reconnaître, et de rappeler qu’à l’été 2025 des évènements dignes du théâtre de boulevard – séquences Bayrou, Lecornu I, marquée par un désaccord avec l’ancien ministre de l’intérieur, puis Lecornu II – nous ont coûté 0,3 point de croissance. Cela représente un manque à gagner de 10 milliards d’euros pour nos finances publiques. Nous pensons pour notre part que, lorsque l’on est aux manettes, on doit avoir le sens de l’État. Sinon, cela coûte cher !
Ces dysfonctionnements, nous les avons aussi constatés au travers des problèmes liés aux prévisions. Par exemple, ce que nous apprenons sur la TVA nous inquiète. Pourquoi un suivi rigoureux et clair de ce prélèvement fait-il défaut, alors que la presse nous apprend qu’il manquerait, ici ou là, des milliards d’euros, personne ne pouvant dire pourquoi ?
Voilà pourquoi, comme nombre de mes collègues, je plaide pour une révision de notre processus budgétaire, de manière à en accroître la transparence en améliorant le rôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), mais aussi en modifiant la date de dépôt du projet de loi de finances. Nous pourrions également envisager un nouveau véhicule financier, le projet de loi de finances d’équilibre, qui permettrait de corriger la trajectoire financière en cours d’année sans forcément rouvrir l’ensemble des questions budgétaires, comme c’est actuellement le cas avec le projet de loi de finances rectificative.
Par ailleurs, nous devons admettre que nos recettes publiques croissent moins vite que l’inflation, d’où une baisse réelle de nos revenus.
Je veux souligner un point trop souvent négligé : le budget de l’État, c’est aussi une question de politique économique. La croissance est fondamentale dans l’analyse du budget. Or, de ce point de vue, le cycle économique s’est retourné.
On pouvait ainsi comprendre – ce sera l’enjeu du débat budgétaire – que l’on baisse la fiscalité il y a quelques années, parce qu’il y avait alors un réel problème d’offre et de production en France – pour autant, ce dernier aurait pu être corrigé autrement. Cependant, aujourd’hui, nous sommes dans une autre séquence : la priorité pour notre économie est désormais de résoudre les difficultés liées à la demande.
Voilà pourquoi nous avons un besoin d’investissements massifs dans le logement, le bâtiment, nos infrastructures, l’innovation. Mais pour cela, par souci d’efficacité et d’efficience, il faut pouvoir chercher l’argent dans un secteur pour le réinjecter dans un autre. Il s’agit non pas de faire appel à la capacité contributive de toutes les entreprises, mais bien de demander, lorsqu’il existe des marges de manœuvre chez certains, une contribution plus forte à ceux qui peuvent l’acquitter afin, par exemple, de soutenir le logement et les travaux publics, aujourd’hui en difficulté en France.
Pour conclure, je souhaite souligner la schizophrénie de l’État, notamment à l’égard des collectivités territoriales. En effet, l’État demande à ces dernières d’emprunter davantage, notamment face à la dette écologique, tout en coupant leurs finances. Ainsi, nos ratios d’endettement s’alourdissent au regard des critères de Maastricht. Cela pose problème. Cet État schizophrène doit se doter d’une doctrine sur ce point. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l’industrie. Vous avez parlé de crédibilité financière, monsieur le sénateur : pour ce qui est de la signature de la France, je rappelle que notre pays a reçu une offre trois fois supérieure aux besoins exprimés.
Tout comme vous, je constate que l’instabilité politique nous a fait perdre 0,3 point de croissance, même si je ne vous rejoins pas forcément sur le diagnostic.
Il est évident que, pour lutter contre cette absence de visibilité, l’adoption d’un budget est nécessaire. En effet, je vous rappelle qu’à la même période, l’année dernière, le gouvernement Barnier chutait, ce qui nous a coûté très cher : 0,3 point de croissance – vous l’avez dit –, soit entre 9 milliards et 10 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable dans la période actuelle.
Sur la TVA, il y a bien un paradoxe : son assiette évolue positivement, mais son produit n’est pas au niveau que nous attendions. Amélie de Montchalin a donc lancé, auprès des services de Bercy, une mission, afin de démêler les faits. Plusieurs points, comme les petits colis et les déclarations, sont à analyser de très près.
