COM(2021) 731 final
du 25/11/2021
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
1. Résumé de la proposition de règlement
La proposition de règlement COM (2021) 731 final, présentée par la Commission européenne, le 26 novembre 2021, est partie intégrante de son « plan d'action pour la démocratie européenne ». Elle a d'ailleurs été présentée dans un paquet législatif comprenant également une proposition de règlement relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes1(*), ainsi que deux propositions de directives actualisant les modalités du droit de vote et du droit d'éligibilité aux élections européennes et municipales pour les citoyens de l'Union européenne résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants.2(*)
Elle vise pour l'essentiel :
- en premier lieu, à imposer des obligations nouvelles aux prestataires de services de publicité politique, quel que soit le support utilisé (presse papier ; radio ; TV ; plateformes en ligne...) : obligation de déclaration, également imposée aux « parraineurs », qui bénéficient de la publicité et peuvent être des candidats aux élections ou des partis politiques (article 5) ; tenue de registres par les prestataires sur leurs activités de publicité politique (article 6) ; obligation d'accompagner chaque annonce publicitaire politique d'un certain nombre d'informations (regroupées dans un « avis de transparence ») permettant aux citoyens de comprendre qu'il s'agit de publicité politique et d'en identifier le « parraineur » ; obligation de transmission des informations relatives au contenu, au montant perçu, au « parraineur », non seulement aux autorités nationales de contrôle mais également à des « entités intéressées » : chercheurs agréés ; organisations non gouvernementales habilitées ; « acteurs politiques »... (article 11). Les prestataires de service établis dans un pays tiers auraient l'obligation de désigner un représentant légal dans un État membre de l'Union européenne (article 14). Et les contrevenants s'exposeraient à un régime de sanctions administratives et financières (article 16) ;
- en deuxième lieu, des obligations seraient aussi imposées aux « éditeurs de publicité à caractère politique » (= personne physique ou morale qui rend publique la publicité politique, quel que soit le support choisi), qui devraient en particulier s'assurer de diffuser une publicité politique avec les informations précitées ou, si ces informations manquent, s'abstenir de diffuser la publicité concernée ;
- en troisième lieu, le texte a pour objectif de réguler les « techniques de ciblage et d'amplification » dans le contexte de la publicité à caractère politique en imposant des obligations aux responsables de traitement : interdiction de principe, aux fins de ciblage politique, des techniques de ciblage et d'amplification impliquant le traitement de données personnelles sensibles, sauf consentement explicite des personnes qui en font l'objet3(*) ; mise en oeuvre de règles internes précisant les modalités d'utilisation de ces techniques ; tenue de registres et obligation de transmission d'informations dans les conditions déjà mentionnées (articles 12 et 13).
Tout en faisant référence dans son exposé des motifs à son plan d'action pour le renforcement de la démocratie de 2020 et à la nécessité de mieux encadrer les techniques de « ciblage » des électeurs par la publicité politique, la proposition de règlement est en revanche explicitement justifiée par deux bases juridiques respectivement relatives à l'établissement et au fonctionnement du marché intérieur (article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)) et à la protection des données personnelles (article 16 du TFUE). Sur le premier point, la Commission dénonce une « fragmentation » d'un « marché intérieur de la publicité politique », qui, par ses lacunes réglementaires et son manque de transparence, porterait aujourd'hui préjudice tant aux annonceurs qu'aux citoyens.
2. La proposition de règlement est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?
En remarque préalable, on peut s'étonner du peu de soin accordé à la rédaction de la proposition de règlement, qui est pourtant un texte normatif intervenant dans un domaine sensible touchant directement les droits des citoyens, au premier rang desquels la liberté d'opinion et la liberté d'expression. En effet, il multiplie les références à des notions floues et peu juridiques, telles que celles « d'acteur politique », « d'entité intéressée », ou de « source officielle ». Il en résulte une absence de clarté du dispositif et de sa portée exacte, ainsi qu'un risque d'insécurité juridique.
Concernant la conformité du texte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, sans ici évaluer la pertinence au fond de son dispositif, on peut estimer suffisante la justification avancée pour les dispositions relatives au ciblage et à l'amplification, à savoir l'article 16 du TFUE, relatif à la protection des données personnelles, car ces dispositions sont une déclinaison des règles concernant la publicité ciblée incluses dans la proposition de législation sur les services numériques (Digital Services Act) en cours d'adoption, dans le champ spécifique de la publicité politique4(*).
En revanche, la base juridique pour fonder une intervention de l'Union européenne dans les campagnes électorales nationales et locales et pour imposer des obligations aux candidats aux élections et aux partis politiques nationaux semble très fragile : l'article 114 du TFUE qui prévoit l'adoption de mesures destinées à assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur est une base juridique insuffisante pour prouver la nécessité de la proposition de règlement.
