COM (2015) 603 final
du 21/10/2015
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 29/10/2015Examens : 10/11/2016 (commission des affaires européennes), 14/12/2016 (commission des finances)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne sur la phase I de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire (2016-2017) : voir le dossier legislatif
Économie, finances et fiscalité
Phase I de la
réforme de l'Union économique et
monétaire
Proposition de résolution européenne et
avis politique
de Mme Fabienne Keller et M. François
Marc
COM (2015) 603 final - Texte E 10657
M. Jean Bizet, président. - Fabienne Keller et François Marc ont préparé une proposition de résolution européenne et un avis politique sur la phase I de la réforme de l'Union économique et monétaire. Nous avons prévu de mener ensuite un travail commun avec la commission des finances sur la gouvernance de l'Union économique et monétaire. Ces travaux auront vocation à alimenter les réflexions du groupe de suivi sur le Brexit et la refondation de l'Union européenne.
M. François Marc. - Les présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen, de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne ont présenté en juin 2015 un rapport intitulé Compléter l'Union économique et monétaire. Ce document prévoit deux phases pour le renforcement des structures et des moyens de la zone euro. La première, censée se terminer le 30 juin 2017, doit permettre un approfondissement par la pratique, utilisant les instruments existants, alors que la seconde, prévue pour durer jusqu'en 2025, devrait entraîner des modifications institutionnelles plus ambitieuses.
Le Rapport des cinq présidents reprend le constat d'une construction inachevée, la crise ayant permis à l'Union économique et monétaire de se doter de nouveaux mécanismes sans pour autant que soient totalement consolidées ses fondations. Le principal enjeu tient toujours à la capacité de la zone à pouvoir absorber des chocs économiques, ce qui passe par un partage des risques entre États. Une première étape a été franchie avec le lancement de l'Union bancaire. Il s'agit désormais d'aller plus loin et de viser à moyen terme un renforcement du partage des risques public, par l'intermédiaire d'un mécanisme de stabilisation budgétaire couvrant l'ensemble de la zone euro. La nécessité d'un tel dispositif est d'autant plus aiguë que la possibilité d'utiliser la politique budgétaire à des fins contracycliques diverge d'un État membre à un autre. Une telle asymétrie ne participe pas de l'objectif initial fixé la monnaie unique : la convergence économique.
Le rapport appelle à la mise en place de quatre cercles au sein de l'Union économique et monétaire : l'Union économique ; l'Union financière, fondée à la fois sur l'Union bancaire et l'Union des marchés de capitaux ; l'Union budgétaire, conçue comme un instrument de stabilisation et de viabilité budgétaires ; l'Union politique, envisagée comme une assise aux trois autres et reposant sur le principe de responsabilité démocratique.
Ces quatre Unions sont interdépendantes. Elles impliquent inévitablement un partage de souveraineté accru. Il s'agit de dépasser le stade de la simple coopération ou de la coordination, ce qu'est, pour l'heure, le Pacte de stabilité et de croissance. Les États doivent accepter qu'un certain nombre d'éléments de leurs budgets nationaux et de leurs politiques économiques fassent de plus en plus l'objet d'une prise de décision conjointe et parvenir ainsi à un certain degré de partage des risques public. Celui-ci ne peut néanmoins exister que s'il est accompagné d'un renforcement de la participation et de responsabilités démocratiques, tant au niveau national qu'au niveau européen.
Prenant acte de cette architecture, la Commission européenne a présenté le 21 octobre 2015 une communication sur les mesures destinées à compléter l'Union économique et monétaire au cours de la phase I. Elles concernent l'Union économique, l'Union budgétaire et l'Union politique. La phase II devrait faire l'objet d'un livre blanc, qui sera présenté en mars 2017. Nous l'étudierons alors avec nos collègues de la commission des finances.
Concernant l'Union économique, trois instruments ont été présentés par la Commission : les autorités de la productivité, le programme d'appui à la réforme structurelle et le socle européen des droits sociaux.
