COM(2023) 754 FINAL
du 28/11/2023
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Ø Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil révisant le règlement (UE) 2016/794 Europol pour renforcer la coopération policière afin de prévenir, de détecter et de poursuivre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, et consolider le soutien d'Europol dans l'accomplissement de ces missions, (COM (2023) 754 final)
Second texte du paquet présenté par la Commission européenne, le 28 novembre 2023, pour améliorer la lutte contre le trafic de migrants, cette proposition tend à renforcer le soutien de l'agence européenne de coopération policière Europol, en confortant, en particulier, le rôle de son centre de lutte contre le trafic de migrants et à actualiser en conséquence le règlement « Europol » (UE) 2016/7941(*).
Encadré : Synthèse de l'organisation et des missions d'Europol : |
L'agence Europol, située à La Haye (Pays-Bas), soutient les autorités compétentes des États membres dans : - l'évaluation de la menace et l'élaboration d'analyses stratégiques (rapports d'évaluation sectoriels ; identification des criminels...) - la collecte, le traitement, le stockage et les échanges d'informations, y compris des éléments de renseignement criminel ; - l'appui aux enquêtes des services répressifs et leur coordination (soutien financier ; envoi d'agents en renfort dans un État membre ; participation à des équipes d'enquête communes...). Elle est dirigée par un conseil d'administration2(*) et par un directeur exécutif3(*). Elle est aujourd'hui la seule agence européenne à être soumise à un contrôle parlementaire conjoint associant le Parlement européen et les parlements nationaux des États membres dans un groupe de contrôle. |
La proposition tend à amender le règlement « Europol » (UE) 2016/7944(*) pour :
a) renforcer la base juridique des actions menées par le centre européen de lutte contre le trafic de migrants (CELTM), créé en 2016, et préciser sa composition, afin de faciliter la coordination des différentes autorités nationales et européennes compétentes : en pratique, ce centre devrait se réunir au moins deux fois par an, en une formation comprenant un représentant par État membre (issu d'un service spécialisé dans cette lutte), un représentant de l'agence européenne de coopération judiciaire (Eurojust), un représentant de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et, au choix d'Europol, après consultation des États membres, un ou plusieurs personnels opérationnels chargés de la mise en oeuvre des stratégies européennes. La Commission européenne participerait également à ces réunions.
Au quotidien, ce centre demeurerait composé de personnels d'Europol auxquels s'ajouteraient un officier de liaison par État membre et par agence européenne précitée ;
b) améliorer le suivi et la connaissance des réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains dans l'Union européenne et dans les pays tiers et de leurs actions. Le centre précité serait ainsi chargé d'évaluer la menace constituée par ces réseaux, ainsi que leurs « modus operandi », et, le cas échéant, les routes migratoires qu'ils utilisent, afin d'assister le Conseil et la Commission européenne dans l'établissement de nouvelles stratégies de prévention et de lutte contre ces trafics. Il proposerait également des initiatives opérationnelles de mise en oeuvre de ces stratégies et soutiendrait les échanges d'information sur ce sujet entre autorités compétentes ;
c) conforter les échanges d'informations sur les réseaux de trafic de migrants en prévoyant de nouvelles obligations pour les États membres : désignation d'un ou de plusieurs services spécialisés dans la lutte contre le trafic de migrants, dotés de ressources adéquates et d'effectifs suffisants et obligation pour ces derniers d'échanger leurs informations avec leurs homologues et Europol sur le réseau sécurisé de l'agence (SIENA) ;
d) assurer une réponse opérationnelle plus efficace dans la lutte contre les trafics de migrants par de nouveaux outils :
- institution et mise en valeur du dispositif des « task forces opérationnelles », qui pourraient, sur proposition du directeur exécutif d'Europol, être instaurées en regroupant des personnels des services compétents de plusieurs États membres, pour mener des activités de renseignements et des investigations. Ces forces obtiendraient alors un soutien d'Europol5(*) sous réserve d'agir en cohérence avec l'EMPACT6(*). La proposition de règlement leur imposerait également un certain nombre de missions (ciblage de certaines activités de renseignements et enquêtes ; mobilisation de leurs officiers de liaison dans les pays tiers...). Enfin, ces « task forces opérationnelles » pourraient être ouvertes à des pays tiers et autres partenaires « invités » ;
- en réponse à une demande de soutien opérationnel formulée par un État membre dans le cadre d'enquêtes transfrontières complexes, le déploiement d'un soutien opérationnel d'Europol serait possible pour une période limitée, sur décision de son directeur exécutif. À cette fin, une réserve de soutien opérationnel, constituée sur la base de l'expertise disponible dans les services compétents des États membres, pourrait être déployée dans l'État membre demandeur. Un tel déploiement serait également possible dans un pays tiers.
1. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?
1) La base juridique de la proposition est-elle correcte ?
La Commission européenne a choisi de fonder sa proposition sur trois dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui semblent pertinentes :
- l'article 85 (1), qui précise la mission de l'agence Eurojust : « appuyer et (...) renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes, sur la base des opérations effectuées et des informations fournies par les autorités des États membres et par Europol. » ;
- l'article 87(1), qui affirme que l'Union européenne « développe une coopération policière qui associe toutes les autorités compétentes des États membres, y compris les services de police, les services des douanes et autres services répressifs spécialisés dans les domaines de la prévention ou de la détection des infractions pénales et des enquêtes en la matière. » ;
- l'article 88 (2), qui prévoit que « Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, déterminent la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Europol. » Cet article mentionne ces tâches : la collecte, le stockage, le traitement, l'analyse et l'échange des informations, transmises notamment par les autorités des États membres ou de pays ou instances tiers ; la coordination, l'organisation et la réalisation d'enquêtes et d'actions opérationnelles, menées conjointement avec les autorités compétentes des États membres ou dans le cadre d'équipes conjointes d'enquête, le cas échéant en liaison avec Eurojust.
2) La proposition est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?
Dans son principe, le renforcement de la lutte contre le trafic de migrants au niveau européen est une évidence. Les résultats mitigés des États membres et des agences européennes dans ce domaine sont constatés dans les statistiques rappelées précédemment.
Mais ce renforcement doit avant tout être opérationnel et non juridique. Nécessite-t-il vraiment une nouvelle initiative normative ? Rien n'est moins sûr.
Force est de constater que la Commission européenne appelle à l'adoption rapide de sa réforme mais qu'elle ne fournit aucune analyse d'impact pour justifier en quoi les dispositions de la proposition amélioreraient la situation.
Interrogée au Conseil par la France, elle n'a pas non plus été en mesure de fournir un bilan des opérations menées dans le cadre du plan d'action européenne contre le trafic de migrants en vigueur pour la période 2021-2025.
En réalité, un certain nombre de dispositions du texte (augmentation des moyens du centre d'Europol contre le trafic de migrants ; valorisation des task forces opérationnelles...) ne nécessitent pas une nouvelle réglementation qui risque de surcroît de « rigidifier » l'emploi de ces outils.
Faute d'analyse d'impact, plusieurs interrogations au regard du principe de subsidiarité demeurent sans réponse et justifient un examen au fond de la proposition :
- l'exposé des motifs souligne que le dispositif envisagé, à savoir les nouvelles tâches d'analyse stratégique et les nouvelles missions opérationnelles confiées au centre européen de lutte contre le trafic de migrants, nécessite des ressources supplémentaires pour Europol : 50 millions d'euros et la création de 50 postes supplémentaires. Dans le contexte actuel d'épuisement des enveloppes mises à disposition par le Cadre financier pluriannuel 2021-2027 et de révision délicate de ce dernier, l'obtention de ce budget additionnel était très incertaine et dans sa présentation du texte, la Commission européenne explique sans autre argumentaire qu'elle prélève les moyens envisagés au profit d'Europol sur ceux de l'agence Frontex :
. transfert « temporaire » de postes de Frontex vers Europol (profils d'experts de la lutte contre le trafic de migrants, mais aussi en matière cyber, de lutte contre la corruption et de fraude financière...) ;
. 6,5 millions d'euros issus du budget Frontex ; 20 millions d'euros issus du titre 5 (sécurité et défense, venant de la réserve constituée en cas de besoin) ; 10 millions d'euros issus du titre 4 et 13,5 millions d'euros résultant de redéploiements internes à l'agence.
Par-delà ce discours rassurant de la Commission, il faudra néanmoins évaluer factuellement si cette dernière parvient bien à réaliser cette réforme à moyens constants, afin d'éviter de nouvelles dépenses imprévues pour les États membres.
