Présidence de M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quarante.)

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Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026
Discussion générale (fin)

Financement de la sécurité sociale pour 2026

Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2026 (projet n° 193, rapport n° 205).

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, cette séance constitue une nouvelle étape de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous avez aujourd'hui la possibilité d'examiner ou de rejeter la copie issue du compromis entre les différents groupes politiques qui siègent à l'Assemblée nationale. Cette copie a été adoptée après un débat exigeant, sans recours à l'article 49.3 de la Constitution, sur la base du texte voté le 26 novembre 2026 par le Sénat.

Comme l'a rappelé le Premier ministre, « le compromis n'est pas un slogan : il permet d'avancer dans le sens de l'intérêt général. »

Pour avoir siégé à vos côtés, avec mes collègues, pendant des jours et des nuits, je connais la position de la majorité sénatoriale sur l'ensemble des mesures du texte qui vous est aujourd'hui soumis. J'ai conscience des divergences de points de vue qu'il peut susciter. Comme vous, nous pensons qu'il est nécessaire de réduire le déficit de la sécurité sociale. Nous étions d'ailleurs ouverts à des solutions autres que les mesures fortes qui figuraient dans la version initiale du texte, qu'il s'agisse de l'année blanche ou du gel total des pensions, pour réaliser des économies. Nous aurions souhaité réduire encore davantage le déficit.

Il faut aussi rappeler que ce budget imparfait permet d'éviter le dérapage incontrôlé des 30 milliards d'euros de déficit, qui aurait été bien pire pour les Français et les générations à venir que la copie qui vous est aujourd'hui proposée.

La suspension de la réforme des retraites, au-delà du compromis politique qu'elle permet, assure aussi la stabilité dont notre pays a besoin. Elle permet également d'ouvrir un temps utile au dialogue social dans le cadre de la conférence sur le travail, l'emploi et les retraites que nous avons lancée. L'instabilité a un coût économique, politique et social. Je pense que les Français et les entreprises ne la souhaitent pas.

J'en viens au contenu du texte. Ce projet de budget prévoit un certain nombre de mesures positives. Plusieurs d'entre elles ont été adoptées en première lecture au Sénat et figurent dans le texte qui vous est aujourd'hui présenté. Je pense notamment aux mesures qui concernent le monde agricole et les territoires ultramarins, à la simplification du cumul emploi-retraite et à la meilleure prise en compte des maladies professionnelles.

D'un point de vue financier, je pense au transfert de 15 milliards d'euros de déficit des branches maladie et vieillesse du régime général à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui permettra de sécuriser la capacité de financement de la sécurité sociale dans les années à venir. Cette proposition historique doit beaucoup au travail de Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale, dont je tiens à saluer l'implication tout au long de l'examen de ce texte.

Vous avez également soutenu d'autres mesures attendues par les Françaises et les Français, comme l'amélioration de la retraite des femmes ayant eu des enfants, dans le secteur privé comme dans la fonction publique, ou le principe du congé de naissance pour aider les familles. Ces avancées ne sont pas négligeables ; elles ne doivent pas être balayées d'un revers de main. Au fond, je suis fier de les avoir défendues avec vous dans ce projet de budget.

Au-delà de nos différences d'appréciation sur ce texte, je souhaite que nous puissions continuer d'avancer ensemble sur d'autres politiques publiques. Je pense en particulier à la lutte contre la fraude sociale et fiscale, ainsi qu'au projet de loi relatif à l'allocation de solidarité unifiée, qui sera présenté au Sénat au début de l'année 2026.

D'autres chantiers devront également trouver leur place dans le débat public. Le financement de la sécurité sociale, qui a été évoqué ici au cours de nos débats, en fait partie. Je suis prêt à engager avec vous des réflexions et des travaux sur ce sujet, en particulier si les partenaires sociaux le demandent, comme sur la question du travail, chère au Sénat et à la commission des affaires sociales.

Merci pour ce travail en commun, que nous allons poursuivre. (Mme la rapporteure générale applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque nous nous sommes engagés dans ce travail inédit, dans une configuration politique elle-même inédite, nous avions trois boussoles : les Français, les comptes publics et la stabilité.

