COM(2018) 328 final
du 02/05/2018
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 09/05/2018Budget de l'Union européenne
Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CEE, Euratom) n 1553/89 concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée
COM(2018) 328 final Texte E13038
Extrait du compte rendu de la commission des affaires européennes
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, nous avons aujourd'hui deux sujets à traiter, d'une part le cadre financier pluriannuel, d'autre part l'extraterritorialité des lois américaines. Ce n'est pas la première fois que nous abordons ce second sujet. Il prend cependant désormais une dimension particulière, compte tenu de la position récente des États-Unis.
Le Président du Conseil européen, Charles Michel, a présenté une nouvelle boîte de négociation en vue d'obtenir un accord sur le cadre financier pluriannuel et l'instrument de relance lors de la prochaine réunion du Conseil européen, les 17 et 18 juillet 2020. Les informations dont nous disposons ne sont pas très encourageantes. Il n'est pas impossible par conséquent que ce Conseil européen ne soit pas conclusif. Il faut dire que l'objectif est ambitieux compte tenu des divergences qui demeurent entre les États membres, même si tous semblent partager le souci de trouver un accord avant la trêve estivale, afin de ne pas retarder la mise en oeuvre des mesures de relance.
Je vous rappelle très succinctement le schéma que la Commission avait proposé le 27 mai dernier, qui comprenait deux volets, d'une part un cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 arrêté à 1 100 milliards d'euros (de mémoire, ce montant excédait la proposition de la présidence finlandaise, mais restait inférieur à la proposition du Parlement européen), d'autre part un instrument de relance de 750 milliards d'euros destiné à faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19.
Cet instrument de relance, baptisé « Next Generation EU », devrait venir compléter et renforcer, à titre exceptionnel et temporaire, pour des engagements au cours de la période 2021-2024, les dépenses inscrites dans le cadre financier pluriannuel. La Commission souhaite utiliser ces montants exceptionnels pour rendre l'Europe plus verte, plus digitale et plus résiliente.
Ces 750 milliards d'euros, répartis en 500 milliards d'euros de subventions et garanties et 250 milliards d'euros de prêts, devraient être financés par un endettement commun et être remboursés entre 2028 et 2058. Pour séduire les États frugaux, un remboursement plus précoce est évoqué dès 2024.
Dans la proposition de résolution européenne que nous vous avions présentée début juin 2020, nous avions appelé l'attention sur plusieurs enjeux. Nous avions appelé, en particulier, à la vigilance concernant le cadre financier pluriannuel « socle ».
Notre appel à la vigilance n'était pas inutile. Le président du Conseil européen entend en effet réaliser des économies sur le cadre financier pluriannuel « socle », qui pourrait avoisiner 26 milliards d'euros par rapport à la proposition présentée par la Commission fin mai 2020. Il espère ainsi vaincre les réticences des États frugaux et les convaincre d'approuver l'instrument de relance à la hauteur envisagée par la Commission, mais en le rendant plus concentré encore sur le début de période et en anticipant quelque peu les remboursements, pour parer leurs critiques sur ces points.
À ce stade des négociations, nous observons que le président du Conseil européen s'efforce de ménager les différents intérêts, en préservant notamment les enveloppes consacrées à la PAC et à la cohésion.
M. Simon Sutour. - La structure de la proposition formulée par Charles Michel est éclairante. Il traite en premier lieu de l'instrument de relance, qui constitue l'enjeu principal de la négociation, et ensuite du cadre financier pluriannuel (CFP) « socle », considérant que les précédents échanges au Conseil européen ont déjà permis de trouver des voies de sortie. Le CFP « socle » apparaît donc comme la variable d'ajustement de la négociation pour faire adopter l'instrument de relance.
La proposition du président du Conseil européen confirme les contours de l'instrument de relance, tels que la Commission les avait envisagés. Elle conserve une enveloppe de 750 milliards d'euros, comprenant 500 milliards d'euros de subventions et 250 milliards d'euros de prêts. La ventilation proposée par la Commission entre les différents programmes n'est aucunement modifiée. La facilité pour la reprise et la résilience, en particulier, conserve une enveloppe de 560 milliards d'euros, dont 310 milliards de subventions. Nous pouvons simplement signaler un changement de rubrique pour les crédits de relance destinés à l'aide humanitaire, qui se voient rattachés pour des raisons juridiques à la rubrique de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale. Néanmoins, il ne s'agit pas d'un changement de fond.
