Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire : Quelle politique européenne pour le Moyen-Orient ?
Jean FRANCOIS-PONCET, Sénateur et co-auteur du rapport sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient - Nous allons commencer par la première table-ronde. Elle porte sur l'Iran et regroupe des interlocuteurs particulièrement compétents.
Madame Ladan Boroumand est une historienne iranienne spécialiste des problèmes de droits de l'homme. Elle a effectué ses études à Washington et a obtenu un doctorat d'histoire en France. Elle se tient constamment informée de l'évolution de la situation en Iran, que nous avons un certain mal à suivre...
Monsieur Anthony H. Cordesman est un collaborateur du Center for Strategic and International Studies (CSIS), qui est un des Think Tanks les plus importants de Washington. Il a réalisé un grand nombre d'études sur la stratégie américaine, à la fois en matière de défense et de pilotage politique, mais aussi sur la puissance militaire de la Chine et sur la guerre moderne. Il a été un des directeurs du renseignement au Ministère de la Défense nationale américain. Je m'excuse auprès de lui de ne pas aller plus loin dans le détail de ses différentes fonctions. Je voulais simplement vous donner une idée de l'éventail très large de ses compétences.
Le Professeur Bernard Hourcade est un agrégé de l'Université, Docteur en géographie, chercheur et Senior Research Fellow au CNRS. Il connaît admirablement la région, à la fois sur le plan politique et sur le plan civilisationnel.
Le Docteur Mustafa Alani est le Directeur du Gulf Research Center à Dubaï. Il a fait des études dans plusieurs pays et a été attaché au Royal United Services Institute for Defense and Security Studies à Whitehall à Londres.
Je vais demander à chacun d'intervenir, après quoi nous organiserons un débat, durant lequel la salle pourra bien entendu poser des questions, comme à l'issue de toute table-ronde.
Ladan BOROUMAND, Directrice de recherche, Fondation Abdorrahman Boroumand pour la promotion des droits de l'homme et de la démocratie en Iran - Je suis honorée et vous remercie de votre invitation et de l'opportunité de m'exprimer dans cette assemblée. En m'invitant toutefois, vous vous exposez à un risque car les défenseurs des droits de l'homme ne connaissent point le langage diplomatique et leur franc-parler n'est pas nécessairement politiquement correct !
Un diplomate américain retraité, qui oeuvre depuis des années pour le rapprochement de son gouvernement à celui de la République islamique m'a dit, quelques semaines après les grandes manifestations contre les résultats des élections présidentielles, qu'il allait rencontrer des Iraniens à New-York. Un peu par malice, je lui ai demandé s'il s'agissait de dissidents récemment arrivés d'Iran. Il m'a regardé d'un air navré et a rétorqué : « mais non, je vais voir Javad Zarif, l'Ambassadeur de la République islamique à l'ONU ». Il a ajouté : « I will meet the real people » - je vais rencontrer les vrais gens. Certes, une telle candeur, pour un diplomate qui s'adresse à un défenseur des droits de l'homme, est peu commune. Il n'en reste pas moins que considérer les détenteurs du pouvoir ou ceux qui leur sont proches comme étant les seuls qui comptent est une opinion très répandue, d'où l'incongruité de ma présence aujourd'hui à cette table-ronde, puisqu'il s'agit de réfléchir sur des affaires d'armes nucléaires et de négociations avec « the real people ».
Que peut donc apporter à ce débat une historienne du politique, qui s'est intéressée à la Révolution française pour mieux comprendre la Révolution iranienne, et dont le travail consiste à suivre avec attention la situation des droits de l'homme en Iran ? Les interlocuteurs du dialogue dont on essaye aujourd'hui d'explorer les chances de réussite sont les responsables d'un Etat répressif. Les victimes de cet Etat sont les interlocuteurs des défenseurs des droits de l'homme. Il s'agit de savoir si ce que le dialogue avec les victimes nous apporte en intelligibilité peut contribuer à améliorer l'efficacité du dialogue des diplomates avec l'Etat qui les opprime.
