M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, sur l'article.
Mme Silvana Silvani. Pour faire face au risque de désinsertion professionnelle progressive et au manque de suivi médical, le Gouvernement proposait, à l'article 28, de limiter la durée des arrêts de travail, de plafonner la durée de versement des indemnités journalières pour accident du travail ou maladie professionnelle et de rendre facultatif l'examen de reprise après un congé de maternité. Les députés ont heureusement modifié cet article, qui fragilisait encore plus la situation des travailleurs et la santé au travail.
Depuis 2017, la logique à l'œuvre est toujours la même : il s'agit de faire porter le soupçon sur les malades et leurs soignants, en prétendant que les arrêts de travail sont des arrêts de complaisance. Cette logique de suspicion à l'égard des malades est problématique, tout comme la limitation du domaine d'expertise des médecins.
Les véritables questions, elles, ne sont jamais posées par ceux qui veulent sanctionner les personnes malades. Quelles sont les raisons de cette augmentation des arrêts ? Qu'est-ce qui explique notre triste record en matière de maladies professionnelles et d'accidents du travail ? Comment déployer de véritables politiques de prévention au travail efficaces ? Quelles mesures adopter afin que les entreprises et les administrations respectent leurs obligations de prévention des risques professionnels ?
Par ailleurs, les restrictions visées par cet article reposent sur une logique totalement absurde. Ceux qui retourneront au travail sans être totalement rétablis verront leur état s'aggraver, seront moins productifs et retourneront consulter un médecin. Il est ainsi indiqué dans l'annexe 9 du PLFSS que l'encadrement de la durée des arrêts de travail prescrits par les professionnels de santé aura « pour conséquence d'augmenter le nombre de consultations médicales ».
Enfin, nous sommes satisfaits de la suppression du caractère facultatif de la visite médicale de reprise après un congé de maternité, sachant à quel point ce moment de reprise place les femmes dans une situation de fragilité.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, sur l'article.
Mme Corinne Féret. Cet article prévoit de limiter la durée et la prolongation des arrêts de travail. Il fait suite au constat factuel et réel fait par le Gouvernement d'une augmentation importante du nombre de ces arrêts, dont la responsabilité est imputée par certains aux abus des salariés, qui se diraient, parfois un peu facilement, qu'ils méritent bien un arrêt de travail.
Pourtant, nous devrions nous interroger sur les causes de cette évolution. Elles tiennent à la fois au volume et au prix, au volume d'abord : la population active ayant vieilli, son état de santé général est par définition moins bon ; au prix ensuite, l'inflation et la revalorisation du Smic en 2022 et en 2023 ayant très logiquement entraîné une augmentation du montant des indemnités journalières.
La durée moyenne des arrêts ayant augmenté, on relève également une évolution des comportements. Pourquoi ? Parce que les pénibilités physiques sont réelles dans de plus en plus de situations et de métiers. Les salariés font également face à davantage de contraintes. Ils sont exposés à des risques psychosociaux, qui se réalisent de manière très concrète pour bon nombre d'entre eux.
Parmi les actions de long terme que l'assurance maladie a proposé pour endiguer ce phénomène, le Gouvernement a retenu la limitation de la durée des arrêts de travail. D'une certaine façon, il a choisi de sanctionner celles et ceux qui sont très directement concernés.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 239 rectifié est présenté par Mme Devésa, M. Dhersin, Mme Sollogoub et MM. Henno et Houpert.
L'amendement n° 410 rectifié bis est présenté par Mme Lassarade, M. Milon, Mme Richer, MM. Panunzi et H. Leroy, Mme de La Provôté, M. Lefèvre, Mme Malet, M. Burgoa, Mmes Berthet et Aeschlimann, MM. D. Laurent, Anglars, Cambon et Genet, Mme Bonfanti-Dossat, M. de Nicolaÿ, Mme Borchio Fontimp et MM. Duplomb et J.M. Boyer.