Les modifications et précisions se trouvent ailleurs. Elles sont destinées à faire taire les critiques formulées par plusieurs États membres. Elles concernent le calendrier de l'instrument de relance, les critères d'allocation des aides, les ressources propres et le capital de la Banque européenne d'investissement.
Charles Michel propose ainsi de concentrer le plan de relance sur trois années au lieu de quatre. Les engagements de dépenses au titre de l'instrument de relance devraient ainsi prendre fin le 31 décembre 2023 au plus tard, tandis que les paiements devraient être effectués avant le 31 décembre 2026.
Les critiques sur les critères d'allocation des fonds et la juste prise en compte des effets de la crise de la Covid-19 ont été entendues. Charles Michel propose de conserver les critères d'allocation des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience proposés par la Commission européenne pour 2021 et 2022, ces deux années devant représenter 70 % des dépenses. Il les modifie en revanche pour 2023, année qui verrait le déblocage des 30 % d'engagements restants. Le critère du taux de chômage constaté au cours des années 2015 à 2019 serait ainsi remplacé, pour l'attribution de l'enveloppe en 2023, par le critère de perte cumulée de PIB en 2020 et 2021. Les effets de la crise de la Covid-19 seront donc mieux pris en compte. La commission des finances avait mis en évidence cet enjeu. Nous pouvons par conséquent nous satisfaire de cette évolution. Je vous rappelle que les fonds seront versés aux États membres en contrepartie d'engagements à mener des réformes, dans le cadre du semestre européen.
De même, le président du Conseil européen souhaite anticiper d'un an le remboursement de l'emprunt contracté pour financer cet instrument. Il débuterait le1er janvier 2027, la dernière année de ce cadre financier pluriannuel, et non plus en 2028.
Pour atteindre cet objectif, Charles Michel propose d'avancer sur le dossier des ressources propres. Il présente un plan d'action en quatre phases, qui débuterait très rapidement. Sa boîte de négociation prévoit en effet qu'une nouvelle ressource propre assise sur la quantité de plastiques non recyclés serait introduite et appliquée dès le 1er janvier 2021.
La Commission est ensuite invitée à formuler, au premier semestre 2021, des propositions pour introduire un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une ressource propre fondée sur le numérique, en vue de les mettre en oeuvre au plus tard le 1er janvier 2023.
Elle devrait également proposer une révision du système européen d'échange de quotas d'émission, en l'étendant le cas échéant à l'aviation et au transport maritime, sans qu'une date de mise en oeuvre soit spécifiée.
Enfin, le document précise que l'Union travaillera au cours du prochain CFP à la mise en place d'autres ressources propres qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières sur lesquelles les États membres n'ont jamais pu s'accorder.
Il s'agirait donc d'une nette accélération du calendrier opérationnel de développement des ressources propres de l'Union, qui interviendrait de manière graduelle, ce qui constitue une nouveauté. Notre commission a réclamé depuis longtemps des avancées sur ce dossier. Nous pouvons donc saluer la démarche et les objectifs fixés par le Président du Conseil européen, tout en restant extrêmement prudents. En effet, le passage des annonces aux actes est souvent plus difficile que prévu au niveau européen comme au niveau national. C'est particulièrement vrai en matière de ressources propres.
Enfin, la proposition de Charles Michel fait apparaître un point que la Commission n'avait pas mis en avant. Pour pouvoir assumer les missions que l'Union lui confie dans le cadre de la relance post-Covid-19, la Banque européenne d'investissement (BEI) doit bénéficier d'une augmentation de capital. Des apports directs des États membres seraient ainsi appelés à hauteur de 17,5 milliards d'euros. Pour la France, cela représenterait une dépense immédiate de l'ordre de 3,3 milliards, si nous nous référons à la clé actuelle de répartition du capital de la banque. Depuis le départ du Royaume-Uni, la France détient en effet 19,2 % du capital de la BEI.
