COM (97) 004 final  du 29/01/1997
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 17/06/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 14/02/1997
Examen : 18/03/1997 (délégation pour l'Union européenne)


Fiscalité

Le système commun de TVA en Europe

Proposition E 785 - Com (97) 4 final

Le mardi 18 mars 1997, la délégation a examiné le rapport d'information de M. Denis Badré sur le système commun de TVA en Europe.

M. Denis Badré rappelle les conditions dans lesquelles la délégation a été saisie des propositions de la Commission européenne en matière de TVA : d'abord en février 1996 par la proposition E 595 tendant à fixer le niveau minimal et le niveau maximal du taux normal de la TVA à respectivement 15 et 25 % pendant une période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1998 ; puis en juillet 1996 avec un document de la Commission portant sur un système commun de TVA qui pourrait être mis en place à compter de 2002 ; ce dernier document, pourtant plus important que le premier, n'a pas été transmis au Parlement dans le cadre de l'article 88-4 dans la mesure où celui-ci n'est pas considéré formellement par le Conseil d'Etat comme une proposition d'acte communautaire. Le rapporteur souligne cependant que la proposition E 595 ne pouvait être examinée sans référence aux nouvelles propositions globales de la Commission contenues dans son document de juillet 1996.

M. Denis Badré indique que la délégation a commandé une étude technique au Centre d'études prospectives d'informations internationales (CEPII) pour l'éclairer sur ce dossier difficile ; cette étude, réalisée spécialement pour le Sénat par des spécialistes français et britanniques de la fiscalité et de l'économie, fournit une base précieuse et originale d'informations sur le sujet.

M. Denis Badré rappelle ensuite l'historique du système de TVA en Europe depuis le traité de Rome et la mise en place d'un système dit « transitoire » pour permettre la suppression, au 1er janvier 1993, des contrôles de marchandises aux frontières intracommunautaires. Il détaille alors le régime définitif proposé par la Commission le 22 juillet 1996 qui s'inscrit à l'évidence dans une perspective européenne globale et cohérente. Mais il souligne également que le nouveau système proposé par la Commission, comme le montre parfaitement l'étude du CEPII, comporte également des inconvénients sérieux.

Pour l'essentiel le système définitif ne garantirait pas le niveau des recettes des Etats, car les recettes nationales ne feraient plus l'objet d'une affectation directe aux Etats, mais seraient peréquées entre les Etats membres sur la base de données statistiques ; le système affaiblirait en outre les possibilités de contrôles de chacune des administrations fiscales ; enfin il inciterait les entreprises à se délocaliser, puisque celles-ci pourraient s'installer dans le pays qui leur offrirait les meilleures conditions en matière de TVA, qu'il s'agisse de taux, d'assiette, de réglementation ou même d'efficacité administrative.

M. Denis Badré estime que ce système comportait des risques importants pour le budget dans la mesure où les recettes de TVA assurent en France pratiquement la moitié des rentrées fiscales ; or il convient d'être particulièrement attentif à ne pas bouleverser le système actuel à un moment où les conditions de l'équilibre budgétaire sont déterminantes pour la réussite de l'Union économique et monétaire et où cet objectif doit l'emporter sur toute autre considération.

Le rapporteur indique alors que le système dit « transitoire » n'est pas non plus totalement satisfaisant. Des mécanismes importants de fraudes ont été détectés qui pourraient expliquer en partie le tassement des recettes de TVA en France. La Cour des Comptes des Communautés européennes a évalué à plus de 100 milliards de francs pour l'ensemble des Etats membres le montant possible de ces fraudes. Soulignant que l'étude macro-économique du CEPII ne condamnait pas le régime actuel, dans la mesure où les taxes indirectes n'ont pas eu d'influence sur les rythmes de convergence des prix, lesquels sont comparables, que l'on raisonne toutes taxes comprises ou hors taxes, M. Denis Badré en conclut qu'il convient, pour l'heure, de faire porter l'effort sur l'amélioration du régime transitoire. Cette voie de progrès exige que la Commission s'attelle à traiter de questions qui peuvent lui paraître subalternes, mais qui n'en sont pas moins importantes pour la crédibilité de l'idée européenne.

M. Denis Badré présente alors à la délégation une proposition de résolution traduisant les conclusions de son rapport d'information.

