COM (2016) 799 final
du 14/12/2016
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Les trois textes COM (2016) 798, COM (2016) 799 et COM (2017) 136 concernent la procédure de réglementation avec contrôle et la période prévue pour l'adoption d'actes délégués.
La procédure de réglementation avec contrôle (PRAC) encadrait, jusqu'à l'adoption du Traité de Lisbonne, l'adoption par la Commission européenne des « mesures quasi législatives », devenues depuis 2009 les actes délégués. Les mesures en question sont de portée générale et visent à modifier ou compléter certains éléments non essentiels de l'acte législatif. Avant de mettre en oeuvre unr telle mesure, la Commission doit consulter un comité composé de représentants de chacun des États membres sur les mesures d'exécution détaillées qu'elle propose.
La PRAC permet au Parlement européen et au Conseil de bloquer une mesure proposée par la Commission si cette mesure :
- outrepasse les compétences d'exécution de la Commission ;
- n'est pas compatible avec l'objectif ou le contenu de l'acte juridique ;
- va au-delà des compétences ou du mandat de l'Union européenne et contrevient ainsi au principe de subsidiarité.
Les deux institutions disposent d'un droit de veto, généralement valable trois mois après l'approbation par le comité de la mesure proposée par la Commission. Par ailleurs, si le comité ne parvient pas à rendre un avis positif sur la mesure proposée, le Conseil peut intervenir soit en la bloquant soit en l'adoptant lui-même, sauf opposition du Parlement.
Si elle ne peut plus être utilisée pour la nouvelle législation, la PRAC apparaît encore dans 168 actes juridiques en vigueur et continue à être provisoirement appliquée pour ces actes jusqu'à ce qu'ils soient formellement modifiés et alignés sur la nouvelle procédure prévue à l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Une première modification a été proposée par la Commission en 2014. Elle a été rejetée par le Conseil qui estimait que cet alignement ne présentait pas toutes les garanties pour que les experts des Etats membres soient systématiquement consultés lors de la préparation des actes délégués.
La question a de nouveau été soulevée lors de l'élaboration de l'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer ». Adopté en avril 2016, il contient une convention d'entente sur les actes délégués qui répond à la préoccupation du Conseil sur la consultation des experts des Etats membres. Elle prévoit en effet un engagement clair en faveur d'une consultation systématique des experts des Etats membres au cours de la préparation des actes délégués, y compris sur le projet de texte. Dans ces conditions, la Commission propose aujourd'hui un alignement des textes en vigueur sur la procédure retenue pour les actes délégués (COM 798 et COM 799). La Commission n'intègre pas pour autant dans cet alignement huit textes concernant les pesticides et les denrées alimentaires. Elle souhaite, à ce stade, attendre les conclusions de l'évaluation qu'elle a lancée sur la légitimité démocratique des procédures existantes pour l'adoption de certains actes dérivés.
Le texte COM 136 vise, quant à lui, la prolongation du délai accordé à la Commission pour adopter des actes délégués pour l'application de la directive de 2010 relative aux systèmes de transport intelligents (STI) dans le domaine du transport routier. Cette période est censée se terminer le 27 août 2017. Quatre actes délégués ont déjà été adoptés. Le cinquième, élaboré avec les experts des Etats membres, porte sur la mise à disposition de services d'information sur les déplacements multimodaux. Celui-ci nécessite de nouveaux approfondissements en ce qui concerne les spécifications et les normes applicables aux STI. Dans ces conditions, la Commission souhaite une prolongation de cinq ans de la délégation de pouvoir qui lui a été accordée.
Les trois textes n'appellent pas de remarques particulières quant au respect du principe de subsidiarité. Il est néanmoins permis de s'interroger sur les lacunes de la procédure d'adoption des actes délégués. Le texte COM 136 peut notamment laisser songeur puisque l'entrée en vigueur du dernier acte délégué pourrait intervenir 12 ans après l'adoption de la directive. Les textes 798 et 799 viennent quant à eux rappeler la volonté du Conseil de renforcer la consultation des experts nationaux et donc de participer à une meilleure vérification de la comptabilité de l'acte délégué au principe de subsidiarité.