Sur proposition de la Commission, le Conseil a adopté le 20 septembre dernier une recommandation instituant des autorités de la productivité ; elles sont esquissées dans le Rapport des cinq présidents. Ces autorités peuvent être créées à partir de structures existantes, à l'instar de France Stratégie ou du Conseil d'analyse économique en France. Elles doivent avant tout être indépendantes. Elles seront chargées de suivre les performances et le rythme des réformes au niveau national, en se concentrant sur les facteurs favorisant les gains de productivité, comme l'innovation, l'attractivité ou le capital humain, et sur les rigidités visant le marché du travail et des produits. Elles devront intégrer dans leur analyse une dimension européenne.
Reste à connaître la valeur ajoutée d'une nouvelle instance dont le positionnement peut apparaître flou. On peut, en premier lieu, s'interroger sur la grille de lecture qui sera utilisée pour une évaluation de la situation macro-économique des États membres. Sera-t-elle homogène pour l'ensemble des autorités de la zone euro, reprenant en cela les indicateurs déjà mis en oeuvre dans le cadre de la procédure pour déséquilibre macro-économique ? Dans ce cas, l'analyse peut-elle différer de celle proposée par la Commission européenne dans le cadre de cette procédure ? Ce faisant, les autorités nationales de la productivité ne seraient que les porte-voix de la Commission européenne, afin de faciliter l'appropriation par les États des réformes qu'elle recommande. À l'inverse, si ces autorités émettent un diagnostic sur la foi d'indicateurs non harmonisés, contribueront-elles à renforcer la convergence entre les économies de la zone ? Qu'arrivera-t-il si la position de ces autorités diverge de celle de la Commission européenne ?
Nous nous interrogeons ainsi avec Fabienne Keller sur l'ajout d'une nouvelle structure qui complexifie un processus souffrant déjà d'un déficit de clarté. En outre, le contrôle de la qualité des réformes mises en oeuvre et les questions de compétitivité et de productivité relèvent également des Parlements nationaux.
En fait, les autorités de la productivité visent plus à diffuser, dans chaque pays, les messages de la Commission européenne qu'à renforcer la convergence des économies. Elles ne résolvent en rien la question de la prise en compte par les États des recommandations du Conseil destinées à lutter contre les déséquilibres macro-économiques. Seules 32 % d'entre elles, en effet, sont suivies par les États. La Commission a augmenté le nombre d'indicateurs, ce qui crée un risque de contradiction et d'illisibilité. La grille de lecture comprend désormais 14 indicateurs principaux et 29 indicateurs complémentaires. Ce tableau de bord de l'économie ne tient pas nécessairement compte des interdépendances entre les pays membres et des arbitrages à faire entre différents objectifs. Ainsi, la poursuite de la réduction de la dette n'est pas toujours compatible avec une politique visant à réduire les coûts pour gagner en compétitivité. Nous estimons que l'analyse des politiques économiques menées au sein des États membres doit impliquer davantage les acteurs politiques plutôt que reposer uniquement sur le respect de seuils chiffrés, qui peuvent se révéler contradictoires.
Parallèlement, la Commission a souhaité mettre en place un programme d'appui à la réforme structurelle, doté de 143 millions d'euros. Si nous saluons ce type d'initiative, il faut en relever la modestie. Il convient de trouver des réponses plus ambitieuses, en utilisant les instruments existants. Pourquoi ne pas réfléchir à une meilleure allocation des fonds structurels ? De façon plus générale, l'appropriation des recommandations du Conseil passe par un soutien accru de l'Union européenne aux États membres, qui, pour la plupart, ne disposent plus de marges de manoeuvres budgétaires. Dans ces conditions, il faudra réfléchir à l'émergence à terme d'un mécanisme de stabilisation budgétaire dans le cadre de la phase II.
La Commission a présenté l'ébauche d'un socle européen des droits sociaux, complément de sa réflexion sur l'Union économique. Le socle n'est pas envisagé comme une simple reproduction de l'acquis de l'Union européenne. Il s'agit, au contraire, de vérifier la pertinence de l'acquis et de déterminer d'éventuels domaines d'action. Le socle ne modifie pas, pour autant, les droits existants. Il servirait à la Commission de « boussole » sociale. Le Rapport des cinq présidents insistait de son côté sur la nécessité pour l'Europe d'obtenir un « triple A social », tout en rappelant qu'il n'existe pas de modèle unique en la matière. Dans ces conditions, le socle doit permettre à la zone euro de surmonter la crise et évoluer vers une Union économique et monétaire plus approfondie et équitable. Quelle sera toutefois sa valeur juridique de ce socle ? Disposera-t-il d'une valeur contraignante comme peut l'avoir aujourd'hui la Charte des droits fondamentaux dont il décline un certain nombre de principes ? Une révision des Traités devra alors s'imposer. À défaut, il resterait une grille de lecture supplémentaire, sans réelle valeur ajoutée. Il viendrait ainsi compléter la liste des indicateurs dont dispose déjà la Commission européenne et dont nous estimons qu'elle prête déjà le flanc aux critiques visant son illisibilité. Il semble pourtant que cette solution soit celle retenue, à l'heure actuelle, par la Commission européenne.
