COM(2022) 655 final
du 27/04/2022
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
I) La proposition de directive
A) Le droit existant
À la suite du programme de La Haye (novembre 2004) et conformément au programme d'action de la Commission européenne relatif à l'immigration légale (décembre 2005), l'Union européenne a adopté plusieurs initiatives législatives définissant les conditions d'admission des ressortissants de pays tiers, dont la directive 2011/98/UE du 13 décembre 2011. Cette directive établit une procédure de demande unique en vue de la délivrance d'un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d'un État membre et institue un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre.
Cette directive s'applique à trois catégories de ressortissants de pays tiers : ceux qui demandent à résider dans un État membre afin d'y travailler ; ceux qui y ont été admis à d'autres fins que le travail mais qui ont été autorisés à y travailler et bénéficient d'un titre de séjour ; et ceux qui ont été admis dans un État membre aux fins d'y travailler.
Elle ne s'applique en revanche ni aux membres des familles des citoyens des États membres, ni aux travailleurs détachés ou saisonniers, ni à ceux qui bénéficient d'une protection internationale, ni aux résidents de longue durée.
Cette directive prévoit :
-une procédure de demande unique pour la délivrance d'un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers relevant de son champ d'application à résider sur le territoire d'un État membre pour y travailler ;
-la faculté pour les États membres de décider si la demande de permis doit être effectuée par le ressortissant de pays tiers concerné ou par l'employeur. Si la demande doit être déposée par le ressortissant de pays tiers, les États membres « permettent que la demande soit introduite à partir d'un pays tiers ou, si le droit national le permet, sur le territoire de l'État membre » où il se trouve légalement ;
-un socle commun de droits au bénéfice de ces ressortissants de pays tiers (entrée ; séjour ; libre circulation ; exercice de l'activité professionnelle faisant l'objet du permis unique ; information sur ces droits) et une égalité de traitement avec les ressortissants de l'État membre où ils résident dans divers domaines : conditions de travail ; liberté d'association et d'affiliation à une organisation syndicale ou professionnelle ; éducation et formation ; reconnaissance des diplômes et des qualifications ; affiliation aux branches de la sécurité sociale ; avantages fiscaux ; accès aux biens et aux services, y compris la procédure d'accès au logement ; services de conseil. Certaines restrictions peuvent toutefois être instituées par les États membres (limitation du bénéfice des formations aux chômeurs ; exclusion des bourses et prêts d'études ; exigence d'un niveau de connaissance de la langue de l'État membre ou du paiement de droits d'inscription...).
Bien entendu, la présente directive s'applique « sans préjudice de la compétence des États membres en ce qui concerne l'admission des ressortissants de pays tiers sur leur marché du travail. »1(*)
Pour rappel, en France, la possession d'une carte de séjour temporaire par un étranger résidant sur le territoire métropolitain lui confère le droit d'exercer une activité professionnelle sur ce même territoire. Et l'obtention d'une carte de séjour « salarié » est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail2(*), dont les conditions de délivrance sont fixées par le code du travail3(*). Ainsi, l'autorisation de travail peut être limitée à certaines activités professionnelles ou zones géographiques.
B) Le choix d'une actualisation de la proposition de directive 2011/98/UE
Selon le bilan de l'application de la directive effectué par la Commission européenne en 2019, les États membres ont, au cours de cette année, déclaré avoir pris 2 984 261 décisions relatives à des permis uniques, dont 1 212 952 portant sur la délivrance d'un premier permis.
Cependant, pour la Commission européenne, la durée globale des procédures de demande dissuaderait les employeurs de recruter à l'étranger. Elle constate aussi une interprétation restrictive des dispositions relatives à l'égalité de traitement dans certains États membres et indique en outre avoir reçu plusieurs plaintes pour non-respect des délais légaux de délivrance d'un permis unique ou pour des problèmes liés à la sécurité sociale, et avoir engagé des procédures d'infraction contre 14 États membres.
