COM(2024) 132 final  du 20/03/2024

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'amélioration des conditions de travail des stagiaires et le contrôle du respect de ces conditions ainsi que la lutte contre les relations d'emploi traditionnelles déguisées en stages (la « directive Stages ») (COM(2024) 132)

D'après l'enquête européenne sur les forces de travail1(*), l'Union européenne compte 3,1 millions de stagiaires (données de 2019), dont 1,6 million rémunérés et 1,5 million non rémunérés.

À la suite de l'évaluation de la recommandation du Conseil de 2014 relative à un cadre de qualité pour les stages, réalisée en 2022-2023, la Commission européenne a identifié plusieurs lacunes concernant notamment le respect des droits des stagiaires, et estimé qu'un texte législatif était nécessaire en la matière.

Le rapport final de la conférence sur l'avenir de l'Europe avait d'ailleurs appelé à ce que les stages respectent des normes de qualité, notamment en matière de rémunération, et à ce que certains stages non rémunérés sur le marché du travail soient interdits au moyen d'un instrument juridique.

De même, le Parlement européen a adopté, le 14 juin 2023, une résolution fondée sur l'article 225 du TFUE invitant la Commission à mettre à jour et à renforcer la recommandation du Conseil de 2014 et en faire un instrument législatif plus puissant.

Dans ce contexte, la Commission a annoncé une mise à jour du cadre de qualité pour les stages dans son programme de travail 2023, au titre de son engagement à mettre en oeuvre le plan d'action sur le socle européen des droits sociaux et à atteindre les objectifs de l'UE pour 2030 dans les domaines de l'emploi, des compétences et de la réduction de la pauvreté.

La directive proposée s'accompagne d'une proposition de recommandation du Conseil, qui vise à réviser la recommandation de 20142(*).

La proposition de directive vise à remédier à deux situations problématiques, constatées dans le rapport d'évaluation de la recommandation de 2014 :

ï Le stage est utilisé aux fins prévues, c'est-à-dire pour offrir au stagiaire la possibilité d'acquérir une expérience pratique et professionnelle, d'étoffer ses compétences et d'accéder au marché du travail, mais n'est pas conforme à la législation de l'UE ou nationale applicable ;

ï Le stage n'est pas utilisé aux fins prévues mais remplace un poste de salarié traditionnel (« faux stage ») ; il s'agit alors d'une relation de travail traditionnelle déguisée en stage. Dans de tels cas, le droit de l'UE ou la législation et les conventions collectives nationales qui concernent les travailleurs traditionnels ne sont pas appliqués.

1. Le contenu de la proposition législative de la Commission

La proposition de directive vise à :

Ø Améliorer et faire respecter les conditions de travail des stagiaires

La proposition de directive établit le principe de non-discrimination afin de garantir que, en ce qui concerne les conditions de travail (dont la rémunération), les stagiaires ne soient pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs comparables du même établissement, à moins qu'un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives, telles que des tâches différentes, des responsabilités moindres, une plus faible intensité de travail ou le poids de la composante «apprentissage et formation».

La directive proposée contient un certain nombre de dispositions qui aident les stagiaires à faire valoir leurs droits en tant que « travailleurs ». Par exemple, elle garantit aux représentants des travailleurs la possibilité d'engager des procédures pour faire respecter les droits des stagiaires. Elle établit l'obligation, pour les États membres, de prévoir des canaux de communication permettant aux stagiaires de signaler les mauvaises pratiques et conditions de travail.