Mme Fabienne Keller. - L'Union budgétaire est au coeur des propositions de la Commission européenne. Trois angles ont été choisis : la réforme du semestre européen, la mise en place d'une nouvelle instance, le Comité budgétaire consultatif européen, et enfin les clauses de flexibilité contenues dans le pacte de stabilité.
Introduit en 2011 et consolidé en 2013, le semestre européen commence en novembre de l'année n-1 avec la publication de l'avis de la Commission européenne sur les plans budgétaires nationaux. Il continue en février avec la publication de l'examen annuel de la croissance et des rapports pour chaque pays au titre de la procédure pour déséquilibre macro-économique. Il se conclut en mai-juin par l'examen des programmes nationaux de réforme et des programmes de stabilité et de croissance transmis par les gouvernements et visant les quatre exercices à venir.
La Commission Juncker a déjà apporté certaines modifications au semestre européen depuis son entrée en fonctions en novembre 2014. La publication des rapports sur chaque pays dès le mois de février a permis de donner plus de temps au dialogue avec les États membres. Les programmes nationaux de réformes adressés ensuite à la Commission européenne intègrent désormais les observations de la Commission européenne. La publication des recommandations par pays a été avancée en mai. Ces recommandations ont été concentrées sur quelques priorités afin d'améliorer l'échange avec les États et d'optimiser le suivi.
La Commission européenne entend désormais aller plus loin en intégrant davantage les observations concernant l'ensemble de la zone euro. Elle a souhaité bouleverser la structure du semestre pour que soit mis l'accent sur l'évolution générale de la zone euro avant la situation pays par pays. L'examen annuel de la croissance, publié en novembre, met ainsi en avant les priorités budgétaires, économiques, sociales et financières de la zone euro. La Commission présente surtout, depuis novembre dernier, un projet de recommandation pour l'ensemble de la zone euro, définissant ainsi une stratégie d'ensemble. Si ce document n'est pas une nouveauté, sa parution au début du semestre constitue un changement.
Une telle approche va dans le bon sens : il n'existait pas, jusqu'alors, de véritable revue globale de la situation de l'ensemble de la zone susceptible de fournir une base pour un ajustement plus précis des recommandations. Le semestre européen semblait se concentrer sur une revue de la situation individuelle des États membres et notamment sur leur capacité à mettre en oeuvre les réformes structurelles recommandées.
La réforme du semestre européen gagnerait cependant à être encore approfondie. Comme le relevait en mars 2015 le Conseil d'analyse économique, le semestre européen devrait être divisé en deux périodes afin de mieux mettre en avant l'évaluation de la situation de la zone euro. Le premier trimestre - de novembre de l'année n-1 à février de l'année n - serait ainsi dédié à l'analyse de la situation macro-économique de la zone euro. L'orientation de la politique budgétaire et de la politique économique au niveau de la zone pourrait ainsi être définie. Le deuxième trimestre, entre mars et juillet, serait consacré à l'examen des pays.
La Commission européenne a annoncé parallèlement la création d'un comité budgétaire européen consultatif indépendant, esquissé dans le Rapport des cinq présidents. Il doit contribuer, à titre consultatif, à l'exercice des fonctions dévolues à la Commission européenne en matière de coordination des politiques budgétaires nationales. Il évaluera notamment la mise en oeuvre des décisions adoptées dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, relevant les éventuels manquements. Il doit permettre à la zone euro de définir une orientation budgétaire appropriée. Le Comité est composé d'un président et de quatre membres, experts internationaux, nommés par la Commission européenne pour une période de trois ans sur la base de leurs qualifications et de leurs compétences. Les nominations sont intervenues le 19 octobre dernier. Le Comité sera présidé par un Danois, assisté d'une Française, d'un Italien, d'un Néerlandais et d'un Polonais.