Au fond, ce texte de compromis, si on regarde ce qu'il s'est passé, a permis aux parlementaires que vous êtes de revenir à l'esprit de 1945 : la sécurité sociale avait alors été créée par des gaullistes, des centristes et des communistes. En permettant à l'Assemblée nationale de dépasser la dichotomie entre la majorité avec un grand M et l'opposition avec un grand O, les parlementaires ont fait montre de l'esprit de compromis qui, depuis quatre-vingts ans, a permis aux Français d'être solidaires entre eux et de faire face aux grands risques.

Pour les Français, comme l'a rappelé Jean-Pierre Farandou, le texte comporte de nombreuses avancées. Je pense notamment au réseau France Santé, au fait que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) soit désormais présenté comme étant sincère, afin d'éviter une sous-budgétisation, ou encore aux solutions pour le handicap.

Le déficit affiché s'élève à 19,4 milliards d'euros. Ce n'est pas seulement un affichage : c'est le montant qu'il faudra financer en sus des recettes estimées.

Je veux à présent tordre le cou à quelques contrevérités. Ce projet de budget n'est pas un « hold-up fiscal ». Le Gouvernement avait proposé dans son texte initial – un texte exigeant, comme vous le savez – 4 milliards d'euros de recettes supplémentaires pour la sécurité sociale. Le texte sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer aujourd'hui prévoit lui aussi 4 milliards d'euros de recettes supplémentaires, mais pas les mêmes que celles que nous avions proposées. Ainsi, la contribution sur les Tickets-restaurant a été supprimée, de même que les mesures relatives aux apprentis et un certain nombre de dispositions fiscales ou sociales n'ayant pas recueilli la majorité à l'Assemblée nationale ou au Sénat.

En revanche, une contribution financière additionnelle sur les dividendes est créée pour financer la branche autonomie, sur laquelle, nous le savons, il n'y a pas d'économies à faire.

Par ailleurs, j'entends beaucoup dire que nous aurions renoncé à faire des économies. Or le Gouvernement en a proposé un certain nombre ; certaines ont été adoptées ; d'autres non. En fin de compte, ce projet de loi de financement pour la sécurité sociale prévoit 4,6 milliards d'euros d'économies, soit plus que dans les trois derniers PLFSS : plus qu'en 2023, plus qu'en 2024, plus qu'en 2025.

Ensuite, le texte prévoit des transferts. Au fond, l'État ne fait que payer à la sécurité sociale ce qu'il lui doit au titre des exonérations de charges sur les heures supplémentaires, d'une part, et des allégements généraux, d'autre part. Sans ce budget, le déficit s'élèverait non pas à 19,4 milliards d'euros, mais à 29 milliards d'euros au moins, comme l'a indiqué la Commission des comptes de la sécurité sociale.

Enfin, notre troisième boussole a été la recherche de la stabilité. Avec ce budget, tel qu'il a été adopté, nous permettons aux Français d'entamer l'année 2026, dans moins de trois semaines, avec un cadre clair, des hôpitaux financés, des infirmières qui pourront être revalorisées. Les Français concernés pourront prendre leur retraite dans un cadre clarifié.

Il nous reste évidemment beaucoup à faire ensemble pour poursuivre les réformes structurelles de notre système de santé et de retraite. Ce texte ne les prévoit pas, mais il les permet en créant en 2026 les conditions politiques pour les mener et, je l'espère, les faire adopter au plus tard lors du débat présidentiel de 2027. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, chargée de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, Stéphanie Rist, que je représente aujourd'hui.

À ce stade de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il nous semble important de revenir sur ce que nous sommes en droit d'attendre de ce texte et sur les avancées qu'il comporte.

Plusieurs mesures substantielles ont été inscrites dans le texte en deuxième lecture et méritent d'être mises en valeur : le parcours préventif avant l'entrée en affection de longue durée, la montée en puissance du numérique en santé, qu'il s'agisse des systèmes d'aide à la décision médicale ou du dossier médical partagé, la création de France Santé pour permettre un pilotage plus cohérent et plus lisible de notre système de santé, ou encore le congé supplémentaire de naissance, qui constitue une avancée sociale attendue.

