COM(2011) 121 final
du 16/03/2011
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 25/03/2011Examen : 07/06/2011 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 580 rectifié (2010-2011) : voir le dossier legislatif
Économie, finances et fiscalité
Texte E 6136
Proposition de résolution
de M. Pierre Bernard-Reymond
sur l'harmonisation des bases de l'Impôt
sur les sociétés (IS)
COM (2011) 121 final
(Réunion du mardi 7 juin 2011)
M. Jean Bizet :
Nous avons aujourd'hui deux propositions de résolution à notre ordre du jour. Cela me conduit à faire une remarque générale. Le nombre des résolutions européennes examinées et le plus souvent adoptées par le Sénat augmente. Cela vient en partie de la réforme du Règlement qui a rendu cette procédure bien plus rapide. Mais cela vient aussi, je crois, que nous voyons que cette procédure est utile. Les résolutions européennes sont d'abord un outil de contrôle du Gouvernement. Dès lors que nous lui avons fait connaître nos orientations en temps utile, nous pouvons lui dire : quelle suite avez-vous donnée à nos prises de position ? Nous avons une base pour le contrôle. Par ailleurs, la concertation interparlementaire se développe de plus en plus, et nos partenaires nous demandent quelle est la position du Sénat sur tel ou tel sujet. Lorsqu'il y a une résolution européenne, nous pouvons répondre de façon indiscutable. Mais aussi, dans bien des cas, il faut dire qu'une résolution peut aider à soutenir la position française. Lorsque le Gouvernement peut dire qu'il y a des exigences de son Parlement dont il doit tenir compte, sa position est plus forte vis-à-vis de ses interlocuteurs (qui ne se privent d'ailleurs pas d'utiliser le même argument). Je crois donc que c'est une bonne chose que la procédure des résolutions européennes devienne plus habituelle.
Nous allons examiner en premier lieu une proposition de résolution présentée par notre collègue Pierre Bernard-Reymond et concernant la possibilité de faire entrer dans le droit européen une méthode de calcul de l`assiette taxable à l'impôt sur les sociétés qui serait commune à tous les États-membres : il s'agir du projet de directive dite « ACCIS », c'est-à-dire « assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés ». Je lui donne la parole.
M. Pierre Bernard-Reymond :
Le 16 mars 2011, la Commission européenne a proposé d'adopter une méthode, commune à tous les États membres, pour calculer l'assiette de l'impôt pesant sur les sociétés actives dans l'Union européenne. En effet, la Commission estime que le seul moyen de lutter contre les entraves fiscales auxquelles se heurtent les entreprises qui opèrent dans plus d'un État membre au sein du marché intérieur est de permettre à ces entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne.
L'objectif de cette proposition de directive est de réduire considérablement la charge administrative, les coûts de mise en conformité et les incertitudes juridiques auxquels les entreprises de l'Union font face pour se conformer à 27 régimes nationaux différents lors de l'établissement de leur bénéfice imposable.
L'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés permettrait aux entreprises de produire leurs déclarations fiscales dans un seul État membre et de consolider les profits et les pertes qu'elles enregistrent dans toute l'Union. Les États membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l'impôt sur les sociétés.
Ce système resterait facultatif pour les entreprises, ce qui ne règlerait donc pas définitivement le problème fondamental que constitue la coexistence de 27 systèmes fiscaux différents, mais la Commission considère que la création d'un 28e régime fiscal optionnel constituerait toutefois un premier progrès vers l'harmonisation fiscale ainsi qu'une forme d'expérimentation.
L'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés est un ensemble unique de règles de détermination du résultat imposable : une société - ou un groupe de sociétés - éligible ne devrait plus se conformer qu'à un seul régime au sein de l'Union pour calculer son résultat imposable, plutôt qu'aux différents régimes propres à chacun des États membres dans lesquels l'activité est exercée. Les sociétés soumises au régime de l'ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu'une seule déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'Union, profitant ainsi d'un « guichet unique », celui de l'État membre de leur siège.
Les résultats imposables consolidés de la société seraient ensuite répartis entre chacune de ses entités nationales qui la constituent selon une formule simple de répartition permettant à chaque État membre d'imposer les bénéfices des sociétés résidentes sur son sol, au taux d'imposition choisi par celui-ci, comme c'est le cas aujourd'hui.