Ø Lutter contre les relations de travail traditionnelles déguisées en stages

La directive proposée demande aux États membres de prévoir que les autorités compétentes effectuent des contrôles et des inspections efficaces afin de repérer les relations de travail traditionnelles déguisées en stages (« faux stages ») et de prendre des mesures pour faire respecter les règles. Pour déterminer si un stage constitue une relation de travail traditionnelle déguisée en stage, les autorités compétentes devraient tenir compte, dans leurs évaluations globales, d'un ensemble d'éléments indicatifs définis au niveau de l'UE. Pour faciliter cette évaluation, les employeurs doivent donner aux autorités compétentes accès à certaines informations, notamment le nombre et la durée des stages ainsi que les conditions de travail s'y rapportant. Les États membres sont également tenus de fixer une limite concernant la durée excessive d'un stage et le nombre de stages répétés, y compris consécutifs, auprès du même employeur.

En outre, la directive proposée impose aux États membres de faire en sorte que les employeurs améliorent la transparence en fournissant des informations sur les tâches à effectuer et les conditions de travail.

2. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

La proposition est fondée sur l'article 153, paragraphe 2, point b), du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit l'adoption de directives fixant des prescriptions minimales applicables, entre autres, aux «conditions de travail» visées à l'article 153, paragraphe 1, point b), du TFUE, tout en évitant d'imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu'elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises. Étant donné que la proposition de directive ne contient pas de mesures ayant une incidence directe sur le niveau des rémunérations, elle respecte les limites imposées à l'action de l'Union par l'article 153, paragraphe 5, du TFUE.

L'initiative participe à l'objectif de convergence sociale au sein de l'Union européenne, en reposant sur une harmonisation minimale des systèmes nationaux qui respecte la liberté des États membres de fixer des normes plus rigoureuses.

Le principe de proportionnalité semble, par ailleurs, respecté compte tenu de la nature des problématiques à résoudre et des solutions envisagées. Par exemple, les employeurs ne doivent fournir des informations sur les stages aux autorités que sur demande. Toutefois, il faudra veiller, lors des négociations du texte qui sont en cours, à certaines dispositions qui peuvent paraître trop prescriptives, notamment à l'article 4 qui ajouterait de nouvelles missions aux corps d'inspection, et notamment à l'inspection du travail française. De même, une attention devra être portée, lors des négociations, sur les critères fixés à l'article 5 pour déterminer si un stage constitue un « faux stage ».

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/microdata/european-union-labour-force-survey

* 2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52024DC0133


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/04/2024


Questions sociales, travail, santé

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'amélioration des conditions de travail des stagiaires et le contrôle du respect de ces conditions ainsi que la lutte contre les relations d'emploi traditionnelles déguisées en stages (la « directive Stages »)

COM(2024) 132 final - Texte E18738

(Procédure écrite du 16 juillet 2024)

D'après l'enquête européenne sur les forces de travail1(*), l'Union européenne compte 3,1 millions de stagiaires (données de 2019), dont 1,6 million rémunérés et 1,5 million non rémunérés.

À la suite de l'évaluation de la recommandation du Conseil de 2014 relative à un cadre de qualité pour les stages, réalisée en 2022-2023, la Commission européenne a identifié plusieurs lacunes concernant notamment le respect des droits des stagiaires, et estimé qu'un texte législatif était nécessaire en la matière.

Le rapport final de la conférence sur l'avenir de l'Europe avait d'ailleurs appelé à ce que les stages respectent des normes de qualité, notamment en matière de rémunération, et à ce que certains stages non rémunérés sur le marché du travail soient interdits au moyen d'un instrument juridique.

De même, le Parlement européen a adopté, le 14 juin 2023, une résolution fondée sur l'article 225 du TFUE invitant la Commission à mettre à jour et à renforcer la recommandation du Conseil de 2014 et en faire un instrument législatif plus puissant.

Dans ce contexte, la Commission a annoncé une mise à jour du cadre de qualité pour les stages dans son programme de travail 2023, au titre de son engagement à mettre en oeuvre le plan d'action sur le socle européen des droits sociaux et à atteindre les objectifs de l'UE pour 2030 dans les domaines de l'emploi, des compétences et de la réduction de la pauvreté.

La directive proposée s'accompagne d'une proposition de recommandation du Conseil, qui vise à réviser la recommandation de 20142(*).

