COM(2022) 684 final  du 05/12/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Proposition de relative à la définition des infractions pénales et des sanctions applicables en cas de violation des mesures restrictives de l'Union (COM (2022) 684) 

A) Une proposition de directive qui s'inscrit dans la réponse de l'Union européenne à l'agression russe en Ukraine

Depuis le 24 février 2022, date du déclenchement de l'invasion russe de l'Ukraine, les États membres de l'Union européenne ont fait de la solidarité avec l'Ukraine, une priorité de leur politique étrangère. L'une des modalités très concrètes de cette solidarité a été de renforcer la politique de sanctions (ou mesures restrictives) à l'encontre des responsables et entreprises russes, mise en place depuis l'annexion illégale de la Crimée en 2014.

Encadré : Les mesures restrictives

Ces mesures peuvent être décidées, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), par le Conseil de l'Union européenne1(*) à la majorité qualifiée, à l'encontre de pays tiers, d'entités ou de particuliers. Elles peuvent comprendre des mesures individuelles ciblées (ex : gel des avoirs d'une personne ; interdiction de pénétrer sur le territoire de l'Union européenne) ainsi que des mesures sectorielles (restrictions à l'importation et à l'exportation, restrictions à la fourniture de certains services comme les services bancaires...). Leur mise en oeuvre relève de la responsabilité première des États membres.

Sans procéder à une énumération exhaustive de ces sanctions, rappelons que ces dernières comprennent :

-des sanctions restrictives ciblées à l'encontre des principaux auteurs de l'agression russe (sanctions individuelles à l'encontre des personnes ayant soutenu, financé ou mis en oeuvre les décisions de la Russie ayant compromis l'intégrité territoriale ukrainienne) : interdiction de voyager dans l'Union européenne  et mesures restrictives en matière de visas ; gel de leurs biens et avoirs. Sur ce dernier point, le règlement (UE) 2022/12732(*) oblige les personnes et entités désignées détenant des avoirs relevant de la juridiction d'un État membre à les déclarer et à coopérer avec l'autorité compétente pour la vérification de ces déclarations (le non-respect de cette obligation étant considéré comme une action de contournement) ;

- des sanctions économiques interdisant l'exportation de certains produits de l'Union européenne vers la Russie (technologies de pointe ; raffinage de pétrole ; équipements énergétiques ; produits de luxe...) et l'importation de pétrole russe et prévoyant d'autres mesures (fermeture des ports et de l'espace aérien des États membres aux navires et avions russes ; suspension de la diffusion de cinq médias russes...).

Ces sanctions ont été étendues à certaines personnes physiques et morales biélorusses, en raison de leur implication dans le plan d'invasion de l'Ukraine.

En complément, la décision 2022/2332 du Conseil du 28 novembre 2022 (adoptée à l'unanimité par le Conseil avec approbation du Parlement européen)3(*) a ajouté la violation des mesures restrictives prises par l'Union européenne à la liste des domaines de criminalité pour lesquels le législateur européen peut établir des règles minimales, afin d'en harmoniser la qualification juridique au niveau européen et de donner une efficacité maximale à ces mesures. Cette liste est précisée à l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)4(*) .

B) L'objet de la proposition de directive

1) Un constat : la diversité du statut et de la sanction des violations des mesures restrictives de l'Union européenne dans les États membres

La proposition de directive a pour objet d'établir des règles minimales européennes pour définir les infractions pénales liées à la violation des mesures restrictives de l'Union européenne et les peines qui leur sont applicables.

En effet, selon la Commission européenne, l'application de ces mesures est incohérente dans les États membres. Il revient aux autorités compétentes de ces derniers d'apprécier s'il y a eu violation des décisions et règlements du Conseil adoptés en vertu de l'article 29 du traité sur l'Union européenne5(*) ou de l'article 215 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne6(*).

