Le Sénat de la Vème République - Les cinquante ans d'une assemblée bicentenaire
Sénat - 3 juin 2009
SESSION IV : TABLE RONDE - LA PLACE DU SÉNAT DANS LA CONSTITUTION RÉVISÉE
Présidence de M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat
Bonjour à tous, et merci d'être présents. C'est en effet le moment de cette quatrième table ronde de la journée, une table ronde que j'ai l'honneur de présider. Cela tombe bien parce que, en tant que journaliste, c'est une question qui est au coeur de l'actualité, je dirais de votre actualité. La place du Sénat dans la Constitution récemment révisée : vous en parliez encore ces derniers jours. Il y a évidemment beaucoup de questions. On va essayer d'organiser les choses, de façon à ce que ce soit vivant, sous forme de débat.
La récente réforme constitue-t-elle vraiment un réel rééquilibrage des institutions au profit du Parlement et, en particulier, du Sénat ? Ce sera le thème de ce débat avec beaucoup d'invités : Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice de Paris, Catherine Dumas, sénatrice de Paris, Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône, Jean-Pierre Chevènement, sénateur du Territoire-de-Belfort, ancien ministre, vice-président de la commission des Affaires étrangères, Michel Mercier, sénateur du Rhône, président du groupe Union Centriste, Hugues Portelli, sénateur du Val-d'Oise.
Avant d'entamer ce débat, pour planter le décor, on va d'abord faire le point, si vous le voulez bien, avec Jean-Jacques Hyest, le président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne et Bernard Frimat, vice-président du Sénat, sénateur du Nord. Je vais vous passer la parole avec une question simple : le Sénat, à vos yeux, va-t-il sortir renforcé de cette dernière révision ? Chacun a, à peu près, entre dix minutes et un quart d'heure. Ensuite, si vous êtes d'accord, nous entamerons ce débat.
Rapport introductif : l'impact de la révision de juillet 2008 sur le rôle et la place du Sénat - M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne, - M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Merci Monsieur le président-directeur général.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Récent.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Récent, mais nous nous réjouissons de cette nomination, n'est-ce pas, Madame la vice-Présidente ? Tous les membres de la Haute assemblée aussi, notamment du Bureau.
Mesurer, dans l'immédiat, les effets de la révision constitutionnelle me paraît délicat, même si, dans les textes, il y a des points, que je vais essayer d'évoquer rapidement, qui font que beaucoup d'entre nous, mais pas tous, ont dit que c'était une vraie réforme, que c'était même une des réformes les plus ambitieuses depuis le début de la Ve République, visant à rééquilibrer les pouvoirs entre l'exécutif et le Parlement. Bien entendu, au sein du Parlement, ce sera une deuxième question : pour le Sénat, qu'en est-il de cette révision ?
Pour avoir participé, comme député, à la révision de 1995, et nous croyions alors que c'était déjà une amélioration considérable du rôle du Parlement et un meilleur fonctionnement du Parlement, je crois qu'on ne peut pas dire que les ambitions du président de l'Assemblée de l'époque, Philippe Séguin, se sont traduites dans les faits. D'ailleurs, peut-être moins à l'Assemblée Nationale qu'au Sénat, paradoxalement. Il faut donc se méfier de ce que peut donner une révision dans le temps, notamment en ce qui concerne l'amélioration de la qualité du travail législatif : meilleure présence des parlementaires, parce que le débat est mieux organisé ; c'était aussi un des objectifs de 1995, et je ne pense pas qu'il ait été parfaitement tenu.
Pour la révision de 2008, il est évident que des éléments sont tout à fait importants et ils étaient même inconcevables au début de la Ve République. Le partage, ou plutôt la consultation du Parlement sur un certain nombre de nominations que vous avez évoqué, tout à l'heure, pour le Conseil constitutionnel, mais il y en a beaucoup d'autres. On attend d'ailleurs la loi organique pour savoir le champ qui sera proposé par le gouvernement au Parlement, pour savoir dans quels organismes le Sénat et l'Assemblée Nationale auront à désigner, à proposer ou à accepter des propositions de nomination. C'est important et c'est une novation forte.
Nous l'avons d'ailleurs expérimentée, par anticipation, puisque vous savez que c'est comme cela qu'a été nommé le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, expérience positive en ce qui concerne le Sénat. À ce sujet, je me permets de vous dire qu'on voulait compter, au départ, les députés et les sénateurs. Comme dans chaque commission, il y a plus de députés que de sénateurs, on était toujours minoritaires. On a dit que chacun allait donner son avis et, s'il y a divergence, on comptera la totalité. Cela a été un compromis, parce qu'il y a toujours la tentation de l'Assemblée Nationale de dire : « Puisque nous sommes élus au suffrage universel... ». Elle n'ajoute pas direct... Lors de la révision de la Constitution, et dans les jours récents, à cause de la loi Hôpital, notamment, vous entendez des députés - je l'ai moi-même entendu de hautes personnalités de l'Assemblée - qui considèrent que le suffrage universel indirect n'est pas le suffrage universel, mais ils n'ont pas lu la Constitution. On ne peut pas demander à tous d'être de fins constitutionnalistes.
Pour la revalorisation du rôle du Parlement, il y a aussi la consultation du Parlement, lorsqu'il y a la prolongation de l'intervention des forces militaires de la France à l'extérieur. Cela aussi, nous l'avons expérimenté avant la révision de la Constitution, je crois que c'est quelque chose de nouveau, que c'est un pouvoir nouveau donné au Parlement, l'Assemblée Nationale comme le Sénat. On a trouvé un système comme pour la loi : le dernier mot à l'Assemblée, ce qui me paraît tout à fait logique. Le Sénat a pleinement les mêmes pouvoirs que ceux de l'Assemblée Nationale, dans ce domaine.
Ce qui devrait être la grande affaire, c'est le partage du temps parlementaire entre l'initiative et le contrôle de la part du Parlement, et le temps réservé au gouvernement. Comme vous le savez sans doute, comme vous l'avez lu, le Sénat n'était pas complètement convaincu de ce partage égalitaire, le président Warsmann, à l'Assemblée Nationale, disant d'ailleurs que « c'était optique ». On va vite s'en apercevoir, c'est un partage optique. Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais on comprend très bien quand même qu'on affirme un principe et, immédiatement, on trouve des solutions pour ne pas l'appliquer.
Vous savez que le Sénat, dans sa sagesse, avait considéré que, si on avait une semaine sur quatre, pour l'initiative et le contrôle, cela serait déjà pas mal, d'autant qu'on considérait que le contrôle n'était pas uniquement le fait des séances publiques. Le contrôle doit être une activité permanente des assemblées parlementaires et, pas seulement, en séance publique. Je rappellerai que le contrôle budgétaire est une chose extrêmement importante. La commission des Finances le fait à longueur d'année, ne serait-ce que par ses rapporteurs spéciaux, par les rapports, par les auditions. Toutes les commissions du Sénat le font, ce qui permet un vrai contrôle.
Un honorable universitaire rappelait tout à l'heure que, après tout, le contrôle, ce n'était pas vraiment le rôle du Sénat. Je vais vous citer un exemple contraire. Certainement, s'il n'y avait pas eu la commission d'enquête - il y en avait une également à l'Assemblée- sur les établissements pénitentiaires, nous n'aurions pas pu voter la loi pénitentiaire, telle que nous l'avons votée au Sénat, parce que ce travail de contrôle et d'examen avait été préparé. On pourrait donner d'autres exemples. En ce qui concerne la commission des Lois, je vais me permettre d'en donner deux. C'est à la suite d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, sur la sauvegarde des entreprises, que la loi sur la sauvegarde, la loi de modernisation a été faite.
Je parlerai aussi de la réforme des prescriptions en matière civile, ce qui n'était pas une tâche simple. C'est l'initiative du Sénat qui l'a permis. Ce sont trois exemples récents qui font que le travail de contrôle et d'évaluation débouche sur une initiative parlementaire. En fin de compte, ce sont des lois qui sont venues du Sénat ; la loi pénitentiaire, pas encore, mais cela va venir. On pourrait donc donner ces exemples, qui sont certainement moins médiatiques que de rendre la Vénus hottentote aux Sud-Africains, pas aux Sud-Africains, au pays voisin. Il est vrai que c'est moins intéressant sur le plan médiatique, mais sur le fond du droit, je crois que c'est assez important.
Donc, ce rôle du Parlement est partagé entre l'Assemblée et le Sénat. Il faut rappeler qu'on a maintenu le rôle du Sénat, en ce qui concerne les collectivités locales, la représentation des collectivités locales, même s'il y a eu un débat sur la composition du corps électoral, mais qui n'a pas été tranché par la révision constitutionnelle. Nous avons priorité pour examiner les textes concernant les collectivités locales. Cela a été obtenu dans la révision de 1995. C'est un point important car, comme on est à l'aube, on l'a rappelé, sans doute, d'une grande réforme des collectivités locales, cela viendra d'abord au Sénat. Quand on donne au Sénat la priorité, il arrive parfois que nous donnions le la et, qu'après, il n'y ait plus forcément d'obligation de transformer le texte d'une manière significative. C'est quelquefois désagréable pour d'autres.
Je pense que la réforme constitutionnelle est importante. En ce qui concerne le partage de l'ordre du jour, il faut espérer que cela contraigne d'abord le gouvernement à faire sans doute moins de lois, parce qu'il y a moins de jours, ou qu'on ne récupère pas, d'une autre manière, les jours. Deuxièmement, il y a une obligation pour le Parlement, et bien sûr pour le Sénat, que les semaines d'initiative et de contrôle soient des vraies semaines d'initiatives et de contrôle. Je l'ai dit hier, lors de la révision du Règlement, ce sont des choses qui se préparent dans le temps. On ne fait pas cela d'un mois sur l'autre. Il faut faire des missions d'information, il faut faire des missions de contrôle. Ensuite, on peut donner les résultats de ces travaux de nos collègues et faire qu'il y ait un vrai débat sur ces sujets.
Autrement, on va vite tomber dans la répétition. On verra toujours les mêmes problèmes, on posera, tous les six mois, les mêmes questions, mais qui, franchement, n'ont pas plus d'intérêt que, quelquefois, les questions d'actualité. D'ailleurs, nous nous transformons, puisque le président du Sénat a proposé que les questions soient prises, tous les quinze jours, sur un thème, avec un ministre, afin qu'on puisse un peu « l'asticoter ». Ce sera beaucoup mieux, à mon avis, que ces questions d'actualité qui, parfois, n'ont pas grand sens.
C'est un devoir pour le Parlement, mais c'est un devoir pour le Sénat de faire en sorte qu'il puisse être beaucoup plus actif en matière d'initiatives et en matière de contrôle. De ce point de vue, même s'il y a des adaptations, je pense que, pour le Parlement, ce sont des possibilités qui sont ouvertes et qu'il doit absolument saisir. Dernier point, et j'arrêterai là, c'est un vrai souci. Je dépasse Monsieur ?
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Vous avez trente secondes pour conclure.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Je vais céder la parole à Bernard Frimat. Il y a une chose qui me préoccupe, depuis le début : c'est le problème des amendements, en séance ou en commission.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - On va en reparler dans le débat.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Avec la présence des ministres etc. La fâcherie avec le Conseil constitutionnel est absolument patente, en ce qui concerne le Sénat, mais on en reparlera sans doute dans le débat, et j'y reviendrai, si vous voulez, tout à l'heure.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Entendu, Monsieur le président, merci. Je donne la parole à Bernard Frimat. Êtes-vous d'accord sur le diagnostic de votre voisin ? Si je résume très rapidement, sans caricaturer, si j'ai bien compris, c'est bien, et tout dépend de ce qu'on va en faire. Quand je dis « on », c'est vous les sénateurs. Même s'il y a quelques défauts, à nous de nous en emparer pour voir comment, à partir du papier et ce qui existe dans les textes, on arrive à le faire vivre. A vous Bernard Frimat.
