COM (2005) 649 final  du 15/12/2005
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 18/12/2008

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 27/12/2005
Examen : 03/10/2006 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Règles procédurales en matière d'obligations alimentaires

Texte E 3044 - COM (2005) 649 final

(Procédure écrite du 3 octobre 2006)

L'augmentation du nombre de séparations des couples, ainsi que la plus grande mobilité des citoyens de l'Union, contribuent au développement des contentieux transfrontaliers en matière de pensions alimentaires. Cette proposition de règlement, qui fait suite à la publication, en avril 2004, d'un livre vert sur les obligations alimentaires, vise donc à améliorer le recouvrement effectif des pensions alimentaires dans les situations transfrontalières, c'est-à-dire lorsque les personnes divorcées ou séparées résident dans des États différents. Elle s'inscrit dans le cadre du mandat politique confié en ce sens à la Commission par le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999 et du programme de reconnaissance mutuelle des décisions en matière civile et commerciale adopté par le Conseil et la Commission le 30 novembre 2000.

Cette proposition de règlement est le premier texte consacré exclusivement aux obligations alimentaires. Elle regroupe dans un instrument unique l'ensemble des dispositions relatives au recouvrement des pensions alimentaires. Elle devrait primer sur les textes de portée générale qui s'appliquaient jusqu'alors en la matière, tels le règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ou le règlement du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées.

Ce texte, dont l'objet est d'améliorer la situation des créanciers, fixe un certain nombre de règles en ce qui concerne les contentieux relatifs aux pensions alimentaires :

1. la détermination de la juridiction compétente et de la loi applicable

Le texte s'inspire en la matière des règles classiques du droit international privé, notamment de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 concernant la loi applicable aux obligations alimentaires, actuellement en cours de refonte.

Il prévoit que le tribunal compétent pour ce type d'affaire devrait normalement être celui du pays de résidence habituelle soit du créancier, soit du débiteur, à moins que les deux parties ne se soient accordées, par écrit, sur un autre tribunal compétent. En l'absence de choix et de pays de résidence habituelle, le tribunal de l'État membre de leur nationalité commune ou de leur dernière résidence habituelle devrait être compétent.

Le texte devrait disposer que la loi du pays dans lequel le créancier a sa résidence habituelle régit les obligations alimentaires. Toutefois, lorsque cette loi a pour effet d'interdire au créancier d'obtenir une pension alimentaire, elle pourrait être écartée au profit de la loi du for - c'est-à-dire la loi applicable dans le pays dans lequel le juge statue. En outre, le texte prévoit que les deux parties pourraient convenir, par écrit, qu'une autre loi sera applicable, mais leur choix devrait se limiter au droit de leur nationalité commune, du pays de résidence habituelle ou de leur propriété mutuelle.

Il est à noter que ce texte pourrait donc conduire à donner compétence à une juridiction d'un pays tiers de l'Union européenne ou à appliquer la loi d'un tel État.

Le texte devrait par ailleurs imposer au juge, quelle que soit la loi applicable lorsqu'il statue, un certain nombre de règles de fond. Ainsi, celui-ci devrait tenir compte des besoins du créancier et de la situation financière du débiteur pour fixer le montant de la pension alimentaire. Le texte prévoit également que l'obligation alimentaire devrait être payée par préférence à toute autre dette.

2. les règles de procédure, de reconnaissance mutuelle et d'exécution des décisions

Afin de faciliter le recouvrement effectif des pensions alimentaires, le texte confère à la décision rendue par le tribunal un caractère exécutoire de plein droit, nonobstant tout éventuel recours prévu par le droit national. Il dispose également qu'un État membre, lorsqu'il exécute la décision rendue par le tribunal d'un autre État membre, ne peut la réviser au fond. L'État ne devrait d'ailleurs pouvoir surseoir à l'exécution de la décision que dans un certain nombre de cas, limitativement énumérés. En outre, le texte prévoit deux séries de mesures :

- la suppression de la procédure d'exequatur - procédure par laquelle les décisions de justice d'un État membre doivent être formellement reconnues par un autre État membre pour être appliquées. Une décision rendue par un tribunal étranger en matière d'obligation alimentaire pourrait ainsi devenir directement exécutoire dans tous les États membres, sans traduction, sous réserve d'être accompagnée d'un formulaire unifié. Si cette disposition s'inscrit dans la droite ligne des principes fixés par le programme de reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière civile et commerciale du 30 novembre 2000, le gouvernement français estime toutefois qu'elle est susceptible de poser des difficultés, au regard de la diversité des règles en matière d'obligations alimentaires dans les systèmes juridiques des États membres et de l'absence de traduction des décisions judiciaires rendues. Il considère que la suppression de la procédure d'exequatur implique l'élaboration de normes minimales de procédure, afin de garantir le respect des droits de la défense. A ce titre, l'absence prévue de traduction des décisions lui semble difficilement admissible.