Les systèmes judiciaires nationaux considèrent ainsi les violations des mesures restrictives de l'Union européenne, soit uniquement comme une infraction pénale (dans douze États membres), soit comme une infraction administrative ou pénale (dans treize États membres), soit encore comme une simple infraction administrative (dans deux États membres). Les critères pour qualifier ces infractions sont variables, prenant en compte ou non, le caractère grave de l'infraction, l'intention ou la négligence grave de son auteur.

Il en va de même pour les peines applicables à ces infractions : dans quatorze États membres, la durée maximale d'emprisonnement prévue pour les auteurs de ces violations est comprise entre deux et cinq ans. Mais dans huit autres États membres, des peines maximales comprises entre huit et douze ans sont possibles. Quant à l'amende maximale susceptible de leur être infligée, elle peut être fixée à un montant allant de 1200 euros à 5 millions d'euros.

Enfin et surtout, selon la Commission européenne, « dans la pratique, très peu d'individus ou de personnes morales responsables de violations de mesures restrictives de l'Union [européenne] doivent effectivement répondre de leurs actes ». On peut cependant constater que cette affirmation n'est étayée par aucune étude chiffrée.

La Commission européenne considère que cette disparité des procédures et cette mobilisation insuffisante des États membres font « ainsi échec aux objectifs des mesures restrictives en question. »7(*)

2) La proposition de directive tend donc à harmoniser la définition des infractions pénales résultant de la violation des mesures restrictives

Aussi, afin de donner toute leur effectivité aux mesures restrictives de l'Union européenne, la proposition de directive tend d'abord à harmoniser et à préciser la définition des infractions pénales liées à la violation des mesures restrictives de l'Union européenne.

Constitueraient ainsi de telles infractions pénales tout contournement des mesures restrictives ou toute action permettant à des personnes ou organismes visés par ces mesures de ne pas les respecter (mise à disposition de ressources économiques ; refus de geler leurs avoirs ; aide à l'entrée dans un État membre). Il en irait de même pour toute fourniture de services juridiques ou d'activités financières à ces personnes ou organismes.

Seraient également constitutifs de cette infraction, le fait de dissimuler qu'une personne ou une entité visée par une mesure restrictive est propriétaire de fonds ou de ressources économiques, ainsi que le fait de ne pas déclarer de tels fonds, et, plus généralement, le refus de coopérer avec les autorités chargées de procéder aux nécessaires vérifications.

La violation d'une mesure restrictive de l'Union européenne constituerait une infraction pénale si elle est intentionnelle, ou dans certains cas limités, si elle résulte d'une négligence grave (article 3). L'incitation à commettre de telles infractions, à y participer et à s'en rendre complice, serait aussi qualifiée d'infraction pénale.

3) La proposition de directive prévoit le quantum maximal des peines applicables pour punir les infractions précitées

Pour les personnes physiques (article 5), la peine maximale pour les infractions correspondant au maintien des relations commerciales et économiques notamment avec les personnes et organismes visés par une mesure restrictive ou à des actions de soutien, serait d'un an d'emprisonnement, lorsqu'elles concernent des fonds ou des ressources d'au-moins 100.000 euros.

En lien avec ce même montant, toute dissimulation d'informations aux autorités compétentes, toute action de contournement des mesures restrictives ou tout refus de coopérer, seraient punis d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement. Des peines complémentaires pourraient être infligées aux auteurs des infractions (amendes).

Les États membres sont aussi appelés à adopter les procédures garantissant la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales, y compris lorsqu'une violation des mesures restrictives de l'Union européenne résulterait d'un « défaut de surveillance ou de contrôle de leur part ». En pratique, elles seraient susceptibles d'être sanctionnées par des amendes, par l'exclusion de procédures d'appels d'offres ou de financements publics, par une interdiction d'exercer leur activité, par un placement sous surveillance judiciaire ou par une liquidation judiciaire (articles 6 et 7).