Dans la sphère des relations interétatiques, tout dialogue fructueux nécessite une connaissance approfondie de l'entité politique représentée par les négociateurs. Il s'agit avant tout d'évaluer si dans sa nature, cette entité est compatible avec les démocraties libérales. Autrement dit, il s'agit de savoir si nos interlocuteurs sont des partenaires ou des adversaires. C'est dans le cadre de cette évaluation que le dialogue doit se concevoir. Dialoguer avec des diplomates suisses au sujet de la sécurité de la Confédération helvétique en Europe n'a pas le même sens qu'évoquer avec Staline en 1945 la sécurité de l'Union soviétique, qui requérait l'imposition de l'idéologie et du modèle politique soviétique à la moitié de l'Europe. Il en va de même pour la sécurité de la République islamique d'Iran, un régime qui, tenant sa légitimité de Dieu, déclare ouvertement dans le préambule de sa Constitution sa vocation internationaliste et son objectif d'imposer le gouvernement islamique au monde. C'est également un régime qui déclare officiellement que les droits de l'homme et les principes de la démocratie libérale occidentale constituent le grand danger auquel il fait face ou encore un régime qui torture ses citoyens afin qu'ils avouent que leur esprit a été corrompu par les théories de la démocratie libérale. Enfin, il s'agit d'un régime qui dit avoir besoin de l'arme nucléaire pour sa sécurité, c'est-à-dire pour vaincre la démocratie libérale et les droits de l'homme.
On ne peut prédire ou anticiper les réactions et les démarches des interlocuteurs iraniens si on s'acharne à voir dans la République islamique un Etat-nation comme les autres. On pourra se réjouir avec les plénipotentiaires iraniens des convergences d'intérêts en Irak et en Afghanistan. Les Iraniens répéteront à qui veut l'entendre que la stabilité et la sécurité de ces deux pays leur importent autant qu'aux alliés occidentaux. Mais il ne faudra pas ensuite les accuser de duplicité parce que des bombes fabriquées en Iran ou offertes par l'Iran exploseront sur les marchés des villes irakiennes. Ce qui constitue la stabilité et la sécurité pour les démocraties occidentales représente le plus grand chaos et un danger menaçant pour le régime iranien. L'ordre pour les uns n'est que chaos pour les autres. Par conséquent, la référence commune à la sécurité n'a pas le sens qu'elle paraît avoir et la convergence des intérêts n'est qu'illusion d'optique.
Cette duperie sémantique - si j'ose dire - est savamment entretenue par les porte-paroles du régime islamique parce qu'elle sème la confusion dans les chancelleries occidentales. Le rapport de la commission fait allusion à l'élection d'Ahmadinejad en 2005 et les chiffres produits par le Ministère de l'Intérieur iranien y sont repris sans réserve. De même, il suggère que le droit à la maîtrise de la technologie nucléaire fait l'objet d'un consensus national qui réunit les factions de l'oligarchie régnante et bénéficie du soutien du peuple.
Selon le rapport, l'Iran se sent en droit de se doter de l'arme nucléaire, comme le garant de son indépendance nationale, parce qu'entre autres, en 1953, il a été victime d'un coup d'Etat fomenté par les puissances étrangères. Il s'agit du fameux coup d'Etat organisé par la collaboration des services secrets américains et britanniques, qui a entraîné la chute du gouvernement de Mohammad Mossadegh, qui avait nationalisé l'industrie pétrolière en Iran.
Sur ces points et compte tenu de la distorsion des concepts dont font usage les diplomates iraniens, l'historienne et le défenseur des droits de l'homme pourrait apporter quelques clarifications.
Permettez-moi, d'abord, de dire un mot sur le coup d'Etat de 1953, dont la diplomatie iranienne sait faire un si bon usage pour indisposer les Occidentaux qui souffrent encore de leur mauvaise conscience de colonisateurs. Il serait bon de demander aux diplomates iraniens ce que faisait en ce mois d'août 1953 l'ayatollah Khomeiny et de voir leur embarras face à une telle question parce que leur ayatollah, qui avait plus de 50 ans à l'époque, n'a strictement rien fait pour empêcher ce coup d'état. Ses futurs partisans étaient même impliqués dans le coup d'Etat aux côtés de la CIA et de Sa Majesté. C'est que la mouvance idéologique à laquelle appartenait Khomeiny, étant opposée à la démocratie libérale, a toujours considéré Mossadegh et ses partisans comme des ennemis. Pour indisposer encore un peu plus les détracteurs islamistes du coup d'Etat de 1953, on pourrait leur demander ce qu'il est advenu de la formation politique fondée par Mossadegh et de ses militants depuis l'avènement de la République islamique. Car la formation de Mossadegh a été interdite et nombre de ses militants ont été arrêtés, certains exécutés. Des trois personnalités l'ayant dirigée en 1978, l'un mourut en exil, un autre, Shapour Bakhtiar, fut assassiné à Paris en 1991 et le troisième, Dariush Forouhar, fut poignardé avec sa femme dans sa demeure à Téhéran en 1998 par les agents du Ministère de l'Information. Si le Shah a tenu les partisans de Mossadegh à l'écart de la vie publique, le régime islamique les a anéantis.
