Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire : Quelle politique européenne pour le Moyen-Orient ?
Monsieur Gérard LARCHER, Président du Sénat - Monsieur le Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, cher Josselin de Rohan, Monsieur le Président de la Fondation Robert Schuman, cher Jean-Dominique Giuliani, Madame et Messieurs les Ministres, Madame et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues Sénateurs, Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'ouvrir, cet après-midi, ces journées au Sénat qui vont être consacrées au Moyen-Orient.
Le Moyen-Orient, il faut bien le dire, est aujourd'hui le brasier du monde. Il est un enjeu majeur des relations internationales sur lequel, à l'initiative du Président Josselin de Rohan - je m'en réjouis - le Sénat a effectué ces derniers mois un travail tout à fait considérable.
Il m'importe bien évidemment de féliciter ceux qui sont à l'origine de ce colloque : notre Commission des affaires étrangères et la Fondation Robert Schuman.
Je veux également remercier et signifier mon admiration à nos deux collègues auteurs, au nom de la Commission des affaires étrangères, du rapport d'information qui est à l'origine de ces rencontres : le Président Jean François-Poncet et notre collègue Monique Cerisier-ben Guiga. Après près d'une année de travail au cours de laquelle ils se sont rendus dans dix-sept pays, lors de voyages souvent éprouvants - je pense à Gaza en janvier 2009, dix jours après la fin de l'opération « Plomb durci » ou à Bagdad.
Ils ont publié en septembre dernier un rapport d'une qualité tout à fait exceptionnelle. Je tiens à leur rendre un hommage particulier ici car ils sont la démonstration de la qualité des travaux du Sénat et de la qualité des travaux de votre commission, M. le Président. Comme dans la parabole des talents, cet enrichissement va fructifier après ces deux journées.
Je voudrais - cela n'est pas l'usage - saluer également et associer à ces félicitations un conseiller des services du Sénat qui les a assistés dans cette tâche : Monsieur Frédéric Mauro.
J'ai souri, chers collègues, en lisant la phrase de votre rapport mise en exergue : « si vous avez compris quelque chose au Moyen-Orient, c'est sans doute qu'on vous a mal expliqué . »
Vous refusez l'excuse de la complexité certes réelle de la situation au Moyen-Orient, qui conduit certains à ne proposer que des explications alambiquées à force de nuances ou de fausses subtilités. Votre rapport, précis et fouillé, éclaire bien des aspects de la situation politique au Moyen-Orient, remet les situations en perspective, précise leurs liens et leurs interactions et parvient à dire de façon simple des choses qui sont malgré tout complexes.
La complexité ne masque pas les questions majeures.
Enfin, votre rapport s'interroge sur la relation que cette région entretient avec l'Occident, avec l'Europe, avec la France. Il s'agit d'une question éminemment sensible, pour nous essentielle.
Dans cette région que l'un et l'autre connaissent de longue date, dont ils connaissaient déjà de nombreux acteurs politiques, le Président Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga ont mené une réflexion de fond, n'hésitant pas à remettre en cause certaines idées reçues ou certaines vérités tenues définitivement pour acquises. Leur mission a été menée avec une très grande liberté intellectuelle, avec hauteur de vue. Je suis certain que vous écouterez leurs principales conclusions avec beaucoup d'attention.
Ensuite, vos tables-rondes, aujourd'hui et demain, croiseront les regards de spécialistes venus de différents horizons sur ces horizons passionnants, sur ces questions parfois passionnelles, qui déterminent plus qu'on ne le croit notre propre avenir. Je ne pense pas uniquement aux risques terroristes en disant cela, mais bien plus largement au nécessaire équilibre entre les régions du monde.
Je ne vais pas aborder directement les sujets dont vous allez débattre et dont vous êtes tous, ici, des spécialistes reconnus. Je veux brièvement vous dire pourquoi ce sujet retient autant mon attention et pourquoi je considère que le Sénat est pleinement dans son rôle en organisant un tel colloque.
Qu'est-ce qu'un rapport parlementaire ? C'est une aide à la décision. En aucun cas, il ne prétend s'y substituer. C'est d'ailleurs à l'exécutif qu'il appartient, sous l'autorité du Président de la République, de déterminer et de conduire la politique extérieure de notre pays. En tous les cas, avec mes racines gaullistes, je suis profondément attaché au respect des missions régaliennes de l'Etat et à la place respective de l'exécutif et du législatif.