Comme dans le cas des autorités nationales de la productivité, se pose la question du rôle du nouveau Comité et notamment de sa place par rapport à la Commission européenne. Ne risque-t-on pas de créer un millefeuille administratif dans le domaine de la gouvernance de la zone euro ? Quelle sera la valeur ajoutée d'un nouvel organisme, de surcroît consultatif ? Il existe déjà un réseau des comités budgétaires nationaux indépendants (EUNIFI) qui se réunit au moins une fois par an à l'invitation de la Commission européenne depuis novembre 2013. Le rôle de l'EUNIFI aurait pu être renforcé et les avis rendus par ce réseau auraient pu être consolidés au niveau de la zone euro avant d'être transmis à la Commission européenne et au Conseil.
La question de l'application des recommandations adoptées au titre du Pacte de stabilité et de croissance reste entière. Les cas espagnol et portugais ont souligné la faiblesse du volet correctif du Pacte. La Commission a proposé, depuis 2015, un certain nombre de dérogations permettant de reporter les objectifs de réduction du déficit budgétaire ou de la dette si les États procèdent à des réformes structurelles coûteuses ou à des investissements d'ampleur, si un changement de cycle est manifeste ou si un État doit faire face à un afflux de réfugiés. Ces clauses de flexibilité ont suscité un certain nombre de réserves au sein du Conseil, en particulier celles qui visent les réformes structurelles et les investissements. Leur utilisation semble aujourd'hui plus resserrée sans pour autant être plus claire. De l'avis d'un certain nombre d'observateurs, les clauses sont trop nombreuses, inefficaces et opaques, voire insuffisantes, puisque principalement dédiées aux pays concernés par le volet préventif du Pacte. Dans ces conditions, le Comité budgétaire européen consultatif trouverait une utilité à apprécier la situation budgétaire et économique de la zone afin de juger de l'opportunité d'une application flexible du Pacte, en excluant temporairement certaines dépenses du calcul des déficits. Cet avis pourrait être transmis au Conseil, qui déciderait alors de suivre ou non cet avis.
Venons-en désormais au dernier point, l'Union politique. Le Rapport des cinq présidents insistait sur la nécessité de renforcer la légitimité démocratique de l'Union économique et monétaire dès la phase I. La Commission reste peu précise sur ce point. Elle s'intéresse essentiellement à la question de la représentation unifiée de la zone euro au sein des institutions financières internationales. La Commission européenne relève que, si l'approfondissement de l'intégration de la zone euro a contribué ces dernières années à renforcer l'influence internationale de la zone euro, sa représentation extérieure n'a pas suivi cette évolution. Elle ne dispose pas, en effet, d'un représentant officiel, mandaté pour la représenter. L'Allemagne et la France disposent d'un poste d'administrateur permanent au sein du Conseil d'administration du FMI. Les dix-sept autres pays de la zone euro se répartissant dans six groupes, les associant à d'autres États, pas forcément européens, en fonction de leur proximité géographique ou linguistique. La représentation de la zone euro est donc fragmentée.
L'objectif de la Commission est de parvenir, au plus tard en 2025, à une représentation unifiée de la zone au sein du FMI, soit au moment de la phase II. Avec François Marc, nous estimons que, compte tenu des différences d'approches nationales sur le FMI et des renoncements demandés à certains pays, comme l'Allemagne et la France, le projet d'une représentation unifiée doit être subordonné à l'avancement de la réflexion sur les structures de gouvernance de la zone, à l'amélioration de la coordination des politiques économiques et au renforcement de la légitimité démocratique de l'Union économique et monétaire. Des propositions tangibles doivent être portées en la matière. Une réflexion doit par ailleurs être menée sur les quotes-parts ou le rôle de la Banque centrale européenne qui siège pour l'heure au sein de certains comités au FMI. Qu'en sera-t-il lorsque la représentation unifiée sera assurée par le président de l'Eurogroupe ?