Malgré sa longueur (224 pages), l'analyse d'impact ne prouve pas les menaces pesant actuellement sur le marché intérieur qui justifieraient ce texte. Plus encore, la « fragmentation » dénoncée par la proposition ne peut être résumée à une problématique de marché intérieur : en effet, elle est en fait le plus souvent le résultat des différences de systèmes institutionnels (bicaméraux ou monocaméraux...), de traditions politiques et de calendriers électoraux entre les États membres qui fondent leur vie démocratique.
En outre, le cadre européen envisagé prévoit des obligations nouvelles, non seulement pour les prestataires de service de publicité et les responsables de traitement de données élaborant et diffusant de la publicité politique, mais également pour leurs « parraineurs », à savoir, potentiellement, les candidats aux élections et les partis politiques nationaux.
Cet encadrement serait le plus souvent indirect, mais il n'en serait pas moins incontestable. À titre d'exemple, on peut penser à la nouvelle obligation déclarative qui serait imposée au candidat ou au parti « parrainant » une annonce ou une campagne de publicité politique (article premier), ou à la transmission éventuelle d'informations les concernant à des tiers par le prestataire de service ou le responsable du traitement ayant travaillé pour leur compte (articles 11 et 13).
De plus, la liste des informations exigées, qui sont des éléments essentiels de la proposition, peut être modifiée par la Commission européenne seule, par la voie d'actes délégués (articles 7, 12 et 19). Pour rappel, ces derniers sont prévus par l'article 290 du TFUE. Ils permettent à la Commission européenne, non seulement compléter mais également de modifier la législation adoptée. Mais ces actes ne sont pas soumis au contrôle des parlements nationaux.
Le cadre européen envisagé, s'il était adopté, aurait donc une influence sur le déroulement des campagnes électorales, même nationales et locales, puisqu'il imposerait des règles supplémentaires aux candidats et aux formations politiques et déterminerait partiellement leurs choix de publicité politique.
Certes, les visas (n° 13 et 25) de l'exposé des motifs de la proposition de règlement affirment que ce dernier ne « devrait pas affecter le contenu matériel de la publicité à caractère politique ni les règles régissant l'affichage de celle-ci, y compris les périodes dites de silence précédant les élections ou les référendums » et que « la définition de la publicité à caractère politique ne devrait pas avoir d'incidence sur les définitions nationales des partis politiques, des objectifs politiques ou des périodes de campagne au niveau national ».
Mais ces visas ne sont pas repris dans le dispositif de la proposition de règlement qui, en revanche, souligne les États membres ne pourraient ni maintenir ni introduire « des dispositions ou mesures s'écartant de celles prévues par le présent règlement » (article 3). Ils n'auraient donc pas de marge de manoeuvre.
Or, la Commission européenne et l'Union européenne plus généralement, n'ont pas, dans les traités, les compétences nécessaires pour régir la propagande des candidats aux élections nationales ou locales et celles des partis politiques nationaux, de surcroît sur la base de l'article 114 du TFUE.5(*)
En pratique, il revient en effet au Parlement national de déterminer ces règles. Ainsi, en France, de longue date, le Parlement a en particulier fixé les règles encadrant la « propagande » pendant les campagnes électorales (articles L. 52-1 et suivants du code électoral). Cependant, la proposition de règlement ne prévoit aucune modalité d'association ni même d'information des parlements nationaux.
Enfin, même si l'on parvenait à lever les interrogations sur les fragilités de la base juridique choisie, il convient de se demander si le choix d'une directive, qui permet de laisser une marge d'appréciation suffisante aux États membres dans un domaine sensible influençant le déroulement de la vie démocratique, et laisse une capacité d'action aux Parlements nationaux, n'aurait pas été plus pertinent pour satisfaire au principe de proportionnalité.
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de proposer à la commission des affaires européennes de désigner des rapporteurs pour évaluer l'opportunité d'adresser à la Commission européenne un avis motivé au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 Proposition de règlement COM(2021) 734 final.
* 2 Propositions de directives COM(2021) 732 final et COM(2021) 733 final.
* 3 Les partis politiques, syndicats, associations religieuses ne sont pas concernés par cette interdiction, en ce qui concerne leurs membres et uniquement dans le cadre de leurs activités légitimes.
* 4 Cette nouvelle architecture résulte de la proposition de règlement relatif à un marché intérieur des services numériques (Législation sur les services numériques) et modifiant la directive 2000/31/CE (Digital Services Act ou DSA), COM(2020) 825 final, de la proposition de règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (Législation sur les marchés numériques) (Digital Markets Act ou DMA), COM(2020) 842 final, en date du 15 décembre 2020, ainsi que du futur cadre européen sur les données (ou Data Act).
* 5 Les seules prérogatives de l'Union européenne en matière électorale, qui ne sont pas visées par la proposition de règlement, sont de fixer les conditions et limites du droit de vote et d'éligibilité des citoyens des États membres de l'Union européenne aux élections européennes et aux élections municipales (article 20 du TFUE).
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 07/12/2021Examen : 17/02/2022 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne sur les propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil relatives, d'une part, à la publicité à caractère politique et, d'autre part, au statut et au financement des partis politiques européens (2021-2022) : voir le dossier legislatif