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord - Merci Gilles Leclerc, je me réjouis d'une grande qualité du nouveau président-directeur général de Public Sénat, qui est le sens de l'humour. Je pourrais répondre à votre question initiale par un monosyllabe : la révision a-t-elle amené une revalorisation des droits du Parlement ? La réponse est non. Comme vous m'avez demandé de parler un quart d'heure, je ne peux pas m'en tenir à ce simple monosyllabe qui, pourtant, résume parfaitement la pratique que nous vivons.
La revalorisation du Parlement, à la suite de la révision, est un peu comparable à la Constitution de l'Union soviétique, bâtie comme un modèle de démocratie, avec une pratique, au fil du temps, pour le moins divergente.
Premier élément : revaloriser le Parlement, c'est d'abord renforcer sa légitimité, Catherine Tasca le disait tout à l'heure. Sur ce point, la révision est une occasion perdue qui concerne directement le Sénat. Celui-ci, on le sait, connaît un problème de légitimité. La très grande majorité des collectivités territoriales sont gérées et animées, parce que cela a été la volonté du peuple, par la gauche. Pourtant, inexorablement, le Sénat, représentant des collectivités territoriales en vertu de la Constitution et par son mode de désignation, reste figé avec une majorité de droite.
J'entends dire que cette situation n'est pas grave parce que la gauche progresse à chaque renouvellement sénatorial et que le Sénat pourrait changer de majorité aux prochaines élections. Cela signifie que si l'on atteint ce très simple objectif que toutes les collectivités territoriales sont de gauche, alors, là, effectivement, on ne pourra pas empêcher le Sénat d'exister avec une majorité de gauche.
L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle indiquait, je lis le texte pour ne pas déformer la pensée si claire de son auteur: « Vous souhaitez surmonter des contraintes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a eu pour effet d'interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial, dans le sens d'un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes. »
Je rappelle que cet exposé des motifs allait déjà moins loin que le rapport Balladur car celui-ci préconisait quand même de penser le collège électoral « en fonction » de la démographie. Dans le projet gouvernemental, par un léger glissement sémantique, la mention « en fonction de la population » disparaît au profit de la mention « en tenant compte de la population ». Mais, cette indication est apparue malgré tout comme trop excessive aux yeux de la majorité sénatoriale et l'on a assisté, dans cette maison, à une tentative de verrouillage constitutionnel du collège électoral. Il nous a donc été proposé, dans un premier temps, de constitutionaliser la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de façon à verrouiller définitivement toute possibilité de modifier le collège électoral du Sénat.
Finalement, comme cette proposition ne correspondait pas vraiment à la tonalité générale de la révision, l'amendement porteur de cette idée a été retiré. Et, dans la plus parfaite fidélité au texte d'origine, la majorité sénatoriale a annoncé que puisque la révision changeait tout, il ne fallait surtout pas toucher à l'article 24 de la Constitution. Aujourd'hui, les possibilités de révision constitutionnelle sont bloquées politiquement. On en reste donc au statu quo sur la question du collège électoral des sénateurs et à cette situation, un peu étonnante, qui fait que, bien que les collectivités territoriales soient majoritairement administrées par la gauche, le Sénat reste - mais nous ne désespérons pas - encore momentanément géré par la droite. Cela ne dure que depuis cinquante ans. Si l'on raisonne sur un cycle de répercussion, vous voyez que le temps qui s'ouvrira devant nous, une fois que les choses auront évolué, sera presque infini.
Je voulais rappeler cela en commençant et Jean-Pierre Duprat l'a évoqué tout à l'heure dans son propos. La préoccupation première de la majorité sénatoriale n'est pas de s'interroger sur la légitimité de cette assemblée. Pourtant, ne caricaturons pas les positions. Un consensus se dégage autour de trois idées majeures: le Sénat doit être élu par les représentants des collectivités territoriales, au suffrage universel indirect et dans un cadre départemental. Mais il faut tenir compte de l'évolution de la France, de l'évolution de sa géographie humaine. Le Sénat représente des communautés humaines -- le peuple -- et ne représente pas la Terre Adélie, même si nous avons vu récemment que créer un nouveau siège de sénateur à Saint-Barthélemy était moins « coûteux » électoralement que pour le Nord ou Paris.
Le deuxième élément que je voudrais aborder se résume en ces termes : nouveaux pouvoirs ou illusion de nouveaux pouvoirs ? La place du Sénat et son rôle, dans la confection de la loi, n'ont pas été véritablement modifiés par la révision. J'observe, à titre liminaire, que les possibilités de dialoguer entre la majorité au Parlement et la Présidence de la République, pour appeler les choses par leur nom, sont facilitées. J'ai ainsi pu entendre le président d'un groupe de l'Assemblée nationale dire qu'il n'y avait plus que deux personnages importants en France: lui-même, c'est sans doute une preuve de modestie, et le Président de la République, ce qui est une preuve de révérence. En réalité, est-on devant une revalorisation ou une dévalorisation du Parlement ? Dans un régime de plus en plus monocratique, au sein duquel la pensée présidentielle génère le lundi un projet de loi, il est quand même très gênant que le mardi cette loi ne soit pas votée et entrée en application ! La vision d'un Parlement asservi, qui est là pour réaliser, dans les délais les plus courts, les volontés présidentielles ne rejoint pas la conception que je me fais de la revalorisation du Parlement.
Dans la pratique, car il faut aussi en parler précisément, je prendrai une série d'exemples venant confirmer que la réforme n'a pas apporté de nouveaux pouvoirs au Parlement. En premier lieu, les lois organiques, sensées décliner les modifications constitutionnelles pour les rendre applicables, sont révélatrices de la volonté gouvernementale. Qu'observe-t-on ? Dans l'ordre chronologique, la première loi organique proposée a aménagé le parachute de retour au Parlement des ministres anciennement parlementaires parce qu'il fallait régler au plus vite le problème de M. Xavier Bertrand. Où est la revalorisation du Parlement ? La seconde loi organique a créé et géré la composition de la Commission indépendante, de par son nom uniquement, chargée d'émettre un avis sur le découpage électoral. Cette même loi donnait également, par ordonnance, la possibilité à M. Marleix de montrer ses talents en matière de découpage. Quelle est la revalorisation du Parlement lorsque celui-ci n'a d'autre choix que de légiférer par ordonnance ?
Dans un autre domaine, s'agissant du pouvoir de nomination, la réforme a donné la possibilité aux assemblées, par le biais de ses commissions permanentes compétentes, d'émettre un avis. Cela a été présenté comme un abandon de son pouvoir par le Président de la République. Or, dans la pratique, l'avis donné en toute indépendance par les assemblées n'est qu'un leurre. En effet, pour que le pouvoir de nomination du Président soit contesté, il faut que les voix des trois cinquièmes du Parlement soient réunies pour s'opposer au nom proposé par le Président.
Il faudrait, pour que cela se produise, que la majorité entre en conflit avec le Président de la République. Or, la majorité actuelle est formée de gens tout à fait estimables, et à ma connaissance, aucun n'a demandé la nationalité japonaise et pris la profession de kamikaze.
En ce qui concerne les débats parlementaires, la procédure accélérée est devenue la règle ordinaire d'organisation des débats. Elle nous avait pourtant été présentée comme un recours exceptionnel appelé à limiter les abus de l'ancienne procédure d'urgence tant décriée. Elle supprime de fait la navette parlementaire et fait disparaître tous les délais garantis par la révision constitutionnelle pour l'étude des textes. Cette utilisation abusive ne permet pas de bien faire la loi. Je ne parle pas de l'orientation de la loi, je dis simplement du fait technique de faire la loi.
Pour le travail en commission, nous avons maintenant le privilège de voir présents les membres du gouvernement à tous les stades de délibération, manifestation sans doute exaltée de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif. Du point de vue de l'opposition, cela nous permet de rencontrer plus souvent le gouvernement. Mais la majorité parlementaire est sous surveillance constante. Le projet de loi portant réforme de l'hôpital, actuellement en discussion au Sénat, en est un bel exemple. Le texte a été examiné en commission dans des conditions épouvantables : séances de travail de nuit, ce qui constitue une nouveauté, présence continue des collaborateurs de Madame Bachelot qui bivouaquaient dans le couloir et intervenaient dans le cours de la discussion. Le temps de la réflexion, du débat serein des parlementaires entre eux a disparu. Dans la mesure où le gouvernement vient défendre ses amendements en commission, nous n'avons plus ce temps.
Certes, un ministre peut très bien décider de ne pas venir en commission. Mais, la circulaire relative à la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle, datée du 15 avril dernier, adressée par le Premier ministre à l'attention des membres du Gouvernement, ne va pas franchement dans ce sens. Il s'agit en réalité de mettre en oeuvre l'interprétation extensive donnée par le Conseil constitutionnel. Quand nous écoutons et que nous lisons les déclarations des ministres pendant la révision, ces derniers ne prévoyaient pas de venir en permanence. Or, cette donnée change complètement la nature du travail en commission et il va falloir s'adapter à ce phénomène. La commission est-elle une répétition de la séance publique ? Si tel est le cas, les travaux en commission devraient être publics, ce qui signifierait que la loi ne serait plus élaborée en séance publique. Or, pour ma part, j'ai été élu pour être sénateur de la République, pas pour être sénateur de la commission des Lois. Je veux pouvoir participer à n'importe quel débat.
Ce qui m'amène à conclure par l'exercice du droit d'amendement et ce fameux article 18 de la réforme constitutionnelle. Heureusement, nous avons échappé au Sénat, parce que le travail sur le Règlement l'a rendu possible, à l'application du temps globalisé. Mais je vous invite à lire le Règlement de l'Assemblée nationale qui le met en oeuvre. Quels sont les outils mis à la disposition du parlementaire pour s'exprimer ? Le droit d'amendement fait partie de ses droits fondamentaux, il est personnel et imprescriptible. Or, avec l'application du temps globalisé, on peut arriver à ce scénario extraordinaire : un parlementaire, quel qu'il soit, de l'opposition ou de la majorité, pense que ses arguments sont bons, que dans l'hémicycle il parviendra à convaincre ses collègues, même si on a l'habitude de dire qu'une bonne argumentation fait quelquefois changer d'avis mais jamais de vote. Mais, c'est cela le débat, public et chaque citoyen peut en avoir connaissance. Or, à l'Assemblée, on pourra se trouver dans une situation où le parlementaire ne pourra pas défendre ses propositions car le temps de parole accordé à son groupe sera épuisé. Ce sont de dangereuses manifestations d'excès de pouvoir, d'abus de majorité. Cela me semble très mauvais pour la revalorisation du Parlement.
Voilà. J'en ai terminé ave ce tableau idyllique. Je sais que d'autres mettront l'accent sur les aspects tellement merveilleux de ce conte de fées pour enfants qu'on nous a vendu, sous le nom de « Nouveaux pouvoirs du Parlement ». Je me suis permis de leur laisser les contes de fées et de ne vous exposer que la vérité.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci, Monsieur le président. Merci, en tout cas pour votre ton direct. Si on a bien compris, vous êtes plus que sceptique. Vous dites, en gros : « On a probablement raté un rendez-vous, raté une occasion ». J'ai quand même envie de vous demander pour lancer le débat s'il y a des bonnes choses à prendre. Est-ce mieux que ce qui existait auparavant ?
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord - Non, ce n'est pas mieux que ce qui existait auparavant. Nous verrons bien dans la pratique. Je note d'ailleurs que certaines modifications pouvaient tout à fait être réalisées sans passer par une révision constitutionnelle. Je reprends ce que Jean-Jacques Hyest disait sur le partage de l'ordre du jour. Nous étions d'accord en majorité, au sein du Sénat, sur la proposition qui consistait à donner trois semaines par mois pour l'ordre du jour prioritaire du Gouvernement et une semaine aux assemblées, parce que le partage tel qu'instauré aujourd'hui me paraît difficilement tenable.