Nous partageons l'ambition d'un approfondissement de l'Union économique et monétaire. Celui-ci doit répondre à un double objectif : clarifier l'architecture de la zone euro afin de la rendre à la fois plus lisible et plus visible et améliorer sa capacité à résister aux chocs économiques, via des instruments contra-cycliques. La phase I de l'approfondissement, telle que présentée par la Commission européenne, tend à se concentrer sur le premier objectif. Elle ne parvient pas, pour autant, à simplifier totalement les dispositifs existants et court le risque de complexifier un peu plus l'ensemble. Une proposition de résolution européenne résume nos observations. Elle pourrait être doublée d'un avis politique transmis directement à la Commission. Notre travail visait avant tout à prendre acte des propositions concernant la phase I et se garde de toute dimension prospective. Celle-ci sera plus nette dans le travail que nous mènerons en commun avec la commission des finances sur la phase II, dès que le livre vert de la Commission aura été publié au printemps prochain.
Notre résolution insiste sur nécessité de renforcer le lien avec les Parlements nationaux. Il faudra à l'avenir réfléchir à la création d'une chambre de la zone euro comprenant des membres du Parlement européen et des Parlements nationaux. Strasbourg s'est porté volontaire pour l'accueillir.
M. André Gattolin. - Le projet de la Commission européenne est révélateur, à nouveau, de sa volonté de multiplier les organes administratifs. Mais ceux-ci ne sont pas dépourvus de portée politique ! Il faut replacer ce débat dans le cadre de la réflexion sur l'avenir de l'Europe après le Brexit. L'Europe à 28 ne peut plus fonctionner comme au temps où la Communauté européenne ne comprenait que les six États fondateurs. Nous ne pouvons tous avancer au même rythme. La Commission s'érige en juge, en arbitre, en garant de l'exécution des décisions européennes. Ce n'est plus du fédéralisme mais de l'« unionisme » ! On critique beaucoup, depuis mardi, le système électoral des États-Unis, car un candidat peut obtenir la majorité des suffrages et ne pas obtenir la majorité des grands électeurs. Pourtant le fédéralisme américain garantit à chaque État une représentation proportionnelle à sa population. En Europe, un petit État peut bloquer seul le processus de décision. Une décision peut être adoptée par une majorité de pays, ne représentant qu'un quart de la population. Il est vrai qu'au Parlement européen la représentation est proportionnelle à la population. Après l'élargissement de l'Union européenne se pose la question de son approfondissement. Certains veulent faire de la zone euro le pivot de cette relance. Mais la zone euro, avec ses dix-neuf membres, a les mêmes difficultés de fonctionnement. La France, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne représentent 57 % de la population de l'Union européenne, hors Royaume-Uni. Il importe que la représentation politique soit proportionnelle à la population. Comme Emmanuel Macron l'a déclaré lors d'un discours au collège de Bruges, en avril dernier, la zone euro n'est sans doute pas le socle pertinent pour avancer vers un approfondissement de l'Europe. Surtout, l'Europe politique est quasiment oubliée dans les projets présentés. Ils sont insuffisants pour fonder une défense ou une diplomatie communes. Face à la Chine, qui est un régime dictatorial, à la Russie, qui est loin d'être une démocratie, et alors que l'élection de M. Trump laisse planer une incertitude sur l'évolution des États-Unis, le défi est immense. Il importe désormais de poser la question de l'avenir de l'Europe sous l'angle politique et non plus seulement par la petite porte technique ou administrative. Je soutiens la position des rapporteurs.
M. Éric Bocquet. - Je me réjouis que le rapport pose enfin la question de l'association des mots « économique » et « social ». On a trop tendance à les opposer, comme si la croissance économique était source d'inégalités et que trop de social, inversement, était nuisible à la croissance. Au contraire, si le progrès économique ne s'accompagne pas de progrès social, il nourrit la désespérance et fait le lit des Berlusconi, ou des Trump, ainsi que des Brexit futurs. Si on avait commencé par là il y a 60 ans, nous n'en serions pas là ; le projet européen apparaîtrait comme porteur d'espoir et serait soutenu par les peuples. Au contraire, notre Europe est celle du dumping social...Un socle européen des droits sociaux, très bien ! Mais quelle est la référence du triple A social : la Bulgarie ou le Luxembourg ? Les salaires y varient de un à neuf... Toutefois, comme vous l'expliquez dans votre rapport, l'objectif n'est pas de parvenir à une harmonisation des systèmes nationaux de fixation des salaires ; l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne lui interdit de légiférer sur les questions relatives à la rémunération. En fait, on pose la bonne question, mais pour affirmer aussitôt que l'on ne peut répondre ! Je suis content toutefois que votre rapport aborde ce sujet, qui est au coeur du malaise que traversent actuellement nos démocraties. Enfin, on ne peut construire l'Europe sans prendre en compte les aspirations des peuples et il est indispensable d'associer les Parlements nationaux.