L'amendement n° 909 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
L'amendement n° 1708 est présenté par M. Jomier, Mmes Le Houerou et Conconne, M. Kanner, Mmes Féret et Canalès, M. Fichet, Mmes Lubin, Poumirol, Rossignol, Artigalas et Bélim, MM. Cardon, Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Espagnac, MM. Féraud et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin et P. Joly, Mme Linkenheld, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé, Pla et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron, Ros, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour présenter l'amendement n° 239 rectifié
Mme Brigitte Devésa. Cet amendement vise à supprimer la limitation de la durée des arrêts de travail pour maladie. Si elle était conservée, cette mesure viendrait, à mon sens, rendre encore plus compliqué l'accès aux médecins en multipliant les demandes de rendez-vous, alors que les difficultés d'accès aux soins sont déjà très importantes. Dans certains territoires, cette mesure ne permettrait pas aux personnes d'avoir la garantie de pouvoir faire prolonger leur arrêt de travail. Enfin, elle créerait un engorgement pour les patients ayant besoin d'une consultation médicale, car les créneaux seraient pris pour les renouvellements.
C'est pourquoi nous proposons de supprimer l'article 28.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour présenter l'amendement n° 410 rectifié bis.
Mme Florence Lassarade. Défendu.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l'amendement n° 909.
Mme Raymonde Poncet Monge. L'article 28 s'inscrit dans une logique de renforcement du contrôle de la hausse des indemnités journalières. Compte tenu de l'intensification du travail en France et du vieillissement de la population active, documentés par de multiples études, l'augmentation du nombre des arrêts de travail n'est pas nécessairement le résultat d'abus.
Dès lors, l'article aura pour seul effet d'augmenter le non-recours et le présentéisme forcé. En travaillant alors qu'ils sont malades ou épuisés, les salariés aggravent leur état de santé et prolongent leur période de convalescence.
Le présentéisme forcé comporte des externalités négatives – coûts pour les assurances sociales et pertes de productivité au travail –, qui dépassent le coût estimé de l'absentéisme. À l'échelle nationale, selon certaines études, le présentéisme forcé équivaut à un manque à gagner de plusieurs dizaines de milliards d'euros par an, tandis que le coût de l'absentéisme, évalué par un cabinet de conseil en ressources humaines, est estimé à un montant deux fois moins élevé en moyenne pour les entreprises.
Par ailleurs, le présent article limite dans le temps le versement des indemnités journalières en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle et force la bascule vers le régime d'incapacité, avec pension d'invalidité, avant que le médecin ne puisse réellement donner un avis sur l'amélioration ou la consolidation de l'état de santé du patient. Cette mesure vise donc à faire des économies en forçant la bascule vers une indemnité permanente.
Nous proposons par conséquent de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l'amendement n° 1708.
Mme Émilienne Poumirol. Cet amendement vise, d'une part, à ne pas donner au Gouvernement la possibilité de limiter par décret la durée des arrêts de travail et, d'autre part, à ne pas supprimer la visite de retour de congé maternité.
Le Gouvernement a annoncé vouloir fixer des durées d'indemnisation plus courtes que celles que recommande l'assurance maladie. Cet article, s'il était adopté, entraînerait un recul majeur pour les personnes malades. En outre, et nous le déplorons, cet article traduit une défiance à l'égard des médecins, qui prescriraient des arrêts de travail inconsidérés.
Si l'augmentation du nombre des arrêts de travail est réelle – c'est un fait –, il faut s'interroger sur ses causes, en particulier, mes collègues l'ont déjà dit, sur les conditions de travail, le vieillissement de la population active ou la pénibilité.
Par ailleurs, cet article prévoit aussi la suppression de la visite de retour du congé maternité, ce qui constituerait un important recul pour les mères. Cette mesure est d'ailleurs dénoncée par l'Ordre des sages-femmes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. La commission a décidé, samedi dernier, de supprimer dans l'article 28 les dispositions sur la limitation de la durée des arrêts de travail, préjudiciables à l'accès aux soins et contraires à la liberté de prescription, et de maintenir celles qui prévoient une limitation de la durée des versements des indemnités journalières, ce qui garantirait une meilleure adéquation entre la situation de l'assuré et les prestations dont il relève.
Les auteurs des amendements n° 239 rectifié et 410 rectifié bis n'évoquent qu'une opposition à la limitation de la durée de prescription des arrêts de travail et ne formulent aucune réserve sur les autres mesures de l'article 28. La commission est alignée sur cette position. Il ne faudrait donc supprimer que ces seules dispositions. La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Les deux autres amendements visent l'ensemble des dispositions de l'article. La commission y est défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Stéphanie Rist, ministre. Je suis défavorable à ces amendements de suppression.
Cet article améliore la pertinence des prescriptions d'arrêts maladie. Les modifications qui ont été proposées à l'Assemblée nationale sur la durée des arrêts permettent d'homogénéiser les pratiques entre la ville et l'hôpital. C'est une bonne évolution, puisque le médecin pourra prescrire jusqu'à un mois d'arrêt maladie.