Dans le champ de l'autonomie et des personnes en situation de handicap, ce projet de budget prévoit aussi de nombreuses mesures nouvelles : la création en 2026 de 7 000 nouvelles solutions pour les personnes en situation de handicap dans le cadre du plan de création de 50 000 solutions et de transformation de l'offre médico-sociale sur la période 2024-2030 ; le renforcement de l'accompagnement de nos aînés grâce au recrutement de 4 500 professionnels en Ehpad et à la création de 10 000 places de service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ; le soutien financier aux établissements sociaux et médico-sociaux ; l'investissement volontariste dans le développement de l'habitat partagé.

Ces mesures, prévues initialement dans le texte, ont été complétées par la création d'une contribution financière pour l'autonomie, qui permettra d'accroître significativement le financement de la branche autonomie, dont on sait que les besoins futurs iront croissants. Cette contribution permettra, dès 2026, la création d'un fonds consacré à la qualité des Ehpad.

Par ailleurs, plusieurs articles qui suscitaient des oppositions au Sénat ne figurent plus dans le texte : l'article 26 sur les cotisations des professionnels libéraux, l'article 24 sur les rentes, l'article 25 sur les mécanismes prix-volume ou encore l'article 18 sur le paiement au comptoir des franchises. Leur retrait clarifie le périmètre du débat et facilite la recherche d'un compromis.

Pour conclure, je remercie Mme la rapporteure générale, Mmes, MM. les rapporteurs, et vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, du travail rigoureux et constructif qui a été effectué au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale nous est aujourd'hui soumis en nouvelle lecture, après un premier examen dans des conditions que je qualifierai d'acrobatiques.

Les médias parlent généralement de succès et saluent un compromis. Il est vrai qu'en l'absence de loi de financement de la sécurité sociale, nous aurions fait un saut dans l'inconnu : le déficit aurait alors pu atteindre 30 milliards d'euros. Le pire semble donc avoir été évité, mais ne nous voilons pas la face : ce PLFSS est pour nous un échec.

Le texte initial prévoyait un déficit de 17,5 milliards d'euros. Il a été porté à 19,4 milliards d'euros dans le texte adopté par l'Assemblée nationale. Si l'on neutralise les transferts supplémentaires à la sécurité sociale obtenus lors des débats à l'Assemblée nationale, il atteint même 24 milliards d'euros.d

On peut adopter une autre approche et comparer les déficits pour 2025 et 2026. Selon la prévision actualisée, le déficit en 2025 s'élèverait à 23 milliards d'euros – chacun le sait ici, on l'a beaucoup répété. Si, en 2025, l'État avait prélevé sur la sécurité sociale autant d'argent que le prévoyait la version initiale du PLFSS pour 2026, le déficit s'élèverait en fait à 25,3 milliards d'euros ; or 25,3 milliards moins 24 milliards, cela fait 1,3 milliard d'euros. C'est, à périmètre constant, le montant prévisionnel de la réduction du déficit entre 2025 et 2026. Autant dire que nous ne sommes parvenus qu'à une simple stabilisation du déficit.

Nous avons même aggravé le déficit à partir de 2027, puisque le décalage de la réforme des retraites entraînera pendant plusieurs années une augmentation du déficit d'environ 2 milliards d'euros, et ce sans même prendre en compte l'effet économique. Je rappelle que, jusqu'à présent, l'objectif était de ramener la sécurité sociale à l'équilibre en 2029. Qui, dans cet hémicycle et ailleurs, peut encore y croire ?

Le PLFSS prévoit le transfert de 15 milliards d'euros de dette de la sécurité sociale vers la Cades. Toutefois, il ne s'agit là que d'une mesure d'urgence. Une loi organique sera nécessaire pour réaliser, probablement après l'élection présidentielle, un transfert de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Pour autant, nous ne serons pas dispensés, c'est un corollaire, de prévoir une trajectoire crédible de retour à l'équilibre.