En se fondant sur ce bilan, et conformément à la communication sur le Nouveau Pacte sur la migration et l'asile, présenté le 23 septembre 2020, la Commission européenne a décidé de proposer une modification de la directive 2011/98/UE.
En pratique, le 25 mai dernier, elle a présenté un « paquet » relatif à l'immigration légale comprenant une communication4(*), une révision de la directive sur les résidents de longue durée5(*) et la proposition de directive COM (2022) 655 final modifiant la directive 2011/98/UE. Cette proposition, à titre principal :
-renforce la sécurité juridique du droit en vigueur en introduisant une définition de l'employeur des étrangers bénéficiant d'un permis unique (article 2) ;
-étend son champ d'application aux ressortissants de pays tiers bénéficiant d'une protection, conformément au droit national, aux obligations internationales ou aux pratiques en vigueur dans un État membre (article 3) ;
-demande aux États membres de permettre l'introduction des demandes de permis unique aussi bien à partir d'un pays tiers que dans l'État membre de résidence et de délivrer un visa aux ressortissant de pays tiers remplissant les conditions pour bénéficier du permis unique et dudit visa (article 4) ;
-afin d'éviter un allongement excessif des procédures, intègre la délivrance de visa dans le délai de quatre mois imparti pour qu'un État membre vérifie la situation de son marché du travail et statue sur la demande de permis unique (article 5) ;
-autorise le ressortissant de pays tiers bénéficiaire d'un permis unique à changer d'employeur au cours de la période de validité de ce permis ou, s'il a perdu son emploi, à pouvoir rester au moins trois mois sur le territoire de l'État membre de résidence (article 11) ;
-rappelle, conformément à un jugement récent de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), que les membres de la famille d'un bénéficiaire d'un permis unique ont droit aux prestations de sécurité sociale, qu'ils résident sur le territoire de l'État membre de résidence ou dans un pays tiers6(*), et confirme que les ressortissants de pays tiers autorisés à travailler en vertu d'un visa auraient droit aux prestations familiales s'ils travaillent dans l'Etat membre concerné pendant une période supérieure de six mois (article 12) ;
-demande aux États membres de prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives contre l'employeur d'un titulaire de permis unique ne respectant pas les dispositions nationales résultant de la directive et de prévoir les voies de recours permettant alors à ces titulaires de porter plainte contre cet employeur (article 14).
II) La proposition de directive est-elle conforme au principe de subsidiarité ?
En dépit des limites de l'argumentation développée par la Commission européenne pour expliquer qu'une actualisation du droit en vigueur est urgente, on peut affirmer que la présente proposition d'actualisation de la directive 2011/98/UE comporte des mesures nécessaires qui doivent contribuer à une harmonisation bienvenue des pratiques (définition de l'employeur ; autorisation de changement d'employeur par le titulaire d'un permis unique ; demande de mise en place de procédures juridictionnelles en cas de conflit d'un titulaire de permis unique avec l'employeur...).
En outre, la base juridique choisie est pertinente, à savoir l'article 79, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (TUE), qui habilite le Parlement européen et le Conseil à statuer conformément à la procédure législative ordinaire et à adopter des mesures en matière de conditions d'entrée et de séjour, de normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée et de définition des droits des ressortissants des pays tiers en séjour régulier dans un État membre. Notons simplement qu'elle aurait pu être visée avec le paragraphe 5 du même article 79, qui limite cette compétence : « le présent article n'affecte pas le droit des États membres de fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers, sur leur territoire dans le but d'y rechercher un emploi salarié ou non salarié. »
Enfin, les dispositions envisagées et le véhicule juridique choisi semblent proportionnés aux objectifs à atteindre.
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a donc décidé ne pas intervenir plus avant au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 Article premier de la directive 2011/98/UE.
* 2 Articles L.414-10 et L. 414-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 3 Articles L. 5221-5 à L. 5221-11 du code du travail.
* 4 « Attirer des compétences et des talents dans l'Union européenne », COM (2022) 657 final.
* 5 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (refonte), COM (2022) 650 final.
* 6 CJUE, C-302/19, Instituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) contre WS, 25 novembre 2020.