Après s'être inquiété de l'absence de transmission par le Gouvernement du document de la Commission portant sur le système commun de TVA dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, M. Michel Caldaguès estime que le système proposé par la Commission aurait comme effet de créer « un désert d'autonomie » pour les rentrées de TVA en France, mais que les effets de ce système seraient cependant moins réducteurs que les critères de convergence du traité de Maastricht, auxquels les Etats devront se conformer en permanence, au-delà de l'entrée dans la monnaie unique.

M. Denis Badré, estimant que le nouveau système de TVA aurait pour conséquence une limitation des marges de manoeuvre budgétaire plutôt qu'un « désert d'autonomie » pour la France, précise que les questions monétaires et le système de TVA étaient totalement distincts, les critères de convergence obligeant les Etats à des résultats et non à des moyens pour atteindre l'objectif du traité. Le nouveau système de TVA aurait pour effet d'ajouter une obligation de moyens à cette obligation de résultats.

M. Alain Richard rappelle que si les tentatives menées depuis quarante ans en vue de construire un grand ensemble économique butaient en permanence sur de nombreux détails pratiques qui nourrissaient le débat politique dans chaque pays, il fallait toujours garder à l'esprit l'objectif final. Et cela d'autant plus que d'autres Etats en dehors de l'Europe se sont fixés le même but, comme les Etats-Unis ou les pays d'Amérique latine ou d'Asie, qui semblent moins précautionneux que les européens pour arriver à leurs fins. L'argument selon lequel nous avons dix ans devant nous pour résoudre ces problèmes pratiques est dès lors moins valable aujourd'hui qu'il ne l'était il y a dix ou vingt ans. Le Sénat, qui a vocation à réfléchir sur l'avenir, doit s'interroger sur le rythme auquel nos Etats sont prêts à réaliser ce grand ensemble économique face à nos principaux compétiteurs mondiaux.

Reconnaissant que le régime définitif proposé par la Commission était discutable, parce que « pas assez définitif », M. Alain Richard estime qu'un régime fiscal unifié était une étape indispensable de la réalisation de ce grand ensemble économique cohérent en Europe. La critique doit donc moins porter sur le rythme que sur le contenu de la proposition, car le régime définitif ne peut fonctionner sans un très fort rapprochement des taux et des assiettes de la TVA. Il serait par conséquent logique que l'impôt soit communautaire et que son produit soit partagé entre le budget communautaire et les budgets nationaux. Abordant la question du régime transitoire, il indique que, à son sens, ce régime était très largement responsable des incertitudes des rentrées de TVA. Rejoignant le rapporteur, il ajoute que la mise en oeuvre du régime définitif au moment même de la réalisation de la monnaie unique n'était pas satisfaisante.

M. Christian de La Malène, estimant qu'il ne convient pas de procéder par affirmation sur ce dossier, soutient la proposition du rapporteur selon laquelle il ne faut pas supprimer brutalement une des dernières variables d'ajustement qui restent entre les mains de l'Etat. L'histoire n'étant pas terminée, il faudrait à l'avenir pouvoir faire face aux crises qui pourront se produire et l'on risquerait un éclatement du système si les seules variables d'ajustement sont l'emploi et les salaires. Il a également manifesté l'espoir que la règle de l'unanimité en matière fiscale ne soit pas remise en cause par la Conférence intergouvernementale, ni directement, ni indirectement par le biais d'une éventuelle « flexibilité » ou « coopération renforcée » introduite dans le premier pilier du traité.

M. Daniel Millaud craint que, implicitement, le projet de système commun de TVA ne puisse être étendu aux territoires d'outre-mer, dès lors que la TVA se substituerait aux droits de douane. Il exprime alors sa préférence pour un véritable régime d'association des territoires d'Outre-mer plutôt que pour la forme actuelle d'un « néocolonialisme », dont le Gouvernement français se rendrait complice dans le cadre de sa politique européenne.

M. Yann Gaillard regrette que la délégation n'ait pu se saisir directement du document COM(96) 328, faute de sa transmission dans le cadre de l'article 88-4 ; il souhaite que la doctrine du Conseil d'Etat en la matière évolue de telle sorte que la délégation ne soit plus tenue à des « contorsions juridiques » pour exprimer son sentiment sur les propositions de la Commission européenne.

M. Pierre Fauchon déclare qu'il souscrit aux conclusions du rapporteur sur le régime définitif de TVA ainsi qu'aux observations de M. Alain Richard, estimant qu'il faut avant tout mener à son terme le processus difficile de la monnaie unique et qu'il peut y avoir certains risques à vouloir mener simultanément une réforme de la fiscalité européenne et la mise en place de la monnaie unique. Considérant que, pour faire progresser la fiscalité européenne, il faudrait un jour renoncer à la règle de l'unanimité dans ce domaine, il déplore que le Gouvernement se soit déclaré récemment en faveur du maintien de la règle de l'unanimité en matière fiscale.