De plus, ce choix, qui, manifestement, n'a pas été proposé par la Commission européenne en concertation avec les États membres, a surpris ces derniers. Il pose clairement la question du devenir de l'agence Frontex qui, jusqu'alors, en cohérence avec sa mission de soutien aux États membres dans le contrôle des frontières, assumait les tâches d'analyse stratégique des routes migratoires irrégulières et des « vulnérabilités » (terme consacré) des États membres dans leurs dispositifs de contrôle, et qui se voit désormais « dépouillée » d'une part de sa raison d'être ;
- la proposition de règlement instituerait de nombreuses obligations nouvelles pour les États membres : dotation des services spécialisés en ressources humaines et financières adaptées, notion imprécise qui serait laissée à l'appréciation de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ; collecte et partage des informations à la disposition de ces services avec Europol et les autres États membres « aussi vite que possible » ; connexion de ces services à la plateforme d'échange d'Europol SIENA ; mise à disposition de personnels au service des « task forces opérationnelles »... L'obligation d'échange d'informations prévue avec Europol apparaît particulièrement contraignante. Il convient donc de vérifier si cette obligation serait compatible avec les dispositions de l'article 7(7) du règlement Europol7(*), qui prévoient que les unités nationales des États membres (organes de liaison entre Europol et ces États membres) ne sont pas tenues de fournir des informations, ou si elle constituerait une exception à ces règles ;
- a contrario, de manière inédite, la proposition confierait des pouvoirs d'enquête directs au centre d'Europol contre le trafic de migrants, qui obtiendrait ainsi des prérogatives « fédérales ». Cette nouvelle compétence, conférée à l'article 6 de la proposition, semble donc être contraire aux traités, dont l'article 85 précité rappelle que la mission d'Europol est d'« appuyer et (...) (de) renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave », pas de mener des enquêtes en autonomie ;
- si la représentation de la Commission européenne (et de chaque État membre) au sein du conseil d'administration d'Europol8(*) paraît opportune, la Commission européenne étant en charge de proposer les initiatives normatives relatives à l'Espace de liberté, de sécurité et de justice, la place que la présente proposition lui confère dans les réunions opérationnelles du centre européen de lutte contre le trafic de migrants (article 4(2)), dans la réception des analyses du centre sur les routes migratoires, le modus operandi des passeurs, ou sur la prévention et la lutte contre le trafic de migrants (article 5), et en tant que destinataire d'informations pratiques de la part des États membres (désignation de services compétents par les États membres ; connexion au système SIENA - article 7 (1) et (3)) ne semble répondre à aucune nécessité. Cette intervention dans la sphère opérationnelle qui ne relève pas de sa compétence pourrait même perturber les échanges entre services spécialisés ;
- en complément, il convient de vérifier si les nouvelles tâches d'analyse stratégique et d'évaluation des menaces octroyées par l'article 5 de la présente proposition de règlement au centre européen de lutte contre le trafic de migrants ne feraient pas « doublon » avec celles déjà assumées par l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).
Comme pour le texte précédent, et pour les mêmes raisons d'efficacité maximale de l'action de contrôle du Sénat, il est proposé de privilégier un contrôle au fond sur ce texte au titre de l'article 88-4 de la Constitution afin de garantir la désignation de rapporteurs, un travail d'auditions rigoureux et, le cas échéant, l'adoption d'une proposition de résolution européenne sur ce dossier.
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas approfondir l'examen de ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 Règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relatif à l'agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI, 2009/936/JAI et 2009/968/JAI.
* 2 Le conseil d'administration d'Europol adopte les lignes directrices de l'action de l'agence ainsi que la planification de ses travaux et son budget. Il est composé d'un représentant par État membre et d'un représentant de la Commission européenne. Il désigne en son sein, pour dix-huit mois, son président et un vice-président parmi les représentants des trois États membres ayant établi, pour cette même période, un programme de travail conjoint au Conseil, au titre de la troïka présidentielle.
* 3 Le directeur exécutif d'Europol (Mme Catherine de Bolle depuis mai 2018) est le représentant légal de l'agence. Il est chargé de la mise en oeuvre des missions d'Europol.
* 4 Règlement (UE) 2016/794 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relatif à l'agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI, 2009/936/JAI et 2009/968/JAI.
* 5 Ce soutien pourrait être opérationnel, financier, logistique ou encore médico-légal.
* 6 L'EMPACT (ou « plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles ») est le cadre stratégique des priorités de l'Union européenne contre la criminalité organisée.
* 7 « Sans préjudice de l'exercice, par les États membres, de leurs responsabilités en matière de maintien de l'ordre public et de protection de la sécurité intérieure, les États membres ne sont pas tenus, dans une affaire donnée, de fournir des informations (...) qui auraient pour effet : a) d'être contraires aux intérêts essentiels de la sécurité de l'État membre ; b) de compromettre le succès d'une enquête en cours ou la sécurité d'une personne physique ; ou ; c) de divulguer des informations concernant des organisations ou des activités de renseignement spécifiques dans le domaine de la sécurité nationale. »
* 8 Article 10 du règlement (UE) 2016/794 du 11 mai 2016.