COM (2005) 685 final  du 05/01/2006
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 11/07/2007

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 16/01/2006
Examen : 26/01/2007 (délégation pour l'Union européenne)


Économie, finances et fiscalité

Droit de vote des actionnaires

Texte E 3059 - COM (2005) 685 final

(Procédure écrite du 26 janvier 2007)

Le plan de modernisation et de renforcement du gouvernement d'entreprise présenté par la Commission le 21 mai 2003 déterminait deux objectifs en vue de faciliter l'exercice transfrontalier des droits des actionnaires : mettre à la disposition de ceux-ci des moyens électroniques offrant un accès aux informations pertinentes avant la tenue d'une assemblée générale et étendre les possibilités d'exercice de leurs droits.

La directive « transparence » 2004/109/CE adoptée en 2004 ne satisfaisait qu'imparfaitement cette double exigence. Cantonnée aux seules informations que les émetteurs doivent divulguer au marché, elle n'aborde pas la procédure de vote en elle-même ni n'esquisse de solution aux difficultés rencontrées par les actionnaires transfrontaliers. Celles-ci sont nombreuses, qu'il s'agisse de la difficulté d'accès à l'information en prévision d'une assemblée générale, de la complexité des opérations de vote notamment par procuration ou de l'obligation de blocage des actions avant l'assemblée générale.

Complétant la directive « transparence », la présente proposition de directive rappelle l'égalité de traitement entre actionnaires pour la participation et le vote (article 4) et répond de fait au double objectif de 2003 en préconisant plusieurs mesures autour de quatre principes généraux :

 Mettre en oeuvre des délais raisonnables pour convoquer les actionnaires aux assemblées générales et les informer de façon concomitante. L'article 5 harmonise ainsi les règles de convocation de l'assemblée générale en établissant un préavis d'au moins trente jours, solution déjà retenue par la France au travers du principe de double convocation (avis de réunion adressé 30 jours avant l'assemblée générale suivi d'un avis de convocation au plus tard 15 jours avant l'assemblée générale) ;

 Supprimer toute forme de blocage des actions avant une assemblée générale. L'article 7 prévoit de fait son remplacement par un système de date d'enregistrement, en vue de ne pas empêcher un exercice effectif du droit de vote ;

 Favoriser dans la mesure du possible la participation électronique auxdites assemblées (article 8). L'article 15 prévoit, pour sa part, la mise en ligne des résultats des votes ;

 Rendre possible le vote des actionnaires non-résidents sans condition de présence physique. Les articles 10 et 11 limitent ainsi les possibilités de restriction concernant les personnes pouvant recevoir une procuration, quand l'article 13 autorise les personnes ou entités qui agissent à titre professionnel de voter sur instructions. L'article 12 permet de voter par courrier ou par voie électronique.

Par ailleurs, le texte dépasse le cadre des problèmes transfrontaliers pour établir des règles communes visant l'organisation des assemblées générales. L'article 6, sans fixer de délai précis, laisse aux actionnaires qui détiennent une participation d'au moins 5 % du capital la possibilité d'ajouter des points à l'ordre du jour de l'assemblée générale et déposer des résolutions. L'article 9 consacre, quant à lui, le droit de poser des questions par écrit, sous forme électronique ou par oral avant l'assemblée.

La proposition de directive ne vise uniquement que les assemblées générales des émetteurs dont le siège statutaire est situé dans un État membre et dont les actions sont négociées sur un marché réglementé (article 1).

I - MALGRÉ UN OBJECTIF COMMUN, LE TEXTE PROPOSÉ RESTE EN DEÇÀ DES NORMES FRANÇAISES

Le renforcement des droits de vote des actionnaires transfrontaliers a largement été abordé par le législateur français à l'occasion de l'adoption en 2001 de la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques.

Promulguée le 15 mai 2001, cette loi permet aux actionnaires non-résidents de déléguer leurs droits de vote à des intermédiaires agissant pour leur compte, à la condition que ceux-ci puissent dévoiler l'identité des investisseurs et justifier des instructions de vote si l'émetteur en fait la demande. Elle autorise également le vote électronique aux assemblées générales, même si celui-ci demeure délicat à mettre en oeuvre au regard du régime complexe de la signature électronique. Le législateur a également aboli le blocage des actions au profit du système plus souple de l'immobilisation révocable. Celle-ci devrait néanmoins être prochainement abandonnée au profit du principe de date d'enregistrement.

Le Groupe de Travail « Pour l'amélioration des droits de vote des actionnaires en France » constitué par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) a, pour sa part, appelé de ses voeux plusieurs mesures dans son rapport publié en septembre 2005, au nombre desquels on retrouve la mise en ligne de la documentation relative à l'assemblée générale, l'adoption d'un système de date d'enregistrement en lieu et place de l'immobilisation révocable, ou la clarification des règles de vote des intermédiaires.