La Commission européenne a présenté le 14 février 2017 une proposition visant à renforcer la transparence de la procédure de comitologie. Le texte n'a, pour l'heure, pas encore été transmis au titre de l'article 88-6 de la Constitution. Il pourrait cependant constituer l'occasion de réaffirmer le souhait régulièrement rappelé par la commission des affaires européennes de voir les actes délégués et d'exécution soumis au contrôle de subsidiarité opéré par les Parlements nationaux.
Sous ces réserves, il a été décidé de ne pas intervenir plus avant sur ces textes au regard du principe de subsidiarité.
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 09/03/2017Examen : 19/10/2017 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne sur la réforme du règlement (2017-2018) : voir le dossier legislatif
Institutions européennes
Comitologie
Proposition
de résolution européenne et avis politique
de MM. Jean Bizet
et Simon Sutour
COM (2016) 798 final et COM (2016) 799 final
Textes E
11949 et E 11925
M. Jean Bizet, président. - La comitologie est une prise de décision normative européenne, encadrant l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission. Ce sont essentiellement les actes délégués et les actes d'exécution, qui nous inquiètent de par leur multiplication, alors que ces procédures souvent nous échappent. C'est pourquoi Simon Sutour et moi-même vous proposons une proposition de résolution européenne.
M. Simon Sutour. - La législation européenne est composée de directives et de règlements. Pour son application sont décidés des actes d'exécution et des actes délégués. Ces derniers prennent une importance considérable. Parfois, plutôt que de mettre en oeuvre un règlement ou une directive, ils peuvent donner une interprétation plus exhaustive voire aller dans un sens différent. Or ils ne sont pas soumis au même processus d'élaboration démocratique : les parlements nationaux sont obligatoirement saisis des règlements et de directives, à la différence des actes délégués. À cela se greffe la procédure de comitologie avec des experts, qui comme partout, ont tendance à prendre une importance qu'ils ne devraient pas avoir.
M. André Gattolin. - Ils sont évidemment indépendants !
M. Simon Sutour. - Parfois, plus ils se disent indépendants, moins ils le sont... Je fais un peu de publicité pour le rapport que j'ai publié en 2014 et qui synthétise ce sujet. Nous l'actualisons désormais par notre travail avec Jean Bizet. Ce rapport a été traduit en anglais, à la demande d'autres pays, qui ont aussi réagi sur ce sujet de la comitologie.
Notre commission est aujourd'hui saisie d'un projet de règlement destiné à modifier la procédure dite de comitologie. Celle-ci encadre l'adoption des actes d'exécution. Préparés par la Commission européenne, les actes d'exécution comme les actes délégués se rapprochent des décrets en droit français. Les actes délégués complètent ou modifient certains éléments non essentiels d'un acte législatif. Ils sont adoptés sous le contrôle du Conseil et du Parlement européen qui peuvent révoquer la délégation à tout moment. Les parlements nationaux ne sont pas concernés. Les actes d'exécution fixent, quant à eux, les modalités de mise en oeuvre des actes législatifs. Le délai d'objection du Parlement européen et du Conseil à tout acte délégué adopté est en principe d'au moins deux mois, le délai étant prorogeable de deux mois à l'initiative d'une des institutions. Plus de deux cents actes sont ainsi adoptés chaque année. Les modalités diffèrent en fonction du type d'acte.
Notre commission milite depuis des années pour que la procédure des actes délégués soit plus transparente. Nous avions aussi souligné une utilisation abusive car portant sur des aspects essentiels des législations européennes. Ainsi, dans le domaine particulièrement sensible de la protection des données à caractère personnel, un projet de règlement présenté en 2012 renvoyait plus de cinquante fois à des actes délégués ou à des actes d'exécution. Il en est de même en matière de politique agricole commune : en 2013, de nouveaux critères d'éligibilité pour les aides aux jeunes agriculteurs devaient être introduits par ce biais. L'aide devait être réservée aux seuls agriculteurs exploitant en leur nom propre, excluant ainsi les agriculteurs regroupés sous d'autres formes juridiques, ce que ne prévoyait pas l'acte de base. À la suite de réactions de quelques États membres, la Commission a revu sa copie.