Le Président du Sénat que je suis est tout aussi attaché aux trois missions de notre assemblée : faire la loi, contrôler l'action du gouvernement et tracer des prospectives. Ce rapport s'inscrit pleinement dans deux de ces missions : le contrôle du gouvernement et la prospective.
Le Sénat est la chambre de la prospective. L'un de ses rôles est de tracer des pistes pour l'avenir. Cela est vrai pour les sujets nationaux, cela est vrai aussi pour des questions internationales.
Votre commission, Monsieur le Président, a consacré une part importante de l'ensemble de ses travaux au Moyen-Orient. Le Sénat, à travers son action et sa réflexion, contribue à la définition de notre politique étrangère. Il apporte un éclairage et une sensibilité parlementaires qui viennent enrichir la réflexion collective. Le débat en séance publique, à l'initiative du Sénat il y a quinze jours, l'a bien montré. Le colloque de ce jour le confirme.
Le Sénat est à l'écoute de nos partenaires. Nous poursuivrons ce dialogue le mois prochain avec l'ensemble des Ambassadeurs des Etats membres de la Ligue arabe, que nous recevrons à la présidence, avec les Présidents Sénateurs des groupes d'amitié de la région.
Le Sénat est ouvert sur l'international. N'oublions pas - je le dis devant Jean-Dominique Giuliani - que c'est à René Monory que nous devons cette grande ouverture sur l'international. Le Sénat est à l'écoute du monde et participe à la recherche des solutions. En cela, il me paraît que notre assemblée remplit la mission institutionnelle qui est la sienne.
Je dois vous dire aussi que cette région éveille en moi plus qu'un intérêt, presque une passion, et ce depuis longtemps. Il y a la fascination pour ces terres qui sont le berceau de tant de grandes civilisations et des religions du Livre. Il y a aussi la conscience des enjeux politiques qu'elle recèle. Au Moyen-Orient se joue en partie la stabilité du monde.
Les défis à relever sont considérables et nous concernent tous.
J'ai choisi de concentrer une partie importante de mon activité internationale à cette région. J'ai voulu que ce soit une priorité de notre coopération, en soutien à l'importante coopération décentralisée que conduisent de nombreuses collectivités territoriales. L'an dernier, mon premier déplacement officiel - en janvier, juste au moment de la crise de Gaza - était en Egypte. Dans quinze jours - j'ai une pensée particulière pour l'Ambassadeur de France au Liban à cet instant - je serai en visite officielle au Liban.
Au cours des douze derniers mois, j'ai reçu de nombreux responsables politiques de cette région : la Présidente de la Knesset ; le Vice-Premier Ministre israélien ; le Président puis le Premier Ministre du Liban, la semaine dernière ; le Président irakien et le Président du Parlement irakien ; l'Emir du Qatar ; le Président de la République arabe syrienne il y a quelques semaines. J'ai aussi eu le plaisir d'accueillir le Président Gül, de Turquie, dont le pays mène une diplomatie très active au Moyen-Orient. D'ailleurs, je me suis rendu à Ankara et à Istanbul à un moment où il me semblait important, à la suite de la mission conduite par le Président Josselin de Rohan, que nous puissions avoir avec ce pays un dialogue dans la vérité et la dignité, qui m'apparaissait tout à fait important.
Avec tous ces interlocuteurs, j'ai abordé les sujets dont vous allez débattre : la situation en Iran et le programme nucléaire iranien ; le processus de paix, si long et si lent ; la situation en Irak et sa renaissance après une décennie de cauchemars. Nous nous sommes rendus en Afghanistan. J'ai également reçu la Présidente du Parlement du Pakistan il y a moins d'un mois, car je pense qu'une grande partie de la stabilité du monde se joue au coeur de ce pays. Nous avons parlé de l'évolution des sociétés, de la jeunesse si nombreuse de ces pays, de ses aspirations mais aussi de ses frustrations. Nous avons parlé de dialogue des civilisations, de cohabitation entre les différentes religions. Nous avons parlé de laïcité. Je me souviens de deux rencontres avec des personnalités qui n'étaient pas politiques : l'archevêque de Constantinople, Bartholomée Ier, et le Cheikh Tantaoui, recteur de l'Université d'Al-Azhar, que j'ai rencontrés à Istanbul et au Caire. Je me souviens de leur appel à la tolérance et à la compréhension. Je garde un souvenir précis de chacun de ces entretiens. J'ai senti une envie de dialoguer et un intérêt pour notre message. Notre implication est connue, attendue. Elle n'est pas le parallélisme de la diplomatie de l'exécutif, elle est autre chose.
