COM (2003) 227 final  du 02/05/2003
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 12/07/2005

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 03/06/2003
Examen : 03/03/2004 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Introduction de sanctions pénales
en cas de pollution par les navires

Texte E 2291

(Réunion du 3 mars 2004)

Communication de M. Jacques Oudin

Si l'attention des médias se focalise sur les grandes catastrophes, comme celles de l'Erika ou du Prestige, il faut savoir que l'essentiel des pollutions d'origine maritime par hydrocarbures découle de déballastages, c'est-à-dire de rejets intentionnels par les navires. Contrairement aux marées noires, ces pollutions sont intentionnelles, et d'autant plus insidieuses qu'elles sont quotidiennes. On estime ainsi à près de 2 millions de tonnes les hydrocarbures déversés chaque année et à l'équivalent d'un Erika par semaine les rejets effectués en Méditerranée. Notre pays est particulièrement exposé à ce fléau, compte tenu de la géographie, et encore hier un navire a été surpris à proximité de nos côtes au moment où il effectuait un « dégazage ».

Si ces rejets sont déjà soumis à une réglementation très stricte, tant au niveau international, que sur le plan interne, les comportements n'ont pas pour autant évolué en raison d'un dispositif insuffisamment dissuasif pour les contrevenants. En effet, seul un faible nombre de navires qui pratiquent illégalement des déversements est effectivement détecté et un petit nombre d'entre eux est en définitive poursuivi. Même en cas de condamnation, les peines prononcées restent légères et sont le plus souvent infligées uniquement au capitaine du navire, plutôt qu'à la société propriétaire ou à l'armateur.

Ce constat a conduit les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du Conseil européen de Copenhague des 12 et 13 décembre 2002, à préconiser l'introduction de sanctions, y compris pénales, en cas d'infractions. Le caractère dissuasif de telles sanctions a, en effet, fait la preuve de son utilité aux États-Unis. Après le naufrage de l'Exxon Valdez en Alaska, les autorités américaines ont considérablement renforcé les sanctions à l'encontre des rejets tant volontaires qu'accidentels d'hydrocarbures. Les sanctions prononcées ont permis de réduire de 50 % la pollution par hydrocarbures dans les années 1990. Comme l'a encore rappelé récemment le Président de la République : « la conjonction d'un arsenal juridique et de moyens d'intervention pleinement utilisés montre sa pertinence face aux navires poubelles, aux dégazages sauvages, aux comportements criminels, à l'action de tous les voyous de la mer ».

I - LA PROPOSITION DE LA COMMISSION

Cette proposition de décision-cadre complète la proposition de directive relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions, notamment pénales, en cas d'infractions, qui a été examinée par la délégation par une procédure écrite du 14 mars 2003. Ces textes définissent les rejets illicites et imposent aux États membres de considérer ces rejets comme des infractions pénales et de prévoir des sanctions appropriées pour leurs auteurs. Le projet de décision-cadre complète la proposition de directive en harmonisant le quantum des sanctions, en particulier pénales, susceptibles d'être infligées par les États membres.

La principale nouveauté du dispositif proposé concerne son champ d'application. En premier lieu, il vise à sanctionner non seulement les rejets intentionnels, mais aussi les rejets dus à des avaries survenues à la suite d'une négligence grave. En second lieu, il vise les rejets provenant de tout type de navire, quel que soit son pavillon, c'est-à-dire également les navires de pays tiers. En troisième lieu, il s'appliquera aussi bien aux eaux territoriales, qu'à la zone économique exclusive et à la haute mer. Enfin, les personnes pouvant faire l'objet de sanctions constituent un éventail très large et incluent notamment l'armateur, le propriétaire de cargaison ou la société de classification.

Une autre originalité tient aux sanctions prévues. La Commission propose ainsi d'harmoniser les sanctions pécuniaires qui sont très variables entre les États membres. En outre, contrairement à ce qui se passe actuellement avec la pratique des « Protection and Indemnity Clubs », ces pénalités financières ne pourront plus être assurables. Enfin, la Commission prévoit un ensemble de sanctions pénales, telles que la confiscation ou l'interdiction temporaire ou définitive d'exercer une activité, ainsi qu'une peine maximale d'emprisonnement d'au moins cinq à dix années pour les infractions les plus graves.

II - LES NÉGOCIATIONS AU SEIN DU CONSEIL

Ces textes suscitent un clivage opposant deux groupes d'États. Un premier groupe, emmené par la France, l'Espagne et le Portugal, soutient la Commission et adopte une position volontariste sur ce dossier. Un deuxième groupe, composé des pays nordiques, de l'Allemagne et de la Grèce, conteste la proposition de la Commission car il ne souhaite pas s'écarter sur le plan européen des solutions retenues au niveau international.