On devait également à la comitologie cette fameuse proposition de fabriquer du rosé en mélangeant du vin rouge et du vin blanc, à la manière d'une peinture. Ce n'est pas forcément la meilleure des choses...
M. Jean Bizet, président. - La Commission s'était insurgée, et nous avions obtenu gain de cause.
M. Simon Sutour. - Au départ, c'était mal parti. Michel Barnier, alors ministre de l'agriculture, nous avait félicité de notre combat avec Gérard César, mais pensait que nous ne gagnerions pas. Nous avons fini par gagner...
M. Jean Bizet, président. - Je m'en réjouis encore. Nous avions aussi traité le sujet des profils nutritionnels, extrêmement dangereux à terme - même si sympathique au premier abord. La Direction générale (DG) Santé voulait interdire les publicités sur certains produits comme le camembert ou des biscuits, trop riches en sel, en sucres ou en matières grasses, avec des déclinaisons potentiellement très désagréables...
Face à ces dérives, nous avions adopté un avis politique en 2014, qui avait été suivi par plusieurs autres parlements nationaux. Un avis politique s'adresse directement à la Commission, tandis qu'une proposition de résolution européenne s'adresse à notre gouvernement. Le Parlement européen avait également critiqué le dispositif.
M. Simon Sutour. - L'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » d'avril 2016, signé entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission a répondu à certaines de nos réserves. Il contient un engagement clair en faveur d'une consultation systématique des experts des États membres au cours de la préparation des actes délégués. Les projets d'actes délégués peuvent, en outre, donner lieu à des consultations publiques. Ils sont accessibles durant quatre semaines via le site internet de la Commission.
La nomination des experts des États membres reste à la discrétion des gouvernements. Les parties intéressées peuvent également être consultées. La modification substantielle d'un projet d'acte délégué après consultation doit donner lieu à un nouvel avis des experts. Afin de garantir l'égalité d'accès à l'ensemble des informations, le Parlement européen et le Conseil reçoivent tous les documents en même temps que les experts des États membres. Les experts du Parlement européen et du Conseil ont systématiquement accès aux réunions des groupes d'experts de la Commission auxquelles les experts des États membres sont invités et qui concernent la préparation d'actes délégués. Certaines commissions parlementaires s'y associent déjà, à l'image de la commission PECH. Des analyses d'impact peuvent, le cas échéant, être produites sur les actes d'exécution susceptibles d'avoir des effets importants.
Les trois institutions se sont également engagées à établir, au plus tard pour la fin 2017 et en étroite collaboration, un registre fonctionnel commun des actes délégués, présentant les informations d'une manière bien structurée et conviviale, afin d'accroître la transparence, de faciliter la planification et de retracer tous les stades du cycle de vie d'un acte délégué.
Le contrôle de ces actes au titre du principe de subsidiarité n'a cependant pas été inscrit dans l'accord interinstitutionnel. Les actes délégués - comme les actes d'exécution - demeurent pourtant des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle. Celui-ci n'est donc in fine que partiel alors même que la Commission européenne insiste sur son rôle lorsqu'elle aborde la consultation sur les projets d'actes législatifs.
Nous regrettons également l'absence de mise en place d'un processus transparent de désignation des experts de la Commission européenne. Celui-ci devrait associer les législateurs, que sont le Conseil et le Parlement européen.
L'accord institutionnel est positif mais personnellement, je regrette vraiment que les parlements nationaux ne soient pas inclus dans ce dispositif.
Il appartient, par ailleurs, au législateur de limiter de lui-même le recours aux actes délégués et d'exécution Il est permis de s'interroger sur les lacunes de la procédure d'adoption des actes délégués et sur ce qu'elle révèle.
Notre commission a ainsi été saisie d'une demande de prolongation du délai accordé à la Commission pour adopter des actes délégués pour l'application de la directive de 2010 relative aux systèmes de transport intelligents (STI) dans le domaine du transport routier. Cette période était censée se terminer le 27 août 2017. Quatre actes délégués ont déjà été adoptés. Le cinquième, élaboré avec les experts des États membres, porte sur la mise à disposition de services d'information sur les déplacements multimodaux. Celui-ci nécessite de nouveaux approfondissements sur les spécifications et les normes applicables aux STI. Dans ces conditions, la Commission européenne a souhaité une prolongation de cinq ans de la délégation de pouvoir qui lui a été accordée. L'entrée en vigueur du dernier acte délégué pourrait intervenir douze ans après l'adoption de l'acte de base. Un tel délai interroge quant au rapport entre les intentions initiales du législateur et sa mise en oeuvre concrète.