La proposition de directive prévoit des circonstances aggravantes (ex : violations commises au sein d'une organisation criminelle ou par un agent public dans l'exercice de ses fonctions) ou atténuantes (ex : transmission d'informations aux autorités chargées de l'enquête par la personne visée) ; elle prévoit aussi l'application du régime de protection des personnes signalant des violations du droit de l'Union européenne, et fixe les modalités de gel et de confiscation des fonds et ressources économiques concernés. Elle exige des États membres qu'ils prennent les dispositions pertinentes pour établir leur compétence et fixer des délais de prescription (articles 11 et 12). Elle précise enfin les voies de coopération entre les autorités compétentes des États membres, la Commission européenne, Europol, Eurojust et le Parquet européen (articles 13 et 16).

C) La proposition de règlement est-elle conforme au principe de subsidiarité ?

La proposition de directive soumise à votre examen est-elle nécessaire ? Certainement. En effet, la pérennité de la guerre d'agression en Ukraine menée par la Russie, repose en grande partie sur l'accès persistant de cette dernière à des ressources financières, économiques et technologiques visées par les sanctions européennes. Or, l'efficacité de ces sanctions suppose leur application harmonisée dans tous les États membres. Car si l'un d'entre eux choisissait de devenir le « maillon faible » du dispositif, en « fermant les yeux » sur des actions de contournement des mesures restrictives, c'est l'ensemble de la stratégie de sanctions qui serait menacée.

Mais soulignons que la compétence de l'Union européenne dans la définition des infractions pénales liées à la violation des mesures restrictives de l'Union européenne et dans la fixation des sanctions punissant ces infractions, ne va pas de soi. En effet, si l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet au Conseil et au Parlement européen d'établir les règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement graves, force est de constater que ces domaines limitativement énumérés ne comprenaient pas la violation des mesures restrictives jusqu'à une période récente8(*).

C'est pourquoi, comme déjà précisé supra, la décision 2022/2232 du Conseil du 28 novembre 2022 précitée a ajouté la violation des mesures restrictives de l'Union européenne à la liste des domaines de criminalité pour lesquels il peut établir de telles règles minimales, conformément à la procédure prévue à l'article 83, paragraphe 1, alinéa 2.

Ainsi, la proposition de directive, en s'appuyant sur les dispositions nouvelles de l'article 83 du TFUE, dispose bien d'une base juridique solide.

Enfin, cette réforme est-elle proportionnée aux objectifs visés ?

Si la sanction pénale des violations des mesures restrictives de l'Union européenne relève désormais logiquement des compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, ces derniers doivent conserver leurs prérogatives en premier ressort, afin de pouvoir adapter les règles minimales prévues avec une marge d'appréciation conséquente, tant pour fixer leurs procédures que leurs compétences et leurs règles de coopération mutuelle.

À cet égard, le choix d'une directive pour procéder à cette « harmonisation raisonnée », qui est de toute façon imposée par la rédaction de l'article 83 précité à la Commission européenne, est pertinent car il doit permettre aux États membres d'adapter les règles minimales européennes à leur contexte juridique national par des mesures de transposition.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre du principe de subsidiarité.


* 1 Article 215 du TFUE.

* 2 Règlement (UE) 2022/1273 du Conseil du 21 juillet 2022 modifiant le règlement (UE) n°269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine.

* 3 « En fonction des développements de la criminalité, le Conseil peut adopter une décision identifiant d'autres domaines de criminalité qui remplissent les critères visés au présent paragraphe. Il statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. »

* 4 Cette liste comprenait déjà : le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.

* 5 Cet article précise en particulier que « les États membres veillent à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions de l'Union. »

* 6 Cet article permet au Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et de la Commission européenne, d'adopter des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d'entités non étatiques issus d'un pays tiers avec lequel l'Union européenne a interrompu ses relations économiques et financières.

* 7 Les citations sont issues de l'exposé des motifs de la proposition de directive (p 4).

* 8 Terrorisme ; traite des êtres humains ; exploitation sexuelle des femmes et des enfants ; trafic illicite de drogues ; trafic illicite d'armes ; blanchiment d'argent ; corruption ; contrefaçon des moyens de paiement ; criminalité informatique ; criminalité organisée.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 06/12/2022