Quel bilan peut-on dresser alors que se profile la fin de la session parlementaire ordinaire ? On vient de battre le record absolu du nombre de séances jamais tenues sous la Ve République. En effet, hier, nous avons dû nous prononcer, par un vote en séance publique, sur le dépassement des cent vingt jours de séance maximum prévus pour la session ordinaire par l'article 28 de la Constitution. Nous avons une session extraordinaire qui, maintenant, se déroule d'une manière ordinaire, tous les mois de juillet. Il faut aller vite, il faut légiférer vite.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Il faut légiférer vite, mais avec lenteur.
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord -Pour prendre un autre exemple, le fait de consulter les membres du Parlement sur les opérations extérieures n'impliquait pas de réviser la Constitution, il suffisait que le gouvernement le demande. Il y a bien entendu des éléments dans la révision qui sont des progrès, l'exception d'inconstitutionnalité, prévue par l'article 61-1 de la Constitution, en est un. Mais quand nous parlons des pouvoirs du Parlement, la révision a, éventuellement, un peu amélioré les pouvoirs de la majorité. S'en saisira-t-elle ? Je suis, là aussi, sceptique.
Table ronde : -Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, - Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris, - Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône, - M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, ancien ministre, vice-président de la commission des Affaires étrangères, sénateur du Territoire-de-Belfort, - M. Michel MERCIER, président du groupe Union Centriste, sénateur du Rhône, - M. Hugues PORTELLI, sénateur du Val-d'Oise
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Très bien, on a, en tout cas, bien écouté ce scepticisme plusieurs fois. Pour lancer le débat, je vais demander à chacun des intervenants, en une minute, de dire ce qu'il pense de cette réforme. Ensuite, si vous êtes d'accord, on va décliner ce que contiennent ces différentes réformes. On va parler des meilleurs contrôles de l'exécutif, des initiatives éventuelles des sénateurs aujourd'hui, de la maîtrise, par exemple de l'ordre du jour, et de la discussion, en séance publique, du texte, par exemple, déjà amendé en commission. Qui souhaite prendre la parole ? Peut-être Madame Dumas ? On va parler un peu globalement, en moins d'une minute.
Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris - Oui, très rapidement, à la question sur la revalorisation, mon collègue a répondu par trois lettres. Je répondrai par trois lettres, mais les lettres sont « oui ». Il a été très clair, je serai très claire. Je n'ai ni sa philosophie politique ni son expérience, mais je pense franchement que cette modification de la Constitution apporte un certain nombre de points tout à fait positifs pour le Sénat. Il est vrai, qu'après deux mois de pratique dans la réforme institutionnelle, il est bien difficile d'en tirer un bilan, je crois qu'on sera tous d'accord autour de cette table.
Ceci dit, à mon avis, quelques axes, notamment trois axes, commencent à se dégager dès maintenant. L'ordre du jour partagé, la nouvelle rédaction de l'article 48 : vous avez l'air de dire que cela ne sert pas à grand-chose, je ne le pense pas, puisque, aujourd'hui, sur quatre semaines, le gouvernement dispose de deux semaines, donc par priorité, mais les deux autres semaines sont consacrées, l'une au contrôle, l'autre aux travaux des sénateurs, ce qui me semble, quand même, une nouveauté assez intéressante.
Vous dites que c'est un cadre rigide. Je pense, en effet, que cette nouveauté des quatre semaines va demander beaucoup de souplesse et il faut, en effet, qu'on prenne un peu de temps pour s'adapter à cette nouvelle organisation, avec de la souplesse. Mais, après tout, la Constitution de la Constitution n'est-elle pas faite de souplesse ?
Le Sénat a tout récemment fait l'objet de l'examen de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires dont vous venez de parler, il est vrai que c'est encore en cours. Il est difficile de prendre cette loi, aujourd'hui, pour un modèle, pour un exemple dans la nouvelle organisation, puisque nous commençons à mettre en oeuvre cette nouvelle organisation, et je pense qu'il ne faut pas s'arrêter ici.
D'autre part, je voudrais faire, ici, une réflexion sur la segmentation des quatre semaines. Je pense qu'elle est intéressante, à partir du moment où on parle de la longueur des projets de loi. Je pense que cette segmentation va obliger le gouvernement à, quelque part, revoir la façon dont les textes sont faits, à ce qu'ils soient moins longs et, peut-être aussi, à ce qu'on mette bien dans les lois, uniquement ce qui est du ressort de la loi, et non pas ce qui est du ressort du règlement.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Écoutez, Messieurs les professeurs, on va enfin respecter les articles 34 et 37, c'est formidable !
Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris - Un mot encore sur le rôle des commissions. Je pense qu'il y a quelque chose de très important dans cette réforme : c'est comment vont s'articuler les rôles respectifs des groupes politiques au Sénat et des commissions. Je pense que les commissions sortent vraiment renforcées, puisque le texte est amendé en commission et, qu'après, c'est le texte amendé en commission qui sera voté en séance. Il est vrai que se pose la question des amendements, qui peuvent être posés deux fois, notamment pour l'opposition. La majorité essaie de faire passer ses amendements en commission.
Il est vrai que, selon l'évolution du texte, d'autres amendements peuvent être proposés, tant par la majorité que par l'opposition, en commission. Il est vrai que si on arrivait à reposer les mêmes amendements, et en commission et dans l'hémicycle, je pense qu'on serait passé un petit peu à côté de cette réforme, qui est faite pour limiter l'obstruction parlementaire qu'on a quand même connue tout récemment. Je parle notamment de l'Assemblée Nationale, puisque ce n'est pas une spécificité du Sénat. En un mot, je trouve, franchement, que le Sénat gagne en autonomie avec cette réforme.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci beaucoup. Qui souhaite prendre la parole ? Peut-être Madame Ghali ? Globalement, sur cette réforme, est-ce un progrès ou pas, comme vient de nous le dire à l'instant Madame Dumas ?
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhô ne - La différence, c'est que je suis nouvelle, en tout cas au Sénat.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Il est intéressant de vous entendre.
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône - Je n'ai pas vraiment connu l'ancienne organisation, même si je l'ai un peu pratiquée. En tant que nouvelle sénatrice, je suis effectivement aussi un peu choquée de voir que la démocratie ne s'impose pas au Sénat, c'est-à-dire qu'on a des collectivités de gauche, et on se rend compte que le Sénat, quoi qu'il en soit, reste toujours à droite. Cela pose un vrai problème, quand on a une assemblée, comme le Sénat, qui est censé représenter les collectivités. Cela, c'est le premier point.
Ensuite, je parlerai plus de ce que je connais et de ce que j'ai vécu car, pour le reste, je ne suis pas une spécialiste. J'aime bien parler des choses concrètes, en tout cas du vécu. Sur la question des commissions, je suis à la commission des Affaires sociales, notamment aux travaux sur Hôpital, Santé, Patients, je peux dire que les horaires, dont personne ne parle mais qui sont réels, je les trouve franchement inhumains. Je ne vois comment on peut travailler une journée entière, une nuit et recommencer le lendemain. C'est un vrai problème. A un moment, les sénateurs, s'ils sont honnêtes, ne peuvent pas dire qu'ils ont été assidus du début jusqu'à la fin. En tout cas, je ne l'ai pas été et je crois que nous étions nombreux à ne pas l'avoir été. C'est important, on fait passer des lois, on veut changer des choses dans ce pays, on ne peut pas considérer qu'on peut le faire en une semaine, alors qu'on met en place des lois qui sont là, en tout cas, pour des années, voire des décennies et parfois des siècles, en fonction des lois.
Je veux dire tout simplement que la façon dont on travaille est importante. Ensuite, sur la question des amendements, j'ai vu effectivement la période, à l'intérieur de la commission, où la ministre n'était pas là et au moment où la ministre est venue. Au moment où la ministre n'était pas là, on a pu débattre. On s'est retrouvé parfois avec des sénateurs de droite et de gauche, parce que le débat peut permettre aussi de faire changer d'avis. Lorsque la ministre était là, comme par hasard, ce débat, cet échange n'a plus existé. Cela pose un vrai problème. Que le ministre soit là dans l'hémicycle pour apporter sa touche, en tout cas son autorité de ministre, c'est une chose, mais en commission, je pense qu'il est dommage d'avoir un ministre, parce qu'il n'y a plus de débat. On impose presque les amendements, d'une manière autoritaire.
Le Sénat, c'est quelque chose de doux, c'est fait de manière douce, mais c'est imposé comme cela. Tout cela me surprend. Je peux dire aussi qu'en tant que nouvelle sénatrice, on n'a pas été - je le dis franchement - formé à la maison. On n'a été élu, certes, mais on a ensuite été un peu jeté. Je trouve dommage qu'on n'ait pas eu une prise en main du Sénat, pour accompagner les nouveaux sénateurs à l'organisation. Si on veut aussi le changement, c'est aussi aider ceux qui viennent, pour la première fois, à apporter leur touche personnelle, en tout cas, un peu de changement, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. J'interviendrai à nouveau.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Sur ce point d'organisation du temps de travail, il était intéressant d'entendre le regard d'une nouvelle sénatrice, Monsieur le président, vous allez répondre brièvement, ensuite, Mme Borvo prendra la parole.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Je comprends tout à fait les préoccupations de notre collègue. Il est vrai que ces séances... En fin de compte, vous savez, c'est comme le rodage, on est habitué après. Cela ne me fait plus rien, depuis le nombre d'années où on a siégé en séance de nuit ! Quand il y avait les trois mois, c'était jour et nuit, pratiquement pendant les trois mois. Il faut se rappeler de ce qu'était le système. Je disais que la réforme initiée par Philippe Séguin était, soi-disant, de nature à mieux équilibrer notre temps de travail.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Là, on vient d'entendre que, visiblement, aux yeux de Mme Ghali, cela va être plus compliqué.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Je ne sais pas, parce que, contrairement à ce que beaucoup de personnes disent, on ne peut pas être en séance tout le temps ; d'ailleurs, cela dépasserait totalement les possibilités d'une personne. Quand on siège soixante-dix heures par semaine, je suis désolé, on a le travail de commission, et on n'est pas forcément de la commission, on a aussi un certain nombre d'obligations. A partir de ce moment-là, il n'est pas question que tous les collègues soient en séance publique, mais on suit un texte. Globalement, je pense qu'on a intérêt à mieux organiser notre travail de commission. C'est peut-être la réflexion que nous avons à mener après l'expérience de la loi Hôpital.
Ce qui est une grande difficulté, je crois, c'est qu'on multiplie les textes. D'ailleurs, je disais qu'on examine rapidement les textes avec lenteur. Puisqu'on examine avec beaucoup de lenteur, on finit par examiner rapidement, c'est un système vicieux. On fait la procédure accélérée, parce qu'on met cinq semaines pour examiner un texte, franchement, dont je ne suis pas sûr que toutes les dispositions, d'abord soient cohérentes, soient évidentes, soient appliquées et relèvent de la loi, Monsieur le Ministre, bien entendu. Je rappelais tout à l'heure que le problème, c'était l'article 34 et 37. On fait des lois qui sont bavardes, qui contiennent des dispositions qui ne devraient pas être du domaine de la loi.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Madame Borvo Cohen-Seat, ensuite Jean-Pierre Chevènement.
Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche - Concernant notre activité de parlementaires, la situation ne va probablement pas s'améliorer - je parle de notre temps de travail - puisque le président de la République a dit qu'il serait anormal que les Français travaillent plus, alors que les parlementaires, finalement, « se la coulent douce ». Cela montre l'estime dans laquelle il tient le Parlement et cela rejoint une autre question, celle de la légitimité. Les parlementaires tiennent leur légitimité du peuple, de façon directe ou indirecte. Il est dommage que le Sénat ne soit pas conforme au peuple qui a désigné les élus locaux, mais je ferme la parenthèse. Comme ils tiennent leur légitimité du peuple, il est normal qu'ils passent du temps avec ceux qui les ont élus sur des questions qu'ils sont censés défendre au Parlement, faire remonter, traduire en lois.