La délégation a adopté le rapport d'information de M. Denis Badré et approuve les termes de sa proposition de résolution sur le régime commun de TVA en Europe (voir texte ci-après).

Le rapport d'information de M. Denis Badré :

« Pour ou contre le futur système de TVA en Europe »

a été publié sous le n° 264 (1996-1997)

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de télécommunications (E 785),

Vu le document présenté par la Commission au Conseil le 22 juillet 1996 (COM(96) 328 final) « Un système commun de TVA, un programme pour le Marché unique »,

Considérant que la proposition d'acte communautaire E 785 vise à modifier les règles de T.V.A. applicables aux services de télécommunications ; que les règles en vigueur ne prennent en effet pas en considération les progrès technologiques qui permettent de fournir des services de télécommunications à l'intérieur de l'Union à partir de pays tiers (système dit du « call back ») ;

Considérant que la proposition E 785 prévoit qu'à partir du 1er janvier 1999, le lieu des prestations de services de télécommunications sera l'endroit où le client est installé et non plus le lieu où est établi le prestataire de services lorsque ce prestataire est situé en dehors de la Communauté ; qu'elle dispose en outre que si un prestataire établi en dehors de la Communauté est identifié à la T.V.A. dans un Etat membre pour y avoir rendu un service de télécommunications, il sera considéré comme établi dans cet Etat membre ;

Considérant qu'au sein même de l'Union européenne, les différences de taux de T.V.A. entre Etats membres peuvent conduire, dans le secteur des télécommunications, à d'importants détournements de trafic du fait de la libéralisation et des progrès technologiques précédemment évoqués ;

Considérant que la proposition de directive E 785 tend à appliquer d'ores et déjà la solution esquissée pour le régime futur de TVA, à savoir le principe d'une seule identification à la TVA à l'intérieur de l'Union européenne pour toutes les prestations de services de télécommunications ;

Considérant que le « système commun de TVA » proposé par la Commission européenne relève bien des dispositions de l'article 99 du traité de Rome qui lui ont fait l'obligation de présenter au Conseil des mesures d'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, et qu'il va bien dans le sens de la construction européenne ;

Considérant que ce système, qui est conforme, dans son ambition, à l'intérêt du marché unique, pose néanmoins un problème d'une tout autre ampleur que la simple harmonisation de la TVA en Europe dans la mesure où il exige un rapprochement substantiel des taux et un bon fonctionnement du système de compensation entre les Etats ;

Considérant que les propositions de la Commission sur un lieu unique de taxation pourraient être à l'origine de nouvelles fraudes contre lesquelles il serait difficile aux Etats membres de lutter efficacement ;

Considérant que le rapprochement substantiel des taux, nécessaire pour éviter les détournements de trafic commercial et les délocalisations de sièges d'entreprises, reviendrait à limiter la marge de manoeuvre fiscale des Etats membres à un moment où ceux-ci sont engagés dans des efforts budgétaires liés à la mise en place de la monnaie unique ; qu'un rapprochement des taux de TVA ne peut donc être envisagé dans un avenir proche ;

Considérant en outre que le bon fonctionnement du système de compensation entre les Etats membres reste plein d'incertitudes compte tenu des faiblesses des moyens statistiques révélées par la Cour des Comptes des Communautés européennes ;

Considérant que le mécanisme de compensation envisagé par la Commission pourrait avoir pour contrepartie une perte de recettes publiques dont l'ampleur ne peut être appréciée à ce stade ;

1. Sur la proposition de directive concernant la TVA applicable aux services de télécommunications :

Approuve les principes contenus dans la proposition d'acte communautaire E 785 ; estime que le régime proposé devrait également s'appliquer lorsque le prestataire de service est installé dans l'un des pays membres de l'Union européenne.

2. Sur le régime commun de TVA en Europe :

Estime que la seule voie de progrès reste, aujourd'hui, dans l'amélioration du régime dit transitoire ;

Demande par conséquent au Gouvernement :

- qu'il sollicite l'adoption et la mise en oeuvre des mesures nécessaires à l'élimination des lacunes et fraudes qui ont pu apparaître lors des premières années d'application du régime actuel de TVA en Europe ;

- qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur le système commun tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies.

Cette proposition de résolution a été

publiée sous le n°265 (1996-1997).

Elle a été renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.