COM(2023) 799 final  du 21/12/2023

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 26/01/2024


Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, concernant la soumission de propositions d'amendement des annexes II et III de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe en vue de la réunion du comité permanent de la convention

COM(2023) 799 final - Texte E18522

Compte rendu de la réunion de la commission des affaires européennes du 13 novembre 2024

Environnement et développement durable - Régime de protection du loup en Europe : communication de M. Cyril Pellevat

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, notre réunion de commission est finalement moins chargée que prévu. Je vous prie d'excuser ce changement de programme un peu tardif : j'ai préféré que Didier Marie, Catherine Morin-Desailly et moi-même nous donnions du temps pour finaliser nos propositions sur la façon de mieux légiférer au niveau européen, sujet sur lequel nous travaillons depuis quelques mois en vue d'adresser un message clair en ce début de nouveau cycle institutionnel européen. Nous reviendrons donc vers vous pour présenter notre rapport et nos propositions prochainement.

Nous avons donc aujourd'hui à traiter deux sujets très différents : la protection du loup d'abord, les questions budgétaires ensuite.

Concernant le loup, j'ai en effet souhaité que Cyril Pellevat nous rappelle les démarches initiées il y a déjà quelques années au sein de notre commission, sous son impulsion, car elles semblent enfin porter du fruit : un mouvement s'amorce en effet aujourd'hui pour atténuer la protection stricte dont bénéficie le loup et cesser d'ignorer les attaques dont sont l'objet de trop nombreux troupeaux d'élevage, surtout en zones de montagne. Ceci implique plusieurs étapes au plan juridique, ce qui n'est pas si simple, et je laisse le soin à notre rapporteur, spécialiste du sujet, de nous en présenter les tenants et aboutissants.

M. Cyril Pellevat. - Je suis heureux de présenter un point d'actualité sur un dossier dans lequel nous obtenons enfin gain de cause : je veux parler du régime de protection du loup en Europe.

À l'été 2020, il y a maintenant quatre ans, le Sénat avait adopté une résolution européenne dont j'avais été le rapporteur. Notre commission avait également adopté un avis politique en reprenant les termes. Nous rappelions que le loup bénéficie d'un statut très protecteur, en application à la fois de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, plus connue comme la « Convention de Berne », et de la directive « Habitats » du 21 mai 1992. Je précise que la Convention de Berne, dont on a fêté le 45ème anniversaire, est un traité intergouvernemental conclu dans le cadre du Conseil de l'Europe, auquel l'ensemble des États membres et l'Union européenne sont parties, mais qu'il est aussi ouvert à d'autres États. On compte désormais 50 parties contractantes à cette convention, dont le Burkina Faso, le Maroc, le Sénégal et la Tunisie. Saint-Marin est le seul État membre du Conseil de l'Europe à ne pas être partie à la Convention.

Si la Convention de Berne considère le loup comme une espèce de faune strictement protégée, il convient de rappeler que lors de la ratification de ce texte, 12 États parties avaient formulé des réserves indiquant qu'ils ne considéreraient pas le loup comme une espèce strictement protégée, dont 9 États appartenant aujourd'hui à l'Union européenne. Je rappelle également que les violations de la Convention de Berne font l'objet d'un mécanisme de surveillance et que des plaintes ont été déposées à l'encontre de la Norvège et de la Suisse pour violation du régime de protection du loup.

Face à la hausse significative du nombre de loups dans de nombreux pays d'Europe, et en particulier en France, nous affirmions dans notre résolution de l'été 2020 que le loup ne pouvait plus être considéré comme une espèce en voie d'extinction sur le territoire français. Compte tenu de l'augmentation continue du nombre d'attaques de loup sur les troupeaux et de la menace qui en résultait pour la conduite et le maintien durable des activités pastorales, nous appelions en particulier l'Union européenne à soutenir une proposition visant à transférer le loup de l'annexe II de la Convention de Berne, qui liste les espèces de faune strictement protégées, vers son annexe III, qui arrête la liste des espèces de faune protégées, lors d'une prochaine réunion du comité permanent de cette convention. Nous demandions également une adaptation en conséquence des annexes de la directive « Habitats ».

À l'époque, la Commission européenne s'était montrée opposée à notre demande. Même si le loup était alors présent dans de nombreuses régions de l'Union européenne, elle considérait que la plupart des populations n'avaient pas atteint un état de conservation favorable. La base scientifique pour modifier le statut du loup ne lui apparaissait donc pas établie. De son côté, le Parlement européen avait partagé notre analyse et adopté, le 24 novembre 2022, une résolution sur la protection des élevages de bétail et des grands carnivores en Europe, dans laquelle il estimait que « l'état de conservation du loup au niveau paneuropéen justifie une atténuation du statut de protection », et donc une adaptation des annexes de la Convention de Berne et de la directive « Habitats ».