Je laisse la parole à Jean Bizet pour aborder plus spécifiquement la question des actes d'exécution et les propositions de la Commission européenne.
M. Jean Bizet, président. - Comme l'a rappelé Simon Sutour au sujet des actes délégués, il existe une dérive dans le recours aux actes d'exécution. Le règlement relatif à la santé animale adopté en 2016 renvoie ainsi à plus de cinquante actes d'exécution. L'examen de l'acte de base peut être ressenti comme l'analyse d'une « coquille vide » qui sera remplie plus tard par la Commission européenne, au nom de son pouvoir d'exécution. Cela semble antidémocratique.
L'adoption des actes d'exécution est encadrée par un règlement de 2011 dit règlement comitologie. Aux termes de celui-ci, les représentants de la Commission présentent des projets d'actes d'exécution à un comité composé de représentants des États membres - le comité d'examen - qui émet un avis à l'issue d'un vote. Celui-ci est effectué conformément à la règle de la majorité qualifiée prévue par les Traités : 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l'Union européenne.
Si une majorité qualifiée se prononce en faveur du projet d'acte, la Commission doit adopter le projet d'acte. À l'inverse, si la majorité qualifiée est défavorable au projet, la Commission ne peut l'adopter. Enfin, si aucune majorité qualifiée n'est dégagée, la Commission a le pouvoir d'adopter l'acte.
Un certain nombre d'actes d'exécution ne peuvent
cependant être adoptés si le comité d'examen n'a pas
émis un avis. Il s'agit par exemple des actes portant sur la
fiscalité, les services financiers, la protection de la santé, la
sécurité des personnes, des animaux et des plantes ou les mesures
de sauvegarde multilatérales définitives. Les actes pour lesquels
l'acte de base prévoyait expressément qu'ils ne pouvaient
être adoptés faute d'avis du comité d'examen
- clause
d'absence d'avis - et ceux qui ont suscité une opposition d'une
majorité simple des membres du comité d'examen ne sont pas
adoptés.
L'acte d'exécution est alors soumis au comité d'appel, également composé de représentants des États membres, mais à un niveau plus élevé. Il émet un avis, conformément à la règle de la majorité qualifiée. Si le comité d'appel se conclut par l'absence d'avis, la Commission est libre d'adopter le projet d'acte d'exécution. C'est donc un pouvoir fort de la Commission dans l'architecture de l'Union européenne. La Commission propose, le Conseil dispose, le Parlement vote.
L'absence d'avis ou les avis défavorables du comité d'appel sont rares. En 2015, ils représentaient 2 % des 1 726 avis émis par les comités d'examen et d'appel. Sur la période 2011-2015, le comité d'appel a cependant confirmé l'absence d'avis sur 36 des 40 cas qui lui ont été soumis. Le comité d'appel n'a donc pas permis de clarifier la position des États membres. La Commission relève ainsi qu'entre 2015 et 2016, elle a été contrainte d'adopter 17 actes visant l'autorisation de produits et de substances sensibles, à l'instar du glyphosate ou des organismes génétiquement modifiés, alors que les États membres n'étaient pas parvenus à adopter une position.
À la suite de l'affaire du glyphosate, la Commission a mis en place une forme de contrôle politique des actes délégués et des actes d'exécution. Environ une fois par semaine, les commissaires informent leur vice-président des textes en préparation jugés sensibles. En cas de doute, le premier vice-président, M. Frans Timmermans, et le secrétariat général de la Commission sont alertés afin d'engager une discussion politique sur le contenu de l'acte. Ce contrôle n'a cependant pas éludé toutes les difficultés. Dans ce contexte, et comme indiqué par le président Juncker dans son discours sur l'état de l'Union de septembre 2016, la Commission européenne a souhaité aller plus loin et améliorer la procédure. Il s'agit pour elle de responsabiliser les États membres et d'éviter que la décision finale incombe à la Commission européenne, faute de soutien politique clair des États membres. C'est une hypocrisie classique : on laisse les fonctionnaires décider...