Nous sommes ici dans un univers orwellien, créé par une machine totalitaire. Dans cet univers, tout est à prendre avec un grain de sel, qu'il s'agisse de l'affirmation du soutien du peuple à quelque projet que ce soit ou des résultats des élections. Les élections en Iran n'ont pas la même fonction, ni le même sens que dans les démocraties libérales. La Constitution iranienne transforme en son contraire la fonction même des élections dans les démocraties libérales. Les élections, dans les démocraties libérales, permettent la manifestation de la volonté souveraine du peuple. En Iran, la souveraineté émane de Dieu qui désigne le Guide suprême, qui n'est point élu mais reconnu par une oligarchie d'experts. Seul souverain dans le corps politique, le Guide suprême délègue l'autorité politique à une oligarchie qui se renouvelle par cooptation. C'est pourquoi les candidats aux postes électifs sont tous triés sur le volet et désignés, au choix du peuple, par l'oligarchie. L'électeur qui vote choisit, certes, mais il choisit un candidat qui n'est pas le sien. Ce faisant, il approuve aussi la légitimité d'un système où les élus de Dieu choisissent ses candidats pour lui. Si bien qu'en votant, il approuve la négation de sa propre souveraineté. D'une modalité d'exercice de la souveraineté du peuple, les élections se transforment en une modalité d'approbation de la souveraineté divine des dirigeants. Ainsi, le régime adopte un mécanisme démocratique, c'est-à-dire les élections, pour le pervertir et en faire un mécanisme anti-démocratique. Il s'agit d'un excellent stratagème, qui a permis pendant trente ans au régime de faire d'une pierre deux coups, de contraindre l'électorat à se faire complice de la violation de sa propre souveraineté et de faire croire à la communauté internationale qu'il jouissait d'une légitimité populaire.
Certes, la colère spontanée de l'électorat contre la fraude massive qui a faussé les résultats des élections en juin 2009 montre les limites de la capacité de l'Etat totalitaire à travestir les institutions démocratiques, du moins dans l'esprit des électeurs et dans un monde où l'information circule librement. La crise actuelle a le mérite de montrer qu'il existe deux peuples en Iran : celui qui est le fruit de l'imagination totalitaire des dirigeants iraniens - que j'appelle le « peuple orthodoxie » - et celui que nous avons vu descendre dans la rue à la recherche de son vote. Lequel de ces deux peuples est favorable à l'acquisition de l'arme nucléaire par le régime ? Qu'en pense le peuple réel ? Personne, à ce jour, n'a été mandaté par le peuple réel pour exprimer son voeu à ce sujet et celui qui le fait à sa place, qu'il soit journaliste, expert ou politicien, commet une imprudence.
On peut néanmoins dire que parmi les dissidents et les défenseurs des droits de l'homme, un grand nombre s'inquiète d'une telle éventualité pour deux raisons. L'une est écologique, due au manque total de confiance dans la capacité du régime à gérer les centrales nucléaires de manière responsable. L'autre est politique, parce qu'une fois doté de l'arme nucléaire et se croyant invulnérable, le régime risque fort d'intensifier la répression.
Shirin Ebadi, la lauréate iranienne du Prix Nobel de la Paix, a toujours demandé au gouvernement iranien de trouver un terrain d'entente avec l'AIEA. Akbar Ganji, un autre dissident iranien, ancien gardien la Révolution, prône la dénucléarisation de tout le Moyen-Orient, y compris l'Iran. Finalement, les associations estudiantines islamiques, favorables à la démocratie, soutiennent en Iran même les propositions de l'Union Européenne pour le règlement de la question nucléaire. C'est dire qu'il n'existe pas de consensus, dans l'opinion iranienne, sur la question nucléaire.
La fiction totalitaire est le creuset dans lequel les tyrannies puisent leur force. En cherchant à faire accepter cette fiction comme étant la vérité, autant par ses citoyens que par la communauté internationale, le régime totalitaire veut en faire des complices. Refuser de devenir complices en acceptant comme vérité la propagande totalitaire est la condition sine qua non d'un dialogue réussi avec l'Iran. Pour pouvoir le faire, il convient de prêter une oreille plus attentive aux voix d'une société civile iranienne qui ne cesse de manifester avec courage et persévérance ses penchants démocratiques et qui, ce faisant, s'impose comme un allié de taille dans le dialogue difficile qui doit se poursuivre sur la question nucléaire. Ce n'est pas un hasard si, à l'heure où je vous parle, le gouvernement s'engage dans une répression sanglante de la société civile. Ce matin même, Ali Zamani et Aresh Rahmanipour, des jeunes gens arrêtés avant les élections et forcés sous la torture de s'accuser d'avoir fomenté les protestations contre la fraude électorale pour le compte d'organisations politiques basées à l'étranger, ont été exécutés en Iran. Ces meurtres ont pour objectif d'intimider la population qui a pris rendez-vous pour une nouvelle manifestation le 11 février prochain.