On a appris une chose : selon M. Xavier Bertrand, ancien ministre, et maintenant Secrétaire général de l'UMP, les députés tiennent leur légitimité - il parle de la majorité bien sûr - du président de la République. C'est toute la question : pour savoir si la révision constitutionnelle améliore les pouvoirs du Parlement, c'est-à-dire des parlementaires, il faut savoir où sont ces pouvoirs, quels sont ces pouvoirs. Sont-ils séparés de ceux de l'exécutif ? Existent-ils vraiment ? Y a-t-il séparation des pouvoirs ?
Sur l'évolution des institutions, j'ai une certaine constance, puisque je suis présidente du groupe Communiste, maintenant Républicain, Citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, qui a voté contre la Constitution de 1958 qui portait en elle la présidentialisation de nos institutions. La pratique et l'évolution, avec l'élection au suffrage universel, avec le quinquennat et l'inversion du calendrier, font que cette présidentialisation aboutit à beaucoup de confusion dans les pouvoirs.
Depuis la révision constitutionnelle, contre laquelle nous avons voté de façon résolue (et rien, aujourd'hui, ne me dit que nous avons eu tort), cette confusion est totale. Le président de la République est le chef de l'exécutif. Il est aussi le chef de la majorité, il est le chef du parti majoritaire de la majorité. L'inflation législative s'est aggravée, même si on sait que tous les gouvernements ont toujours voulu apposer leur « marque » et faire de nouvelles lois. Chaque ministre d'ailleurs veut marquer une loi de son nom, de « sa patte ».
Mais aujourd'hui, on assiste à une dérive, qui est assez grave. A chaque fait divers, une nouvelle loi, à chaque évolution des sondages sur la popularité du président de la République, une loi pour essayer de l'améliorer, à chaque échéance électorale, une loi. En réalité, le Parlement est soumis à cette inflation législative. Elle est maintenant enserrée dans le partage de l'ordre du jour, mais, là aussi, c'est un trompe-l'oeil. D'abord parce que beaucoup de projets voulus par l'exécutif deviendront des propositions de loi de la majorité. On l'a déjà vu en oeuvre, mais on le verra encore davantage. Le partage se fera en trois grandes semaines, une petite semaine, parce que la plupart du temps sera utilisée par la majorité dont on nous dit qu'elle tire sa légitimité du président de la République. Vous voyez que la confusion est grande.
Les institutions s'inspirent de la pratique, pratique qui sera maintenant mise en oeuvre dans le cadre de la réforme institutionnelle, laquelle va considérablement aggraver cette confusion des pouvoirs. Beaucoup de choses sont en trompe-l'oeil, donc. Je rejoins des critiques qui ont été faites par mon collègue Bernard Frimat. Entre la révision, les lois organiques, le règlement, on constate qu'en réalité, entre institution et pratique, il n'y a pas de pouvoir réel du Parlement. Cela veut bien dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la monocratie française ou dans la République qui est, hélas, de moins en moins démocratique. On pourra toujours mettre des mots, on pourra toujours dire : « Oui, mais il y a le travail en commission, les contrôles, l'initiative parlementaire... ». Vous savez, on a l'impression que les parlementaires vont passer énormément de temps dans de « grands bavardages », qu'ils s'appellent contrôles, qu'ils s'appellent missions, qu'ils s'appellent débats initiés par les uns ou les autres ; ils parlent, ils parlent, mais les décisions leur échappent.
Je préside un petit groupe d'opposition. Il y a aussi, derrière cette révision, une rationalisation de la vie parlementaire. Je suis favorable au régime parlementaire qui est plus démocratique que le régime présidentiel ou monocratique, parce que, au moins, il procède de quelque chose de pluriel, plutôt que d'un seul homme.
Donc, je suis pour la primauté du Parlement. On parle de droits nouveaux pour le Parlement : il n'y en a pas, parce qu'il n'a pas de véritable primauté ! L'exécutif dispose de beaucoup de moyens. Je crois qu'ils vont être accrus, notamment par la procédure accélérée dont on va user et abuser. La procédure accélérée, cela veut dire que les choses sont bien dans la main du gouvernement, pour que les « bavardages » parlementaires ne prennent pas le pouvoir.
Je dirai un mot sur la loi pénitentiaire. Effectivement, nous avons inauguré la révision constitutionnelle sur ce texte, avec le travail en commission, un travail sérieux. Je dois dire d'ailleurs que le rapporteur de cette loi, ici présent, M. Lecerf, a beaucoup fait pour que le texte sorti de la commission des Lois au Sénat soit plus conforme à ce à quoi l'Europe nous oblige en matière de droits des détenus, par rapport au projet gouvernemental. Le gouvernement avait décidé l'urgence sur cette loi, nous l'avons votée en mars, et aujourd'hui, elle n'est même pas programmée à l'Assemblée Nationale. On peut se demander ici quels sont les pouvoirs du Parlement quand ils s'expriment pourtant de façon tout à fait légitime, puisque le Sénat a commis un rapport dont on a beaucoup parlé, Les prisons, la honte de la République, pardon, Les prisons, une humiliation de la République (mais on peut aussi parler de honte)...
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Intervention hors micro.
Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche - Oui, « l'humiliation », je me le rappelle très bien, Monsieur le président. « Les prisons, une humiliation pour la République ». Dix ans ont passé. Bien sûr, le débat sur la loi pénitentiaire est un exemple presque unique de certaines contradictions entre le gouvernement et sa majorité : pour l'instant, le projet de loi est en panne. On ne sait pas ce qu'il va devenir. Qui décide ? C'est l'exécutif.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci beaucoup, Madame la présidente. Je vais donner la parole à Jean-Pierre Chevènement, et ensuite à Michel Mercier. Jean-Pierre Chevènement, il est intéressant de vous attendre. Vous avez été ministre, vous avez été député, vous êtes aujourd'hui sénateur. Quel est votre regard ? Cette réforme va-t-elle rééquilibrer un peu les choses ? L'exécutif va-t-il, par exemple, être mieux contrôlé par rapport à avant cette réforme, ou pas ? Quel est votre point de vue ?
M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, ancien ministre, vice-président de la commission des Affaires étrangères, sénateur du Territoire-de-Belfort - Tout d'abord, je voudrais préciser que, comme ma voisine de gauche, je suis, non pas un jeune sénateur, mais un sénateur nouveau. Je n'exerce ce mandat que depuis huit mois. Donc, je ne vous parlerai pas d'expérience, mais je vous donnerai des impressions qui, naturellement, résultent aussi de mes réflexions. Je ne pourrai me livrer devant vous qu'à un discours un peu impressionniste.
Le bicaméralisme est fait pour donner un peu de temps, un peu de réflexion, il est fait pour exercer un rôle de modération. C'est un temporisateur par rapport à ce qu'est la réalité du régime, qui est celui de la Ve République, c'est-à-dire un régime présidentialiste, comme l'a dit Mme Borvo. Je nuancerai, néanmoins, son propos, en disant que ce régime présidentialiste s'est imposé, du fait de l'échec des régimes d'assemblées. Je ne remonterai ni à 1940 ni à 1948. J'ajoute qu'il est difficile de revenir en arrière. Les Français semblent attachés à l'élection du président de la République au suffrage universel.
J'ajoute que, dans les textes, cela reste un régime parlementaire, puisqu'il y a toujours la motion de censure, que l'Assemblée Nationale n'exerce quasiment jamais. Elle l'a fait une fois, cela lui a coûté cher, donc elle ne l'exerce plus. Donc, c'est résiduellement un régime parlementaire, résiduellement. Peut-on - c'est la question que vous me posez - peut-on tirer quelque chose de positif de cette réforme et de son application, à travers notre Réglement, pour aller dans le sens d'un rôle plus grand du Parlement, pour le vote de la loi et pour le contrôle du gouvernement ?
J'exprimerai un point de vue nuancé. Je m'efforcerai de ne pas être tout à fait désespéré. Je pense qu'il faut un peu de sagesse dans l'expression des opinions. Je constate que le Sénat est une assemblée assez équilibrée. Il peut même arriver que le gouvernement soit mis en minorité. Cela nous est arrivé - n'est-ce pas Monsieur Portelli ? - avec le soutien des sénateurs de gauche, sur la présidence du Conseil de surveillance de l'hôpital. Il y a des moments où le Sénat, parce qu'il est au contact des élus - ce sont des élus pour la plupart, des élus de terrain - vote un amendement qui ne plaît pas au gouvernement, cela peut arriver.
Quand je regarde l'équilibre du Sénat, je pense qu'il évolue parce que dans les collectivités locales, il y a eu effectivement une poussée à gauche aux dernières élections municipales, notamment. Ce qui compte beaucoup chez nos grands électeurs, ce sont les maires des petites communes. Mais peut-on priver de représentation les maires des petites communes ? C'est difficile et on ne peut pas gonfler à l'excès la représentation des grandes communes, sinon on finit par avoir des gens qui n'ont plus aucun lien avec la vie municipale. Il y a donc un équilibre qui, en soi, est problématique. On pourrait modifier le mode de désignation du Sénat. Je m'y suis essayé quelque peu, en étendant la proportionnelle aux départements de plus de trois sénateurs, on est revenu quatre. Bon, tout cela dépend des majorités changeantes, mais quand je regarde ce qu'est le Sénat aujourd'hui, que je vois le rôle que jouent les groupes comme l'Union centriste ou le RDSE, je ne dirai pas qu'ils feront la révolution, non, mais ils peuvent cristalliser, à un certain moment, une réticence, voire une opposition. Dans un moment de crise, tout est possible.
Je ne serai pas tout à fait aussi pessimiste que certains des intervenants qui m'ont procédé. Je vois dans la réforme quelques aspects positifs, des avancées modestes, au demeurant. Par exemple, s'agissant des droits du Parlement, par exemple s'agissant du droit de veto des commissions permanentes - trois cinquièmes pour dire non. J'ai bien entendu ce qu'a dit Bernard Frimat, très talentueux à la tribune de l'Assemblée comme à cette tribune, mais je pense que l'obligation de soumettre des nominations à des commissions parlementaires, ça n'est pas nul : cela oblige à expliquer pourquoi on propose celui-ci ou celle-là. Je pense que ce n'est pas tout à fait nul.
De même, le fait que les engagements extérieurs donnent lieu à des votes. Je sais à quel point tout cela peut être manipulé, préparé, arrangé à l'avance mais, malgré tout, c'est la règle qui s'impose, et ce n'est pas absolument négligeable. Je dois dire que j'avais même été sensible au fait que nous discuterions sur les textes élaborés par les commissions. J'ai vu dans la revalorisation des commissions quelque chose de positif. A l'expérience, je dois dire, j'ai changé d'avis, parce que nous n'avons pas le temps de travailler. Les rapporteurs n'ont pas le temps de produire leur rapport, on n'a pas le temps de les lire. Les ministres, je ne pense pas qu'ils viennent trop, ils ne viennent pas assez. Comme ils ne viennent pas en commission, la commission adopte des textes qui ne leur plaisent pas. Donc, en séance publique, ils veulent revenir au texte initial et ils nous imposent le vote de très nombreux amendements. Je pense à la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires, le gouvernement a presque indisposé la commission des Affaires sociales. Ou alors on prévoit un délai qui n'est pas deux semaines, voire moins entre l'examen en commission et l'examen en séance publique, il faut admettre, à ce moment-là, trois semaines, voire quatre, pour qu'il puisse y avoir un travail parlementaire sérieux.
Cette réforme mérite d'être revue et corrigée. Pour le reste, l'ordre du jour, apparemment, c'est plus démocratique. Ensuite, on va aller vers l'inflation horaire, vers l'accélération de l'accélération, la multiplication des procédures accélérées, qui d'ailleurs existaient et qui s'appelaient les procédures d'urgence, cela ne change rien. Tout cela rend le travail des parlementaires plus difficile, mais même le travail des ministres, qui ne savent plus où est leur texte.