Le projet de règlement présenté prévoit quatre mesures. La première consiste en une modification des règles de vote au sein du comité d'appel, à la fin de la procédure d'adoption. Seules les positions exprimées seront dorénavant prises en compte, ce qui devrait limiter le recours aux abstentions et l'absence de mandat clair pour la Commission. Les pays qui ne sont pas présents ou qui s'abstiennent sont considérés comme ne participant pas au calcul de la majorité qualifiée. Ils ne pourront plus se cacher...
La Commission serait autorisée à saisir une deuxième fois le comité d'appel, cette fois-ci au niveau ministériel, si les experts nationaux ne prennent pas position ou si le vote, durant la première réunion, est reporté. Les décisions sensibles seraient ainsi examinées au niveau politique approprié. Est-ce que cela résoudra le problème ? Je n'en suis pas sûr...
Selon la troisième proposition, les votes émis par les représentants des États membres au sein du comité d'appel seraient rendus publics afin de renforcer la transparence du dispositif. Actuellement, les votes sont soumis à une règle de confidentialité, prévue par le règlement intérieur du comité d'appel : seuls les résultats globaux apparaissent. C'est assez confortable pour certains États membres voulant éviter de se prononcer, à cause de certaines pressions ou faute d'acceptation sociale d'une décision...
Enfin, la Commission pourrait saisir le Conseil des ministres pour avis si le comité d'appel n'est pas en mesure de prendre position. Il s'agit d'obtenir du Conseil une orientation politique, non contraignante, sur les implications institutionnelles, juridiques, politiques et internationales de l'absence de vote. La Commission serait alors obligée de tenir compte de la position exprimée par le Conseil dans les trois mois qui suivent sa saisine, voire dans un délai plus court si nécessaire.
Nous saluons le souhait de responsabiliser un peu plus les États membres et de clarifier leur rôle dans l'adoption des actes d'exécution. Reste qu'il y a lieu de s'interroger sur la possibilité de voir cette réforme adoptée par les législateurs. La modification des règles de calcul de la majorité qualifiée peut laisser songeur. Celles-ci sont clairement établies au sein des traités et ont été précisées à l'occasion de l'adoption du Traité de Lisbonne. La question de l'abstention n'est abordée dans les traités que lorsque les décisions doivent être adoptées à l'unanimité : les abstentions des membres présents ou représentés ne font alors pas obstacle à l'adoption des délibérations du Conseil. Même si je la trouve pertinente, la proposition que nous vous proposons reviendrait à déroger aux règles des traités.
Il convient par ailleurs d'appuyer la saisine du Conseil ou l'organisation du comité d'appel au niveau ministériel, même si la présence des ministres ne garantit pas toujours la prise de décision...
C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter cette proposition de résolution européenne qui reprend les observations que nous avons formulées avec Simon Sutour. Nous l'adresserons au gouvernement et la doublerons d'un avis politique, directement adressé au président de la Commission. La Commission doit nous répondre dans les trois mois. Pour être honnête, les réponses sont souvent alambiquées, nous n'y voyons pas toujours beaucoup plus clair, mais nous pouvons ainsi continuer à dialoguer. Voilà notre pouvoir à l'échelle des parlements nationaux.
Dès 2014, Simon Sutour avait tiré le signal d'alarme sur les actes délégués et les actes d'exécution. La Commission trouve assez confortable d'avoir les mains libres pour écrire ce qu'elle veut, sans contrôle démocratique, ni filtre de la subsidiarité. Afin de renforcer le rôle des parlements nationaux, je souhaite une révision des traités. Elle ne sera probablement pas pour demain, car l'on ouvrirait la boîte de Pandore...
Mme Colette Mélot. - Cette proposition de résolution européenne est pertinente. Notre commission joue pleinement son rôle. Je souhaite que cet appel soit entendu et que d'autres pays européens nous rejoignent. Bravo de vous être saisis du sujet.
M. André Gattolin. - J'approuve également cette résolution. Le point 12 est particulièrement important : les actes d'exécution et délégués « constituent des compléments d'actes législatifs » et « devraient être transmis aux parlements nationaux au titre du contrôle de subsidiarité ». Il faudrait approfondir le travail juridique sur ce point, alors que le rôle des parlements est reconnu dans le contrôle de subsidiarité.