En effet, bien des questions qui se posent au Moyen-Orient sont des questions universelles. Ce sont parfois aussi des questions qui se posent dans notre propre espace public, national. N'oublions pas qu'une partie de la cohésion sociale de nos nations dépend aussi de ces questions et de leur résolution. Nous avons bien vu quelques phénomènes d'importation au moment de tensions. Je dois dire que l'on ne peut pas parler de cohésion sociale si l'on n'a pas un regard sur le monde car dans ce monde ouvert, globalisé, mondialisé, la pire des tentations est le repli sur nous-mêmes, sur des certitudes communautaires, alors que nous devons porter un certain nombre de valeurs universelles.
Je souhaite par conséquent, Monsieur le Président, Messieurs les Présidents, qu'après l'écoute du Président François-Poncet et de la contribution de Madame Cerisier-ben Guiga, vous puissiez durant ces deux journées faire progresser un certain nombre d'idées qui aideront à ce que le brasier se transforme en flamme. La flamme porte en quelque sorte ce qui réchauffe les coeurs et permet d'espérer.
Josselin de ROHAN, Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat - Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues, Mesdames et Messieurs,
La Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées que j'ai l'honneur de présider a missionné en septembre 2008 deux de ses membres, Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga, afin de produire un rapport sur la situation au Moyen-Orient. Les deux rapporteurs se sont déplacés dans tous les Etats du Moyen-Orient, à l'exception de l'Iran, dont les autorités politiques ne leur ont pas donné le visa d'entrée avant les élections de juin 2009. Ils n'ont pas non plus été reçus par les leaders politiques israéliens, du fait de leur rencontre avec le leader politique du Hamas, Khaled Mechaal, à Damas. Ils ont néanmoins pu entrer en Israël et se rendre à Gaza dix jours après la fin de l'opération « Plomb durci ». Ils se sont également rendus pendant quatre jours en Irak et ont pu y rencontrer d'importantes personnalités. Les deux rapporteurs ont eu plus de 350 entretiens et auditions à l'étranger. Ils ont également consulté la plupart des spécialistes français du Moyen-Orient et ont effectué toutes les visites nécessaires pour comprendre les différentes étapes de fabrication de l'arme nucléaire. Les deux rapporteurs se sont également rendus à Washington et à New-York où ils ont pu rencontrer les principaux acteurs institutionnels américains, ainsi que les représentants de ce qu'il est convenu d'appeler le lobby pro-israélien. Enfin, ils se sont évidemment rendus à Bruxelles, où ils ont pu rencontrer Monsieur Javier Solana, alors représentant de l'Union Européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune. Il nous rejoindra demain.
Les rapporteurs ont remis leur rapport à la commission en septembre dernier. Je me félicite des propos très justement élogieux tenus par Monsieur le Président du Sénat à l'égard de ce rapport. Il a été naturellement adopté par la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.
Les analyses qu'il contient sont parfaitement d'actualité. Il a été largement diffusé, que ce soit dans sa version française ou dans sa version en langue anglaise. Il a servi de base à un débat en séance publique qui s'est tenue ici, au Sénat, le 12 janvier 2010.
Les débats que nous aurons aujourd'hui et demain vont prolonger la réflexion et lui donner une dimension internationale grâce aux intervenants étrangers, que je remercie d'avoir accepté notre invitation. Ils sont parfois venus de très loin : de Dubaï, de Palestine, de Washington, de Berlin et de Londres. Ils comptent parmi les meilleurs spécialistes de la région.
Je remercie Monsieur le Président du Sénat, Monsieur Gérard Larcher, pour avoir permis cet événement, ainsi que le Président de la Fondation Robert Schuman, Jean-Dominique Giuliani, pour son précieux concours.