Je critique finalement cette réforme qui consiste à dire qu'on va débattre sur le texte élaboré par la commission, parce que c'est une démission de l'autorité. L'autorité voudrait que le gouvernement s'engage sur son texte, en disant : « Voilà, ce que je veux. » Pas d'hypocrisie ! On discute et je vous fais des concessions, au lieu que le gouvernement fait semblant de démissionner ; il dit que les commissions vont décider à sa place, il revient après sur son texte dans des conditions qui ne servent pas la démocratie. La démocratie applique, ceux qui ont la responsabilité l'assument. C'est ce que j'appelle l'autorité républicaine. Ils assument leur responsabilité.
Je vais conclure mon exposé qui est peut-être déjà un peu long, en disant que j'ai pu constater, par exemple, sur la loi sur l'audiovisuel, qu'on l'appliquait avant que le Sénat l'ai votée. Bien que le Sénat ait un rôle particulier, du point de vue de l'organisation des collectivités territoriales, c'est à la commission Balladur qu'on a proposé de s'en occuper. J'émets donc une approbation sur certains points, mais qui est très nuancée sur d'autres, et même sur ceux-là. Je pense que le fait que nous soyons dans un régime présidentialiste pourrait peut-être être corrigé, si le Sénat le voulait. Il le pourrait. Je prends là un slogan de campagne électorale, pourtant je ne peux pas vous dire que je m'intéresse beaucoup à cette campagne. J'ai cru entendre : « Si elle veut, elle peut. » Elle ne veut pas, donc elle ne peut pas. Le Sénat, malheureusement, dans l'état actuel des choses, ne me paraît pas encore prêt à vouloir, mais peut-être que cela changera.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci beaucoup, Jean-Pierre Chevènement. Michel Mercier, si le Sénat le veut, est-ce qu'il le pourra ? Ensuite Hugues Portelli. Ensuite, vous pouvez tout à fait, même si vous êtes tous très disciplinés et courtois, vous interrompre, puisqu'on va parler, à proprement parler, de débat, juste après.
M. Michel MERCIER, président du groupe Union Centriste, sénateur du Rhône - Je vais essayer d'être le plus bref possible, parce que beaucoup de choses ont été dites. Je partage assez ce qu'a dit M. Chevènement dans son intervention. Pour répondre à votre question, je crois que tous les textes institutionnels sont donnés et, après, il y a une pratique. La pratique de 1875, la République qui émet des lois constitutionnelles de 1875, ce ne sont pas celles que voulaient ses auteurs. La pratique de 1958, ce n'était pas non plus celle qui était prévue, lorsqu'on a voté la Constitution de 1958. Il appartiendra aux acteurs de la vie politique d'utiliser les outils que constituent désormais la Constitution, la loi organique et le Réglement.
J'ai bien écouté notre collègue Bernard Frimat, qui est toujours brillant, mais qui se laisse parfois aller à la facilité et d'être un peu excessif et un peu loin de la vérité. J'observe que le Règlement du Sénat, pour prendre un mot de M. Copé, que M. Frimat affectionne particulièrement, puisqu'il l'a cité plusieurs fois, est une coproduction entre le président Hyest et le président Frimat. C'est quand même une très bonne chose, et nous sommes arrivés à un système qui nous donne, en fait, une grande liberté d'action. C'est donc aux sénatrices et aux sénateurs de faire en sorte que les droits qui leur sont conférés ne soient pas des droits virtuels, mais des droits réels.
Si on regarde l'expérience récente, à travers deux textes - je vais simplement prendre la loi Audiovisuel et la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires -, on s'aperçoit qu'il y a des changements très profonds. On peut les nier, parce que cela fait partie de la politique, mais quand on veut aller au fond des choses et regarder, on s'aperçoit que ce qui devient presque fondamental dans le travail législatif, cela va être le rôle de la commission de l'Assemblée saisie en second. On va avoir une assemblée saisie. La commission compétente va élaborer un texte et l'assemblée va se prononcer sur le texte. Il y a deux lectures, il faut en avoir conscience. La seconde assemblée reçoit le texte qui vient de la séance publique de la première assemblée saisie. La commission compétente va bâtir un texte et, c'est sur ce texte de la commission compétente de la seconde assemblée qu'on va avoir le débat dans la seconde assemblée.
Cela fait donc quatre moments dans cette lecture. C'est la première fois qu'on voit cela. Je ne sais pas ce que cela donnera. Je ne dis pas que c'est le paradis, mais je dis qu'il y a là une opportunité pour un travail législatif qui s'organisera autrement. On parle de la procédure accélérée. Tout le monde pense, comme l'a dit avec brillance notre collègue Frimat, qu'on recevrait le texte le lundi matin, le lundi à midi, il serait publié au Journal Officiel, et tout serait réglé. Bien entendu, c'est un peu excessif, mais il faut à peu près six mois, en procédure accélérée, pour sortir un texte. Accélérer à six mois, on ne peut pas dire que ce soit précipité.
Il y a aussi un autre phénomène qu'il faut bien comprendre. C'est aussi une réforme qui est, probablement, plus fondamentale qu'on ne le croit : ce sont les délais mis entre les discussions, dans les différentes assemblées. Je veux reprendre, à nouveau, l'exemple de la loi Hôpital. L'Assemblée Nationale a été saisie en premier par le gouvernement. La commission des Affaires sociales a fait son texte. L'Assemblée a voté son texte, cela a duré à peu près quatre semaines, et un texte est sorti de l'Assemblée Nationale. Pas de réaction dans la rue, pas de réaction chez les médecins, cela passe comme cela.
Il y a six semaines, obligatoirement, constitutionnellement entre la fin de la discussion à l'Assemblée et le début de la discussion au Sénat. C'est pendant ces six semaines que les citoyens se sont approprié la proposition de loi, en ont débattu, ont manifesté, ont fait des pétitions, des manifestations et cela a changé complètement la nature de la discussion au Sénat. C'est parce qu'il y avait eu cette appropriation par les citoyens, par les gens intéressés, qu'on a discuté autrement au Sénat, que la commission des Affaires sociales du Sénat a commencé à faire un texte très différent de celui de l'Assemblée. On est en train de le terminer, parce que cela a beau être accéléré, cela va tout de même prendre cinq semaines. Donc, on a pris notre temps. Le Réglement du Sénat permet - c'est bien - de prendre tout le temps qu'il faut pour arriver à faire un texte qui touche à la vie de tous les jours des Français. On voit qu'il y a des potentialités nouvelles dans la réforme. Il appartiendra aux parlementaires d'utiliser mieux ces potentialités.
Il y a bien longtemps qu'on ne vit plus dans un régime de parlementarisme absolu, on le sait bien. En 1924, un grand professeur de Strasbourg Charles Badenberg a écrit des choses définitives là-dessus, si je me souviens bien, ce devrait être par là. Cette loi, cette réforme constitutionnelle va permettre aussi aux citoyens de jouer un certain rôle, dans la procédure législative, grâce à ce délai de six semaines. Cela ne va pas se faire en un seul jour, mais c'est une des potentialités du texte et il nous appartient, à nous parlementaires, de faire aussi en sorte que les gens puissent participer mieux.
Est-ce que ce sera demain le nirvana ? Sûrement pas, mais c'est la pratique, l'usage qu'en feront les parlementaires qui fera que cette réforme sera plus démocratique, ouvrira la discussion législative sur l'opinion publique ou restera enfermée, comme elle l'est maintenant, et c'est vrai qu'elle aura moins d'importance.
Quant à la légitimité du Sénat qui a fait l'objet de discussions, je veux simplement rappeler, pour que tout soit dit dans le bon sens, que le Sénat est élu par moitié, ce que notre collègue Bernard Frimat sait parfaitement. Il sait parfaitement que les effets des élections municipales de 2004 se produiront aussi en 2011. Il y a une stabilité du corps électoral sénatorial qui est donnée, ce qui n'existe pas pour le corps électoral de l'Assemblée Nationale. Cela lui permet d'avoir une idée des résultats de 2011.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci, Monsieur le président. Je retiens vos principes. Cela va dépendre, évidemment, de l'application. Il y a des opportunités, c'est ce que vous avez souligné. Le citoyen, en tout cas, à vos yeux, va peut-être avoir un peu plus le droit à la parole, ou en tout cas, va pouvoir un peu plus influencer le débat parlementaire dans cette maison. Hugues Portelli, pardon de vous avoir donné la parole en dernier. Je vous en prie.
M. Hugues PORTELLI, sénateur du Val-d'Oise - Je voudrais dire, en ce qui me concerne, que je crois que la révision qui a été faite en 2008 est une révision qui est assez profonde et qui, globalement, a eu des effets, a eu, en tout cas, une potentialité forte, pas uniquement, d'ailleurs, en matière de pouvoirs du Parlement. On parlait tout à l'heure de la possibilité pour le citoyen de pouvoir exercer un contrôle de constitutionnalité des lois : c'est une bonne chose. Le fait également que les pouvoirs de contrôle du Parlement soient accrus en matière de politique étrangère, en matière de contrôle des politiques publiques, même si on ne sait pas encore ce que cela donnera. Si on considère des pays voisins, comme le Royaume-Uni, on voit que c'est un véritable pouvoir que peut détenir là le Parlement. Il en est de même pour la façon dont le Parlement pourrait travailler, en matière législative, si le travail des commissions s'effectue de façon efficace.
Donc, potentiellement, le texte de la révision est, je pense, un texte intéressant. Ensuite, il y a deux niveaux réels qui comptent : le niveau politique et le niveau du travail concret du Parlement.
Le niveau politique : la question essentielle, c'est que nous vivons aujourd'hui, plus que jamais, depuis la double modification de 2000, c'est-à-dire le mandat réduit à cinq ans et le calendrier des députés calé sur celui du président, dans un régime de présidentialisme majoritaire. Donc, la majorité de l'Assemblée a un destin irréductiblement lié à celui du président. Elle peut se révolter de temps en temps, mais plus on approchera de l'échéance de 2012, moins elle se révoltera. On a là un binôme qui est extrêmement soudé.
La vraie question qui se pose au Sénat est : quel est le rôle du Sénat dans ce système, puisque le tandem majorité parlementaire de l'Assemblée président de la République, avec le relais du gouvernement, en est l'axe. La question que doit se poser le Sénat, que doivent se poser les sénateurs est de savoir quel est le rôle du Sénat dans tout cela. Est-ce une chambre de modération ? Est-ce une chambre qui se spécialise dans la défense des collectivités territoriales ? Est-ce une assemblée qui va utiliser, peut-être mieux que les députés, les nouveaux pouvoirs du Parlement, en matière de contrôle des politiques publiques, en matière d'enquêtes, en matière de rapports avec les institutions européennes ?
Personnellement, c'est ce que j'espère. Car la question de savoir quel sera le rôle du Sénat, suivant sa majorité politique, a déjà été vécue dans le passé. Il est déjà arrivé, à plusieurs reprises dans le passé, que la majorité sénatoriale ne soit pas la même majorité que celle des députés. Si cela se trouve, dans trois ans, nous aurons un cas de figure de ce genre. Il sera intéressant de voir comment les choses se passeront alors.
Le plus dérangeant est le troisième niveau, celui de la façon dont le Parlement travaille. Je verrai trois exemples. Premier exemple : l'inflation de textes législatifs, qui sont déposés en permanence par le gouvernement, qu'on ne peut pas examiner de façon sérieuse, parce qu'ils sont trop nombreux. En plus, quand on sait qu'une bonne partie de ces textes n'auront jamais les décrets d'application, c'est assez agaçant de se dire qu'on va passer des mois à travailler sur des textes qui, soit existent déjà et qu'on réécrit, soit des textes qu'on n'appliquera pas parce que, tout simplement, une fois qu'on les aura votés, on ne les appliquera pas. Cela est tout de même assez agaçant.
La deuxième question a été soulevée par pas mal de collègues : c'est vrai que le Parlement français a des conditions de travail, en termes de séances, qu'il n'y a nulle part ailleurs en Europe. Pourquoi ne pas imaginer un Parlement français qui fonctionne comme le Parlement européen, où, en termes d'organisation des séances, du travail des commissions, il y a un vrai emploi du temps qui est respecté, de façon stricte ?