Les règles de décision à la majorité qualifiée sont assez complexes, et les gouvernements nationaux ont du mal à prendre des positions claires. Un ancien secrétaire général du Conseil européen avait le plus grand mal à dresser les conclusions des réunions du Conseil, tant les positions étaient alambiquées. Les trois quarts des gouvernements n'affirment rien, alors que c'est leur responsabilité. Ils renvoient le sujet à la Commission, qui joue un rôle de plus en plus ambigu : est-elle une administration ou un pouvoir politique ? C'est un pouvoir politique puisqu'elle est présidée par le Spitzkandidat du parti ayant gagné les élections européennes. C'est un vrai sujet juridique. Reporter des actes délégués ou d'exécution sur douze ans et les confier à l'administration, c'est un déni de démocratie. Les élections nationales et européennes en perdent leur sens ! Nous marchons sur la tête : nous ne sommes plus dirigés mais gérés... Nous, politiques, avons une charge, une responsabilité, une légitimité. Jusqu'où la délègue-t-on à des administrations ?
M. Claude Raynal. - Cette proposition de résolution relative à la procédure d'adoption des actes délégués et des actes d'exécution au regard du principe de subsidiarité ne me pose pas de problème. Néanmoins, en tant que législateur, je constate que nous avons un droit de regard assez faible sur les décrets dans notre propre pays. Il est en effet très rare que les ministres informent le Parlement avant de prendre des décrets.
M. Simon Sutour. - Nous agissons dans le cadre de l'article 88-6 de la Constitution, qui nous autorise à émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. Nous examinons à ce titre tous les textes et notre commission va être amenée à se prononcer sur deux d'entre eux. Désormais, nous avons la possibilité d'adresser un carton jaune, orange ou rouge. Il nous est arrivé dans le passé d'adresser des cartons jaunes pour signifier que tel texte de la Commission ne respectait pas les règles relatives à la subsidiarité. Pour cela, il faut que d'autres parlements de l'Union européenne - avec des majorités différentes selon les parlements - nous rejoignent. Nous l'avons fait une première fois sur le droit de grève des travailleurs détachés et la Commission avait carrément retiré le texte en question.
C'est la raison pour laquelle que nous demandons légitimement, au point 12, que les parlements nationaux soient consultés sur les actes d'exécution et les actes délégués.
M. André Gattolin. - Ce n'est pas du tout la même chose qu'un décret d'application !
M. Simon Sutour. - Tout à fait. Nous sommes dans le cadre de la législation européenne.
M. Claude Raynal. - Si l'on faisait une analyse rétrospective des 1 000 derniers actes d'exécution, combien auraient mérité un carton jaune s'ils avaient été transmis aux parlements nationaux au titre du contrôle de subsidiarité ?
M. Simon Sutour. - Nous n'avons pas toujours connaissance des textes. Le contrôle doit s'exercer sur la législation européenne, sur les actes qui en découlent - délégués ou d'exécution - à tous les niveaux. Au niveau du Parlement européen, de la Commission et du Conseil, cela progresse et nous souhaitons que cela progresse aussi au niveau des parlements nationaux.
M. Jean Bizet, président. - Lorsqu'il s'agit d'une directive, c'est plus lisible, mais dans le cas d'un règlement, qui est d'une application directe, nous n'en avons pas forcément connaissance. C'est la raison pour laquelle nous avons évoqué tout à l'heure la question du vin rosé et celle des profils nutritionnels : ce sont les professionnels qui nous ont alertés. Tous les projets d'acte qui passent chaque année au crible du principe de subsidiarité. Un prochain règlement est en cours de rédaction relatif à l'interdiction de pêche du homard et de la civelle. Ce sont les professionnels de la pêche en mer du Nord qui m'ont alerté.
C'est la raison pour laquelle notre commission doit être particulièrement à l'écoute des professionnels.
L'affaire du vin rosé, nous l'avons découverte un peu par hasard après que j'ai été alerté par la filière fromagère de Normandie.