La proposition de directive vise à remédier à deux situations problématiques, constatées dans le rapport d'évaluation de la recommandation de 2014 :

ï Le stage est utilisé aux fins prévues, c'est-à-dire pour offrir au stagiaire la possibilité d'acquérir une expérience pratique et professionnelle, d'étoffer ses compétences et d'accéder au marché du travail, mais n'est pas conforme à la législation de l'UE ou nationale applicable ;

ï Le stage n'est pas utilisé aux fins prévues mais remplace un poste de salarié traditionnel (« faux stage ») ; il s'agit alors d'une relation de travail traditionnelle déguisée en stage. Dans de tels cas, le droit de l'UE ou la législation et les conventions collectives nationales qui concernent les travailleurs traditionnels ne sont pas appliqués.

Elle a pour objectifs :

Ø Améliorer et faire respecter les conditions de travail des stagiaires

La proposition de directive établit le principe de non-discrimination afin de garantir que, en ce qui concerne les conditions de travail (dont la rémunération), les stagiaires ne soient pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs comparables du même établissement, à moins qu'un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives, telles que des tâches différentes, des responsabilités moindres, une plus faible intensité de travail ou le poids de la composante «apprentissage et formation».

La directive proposée contient un certain nombre de dispositions qui aident les stagiaires à faire valoir leurs droits en tant que « travailleurs ». Par exemple, elle garantit aux représentants des travailleurs la possibilité d'engager des procédures pour faire respecter les droits des stagiaires. Elle établit l'obligation, pour les États membres, de prévoir des canaux de communication permettant aux stagiaires de signaler les mauvaises pratiques et conditions de travail.

Ø Lutter contre les relations de travail traditionnelles déguisées en stages

La directive proposée demande aux États membres de prévoir que les autorités compétentes effectuent des contrôles et des inspections efficaces afin de repérer les relations de travail traditionnelles déguisées en stages (« faux stages ») et de prendre des mesures pour faire respecter les règles. Pour déterminer si un stage constitue une relation de travail traditionnelle déguisée en stage, les autorités compétentes devraient tenir compte, dans leurs évaluations globales, d'un ensemble d'éléments indicatifs définis au niveau de l'UE. Pour faciliter cette évaluation, les employeurs doivent donner aux autorités compétentes accès à certaines informations, notamment le nombre et la durée des stages ainsi que les conditions de travail s'y rapportant. Les États membres sont également tenus de fixer une limite concernant la durée excessive d'un stage et le nombre de stages répétés, y compris consécutifs, auprès du même employeur.

En outre, la directive proposée impose aux États membres de faire en sorte que les employeurs améliorent la transparence en fournissant des informations sur les tâches à effectuer et les conditions de travail.

Compte tenu de ces éléments, la commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte.

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Compte rendu de la réunion de la commission des affaires européennes

du jeudi 5 décembre 2024

Proposition de directive « Stages » (COM (2024) 132 final) - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Nous abordons maintenant un sujet qui n'est pas sans lien avec le marché intérieur : il s'agit de la protection des stagiaires. La Commission européenne propose en effet d'améliorer par voie de directive leurs conditions de travail. À la demande du groupe socialiste, nous avons décidé de nommer des rapporteurs pour examiner ce projet. Je remercie Louis Vogel et Didier Marie d'y avoir travaillé et de nous informer sur l'avancement de ce texte en cours de négociation à Bruxelles.

M. Didier Marie. - La communication que nous vous proposons aujourd'hui vise à attirer l'attention de notre commission sur la tournure que prennent les négociations au Conseil de l'Union européenne sur la proposition de directive visant à améliorer la qualité des stages dans l'Union européenne, dite « directive Stages ». Ce texte, initialement souhaité par le Parlement européen, vise à améliorer les conditions de travail des stagiaires et à lutter contre les faux stages, c'est à-dire les emplois traditionnels déguisés en stages. Or il a vu son contenu progressivement détricoté au Conseil par les États membres, dont la France - nous y reviendrons -, tant et si bien que le compromis présenté par la Présidence hongroise au Conseil lundi dernier est un texte qui nous semble totalement dépourvu de valeur ajoutée, ce que nous déplorons profondément.