De même au Parlement européen, il n'y a que les présents qui votent. Si on vous annonce qu'il y a un scrutin public, que les absents sont tous comptabilisés et vous mettent en minorité, alors qu'aucun d'entre eux n'est présent, c'est quand même assez inadmissible. De même, le Parlement et chacune de ses assemblées, à commencer par celle-ci, devrait avoir le courage de dire non, quand on lui demande des séances supplémentaires au-delà du raisonnable. Je vous assure que le jour où on aura appliqué ces règles, on aura changé énormément de choses dans le régime.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Bernard Frimat, vous voulez répondre. Ce sont des propositions séduisantes que comprendraient bien les citoyens, notamment sur l'organisation du travail ; par exemple, qu'il n'y ait que les présents qui devraient voter, c'est quelque chose de très visible pour l'opinion publique.
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord - Je salue aussi le talent de l'éminent constitutionnaliste qu'est Hugues Portelli, mais le problème n'est pas là. Le problème n'est pas de se réfugier dans un commentaire sur le texte en disant : « Qu'est-ce que ce serait beau si c'était comme cela ! Qu'est ce que cela pourrait être intéressant ! ». Sinon, on va refaire ce qui s'est produit pendant toute la durée de la révision constitutionnelle. Nous avons alors été abreuvés d'articles éminents écrits par des constitutionnalistes tout aussi éminents indiquant que cela allait être magnifique, que cela allait être beau !
Pour ne citer qu'un exemple, le projet de loi relatif à l'organe central des caisses d'épargne et des banques populaires va être voté conforme au Sénat parce que le temps presse. (Intervention hors micro)
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord - On le verra, je prends le pari, Jean.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - C'est Monsieur le président de la commission des Finances.
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, sénateur du Nord - En effet, ce texte doit être adopté avant le 30 juin, parce que les ordres sont tombés. Il est passé à l'Assemblée le 19 mai dernier. Ce sera terminé au Sénat, vraisemblablement, mardi prochain, le 9 juin. Vous voyez bien que la procédure accélérée sera là hyper-accélérée et que la qualité du débat va être extraordinaire, puisque le Sénat, sauf accident et je serais surpris, va voter conforme.
S'agissant du projet de loi portant réforme de l'hôpital, la procédure ancienne de l'urgence s'applique. Le gouvernement l'a effectivement inscrit avec un calendrier de discussion proposant des rythmes de travail normaux. Mais, il y a un petit détail oublié: en cours de route, le gouvernement a changé de position, ce qui n'est pas sans incidence sur le contenu du projet de loi. Peut-on faire entrer dans ce texte, en cours de débat parlementaire, toute la gouvernance des CHU, alors que cela ne figurait pas dans le projet de loi d'origine soumis pour avis au Conseil d'État ?
C'est donc un texte extraordinairement nouveau qui sort du Sénat, à la fois pour ceux qui ici l'ont voté, parce qu'ils se rendront compte de ce qu'ils ont voté dans la confusion, et puis pour les députés. C'est pourquoi, un nouvel examen du texte à l'Assemblée Nationale, dans le cadre normal de la navette parlementaire, devrait avoir lieu. En raison de l'engagement de la procédure d'urgence, ce texte sera examiné, à l'issue d'une seule lecture dans les deux assemblées, en commission mixte paritaire. La CMP sera évidemment préparée en amont par une rencontre efficace entre les deux rapporteurs UMP. Puis, les quatorze parlementaires siégeant à la CMP mettront le point final à ce texte, dont les conclusions seront ratifiées par l'Assemblée Nationale et le Sénat.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci, je voudrais que le président Hyest puisse vous répondre. Vous avez cité trois exemples. Je voudrais qu'on prenne ces trois illustrations : Natixis, la réforme Hôpital, Santé et peut-être un mot... Allez-y Monsieur Hyest.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - J'ai d'abord un principe absolu. Ne nous flagellons pas. La plupart des parlementaires travaillent beaucoup, travaillent bien et s'ils ne sont pas en séance... Non, quand on entend que c'est beaucoup mieux au Parlement européen ; écoutez, je suis désolé de vous dire, le droit des parlementaires, individuellement, c'est zéro au Parlement européen, très peu de choses. Un peu en commission.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Monsieur Portelli, vous pouvez répondre.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Tu y as été. C'est passionnant au Parlement européen.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Prenez le micro, il n'y a pas de souci.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Il faut être là pour voter. Ce n'est quand même pas forcément comme cela qu'on contribue le mieux. Ne posons pas cette question-là, parce que, de toute façon, on aboutit à des absurdités comme à l'Assemblée. Franchement, gardons notre système, mais faisons en sorte que les parlementaires soient présents et soient présents en commission pour l'élaboration des textes. Comme on ne peut pas tout suivre, il y a aussi... Dans un parlement, il y a le droit du parlementaire, c'est fondamental, le droit d'amendement, notamment, et le droit d'expression du parlementaire. Il y a aussi des groupes, parce qu'autrement cela ne fonctionne pas, et il y a des commissions.
D'ailleurs, dans notre système, je rappelle qu'il n'y a pas de majorité d'un seul groupe, il n'y a pas de majorité absolue d'un groupe au Sénat. Il y a eu d'ailleurs très peu de fois, dans l'histoire du Sénat, deux fois, deux ans, seulement. Donc, vous voyez, on a toujours vécu sur le mode du pluralisme. Je crois que c'est ce qui fait à la fois la liberté, la qualité de nos travaux. De plus, la révision constitutionnelle a conforté les groupes d'opposition et minoritaires. Ne disons pas qu'il n'y a pas eu des progrès de ce point de vue, mais sachons les faire vivre.
On ne va pas vivre comme l'Assemblée. C'est vrai qu'à l'Assemblée, on ne peut pas le reprocher, il y a un président élu, il y a une majorité élue sur le programme qu'il a défendu. Vous voudrez bien m'excuser, car cela, j'ai l'impression que personne ne le dit. En 1981, cela a été le cas, à chaque fois, qu'il y a un changement profond de société, de majorité, le gouvernement a le droit de vouloir défendre les réformes qu'il a préconisées. L'opposition s'y oppose, elle s'y oppose plus ou moins violemment. J'étais dans l'opposition. C'était le gouvernement Rocard, j'étais moins opposant que... Bon.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Jean-Pierre Chevènement va peut-être vous répondre.
M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, ancien ministre, vice-président de la commission des Affaires étrangères, sénateur du Territoire-de-Belfort - C'est quand même extraordinaire. 1981, justement. Je dirai que Michel Rocard a déjà répondu. S'agissant du Parlement européen, j'ai l'impression d'avoir la berlue en écoutant Hugues Portelli. Il a expliqué qu'il enviait les conditions de travail du parlementaire européen. Trois minutes d'expression, vingt-deux langues, dont cinq médiatrices. Quand l'orateur a fermé la bouche, on n'a toujours pas le son de ce qu'il a pu dire, à supposer que la pyramide des traducteurs associés puisse produire quelque chose de cohérent.
Peut-être qu'en commission, il se fait du bon travail, c'est possible, je ne dis pas le contraire, mais dans les commissions du Sénat, aussi. J'appartiens à la commission des Affaires étrangères et de la Défense, présidée par Josselin de Rohan, il s'y fait beaucoup de bon travail. Il y a un très grand présentéisme, si je puis dire, c'est-à-dire que beaucoup de gens sont régulièrement présents et sont même des spécialistes du domaine qu'on leur a confié, comme je n'en ai encore jamais rencontré dans d'autres assemblées. Je dois dire qu'il se fait, de ce point de vue-là et du point de vue contrôle gouvernemental, un excellent travail. J'ajoute qu'il y a plus de présents au Sénat qu'il n'y en a au Parlement européen. C'est vrai pour les Français, mais peut-être pas pour les autres. C'est l'esprit français.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Hugues Portelli, vous avez été un peu mis en cause, mais après tout c'est d'actualité, on est à J - 4. Allez-y.
M. Hugues PORTELLI, sénateur du Val-d'Oise - Il ne faut pas dénigrer le travail du Parlement européen, il fait un excellent travail, notamment en commission. Le système de fonctionnement du travail législatif européen n'a rien à voir avec celui d'un parlement national. Il y a un système de navette entre la commission, le conseil des ministres et le Parlement qui n'a rien à voir avec le système qu'on connaît chez nous. Il est vrai que le travail des groupes, le travail de délégation, le travail des commissions est beaucoup plus important. Je suis à la commission des Lois et à celle des Affaires européennes. Le travail y est vraiment tout à fait remarquable, mais, honnêtement, le travail qui se déroule dans l'hémicycle est souvent assez agaçant.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Je donne la parole à votre voisine, Mme Borvo et ensuite à Samia Ghali.
Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche - Juste un point. Je ne comprends pas, le vote des parlementaires est libre, Monsieur Portelli. Si vous voulez ne pas voter avec votre majorité, vous pouvez très bien le faire, personne ne vous en empêche. Je constate que cela rejoint la question de qui fait quoi. Effectivement, on est dans un système où le présidentialisme fonctionne à fond. Les sénateurs ne sont pas élus en même temps que le président de la République, mais enfin, on n'a jamais vu beaucoup de voix manquer à l'exécutif.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - C'est une libre adhésion.
Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche - Oui, c'est une libre adhésion, mais on ne peut pas se réclamer à la fois d'une libre adhésion et, en même temps, de la discipline de vote.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - On n'aurait pas le droit d'être de la majorité, c'est quand même incroyable ! Cela ne veut pas dire que si on est dans la majorité on accepte tout. Cela ne veut pas dire qu'on accepte tout. C'est justement une des spécificités du Sénat. Je pourrais vous donner beaucoup d'exemples.
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, Sénateur du Nord - Au Sénat, l'UMP n'a plus la majorité absolue. Le gouvernement et le parti majoritaire peuvent être donc mis en minorité. Ceci ne provient pas de la révision constitutionnelle. Ne lui attribuons pas cette éventualité.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Vous faites une lecture politique de la composition du Sénat. On va demander l'avis à Madame Ghali.
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône - Je voulais juste rappeler que le travail fait au Sénat est très important et très enrichissant. D'abord, parce qu'il y a aussi la question des auditions qui n'a pas été abordée, mais qui est réelle. C'est aussi un long travail. Quand on veut se spécialiser, ou mieux comprendre les problématiques, cela passe aussi par des auditions, parce que cela peut éclairer ou, en tout cas, faire changer d'avis. Je crois qu'il est assez important de le dire.
Ensuite tout le travail qui peut être fait, justement, parce que le travail en commission est important, lorsqu'il est perturbé, je le dis comme cela, parce que c'est vraiment le cas, par un ministre, cela change complètement la donne du travail en commission, qui peut être très enrichissant et permettre tout simplement qu'à ce moment-là, les sénateurs...
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Quand vous dites perturbé, cela signifie quoi ?
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône - Oui, quand le ministre est là, cela empêche certains sénateurs de la majorité...Ce n'est pas parce qu'on est dans la majorité, qu'on est toujours en accord avec le ministre qui présente son projet de loi. En commission, j'ai vu des sénateurs qui avaient un comportement quand il n'y avait pas le ministre, et un autre comportement quand il y avait le ministre, c'est-à-dire complètement différent et qui ne permettait pas un vrai échange, en tout cas, une bonne démocratie.
Je voudrais dire aussi que ce qui est gênant, c'est peut-être aussi simplement parce qu'ils ne veulent pas désavouer le ministre. C'est toujours plus compliqué de désavouer, plutôt que de faire les choses de manière plus enrobée, je dirai cela comme cela. Ce qui est dommage aussi... Sachez que quand on s'occupe de la loi Hôpital, Santé, Patients et Territoires, on ne fait plus rien, c'est-à-dire qu'on ne fait que cela, et on ne s'occupe de plus rien. Tout ce qui passe à côté - il y a d'autres domaines sur lesquels on peut être sensibilisé - on n'a pas le temps de s'en occuper, parce qu'on ne peut pas faire des auditions à répétition, des commissions à répétition et travailler réellement sur les textes en profondeur.
Je crois que la qualité du travail du sénateur, quel qu'il soit, vraiment quel qu'il soit, risque d'être compromise, justement, par cette charge de travail. Je voudrais féliciter aujourd'hui tout le personnel du Sénat. Bravo, car je n'ai jamais vu des gens travailler autant qu'ils le font au Sénat.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Madame Dumas, pardon de vous provoquer un peu. Perdez-vous votre indépendance, comme vient de le dire Mme Ghali, quand un des ministres du gouvernement est présent ?
Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris - Non, je ne pense pas. Encore une fois, on a très peu de recul, puisqu'on n'a vécu ceci que dans une commission avec une loi, comme le dit le président Hyest, mais je ne le pense pas. Après tout, tout dépend aussi de la personnalité du ministre. Ce que je pense, c'est que, de toute façon, un ministre n'est pas là au moment du vote. Il ne participe pas au débat au moment du vote.
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône - Si je peux le dire. On l'a voté dans le Réglement, hier, Madame.
Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris - Au moment du vote, le ministre n'influence pas, je suis désolée.
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône - Si, excusez-moi, je ne peux pas laisser dire cela. A la commission Hôpital, Santé, j'y étais. Je peux vous dire que, lorsqu'il y a un vote, la ministre intervient. Quand elle sent justement qu'il y a des choses qui ne vont pas, elle intervient à nouveau pour faire comprendre à ses collègues qu'il faut qu'ils votent dans le bon sens.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Madame Dumas, vous poursuivez.
Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris - Par rapport aux commissions, ce qui me semble, en revanche, très important, c'est le fait qu'on est tous d'accord, dans cette table ronde, pour dire, qu'aujourd'hui, le travail en commission s'est accru. Il est plus important, du fait de la modification de la loi. Je pense que c'est très important de le faire savoir. Le travail en commission va être de plus en plus important. Nous avons donc l'obligation, les sénateurs et le Sénat, de faire connaître ce travail. C'est vrai que, très souvent, nous souffrons de l'image d'un hémicycle assez vide par moments, puisque, justement, nous travaillons dans différentes instances, notamment les commissions, où nous sommes très présents. Je pense qu'il y a une vraie réflexion, qu'il faut que nous entamions au Sénat, pour voir comment nous pouvons faire passer ces messages et mieux communiquer sur le travail qui est fait, justement, dans les commissions.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Madame Borvo, ensuite Michel Mercier
Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche - Je voulais simplement dire qu'on voit bien qu'il faut que la majorité sache ce qu'elle vote. On a voté dans le Règlement, parce que le Conseil constitutionnel s'en est mêlé... (Protestations diverses à la tribune)
... que les ministres sont présents, y compris au moment du vote des commissions, ce qui pose un sérieux problème, du point de vue de la séparation des pouvoirs. Au Parlement, en séance publique, le gouvernement parle face aux parlementaires. En commission, cela ressemble beaucoup à de la co-élaboration avec la majorité, bien entendu, de la coproduction. Je dis que c'est une atteinte qui n'est pas admissible à la séparation des pouvoirs.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Réponse très brève du président Hyest.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Dans la loi organique, nous avions bien indiqué que nous ne souhaitions pas la présence systématique des ministres. L'interprétation donnée, assez curieusement je dois le dire, au fait que le droit d'amendement s'exerce en séance ou en commission et qu'on délibère sur le texte de la commission... J'ai entendu plusieurs fois : « On vote le texte de la commission ». Non, la commission ne fait qu'une proposition. Si tous ceux qui étaient favorables au texte de la commission, dont j'étais, et maintenant j'ai quelques doutes, vous voyez... Depuis longtemps, je disais : « On va gagner du temps, parce que tous les amendements techniques, etc., toute l'amélioration... Il arrive souvent dans les textes qu'il y ait une centaine d'amendements. Avant on se levait... Oui, rédactionnel, amélioration, etc. Cela disparaît, puisque c'est le texte de la commission.
Mais c'est le Conseil constitutionnel qui a dit « Non, je vous interprète », sur la base - ce qui est toujours un peu gênant - d'une intervention extrêmement forte de l'exécutif, dans ce domaine, et de hautes autorités qui devraient garder le devoir de réserve. On nous a dit que, puisque c'est le texte de la commission, il faut que les ministres soient là pour l'élaboration et le vote du texte de la commission. Ce qui veut dire qu'ils ne sont là que pour cela. Pour les amendements extérieurs, pas question de les voir. S'ils veulent être entendus à d'autres moments ! Il faut vous dire qu'on appliquera strictement la décision du Conseil constitutionnel, en ce qui me concerne, ce qui figure d'ailleurs dans notre Règlement. Ils sont entendus, comme avant, quand ils le veulent. Les ministres, on les entendait toujours.
Est-ce indispensable qu'ils soient là tout le temps avec leurs collaborateurs ? Je prétends que l'expérience fera que les ministres seront très discrets, et beaucoup plus discrets. Vous verrez, ou bien il faudra alors qu'ils se démultiplient. Jean-Pierre Chevènement l'a dit. Ceux qui ont été ministres le savent, c'est déjà infernal ; avec la session de neuf mois, c'est encore plus infernal pour les ministres. Maintenant c'est dix mois, dix mois et demi. On en redemande toujours, puisqu'on adore travailler, vous savez, cela ne nous gêne pas du tout. Je ne sais donc pas comment vont faire les ministres. Quand il y a quarante heures de séance de commission pour un texte, cela veut dire quarante heures pour le ministre. Non, mais, vous imaginez ! Vous imaginez ! Ce ne sera pas possible. Ou bien on trouvera des trucs de sous-secrétaires d'État Machins. À ce moment-là, je souhaite bien du plaisir à ceux qui seront nommés à ces postes ! Ce sera passionnant, sauf s'ils ont le titre de ministre, c'est toujours intéressant, je m'en suis rendu compte, depuis longtemps.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Michel Mercier, la présence des ministres et l'organisation des travaux, compte tenu de cette présence en commission, êtes-vous pour ? Comment cela doit-il se passer ?
M. Michel MERCIER, président du groupe Union Centriste, sénateur du Rhône - Je pense qu'on peut discuter à perte de vue si on est pour ou si on est contre. C'est une discussion qui ne présente aucun intérêt. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé. Je ne suis pas un fanatique de la Constitution de 1958, mais je sais que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à tous. Arrêtons de passer notre temps à savoir ce qui se serait passé, si le Conseil constitutionnel ne s'était pas prononcé.
Je veux simplement dire que c'est bien la première fois que je verrai les membres du Sénat avoir peur des ministres. Le Sénat est bourré d'anciens ministres, il y en a partout, de toutes les catégories, de droite, de gauche, pas trop du centre, mais on va essayer d'améliorer cela. D'ailleurs, il n'y a pas de raison que cela s'arrête.
(Manifestations diverses.)
J'ai dit « pas trop », je n'ai pas qu'il n'y en avait pas. Pas trop. Il y en a beaucoup, d'ailleurs, mais il n'y a pas de crainte révérencielle. Je rappelle qu'on a battu Mme Bachelot par 339 voix à 0 à trois reprises, récemment, sur la loi Hôpital. Dire qu'on a peur d'un ministre, honnêtement, on peut trouver d'autres querelles que celle-là.
Je rappelle que ce qui fait l'indépendance des sénateurs, c'est la durée de leur mandat et la non-concomitance du temps d'élection avec l'exécutif et avec l'Assemblée Nationale. C'est là que se trouve la source de l'indépendance des sénatrices et des sénateurs. Ce n'est nulle part ailleurs. Comme on n'est pas élu le même jour, avec un autre mode de scrutin, on ne dépend ni du ministre ni même de la formation politique majoritaire. Beaucoup d'entre nous sont élus avec des « divers » de toutes sortes, qui correspondent plus à la couleur des élus locaux, qu'à autre chose. C'est ce qui fait notre indépendance. Que le ministre soit en séance ou ne soit pas en séance, cela ne pose aucun problème. On est obligé de l'accepter. Ce n'est pas parce que le ministre va dire qu'il est contre ou pour, que je vais changer mon vote. Si je trouve que c'est pour, c'est pour ; si je trouve que c'est contre, c'est contre.
Je sais aussi, que cela va obliger le gouvernement à travailler autrement. On ne pourra pas avoir le gouvernement... Regardez, on va attaquer la loi sur le Grenelle. Grenelle I n'est pas fini, ce n'est pas grave, on commence le Grenelle II, au cas où on finirait le Grenelle I, un de ces jours. Cela va être une affaire qui va durer six mois, en première lecture. Quand on voit le nombre d'amendements prévus, le nombre d'articles dans le texte, plus de 100 articles ! On a déjà plus de 300 amendements qui ont été déposés et étudiés en commission. C'est dire qu'on y va gaillardement, pour les six mois qui viennent. On a commencé, la commission a commencé la semaine dernière. Le texte n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour, sur le calendrier. On va voir quand cela va arriver. Le ministre ne va pas tenir, même s'il est physiquement très résistant. Il ne va pas tenir toutes les séances. Il faudra un autre mode d'organisation gouvernementale. Je crois que le « cadeau » du Conseil constitutionnel est un cadeau empoisonné pour le gouvernement.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Bernard Frimat, est-ce un cadeau empoisonné ou au contraire, un meilleur contrôle de votre part de l'exécutif ?
M. Bernard FRIMAT, vice-président du Sénat, Sénateur du Nord - Cadeau ou pas cadeau, c'est une donnée maintenant, donc je partage, de temps en temps, l'avis de Michel Mercier.
Le Conseil constitutionnel a pris cette décision. Elle m'apparaît, personnellement, infondée et mauvaise ; au demeurant, elle est prise. Le problème, à mes yeux, n'est pas, comme le dit Michel Mercier, d'avoir peur ou pas peur. La peur d'un ministre, cela n'a pas de sens, surtout quand vous êtes dans l'opposition et qu'a priori, la capacité de nuisance du ministre à votre égard est, en général, assez limitée. La capacité de nuisance de certains ministres vis-à-vis de membres de la majorité, je n'en discuterai pas, mais ce n'est peut-être pas totalement une vue de l'esprit. Le problème n'est pas celui-là.
Sommes-nous en présence, par la révision constitutionnelle qui aboutit à ce que les ministres soient présents tout le temps dans la commission, d'une revalorisation du Parlement ? Aboutissons-nous à de nouveaux pouvoirs ? Aboutissons-nous à une amélioration de la séparation des pouvoirs législatif et exécutif ? Là, je réponds non puisque le ministre venait auparavant, à sa demande, quand il le voulait, mais laissait aux membres de la commission le temps de débattre tranquillement.
Je disais hier, en débat : « Le gouvernement doute-t-il à ce point de sa majorité qu'il éprouve le besoin d'être là tout le temps pour être sûr que le malheur n'arrive pas ?» Que la ministre soit battue par 339 voix à 0, c'est mieux que la finale de la Champion's League, au point de vue du score, mais quand on s'entête sur quelque chose qui a déjà été refusé par la commission et qu'on sait que tous les groupes vont s'y opposer, je dirai que l'expérience du pouvoir, c'est aussi cela. On peut citer d'autres expériences de Mme Albanel sur le projet de loi relatif à l'audiovisuel, même si, en définitive, la CMP a rejeté la quasi-totalité des avancées qui avaient été faites au Sénat.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Dans l'ordre, Jean-Pierre Chevènement, Hugues Portelli et Michel Mercier. Vous êtes nombreux à demander la parole.