En raison des réticences de ces États, les négociations au sein du Conseil ont abouti à diminuer considérablement la portée du texte initial. Ainsi, la définition du rejet « illicite » proposée par la Commission avec le soutien de la France, qui incluait l' « accident de mer dû à une négligence grave », a été contestée au motif qu'elle irait au delà de la convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, dite Convention MARPOL 73/78. De la même manière, les sanctions pénales ne sont plus précisées dans le texte, qui opère un renvoi au droit national, et elles ne pourraient s'appliquer que dans la mesure où le droit international l'autorise. Même l'harmonisation des sanctions pécuniaires, vivement souhaitée par la France, est contestée par certains États, comme l'Allemagne, l'Autriche et la Grèce, qui ont obtenu son retrait du texte actuel. Cette harmonisation constitue pourtant la principale valeur ajoutée de la proposition, dès lors que seules ces sanctions pécuniaires peuvent être appliquées aux navires des pays tiers hors des eaux territoriales. En effet, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, qui date de 1982, prévoit trois types de restrictions, s'agissant des navires étrangers. Tout d'abord, les infractions commises en haute mer ne peuvent être sanctionnées que par l'État du pavillon. Ensuite, dans la zone économique exclusive, les navires étrangers ne sont passibles que des seules sanctions pécuniaires. Enfin, dans les eaux territoriales, les peines d'emprisonnement ne sont possibles que s'il s'agit d'un acte de pollution délibéré et grave.

On retrouve donc ici l'obstacle de l'unanimité, qui revient à conférer un droit de veto à chaque État et qui se traduit par des compromis a minima. Or, la perspective de l'adhésion au 1er mai 2004 des pays candidats, dont certains ne présentent pas toutes les garanties nécessaires en matière de sécurité maritime, présente un risque sérieux d'enlisement des discussions sur cette initiative.

III - LA POSITION DE NOTRE DÉLÉGATION

Dans ce contexte, je pense que notre délégation pourrait marquer son soutien à la position du gouvernement, qui rejoint très largement celle de la Commission européenne. En effet, la France a fait de la sécurité maritime l'une de ses priorités et le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a considérablement renforcé notre arsenal législatif de lutte contre la pollution par les navires.

Je voudrais néanmoins faire quelques observations.

Tout d'abord, je crois qu'il serait dangereux, et même contre-productif, de renforcer les sanctions pénales, en particulier les peines d'emprisonnement, tout en limitant la possibilité d'imposer ces sanctions uniquement aux navires battant pavillon communautaire. Cela risquerait, paradoxalement, de pénaliser les marins et les armateurs européens, qui sont souvent plus respectueux des normes de sécurité, et de favoriser les pavillons de complaisance. On irait ainsi à l'encontre de l'objectif visant à favoriser le retour aux pavillons des États membres. Il me semble donc nécessaire de mener une réflexion au niveau de l'Organisation maritime internationale (OMI) pour modifier les règles internationales applicables dans ce domaine. En tout état de cause, je considère qu'il est indispensable de prévoir une harmonisation élevée des sanctions pécuniaires, comme le propose le gouvernement, car, en l'état du droit international, seules ces sanctions sont applicables aux navires des pays tiers au delà des eaux territoriales.

Ensuite, si je partage l'objectif de la Commission de renforcer le volet répressif, je considère que la véritable priorité serait de développer et de coordonner les moyens de contrôle et d'intervention. En matière de rejets illégaux, il ne sert à rien de se doter d'un arsenal législatif très répressif, si les États n'ont pas les moyens de repérer les rejets. Je considère donc qu'il est indispensable d'imposer à tous les navires à destination des ports de l'Union ou en transit à proximité de nos côtes, d'être équipés de système d'identification automatique (balises), ainsi que d'enregistreurs des données du voyage (boîtes noires). Seules ces mesures permettraient réellement de faciliter les enquêtes sur les accidents, non seulement en matière de pollution, mais aussi en cas de collision, comme l'illustre le drame récent du chalutier « Bugaled Breizh ». J'ai d'ailleurs eu l'occasion de sensibiliser les services de la Commission sur cette question lors d'un récent déplacement à Bruxelles, au cours duquel je me suis notamment entretenu avec le directeur général de la Commission européenne chargé des transports, François Lamoureux. Dans cette optique, il me paraît également souhaitable que tous les ports de l'Union se dotent d'installations de réception des déchets d'exploitation des navires et des résidus de cargaison, conformément à la directive communautaire du 7 septembre 2000.

Enfin, il me semble que, face aux réticences de certains États, le recours au mécanisme de la « coopération renforcée » pourrait présenter un réel intérêt. Cela permettrait, en effet, aux États qui le souhaitent de réellement progresser dans le domaine de la sécurité maritime sans devoir s'aligner sur le « moins disant » européen. Le sommet franco-espagnol de Malaga, le 26 novembre 2002, a d'ailleurs permis de réaliser de notables avancées dans le domaine de la sécurité maritime. Compte tenu des enjeux et des fortes attentes des citoyens dans ce domaine, il me paraît indispensable de réaliser de véritables avancées. Au dogme de la liberté des mers et de l'impunité de l'État du pavillon, issu du XIXème siècle, doit succéder, au XXIème siècle, le primat de la sécurité.