- la possibilité, pour le tribunal d'origine, d'ordonner, à la demande du créancier, l'exécution forcée de sa décision. Le texte prévoit deux dispositifs d'exécution forcée : d'une part, « l'ordre de prélèvement automatique mensuel », qui s'apparente à la saisie-attribution en droit français et permet au créancier de récupérer les sommes que lui doit son débiteur à partir de son compte bancaire ou de ses rémunérations ; d'autre part, « l'ordre de gel temporaire d'un compte bancaire », qui se rapproche de la saisie conservatoire et interdit tout mouvement sur le compte bancaire qui aurait pour effet d'empêcher le débiteur d'acquitter son obligation alimentaire. Le gouvernement français se montre hostile à ces deux mécanismes. Il estime qu'ils portent atteinte aux droits de la défense et qu'ils présentent l'inconvénient d'écarter d'emblée toute phase amiable d'exécution au profit d'un recours systématique à l'exécution forcée, ce qui va à l'encontre du mouvement en cours aujourd'hui qui vise à encourager la conciliation. Le gouvernement propose, à la place, que les créanciers soient informés sur les voies d'exécution dans tous les États membres.

En contrepartie de ces mesures destinées aux créanciers, la proposition de règlement devrait imposer un certain nombre de règles pour garantir les droits de la défense. Il s'agit, notamment, de la fixation d'un délai minimal de 30 jours entre la notification de l'acte introductif d'instance au défendeur et l'examen de l'affaire devant le tribunal.

3. les règles de coopération mises en oeuvre par les autorités centrales

Le texte prévoit que chaque État membre pourrait désigner une ou plusieurs autorités centrales chargées de transmettre, au niveau national, les actes en matière d'obligations alimentaires. Ces autorités auraient pour fonction non seulement de coopérer sur des questions d'ordre général, telles que la communication d'informations sur les législations et procédures nationales en matière d'obligations alimentaires, mais aussi d'aider les créanciers en les assistant voire en les représentant dans leurs actions judiciaires et leurs procédures d'exécution. Dans ce cadre, elles pourraient notamment être autorisées à communiquer aux créanciers des informations sur la localisation du débiteur, l'évaluation de son patrimoine, l'identification de son employeur et de son compte bancaire.

Le gouvernement français estime que le champ de la mission confiée par ce texte aux autorités centrales est trop large. Il considère que ce texte serait susceptible de transformer ces autorités, traditionnellement chargées de la coopération, en « auxiliaires de justice des créanciers » dotés de pouvoirs d'investigation étendus. Il devrait donc s'opposer à ces dispositions qui lui semblent préjudiciables aux droits de la défense. Cette position est d'ailleurs partagée par le contrôleur européen de la protection des données, Peter Hustinx, qui, dans un avis rendu le 15 mai 2006, a estimé que les possibilités d'échanges des données entre les administrations offertes par le texte étaient susceptibles de porter atteinte au respect de la vie privée.

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L'Irlande, qui, en vertu d'un protocole annexé au traité instituant la Communauté européenne, ne participe pas de droit à l'application du titre IV de ce traité, sur lequel se fonde cette proposition de règlement, a fait savoir à la Commission qu'elle souhaitait que ce règlement lui soit applicable. En revanche, le Danemark et le Royaume-Uni n'y prendront pas part, même si le Royaume-Uni a participé aux réunions du comité sur les questions de droit civil du Conseil sur ce texte.

L'adoption de cette proposition exige l'unanimité du Conseil après consultation du Parlement européen. En effet, bien que le traité de Nice ait étendu le champ de la codécision au domaine de la coopération judiciaire civile, il a maintenu la nécessité d'un vote à l'unanimité pour les aspects touchant au droit de la famille.

Toutefois, la Commission souhaiterait voir le Parlement européen jouer un rôle plus important dans ce dossier. Aussi a-t-elle annexé à sa proposition de règlement une communication dans laquelle elle invite le Conseil à permettre l'adoption en codécision des textes relatifs aux obligations alimentaires, en vertu de la clause passerelle prévue par l'article 67 paragraphe 2 du traité instituant la Communauté européenne. Cette clause, introduite par le traité d'Amsterdam en 1997, permet en effet au Conseil de décider à l'unanimité, après consultation du Parlement européen, de passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision avec le Parlement européen pour tout ou partie des domaines couverts par le titre IV du traité instituant la Communauté européenne. La Commission invoque, à l'appui de sa demande, l'argument selon lequel les obligations alimentaires présenteraient une nature hybride : si elles relèvent certes du droit de la famille par leurs racines, elles reposent sur le droit des obligations financières dans leur mise en oeuvre, comme n'importe quelle autre créance. Or, c'est bien la procédure de codécision qui s'applique aux actes relatifs au recouvrement des créances, comme en témoigne l'adoption du règlement du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées. Néanmoins, lors des discussions au sein du comité sur les questions de droit civil du Conseil, une majorité d'États membres a estimé que les obligations alimentaires s'inscrivaient nécessairement dans le droit de la famille et a donc rejeté la proposition de la Commission. Seule la délégation française s'est montrée favorable à la mise en oeuvre de la clause passerelle.

En l'état actuel des discussions au sein du comité sur les questions de droit civil du Conseil, aucun consensus ne semble se dégager entre les États membres, notamment en ce qui concerne le chapitre relatif à la loi applicable, dont certains États prônent la suppression. Une majorité d'États membres ont fait savoir qu'ils souhaiteraient réserver leur décision finale, dans l'attente des résultats des travaux sur la refonte de la Convention de La Haye.

La délégation tient à souligner la nécessité que ce texte assure une meilleure prise en compte des droits de la défense tout au long de la procédure ; sous cette réserve, elle a décidé de ne pas intervenir plus avant à ce propos.