En outre, le capital appelable serait augmenté de 175 milliards d'euros au maximum. Je vous précise que les circonstances dans lesquelles la BEI serait susceptible d'avoir recours à ce capital appelable sont rares. Cette procédure a vocation à couvrir une situation dans laquelle l'institution serait en difficulté majeure. La banque n'y a jamais eu recours depuis sa création. Le capital appelable assume néanmoins un rôle important puisqu'il permet, outre le capital appelé qui est réellement versé, de manifester le soutien des actionnaires. Il constitue ainsi un élément important de l'évaluation de la solidité financière de la Banque, ce qui n'est pas négligeable actuellement.
La crise de la Covid-19 aura mis en évidence le rôle majeur de la BEI et le soutien que les États membres lui apportent. En effet, au-delà de ces mesures, qui restent à confirmer, le troisième projet de loi de finances rectificative, que le Sénat examinera dans quelques jours, comprend un article qui prévoit l'octroi de la garantie de l'État à la BEI, à hauteur de 4,7 milliards d'euros au maximum, au titre du fonds de garantie créé pour soutenir l'économie dans le cadre de cette crise.
L'augmentation du capital appelé aura un impact budgétaire direct pour les États membres, qui devrait cependant être compensé par la baisse globale du montant du cadre financier pluriannuel proposée par le président du Conseil européen.
M. Jean Bizet. - Pour convaincre les États membres, y compris les États frugaux, d'accepter ce paquet de dépenses nouvelles, notamment ce montant de subventions, le président du Conseil européen propose en particulier deux mesures fortes concernant le cadre financier pluriannuel.
En premier lieu, il n'est plus question d'en finir avec les rabais, dont cinq États membres continueront à bénéficier, pour près de 6,5 milliards d'euros par an : l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Nous avions réclamé la suppression immédiate des rabais à l'occasion du départ du Royaume-Uni. Nous ne pouvons évidemment que déplorer cette position.
Ensuite, Charles Michel propose de réduire de 25,7 milliards d'euros l'enveloppe du cadre financier pluriannuel « socle », par rapport à la proposition présentée par la Commission européenne fin mai 2020. Très habilement, le président du Conseil européen ne se réfère pas à cette proposition, mais à celle qu'il avait lui-même formulée en février 2020 et qui était déjà plus basse de près de 5 milliards d'euros. Cette position lui permet notamment de ramener à l'étiage de février 2020 un certain nombre de programmes.
Dans le détail, la proposition de Charles Michel confirme ce que nous avions analysé en juin dernier lorsque nous avions examiné la proposition de la Commission. Nous observons des transferts de charges du cadre « permanent » que constitue le CFP vers l'instrument temporaire de relance.
À court terme, cette mesure peut paraître neutre, même si les fonds de l'instrument de relance devront être engagés durant les trois premières années du cadre financier pluriannuel. À moyen terme, elle ne l'est pas puisqu'il sera nécessaire d'augmenter le volume du prochain CFP pour conserver le même niveau de programmes. En outre, la proposition revient à faire financer par l'emprunt des dépenses qui ne relèvent pas nécessairement d'une politique de relance au sens strict. Ce point est à souligner. Il est quelque peu ennuyeux.
Le président du Conseil européen conserve le schéma retenu par la Commission pour Invest EU, désormais quasiment intégralement financé au travers de l'instrument de relance. Il ne restera plus que 1,3 milliard inscrit sur le CFP « socle », pour 30,3 milliards inscrits dans le cadre de l'instrument de relance.
Il réduit également les crédits destinés à Horizon Europe et à l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, en justifiant ces coupes par les crédits dont bénéficieront ces programmes dans le cadre de la relance.
J'avoue que la démarche qui consiste à jouer entre les deux volumes est relativement astucieuse. Elle ne fonctionnera en revanche qu'à une reprise, car il ne sera prévu qu'un plan de relance dans la conjoncture qui nous attend.