Compte-rendu sommaire du débat

M. Lucien Lanier :

Je suis sceptique sur l'idée de renforcer les peines d'emprisonnement, pour des raisons d'efficacité, étant donné les limites posées par le droit international maritime qui exclut dans une large mesure les navires étrangers, et compte tenu du risque de criminaliser les marins, plutôt que les armateurs.

En revanche, je partage pleinement votre préoccupation concernant les pénalités financières. Il me semble que c'est le moyen le plus efficace de toucher les véritables responsables des pollutions maritimes. Il est donc impératif à mes yeux que ces sanctions pécuniaires soient réintroduites dans la proposition et qu'elles fassent l'objet d'une harmonisation élevée au niveau européen.

Par ailleurs, je m'interroge sur la pertinence de la disposition prévoyant que les « amendes ne sont pas assurables ».

M. Jacques Oudin :

Je rappellerai qu'il s'agit ici d'amendes infligées en tant que sanctions pénales. Une interdiction d'assurance me semble donc justifiée.

Je comprends votre interrogation sur le renforcement des peines d'emprisonnement, compte tenu des règles internationales, et votre souci de renforcer en priorité les sanctions pécuniaires. Mais je considère que le renforcement des sanctions pénales devrait concerner tout l'éventail des sanctions, y compris les peines privatives de liberté.

M. Pierre Fauchon :

Je m'interroge, tout d'abord, sur la base juridique de ces propositions. L'Union européenne a-t-elle réellement une compétence pour harmoniser les incriminations et les sanctions en matière de pollution maritime ? Sur quelle base juridique peut-on se fonder pour réaliser cette harmonisation ?

Je rappellerai également que la loi sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui a été longuement examinée par notre assemblée et qui a été adoptée définitivement le 11 février dernier, prévoit dans son article 30 de renforcer les sanctions pénales en matière de pollution par les navires. Cette loi modifie substantiellement les dispositions du Code de l'environnement en aggravant l'échelle des peines principales et complémentaires à l'égard des personnes responsables d'infractions en matière de pollution des eaux maritimes par rejet des navires. Le barème des peines d'emprisonnement et d'amendes tient compte à la fois de la taille du navire, du caractère volontaire ou involontaire de la pollution, ainsi que de ses conséquences sur l'environnement. Il me semble donc important que le gouvernement tienne compte, lors des négociations sur ces propositions au niveau européen, de ces éléments.

Sous cette réserve, je partage l'idée que le renforcement des sanctions devrait concerner toute la gamme des sanctions, y compris les peines privatives de liberté.

M. Jacques Oudin :

Le choix de la base juridique est une question sensible car ce point a fait l'objet d'un conflit entre le Conseil et la Commission. La Commission européenne a proposé, dans un premier temps, une directive communautaire car elle considère qu'on peut se fonder sur un instrument du premier pilier pour prévoir des sanctions, y compris pénales, en cas de violation du droit communautaire. Cette interprétation a cependant été contestée par l'ensemble des États membres, dont la France, au motif que le traité sur l'Union européenne réserve à un instrument du troisième pilier (la décision-cadre) l'objectif de rapprochement des législations pénales. On se trouve donc en présence de deux instruments, l'un fondé sur le premier pilier, l'autre sur le troisième pilier, qui sont en réalité indissociables.

La loi d'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité fait de notre dispositif national l'un des plus sévères et des plus complets en matière de pollution maritime. Toutefois, l'application de ces règles est limitée en haute mer par la loi du pavillon. Par ailleurs, même au sein de l'Union européenne, les législations des États membres restent très divergentes. Il est donc indispensable d'harmoniser au niveau international et sur le plan européen les règles applicables dans ce domaine. Et, pour réaliser cette harmonisation européenne, le Gouvernement propose de reprendre dans la décision-cadre les dispositions contenues dans la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, notamment en matière de quantum des peines d'amendes et d'emprisonnement.

Plus généralement, face aux réticences de certains États, je crois qu'il est nécessaire que notre délégation manifeste son soutien à la position du gouvernement en faveur de l'adoption rapide d'un ensemble harmonisé de sanctions pénales réellement dissuasives et comportant des peines privatives de liberté.

*

A l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Vu le projet de décision-cadre visant le renforcement du cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires (texte E 2291),

1. Approuve les dispositions proposées par la Commission sous les deux réserves suivantes :

- des sanctions pénales devraient être prévues à l'encontre de toute personne qui occasionne délibérément, ou accidentellement en raison de sa négligence, une pollution maritime, quel que soit le pavillon du navire ;

- des pénalités financières devraient être incluses dans la proposition et faire l'objet d'une harmonisation selon des modalités garantissant qu'elles soient réellement dissuasives, proportionnelles et efficaces ;

2. Suggère de recourir au mécanisme de la coopération renforcée dans le cas où le texte proposé par la Commission se heurterait à l'opposition de certains États ;

3. Estime que les navires à destination des ports de l'Union ou en transit à proximité des côtes européennes devraient être équipés de systèmes d'identification automatique ainsi que d'enregistreurs des données de voyage.