M. Alain Vasselle. - Quel est l'objectif de la création d'un socle des droits sociaux ? Parvenir à une harmonisation effective des droits sociaux ou fournir un nouveau critère à la Commission, qui lui permettrait de faire preuve de souplesse dans l'appréciation des objectifs que les États doivent respecter en matière budgétaire ? Est-il aussi question d'un socle fiscal ?
M. François Marc. - Il est légitime de s'interroger sur l'approfondissement de l'Europe et sur le rôle moteur de la zone euro. L'enjeu immédiat de ces textes est la première phase de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, tel qu'imaginé par la Commission européenne. Nous nous interrogeons sur les solutions proposées et notamment sur le rôle des parlements nationaux. Nous souhaitons des structures moins complexes, plus visibles et à la légitimité démocratique renforcée. En phase II, il conviendra de faciliter l'harmonisation, car une monnaie unique efficace suppose une certaine convergence économique. C'est en ce sens que doit être orientée la réflexion sur le socle européen. Le sujet est épineux. Lors de la réunion parlementaire de Bratislava dans le cadre du semestre européen, cette question était au coeur des discussions et un atelier lui était consacré. On a évoqué le cas des travailleurs détachés. Certains de nos collègues, de droite, considérant que l'écart des salaires était de un à dix entre les pays, ont indiqué qu'il était normal, pour parvenir à une harmonisation, que certains baissent et d'autres montent... L'ambition du socle commun est légitime, mais il sera difficile de bâtir un dispositif acceptable par les uns et les autres !
M. Bocquet aurait sans doute voté pour Bernie Sanders, qui voulait rééquilibrer l'économique et le social, mais ce candidat a été battu aux primaires. Enfin, le triple A social reste encore une perspective bien lointaine...
M. André Gattolin. - Pourtant, il existe des agences de notation sociale !
M. François Marc. - Il importe déjà de coordonner nos politiques. Nous nous efforçons encore de définir les domaines où une coordination est souhaitable et possible.
Mme Fabienne Keller. - La fiscalité, Monsieur Vasselle, relève de l'unanimité. Aucune avancée n'aura lieu sans une forte volonté politique. Pourtant, on sent une forte attente des populations. Comme l'ont montré les élections américaines, les peuples attendent des résultats. L'enjeu est de parvenir à articuler une gouvernance globale et la démocratie.
M. Jean Bizet, président. - Un élément important de votre proposition de résolution est la demande d'une meilleure association des Parlements nationaux.
Mme Fabienne Keller. - Leur association n'est aujourd'hui pas opérationnelle. Assister à des réunions formelles ne suffit pas. Les Parlements doivent pouvoir émettre des avis à visée opérationnelle, afin que l'interaction entre les institutions soit effective. La Commission est réticente, de même que le Parlement européen qui souhaite garder son pouvoir de codécision.
M. Jean Bizet, président. - Nous mettrons l'accent sur ce sujet dans le groupe de travail sur le Brexit et la refondation européenne. Comme l'a dit M. Bocquet avec clarté, et mesure, il faut aussi revoir le curseur. Il faut écouter les peuples qui grondent.
M. André Gattolin. - Un trimestre serait consacré à l'analyse de la situation macro-économique de la zone euro, un autre à l'examen des pays. La procédure du semestre européen est déjà lourde...Cela revient-il à superposer des procédures ?