Je voudrais tout d'abord revenir brièvement sur le contexte et les raisons d'être de cette proposition de directive. La Commission européenne estime le nombre de stagiaires dans l'Union européenne à plus de 3 millions chaque année et à 78 % la part de jeunes Européens ayant déjà effectué au moins un stage ; pourtant, seuls neuf États membres - dont la France - sont dotés d'une législation spécifique pour encadrer ces stages. Le statut des stagiaires est également très peu régi par le droit européen, puisqu'à ce jour, seule une recommandation du Conseil datant de 2014 - par essence non-contraignante - a été adoptée sur ce sujet spécifique.

Conséquence de ce quasi-vide juridique, la définition et l'encadrement des stages sont extrêmement variables selon les régimes nationaux, entraînant des inégalités d'accès, de protection juridique et de conditions de travail entre les États membres, mais aussi au sein des États membres eux-mêmes. Dans de nombreux États membres, les stages servent trop souvent à fournir une main d'oeuvre bon marché, voire gratuite. Les stagiaires sont exclus de la plupart des protections associées à un emploi classique et ils sont donc davantage susceptibles d'abus de la part d'employeurs peu scrupuleux. Ces abus, en plus d'être injustes, sapent la confiance des jeunes dans le marché du travail et dans les institutions. Par ailleurs, ces pratiques permettent souvent un contournement des obligations fiscales et sociales des employeurs et peuvent ainsi constituer un véritable outil de dumping social.

Pour répondre à ces problématiques, la Commission a donc publié, à la demande du Parlement européen, la proposition de directive qui nous occupe. Notre collègue Louis Vogel va vous en détailler le contenu - ou plutôt, désormais, l'absence de contenu -, mais je souhaite auparavant vous dire un mot sur la question sensible de la rémunération des stagiaires : elle a retenu l'attention des médias et des syndicats mais n'a pourtant jamais figuré dans la proposition de directive. L'an dernier, le Parlement européen avait adopté une résolution appelant explicitement la Commission à assurer aux stagiaires « une rémunération garantissant un niveau de vie décent ». Malheureusement, les traités européens - et plus particulièrement l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) - empêchent l'Union européenne de légiférer sur la question spécifique des rémunérations, qui ne figure donc pas dans la présente proposition de directive. Dont acte. Mais, à défaut de législation européenne contraignante en la matière, il nous semble important que l'Union européenne incite les États membres à agir sur ce point spécifique afin de permettre une meilleure autonomie des jeunes. Cela pourrait passer, par exemple, par une invitation à favoriser des négociations entre les partenaires sociaux sur un niveau de rémunération minimum pour les stagiaires, au-delà d'une certaine durée de stage, sur le modèle de ce que prévoyait la directive (UE) 2022/2041 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relative à des salaires minimaux adéquats dans l'Union européenne, et ce qui existe d'ailleurs en France.

M. Louis Vogel. - Le contenu de cette directive a été considérablement vidé de sa substance au cours des négociations au Conseil de l'Union européenne, mettant en péril ses ambitions initiales. Trois points méritent d'être soulignés.