Avant de passer la parole à mon collègue et ami Jean François-Poncet, qui va vous livrer la substance de ses conclusions, je voudrais rapidement vous faire part de trois réflexions personnelles sur ce sujet, en particulier sur la nécessité de définir une politique européenne pour le Moyen-Orient.
Ces réflexions prendront la forme de deux constats et d'une interrogation.
Le premier constat est simple : le Moyen-Orient compte beaucoup pour l'Europe. Cet intérêt trouve sa source dans la géographie, l'histoire et l'économie, mais aussi dans le fait que notre sécurité et celle de l'Europe dans son ensemble dépendent du Moyen-Orient. Le meilleur moyen de lutter contre ce que nous appelons, dans un amalgame approximatif, le « terrorisme islamique », passe par une paix juste et durable au Moyen-Orient. En outre, les communautés d'origine moyen-orientale sont particulièrement importantes dans notre pays. Entre 15 et 20 millions de Musulmans vivent en Europe. En France, la communauté musulmane comporte plus de 5 millions de personnes : c'est la plus importante d'Europe. C'est aussi le cas de la communauté juive, estimé à 500 000 personnes.
Mon deuxième constat est, à l'inverse du précédent : l'Europe compte peu au Moyen-Orient. Ceux d'entre nous qui voyagent en Orient ont peut-être eu le sentiment d'une véritable attente d'Europe. On y loue son Soft Power , par contraste avec le hard Power américain. On nous rappelle nos liens historiques, on marque de l'intérêt pour nos entreprises, nos produits ou notre culture. Mais soyons lucides : dès que les choses se compliquent, on se tourne vers les Etats-Unis. Cela n'a jamais été aussi vrai depuis l'élection du Président Obama, qui a su tendre la main au monde musulman dans son discours du Caire. Pourtant, l'Europe a été la première à reconnaître la solution des deux Etats avec la déclaration de Venise en juin 1980. Elle a joué un rôle important avec la conférence de Madrid et les accords d'Oslo en 1991. Or depuis, l'Europe s'est effacée. Elle n'a pesé pour rien pendant les années Bush. La création du Quartet a entériné une distribution des rôles dans laquelle les Etats-Unis coordonnent les efforts diplomatiques qui sont garants de la sécurité, tandis que l'Europe paye. La contribution des pays européens pour compenser les conséquences de l'occupation israélienne en Cisjordanie s'est élevée à plus d'1 milliard d'euros en 2009. L'importance de cet engagement financier contraste avec l'effacement politique de l'Union Européenne.
Fort de ces deux constats, ma question est simple : pourquoi ? J'ai le sentiment que si l'Europe est impuissante, c'est bien sûr parce qu'elle est divisée, incapable de parler d'une même voix de la question centrale sur laquelle se focalise le Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien. Définir une politique n'est pas facile. Est-ce seulement possible ? Ce sera à vous de le dire, puisque le sous-titre de ce colloque est précisément : « quelle politique européenne pour le Moyen-Orient ? ».
Je vous souhaite de fructueux débats et vous remercie pour votre participation.
Jean FRANCOIS-PONCET, Sénateur et co-auteur du rapport sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient - Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Monsieur le Président de la Fondation Robert Schuman,
Je voudrais commencer par remercier le Président du Sénat des appréciations louangeuses, exagérément louangeuses, qu'il a bien voulu émettre dans son intervention. Qu'il sache que Madame Cerisier-ben Guiga et moi y avons été extrêmement sensibles.
Je vous rappelle que le colloque qui débute est organisé par le Sénat, mais en liaison étroite avec la Fondation Robert Schuman, dont le Président prendra la parole quand il s'agira de parler de la politique européenne au Moyen-Orient. Je voudrais le remercier et remercier la Fondation Robert Schuman de s'être associée à l'organisation de ce colloque.
Comme le Président de la Commission des affaires étrangères vous l'a dit, ce colloque met en quelque sorte le point final à la mission que la Commission des affaires étrangères du Sénat nous avait confié, à Madame Cerisier-ben Guiga qui connaissait déjà bien cette région et à moi, sur le Moyen-Orient. Le travail de synthèse qui nous a été demandé nous a amené à effectuer une bonne demi-douzaine de déplacements dans cette région, de parler non seulement avec les autorités des différents pays, mais aussi - nous y avons tenus - avec des interlocuteurs indépendants, des journalistes - dans la mesure où l'on peut en trouver dans ces pays, mais on en trouve en se donnant du mal -, de sorte que le rapport que nous avons établi est un rapport qui puise dans plusieurs sources. Il s'est voulu aussi objectif que possible.