Enfin, j’ai du mal à comprendre comment on peut, à la fois, déplorer une croissance trop faible et vouloir taxer les entreprises, puisque celles-ci iraient si bien : c’est paradoxal ! Il ne me semble pas, pour ma part, que nos entreprises aient les pieds à ce point libres d’entraves qu’elles puissent courir des sprints aussi rapidement que leurs concurrents. Il n’est donc pas nécessaire d’ajouter à leur fardeau.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.
M. Grégory Blanc. Je partage pleinement, monsieur le ministre, votre constat quant à l’importance de la stabilité politique du pays. Quand on ouvre le débat sur les finances publiques et sur la dette, nous voyons bien, les uns et les autres, que la priorité est d’atteindre la stabilité politique, donc de créer les conditions du compromis. C’est tout l’enjeu, si l’on est raisonnable, si l’on est responsable, que de démontrer ce sens du compromis.
Par ailleurs, des entreprises procèdent en ce moment à des rachats massifs d’actions. Elles peuvent le faire parce qu’elles ont de l’argent dans les caisses et parce qu’ont été mises en œuvre des politiques de facilités de crédit, notamment par la Banque centrale européenne. Cet argent dans les caisses des entreprises, nous devons être capables de l’utiliser et de le réorienter.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 3 500 milliards d’euros, 1 200 milliards de plus en huit ans : Emmanuel Macron aura donc été à Mozart ce que Sébastien Delogu est à Molière : au mieux, une imposture ; au pire, une agression. (MM. Stéphane Le Rudulier et Jean-Raymond Hugonet rient.)
Voilà le mur de la dette que nous devons désormais franchir, voilà l’horizon que nous offrons à nos enfants : des hauteurs vertigineuses où l’oxygène commence à manquer.
Mais nous sommes en réalité entre quatre murs, les murs d’une détention. En effet, 55 % de la dette publique française est détenue hors de France : sept points de plus en trois ans, l’un des taux les plus élevés de l’OCDE. À ce rythme, nous atteindrons les 60 % d’ici à la fin du second quinquennat Macron. Nous sommes détenus par ceux qui détiennent notre dette ! Nous sommes, mes chers collègues, en souveraineté conditionnelle.
Avec une charge de la dette toujours plus importante et des taux d’intérêt supérieurs à ceux de l’Italie, nous dépendons des marchés internationaux et des agences de notation. Or le budget, c’est la souveraineté.
Depuis onze ans que je vous propose d’abattre ce mur de la dette à la tronçonneuse, j’observe que nos hémicycles parlementaires sont devenus des chambres de gestion de la dette, où l’on discute pour savoir à quel rythme il faudrait l’augmenter.
Cette année, le Gouvernement propose un déficit de la sécurité sociale à 17 milliards d’euros, que l’Assemblée nationale a augmenté à 24 milliards ; le Sénat, chambre de la raison, tente de trouver un compromis à 20 milliards supplémentaires.
Si l’on ne rompt pas avec l’accouplement idéologique entre l’assistanat remplaciste de la gauche et le globalisme de la droite, qui soutient Mme von der Leyen, nous finirons la décennie avec une charge de la dette de 100 milliards d’euros par an !
Si nous avions augmenté notre dette au même rythme que nos voisins européens, frappés eux aussi par la guerre en Ukraine, le covid et la crise énergétique, elle serait plus basse de 500 milliards d’euros. Il y a donc bien un problème de gestion de votre part, monsieur le ministre.
Pour sortir de ce cercle vicieux de la mise sous tutelle étrangère, il faut prendre le chemin des économies structurelles, en bousculant les tabous sur lesquels vous êtes assis : rejeter la tentation totalitaire de l’État en réduisant son train de vie, l’administration administrante, les normes, l’élargissement constant de ses compétences à de nouvelles préoccupations sociétales ; supprimer les agences pour en revenir à l’État et aux collectivités de proximité ; cesser l’assistanat migratoire pour revenir à la justice sociale ; revoir notre modèle social pour soutenir la croissance des familles françaises ; et supprimer l’audiovisuel public pour retrouver la diversité des expressions et une gestion régalienne des deniers publics.
Au lieu de cela, monsieur le ministre, en 2025, vous rehaussez encore la dette de 150 milliards d’euros, un nouveau sommet qui laisse place au murmure de la tutelle étrangère.