A première vue donc, seule la méthode de calcul de l'assiette imposable changerait. Il faut remarquer cependant que l'assiette elle-même pourrait subir quelques variations soit dans sa taille globale soit dans sa répartition entre les différentes entités formant un groupe. Ainsi, dans le cas d'un groupe exerçant son activité dans plusieurs pays membres, l'assiette imposable devrait être ventilée entre ses différents établissements selon une formule de répartition prenant en compte, pour un tiers chacun, le chiffre d'affaires, la main-d'oeuvre (masse salariale et nombre d'emplois) et les immobilisations. Il semble qu'il y ait là l'amorce d'une forme de péréquation qui, si elle ne change qu'à la marge l'assiette imposable globale pour le groupe, peut cependant modifier, de manière plus sensible, l'assiette locale et partant le produit fiscal pour l'État membre d'implantation de telle ou telle filiale.
La Commission avance que « sa proposition n'est pas conçue pour avoir un quelconque effet sur les recettes fiscales » et que les simulations l'auraient prouvé. Cependant la Commission ajoute que l'incidence sur les recettes des États membres dépendra en définitive « des choix stratégiques opérés au niveau national », ce qui en clair signifie que le taux d'imposition restant du ressort de chaque État membre, chacun devra savoir le moduler, si besoin était, en fonction des éventuelles variations de la base taxable pour obtenir le même produit fiscal au final.
La Commission est partie de l'idée que le système actuel est trop coûteux pour les entreprises qui exercent leurs activités dans plusieurs pays de l'Union européenne, car en l'absence de règles communes en matière d'impôt sur les sociétés, l'interaction des régimes fiscaux nationaux entraîne souvent une surimposition et une double imposition des entreprises. Cette situation décourage les investissements dans l'Union européenne et va à l'encontre des priorités fixées par la stratégie « Europe 2020 » pour le marché unique. En harmonisant la base fiscale, la concurrence fiscale devient plus loyale et plus claire puisqu'elle ne se fonde plus que sur les taux d'imposition pratiqués par les États membres.
L'ACCIS serait compatible avec la refonte des régimes fiscaux et le passage à une fiscalité écologique qui favorise la croissance puisqu'il est prévu que tous les coûts liés à la recherche et au développement soient déductibles dans le cadre de l'ACCIS. La Commission fait remarquer d'ores et déjà que malgré cette déduction, l'assiette commune conduirait à une assiette moyenne au niveau de l'Union européenne plus large que l'assiette actuelle, car l'option retenue pour l'amortissement des immobilisations est sans doute moins généreuse et les conditions de constitution et de déduction des provisions sont moins avantageuses.
Enfin la Commission réaffirme que les États membres conservent leurs règles nationales relatives à la comptabilité financière. Elle reconnaît que l'introduction du système facultatif ACCIS suppose la gestion par les administrations fiscales de deux régimes fiscaux distincts, mais elle considère que cet inconvénient est compensé par la simplification de la planification fiscale des entreprises et la baisse du nombre de litiges devant la CJUE ou du nombre de recours à la procédure amiable tels qu'ils sont prévus dans les conventions préventives de la double imposition.
Un nombre significatif de parlements nationaux ont exprimé leur opposition en mettant en avant le non-respect du principe de subsidiarité. Il semble cependant que les critiques de ces parlements traduisent surtout une opposition sur le fond. L'assiette commune étant optionnelle, on ne peut en effet considérer qu'il y a une atteinte au principe de subsidiarité puisque chaque État garde son système propre à côté du système européen.
Partant du principe que la proposition de la Commission poursuit le but de mettre un terme à la double imposition et à la surimposition, certains États membres en concluent à juste titre que l'application de l'ACCIS peut avoir pour conséquence une perte de produit fiscal, difficile à chiffrer mais correspondant au moins à ces surimpositions ou doubles impositions.
En outre, certains États s'interrogent aussi sur la consolidation des résultats qui doit avoir pour conséquence pour les entreprises faisant des bénéfices dans un État et des pertes dans un autre de compenser les uns par les autres et de payer des impôts uniquement sur le montant net.
Enfin, la ventilation de l'assiette entre les différents États membres où le groupe est installé va entraîner des gains de produit fiscal pour les uns et des réductions pour les autres. L'idée que ces variations seraient minimes ou du moins corrigibles grâce à une variation du taux de l'impôt est mal reçue par plusieurs États membres qui souhaitent continuer à afficher un taux d'impôt sur les sociétés attractif et stable. Ces considérations ont conduit bon nombre des États membres à manifester une préférence pour le maintien du statu quo.