Entre nous, on peut se dire qu'il est normal pour le médecin de revoir au bout d'un mois un patient en arrêt maladie dans le cadre de son suivi. Cela ne paraît pas très choquant. C'est même souhaitable pour le patient que son arrêt soit rediscuté à ce moment-là pour prendre en compte l'évolution de sa pathologie. Cela me semble être plutôt une bonne mesure.
Si l'article n'est pas supprimé – vous en déciderez –, nous examinerons les amendements et verrons comment faire évoluer le dispositif. Pour ma part, je vois en la limitation de la durée des arrêts maladie, alors que le nombre d'arrêts maladie augmente, une amélioration du suivi du patient.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Vous avez utilisé l'expression « entre nous », mais nous ne sommes pas d'accord : nous ne sommes pas entre nous !
Votre argumentaire est assez paradoxal, alors que certains de vos amendements tendent à supprimer des visites médicales. Ainsi, selon vous, il ne serait pas nécessaire de voir le médecin du travail après un arrêt d'un mois – il n'y a de toute façon pas beaucoup de médecins du travail – ou encore il ne serait pas utile de voir un médecin au retour d'un congé de maternité.
Je rappelle que le médecin du travail, à la différence du médecin traitant, n'examine pas seulement la situation clinique. Il vérifie qu'elle permet au patient de reprendre son poste de travail. Vous occultez cet aspect, qui est important. Je pense que la médecine du travail est dans votre collimateur.
Vous ne pouvez pas dire qu'il est possible dans un cas de reprendre sans voir un médecin du travail – de toute façon il en manque –, que ce n'est pas très grave, et, dans l'autre, qu'il faut voir son médecin traitant tous les quinze jours pour faire prolonger son arrêt, car il est important de vérifier – vous faites passer un message de façon subliminale – qu'il n'y a pas d'abus, alors qu'on manque tout autant de médecins généralistes.
Vos arguments ne peuvent pas être à géométrie variable, en fonction des mesures que vous voulez faire passer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre. Pardon de ne pas l'avoir signalé, mais le caractère facultatif de la consultation de reprise qui figurait dans le texte de l'Assemblée nationale a été supprimé dans celui que nous examinons.
De la même façon, je le redis, l'Assemblée nationale a homogénéisé la durée de prescription, qui n'est plus de quinze jours, mais d'un mois. Honnêtement, il me semble correct que le médecin puisse revoir son patient au bout d'un mois. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. L'idée qui sous-tend cet amendement est assez insupportable : les gens qui sont en arrêt de travail frauderaient, leur état de santé ne justifierait pas un arrêt et ils ne mériteraient pas leurs indemnités journalières. C'est une lourde accusation portée contre les salariés de notre pays !
Mme Céline Brulin. Bien sûr, tout le monde constate la hausse importante des indemnités journalières. N'est-ce pas le signe d'un malaise qu'il faudrait peut-être prendre en considération pour régler le problème à la source ?
Pourquoi les arrêts de travail sont-ils essentiellement concentrés chez les jeunes et chez les plus anciens de nos salariés ? Entre parenthèses, le report de l'âge de la retraite ne va pas améliorer les choses. J'espère que tout le monde en a conscience ici.
Par exemple, 22 % des moins de 30 ans ont eu au moins un arrêt de travail lié à des troubles psychologiques, soit six points de plus qu'en 2019. Alors qu'on parlait hier de la santé mentale des jeunes et que l'on se disait qu'il fallait faire quelque chose, on ne peut pas aujourd'hui trouver qu'ils prennent un peu trop d'arrêts de travail !
Plus simplement, est-ce au législateur de décider de la durée des arrêts de travail ? À quand des arrêts de travail décidés à Bercy ? Si le seul objectif est la réduction des dépenses, confions-les à Bercy ! (Mme Raymonde Poncet Monge renchérit.)
Enfin, nous avons aussi beaucoup parlé de la pénurie de médecins dans notre pays. Dans ce contexte, les médecins pourraient donner d'emblée un arrêt de travail assez long, ce qui éviterait d'engorger les cabinets médicaux.
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.
Mme Marion Canalès. Je reviens, madame la ministre, sur la suppression de la visite de reprise à l'issue d'un congé de maternité. Cette visite figurait dans le texte initial, l'Assemblée nationale l'a supprimée par voie d'amendement. Il est important de le souligner.