Tout d'abord, le périmètre de la directive a été réduit comme peau de chagrin, puisqu'ont été successivement exclus du champ d'application de la directive les stages effectués dans un parcours d'éducation ou de formation professionnelle, les apprentissages, les stages obligatoires pour l'obtention d'un diplôme, les stages obligatoires pour l'accès à une profession spécifique - telle que médecin ou avocat - ainsi que les stages de formation et de réinsertion pour les demandeurs d'emploi. Ne demeurent donc dans le champ de cette directive que les stages dits de « marché ouvert », c'est à-dire les stages qui n'entrent dans aucune des catégories précitées et qui sont proposés librement sur le marché du travail. Or, dans une majorité d'États membres, dont la France, ce type de stage n'est tout simplement pas autorisé. La Commission estime ainsi qu'en l'état, moins d'une dizaine d'États membres resteraient directement concernés par cette directive, ce qui en réduit considérablement la portée et l'ambition. Nous regrettons donc ce rétrécissement du champ de la directive, en particulier s'agissant des stages effectués dans un parcours d'éducation ou de formation professionnelle, puisqu'ils concernent en premier lieu des jeunes qui sont déjà, par ailleurs, les plus touchés par la précarité.

Le deuxième point qui nous préoccupe concerne l'affaiblissement des mesures de lutte contre les faux stages contenues dans la proposition de directive. Dans sa version initiale, celle-ci imposait aux États membres de prévoir que les autorités compétentes effectuent des contrôles et des inspections afin de repérer les faux stages, c'est-à-dire les relations de travail traditionnelles déguisées en stages. Pour ce faire, les autorités nationales compétentes devaient tenir compte, dans leur évaluation, d'un ensemble d'éléments indicatifs définis par la directive comme, par exemple, la durée du stage et son caractère éventuellement excessif, le niveau des tâches demandées au stagiaire ou encore l'existence ou non d'une composante « apprentissage et formation ». Au cours des négociations, cette liste de critères, pourtant indicative, a disparu du corps de la directive, qui se retrouve donc considérablement vidée de sa substance sur ce point.

Pour aider à lutter contre ces abus, la directive prévoyait également un principe général d'égalité de traitement entre les stagiaires et les travailleurs comparables d'un même établissement s'agissant de leurs conditions de travail. Des exceptions sont prévues lorsqu'une différence de traitement peut être justifiée par des raisons objectives, telles que des tâches ou des responsabilités différentes. Mais, là encore, la liste des critères retenus pour justifier d'éventuelles différences de traitement n'est plus définie par la directive et est désormais confiée à la discussion entre partenaires sociaux, au niveau national, ouvrant ainsi une brèche dans l'application effective de ce principe.

Sur ces deux points - la liste des éléments indicatifs d'un faux stage et la liste des exceptions au traitement équitable entre stagiaires et travailleurs équivalents -, un retour à la version initiale proposée par la Commission européenne nous apparaît donc souhaitable.

Un dernier point a fait l'objet d'un détricotage en règle. Le texte initial prévoyait des procédures spécifiques permettant aux stagiaires de faire valoir leurs droits en cas de violation de la présente directive. Il était notamment prévu que, dans chaque établissement, les représentants des travailleurs puissent engager des procédures judiciaires ou administratives au nom d'un stagiaire ou bien en soutien de celui-ci. Ce type de procédure était censé fournir un nouvel outil d'assistance et de protection à des stagiaires qui, bien souvent, découvrent le monde du travail et méconnaissent leurs droits de recours. Dans la dernière version du texte proposée par la présidence hongroise, ces procédures pourront être mises en place uniquement si elles sont « recevables en vertu de la législation ou de la pratique nationales » : autrement dit, si de telles procédures existent déjà dans les États membres, tant mieux, sinon...

Permettez-moi une métaphore pour vous résumer la situation. On moque souvent l'Union européenne pour sa capacité à légiférer sur la taille des filets de pêche : en l'occurrence, à force de tirer sur le filet de protection minimaliste prévu par la directive, non seulement la taille des mailles a été considérablement élargie mais, qui plus est, le contrôle qualité du filet a été supprimé !