Cette prudence s'explique également par le fait que l'impact exact de l'ACCIS sur le revenu fiscal de chaque État membre est loin d'être parfaitement connu, et que la proposition de corriger d'éventuelles variations de ce revenu en modulant le taux d'imposition est vu par certains États membres comme un moyen détourné de les forcer à augmenter leur taux d'imposition et de les priver de leur avantage comparatif.
Votre commission estime au contraire que cette proposition de directive est un progrès appréciable vers l'harmonisation fiscale et elle partage l'esprit de modération et d'expérimentation qui a animé la Commission européenne. Même si votre commission s'interroge sur le caractère optionnel de cette réforme, elle y voit l'amorce d'une meilleure lisibilité de la pression fiscale pesant sur les entreprises et partant l'établissement d'une concurrence fiscale plus loyale, tant il est vrai que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne saurait traduire le niveau réel d'imposition d'un pays par rapport à un autre quand la base imposable varie d'une pays à l'autre du fait que son mode de calcul est différent.
Votre commission saisit cette occasion pour réitérer son souhait que les taux d'imposition puissent un jour faire l'objet d'un encadrement dans une espèce de « serpent » qui écarterait les taux extrêmes. Je tiens à rappeler aussi la nécessité de faire toutes les études d'impact nécessaires pour s'assurer que la nouvelle assiette n'alourdira pas l'impôt sur les sociétés acquitté sur notre territoire. Enfin cette proposition de directive n'ayant pas reçu un accueil très chaleureux, je signale qu'il sera sans doute nécessaire d'envisager une coopération renforcée.
Compte rendu sommaire du débat
M. Jean Bizet :
Merci, cher collègue. Je pense effectivement comme vous que la coopération renforcée est une bonne méthode pour éviter la paralysie. Elle permet de faire bouger les lignes, comme le montre le cas du brevet communautaire, pour lequel nous attendions une solution depuis trente ans : vingt-cinq États sur vingt-sept participent, et pourtant l'Italie cherche encore à bloquer le processus. Sans la coopération renforcée, nous n'aurions aucune chance d'avancer.
M. François Marc :
Je rejoins notre collègue sur les avantages qu'apportera ACCIS et sur la possibilité d'atteindre à terme une harmonisation des taux : c'est pourquoi j'approuve la démarche de la Commission, mais sa proposition de directive a reçu un mauvais accueil et le chemin sera long. Dans cet esprit, j'ai déposé une proposition de loi pour corriger le système français : nous avons un taux d'IS facial très élevé d'environ 36 %, mais les grosses entreprises françaises globalisées payent 8 %. Cela démontre que l'inégalité d'appréciation des assiettes ne permet pas, à elle seule, de juger clairement d'une situation fiscale et qu'il existe d'autres facteurs importants d'iniquité fiscale. Naturellement je regrette que la Commission propose la création d'un 28ème régime au lieu d'un régime unique, ce qui rend cette proposition frileuse, mais c'est un premier pas.
M. Robert del Picchia :
Comment arrive-t-on à ce taux de 8 % ?
M. François Marc :
Grâce à plusieurs dispositifs comme le crédit d'impôt-recherche ou le régime Coppé sur les plus-values lors des cessions des filiales. Les PME, qui sont moins financiarisées ou ne bénéficient pas des meilleurs conseils en optimisation fiscale, ne peuvent pas avoir recours à ces dispositifs. Dans la pratique, les niches fiscales créent de grandes inégalités.
M. Robert del Picchia :
Mais pourquoi Peugeot s'installe-t-il en Slovaquie où le taux d'IS est de 14% alors qu'il pourrait payer 8 % en France ? Ce ne peut être que parce que le coût du travail est nettement moins cher en Slovaquie !
M. François Marc :
La fiscalité sur les sociétés n'est pas le seul aspect pris en compte par de tels groupes. D'ailleurs, d'autres pays pratiquent les « niches fiscales ». Mais je peux citer un autre exemple parlant : Total fait 11 milliards d'euros de bénéfices et ne paye pratiquement pas d'impôt en France.