Les défenseurs des droits de l'homme ont toujours craint que la question nucléaire ne soit utilisée par le régime pour détourner l'attention de la communauté internationale de la situation désastreuse des droits de l'homme. Comme le hasard du calendrier m'offre aujourd'hui le privilège d'être entendue par « the real people », j'en profite pour m'adresser en tant que citoyenne française à mes représentants pour leur demander de réagir fermement contre ces exécutions.
Je vous remercie.
Jean FRANCOIS-PONCET, Sénateur et co-auteur du rapport sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient - Madame, c'était une intervention que je qualifierais d'engagée mais qui n'en était pas moins extrêmement intéressante, par les aperçus que vous nous avez livrés sur le fonctionnement du régime et la signification des élections.
Anthony H. CORDESMAN, Conseiller au Center for Strategic and International Studies (CSIS), Washington DC - Bonjour Mesdames et Messieurs, Le titre de notre table-ronde est : « Quelles sont les chances de réussir un dialogue avec l'Iran ? » Encore faut-il savoir de quel dialogue nous parlons, sur quel sujet et comment définir une réussite. Je vais donc m'attarder sur les aspects militaires et pas seulement sur la bombe nucléaire, dont on parle souvent sans tenir compte du contexte.
D'abord, très brièvement, il faut se souvenir que ces programmes avaient déjà débuté à l'heure du Shah. Il ne s'agit pas d'initiatives nouvelles qui soient particulières au régime actuel et il n'y a par ailleurs rien de nouveau dans les intentions de l'Iran dans le Golfe. C'est le Shah qui s'est emparé d' Abou Moussa et des deux îles Tomb, qui a fait des revendications territoriales sur Bahreïn. Le processus de démenti de l'effort nucléaire est donc une tendance qui dure déjà depuis une trentaine d'années. Quand j'ai été l'assistant de l'Ambassadeur Helms en Iran, je me souviens d'avoir rencontré des officiels iraniens qui niaient complètement avoir illégalement importé des techniques liées au nucléaire, alors que nous détenions des photographies et que nous avions des connaissances très précises de la localisation de ces matériels. On l'a vite oublié, jusqu'à ce qu'au milieu des années 70 la CIA publie un livre blanc, non classé, décrivant ces mêmes équipements nucléaires.
Depuis plus de vingt ans, je rencontre des représentants iraniens, qu'ils soient de l'opposition ou du gouvernement, pour parler de ces programmes. Certains dialogues dits « de la deuxième voie » ont pu être utiles mais la plupart du temps, il s'agit de rencontres avec des apologistes professionnels. Parfois, en dehors des réunions, j'ai pu apprendre des informations intéressantes. Souvent, les réunions tournent en rond, on n'y apprend rien. Pourquoi ? Parce que beaucoup de ressortissants iraniens eux-mêmes ne savent rien quant aux programmes militaires ou nucléaires de leur propre pays. Les personnes de l'administration, du gouvernement, ne savent que ce qu'on leur dit.
Après avoir rencontré des diplomates iraniens à de nombreuses occasions, j'avais souvent d'importantes preuves techniques de savoir qu'ils ne seraient pas francs. Sous le régime Khatami, j'ai été invité à revenir en Iran ; j'ai également été invité par des membres du Majlis (Parlement), à l'extérieur de l'Iran qui m'ont reproché d'avoir travaillé au service de ce pays sous le régime du Shah. Dans d'autres circonstances, j'ai passé des heures à écouter des mensonges ou à entendre que les progrès étaient impossibles sans des concessions unilatérales qui ne sont tout simplement pas concevables. Il y a plusieurs niveaux de dialogue.
Je crois que l'on a évoqué la possibilité d'un changement de régime en Iran. J'espère qu'un tel changement interviendra. J'espère que les Iraniens en seront les acteurs. Mais laissez-moi vous dire que tous ceux qui n'ont jamais participé à un changement de régime sont souvent les premiers à donner des leçons sur ce qu'il conviendrait de faire soit de façon pacifique, soit par l'intermédiaire d'actions secrètes. La plupart du temps, c'est beaucoup plus difficile qu'on ne le pense et cela marche rarement de la façon que l'on voudrait.