Dans la foulée de son rapport, l'AMF a préconisé en avril 2006 de publier les avis de réunion et de convocation sur les sites Internet des sociétés concernées, de doubler cette publication de communiqués de presse précis et de favoriser la communication de documents préparatoires à l'assemblée générale. Les récentes recommandations de l'Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA) concernant la diffusion des exposés des motifs et des tableaux de synthèse des résolutions du Conseil d'administration insistent également sur la parution de ces informations sur les sites Internet des sociétés.

Cependant, malgré l'écho donné par la proposition de directive à ces initiatives, le texte de la Commission comporte plusieurs difficultés majeures au regard du droit français.

Une définition trop large de l'actionnaire

Ainsi, la définition de l'actionnaire prévue à l'article 2 confère la qualité d'actionnaire aux personnes détenant des actions en leur nom propre pour leur propre compte, mais également pour le compte d'une autre personne physique ou morale. Alors que l'objectif initial de la Commission visait à assurer à l'investisseur une participation à l'assemblée générale et un droit de vote effectifs, une telle définition tend à considérer comme actionnaire tout intermédiaire situé dans la chaîne de détention d'actions et à s'écarter, de facto, de la principale motivation du texte. La définition retenue par la Commission s'appuie en fait sur le modèle anglo-saxon, qui distingue au sein des intermédiaires le trust, institution à qui est transférée la propriété des biens en échange d'en remettre le revenu ou le capital, et le gérant du trust disposant alors du droit de vote. Néanmoins, en l'absence de précision, il convient de s'interroger sur la valeur de cet article.

A cette définition partielle, se conjugue l'absence d'une règle commune permettant de déterminer la personne habilitée à exercer le droit de vote, les dispositions prévues en la matière (article 13) étant circonscrites aux seuls intermédiaires professionnels.

Une dérégulation de la désignation des mandataires risquée

En supprimant toute restriction à la désignation de mandataires, l'article 10 remet en question le principe de l'« affectio societatis » inscrit à l'article L.225-106 du Code du Commerce, en vertu duquel les procurations confiées par l'actionnaire doivent préserver le lien d'intérêt existant envers la société et ne concerner, par conséquent, que le conjoint de l'investisseur, d'autres actionnaires de la société ou le président de l'assemblée générale. Cette disposition garantit l'implication de l'actionnaire dans la vie de la société dont il a acquis des titres. En effet, la conception française, voire continentale, de l'assemblée générale fait de celle-ci une réunion privée entre associés responsables approuvant les comptes, désignant les dirigeants et participant, par le vote, à la définition des objectifs de la société. La suppression de toute contrainte sur la désignation du titulaire de la procuration revient donc à rompre avec cette orientation et favoriser un désintérêt pour la gestion de la société, à l'instar des dérives constatées aux États-Unis où le mandataire d'actionnaires (proxy) se spécialise dans la récolte de procurations par voie d'appel public au mandat et se mue, par la suite, en véritable marchand de voix.

Considérés comme actionnaires aux termes de l'article 2 de la présente proposition, les mandataires pourraient participer à l'assemblée générale (droit de prendre la parole, de poser des questions) et voter, sans qu'aucune exigence formelle en matière d'instructions de l'actionnaire ne soit exigée (article 11), et cela au risque qu'ils ne répercutent pas intégralement la volonté de l'actionnaire. Le rapport de l'AMF visé plus haut proposait un encadrement de l'appel public aux mandats d'actionnaire en vue d'informer les investisseurs intéressés des objectifs, puis de l'exécution dudit mandat. Cette option n'a pas été reprise par la Commission.

La seule limite apportée par la présente proposition de directive à la désignation de mandataires vise les conflits d'intérêts potentiels entre l'actionnaire et son représentant. A cet effet, le texte laisse aux législations des États membres la possibilité d'empêcher les titulaires de liens (d'affaires, de famille ou autres) avec l'émetteur, les actionnaires majoritaires dudit émetteur, ou les personnes faisant partie de la direction de l'émetteur ou de celle de l'un des actionnaires majoritaires, d'exercer le droit de vote en cas de désignation comme mandataire. Toutefois, en se cantonnant aux liens entre le mandataire et l'émetteur, le texte n'envisage pas la possibilité de conflits d'intérêts entre la société et le titulaire de la procuration, potentiellement préjudiciables à l'actionnaire.

De fait, cette limitation ne permet de juguler que partiellement le risque de dévoiement des intentions de l'investisseur, risque déjà exacerbé par la remise en cause de l' « affectio societatis ».