J'ai déjà eu l'occasion de rappeler les travaux de Mme Guillotin dans le cadre de la mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale. La prévention active consiste-t-elle à casser le thermomètre qui permet de mesurer la fièvre ?
La reprise du travail pour les femmes qui ont eu un ou plusieurs bébés, dans une période de vulnérabilité, n'est pas facile. Toutes celles qui ont eu des enfants le savent. Entre 10 % et 20 % des femmes sont frappées par une dépression post-partum. On en prend progressivement conscience, mais cette dépression a été largement sous-estimée pendant des années.
Dire que ces visites de reprise ne sont plus obligatoires revient à laisser la liberté à l'employeur de proposer à une salariée qui reprend son travail, s'il constate qu'elle ne va pas bien, d'aller voir le médecin du travail. Qui a eu l'idée d'inscrire cette disposition dans le texte initial ? Jusqu'où ira-t-on pour essayer de faire des économies ?
Ce n'est pas de la prévention active en direction des femmes, alors qu'elles traversent une période de vulnérabilité et reprennent leur travail après une grossesse et l'arrivée d'un bébé.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. On supprime des dispositions, on les rétablit, on évolue, on ne dit plus tout à fait la même chose qu'au début, on va changer : personne n'ignore ici les effets délétères de certains des propos tenus ici. La formule appropriée, c'est : « on crante ».
On crante petit à petit et on installe progressivement l'idée, quelles que soient les décisions qui seront finalement prises, qu'il faut se méfier un peu de tous ces gens qui « prennent » un arrêt de travail – on ne « prend » pas un arrêt de travail, il est « prescrit ». De même, on alimente la défiance à l'égard des médecins prescripteurs.
Le procédé, quelle que soit la mesure qui sera adoptée, est grave. Chaque fois qu'une personne sera en arrêt maladie – je pense en particulier aux équipes de soignants –, on dira : « Comme par hasard, ça tombe toujours au même moment. » Cette défiance qui s'installe dans les équipes et à l'égard du corps médical alimente celle à l'égard des scientifiques en général, que nous avons déjà évoquée. C'est assez grave !
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce débat, même s'il porte sur un réel sujet de préoccupation, a le tort de faire peser une certaine suspicion sur les personnes malades. On ne prend tout de même pas un arrêt maladie de gaieté de cœur ! Pour celles et ceux qui, dans notre pays, ont de petits revenus, prendre un arrêt, c'est perdre jusqu'à trois jours de salaire, c'est parfois un crève-cœur. Je connais des salariés qui renoncent à leur arrêt alors même que le médecin insiste pour le leur prescrire, parce que les jours de carence les plongent dans une situation extrêmement difficile.
En face des patients, il y a des médecins, des professionnels qui ont tout de même prêté le serment d'Hippocrate – Émilienne Poumirol l'a rappelé à juste titre. Je n'ose croire que, dans notre pays, des médecins distribuent les arrêts maladie au hasard ! Quand un médecin prescrit un arrêt, c'est bien que son patient est malade, ou alors il y a un souci ! Il faut croire au sérieux des médecins qui prescrivent ces arrêts.
Rappelons aussi, à ce propos, que 6,5 millions de personnes en France n'ont pas de médecin traitant. Quand on retourne voir son médecin, ce doit être non pas pour redemander un arrêt maladie, pour replonger, mais pour faire un état des lieux de la pathologie qui justifie cet arrêt. Pour les personnes sans médecin traitant, la situation est bien compliquée.
M. le président. La parole est au vice-président de la commission.
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Nous connaissons tous les conséquences de l'augmentation assez considérable des arrêts de travail : elles sont financières, mais aussi sociétales.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Mais il faut aussi s'intéresser aux causes de ces nombreux arrêts de travail. Celles-ci, notamment quand il est question de troubles psychologiques, ne sont pas uniquement liées au travail ; on les trouve aussi dans les réseaux sociaux, dans l'environnement social et familial de la personne…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Et dans la société en général !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Cela étant dit, je voudrais revenir sur deux observations que j'ai entendues, qui me semblent être des erreurs.
Madame Poumirol, vous avez évoqué la maternité, mais les congés de maternité ne sont pas considérés comme des arrêts de travail. Il faut donc les considérer à part.
Madame Silvani, vous avez dit que l'on débattait des arrêts de travail depuis 2017. Ce n'est pas vrai : on en parle depuis bien plus longtemps ! J'imagine que vous avez choisi cette date afin de tenir pour seul responsable de la situation M. Macron, mais il me semble que tous les ministres de la santé et tous les Présidents de la République depuis M. Mitterrand, si ce n'est plus tôt encore – mais je n'avais alors ni d'activité politique ni d'activité professionnelle… (Sourires.) – mentionnaient déjà les incidences financières et sociales des arrêts de travail.
Oui, à l'évidence, il faut faire confiance aux médecins. C'est à eux qu'il revient de juger si leur patient est capable ou non de reprendre le travail. Pour ma part, dans ma pratique médicale, il ne m'est pratiquement jamais arrivé de prescrire trente jours d'arrêt de travail. Nous prescrivons en général beaucoup moins, tout en demandant à nos patients de revenir nous voir pour dresser un nouveau bilan de leur état de santé et déterminer si l'arrêt doit être ou non prolongé.
Cela étant dit, il est un point qu'il faut tout de même évoquer – je vois que M. Rapin a demandé la parole et je suis sûr que lui aussi voudra lui aussi en parler. En tant que médecins, nous subissons parfois quelques pressions pour que nous acceptions de prescrire des arrêts de travail, même très courts. Cela m'est par exemple arrivé au moment de l'ouverture de la chasse… (Sourires.)
Mme Émilienne Poumirol. Il faut contrôler cela !
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. J'ai subi des pressions pour délivrer des arrêts de travail, certes très courts, mais suffisants pour aller tuer le chevreuil…
Les arrêts de travail sont un problème de société extrêmement important, qui mérite que nous nous penchions sur ses conséquences, mais surtout sur ses causes. J'estime donc que le Gouvernement a eu raison de nous soumettre cet article, mais le plus important est de travailler sur les causes des arrêts de travail, de manière à en diminuer quelque peu l'ampleur.
Mme Céline Brulin. Ce n'est pas ce qu'on fait là…
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Je voudrais également apporter mon témoignage. Ce débat est intéressant, à condition de ne pas verser dans le dogmatisme ou les caricatures. L'arrêt de travail est un élément essentiel du traitement d'un patient qu'une maladie empêche d'exercer son activité, mais il ne faudrait pas voir dans cet article une attaque contre l'arrêt maladie. On a parfois l'impression, à entendre certains, que certaines personnes ne pourraient plus en profiter ; ce n'est pas ce dont il est question.
Pour ma part, ayant pratiqué la médecine pendant plus de vingt ans, j'estime qu'une durée trente jours pour un arrêt maladie est raisonnable. Faut-il inscrire ce plafond dans la loi, je n'en sais trop rien, mais il n'y a rien d'offusquant à limiter en général à trente jours un arrêt de travail.
On a évoqué le cas de patients souffrant de dépression ou d'autres troubles de santé mentale ; de tels patients, on ne devrait pas les laisser deux ou trois mois sous antidépresseur sans les revoir, en bonne pratique médicale ! On leur prescrit un arrêt d'un mois, puis on refait le point avec eux. De même pour un patient qui vient de se faire opérer ; vous pouvez estimer qu'il vaut mieux qu'il arrête son activité pendant trois mois, mais cet arrêt ne peut être systématique, il faut le revoir entre-temps.
Plutôt que de réduire le débat à des caricatures, nous devrions, comme M. Milon nous y invite, nous intéresser aux causes profondes de ces arrêts de travail. Il ne faut pas non plus fermer les yeux sur les pressions qu'un médecin peut subir de la part d'un patient qui lui reproche de ne pas lui prescrire d'arrêt. Le médecin doit jouer un rôle de pédagogue dans de tels cas, il lui revient d'expliquer pourquoi, pour la pathologie en question, un arrêt n'est pas nécessaire. Tout cela forme un tout.
Je n'ai pas de dogme en la matière, une limite de trente jours ne me choquerait pas, mais j'estime que le sujet mérite surtout qu'on l'aborde en prenant un peu plus de hauteur.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. Il est toujours difficile d'associer à son rôle de sénateur la pratique médicale que certains d'entre nous ont eue ou continuent d'avoir.
Pour ma part, en tant que médecin, je ne ressens pas comme une défiance la remise en cause de certaines pratiques en matière de prescriptions d'arrêt de travail, d'autant que les raisons qui justifient l'arrêt peuvent évoluer dans le temps.