Vous avez bien à l'esprit, au moment où ce colloque débute, que le Moyen-Orient est probablement la région du monde dont l'Europe est la plus proche. Elle en importe une bonne partie de son énergie, elle en importe aussi des terroristes - ce n'est pas l'importation à laquelle elle tient le plus - et enfin elle entretient avec le Moyen-Orient des liens humains relativement étroits, à travers les importantes minorités musulmanes installées en Europe, notamment en France.
C'est pourquoi l'évolution de cette région nous intéresse au premier chef. Cette évolution comprend beaucoup d'ombres mais elle est aussi faite de quelques lumières, que l'on a souvent tendance à sous-estimer.
Deux problèmes suscitent de vives préoccupations, tant en Europe qu'aux Etats-Unis : le programme nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien. Au cours de ce colloque, deux tables-rondes seront consacrées à ces deux problèmes.
D'après l'évaluation que nous en avons faite - en interrogeant tous les spécialistes, notamment le Commissariat à l'Energie Atomique, qui sont en état d'en juger -, le programme nucléaire iranien devrait permettre à Téhéran de disposer d'une force de frappe nucléaire faible, modeste, mais opérationnelle, aux alentours de 2015. La nucléarisation de l'Iran ne constitue pas en soi une menace pour l'Europe mais elle a toutes les chances d'inciter l'Arabie Saoudite et l'Egypte à suivre l'exemple de l'Iran, soit par leurs propres moyens, soit en liaison avec le Pakistan, dont il est difficile de penser qu'il résisterait longtemps aux subsides que l'Arabie Saoudite est capable de lui proposer. Il existe un triple danger. D'abord, il y a le danger de voir une région aussi instable que le Moyen-Orient dotée d'armes aussi redoutables. Deuxièmement, le fait que l'Iran se dote d'un arsenal nucléaire, même très modeste, et du savoir faire pour le constituer, accroîtrait sûrement son influence au Moyen-Orient, ce qui ne contribuerait pas à la stabilité de la région. Troisièmement, Israël a fait savoir qu'un tel arsenal entre les mains de l'Iran, dont le Président demande tous les trois mois la disparition d'Israël, constituerait pour Israël un danger existentiel. Il ne semble pas que Tel Aviv envisage dans le proche avenir une intervention aérienne contre les sites nucléaires iraniens, mais une telle éventualité ne peut pas être exclue pour l'avenir.
Le second problème qui préoccupe depuis toujours les chancelleries, c'est évidemment le conflit israélo-palestinien. Ce que l'on peut en dire brièvement, c'est que la solution de ce conflit n'a jamais semblé plus éloignée qu'aujourd'hui, ceci pour deux raisons. D'une part, Israël n'accepte pas, malgré la pression américaine, de mettre un terme à l'extension de ses colonies de peuplement. Il faut bien savoir - il suffit de regarder une carte pour s'en convaincre - que leur développement rend la création d'un futur Etat palestinien territorialement cohérent et viable extrêmement problématique. D'autre part, la division du mouvement palestinien, entre le Hamas qui contrôle la bande de Gaza et l'Autorité palestinienne installée en Cisjordanie, n'a pas permis jusqu'à présent - et l'on n'en voit pas la possibilité dans un proche avenir - de désigner un négociateur unique pour l'ensemble des mouvements palestiniens. Or l'avenir du peuple palestinien est une préoccupation que partagent tous les pays arabes. Ces pays font de la solution de ce problème un test de l'attitude de l'Occident à leur égard. Je peux vous dire qu'au cours de nos déplacements, il n'y a pas de pays où ce problème n'ait été évoqué, d'une manière ou d'une autre.