On parle souvent des options militaires en Iran. Mais il y a quelque chose de très important à ne pas oublier : cela va bien au-delà du programme nucléaire iranien. L'Iran n'est pas au milieu de nulle part. Il est dans un environnement qui interagit avec lui. Nous savons que des programmes liés aux sous-marins israéliens incluent des programmes de lancement de missiles longue portée. Ces programmes sont très certainement destinés à accroître les capacités de frappes nucléaires israéliennes en Iran. Cela fait longtemps qu'Israël a accru la portée de ses porteurs de missiles qui peuvent très certainement atteindre l'Iran. Il s'agit donc de deux pays qui se ciblent, l'un l'autre, et potentiellement avec des moyens nucléaires. Vous avez des pays dans le Golfe qui sont en train d'acheter des défenses anti-missiles balistiques pour se protéger de ces menaces. Les Etats-Unis envisagent non seulement des options de frappe conventionnelle, mais aussi des options de dissuasion étendue contre l'Iran.
L'Iran n'est pas aveugle et le voit bien. Nous devons prendre conscience qu'il s'agit d'un acteur doué et bien informé. Il n'est pas passif. Il en tire des conséquences dans sa planification stratégique et dans sa surveillance de la littérature stratégique étrangère. D'après ce que je peux voir en Iran, les Iraniens ont une bonne connaissance de la stratégie et des études en cours des autres pays, qui se reflètent à la fois dans leurs documents ouverts et classifiés. N'oublions pas qu'il ne s'agit pas seulement d'un exercice de contrôle des armements, mais d'un exercice de puissance militaire et que nous avons déjà des éléments d'une course aux armements nucléaires en place.
S'agissant du dialogue officiel, il ne faut pas oublier que ce dialogue ne se situe pas seulement entre diplomates et ONG et universitaires. La planification militaire initiale a lieu en Iran sous l'égide du Conseil national de sécurité iranien et n'est pas l'oeuvre de diplomates, qui sont majoritairement tenus à l'écart. Ils ne sont pas pleinement informés des programmes nucléaires. Il y a beaucoup d'experts iraniens qui sont envoyés en représentation qui ne savent même pas placer sur la carte les équipements nucléaires, lorsqu'ils participent à ces réunions.
Les vrais décideurs, dans tous ces dialogues, sont les gardiens de la Révolution, les personnes qui entourent le Guide suprême et le Président. Ces gens sont souvent impliqués dans ces programmes depuis le milieu des années 1990 et parfois même depuis l'achat de ces programmes nucléaires par l'Iran après les attaques chimiques de la part de l'Irak. Ce sont ces personnes qui façonnent largement le programme militaire iranien et associent les efforts nucléaires à ceux sur les missiles, sur les évolutions de la force conventionnelle en Iran et sur ses capacités croissantes en armes de guerre asymétriques.
Puisque je ne dispose que de quelques minutes pour m'exprimer, j'ai mis en ligne, sur le site Internet de cette conférence, une analyse des tendances régionales en termes de forces de l'Iran et d'équilibre régional. Elle montre que les efforts nucléaires de l'Iran doivent être abordés dans le cadre d'un débat portant sur ses programmes de missiles. À l'heure actuelle, ce programme iranien de missiles de longue portée n'a aucun sens si l'ogive n'est pas un moyen de destruction massive. Ces missiles ne sont pas suffisamment meurtriers ou précis car ils agissent à longue portée. Sans ogive nucléaire, ils ne serviraient à rien. Toutefois, ces missiles constituent l'un des principaux domaines d'investissement dans les forces iraniennes.
Le programme nucléaire iranien affecte tous les aspects de l'équilibre militaire. Acquérir des moyens nucléaires peut permettre de compenser vos faiblesses en matière de forces conventionnelles, faiblesses qui sont nombreuses concernant l'Iran. Ces équipements conventionnels remontent, pour la plupart, à l'époque du Shah. L'Iran se situe désormais loin derrière ses voisins et les Etats-Unis.
Au cours de la dernière décennie, le Conseil de coopération des pays du Golfe, en faisant fi des conseils des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni, a dépensé treize fois pour ses importations d'armes et huit fois plus en matière de défense par rapport à l'Iran. L'Iran a été poussé dans cette guerre asymétrique et dans différents types de combats. La seule manière de se protéger de façon crédible, c'est d'avoir la bombe, ou en tout cas menacer que l'on dispose d'une bombe cachée. C'est l'effet dissuasif contre une frappe conventionnelle en Iran.