Ces prises de position répétées ont certainement eu un impact, mais un fait précis a manifestement amené la Commission européenne à réévaluer rapidement sa politique en faveur du loup. Je veux parler de l'attaque subie par le poney Dolly, tué par un loup en Basse-Saxe en septembre 2022. Or Dolly n'était pas n'importe quel poney : c'était celui de la Présidente Ursula von der Leyen... La Commission européenne semble dorénavant convenir que la prolifération du loup pose un réel problème et qu'il est temps de proposer d'adapter son statut au titre de la Convention de Berne. Elle s'appuie sur deux études récentes : d'une part, une étude réalisée en 2022 par l'Initiative pour les grands carnivores en Europe, pour la Convention de Berne ; d'autre part, une étude réalisée en 2023 pour le compte de la direction générale (DG) Environnement de la Commission européenne. La manière dont la Commission européenne a procédé, en septembre 2023, à une collecte de données ciblée sur l'impact de la population de loups dans l'Union européenne a fait l'objet d'une plainte de l'ONG ClientEarth auprès de l'Ombudsman européen, qui a décidé de l'instruire. D'après les données retenues par la Commission européenne, on compterait désormais plus de 20 000 loups, s'étendant sur des zones de plus en plus grandes, contre environ 11 000 en 2012. Des meutes reproductrices seraient présentes dans 23 États membres. Cette croissance du nombre de loups s'est naturellement accompagnée d'une augmentation des dommages causés au bétail. La Commission européenne évoque ainsi plus de 65 500 têtes de bétail tuées chaque année par les loups au sein de l'Union européenne.

Le Conseil a donc été saisi, le 20 décembre 2023, d'une proposition de décision du Conseil « relative à la soumission, au nom de l'Union européenne, d'une proposition d'amendement des annexes II et III de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe et à la position à prendre, au nom de l'Union, lors de la 44e réunion du comité permanent de ladite convention », visant à considérer le loup, non plus comme une espèce de faune strictement protégée, relevant de l'annexe II à la Convention de Berne, mais comme une espèce de faune protégée, relevant de son annexe III. Exactement ce que nous demandions à l'été 2020. Le texte de la décision du Conseil relève que « l'adaptation du niveau de protection de l'espèce loup ajouterait de la flexibilité pour faire face aux défis socio-économiques croissants liés au loup du fait de l'expansion continue de son aire de répartition en Europe et à la recolonisation de nouveaux territoires ». Il souligne en parallèle qu'une coopération entre les parties contractantes à la Convention de Berne, en vue de maintenir les populations de grands carnivores en bonne santé et dans un état de conservation satisfaisant, reste nécessaire et pertinente, même en cas de changement de régime de protection du loup. Le texte transmis au comité permanent de la Convention de Berne note une évolution des menaces pesant sur les loups. Les principales menaces et pressions seraient liées au braconnage, de même qu'à l'incidence des infrastructures linéaires, mais le texte pointe également les menaces liées à la chasse et aux « interactions avec l'agriculture », ainsi que l'émergence de menaces liées aux clôtures frontalières et à l'hybridation entre le loup et le chien. Il souligne également que le changement de régime de protection du loup au titre de la Convention de Berne, s'il autorise plus de souplesse, ne remettrait pas en cause l'objectif global de la Convention visant à assurer la conservation de l'espèce.

La proposition de la Commission a donné lieu à des débats au sein du Conseil, qui devait adopter la proposition à la majorité qualifiée. La majorité des États membres, dont la France, ont soutenu cette proposition, validée en COREPER le 25 septembre dernier, puis par le Conseil le 26 septembre. On notera toutefois que l'Irlande et l'Espagne se sont opposées à cette proposition car elles jugeaient nécessaires d'attendre le rapport de suivi qui devrait être établi en 2025 au titre de l'article 17 de la directive « Habitats ». L'Espagne s'y est opposée également car elle considérait que cette démarche affaiblirait la position de l'Union européenne en vue de la COP 16 sur la biodiversité, qui s'est récemment tenue en Colombie et qui n'a pas été un grand succès. De leur côté, la Slovénie, Chypre, Malte et la Belgique se sont abstenus, tandis que l'Estonie, la Croatie et la Grèce ont joint une déclaration écrite au procès-verbal du Conseil.