Si l'on en fait le bilan, les États membres se sont donc attelés dans les négociations à obtenir un texte a minima qui, à défaut d'être utile, constitue un plus petit dénominateur commun visant à répondre aux craintes des uns et des autres : ne pas décourager les offres de stages, ne pas surcharger les services d'inspection du travail, ne pas alourdir la charge administrative des entreprises ou encore ne pas désorganiser les principes généraux du droit du travail. Le résultat est une directive sans aucune valeur ajoutée par rapport à la recommandation du Conseil de 2014 - de l'aveu même de la Commission européenne que nous avons auditionnée - et très éloignée de l'initiative réclamée par le Parlement européen. Par conséquent, si cette version du texte venait à constituer la position officielle du Conseil, il est très peu probable qu'un texte de compromis aboutisse en trilogue, tant les positions des différentes institutions semblent éloignées.

M. Didier Marie. - Dans toute cette affaire, nous déplorons plus particulièrement la position du Gouvernement français au cours de ces négociations. En un mot, la France s'est pliée sans trop de remords au détricotage du texte, sur tous les points qui viennent d'être évoqués. Certes, même dans la version initiale du texte, la France était peu concernée par la plupart des dispositions de la directive, du fait de son cadre législatif national déjà protecteur des droits des stagiaires - en sachant néanmoins qu'avec l'augmentation des stages transfrontaliers, des dizaines de milliers de citoyens français sont concernés chaque année par la législation d'autres États membres en la matière.

Mais, de manière générale, il nous semble regrettable que la France se refuse à soutenir un cadre européen renforcé de lutte contre le dumping social et se contente de laisser la main aux États membres les moins-disant, au seul motif qu'elle dispose elle-même d'un solide système national. C'est une forme de renoncement à l'amélioration de l'acquis communautaire, qui ne correspond pas à notre vision de l'Europe sociale. Cette régression au fil des négociations est d'autant plus regrettable que le Parlement européen, la Commission et même la Conférence pour l'avenir de l'Europe avaient unanimement souligné la nécessité d'agir face à des pratiques qui sont devenues systémiques. Plus largement, cela nous pousse aujourd'hui à interroger la capacité des États membres et des institutions européennes à répondre de manière unanime aux préoccupations des jeunes Européens qui, faute de signaux positifs de la part de l'Union européenne sur ces sujets, risquent de se détourner encore davantage de l'Europe. Il faut savoir que peu de textes aujourd'hui concernent la jeunesse et que celui-ci était attendu.

Montesquieu disait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Espérons que cela ne s'appliquera pas à cette directive et que la suite des négociations, qui sont sans doute parties pour durer, permettra de rétablir un texte à la hauteur des ambitions initiales de la Commission et du Parlement européen. Pour le moment, la Présidence hongroise a échoué à obtenir un accord du Conseil sur son compromis lundi dernier, mais n'a semble-t-il pas encore décidé si elle transmettrait directement le dossier à la Présidence polonaise au 1er janvier ou si elle tenterait un dernier compromis d'ici là. Il nous faudra suivre le cheminement de cette directive lorsqu'elle sera remise sur le métier.

M. Jean-François Rapin, président. - Votre travail est éclairant, mais finalement promet un résultat décevant.

M. Didier Marie. - Certains pays, comme l'Espagne et la Slovénie, étaient très actifs sur ce dossier, motivés par la volonté d'harmonisation sociale à l'échelle européenne et de lutte contre le dumping social. À l'inverse, d'autres pays étaient extrêmement négatifs. La France, quant à elle, a paru observer les événements sans réellement prendre position. C'est ce qu'on peut appeler une occasion manquée, même si le travail va se poursuivre.

Mme Christine Lavarde. - En matière de droits des stagiaires, comment positionneriez-vous la France, aujourd'hui, parmi les 27 États membres de l'Union européenne ?

M. Louis Vogel. - Elle figure dans le trio de tête...

Mme Christine Lavarde. - ...tout en sachant que la situation n'y est pas sensationnelle.

M. Didier Marie. - Certes, mais en France, nous avons au moins des règles extrêmement précises - comme nous pouvons le constater au Sénat - où nous accueillons des stagiaires issus de la formation initiale.

