« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


DÉBAT AVEC LA SALLE

Monique Dental

Je suis Monique Dental, l'animatrice d'un collectif qui a été très actif autour de toutes les luttes sur la parité depuis 1986, et qui continue à l'être d'ailleurs par rapport à tout ce que vous avez souligné comme limites que nous devons arriver à dépasser. Dans la question que je voulais poser, il y a deux points.

Premièrement, est-ce que vous ne pensez pas que les limites qui ont été observées par rapport à la loi elle-même, sont déjà introduites dans l'énoncé même de la loi, puisque la loi dit « favorise l'égal accès etc. », alors que lorsque nous les associations avons été auditionnées à la commission des lois, à l'Assemblée nationale, nous avions demandé à ce que la loi « établisse » ou « garantisse ». Cela, c'est un point.

Le deuxième point que je voulais préciser c'est que, lorsqu'on parle de la place des femmes en politique, c'est bien entendu la question de la place des femmes par rapport à la démocratie. Et que la démocratie, elle se pose aussi pour faire en sorte de changer le rapport au politique, c'est-à-dire de faire en sorte de faire la politique autrement, comme le mot a été assez à la mode. En tout cas, dans les associations qui se sont battues pour la parité, toutes ces questions-là étaient complètement débattues. Donc nous avions rattaché à la revendication de parité, et on continue de le faire encore, ce qu'on a appelé les mesures d'accompagnement de la parité, c'est-à-dire faire en sorte (pour justement ne pas avoir cette dénégation du politique, où ce qui est remis en cause aussi c'est une véritable conception de l'élu comme professionnel de la politique)... Nous avions envisagé aussi de toucher à tout ce qui était le statut de l'élue (Mme Pourtaud l'a dit), mais aussi la question du non-cumul de mandats, ou la limitation à l'exercice de deux mandats, mais aussi à la question de la limitation de l'exercice des mandats dans le temps (on l'avait limité à l'exercice de deux mandats de même nature), et puis on avait envisagé aussi la question de la proportionnelle dans tous les modes de scrutin. Donc, sur cette question-là, est-ce que véritablement vous êtes prêtes à envisager tous ces points-là comme faisant partie de la question de la parité pour envisager véritablement de vivifier la démocratie, ou est-ce que cela vous semble impossible ?

Anne-Marie Durand

Je suis maire d'une commune de 3 000 habitants. Je râle depuis un moment, parce que dans aucun discours politique, nulle part je n'ai entendu la limitation du nombre de mandats pour les maires, les conseillers généraux, les députés, les sénateurs et autres. Et je pense que c'est un problème de pouvoir. Tant qu'on ne libèrera pas les places des personnes qui détiennent le pouvoir, il est illusoire de continuer à parler de parité et de progression des femmes dans la vie politique. Je crois que c'est le premier des passages obligés. Certes, cela dérange tous ceux qui détiennent le pouvoir.

Edith Cresson

Sur ce point-là, je vais vous répondre. Élisabeth va répondre à la première question.

Le cumul de mandats est un débat qui existe depuis longtemps. Il y a eu déjà des dispositions qui ont été prises. Qu'elles soient totalement respectées, ce n'est peut-être pas toujours le cas, mais en tout cas il y a déjà au moins une discussion là-dessus et quelques orientations. On a affirmé ici et là qu'il ne fallait pas de cumul des mandats, ce qui est une spécificité française, puisque dans les autres pays européens il n'y a pas ce cumul des mandats (quand on est maire, on n'est que maire, on n'est pas en même temps député). Je pense qu'effectivement il faut faire avancer la réflexion et l'effort dans ce sens.

Ceux qui sont pour le cumul des mandats vous expliqueront qu'il est bon d'être dans sa mairie pour savoir ce qui se passe quand on est en même temps député, que c'est très difficile de voter les lois, de discuter sur les problèmes nationaux si on n'a pas une très bonne connaissance du terrain, et donc des problèmes au niveau municipal. Cela, c'est l'argument. Est-ce qu'il est vrai, est-ce qu'il est faux ? Il est vrai en partie. Je le sais parce que j'ai été en même temps maire et députée, maire et ministre, etc. C'est vrai que le contact avec le terrain est très important. On dit qu'on peut l'assurer même si on n'a pas le mandat de maire, mais on l'assure mieux si on a ce mandat.

C'est un débat qui est loin d'être tranché. Ce n'est pas le débat d'aujourd'hui, même si c'est vrai que cela libérerait des places et que cela permettrait de faire entrer des femmes. Je ne crois pas que ce serait suffisant, en tout cas, pour déterminer un nombre important de femmes, disons à l'Assemblée nationale. Je crois que les résistances ne sont pas seulement dans le manque de places, elles sont dans une volonté absolue qu'à l'Assemblée nationale il y ait des hommes en très très grande majorité, et que les femmes soient juste des accidents de parcours.