Plusieurs programmes que la Commission avait proposé de relever font l'objet de réductions pour les ramener au niveau proposé en février dernier. Tel est notamment le cas du Fonds pour la transition juste (qui doit permettre aux pays d'Europe centrale et orientale d'accepter l'ensemble des programmes environnementaux face aux mutations lourdes qu'ils auront à mener), ramené de 10 à 7,5 milliards d'euros, d'Erasmus, qui perd 3,4 milliards d'euros, mais également du Fonds européen de défense, qui perdrait 1 milliard d'euros par rapport à la proposition de la Commission, pour s'élever à 7 milliards d'euros. Je rappelle qu'initialement, il avait été envisagé de le doter de 12 milliards d'euros. Malgré nos protestations, le Fonds européen de défense ne parvient toujours pas à atteindre un niveau satisfaisant.
L'aide à la pré-adhésion serait légèrement réduite, de 300 millions d'euros, par rapport à la proposition de la Commission, mais elle serait en augmentation par rapport aux préconisations de février 2020.
Au regard des débats que nous avons eus en commission, je voudrais vous préciser que 5 milliards d'euros seraient consacrés à ITER, montant identique à celui du mois de février 2020, mais inférieur de 400 millions à la proposition initiale de la Commission en mai 2018. Ce programme est quelque peu ménagé, montrant qu'il existe une dichotomie invraisemblable entre les investissements et la façon dont la filière nucléaire est passée sous silence au niveau européen.
M. André Gattolin. - Nous ne voulons pas d'une union de l'énergie. Nous en reparlerons dans le cadre du point suivant.
M. Jean Bizet. - Absolument. Par ailleurs, la politique spatiale européenne voit son budget stabilisé à 13,2 milliards d'euros. Elle gagne même 3 millions d'euros par rapport à la proposition de la Commission de mai 2020. Le montant de cette enveloppe est inférieur de 1 milliard à celui envisagé en 2018. Nous constatons cependant que les lignes se figent, cette fois à un niveau correct. J'avoue qu'il s'agit d'une excellente nouvelle. Nous devons en effet assurer notre maîtrise dans ce nouvel espace, porteur d'un nombre considérable d'effets induits.
Les crédits dédiés à Frontex seraient inchangés par rapport aux propositions du Conseil européen de février dernier. Ils s'élèveraient à 5,1 milliards d'euros. Parallèlement, le Fonds pour la gestion intégrée des frontières serait doté de 5,5 milliards d'euros, montant pour moitié inférieur à la préconisation de la Commission en mai dernier. Cette évolution est préoccupante au regard des propos qui nous ont été tenus par Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex, lorsque nous l'avons auditionné en avril dernier. L'Europe qui protège ne peut en effet se concevoir qu'avec des frontières sécurisées.
Les fonds consacrés à la cohésion et à la PAC apparaissent en revanche préservés par rapport à la proposition de la Commission, même si nous relevons une très légère baisse de 51 millions d'euros sur le premier pilier de la PAC. La communication que j'ai faite ce matin constitue un encouragement à faire évoluer la politique européenne de concurrence, sans laquelle il est inenvisageable de réduire les aides prévues dans le cadre financier pluriannuel au bénéfice des agriculteurs. Ce discours n'est toutefois pas entendu à Bruxelles, notamment par Mme Vestager. Cette situation est regrettable. Même au niveau national, j'ignore comment réagira le nouveau ministre de l'agriculture. Je l'ai vu pour la première fois sur le terrain chez moi, en Centre-Manche, où il m'a semblé être à l'écoute et attentif.
M. André Gattolin. - Qui connaît Jacques Mézard, comprend Julien Denormandie. On peut le considérer comme son fils spirituel et donc compter sur sa ruralité profonde.
M. Jean Bizet. - Toujours est-il que je suis soucieux concernant l'évolution de la politique de concurrence si elle n'intègre pas la donne agricole.
Je poursuis. La boîte de négociation apporte une précision importante concernant la déclinaison des objectifs de transformation écologique et digitale au travers de ces deux grandes politiques que sont la PAC et la cohésion.
Elle précise ainsi que 30 % des dépenses du cadre financier pluriannuel et de l'instrument de relance devront favoriser la lutte contre le changement climatique, ce pourcentage étant porté à 40 % pour ce qui concerne la politique agricole commune. Je vous renvoie à l'audition du commissaire européen à l'agriculture et à celle du vice-président Timmermans. Ce dernier devra détailler ses attentes dans le domaine agroalimentaire au travers du Pacte vert pour l'Europe.