Au-delà du sentiment de défiance et des caricatures qu'on a pu entendre, il importe d'intégrer à notre réflexion la question de l'évolution de la pratique, mais aussi de la démographie médicale. Prescrire ou renouveler un arrêt de travail, cela prend cinq minutes à un médecin ; en revanche, expliquer à un patient qu'il est apte à reprendre le travail, s'il est incertain ou n'en a pas grande envie, cela peut prendre une demi-heure ! Ce n'est pas une caricature, mes chers collègues : c'est une réalité, c'est ainsi que les choses se passent !
Il fut un temps, madame la ministre, au début de ma carrière, où nous avions avec les médecins-conseils de l'assurance maladie des relations très intimes et directes. Quand un généraliste estimait pertinent de remettre quelqu'un au travail après un arrêt de travail assez long, et que cela posait problème au patient, ce que l'on peut bien comprendre, il pouvait avoir un échange direct avec le médecin-conseil. Il pouvait lui suggérer de convoquer ce patient pour engager avec lui une démarche de reprise du travail. Aujourd'hui, il existe bien des systèmes administratifs à cette fin, mais, sans vouloir mener un combat d'arrière-garde, je trouve qu'ils sont beaucoup moins performants que la pratique antérieure.
Il faut donc prendre en considération l'ensemble des éléments du problème, de l'évolution de la pratique médicale à celle de la société ; ainsi des pressions exercées sur les médecins, qui étaient beaucoup moins fréquentes il y a une trentaine d'années.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. Je ne comprends pas l'idée selon laquelle des pressions seraient exercées sur les médecins. Lorsqu'un salarié en souffrance va voir son médecin et lui explique qu'il a besoin de s'arrêter, le médecin apprécie la demande, mais il n'y a nulle complaisance ou complicité de sa part. Ce n'est pas comme s'il disait : « Très bien, c'est l'ouverture de la chasse, de la pêche ou je ne sais quoi encore, alors je te donne trois jours si cela t'arrange ! »
Pourquoi un médecin agirait-il de la sorte ? Par crainte de perdre un patient ? Il n'a aucune raison d'avoir une telle crainte par les temps qui courent, quand des patients, je pense en particulier à ceux qui ont un problème de santé mentale, attendent quelquefois six mois, huit mois, dix mois une consultation chez un psychiatre !
Il faut faire attention à toutes les manipulations. Pour ma part, j'ai une pleine confiance dans les médecins. J'estime que, si le médecin juge un arrêt de travail nécessaire, il faut l'écouter. D'ailleurs, il arrive très souvent qu'un patient ne veuille pas prendre d'arrêt. Le médecin doit alors lui expliquer que c'est important pour sa santé. La consultation donne lieu à une évaluation médicale, à un diagnostic ; une relation s'instaure avec le malade pour déterminer le meilleur moyen de le mener à la guérison, de faire cesser sa souffrance.
La relation du salarié à son travail est un autre élément important. Il y a bien des gens qui occupent, pour des raisons strictement alimentaires, des postes qui leur sont pénibles. Quelquefois, ces personnes viennent voir leur médecin pour lui faire part de leur souffrance, pour lui dire qu'ils n'en peuvent plus.
Quoi qu'il en soit, je ne saurais accepter que l'on justifie par une prétendue complaisance ou complicité un encadrement des arrêts de travail par la loi.
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. La version initiale de cet article limitait la durée du premier arrêt de travail à quinze jours. Les débats à l'Assemblée nationale ont abouti à un compromis sur une durée de trente jours. C'est intéressant, mais j'estime qu'il convient plutôt de faire confiance aux médecins en la matière. Céline Brulin l'a bien dit tout à l'heure : ce n'est pas un problème législatif, c'est une affaire de confiance entre médecins et patients.
Je suis d'accord avec Alain Milon : oui, il faut s'intéresser aux causes de cette augmentation des arrêts de travail. Mais ces causes, nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises : ce sont en particulier les conditions de travail et la pénibilité.
Pour ce qui est des arrêts de travail consentis au moment de la chasse ou de la pêche, il me semble tout de même plus facile aujourd'hui qu'il y a trente ans, avec les nouveaux outils informatiques, de faire vérifier de tels cas par l'assurance maladie et de sanctionner les personnes en cause. Mais avec cet article, encore une fois, on punit tout le monde pour quelques personnes qui fraudent ou prescrivent des arrêts de travail inconsidérés.