Élisabeth Guigou

Juste un point sur le cumul des mandats. Moi, je récuse absolument l'argument qui consiste à dire qu'il faut un mandat local en plus d'un mandat national pour être près du terrain. Moi, je n'ai qu'un mandat depuis deux ans, je suis députée de Seine-Saint-Denis, et cela ne m'empêche pas d'être sur le terrain. Je dirai même que j'ai plus de temps pour faire les deux choses. Je trouve que c'est un faux argument.

Maintenant, sur la question que vous avez posée sur la rédaction de l'article 3. C'est vrai que le gouvernement a proposé : « la loi favorise l'égal accès ». À l'Assemblée nationale, j'ai dit au nom du gouvernement, puisqu'il y avait eu les auditions des associations (dont vous étiez, nous-mêmes nous avions eu des contacts), j'ai accepté « la loi détermine les conditions... », c'est-à-dire une rédaction plus allante. Mais quand je suis arrivée au Sénat, je me suis rendue compte que cela ne passerait jamais. Puisque non seulement le Sénat n'acceptait pas cette rédaction-là, que j'avais à accepter en première lecture à l'Assemblée nationale, mais que le Sénat voulait qu'on ne modifie pas du tout l'article 3. Il voulait se limiter à la modification de l'article 4.

Même chose pour la proportionnelle. C'est vrai que, de la part de Lionel Jospin et de son gouvernement, nous étions d'accord (cela faisait d'ailleurs partie des accords que nous avions passés avec les autres partis de la gauche plurielle, qui eux étaient favorables à la proportionnelle le parti communiste, les verts), donc, dans l'accord que nous avions passé, c'était : on ne remet pas en cause les scrutins uninominaux. Cela faisait partie d'un accord de législature. Et je me suis rendue compte aussi que, même si nous avions voulu modifier et étendre la proportionnelle pour la parité, jamais la loi constitutionnelle ne serait passée au Sénat. J'ai dû apporter des gages, et répéter plusieurs fois l'engagement pris par le Premier ministre de ne pas modifier, à l'occasion de la parité, la loi électorale. Et c'est comme cela qu'on a pu obtenir que la loi constitutionnelle soit votée par une majorité au Sénat comme elle l'avait été à l'Assemblée nationale, et donc réunir la première condition pour qu'il puisse y avoir une modification par le Congrès, la loi votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, à la majorité, et ensuite aux deux tiers (encore fallait-il les deux tiers) par le Congrès. Donc, si nous avions fait autre chose, jamais nous n'aurions abouti, j'en ai la conviction et d'ailleurs des sénateurs de la majorité sénatoriale me l'ont dit, ce n'était pas possible.

Finalement, je crois aussi que la rédaction actuelle du cinquième alinéa de l'article 3 n'est pas ce qui empêche la parité dans les élections politiques. Je crois que ce qui empêche, c'est tout ce que nous avons dit sur le défaut d'application de la loi de juin 2000. Et puis effectivement, ce qu'a souligné Mme Calvès, c'est-à-dire que pour l'extension de la parité à d'autres champs, on a le barrage fait par le Conseil constitutionnel.

Edith Cresson

Merci. Je voudrais remercier toutes celles qui ont pris la parole à la tribune, et tous ceux qui ont assisté et participé à cette réunion ; dire qu'au terme de ces débats on s'aperçoit que le problème est loin d'être tranché ; qu'en ce qui concerne la représentation des femmes dans la vie politique, on est très loin du but ; la contamination vertueuse n'a pas eu lieu, même si on pouvait penser qu'elle aurait lieu, elle n'a eu lieu ni dans la sphère politique ni dans d'autres champs de compétence, et il est probable que c'est par un changement de la loi, ou par une modification qui obligerait les partis à présenter des candidates (je parle pour les législatives) dans des circonscriptions qui soient des circonscriptions gagnables. Ce qui a été discuté en Italie paraît effectivement une suggestion intéressante. Autre chose est de réformer le mode de scrutin, c'est-à-dire de passer à la proportionnelle. La proportionnelle a des avantages, elle a aussi de grands inconvénients, il faut le savoir ; elle nécessite absolument un seuil minimum, parce que sinon on va vers un éparpillement qui serait dommageable. Que la proportionnelle soit souhaitée par - notamment - ce qu'on appelle les petits partis, c'est vrai et on voit bien pourquoi. On voit que dans les pays qui ont complètement adopté la proportionnelle on va vers des situations très difficiles. En Allemagne, il y a un panachage de scrutin local et proportionnel, et d'ailleurs c'est dans la partie proportionnelle qu'il y a un nombre de femmes très important qui peut intégrer le Parlement en Allemagne. Peut-être qu'une formule de ce genre est à trouver. En tout cas, on voit que la situation actuelle, même si elle a évolué (et ce n'est pas contestable, en tout cas là où il y a un scrutin de liste), il reste maintenant beaucoup d'efforts à faire, et probablement des efforts de réflexion au niveau législatif.

Merci de votre contribution à cette réunion et à cette réflexion.

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