Il en résulte des implications claires pour le dialogue. Je pense qu'il serait très souhaitable pour chacun d'entre nous que ceux qui s'intéressent au programme nucléaire iranien en parlent vraiment et le mettent en perspective par rapport à l'ensemble des programmes militaires et des objectifs stratégiques de l'Iran. Le dialogue est essentiellement ponctué de commentaires politiques, assez superficiels.
Par ailleurs, on accorde trop peu d'attention aux détails techniques de ce que l'Iran est supposée en train de faire. Si les journalistes lisaient vraiment les comptes rendus de l'AIEA plutôt que d'en lire les résumés, ils seraient beaucoup plus informés. Cela aiderait aussi que les rédacteurs vérifient les faits. Selon le London Times et le Telegraph , les Etats-Unis ont « envahi » ou « attaqué » l'Iran, au moins trois fois alors que les faits n'avaient pas été vérifiés et les informations étaient erronées à de nombreux égards.
Nous devons par ailleurs prendre conscience que nous négocions avec un pays qui sait que l'on ne discute plus de l'enrichissement pacifique à des fins nucléaires. Premièrement, ils ne l'ont pas nié. Deuxièmement, il y a eu des incitations fortes pour réduire le coût de l'enrichissement du programme nucléaire. Troisièmement, les équipements existent. Si l'Iran avait réellement souhaité négocier à des fins pacifiques, les opportunités ne manquaient pas.
Par ailleurs, si vous regardez les nombreux rapports de l'AIEA sur les programmes nucléaires iraniens, on sait que l'Iran est impliqué dans tous les domaines de la recherche liés à la production d'une arme nucléaire.
L'Iran donne beaucoup d'explications, à savoir que c'est un programme de recherche pacifique. Mais ils ont développé des matériels interdits alors qu'ils n'étaient pas supposés le faire et ils l'ont caché. Ils ont développé du polononium, ce qui est le début de la chaîne de la prolifération nucléaire. Ils sont expérimenté la technologie des lentilles explosives et acquièrent des détonateurs rapides. Il n'y a pas d'élément essentiel à la conception des armes pour lesquels nous n'avons pas de preuves ou que les Nation Unies n'aient pas trouvés.
Pourtant, le débat porte toujours sur le fait de savoir si, oui ou non, l'Iran a bien un programme nucléaire. C'est là que nous devons avoir conscience des limites de ce que le dialogue et les négociations peuvent permettre d'accomplir. Si nous avions vraiment un vrai Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et l'inspection qui en découle, si le protocole avancé se concrétisait vraiment, nous ne pourrions rien faire, au titre de ces accords, pour empêcher l'Iran de mettre en place des systèmes nucléaires plus avancés qui pourraient être dispersés ou cachés plus facilement.
Il n'y a pas de liste classifiée concernant les équipements nucléaires iraniens. La plupart des études se concentrent sur 3 ou 4 d'entre eux. Mais il y a assez d'études pour nous indiquer qu'il existe plus de 80 installations liées au nucléaire. Certaines installations de production pour la centrifugeuse sont à Mashhad, c'est-à-dire dans l'extrême nord-ouest du pays, dans la région la plus éloignée par rapport à Israël. Nous savons qu'il y a aussi deux autres types de centrifugeuses plus développées qui sont actuellement en cours d'expérimentation. Le Président s'est fait photographier devant deux autres types d'installations. Il n'y a donc aucun doute. Comment peut-on le nier ?
Une fois que l'Iran aura acquis des centrifugeuses aux capacités réellement plus performantes, qui soient dix à quinze fois plus puissantes que les installations actuelles, la création et la mise en place d'installations plus petites et plus atomisées sur le territoire deviennent radicalement différentes. Cela pourrait nécessiter beaucoup moins de matériaux fissiles que ce qu'indiquent de nombreuses études. Il est important de prendre conscience que de nombreux observateurs sur la prolifération nucléaire calculent les quantités de matériau fissile nécessaires pour la fabrication d'armes à partir de valeurs qui datent de 35 ans et qui n'étaient même pas correctes lorsqu'elles ont été publiées. Les chercheurs français ont démontré que l'on peut aujourd'hui créer des armes nucléaires à partir d'une quantité de matériaux bien moins importante que le seuil fixé par les observateurs.