La presse parle beaucoup de compromis. Pour ma part, je ne parlerai pas de compromission – ce terme a aussi été évoqué –, car personne, il me semble, ne s'est compromis. Chacun, en fait, est resté fidèle à ses convictions, sans faire suffisamment de pas vers l'autre, et c'est justement le problème.

Regardons concrètement ce qui s'est passé. Une année normale, nous n'avons besoin que de stabiliser, et non de réduire, le déficit de la sécurité sociale. Pour cela, nous nous contentons de plus ou moins neutraliser la tendance spontanée des dépenses de santé à croître plus vite que la richesse nationale, ce qui correspond à une augmentation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie d'environ 3 % en valeur. Cela implique de réaliser une économie d'environ 4 milliards d'euros.

Il faut absolument nous astreindre à cette discipline, comme nous le faisons depuis vingt ans, parce que la branche maladie est la seule dont les dépenses sont à la fois très élevées et plus dynamiques que le PIB. Vous l'avez répété tout au long de l'examen du texte, madame la ministre. Sans cela, les dépenses de santé suffiraient à rendre nos finances publiques insoutenables. Remarquez, c'est exactement ce qui est en train de se produire…

Si l'on doit non pas stabiliser, mais réduire le déficit, il faut donc prendre des mesures supplémentaires et réaliser plus que les 4 milliards d'euros d'économies habituelles sur la branche maladie. Pour cela, trois approches sont possibles, qui ne sont pas exclusives les unes des autres, je l'ai souvent souligné.

La première consiste à maîtriser les dépenses : c'est la piste privilégiée de longue date par le Sénat. Pour maîtriser les dépenses, compte tenu des sommes en jeu, il faut nécessairement agir sur les retraites et éventuellement aller un peu plus loin que d'habitude sur les dépenses de santé.

La deuxième possibilité est d'augmenter les recettes. Nous l'avons vu, cette solution a été retenue par beaucoup.

Mme Annie Le Houerou. Bonne idée !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Enfin, la troisième possibilité, que l'on oublie souvent, est d'augmenter le PIB, soit, si l'on veut des résultats certains et rapides, la quantité de travail. Olivier Henno l'a utilement rappelé en déposant un amendement en ce sens, adopté par le Sénat.

Pour ma part, je ne vois pas comment l'on pourrait ramener la sécurité sociale à l'équilibre sans agir sur ces trois leviers à la fois.

Le texte initial reposait pour les deux tiers sur le levier des dépenses et pour un tiers sur le levier des recettes. Cette approche était cohérente avec les préconisations de la majorité sénatoriale, que nous avions d'ailleurs présentées le 8 juillet dernier au Premier ministre. Il agissait sur les retraites en prévoyant une mesure de gel, comme le proposait également la majorité sénatoriale. En matière de maîtrise des dépenses de santé, il allait un peu plus loin que d'habitude en doublant le montant des franchises et des participations forfaitaires.

En première lecture, l'Assemblée nationale a porté le déficit à 24 milliards d'euros, ou plutôt à une vingtaine de milliards d'euros si l'on excluait le transfert de 4 milliards d'euros de la sécurité sociale vers l'Unédic. Le gel des retraites était déjà totalement abandonné et l'Ondam était déjà majoré de 1 milliard d'euros.

Les nouvelles mesures d'amélioration du solde portaient exclusivement sur les recettes, soit sur de véritables recettes – c'est le cas de l'augmentation de la CSG sur le capital –, soit sur de simples transferts de l'État vers la sécurité sociale – je pense à la compensation du volet salarial du dispositif en faveur des heures supplémentaires.

Le Sénat a supprimé la hausse de la CSG sur le capital et rétabli l'essentiel des mesures sur les dépenses. Dans une logique de compromis, il a exclu du gel les retraites de moins de 1 400 euros et l'allocation aux adultes handicapés. Il a également adopté un amendement d'Annie Le Houerou visant à plafonner l'exemption de certains compléments de salaire, qui n'a malheureusement pas été conservé à l'Assemblée nationale.