En plus de sa soutenabilité, nous sommes inquiets de la structuration de la dette. Monsieur le ministre, sommes-nous entre les mains de l’Allemagne, du Qatar, de la Chine, de la Russie ou des États-Unis ? Le Parlement doit savoir qui possède notre dette et quelles sont les mesures que vous comptez prendre pour réduire notre dépendance.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l’industrie. Vous convoquez avec emphase Molière et Mozart, mais je ne sais pas à qui vous vous référez exactement…
Je rappelle néanmoins que les trois quarts de notre dette sont détenus par des investisseurs européens auxquels nous sommes, toutes et tous, liés par la force et l’unité de notre monnaie commune. Faire croire que nous sommes fragilisés parce que notre dette ne serait pas détenue dans un coffre-fort purement national est donc, selon moi, une erreur. Au contraire, cela relève d’une stratégie consistant à ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. D’ailleurs, quelle que soit la personne qui emprunte, elle a intérêt à agir de la sorte. Nous continuerons donc à faire ainsi.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que nos taux d’intérêt étaient supérieurs à ceux de l’Italie. Ce n’est pas le cas : ils sont au même niveau.
Quant à la structure de la dette, les trois quarts de celle-ci sont achetés par des investisseurs français ou européens. Dans le détail, les premiers en représentent un quart, la Banque centrale européenne un deuxième, et les autres investisseurs européens un troisième. Nous sommes donc bien loin des fantasmes que vous évoquez. Il est nécessaire, dans cette Haute Assemblée caractérisée par sa sagesse et ses débats apaisés, de faire redescendre la température…
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile d’y voir clair s’agissant de cette épineuse question de la dette, à la fois dans ce qu’elle révèle de la situation, extrêmement préoccupante, de notre pays, mais aussi dans l’interprétation que l’on en fait et les remèdes que l’on imagine pour y répondre. J’appelle donc, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, à regarder la réalité en face avec lucidité et responsabilité, mais aussi à prendre du recul.
Il nous semble que deux approches méritent d’être mises en exergue.
Premièrement, la dette est un piège, qui tient à la réalité du cadre financier, international et européen que nous avons contribué à bâtir. Le système monétaire et financier, qui a jusqu’à présent garanti la stabilité et contenu l’inflation, doit nous pousser à nous interroger, dans un monde en crise où la compétition entre les États, y compris européens, s’exacerbe. Notre construction inachevée montre aujourd’hui certaines limites. Clairement, la monnaie unique européenne exigerait une nouvelle approche de la complémentarité et de la solidarité entre nos économies.
L’enjeu de la souveraineté est souvent mis en avant, parce que la dette est détenue majoritairement par des investisseurs étrangers et que la charge de la dette, laquelle sera bientôt le premier poste budgétaire de l’État, limitera sévèrement nos capacités d’action. Certes, mais en vérité la question de notre souveraineté se pose déjà depuis longtemps, puisque nous n’avons d’autre choix que de recourir de manière institutionnalisée aux marchés de capitaux, qui imposent leurs taux. Nous sommes ainsi réduits, chaque année, à être les otages tremblotants des agences de notation, qui font la pluie et le beau temps.
On peut juger que le système s’applique à tous, qu’il apporte une régulation juste et objective à laquelle chacun doit consentir. Mais on peut aussi considérer qu’il nous enferme petit à petit dans une logique d’appauvrissement de l’État au profit des marchés.
Selon nous, l’Europe ne doit pas rester au milieu du gué. Elle doit compléter sa politique économique et monétaire par de nouveaux mécanismes permettant de protéger ses États membres d’un piège qui mettrait en péril, à terme, sa propre existence. Mario Draghi et Enrico Letta défendent une mutualisation accrue des outils d’investissement stratégique et de financement avec l’idée, en creux, d’un trésor européen capable d’émettre de la dette commune. Il nous semble que ces propositions devraient faire l’objet d’un débat.
Deuxièmement, la dette est un symptôme, celui d’une économie malade. Si nous sommes tombés dans son piège et incapables d’enrayer sa progression, c’est qu’elle comble, chaque année, ce que l’économie ne produit plus. Il faut donc considérer la dette à la lumière de notre déficit commercial avant d’incriminer la dépense publique et le modèle social, ou encore de recourir aux recettes fiscales.
Cela n’empêche ni de réduire le train de vie de l’État ni d’ajuster la fiscalité aux besoins de nos politiques publiques ou à l’exigence de justice sociale qui est la nôtre. Mais ne pas voir que la dette, depuis des années, sert à compenser l’effondrement productif français, lié notamment à la désindustrialisation et à la crise agricole, alors qu’elle devrait financer l’investissement public, serait une erreur de diagnostic funeste.
Je le dis clairement : on aura beau réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts, si le déficit commercial persiste, alors le recours à la dette continuera irrémédiablement de s’imposer.