M. Jean-François Rapin. - Il s'est peu exprimé sur le sujet.
M. Jean Bizet. - En effet. S'agissant de la digitalisation de l'économie, le document précise que la politique de cohésion devra contribuer à l'objectif de transformation numérique.
Enfin, la boîte de négociation rejette la perspective d'une révision du cadre financier pluriannuel à mi-parcours, que nous avions soutenue dans notre dernière résolution européenne.
M. Simon Sutour. - Je voudrais enfin souligner une nouveauté et une précision importantes.
La nouveauté réside dans la création d'une réserve d'ajustement « Brexit » au sein des instruments spéciaux, hors plafond du CFP. Elle serait dotée de 5 milliards d'euros pour parer les difficultés que pourraient rencontrer les États membres et les secteurs les plus affectés. La Commission devrait formuler une proposition de mise en oeuvre de cette réserve d'ici le mois de novembre prochain. La mise en place de ce nouvel instrument financier est bien le signe que la Commission se prépare à un Brexit dur.
La précision porte sur les conditionnalités, en particulier la conditionnalité relative à l'État de droit, dont nous avions débattu en janvier dernier notamment. La boîte de négociation précise qu'un mécanisme de protection du budget de l'Union en cas de défaillance généralisée de l'État de droit dans un État membre sera mis en oeuvre. Elle introduit toutefois un élément nouveau, en précisant que le dialogue annuel sur le respect de l'État de droit au sein du Conseil sera plus élaboré et bénéficiera notamment de l'appui de la Cour des comptes européenne. Nous verrons la manière dont cet ensemble se déclinera.
Globalement, nous constatons donc qu'un choix clair a été effectué pour faciliter l'adoption de l'instrument de relance à la hauteur prévue par la Commission et, en particulier, pour conserver le niveau élevé de subventions qui suscite les critiques des États frugaux. Le cadre financier pluriannuel « socle » se rétrécit. Ses lignes se cristallisent, même si chaque partie continue à pousser ses pions dans des négociations qui seront, à n'en pas douter, extrêmement difficiles. J'observe d'ailleurs qu'un créneau a été réservé les 27 et 28 juillet 2020 pour un nouveau Conseil européen, signe que celui des prochains jours pourrait ne pas être conclusif.
Le Parlement européen a critiqué le rétrécissement du CFP et ce qu'il considère être un manque d'ambition du Président du Conseil européen s'agissant des ressources propres. Plusieurs États membres ont également formulé des critiques, notamment l'Allemagne, sur le fonds européen de défense. Tout espoir de relèvement des crédits de ce fonds n'est donc pas perdu. Toutefois, même si nous avons appelé et continuons d'appeler de nos voeux certaines réévaluations à la hausse, des augmentations significatives seront vraisemblablement difficiles à obtenir.
M. Jean Bizet. - Les chiffres ne sont pas éloignés de la première annonce de l'ancien commissaire allemand Günther Oettinger : nous revenons aux fondamentaux.
M. André Gattolin. - Nous ne devons pas faire semblant de ne pas savoir comment fonctionnent les négociations. Nous croyons toujours que nous maintiendrons la PAC à un niveau identique. Nous savons cependant que cette politique est contestée depuis au moins quinze ans par l'ensemble des autres pays.
M. Jean Bizet. - La PAC est contestée par les autres pays, qui investissent cependant beaucoup financièrement pour leur propre agriculture. Nous devons par conséquent garder le souci de la faire évoluer dans le sens que j'ai présenté ce matin.
M. Jean-François Rapin. - Il est question d'une cristallisation. Selon moi, cependant, la négociation se paie chèrement par rapport à la fois précédente. La renonciation sur les rabais est significative. Nous étions encore en discussion la fois précédente quant à leur possible disparition. Finalement, une décision péremptoire est prise.
M. André Gattolin. - Aucune décision n'est encore prise. Il s'agit d'une proposition. Seuls deux pays souhaitaient réellement l'arrêt des rabais, la France et l'Italie. Ils y avaient intérêt puisqu'au prorata, ils payaient davantage que les autres pays.