Le comité permanent de la Convention de Berne se réunira du 2 au 6 décembre prochain. Pour être adopté, l'amendement présenté par l'Union européenne devra réunir une majorité qualifiée des deux tiers des États parties à la Convention, soit 34 votes. L'Union européenne en tant que telle n'a pas de droit de vote additionnel. Les États membres de l'Union disposent ainsi de 27 voix et ne sont pas en capacité, à eux seuls, d'obtenir une modification de la Convention. On observera toutefois qu'en 2022, la Suisse avait formulé une demande allant dans le même sens, qui n'avait pas abouti - l'Union européenne s'y était alors opposée. Il est aujourd'hui probable que l'amendement présenté par l'Union européenne parvienne à recueillir une majorité qualifiée, même si ce résultat ne peut être tenu pour acquis. Une fois l'amendement adopté, il faudra attendre trois mois pour qu'il entre en vigueur, sauf si un tiers des parties formule une objection, auquel cas il serait annulé. Ce n'est qu'une fois ce délai purgé que l'Union européenne serait autorisée à modifier les annexes de la directive « Habitats ». Le loup est mentionné dans ses annexes II et IV. Par cohérence avec la modification opérée au sein des annexes de la Convention de Berne, il conviendrait de le transférer de l'annexe IV à l'annexe V. La Commission européenne s'y est engagée à l'issue de débats nourris au Conseil, certains États membres, dont l'Allemagne, souhaitant faire apparaître explicitement dans les conclusions du Conseil le fait que la modification envisagée de la directive « Habitats » serait strictement limitée au loup.

En tout état de cause, l'article 19 de la directive « Habitats » dispose que les modifications nécessaires pour adapter au progrès technique et scientifique les annexes de la directive « Habitats » sont arrêtées par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, sauf lorsque ces modifications concernent l'annexe IV, l'unanimité étant alors requise. Cet article est toutefois antérieur au traité de Lisbonne, ce qui entraîne une incertitude sur la procédure qui s'appliquera, le cas échéant, pour modifier les annexes de la directive « Habitats ». Au regard des débats intervenus au mois de septembre, il apparaît certain que les États membres veilleront au caractère limité des modifications apportées à la directive « Habitats ». Aucun État membre n'a évoqué un bouleversement plus large des politiques européennes de préservation de la biodiversité. Compte tenu des votes intervenus lors de l'adoption de la proposition de modification des annexes de la Convention de Berne, les débats risquent toutefois d'être exigeants.

La France a soutenu la proposition de la Commission européenne, qui est cohérente avec le plan national d'actions « loup et activités d'élevage » 2024-2029. Celui-ci précise que le changement de statut du loup au sein des annexes de la directive « Habitats », en plus de celles de la Convention de Berne, est nécessaire pour permettre une gestion adaptative de l'espèce en France. Une gestion de type cynégétique, proscrite par le régime actuel de protection stricte, serait alors possible, incluant notamment la définition de quotas, de lieux ou de périodes de prélèvement. Le plan national d'actions précise que les ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture procèderont « néanmoins à une nouvelle étude juridique afin de mieux définir les contours du droit interne qui s'appliquerait à la gestion du loup » en cas d'abaissement de son régime européen de protection, ainsi que « ses conséquences sur les dispositifs d'aide à la protection et d'indemnisation ». Une étude prospective sur l'aire de répartition potentielle de l'espèce sur le territoire national et sur la viabilité à long terme est en outre attendue pour le premier semestre 2025.

En conclusion, on peut se féliciter qu'en initiant cette démarche, la Commission européenne entende enfin la colère et le désarroi qui montent de nombreux territoires de l'Union, où l'agropastoralisme se trouve menacé par le développement des populations de loup. Nous en avons souvent débattu au Sénat. Il ne s'agit pas d'éradiquer le loup mais d'adapter le régime juridique de sa protection aux réalités de son expansion sur le territoire européen. Il conviendra d'être vigilant pour que la démarche, si elle est validée au sein du comité permanent de la Convention de Berne, aille jusqu'au bout.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cette communication sur un sujet que l'on remet au coeur de l'actualité, même si on en parlait déjà au Sénat dans les premières réunions auxquelles j'ai pu participer à mon arrivée dans cette assemblée, il y a maintenant 8 ans. On voit donc que ce sujet n'est pas émergent mais récurrent ! Nous continuerons à le suivre.