En nouvelle lecture, celle-ci a décidé de supprimer la totalité des mesures de maîtrise de la dépense venant en plus des dispositifs habituels de simple stabilisation du solde. L'Ondam a été porté à 3 % et le texte ne prévoit plus aucune mesure de gel. Nous perdons donc plus de 7 milliards d'euros d'économies sur les dépenses…

Ce qui distingue ce projet de loi de financement de la sécurité sociale d'une année où l'on ne cherche pas à réduire le déficit, ce sont, au fond, les seules hausses de recettes.

Le volume réel de ces hausses est globalement conforme à celui qui figurait dans le texte initial. La différence par rapport à ce dernier tient au fait qu'y ont été ajoutés environ 4,5 milliards d'euros de transferts supplémentaires en faveur de la sécurité sociale.

Ces transferts ne compensent toutefois pas la totalité des plus de 7 milliards d'euros de mesures d'économies qui ont disparu : le déficit s'accroît donc à due concurrence, d'environ 2 milliards d'euros.

Le déficit passe ainsi de 17,5 milliards d'euros, dans la version initiale, à 19,4 milliards d'euros dans la rédaction de l'Assemblée nationale.

Le point d'arrivée, qu'on le déplore ou qu'on s'en réjouisse, correspond donc moins à un compromis qu'à l'expression d'un choix politique, celui de faire reposer l'effort de réduction du déficit, qui s'ajoute à l'action habituelle sur l'Ondam, sur les seules recettes. Cela résulte bien évidemment des rapports de force à l'Assemblée nationale et de la nécessité de parvenir à l'adoption d'un texte.

On dit parfois que la marque d'un bon compromis est qu'il ne satisfait personne, comme je l'ai entendu à l'Assemblée nationale et ailleurs. Si tel était le seul critère d'un bon compromis, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale serait donc un succès majeur. (Sourires.)

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue l'objectif, qui doit être de réduire le déficit public. Un bon compromis, un vrai compromis, plutôt que de ne rien faire, ou presque, aurait été d'agir à la fois, sinon sur la quantité de travail, tant le sujet est sensible, du moins sur les recettes – et non sur de simples transferts, madame la ministre –, ainsi que sur les dépenses. Or tel n'est pas le choix de l'Assemblée nationale.

Les rapports de force, dans cette dernière chambre, étant ce qu'ils sont, poursuivre la navette ne servirait à rien. Ainsi, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable sur ce PLFSS pour 2026.

Tout au long de l'examen du texte, je n'ai eu qu'une boussole, madame la ministre : celle de l'héritage que nous laisserons à nos enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Exception d'irrecevabilité

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cukierman, Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, d'une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 193, 2025-2026).

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ont fait le choix de déposer la présente motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, examiné en nouvelle lecture.

Ce texte remet en cause les valeurs de solidarité et de protection qui fondent notre République. Le gouvernement Lecornu avait présenté un PLFSS s'apparentant à un budget des horreurs avec, entre autres, 7 milliards d'économies sur la santé au travers d'un sous-financement des hôpitaux, un doublement des franchises et des participations médicales, la limitation des arrêts de travail, la mise à contribution des titres-restaurant et des avantages sociaux des comités sociaux et économiques (CSE), la suppression des exonérations de cotisation des apprentis et, surtout, le gel en 2026 de l'ensemble des prestations sociales et des pensions de retraite.

Ce budget d'austérité suivait les injonctions de Bruxelles et les engagements du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) 2025-2029, négociés par le gouvernement Barnier, préparés par le gouvernement Bayrou et mis en œuvre par le gouvernement Lecornu.

Toutefois, les débats qui ont eu lieu au Sénat ont montré, une fois de plus, que la droite pouvait encore aller plus loin dans les mauvais coups. Ainsi, à chaque étape, mes chers collègues, vous avez choisi l'austérité contre la justice sociale, la rigueur contre la solidarité. Vous avez aggravé les mesures, déjà dures, du budget Lecornu. Vous êtes allés plus loin que le Gouvernement, dont la copie était fort mauvaise pour les familles, les jeunes, les retraités, les travailleurs.