Mme Christine Lavarde. - Certes, mais tout stage rémunéré doit avoir une durée minimale et la rémunération est très faible. Cela signifie-t-il que, dans certains pays, les stages ne sont pas du tout encadrés ?

M. Didier Marie. - Effectivement, dans certains États, il peut s'agir de stages proposés librement sur le marché du travail, sans aucune protection, sans encadrement et sans rémunération.

M. Louis Vogel. - Force est de constater que les représentants de la France n'ont pas cherché à défendre notre modèle. Se fondant sur l'existence, dans notre pays, d'une protection nationale en la matière, ils se sont tenus à l'écart de la discussion. Par leur silence, ils ont en quelque sorte approuvé que le texte soit vidé de sa substance. Ils n'ont exprimé aucune volonté d'améliorer les choses au niveau communautaire, ne serait-ce qu'en montrant que l'un des droits nationaux peut servir de modèle aux autres, voire s'améliorer lui-même au contact des autres.

M. Didier Marie. - La France ne souhaitait pas non plus nécessairement une directive plus protectrice, car cela aurait remis en cause sa propre législation.

Mme Gisèle Jourda. - Vous avez mentionné que cette directive a été vidée de nombreux éléments déterminants et que seuls les stages dits de « marché ouvert » subsistent dans son champ d'application. Pouvez-vous nous préciser leur périmètre ?

Par ailleurs, en tant que vice-présidente d'un organisme de formation, j'ai le sentiment que soit ignorée la logique de triangulation : le stagiaire effectue certes son stage dans une entreprise, mais le volet « formation théorique » est bien souvent dispensé à l'extérieur, par des organismes ou des associations de formation. Cette dimension semble absente du texte.

M. Didier Marie. - Le champ d'application de cette directive a été effectivement limité aux seuls stages dits de « marché ouvert » ; tous les autres - notamment ceux effectués dans le cadre de l'apprentissage, de la formation professionnelle, de la formation initiale et de formations à des professions spécifiques - en ont été exclus.

Si la présidence hongroise avait obtenu un accord - ce qui, heureusement, n'est pas le cas -, le texte ainsi vidé de sa substance aurait, d'une certaine manière, validé la mise en oeuvre des faux stages et constitué une sorte de blanc-seing permettant de recruter, sur des emplois traditionnels, des stagiaires sans aucune protection, sans rémunération et sans aucun droit. Cette absence de protection a empêché la conclusion d'un accord d'abord au Comité des représentants permanents (Coreper), puis au Conseil de l'Union européenne.

Je tiens à préciser que, dans les pays où ils sont autorisés, les stages sur le marché ouvert représentent 24 % des stages rémunérés.

J'avais souhaité attirer l'attention du président de notre commission sur cette directive parce que nous avions été informés qu'un certain nombre d'États se montraient offensifs alors que le souhait du Parlement européen sur ce sujet - repris ensuite par la Commission - allait plutôt dans le bon sens. Or cette offensive est allée plus loin que nous ne le pensions puisque la présidence hongroise - qui voulait absolument faire passer ce texte - en a proposé une version complètement vidée de substance.

Mme Gisèle Jourda- Notre débat aujourd'hui me rappelle celui que nous avions eu concernant la proposition de directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l'Union européenne, sur laquelle nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey avaient travaillé.

M. Didier Marie. - Nous sommes dans la même logique, celle de l'établissement de droits sociaux minimaux applicables à l'ensemble du territoire européen, qui s'imposeraient aux États membres. Cependant, nous avons constaté une volonté manifeste de ne pas avancer sur ce sujet.

M. Jean-François Rapin, président. - Je remercie nos collègues Louis Vogel et Didier Marie pour leur travail. Nous y reviendrons vraisemblablement dans le cadre du suivi des directives.


* (1) 1 https://ec.europa.eu/eurostat/fr/web/microdata/european-union-labour-force-survey

* (2) 2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52024DC0133