Mme Fabienne Keller. - Jusqu'ici, le semestre européen consistait essentiellement en un examen de la situation de chaque pays. L'idée est de procéder en premier lieu à une analyse de la situation de la zone euro dans son ensemble. Ainsi on pourrait peut-être dégager des axes d'action communs avant d'aborder, dans un second temps, la situation des pays.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne et l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Proposition de résolution
européenne
(1) Le Sénat,
(2) Vu l'article 88-4 de la Constitution,
(3) Vu le rapport des président de la Commission européenne et ses homologues du Conseil européen, de l'eurogroupe, de la Banque centrale européenne et du Parlement européen du 22 juin 2015 « Compléter l'Union économique et monétaire »,
(4) Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et à la Banque centrale européenne relative aux mesures à prendre pour compléter l'Union économique et monétaire (COM (2015) 600 final),
(5) Vu la recommandation de Recommandation du Conseil sur la création de conseils nationaux de la compétitivité dans la zone euro (COM (2015) 601 final),
(6) Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme d'appui à la réforme structurelle pour la période 2017-2020 et modifiant les règlements (UE) n° 1303/2013 et (UE) n° 1305/2013 (COM (2015) 701 final),
(7) Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM (2016) 127 final),
(8) Vu la décision de la Commission du 21 octobre 2015 créant un comité budgétaire européen consultatif indépendant (C (2015) 8000 final),
(9) Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du Pacte de stabilité et de croissance (COM (2015) 12 final),
(10) Vu la communication au Parlement européen, au Conseil et à la Banque centrale européenne, Feuille de route en vue d'une représentation extérieure plus cohérente de la zone euro dans les instances internationales (COM (2015) 602 final),
(11) Vu la proposition de décision arrêtant des mesures en vue d'établir progressivement une représentation unifiée de la zone euro au sein du Fonds monétaire international (COM (2015) 603 final),
(12) Partage la volonté d'approfondir l'Union économique et monétaire afin d'en clarifier l'architecture, de la rendre à la fois plus lisible et plus visible et d'améliorer sa capacité à résister aux chocs économiques, via des instruments contra-cycliques ;
(13) S'interroge toutefois sur la place des autorités nationales de la productivité et du Comité budgétaire européen consultatif indépendant dans le processus décisionnel de la zone euro et craint un renforcement de la complexité de celui-ci ;
(14) Considère que les autorités nationales de la productivité seront appelées à exercer des missions qui relèvent des parlements nationaux et regrette la faible association de ceux-ci à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire ;
(15) Relève la multiplication, depuis 2015, des clauses de flexibilité au Pacte de stabilité et de croissance, qui contribue, indirectement, à renforcer l'opacité autour de ce dispositif sans pour autant que ces clauses apparaissent toujours efficaces ; appelle à une clarification politique dans ce domaine ;
(16) Estime que les missions du Comité budgétaire européen consultatif indépendant devraient être précisées afin qu'il puisse avoir toute latitude pour apprécier la situation de la zone euro et de ses membres afin d'émettre un avis sur des dérogations possibles au Pacte de stabilité et de croissance ; le comité s'appuierait sur les données transmises par la Commission européenne et les autorités budgétaires nationales indépendantes ; cet avis serait transmis par la suite au Conseil pour décision ;
(17) Souhaite une réforme plus poussée du semestre européen qui serait découpé en deux trimestres, l'un spécifiquement consacré à la zone euro et l'autre dédié à la situation des États membres ;
(18) Exprime ses doutes sur l'appropriation par les Etats membres des recommandations du Conseil et souhaite que les moyens du service d'appui à la réforme structurelle soient renforcés ;
(19) S'interroge sur la finalité de la consultation sur le socle européen des droits sociaux et redoute que ledit socle ne soit qu'une liste d'indicateurs supplémentaire, sans valeur juridique, complexifiant davantage la procédure pour déséquilibre macro-économique ;
(20) Souligne que la question de la représentation extérieure de la zone euro au sein d'organisations internationales est un nouveau partage de souveraineté et qu'il doit être subordonné à l'avancement de la réflexion sur les structures de gouvernance dont pourrait se doter l'Union économique et monétaire, au renforcement de sa légitimité démocratique et à l'amélioration de la coordination des politiques économiques ;
(21) Juge que la représentation unique au sein des instances financières internationales doit également prendre en compte la question de la place de la Banque centrale européenne au sein de celles-ci ;
(22) Estime, qu'en l'état, les propositions de la Commission européenne concernant la phase I de l'approfondissement de la zone euro ne peuvent avoir de sens que si elles sont associées à des mesures concrètes visant les marges de manoeuvre dont pourrait disposer la zone euro, la mise en place d'une gouvernance politique de l'Union économique et monétaire et le renforcement de sa légitimité démocratique ;
(23) Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.