En somme, monsieur le ministre, le seul remède à l’endettement qui nous mine est entre vos mains : il s’agit de la relance d’une véritable politique industrielle. Une politique qui nous permettra de renouer non pas avec la croissance, qui ne signifie pas grand-chose d’intéressant, mais avec le développement de la France, idée beaucoup plus généreuse et humaine, qui contient une dimension de progrès et de prospérité de nature à nous permettre de relever le double défi numérique et écologique.
Une telle ambition exige une politique d’investissement transversale alliant les domaines de l’énergie, de la formation, de la recherche, publique et privée, du commerce extérieur, mais aussi une politique migratoire. Tout cela doit se faire en repensant notre autonomie stratégique, laquelle doit s’appuyer sur nos outre-mer, ainsi que sur notre politique de coopération et de partenariats internationaux.
Tel est le lien que la dette nous impose de faire entre toutes nos politiques, afin de garantir la cohérence de l’action publique au service d’une ambition simple : la réussite de la France dans un monde de ruptures. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
(M. Alain Marc remplace M. Didier Mandelli au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l’industrie. Bien évidemment, le ministre de l’industrie que je suis ne peut qu’approuver l’essentiel du propos que vous avez tenu, monsieur le sénateur.
Vous avez mentionné le rapport Draghi, qui doit désormais être la feuille de route de la Commission européenne. En effet, il est évident qu’il faut relancer la compétitivité à l’échelon européen. Vous avez parlé de solidarité européenne : j’y crois beaucoup.
Plus que jamais, la réindustrialisation est la clé, comme vous l’avez dit. Je veux donc immédiatement tordre le cou à l’idée funeste selon laquelle c’en serait fini de la réindustrialisation. Certes, le moment est difficile, mais devons-nous déjà passer par pertes et profits les 130 000 emplois industriels de plus créés et les 500 usines supplémentaires ouvertes au cours des dernières années ? Un coup d’arrêt a été donné à la chute du nombre d’usines dans notre pays, une courbe que d’aucuns avaient auparavant tenté d’inverser ; nous en recréons, même si la situation est plus difficile cette année.
Vous l’avez dit, il faut sans doute une politique européenne bien plus réactive, et qui sorte de la naïveté quant aux agissements de nos concurrents, notamment chinois. Nous devons investir dans la formation, particulièrement dans les territoires où se trouvent les industries, offrir un cadre fiscal stable et financer l’innovation, comme le préconise le rapport Draghi. Enfin, nous devons agir – je le dis devant la chambre des territoires – encore plus en proximité avec les élus locaux. Le ministère a besoin d’eux : nous ne pouvons pas réindustrialiser, depuis Bercy, un pays dans lequel l’industrie est partout présente sur les territoires.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Chatillon applaudit également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un débat essentiel s’il en est : celui qui porte sur la dette.
Quel est le niveau de notre dette aujourd’hui ? Lorsque l’on parle de 3 416 milliards d’euros, personne ne comprend. En revanche, rappeler que ce montant correspond à onze années d’impôts et de taxes, voilà qui est plus parlant…
D’où cette dette vient-elle ? Ne serait-elle issue que de baisses d’impôt non compensées par une diminution des dépenses, comme je l’ai entendu ? Non !
La malheureuse dissolution de l’Assemblée nationale de juin 2024 a, hélas ! mis fin aux travaux d’une commission d’enquête parlementaire, fort intéressante, visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française.
Les auditions menées dans le cadre de cette commission d’enquête ont montré que la dette était certes issue, à hauteur de 34 %, de baisses d’impôt non financées, mais qu’elle résultait aussi, en partie, d’augmentations de dépenses. Ainsi, 25 % de la dette auraient pour origine le « quoi qu’il en coûte » et 40 % le déficit de notre système de retraites.
On ne parle jamais du déficit caché des retraites ; or il représente une part importante de notre dette !
Faut-il dès lors continuer, comme on l’entend dire sur les travées de la gauche, à augmenter la dépense et à rechercher en permanence des impôts nouveaux ? (Protestations sur les travées du groupe SER.) Pardonnez-moi, mais j’entends ce discours : il faudrait poursuivre ce que l’on fait depuis cinquante ans, c’est-à-dire augmenter la dépense et augmenter les impôts. Nous voyons bien où cela nous mène !
La seule option qui n’ait jamais été tentée jusqu’à présent est celle de la baisse de la dépense. Pourtant, nombre de pays étrangers ont réussi à redresser ainsi leurs finances.