En l'occurrence, la Commission exerce son pouvoir de façon autoritaire et si cela nous échappe, les conséquences peuvent être certaines sur le plan économique. Par ailleurs, sur un plan politique, on nous reprochera par la suite d'avoir voté ceci ou cela, ce qui est faux. En revanche, ce qui est vrai, c'est que nous n'aurons rien vu.
Le point 12, sur lequel a insisté André Gattolin, est fondamental. Cela étant, nous sommes à la frange d'une modification de traité puisque cette question est réglée par le protocole n° 2 des traités.
Dans ce genre d'affaires, on avance lentement. Avec Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour, nous pourrons, lors d'une prochaine COSAC, aborder ce sujet. Les autres États membres ont les mêmes préoccupations que nous en la matière. On peut faire évoluer les textes, mais il n'est pas envisageable de modifier les traités. Il faudra trouver des moyens d'agir autrement.
Le ministre de l'agriculture devra bientôt prendre une décision au sujet du glyphosate : j'ai eu l'occasion de lui dire que, compte tenu de la pression sociétale qui s'exerce sur ces questions, cela allait devenir de plus en plus compliqué ; le problème n'est même plus scientifique.
M. Daniel Gremillet. - Je reviens sur le point 13 : j'insiste sur la nécessaire transparence dans la nomination des experts.
M. André Gattolin. - Il faudra un jour dire ce qu'est un expert !
M. Simon Sutour. - Ce sont souvent les mêmes qui sont désignés par les gouvernements !
Mme Fabienne Keller. - Quel est notre droit en matière de contrôle ?
M. Jean Bizet, président. - Nous avons le droit de nous saisir de toute question, y compris d'un document préparatoire.
Mme Fabienne Keller. - Je pense au projet de TGV marocain, qui, faute de financement par la Banque européenne d'investissement, n'en a pas obtenu non plus de la part du fonds pour la Méditerranée, mécanisme mis en place par la Commission sous sa seule responsabilité. Certes, il ne s'agit pas de législation, il s'agit plus de modalités de gestion du budget ou de pilotage budgétaire.
M. Jean Bizet, président. - Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l'article 88-4 de la Constitution dispose que des résolutions européennes peuvent être adoptées « sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne ».
Mme Fabienne Keller. - Grâce à votre présence sur le terrain, vous avez connaissance de faits. Est-il envisageable d'aller plus loin ?
M. Jean Bizet, président. - Dans le cadre du dialogue politique, nous pouvons poser des questions, sur le point précis que vous évoquez ou sur un autre sujet.
Avec les collègues siégeant à la COSAC, je propose que nous nous saisissions de ce sujet. Et puisque Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission, y est régulièrement présent, nous pourrons avancer.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne :
Proposition de résolution
européenne
(1) Le Sénat,
(2) Vu l'article 88-4 de la Constitution,
(3) Vu les articles 16 et 17 du traité sur l'Union européenne,
(4) Vu les articles 238, 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
(5) Vu l'accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne «Mieux légiférer» du 13 avril 2016,
(6) Vu la convention d'entente entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission sur les actes délégués annexée à l'accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne «Mieux légiférer» du 13 avril 2016,
(7) Vu le règlement (UE) n°182/2011 du 28 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission,
(8) Vu la proposition de règlement portant modification du règlement (UE) n°182/2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission (COM (2017) 85 final),
(9) Souligne que la procédure d'adoption des actes délégués et des actes d'exécution doit respecter les principes de responsabilité politique et de contrôle démocratique ;
(10) Salue la volonté de la Commission de responsabiliser un peu plus les États membres et de clarifier leur rôle dans l'adoption des actes d'exécution ;
(11) Appelle le législateur européen à une utilisation modérée et conforme aux traités des actes délégués et des actes d'exécution ;
(12) Rappelle que les actes d'exécution et les actes délégués constituent des compléments d'actes législatifs et qu'ils devraient être transmis aux parlements nationaux au titre du contrôle de subsidiarité ;
(13) Juge indispensable qu'un processus transparent de désignation des experts de la Commission européenne soit mis en oeuvre, associant le Conseil et le Parlement européen ;
(14) Estime que la modification des règles de calcul de la majorité qualifiée proposée apparaît contraire aux traités ;
(15) Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.