Des dispositions peu étayées concernant l'obligation de transparence des intermédiaires

L'article 13 consacre le droit pour les mandataires professionnels de conserver, dans des comptes collectifs, des actions pour le compte de plusieurs tiers et supprime de facto l'exigence de compte individuel. Il vise également les conditions dans lesquelles s'exercent les droits de vote attachés aux titres qu'ils détiennent, si des instructions de vote données par l'investisseur existent. Si l'intention est louable, elle ne constitue en rien une tentative de mettre en avant une règle commune, l'application du texte demeurant en effet limitée aux seuls États membres disposant d'une législation en la matière. Le système français d'intermédiaire inscrit est, de surcroît, plus précis en imposant à ceux-ci de fournir l'identité et le nombre d'actions détenues par l'actionnaire réel.

Par ailleurs, en limitant les exigences concernant le droit de vote aux seuls intermédiaires, l'article 13 met ainsi en avant leur spécificité et relativise ainsi la portée de l'article 2 qui tend à considérer tout intermédiaire comme un actionnaire.

Quel délai pour la date d'enregistrement ?

L'article 7 de la proposition de directive tend à interdire toute forme d'immobilisation des actions préalablement aux assemblées générales, pour mettre en place un système fondé sur l'inscription au registre des actionnaires à une date donnée (record date). Le blocage des actions dissuade en effet les investisseurs de voter en les empêchant de vendre leurs actions avant l'assemblée générale. L'immobilisation induit également un risque financier au regard des fluctuations possibles des cours durant la période de blocage. La solution préconisée par la Commission, déjà envisagée dans le rapport de l'AMF, peut être satisfaisante, à condition que la fixation de la date d'enregistrement ne soit pas trop éloignée de la date de tenue de l'assemblée générale. Un tel système conduirait en effet de nombreux ex-actionnaires à disposer du droit de vote à la place des acquéreurs de leurs titres, remettant en cause une nouvelle fois l' « affectio societatis ».

Le texte de la Commission ne propose à ce sujet qu'une harmonisation minimale - la date d'enregistrement ne peut précéder l'assemblée générale de plus de 30 jours - et laisse à chaque État membre le soin de fixer la date d'enregistrement. En multipliant les différences de traitement selon les pays concernés, cette option fragilise la portée du texte et semble peu encline à favoriser l'exercice effectif du droit de vote par les non-résidents.

Les problèmes soulevés par le texte ont conduit les autorités françaises à proposer plusieurs modifications substantielles dont les compromis présentés par les présidences autrichienne et finlandaise se font l'écho.

II - UN TEXTE SUBSTANTIELLEMENT AMÉLIORÉ PAR LES DÉBATS AU SEIN DU GROUPE DE TRAVAIL

Les compromis présentés par les présidences autrichienne et finlandaise ont permis d'améliorer la rédaction du texte en vue de tenir compte des réserves formulées notamment par la France.

L'article 2 modifié renvoie ainsi à la législation des États membres le soin de définir l'actionnaire. L'article 10 modifié permet désormais aux États de limiter le nombre de personnes aptes à détenir une procuration lors des assemblées générales, au regard notamment de tout risque de conflit d'intérêts. Le même article rappelle formellement l'obligation de respect des instructions de l'actionnaire par le mandataire. Enfin, l'article 13 modifié impose désormais expressément aux intermédiaires financiers de respecter les intentions des actionnaires.

La nouvelle rédaction de l'article 7 fait place à la mise en oeuvre d'un délai minimum de 6 jours entre la date de la convocation et la date d'enregistrement. Cette condition est néanmoins assortie de l'obligation expresse pour les États membres de ne fixer qu'une seule date d'enregistrement. Cette adaptation limitée du texte initial a recueilli l'adhésion des autorités françaises.

À l'occasion des discussions du groupe de travail, la présidence autrichienne a également proposé que l'article 9, qui consacre le droit de poser des questions écrites avant une assemblée générale, prévoit également une obligation de réponse avant la tenue de l'assemblée. Cette proposition récusée par la France au motif qu'elle contribuerait à créer une assemblée générale permanente n'a finalement pas été retenue dans le dernier compromis finlandais.

La France s'est par ailleurs associée à l'amendement proposé par la délégation suédoise portant sur l'article 12 de la proposition. Cette modification, qui vise à prendre en compte les circonstances exceptionnelles pouvant apparaître après le vote, doit contribuer à garantir l'indépendance de l'actionnaire, en mettant au même niveau d'information l'actionnaire votant lors de l'assemblée générale et l'actionnaire votant in absentia qui ne dispose qu'a posteriori de tous les éléments d'appréciation.

Les délégations britannique et irlandaise ont, pour leur part, souhaité que le vote à main levée puisse être rétabli sous condition d'unanimité des actionnaires. Cette option, soutenue par la Commission, n'apparaît pas antithétique du souhait initialement affiché de prendre en compte les votes par correspondance (article 14). En effet, tout actionnaire absent pourrait signaler par avance son veto au vote à mains levées. Cette conditionnalité permet à la France de lever ses réserves sur cet amendement.

Au regard des avancées proposées par les compromis successifs et de l'avis favorable qu'ont formulé les autorités françaises, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte.