« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


MARGIE SUDRE

Un peu comme Corinne Lepage, j'étais assez nouvelle en politique lorsque j'ai été appelée au gouvernement d'Alain Juppé. Cela a été mon deuxième poste, cela tenait du miracle, mais la première élection à laquelle j'ai été confrontée, les élections régionales, m'avait permis de devenir présidente de la région Réunion, de façon assez inattendue je vous l'avoue. Les choses m'étaient un peu tombées dessus sans que je m'y attende, et ont pesé considérablement au début sur mes épaules. Mais, ensuite, il suffit de travailler. Je crois que toutes, ici, nous convenons que rien n'est insurmontable et qu'il suffit de travail pour se mettre à la hauteur de la tâche que l'on vous confie. Et j'avais réussi à obtenir un certain consensus autour de la gestion de cette région, ce qui m'avait permis d'être distinguée par le président Jacques Chirac lorsqu'il était venu à La Réunion en décembre 1994. Et, comme j'avais à peu près dix ans de moins, il est bien évident que, lorsque je suis devenue ministre, cela ne pouvait être que le fait d'une promotion canapé !

Je vais vous donner un exemple, d'ailleurs, de la façon dont j'ai été traitée à La Réunion. Mais ce que je regrette aussi, c'est que, de temps en temps, la nomination des femmes en politique soit gadgétisée, y compris par nous. Mme Sineau, quelle importance de donner la moyenne d'âge des femmes du gouvernement de M. Rocard, franchement ? Est-ce que cela a un intérêt de dire qu'elles étaient très jeunes ? Je ne crois pas que la valeur des femmes tienne à leur jeunesse ou à leur beauté, je crois que l'expérience est aussi importante. Alors ne nous engageons pas, nous non plus, vers cette voie que je trouve un peu dérisoire, parce qu'on ramène toujours les femmes à leur âge, à l'image qu'elles peuvent offrir de l'extérieur. Oublions un peu cela.

Évidemment, je n'ai pas appris par la radio que le gouvernement Juppé avait subi une forte mutation. Je venais d'assister, au Sénat d'ailleurs, à une réunion avec la commission des affaires étrangères, j'y parlais de francophonie, et étaient invités un grand nombre de ministres des Affaires étrangères des pays francophones d'Afrique. Il y avait donc dans la salle beaucoup de représentants des pays africains. Je sors de là, et l'huissier me dit : « Madame, le gouvernement a sauté ! ». Je venais de n'entendre parler que d'États africains qui changeaient de gouvernement sans arrêt. Je dis : « Quel gouvernement ? » « Le vôtre, Madame ! » Voilà comment j'ai appris ce jour-là qu'Alain Juppé avait donné sa démission avec celle de tout son gouvernement. Quelques heures plus tard, j'apprenais que je restais au gouvernement, mais nous n'étions que quatre à rester. J'avais dit à l'époque à Alain Juppé, que je ne connaissais pas bien et qui nous impressionnait tous beaucoup (mais j'ai eu l'occasion de le connaître mieux plus tard), à quel point cette mesure-là allait faire de dégâts. Je lui ai dit : « Êtes-vous sûr d'avoir pris la bonne décision ? Réellement je crains que cela ne soit très mal perçu par tout le monde ». Il me dit : « Je n'ai pas le choix, notre gouvernement est trop pléthorique et j'ai supprimé des postes ». C'est vrai qu'il avait supprimé aussi des postes masculins, mais on en a beaucoup moins parlé que des huit femmes qui ont été éjectées de ce gouvernement ce jour-là. Il y avait aussi quatre hommes, et eux sont partis sans que cela fasse vraiment de bruit.

Ensuite, un peu comme vous, chère Edith, on m'a envoyée dans une circonscription imprenable, qui était le fief du parti communiste réunionnais, où le président du parti communiste réunionnais était député depuis longtemps, il était devenu sénateur, et on m'envoie me battre là. C'était une circonscription dans laquelle je vivais depuis une vingtaine d'années, j'avais donc tout de même une certaine légitimité à m'y présenter. Voilà comment ma candidature a été présentée, dans un quotidien du parti communiste à l'époque (j'avais évidemment un communiste face à moi) :« La bonne Margie, devenue groupie du RPR, a suivi la voie de son nouveau maître Chirac. Ce n'est pas pour rien qu'elle a été mise à sa place. Sois belle, souris, et accroupis-toi. » Voilà comment on a présenté les choses ! C'était dans Témoignages et c'était écrit par un médecin, un de mes confrères, qui évidemment complète en disant : « Une pépée française, bonne héritière des moeurs tropicales, pas trop moche à la cervelle bien vide, mais protégée par le Président et qui garantissait l'audimat. » Aucun homme n'aurait subi ce genre d'attaque s'il s'était présenté dans cette circonscription ! Et voilà à quoi nous, les femmes, nous sommes confrontées. Corinne a pu vous dire un peu de quelle façon elle avait été traitée à l'Assemblée nationale lorsqu'elle présentait sa loi sur l'environnement. Je soumets à vos questions et à vos discussions la façon dont les femmes sont encore traitées de nos jours.

Pour ma part, je souhaite qu'il y ait un jour où nous n'aurons pas à dire : « citoyens, citoyennes, travailleurs, travailleuses », mais où dans le même terme nous regrouperons les hommes et les femmes. Lorsque nous parlerons des droits de l'Homme avec un grand H générique, nous n'aurons pas besoin de rajouter les droits de la femme, parce que je considère que nous avons à être traitées de la même façon. En tant que scientifique, l'Homme avec un grand H regroupe les hommes et les femmes, il n'y a que le sexe qui reste différent.

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