Le troisième pays auquel nous consacrons une table-ronde est l'Irak. Le nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien ne sont heureusement pas les seuls éléments à retenir dans une évaluation globale du Moyen-Orient. D'autres problèmes, comme l'Irak, connaissent une évolution plus encourageante. Vous savez que l'Irak est aussi riche en pétrole que l'Iran, un peu moins que l'Arabie Saoudite. C'est un grand pays pétrolier, ou peut le devenir. L'Irak a été malencontreusement envahi par l'Amérique du Président Bush. Jusqu'en 2007, l'Irak paraissait voué à une permanente et sanglante insécurité. Mais les Etats-Unis, dont on médit souvent et pas toujours à raison, dont les forces stationnées en Irak ont atteint 150 000 hommes - une armée considérable - ont réussi contre toute attente à mettre l'Irak sur une voie qui permet désormais de croire en son avenir. Les Etats-Unis sont en effet parvenus à convaincre les tribus sunnites qui étaient à l'origine de la plupart des attentats de s'allier à eux - moyennant rémunération - contre Al-Qaïda, qui faisait de l'Irak son principal centre d'activités. Les attentats aveugles contre la population civile avaient fini par le rendre haïssable. En fait, Al-Qaïda a été en bonne partie expulsée d'Irak. Elle a retrouvé au Yémen un terrain d'atterrissage. C'est une des raisons pour lesquelles le Yémen, qui n'a jamais été un Etat très stable, connaît des difficultés croissantes. Ceci dit, l'Irak est un pays profondément divisé en communautés religieuses rivales : les chiites, largement majoritaires ; les sunnites, minoritaires ; auxquels il faut ajouter les Kurdes qui constituent 20 % de la population et qui ont érigé le nord du pays en une zone qui fait certes juridiquement partie de l'Irak, mais qui est autonome et s'est dotée d'une force militaire indépendante, les « Peshmergas », qui sont des combattants solides et disciplinés. L'avenir de l'Irak reste donc incertain. Des attentats meurtriers ensanglantent périodiquement Bagdad, et certains problèmes tels que l'avenir de Kirkouk, qui est la grande capitale du nord, demeurent difficiles à résoudre. Mais le Premier Ministre irakien, Monsieur Al-Maliki, est un homme fort qui fait appel au patriotisme de l'ensemble des Irakiens et qui pourrait jouer un rôle important et bienfaisant dans l'avenir, à condition que les élections législatives qui vont avoir lieu en février ou mars lui permettent de maintenir ou même de renforcer sa position.
Un mot, enfin, de deux pays : l'Arabie Saoudite et l'Egypte, qui n'ont pas pu faire l'objet d'un débat dans le cours de ce colloque.
Le destin de la monarchie saoudienne paraît désormais assez bien assuré. Une loi réglant le délicat problème de la succession à l'intérieur de cette vaste famille paraît - du moins on peut l'espérer - avoir réglé le problème de la succession et du passage d'une génération à l'autre. Quant au Roi Abdallah, qui a 82 ans, il impose avec prudence mais détermination des réformes qui peu à peu modernisent le pays et font évoluer sa société, restée profondément conservatrice.
Quant à l'Egypte, son avenir est dominé par l'inconnu de la succession du Président Moubarak, qui a passé 80 ans et a fait connaître son intention de rester aux commandes jusqu'à sa mort. Sa succession n'est donc pas réglée. Ce que l'on peut penser, c'est que l'appareil de sécurité très lourd qui encadre l'ensemble du pays et l'armée, dont la puissance domine le pays, sauront imposer une transition ordonnée.
Ce rapide survol n'avait d'autre ambition que de vous proposer une vue d'ensemble, que nos tables-rondes vont naturellement préciser.
Je vous remercie de votre attention. Je vais immédiatement donner la parole à Monsieur Robert Malley, qui dirige le programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de l' International Crisis Group , qui est représenté dans tous ces pays. Un de vos délégués, à Damas en Syrie, nous a permis de rencontrer Monsieur Mechaal, qui est le patron du Hamas, à la suite de quoi nous avons été « blacklistés » par les Israéliens. Cela n'a d'ailleurs pas grande importance car il y a en Israël des Think Tanks et des journalistes indépendants : on peut donc parfaitement s'informer sans rencontrer les officiels, qui de toute façon, ne vous disent que la vérité qu'ils sont autorisés à vous exposer.
Monsieur Robert Malley va présenter un exposé général de la situation au Moyen-Orient, après quoi nous entamerons la première table-ronde consacrée au programme nucléaire iranien.