M. Pierre Bernard-Reymond :
Il est certain que les groupes de taille mondiale ont tendance à optimiser la localisation des bénéfices. Le groupe que vous citez paye des impôts dans les autres pays où il est implanté. Ses bénéfices sont peu réalisés en France.
M. Roland Ries :
Je m'inquiète que ce 28ème régime puisse devenir une niche fiscale de plus : qui le choisira sinon les entreprises qui seront finalement gagnantes ? Je suis sceptique, voire réservé. Ce sont peut-être des petits pas vers l'harmonisation, mais alors de très petits pas.
M. François Marc :
Les Hollandais sont opposés à ce projet de directive parce que ce dispositif introduit plus de transparence, ce dont ils ne veulent pas dans la mesure où la Hollande pratique un taux d'IS négocié au cas par cas avec les grandes entreprises qui souhaitent s'installer sur son territoire. C'est donc en cela qu'ACCIS est quand même une avancée.
M. Robert del Picchia :
Effectivement c'est ce qui s'est passé lorsque M. Louis Schweizer a installé la nouvelle entité Renault-Nissan en Hollande à la grande surprise du Premier ministre d'alors, M. Lionel Jospin.
M. Pierre Bernard Reymond :
On pourrait également citer les entreprises américaines en Irlande. La construction européenne est en train de se gripper, notamment parce que la crise fait renaître les réflexes nationaux, et même si l'Europe a toujours progressé par petits pas, ces petits pas sont de plus en plus petits ; mais c'est mieux que rien et c'est pour cela que nous devons nous montrer favorables à ce projet de directive : si ce 28e régime est attractif, il deviendra un jour la règle commune.
M. Roland Ries :
Je connais le proverbe selon lequel tous les grands voyages commencent par un pas : encore faut-il que la direction soit la bonne ! J'aimerais en être sûr dans ce cas.
*
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution suivante, parue sous le numéro 580 :
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Conseil (E 6136) concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS),
Considérant qu'en raison des différences considérables qui existent entre les régimes fiscaux nationaux dans l'Union européenne, les entreprises se heurtent à de nombreuses difficultés pour exercer leurs activités dans plusieurs États membres et qu'ainsi elles peinent à tirer pleinement parti du marché unique mis en place pour garantir la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ;
Considérant que, faute d'une méthode de calcul unique de l'assiette imposable et faute de la possibilité de consolider leurs résultats, les entreprises exerçant leurs activités sur le territoire de l'Union, sont souvent confrontées à la surimposition et à la double imposition et que l'ACCIS leur permettra de réaliser des économies importantes ;
Considérant que la situation actuelle décourage les investissements dans l'Union et qu'elle va à l'encontre des priorités établies par l'Union dans sa communication « Europe 2020 - Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive » ;
Considérant enfin qu'une concurrence fiscale déloyale en matière de taxation des bénéfices des entreprises nuit à l'emploi et à la croissance en Europe ;
- approuve dans son esprit la démarche de la Commission telle que contenue dans sa proposition de directive ;
- juge que cette proposition de directive est une étape importante et positive dans l'établissement progressif d'une harmonisation fiscale européenne ;
- estime que l'ACCIS constitue le pendant indispensable à la future société de droit européen ;
- s'interroge sur la faculté laissée
aux sociétés d'opter pour l'ACCIS ou de se maintenir dans le
système actuel dans la mesure où ce choix compliquera la
tâche des services fiscaux et surtout dans la mesure où la
concurrence fiscale entre les États membres ne peut être lisible
et loyale que si les taux d'imposition comparée s'appliquent à
des bases identiques ;
- considère que les taux d'imposition des sociétés variant du simple au triple dans l'Union européenne, il conviendrait d'envisager, à terme, une fourchette moyenne plus resserrée, écartant les extrêmes ;
- demande au Gouvernement de s'assurer que, le taux d'imposition sur les sociétés étant un des plus élevés en France, la méthode de calcul de l'assiette imposable proposée par la Commission qui élargit sensiblement cette assiette par rapport à la méthode actuellement pratiquée en France, n'ait pas pour conséquence d'alourdir l'impôt sur les sociétés payé sur notre territoire ;
- estime que les premières difficultés rencontrées par cette proposition de directive ne doivent pas amener à y renoncer et qu'au contraire, en l'absence de consensus, il conviendrait d'envisager une coopération renforcée pour sa mise en oeuvre.