La difficulté dans la production d'une arme nécessitant toute cette technologie consiste en réalité à savoir si l'on peut l'intégrer facilement et rapidement. Cette technologie est-elle fiable ? Que peut-on en faire ? Peut-on créer des armes « boostées » ou thermonucléaires ? La réponse change au fur et à mesure de l'évolution de l'amélioration de la technologie par l'Iran. Quoi qu'ils fassent, ils ont la capacité d'utiliser ce que l'on appelle les méthodes de test passives qui ne requièrent aucun vrai test d'arme pour faire ces mêmes simulations, cette modélisation. Il y a aussi des tests physiques, des tests d'ogive, qui peuvent se faire sans explosion du dispositif.
Par conséquent, pour ceux qui s'intéressent à la prolifération, si l'on ne rentre pas dans ces détails techniques dans le cadre de l'analyse politique, on ne peut pas revendiquer le fait de vraiment savoir de quoi l'on parle. Il est surprenant de voir les soi-disant chercheurs politiques tirer des conclusions techniquement absurdes sur les armes nucléaires.
Nous devons par ailleurs être conscients que dans tout dialogue, toute négociation, on ne peut pas stopper le flux technologique et la recherche et développement de l'Iran. On ne peut opposer la tendance, on peut peut-être la ralentir, on peut détecter des actions de développement d'armes manifestes, on peut éviter un développement caché par le biais de négociations mais l'Iran peut alors utiliser le potentiel nucléaire dont elle dispose pour lancer des menaces et soutenir ses options militaires, notamment l'intimidation nucléaire ou pour réaliser ses efforts de contrôle des armes.
En dix minutes, je ne peux pas courir toutes les options de dialogue possibles, même dans le cas où l'Iran accepterait les termes actuels de l'offre et si l'AIEA était autorisée à reprendre pleinement ses inspections. Je le ferais si je disposais de plus de temps. Ce dont je peux vous assurer, c'est qu'une seule négociation sur les programmes nucléaires iraniens ne permettra pas à en venir à bout. Même si l'Iran acceptait le protocole avancé ou le traité de non-prolifération, cela ne résoudrait pas la question. Il y aurait toujours une longue période de course au nucléaire potentielle et d'incertitudes.
Mais ce n'est pas le seul problème à résoudre. D'ici cinq à dix ans, la plupart des pays du monde seront en mesure de produire des armes biologiques très développées à l'aide des techniques de modification génétique. Donc, l'Iran aura probablement des ogives qui feront mieux que les ogives classiques. Lorsque l'on parle d'une arme classique de mille kilos, ce n'est rien, mais si on la lance sur une installation de désalinisation, ça peut faire des dégâts. Il n'y a pas que la taille de la bombe qui compte, c'est la nature stratégique de la cible, donc les usines de désalinisation ou les centrales de production de l'électricité.
Pour conclure, je dirais qu'il y a plusieurs siècles, l'Europe et l'Eglise catholique unifiée ont essayé de bannir l'arquebuse. Elle a finalement été pratiquement bannie, quand le mousquet et le fusil l'ont remplacée, comme des mécanismes beaucoup plus précis pour tuer.
Et je pense que nous devons être beaucoup plus francs sur les perspectives d'avenir et mettre des limites raisonnables aux armes de destruction massive. Aussi longtemps que vous aurez des régimes qui souhaiteront poursuivre cette course à l'armement, il n'y aura pas de simple réponse manichéenne au contrôle de l'armement. C'est un duel technologique et énergétique qui continuera indéfiniment dans le futur, sous des formes qui peuvent changer continûment et muer, et qui peut-être peuvent être limitées et aménagées mais jamais stoppées.
Je vous remercie de votre attention.
Jean FRANCOIS-PONCET, Sénateur et co-auteur du rapport sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient - Merci, c'était particulièrement intéressant. En effet, vous êtes entré dans une analyse concrète des moyens dont dispose l'Iran. Il est vrai qu'il s'agit d'un des points sur lequel il est nécessaire de s'interroger.
Dr Mustafa ALANI, Directeur de recherche au Gulf Research Center, Dubaï - Bonjour Mesdames et Messieurs. Vous avez eu le point de vue des Etats-Unis et des points de vue français. Je crois qu'il faut aussi que vous entendiez le point de vue des voisins immédiats de l'Iran et de ceux qui seront les premières victimes d'une éventuelle attaque ou, du moins, d'une éventuelle intimidation de la part de l'Iran.
Je suis donc là pour vous présenter le point de vue des Etats du Golfe, en particulier notre analyse de la possibilité du dialogue avec l'Iran de parvenir à une résolution pacifique du conflit. Le problème que nous rencontrons dans la région, c'est que nous ne connaissons pas vraiment l'état du programme nucléaire iranien, sa nature et ses objectifs réels.
