COM(2023) 716 FINAL  du 20/11/2023

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Ø Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d'un réservoir européen de talents (COM (2023) 716 final)

Le 27 avril 2022, la Commission européenne présentait sa communication « Attirer des compétences et des talents dans l'Union européenne »1(*), prévue dans le cadre des initiatives du Nouveau Pacte sur l'asile et la migration (présenté en septembre 2020) afin d'établir une stratégie européenne destinée à renforcer les voies de migration légales en faveur de l'immigration de travail vers les États membres de l'Union européenne.

La présente proposition de règlement s'inscrit dans cette stratégie.

1. Le contenu de la proposition de règlement COM(2023) 716 final présentée par la la Commission européenne

1) La création d'un « réservoir européen de talents »

Le principal objectif de la présente proposition de règlement est la création d'un « réservoir européen de talents » à la disposition de l'ensemble des États membres

Cette création répond à deux objectifs explicitement affichés : d'une part, « répondre aux pénuries actuelles et futures de main-d'oeuvre et de compétences » dans les États membres de l'Union européenne et, d'autre part, favoriser une immigration économique légale afin de « réduire la pression exercée par la migration irrégulière » (exposé des motifs, p 2).

À cette fin, une liste des professions en pénurie à l'échelle de l'Union européenne figure à l'annexe de la présente proposition de règlement. La Commission européenne pourrait modifier cette liste au moyen d'actes délégués, en tenant compte des professions en pénurie communes à un grand nombre d'États membres participants et des professions qui contribuent directement aux transitions écologique et numérique de l'Union. Les États membres participants pourraient décider d'ajouter des professions en pénurie à la liste ou d'en supprimer afin de répondre aux besoins spécifiques de leur marché du travail.

L'article 2 de la proposition de règlement définit les demandeurs d'emploi visés comme toute « personne résidant en dehors » des États membres de l'Union européenne, qui n'est pas citoyen d'un État membre et donc, de l'Union européenne, et qui cherche pourtant un emploi dans l'Union européenne.

2) Un recrutement facilité par une plateforme numérique de mise en contact des demandeurs d'emploi et des employeurs

En pratique, ce « réservoir » serait adossé à une nouvelle plateforme informatique (article 5) qui rassemblerait les profils de demandeurs d'emploi des pays tiers enregistrés et les offres d'emploi émanant d'employeurs établis dans les États membres participants, et les mettrait en correspondance. À cette fin, l'interopérabilité entre les systèmes d'emploi nationaux et la plateforme informatique du réservoir européen de talents devrait être assurée.

Seules les offres d'emploi relevant de la liste des professions en pénurie à l'échelle de l'Union européenne (article 14), et les modifications apportées à cette liste par chaque État membre (article 15), ainsi que les offres pertinentes relevant d'un « partenariat pour les talents »2(*) seraient transférées sur la plateforme. Les employeurs participants devraient bien évidemment respecter le droit du travail de leur État membre et les règles européennes applicables ;

Précisons que les demandeurs d'emploi étrangers ayant participé à un « partenariat pour les talents » recevraient un passe européen spécifique qui certifierait les compétences développées ou validées par l'intéressé dans le cadre de ce partenariat, et immédiatement identifiables par les employeurs. Les États membres participant au partenariat concerné pourraient cependant limiter la visibilité de ces profils, pour une période maximale d'un an, aux seuls employeurs établis sur leur territoire.

3) Des garanties accordées aux demandeurs d'emploi et une possibilité de procédure d'immigration accélérée

Les points de contact nationaux du « réservoir européen de talents » fourniraient des conseils et des informations, à la demande des demandeurs d'emploi inscrits et des employeurs participants (ex : sur les mesures nationales d'intégration, sur les procédures de regroupement familial...). En outre, le dispositif permettrait aux demandeurs d'emploi inscrits sur la plateforme de déposer une plainte en cas de violation, par les employeurs participant au réservoir européen de talents, de leurs obligations. L'accès desdits employeurs au « réservoir européen de talents » serait alors suspendu et leurs offres d'emploi supprimées.

Enfin, l'article 19 incite les États membres participants à mettre en place des procédures d'immigration accélérées (obtention de visas et de titres de séjour à des fins de travail ; exemption du principe de préférence pour les ressortissants de l'Union européenne) au profit des travailleurs concernés.

4) La gouvernance du « réservoir européen de talents »

En pratique, le fonctionnement du « réservoir européen de talents » nécessiterait une nouvelle infrastructure administrative, à savoir :

-un groupe de pilotage (article 9) composé de représentants des États membres participants3(*) (les représentants des États membres non participants peuvent assister aux réunions en tant qu'observateurs), qui aurait pour tâche de fournir un appui à la planification et à la coordination des activités du réservoir européen de talents ;

-un secrétariat (article 8) chargé de la gestion globale du dispositif, en particulier, la création et la gestion de la plateforme informatique ;

-un point de contact national (article 10) dans les administrations compétentes de chaque État membre.

L'estimation du coût du dispositif est évaluée par la Commission européenne entre 12,45 millions d'euros et 20,75 millions euros4(*), sur la base d'une participation de 11 à 20 États membres.

5) Un dispositif facultatif

Toutefois, la participation des États membres à ce « réservoir » serait facultative. Ces derniers seraient donc libres d'y participer ou non. Les États membres pourraient également rejoindre le dispositif après sa mise en place dans d'autres États membres (moyennant une notification de ce choix à la Commission européenne, neuf mois avant la date souhaitée pour cette participation).

2. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

a) La base juridique choisie est-elle correcte ?

La proposition de règlement est fondée sur l'article 79, paragraphe 2, point a), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui confère au Parlement européen et au Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, le pouvoir d'adopter des mesures dans le domaine des conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers.

Le réservoir européen de talents vise à faciliter le recrutement de ressortissants de pays tiers résidant en dehors de l'Union européenne et souhaitant y travailler légalement, ce qui modifierait de fait les conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans l'Union européenne, par l'instauration de procédures d'immigration accélérées. Toutefois, ces dispositions devraient aussi respecter le cinquième paragraphe de l'article 79 précité, qui rappelle que les règles européennes ne doivent pas entraver le « droit des États membres » à « fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire dans le but d'y rechercher un emploi salarié ou non salarié ». Il est dommage que ce dernier paragraphe ne soit pas également explicitement visé parmi les bases juridiques de la proposition même si son nécessaire respect ne fait aucun doute.

b) La proposition est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?

Une observation préalable peut être formulée. On peut en effet s'interroger sur la cohérence entre le droit national et le droit européen : pourquoi ce projet de texte européen, qui a été annoncé par la Commission européenne dès fin 2020, confirmé en avril 2022 et présenté par elle le 15 novembre dernier, n'a-t-il pas été mentionné dans le cadre des discussions du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, alors que ce dernier comportait également des dispositions destinées à favoriser l'immigration économique ?

En effet, son dispositif répond au même objectif que l'article 3 initial de ce projet de loi (finalement supprimé, à l'initiative du Sénat), qui visait à combler des déficits de main d'oeuvre par l'apport d'une main d'oeuvre extra-communautaire dans des secteurs économiques sous tension dans les États membres.

De telles mesures répondent clairement aux voeux de la Commission européenne, d'un certain nombre d'États membres de l'Union européenne, et des organisations d'employeurs, qui ont appelé publiquement à un renforcement de l'immigration économique pour combler les pénuries de « talents » et de compétences dans les États membres. Ainsi, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie indiquait que le besoin de recrutement dans le secteur était actuellement de 250 000 personnes5(*).

La Commission européenne souhaite, à l'évidence, harmoniser les outils des États membres participants en faveur de l'immigration économique, à la fois par un champ très large des secteurs « en pénurie de compétences » (cuisiniers ; maçons ; couvreurs ; serveurs ; conducteurs d'autobus...), allant au-delà de « talents » limités et circonscrits à quelques profils spécifiques, par le choix d'une proposition de règlement, immédiatement applicable et d'effet direct pour les États membres participants, au lieu d'une directive, et par la possibilité donnée à la Commission européenne de modifier la liste des professions devant bénéficier du « réservoir européen de talents », présente en annexe de la présente proposition de règlement, par la voie d'actes délégués de l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)6(*).

*

Ces observations étant faites, il convient de souligner que le dispositif proposé serait facultatif. Libres à eux de ne pas y adhérer s'ils estiment qu'il respecte pas leurs prérogatives, ou ne prend pas assez en compte leurs besoins.

Pour cette raison, le projet de règlement semble conforme au principe de subsidiarité.

c) La présente proposition de règlement est-elle conforme au principe de proportionnalité ?

Du fait du caractère facultatif du dispositif qu'elle propose, la proposition de règlement COM(2023) 716 final apparaît conforme au principe de proportionnalité. Cette proportionnalité serait encore confortée si la proposition prévoyait une possibilité pour les États membres ayant intégré le « réservoir européen de talents » mais par la suite insatisfaits de son fonctionnement, d'en sortir.

Compte tenu de ces observations, et malgré les interrogations suscitées par le texte, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 La directive 2011/98/UE du 13 décembre 2011 a établi une procédure européenne de demande en vue de la délivrance d'un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d'un État membre et posé un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers résidant légalement dans un État membre. La refonte de cette directive a la référence COM (2022) 657 final.

* 2 Les demandeurs d'emploi bénéficiaires d'un « partenariat pour les talents » seraient soutenus dans le développement et la validation de leurs compétences, dans un cadre convenu entre les États membres et les pays tiers participant à ce partenariat.

* 3 En pratique, chaque État membre participant serait représenté par un personnel de son administration en charge de l'emploi et d'un autre personnel relevant de son administration compétente en matière d'immigration.

* 4 Entre 2,67 et 4,17 millions d'euros pour les coûts d'interconnexion ; entre 348 000 et 543 800 euros pour les coûts de maintenance de cette interopérabilité ; entre 9,4 et 16,04 millions d'euros pour la mise en place de points de contact nationaux désignés (à partir de 2026) et (après 2027) d'un appui administratif à la délivrance des passes européens «partenariat pour les talents». Ces deux catégories de coûts devraient en principe être couvertes par le « Fonds asile, migration et intégration » (FAMI) mais les crédits disponibles manquent et leur augmentation fait partie des sujets en cours de discussion dans le cadre de la révision à mi-parcours du Cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027.

* 5 Extrait du rapport n°433 (2022-2023) des sénateurs Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, au nom de la commission des Lois (p 59).

* 6 Pour rappel, aux termes de cet article, « un acte législatif peut déléguer à la Commission [européenne] le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ».


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 08/12/2023


La commission des affaires européennes n'est pas intervenue sur ce texte.