Monsieur le ministre, je ne l’ai pas apporté aujourd’hui malheureusement, mais j’ai un livre à vous offrir. Il s’intitule : Des économies en veux-tu en voilà. (Sourires.) J’y expose le diagnostic de la situation actuelle et la nécessité de faire des économies un peu partout.
J’ai d’ailleurs été déçu de votre réponse à notre collègue Capus, dans laquelle vous appeliez le Parlement à vous faire des propositions. Nous en avons fait un certain nombre ! J’aurais aimé en entendre de votre part. (M. Olivier Paccaud brandit le livre de M. Vincent Delahaye.)
Non seulement le niveau de la dette est déjà très élevé, mais il se produit aujourd’hui un emballement : nous allons emprunter cette année 310 milliards d’euros.
Notre collègue Sautarel distinguait tout à l’heure la bonne dette de la mauvaise dette. Dans ces 310 milliards d’euros, quelle est, selon vous, la part de bonne dette ?
Voilà quelques années, nous nous inquiétions ici même de l’endettement permanent. Les taux étaient alors proches de zéro, voire négatifs, et d’aucuns poussaient à l’endettement. Nous étions alors quelques-uns à alerter sur le fait qu’un retournement aux graves conséquences pouvait se produire. Nous y sommes : les taux d’intérêt sont à 3,5 %, alors que notre croissance est à peine de 1 %, ou de 2,5 % en tenant compte de l’inflation.
Monsieur le ministre, à partir de quel niveau de taux d’intérêt pensez-vous qu’un tel emballement nous entraînera dans une spirale infernale non maîtrisable ?
Par ailleurs, plusieurs agences de notation ont dégradé la note de la France. À partir de quelle note pensez-vous que notre pays éprouvera des difficultés à se financer sur les marchés ?
Sans aller jusqu’à parler de faillite, à quel moment devrons-nous nous placer sous la coupe de la Banque centrale européenne, et nous voir imposer des efforts considérables que nous n’aimerions pas avoir à supporter ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l’industrie. Nous le savons, M. Delahaye est un fin connaisseur de ces questions. Je tâcherai donc d’être modeste dans ma réponse.
Vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, une part importante de l’accroissement de notre dette est liée à notre système de protection sociale, qui a besoin d’être réformé. J’ai bien compris que vous faisiez ici référence à la proposition qui a été faite à l’Assemblée nationale de suspendre pendant un an la réforme des retraites. Le débat sur ce sujet se tiendra également dans cet hémicycle et je sais que la majorité sénatoriale a une position toute différente.
Le bon niveau est celui qui permet de voter un budget sans accroître le volume de notre dette. C’est celui qui permet de ramener le déficit sous les 3 % du PIB d’ici à 2029.
Sur les taux d’intérêt, il est compliqué de vous répondre. Souvenez-vous, avant la crise de 2008, on empruntait parfois à 5 % ou 6 %. Nous avons même connu, après la crise, des taux négatifs.
Ce qui compte en réalité, c’est notre capacité à rembourser. Je me méfie des prophéties autoréalisatrices, mais pour l’instant, les agences de notation maintiennent pour la France une note de 16 sur 20. Ce n’est pas si mal, même si nous préférerions tous avoir un 18.
La France n’est pas au bord du gouffre. La trajectoire de nos finances publiques est maîtrisée. Vous avez toutes et tous appelé à la responsabilité. Être responsable, c’est essayer de tenir la trajectoire qui nous ramènera sous les 3 % de déficit en 2029.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.
M. Vincent Delahaye. Je reconnais que ma question n’était pas simple… Nous assistons néanmoins à un emballement des intérêts de la dette. Beaucoup d’orateurs ont souligné que ces derniers représenteraient bientôt le premier budget de la France. Ce n’est tout de même pas terrible de donner autant d’argent aux marchés et à ceux qui nous prêtent !
Je le répète, la seule politique qui n’ait jamais été tentée en France est la baisse de la dépense. Pour mener une telle politique, il faut du courage, beaucoup de courage. Aussi, j’espère que les Français feront confiance à des candidats courageux. (M. Victorin Lurel s’exclame.)
La démagogie, c’est facile. Distribuer de l’argent, c’est facile. Faire porter l’effort sur 0,1 % de la population, c’est très facile !
En revanche, réduire la dépense, la maîtriser et faire preuve de rigueur dans la gestion de l’argent public, c’est beaucoup plus difficile. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)