M. Jean-François Rapin. - Je constate simplement que la négociation se paie chèrement. Par ailleurs, nous voyons apparaître, au niveau de la Banque européenne d'investissement, un appel à un abondement des fonds pour permettre les emprunts à hauteur de 4,7 milliards d'euros. S'agit-il pour nous d'éléments budgétaires ou non ?
M. Jean Bizet. - Il existe deux aspects. Le premier aspect en loi de finances concerne les garanties. Le niveau de risque étant élevé, il n'est pas exclu cependant que le montant de 4,7 milliards d'euros de garanties subisse une perte sèche. Par ailleurs, l'augmentation de capital de la BEI relève d'une sortie de cash.
M. André Gattolin. - L'augmentation de capital de la BEI en 2012 avait déjà permis au plan Juncker de fonctionner. J'avais pour ma part le plus grand doute quant au double effet de levier. Il a néanmoins fonctionné. Le plan de relance initial, prévu avant la crise sanitaire, passait par une prolongation du FIES ; le plan de relance en termes de prêts vient s'y ajouter, le nouvel abondement est normal. Je vous trouve bien lugubres. Pour la première fois, pourtant, un plan de relance conséquent est mis en place. Nous ne pouvons pas obtenir simultanément le maintien du cadre financier pluriannuel en l'état. Une demande dans ce sens signifierait que nous ne connaissons pas nos partenaires. Elle signifierait que nous pensons que l'Europe est napoléonienne et que nous décidons.
M. Simon Sutour. - Le traitement de la crise de la Covid-19 et la mise en place du fonds qui l'accompagne sont concomitants du Fonds pluriannuel. Si le cadre financier pluriannuel était acté, nous serions tranquilles pour plusieurs années. Il n'est pas acté. Des vases communicants se mettent par conséquent en oeuvre.
M. André Gattolin. - Nous n'obtiendrons sans doute pas un accord samedi soir. Un deuxième sommet pourrait être organisé la semaine prochaine. L'objectif est d'acter les décisions sur le cadre financier pluriannuel. En effet, les Pays-Bas viennent d'accepter l'idée de 100 milliards d'euros de subventions et d'aides, alors que nous demandons 500 milliards d'euros. Nous pouvons nous satisfaire de cette décision, qui entérine le principe même que des aides viennent de l'Union européenne. Je pense qu'après négociation, nous atteindrons un niveau de 400 milliards d'euros d'aides et de 350 milliards d'euros d'emprunts.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous avons le sentiment que ce qui nous est présenté comme un moment particulier de l'Union européenne qui emprunte pour la première fois et change ainsi de dimension est en réalité un coup unique atténuant les actions pérennes.
M. Jean Bizet. - Je le répète. Je juge d'une belle habileté l'articulation entre le cadre financier pluriannuel et le plan de relance. La conjoncture a permis cette articulation, mais nous ne possédions pas d'autre solution. Globalement, cette solution est positive. Il est vrai que nous nous fondons sur des politiques traditionnelles, qui ne sont cependant pas nécessairement des politiques passéistes, dès lors que nous ne souhaitons pas changer certaines orientations (concernant la PAC, notamment). S'agissant du Fonds européen d'investissement stratégique, je dois dire que je doutais du coefficient multiplicateur mais suis admiratif : dans la réalité, le dispositif fonctionne.
M. André Gattolin. - J'étais également très critique. Je dois reconnaître effectivement que le dispositif fonctionne.
M. Jean Bizet. - L'abondement est aujourd'hui indispensable après le départ des Britanniques, qui voulaient rester, jugeant l'outil pertinent. Les Britanniques ont souhaité quitter l'Union européenne, mais voudraient continuer de participer aux politiques efficaces. La signature de la BEI sur les marchés est excellente. Le capital appelable, de surcroît, n'a jamais été sollicité.
Je souhaiterais en revanche une accentuation de l'effort au profit du Fonds européen de défense.
