COM(2021) 890 final
du 14/12/2021
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
v Proposition de règlement concernant les situations d'instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l'asile - COM(2021) 890 final
En 2021, l'organisation d'un mouvement artificiel d'immigration irrégulière vers plusieurs États membres par la Biélorussie, qui a alors agi en « État passeur », a mis en lumière l'existence de tentatives de déstabilisation de l'Union européenne par une instrumentalisation des migrants.
En conséquence, dans ses conclusions des 21 et 22 octobre 2021, le Conseil européen a confirmé que l'Union européenne et les États membres demeuraient déterminés à assurer un contrôle efficace des frontières extérieures de l'Union européenne et a invité la Commission européenne à proposer tout changement nécessaire au cadre juridique existant afin de lutter contre cette instrumentalisation, également qualifiée d'attaque hybride.
En réponse à cette invitation, le 1er décembre 2021, le Conseil a adopté une proposition de décision1(*) visant à soutenir les États membres attaqués par des sanctions contre le régime biélorusse, par une aide financière complémentaire, par un déploiement des agences compétentes de l'Union européenne et par l'autorisation de déroger temporairement à certaines règles du droit de l'Union européenne en matière de gestion de l'asile, de conditions d'accueil et de retour des migrants « instrumentalisés ».
Toutefois, d'autres pays tiers étant susceptibles de menacer l'Union européenne par de tels procédés, la présente proposition de règlement, ainsi qu'une modification du « code frontières Schengen »2(*), ont été présentées par la Commission européenne, le 16 décembre dernier, afin de pérenniser ces possibilités de dérogation.
La proposition de modification du « code frontières Schengen » définit l'instrumentalisation de migrants comme une « situation dans laquelle un pays tiers suscite des flux de migration irrégulière à destination de l'Union (européenne), en encourageant activement ou en facilitant le déplacement de ressortissants de pays tiers vers les frontières extérieures, sur son propre territoire ou à partir de ce dernier et ensuite jusqu'à ces frontières extérieures, dans laquelle ces actions traduisent l'intention du pays tiers de déstabiliser l'Union ou un État membre, et dans laquelle la nature de ces actions est susceptible de mettre en péril les fonctions essentielles de l'État, y compris son intégrité territoriale, le maintien de l'ordre public ou la sauvegarde de la sécurité nationale. »
En complément, la proposition de règlement examinée énumère les dérogations spéciales possibles. Il est d'ailleurs étonnant, en droit, de constater que ces dérogations sont fixées par rapport aux dispositions du Nouveau Pacte sur la migration et l'asile, alors que ce dernier, présenté par la Commission européenne en septembre 2020, n'a toujours pas été adopté.
Selon la proposition de règlement COM(2021) 890 final, un État membre confronté à une situation d'instrumentalisation des migrants par un pays tiers, pourrait :
-allonger à quatre semaines, le délai maximum d'enregistrement des demandes de protection internationale formulées par les ressortissants de pays tiers ou apatrides appréhendés ou retrouvés à proximité de la frontière extérieure avec le pays tiers responsable de l'instrumentalisation et ayant franchi illégalement cette frontière3(*) (article 2) ;
-appliquer la procédure d'asile à la frontière, prévue dans des cas limités par le Nouveau pacte sur la migration et l'asile, à toutes les demandes (hors cas médicaux), avec la possibilité d'en prolonger la durée (jusqu'à seize semaines, recours éventuel compris, contre douze en principe). Priorité serait accordée aux « demandes susceptibles d'être fondées » et aux « demandes introduites par des mineurs non accompagnés ou par des mineurs et des membres de leur famille » (article 2) ;
-adapter temporairement les conditions matérielles d'accueil des migrants « instrumentalisés », dans des cas dûment justifiés, « à la condition que cet État membre couvre les besoins fondamentaux des demandeurs, notamment par la fourniture de nourriture, d'eau, de vêtements, de soins médicaux adéquats et d'abris temporaires adaptés aux conditions météorologiques saisonnières, dans le strict respect du droit à la dignité humaine. » (article 3) ;
-écarter l'application des règles de la directive « retour » à l'égard des ressortissants de pays tiers ou apatrides « instrumentalisés » dont la demande de protection internationale a été rejetée, en préservant le principe du non-refoulement et en mettant en oeuvre les garanties nécessaires au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et à la prise en compte de l'état de santé des migrants (article 4).
Au regard du principe de subsidiarité, la proposition est fondée sur une base juridique pertinente, à savoir les articles 78, paragraphe 2, et 79, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui permettent au Parlement européen et au Conseil d'adopter des mesures relatives à « des procédures communes pour l'octroi et le retrait du statut uniforme d'asile ou de protection subsidiaire » et à « des normes concernant les conditions d'accueil des demandeurs », ainsi qu'à « l'immigration clandestine et (au) séjour irrégulier, y compris l'éloignement et le rapatriement des personnes en séjour irrégulier. » Eu égard aux conséquences potentielles de l'instrumentalisation des migrants sur la sécurité intérieure d'un État membre, on peut simplement s'interroger sur l'opportunité d'envisager une référence additionnelle à l'article 4, paragraphe 2 du TUE relatif à la sécurité nationale, qui rappelle que « la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».
En outre, si ces dispositions peuvent susciter un débat politique entre partisans d'un renforcement de l'efficacité de la surveillance des frontières extérieures face à des circonstances exceptionnelles et ceux d'un respect vigilant des principes du droit d'asile, elles constituent un approfondissement de la coopération des États membres et une simplification des procédures en vigueur face aux « attaques hybrides » d'un pays tiers.
En revanche, on peut avoir un doute légitime sur la proportionnalité de la procédure d'autorisation, prévue à l'article 7, permettant à un État membre de faire reconnaître une situation d'instrumentalisation de migrants et, en conséquence, de mettre en oeuvre les dérogations spéciales précitées. En effet, les États membres doivent demander l'autorisation à la Commission européenne et cette dernière propose une décision d'exécution au Conseil, seulement « lorsqu'elle le juge approprié ». Ce qui signifie, a contrario, qu'elle peut refuser cette autorisation si elle n'est pas convaincue par la demande.
La compétence ainsi reconnue à la Commission européenne pour effectuer un arbitrage éminemment politique et ayant des conséquences immédiates pour la sécurité intérieure du ou des États membres concernés ne semble pas proportionnée aux objectifs poursuivis et au respect du rôle premier de ces États dans le domaine de la sécurité nationale. Cette faculté d'autorisation devrait donc revenir au Conseil.
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail a jugé nécessaire que la commission des affaires européennes analyse précisément la question de la conformité de ce texte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité, en vue de de l'adoption d'un éventuel avis motivé.
* 1 Décision COM(2021) 752 final.
* 2 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2016/399 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes.
* 3 Par comparaison, un délai de principe allant de trois à six jours (et de dix jours en cas d'afflux massif) est fixé par la proposition de directive sur les procédures d'asile