Vous y avez ajouté de nombreuses raisons de s'épouvanter. Ainsi, vous avez souhaité augmenter la durée annuelle du travail, en la faisant passer de 1 607 heures à 1 619 heures, prétendument pour financer la solidarité.

Vous avez réintroduit l'article supprimant l'exonération des cotisations des apprentis, les privant, pour certains, de près de 200 euros par mois. Vous avez gelé les prestations sociales et les retraites jusqu'à 1 400 euros – certes en excluant l'allocation aux adultes handicapés (AAH), parce que, là, ça faisait beaucoup !

Vous avez rétabli la taxe exceptionnelle sur les complémentaires santé. Vous avez voté le retour des exonérations de cotisations offertes aux grandes entreprises sans contrepartie, comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le crédit d'impôt recherche (CIR). Enfin, vous avez refusé de mettre les actionnaires à contribution financière pour financer l'autonomie.

L'Assemblée nationale a fort heureusement balayé quelques reculs gravissimes pour les Françaises et les Français, dont le gel des pensions et des prestations, ainsi que le doublement du montant des franchises.

Mais, alors qu'à chaque examen du PLFSS on nous promet qu'il n'y aura pas de hausse des franchises, le Gouvernement publie, quelques mois plus tard, un décret qui les augmente. C'est devenu une routine et, surtout, une véritable tromperie.

Soit dit entre nous, mesdames, monsieur les ministres, si vous pouviez publier aussi rapidement les décrets relatifs au remboursement des soins liés aux cancers du sein, prévus par un texte récemment voté à l'unanimité, ce serait une très bonne chose pour les femmes et les hommes concernés. Ce ne serait même que justice…

Si quelques horreurs ont disparu de ce budget de la sécurité sociale, il n'en reste pas moins que ce texte aggravera l'accès aux soins.

Certes, le PLFSS a été adopté par une – très courte –majorité de députés. Sébastien Lecornu et son gouvernement sont donc sauvés… pour l'instant. Mais 73 % des Français jugent ce budget injuste et inefficace pour réduire la dette. Et, oui, ce PLFSS sera inefficace pour réduire la dette, mais aussi pour préserver notre système par répartition, parce que vous avez refusé toutes les propositions de recettes nouvelles.

Injuste, ce texte l'est parce que ce sont, comme ils l'ont bien compris, les Français qui vont en payer la note.

Injuste, ce PLFSS va aggraver la situation de l'accès aux soins dans notre pays, en raison d'une hausse de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie fixée à 3 %. En d'autres termes, les dépenses de santé sont réduites de 4 milliards d'euros par rapport à leur évolution naturelle, estimée à 4,8 %.

Ainsi, les malades mettront plus de temps à trouver un médecin, ils seront plus nombreux à subir les pénuries de médicaments, ils passeront plus de temps sur les brancards dans les services des urgences, tandis que les personnels, au bord de l'épuisement généralisé, devront continuer de faire beaucoup plus avec moins.

Ce PLFSS remet donc en cause le droit à la protection de la santé, reconnu par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946.

La ministre des comptes publics peut se réjouir d'avoir prévu 8 milliards d'euros supplémentaires pour 2026 au titre des dépenses de santé, mais la progression naturelle des besoins, d'année en année, aurait justifié 12 milliards d'euros de plus, ne serait-ce que pour maintenir les moyens au niveau de 2025.

En effet, ces dépenses de santé sont tirées vers le haut par le vieillissement de la population et l'augmentation du nombre de malades chroniques. Face à cette réalité, deux réponses sont possibles.

La première consiste à réduire les remboursements des assurés sociaux et à favoriser des solutions privées, individuelles – c'est ce que le PLFSS prévoyait initialement.

La seconde est d'augmenter les recettes de la sécurité sociale, afin de financer les besoins à la hauteur des coûts. À cette fin, le gouvernement Bayrou envisageait d'instaurer une TVA sociale pour relever le défi des recettes nouvelles. Or cette solution, qui revient ces derniers jours dans le débat, accélérerait la disparition des cotisations sociales et ferait reposer le système sur l'impôt le plus inégalitaire qui soit : pour un même panier de courses, un salarié au Smic paierait autant qu'un médecin ou qu'un ministre, ce qui est profondément injuste.