M. André Gattolin. - Avant d'entrer dans les politiques sectorielles, je souhaite répondre à mon collègue. Il ne s'agit pas d'un coup unique, pour deux raisons. Devant la faiblesse structurelle des États pour abonder le cadre financier pluriannuel, le plan Juncker a été mis en place jusqu'à 2018, puis prolongé jusqu'en 2020. La décision a été prise ensuite de le prolonger pour un montant de 650 milliards d'euros sur la période 2021-2027, montant auquel s'ajoute ou s'intègre le plan de relance. La réalité du plan de relance est qu'aujourd'hui, les pays frugaux souhaitent que l'ensemble des sommes post-Covid-19 soient dépensées en deux ans. La Commission argue de l'incapacité à mettre en place des projets structurels en deux ans. Elle plaide pour au moins trois ans de dépenses d'engagements, puis des dépenses de crédits de paiement sur six ans. De surcroît, compte tenu de l'échéance des remboursements, il sera possible de créer des ressources propres tout au long du cadre financier pluriannuel. En réalité, nous nous dirigeons, non pas vers un budget, mais vers des ressources mutualisées (ressources budgétaires, crédits, ressources propres) à 2 % au moins du PIB. Il s'agit d'une révolution. Certes, comme disait Nietzsche, la révolution arrive « sur des pattes de colombes ». Pour ma part, je suis favorable au triplement du budget européen à l'horizon 2050, sous peine de ne pas pouvoir résister à la compétition internationale et aux investissements réalisés par l'Amérique du Nord et la Chine. Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, nous avons trouvé une façon habile de « faire du 1+1 » et de le pérenniser.
M. Jean Bizet. - Je suis d'accord. La difficulté réside dans le fait que nous devons encore attendre la réaction demain et après-demain des pays frugaux. J'ai noté pour ma part des points positifs et des points négatifs. Parmi les points négatifs, nous sommes tous déçus de ne pas avoir réussi à régler la question des rabais. Dès lors que l'Allemagne qui est contributrice nette, présidait le Conseil, il était cependant impossible de régler la question. Par ailleurs, le fait que les États doivent faire preuve d'engagement dans un certain nombre de réformes apparaît en filigrane. Il n'y aura pas d'ouverture de crédits sans réformes. Il s'agit, à mon sens, d'un des meilleurs services à rendre à notre pays. Ayons l'honnêteté de le reconnaître. Côté ressources propres, la taxe sur les plastiques a vocation à s'éteindre, si nous sommes vertueux. L'annulation, il y a 48 heures, de l'injonction de la Commission à Apple de restituer 13 milliards d'euros à l'Irlande au titre des avantages fiscaux oblige à trouver d'autres ressources propres.
M. André Gattolin. - Il s'agit d'une question de solidarité européenne. L'opération de la Commission vis-à-vis de l'Irlande n'avait de sens que si l'Espagne et d'autres pays maintenaient leurs recours contre l'Irlande. Certes, le résultat est insupportable. Chaque pays doit cependant avoir le courage de se tourner vers l'Irlande pour obtenir sa part de la richesse produite.
M. Jean Bizet. - Il y a quelques années, tandis que l'Irlande était en situation extrêmement difficile, nous avions invité l'ambassadeur d'Irlande en France. Je lui avais indiqué qu'au titre de la politique de solidarité, il était logique que l'Union européenne vienne en aide à l'Irlande. Je lui avais cependant demandé d'entendre que le différentiel de taux en matière d'impôts sur les sociétés devenait insupportable. Je l'avais invité à envisager d'inscrire l'Irlande dans la moyenne européenne. Il avait répondu « Jamais », invoquant que c'était le seul atout de l'Irlande. Il avait été extrêmement raide.
M. André Gattolin. - J'étais présent. Il avait évoqué en retour nos crédits d'impôt recherche excessifs, en nous expliquant que toute la jeunesse diplômée, compétitive et éduquée dans le domaine de la recherche en Irlande venait en France de ce fait. Il avait indiqué que l'Irlande n'était pas hostile à revoir son taux en matière d'impôts sur les sociétés, à la condition que nous-mêmes soyons irréprochables en matière fiscale.
M. Jean Bizet. - Chaque pays possède en effet ses politiques d'attrait.
Personnellement, par ailleurs, je n'ai jamais cru au produit d'une taxe sur les transactions financières. Il restera extrêmement marginal.
Nous avons dressé, ce jour, un état des lieux. Nous en reparlerons probablement à l'avenir.