M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, ancien ministre, vice-président de la commission des Affaires étrangères, sénateur du Territoire-de-Belfort - Je voudrais revenir à ce qu'est l'esprit du parlementarisme. Est-ce que la présence d'un ministre, au moment du vote en commission, perturbe le vote des parlementaires ? J'ai le regret de vous dire qu'il ne devrait pas. Dans les faits, oui, il le perturbe, mais dans la réalité, enfin, dans le principe, il ne le devrait pas. L'esprit du parlementarisme, c'est le débat rationnel, argumenté, à la lumière de l'intérêt général. On en est très loin. Cela supposerait que chaque parlementaire, dépositaire de la souveraineté nationale, exerce en son âme et conscience son droit de dire oui ou non, mais ceci va tout à fait contre l'esprit de la réforme qui nous a été proposée, qui renforce la puissance des groupes. Or, qui dit groupe, dit majorité, unanimité du groupe.
La liberté de conscience du parlementaire ressort estropiée, non pas seulement de la présence du ministre en commission, mais également de cette insidieuse marche vers le renforcement des groupes qui fait, que le fonctionnement du Parlement et, en l'occurrence, du Sénat est de plus en plus régi par les présidents de groupes. Nicole Borvo voudra bien m'excuser, elle se trouve à ma droite, mais je pense qu'il y a quelque chose qui ne va pas, par rapport à ce qu'est l'esprit du parlementarisme, qui est le vote, en son âme et conscience, sur certains points, certains amendements. On devrait pouvoir voter plus librement. Le Parlement, c'est une pratique. Beaucoup de ministres ont cette pratique et tiennent compte de ce que les avis du Sénat peuvent avoir de judicieux. Cela m'est arrivé.
Je pense, qu'à un certain moment, le Sénat est libre de faire des bêtises. Je vais citer un exemple : les langues régionales. L'Assemblée Nationale avait mis, à l'article 1 de je ne sais plus quel texte, la révision constitutionnelle, le rôle des langues régionales, cela vient avant le français. Cela ne tenait pas debout. Le Sénat a fait redescendre cet amendement à l'article 74, c'était bienvenu. Il y a une pratique. Les sénateurs, aussi, devraient pouvoir s'affranchir des disciplines excessives qu'on tend, quelquefois, à vouloir leur imposer.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Hugues Portelli, indépendance, affranchissement ?
M. Hugues PORTELLI, sénateur du Val-d'Oise - L'un des points-clés de la réforme est le fait qu'on débatte sur le texte de la commission. L'idée de mettre les ministres en commission est un moyen de leur permettre de défendre leurs textes, puisqu'ils n'auront plus leurs textes présents en séance.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Pour vous, c'est un plus, donc.
M. Hugues PORTELLI, sénateur du Val-d'Oise - Oui. La tradition de la Ve République, c'était qu'il fallait que la majorité soit d'accord avec son ministre. La question qu'on va se poser maintenant est : le ministre doit-il être d'accord avec sa majorité ? Sachant qu'il y en a deux. Il y a celle du Sénat et il y a celle de l'Assemblée. Si par-dessus le marché, comme on le disait tout à l'heure il y a procédure accélérée, les deux majorités vont se retrouver en face à face à la commission mixte paritaire, ce qui risque, dans certains cas, d'être relativement sportif. Le vrai débat est de savoir quelle est l'autonomie de la majorité parlementaire, par rapport à son gouvernement et à son exécutif. C'est cela la vraie question. D'ailleurs, le président du groupe parlementaire majoritaire à l'Assemblée l'a parfaitement compris et assimilé.
Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, sénatrice de Paris, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche - Pourquoi l'exécutif aurait-il fait d'aimables pressions, comme il est dit, pour que le Conseil constitutionnel qui, comme chacun sait, a une très relative indépendance vis-à-vis de la majorité, statue de cette façon-là, si ce n'était pour peser. Je ne m'interroge pas sur le point de savoir si, à l'heure actuelle, la majorité n'est pas suffisamment fiable au goût de l'exécutif. A la limite, c'est son problème. Par contre, il est certain qu'on est dans une atteinte inadmissible, je le dis, à la séparation des pouvoirs et au travail des parlementaires. De plus, comble du comble, quand on dit que la révision constitutionnelle devait revaloriser le rôle et l'indépendance des parlementaires.
J'ai souvent proposé une modification, de ce point de vue, des rapports avec le Conseil constitutionnel. En quoi celui-ci, nommé de la façon dont il l'est, constitue un super-pouvoir par rapport au Parlement qui procède, lui, de l'élection des citoyens ? Ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, mais je le souligne pour montrer l'articulation entre les différents aspects, entre les différents pouvoirs ou pseudo-pouvoirs. Je propose que quand le Conseil constitutionnel donne un avis, le législateur, qui est le Parlement, se remette en situation de constituant et voit s'il y a lieu de modifier ou de ne pas modifier le texte. Ce serait vraiment la reconnaissance du Parlement et de son pouvoir. Encore une fois, on nage de confusion en confusion. Tout procède, au fond, de la volonté de l'exécutif.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - La question du contrôle de constitutionnalité est une question fondamentale. Il y a des parlementaires qui y sont opposés. On a rappelé que, dans le passé, le Sénat s'y était opposé parce que, dans un certain état d'esprit, le contrôle de constitutionnalité, non, c'est la loi qui est souveraine, et après tout, si elle ne respecte pas la Constitution ce n'est pas grave. Ce sont des thèses qui ont été défendues pendant très longtemps, pas brutalement comme cela, mais subtilement.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Monsieur le professeur, devant, dit que ce n'est pas vrai. Je le dis pour la salle.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Non, ce n'est plus vrai depuis un siècle, mais il y en a quand même qui disent que le Parlement ne se trompe jamais et quand on ne soumet pas la loi au Conseil constitutionnel, elle est forcément bonne. C'était quand même un petit peu cela. Je rappelle les hostilités. Par contre, Madame Borvo, vous avez raison, c'est arrivé une fois. Si on n'est pas d'accord avec le Conseil constitutionnel, le constituant est au-dessus. C'est arrivé pour la procédure d'asile, je vous le rappelle, puisqu'il y avait une censure du Conseil constitutionnel. On est revenu au Congrès, parce qu'on n'était pas d'accord avec l'interprétation du Conseil constitutionnel. Le dernier qui a le dernier mot est le constituant. Je crois que c'est tout à fait clair. Par contre, cette histoire qui est secondaire à mon avis, de la présence des ministres ou pas, se calmera dans le temps. Dans les régimes purement parlementaires, notamment le système...
Un intervenant - Les ministres sont parlementaires.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Les ministres sont parlementaires. Même, en Allemagne fédérale, il y a les secrétaires d'État parlementaires et il y a des secrétaires d'État : quelquefois il y a double fonction. Dans un régime parlementaire, il y a tendance à avoir un peu de confusion entre la majorité, ce qui est normal, puisque le leader de la majorité devient chef du gouvernement. Par contre, on a dit qu'on va vers un régime de plus en plus présidentialiste, et on n'en a pas tiré toutes les conséquences, tout le monde le dit. C'est vrai à cause de l'élection au suffrage universel, ensuite de l'élection des députés, juste après. Donc on va vers une présidentialisation.
De ce point de vue, dans les régimes présidentiels, désolé, mais à ce moment-là, il y a séparation totale entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. C'est le paradoxe, je le dis, je n'en tirerai aucune conclusion, mais cela pourra peut-être donner des idées à ceux qui réfléchissent à ces problèmes fondamentaux. C'est le paradoxe de cette décision du Conseil constitutionnel, sur le fond.
M. Michel MERCIER, président du groupe Union Centriste, sénateur du Rhône - Juste un mot. Il y a quand même un moment, où la Constitution protège les parlementaires, où ils sont seuls pour faire la loi, sans le gouvernement : c'est la Commission mixte paritaire. Il faut se souvenir de ce paradoxe. Il y a un seul moment, où les parlementaires sont entre eux, les ministres ne sont pas là, c'est la commission mixte paritaire. Je me souviens d'avoir assisté à une commission mixte paritaire, une des plus longues de la Ve République que présidait Mme Tasca, sur le projet de loi de M. Chevènement. Nous avons dû tenir un paquet d'heures assez important. Elle a duré plusieurs jours, elle a été très longue. Quand on parle de la procédure parlementaire, cela se termine par des parlementaires tout seuls, sans gouvernement. C'est peut-être aussi ce qui corrige ce qui pourrait être accéléré dans la procédure.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Madame Dumas, tout de même, les sénateurs, mis à part la nouvelle organisation du travail qui, on le voit, va être un peu plus compliquée, vont-ils pouvoir avoir plus d'initiatives ? Par exemple, sur la maîtrise partielle de l'ordre du jour, indépendamment des textes, je dirais, cela va-t-il pouvoir vraiment se faire ? Jacques Hyest dira un mot là-dessus, mais je voudrais vous entendre.
Mme Catherine DUMAS, sénatrice de Paris - Oui, pour moi, c'est tout à fait positif. Encore une fois, à nous, aux sénateurs, de s'emparer de cette réforme et utiliser la semaine qui leur est confiée, pour avoir leur vraie inspiration législative et ne pas s'inspirer des textes des gouvernements. Je crois que c'est aussi au Sénat à s'emparer de la réforme. Quand je dis au Sénat, c'est aux sénateurs, mais également à tous ceux qui travaillent avec eux, les fonctionnaires et l'administration du Sénat.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Est-ce que cela vous paraît possible cela, Madame Ghali, compte tenu de ce que vous avez dit au début de cette table ronde ?
Mme Samia GHALI, sénatrice des Bouches-du-Rhône - Je l'espère, je le souhaite. Maintenant, j'espère qu'on aura l'occasion, non seulement...Ce n'est pas l'occasion d'apporter un dossier supplémentaire à la discussion. Il faudrait qu'on arrive à travailler sur ce qu'on nous propose déjà. Ensuite, que nous-mêmes, nous puissions apporter des éléments de réflexion sur d'autres thématiques. Il n'y a pas plus frustrant, pour un parlementaire, que de ne pas pouvoir travailler sur les différentes thématiques qui lui sont proposées par l'assemblée, dans laquelle il siège. En l'occurrence, faire plusieurs textes en même temps, cela me paraît impossible. Si, en plus, il faut en rajouter par ses propres initiatives, alors là, n'en parlons pas.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois, sénateur de la Seine-et-Marne - Je l'ai dit tout à l'heure, c'est une grande chance d'avoir ces semaines d'initiative et de contrôle, à condition qu'on les utilise bien. Cela s'utilise dans le temps, cela se prépare, c'est un travail à long terme. Ce qui serait dommageable et tragique pour le Parlement, c'est qu'on ne fasse du contrôle ou de l'initiative qu'en fonction de ce qu'on lit dans le journal. Veuillez m'excuser, mais c'est quand même un petit peu cela, la médiatisation. Dès qu'il se passe quelque chose, on fait une loi. Je pense que c'est la meilleure formule pour que cela se dégrade très vite et qu'on n'aboutisse à rien.
On a parlé un petit peu du Parlement européen, mais on n'a parlé ni les uns ni les autres des possibilités de l'article 88-4, surtout quand il y aura le vote du traité de Lisbonne, sur les pouvoirs du Parlement, en matière de contrôle de l'exécutif, dans ce domaine. Cela doit être un contrôle permanent. La commission des Affaires européennes est faite pour cela, les commissions permanentes doivent s'y associer. Je crois que c'est un champ extrêmement vaste, où nous pouvons jouer tout à fait notre rôle pour, à la fois, agir auprès de notre gouvernement et, éventuellement, si on ne respecte pas le principe de subsidiarité, auprès de la commission et des instances européennes. Je crois qu'on est à l'aube d'un renforcement, si on le veut bien, et si on travaille efficacement. Si on consacre à la fois du temps et des moyens à ces questions, je pense que nous avons un champ, et le Sénat peut particulièrement agir dans ce domaine.
M. Gilles LECLERC, président-directeur général de Public Sénat - Merci beaucoup, Monsieur le président, merci à tous d'avoir participé à ce débat. Vous avez tous été disciplinés. Merci. Nous sommes dans les temps. Je passe la parole au président Larcher. Vous allez conclure cette journée.
(Applaudissements)