Nous avons formulé des propositions de recettes nouvelles, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, pour mettre à contribution les 100 milliards d'euros de bénéfices des grandes entreprises et le produit des rachats d'action, pour conditionner le versement des 80 milliards d'exonérations de cotisations patronales, pour mettre immédiatement en œuvre l'égalité salariale et dégager 20 milliards d'euros. Nous avons également suggéré de renforcer la prévention en matière de santé au travail et de relever le taux de cotisation des entreprises.

Le Gouvernement a refusé toutes ces idées, ne retenant qu'une contribution de 2,05 % sur les contrats des complémentaires santé. Or il s'agit d'une mesure injuste, qui va augmenter le coût des contrats des adhérents et aggraver les dépenses de santé des retraités et des personnes privées d'emplois, qui ne bénéficient pas de la prise en charge obligatoire de l'employeur, contrairement aux salariés. Ainsi, cette mesure porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, inscrit à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et solennellement réaffirmé par l'article 1er de la Constitution.

En conclusion, le Gouvernement a trouvé une solution pour faire passer son budget. À force de compromis et de reniements par rapport au texte initial, le PLFSS 2026 sera adopté mardi, à l'Assemblée nationale, par un bloc gouvernemental qui a avalé le décalage de la réforme des retraites, ainsi que par des membres du groupe de la Droite républicaine, qui renoncent à l'instauration d'une année blanche.

Pour notre part, nous refusons ce jeu de dupes, où chacun trouverait son intérêt sauf les principaux intéressés : notre sécurité sociale et, surtout, les citoyens. Ainsi, quatre-vingts ans plus tard, au nom des logiques de rentabilité et de réduction des dépenses, nous tournons le dos aux aspirations révolutionnaires de 1945.

Nous avons conscience que les débats profonds que nous avons eus, loin d'être enterrés, seront certainement au cœur de la campagne présidentielle de 2027.

Les tenants de l'augmentation de la durée de travail, les partisans de l'instauration de la capitalisation dans notre système de retraite et les disciples de l'austérité budgétaire défendront le triplement des tickets modérateurs et autres coups de rabot, le tout sur fond de montée d'un discours guerrier. Pour notre part, nous refuserons toujours de réduire notre niveau de protection sociale au profit du financement de l'industrie militaire et de l'armement.

Je vous le dis avec gravité : notre groupe a fait le choix de déposer cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, parce que nous refusons de participer à ce jeu de dupes. Cette pièce de théâtre s'est jouée en coulisses, et nous en connaissons déjà la fin.

En première lecture, nous l'avons rappelé : le décalage de la réforme des retraites, s'il constitue une fissure dans le bilan d'Emmanuel Macron, reste un succès tout relatif au regard du nombre de bénéficiaires potentiels. En effet, sur les 3,5 millions de Français des générations nées entre 1964 et 1968, seuls 250 000 partiront plus tôt, selon les estimations de l'assurance maladie.

Nous réaffirmons, pour notre part, que nous restons partisans de l'abrogation de cette réforme, toujours très impopulaire chez celles et ceux qui travaillent, et que les tâches difficiles usent. Au fond, ce décalage ne fait qu'entériner le recul de l'âge légal de départ à 64 ans.

Et, dans la scène finale de cette mauvaise pièce, ce seront encore les mêmes qui paieront la note : les malades, celles et ceux qui sont fragilisés et qui continuent de travailler malgré tout.

Ainsi, 1,5 million de personnes diabétiques paieront 315 euros de plus par an. Les allocations familiales seront gelées, les arrêts maladie plafonnés, entre autres exemples. N'oublions pas l'article 27 du texte, qui prévoit d'infliger un malus aux hôpitaux qui ne respecteront pas l'objectif de dépenses, alors que nos établissements s'effondrent de tous côtés.

En conclusion, je citerai Georges Clemenceau : ceux qui croient qu'on ne risque rien en ne faisant rien se trompent : on risque la chute aussi, et l'oubli en plus. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Annie Le Houerou applaudit également.)