Nous, dans la région du Golfe, considérons que nous sommes un partenaire dans la recherche d'une résolution de ce problème. Nos points de vue et nos intérêts nationaux doivent être pris en compte dans tout ce processus et dans toute résolution future du problème. Monsieur Barack Obama avait demandé que toutes les options soient mises sur la table pour discuter avec l'Iran. Un an plus tard, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait aucune option sur la table. A partir de nos contacts avec les Américains, en particulier au Centre de recherche sur les pays du Golfe - qui représente globalement les intérêts des Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG) - où des délégations américaines viennent nous voir très souvent, on s'aperçoit que jusqu'ici il n'y a absolument aucune politique et que le gouvernement américain continue de chercher ce que pourrait être sa politique.
C'est une erreur de dire que la perception du monde arabe vis-à-vis de l'Iran pourrait être un élément de réflexion car elle n'existe pas. Nous vivons de l'autre côté de la frontière, mais la perception de l'Iran par les Emirats Arabes Unis n'a rien à voir avec celle des Arabes qui vivent au Maroc ou en Mauritanie. Nous avons des visions totalement différentes. J'ai très souvent entendu des Algériens et des Marocains dire que nous devions laisser l'Iran devenir une puissance nucléaire. Pour les Etats du Golfe, c'est tout autre chose. Pour nous, il s'agit d'un cauchemar, pour de nombreuses raisons. Dans la région du Golfe, nous avons une longue pratique des relations avec l'Iran et nous avons connu beaucoup d'expériences négatives. L'idée que nous nous faisons d'un Iran nucléarisé n'a rien à voir avec l'idée que peuvent s'en faire l'Egypte ou le Maroc. Si le point de vue du monde arabe vis-à-vis de la problématique palestinienne est assez unifié, les vues divergent en revanche énormément au sujet de l'Iran.
Que voulons-nous dans cette région ? Les Iraniens disent que puisque l'Etat hébreu possède l'arme nucléaire, ils ont le droit de développer l'arme nucléaire. Ce n'est pas un bon départ pour nous et ce pour une simple raison. L'Iran a signé de plein gré le TNP et s'est donc placé sous l'obligation juridique, par un contrat entre l'Iran et la communauté internationale, de ne pas développer l'arme nucléaire. Ni l'Etat hébreu, ni l'Inde, ni le Pakistan n'entrent dans la même catégorie puisqu'ils ne l'ont pas signé. Ces pays ont décidé dès le départ de développer l'arme nucléaire et de ne pas entrer dans le processus du TNP. L'Iran a signé le TNP et a signé le protocole additionnel en 2003. Il n'a pas encore été ratifié mais le gouvernement de la République islamique d'Iran l'a tout de même signé, ce qui veut dire qu'il accepte a minima les principes du Traité de non-prolifération.
Pour nous, dans la région, la politique ne doit donc pas consister à développer de nouveaux armements pour faire face à la menace éventuelle d'Israël. Nous devons nous concentrer sur le désarmement des puissances nucléaires existantes et non pas encourager d'autres puissances à se nucléariser.
Avant d'essayer de répondre à la principale question soulevée par ce colloque, je voudrais vous décrire brièvement les fondements qui façonnent et influencent la position des pays de la région du Golfe sur l question du nucléaire iranien.
Nous, Etats du Golfe, espérons sincèrement que cette crise du nucléaire iranien puisse être résolue par le dialogue et la négociation. Non parce que nous aimons l'Iran, mais parce que nous nous aimons nous-mêmes. Cette région a suffisamment souffert à travers des guerres et l'instabilité régnante depuis la guerre Iran-Irak. Nous ne voulons pas voir de nouveaux conflits militaires dans la région saper notre stabilité ou notre développement économique, voire détruire aussi le niveau minimal d'harmonie qui existe dans la région entre nous et l'Iran.
Traiter des ambitions nucléaires illégales supposées de l'Iran exige un travail de l'ensemble de la communauté internationale. Cela relève de la responsabilité de la communauté internationale, non de notre seule responsabilité : le Traité de non-prolifération est un traité qui n'est pas régional mais international. Il est tout à fait certain que nous pouvons jouer notre rôle dans le cadre de ce TNP. Pour nous, le facteur décisif est l'issue de cette crise et non la question de savoir quel doit être l'équilibre des pouvoirs qui va s'établir dans la région.
Actuellement, la discussion majeure, dans la région, porte sur le fait que si la communauté internationale ne parvient pas à empêcher l'Iran de devenir une puissance nucléaire, nous n'aurons pas l'obligation légale ou morale de respecter le TNP. Ce serait la fin du TNP. Il faut que les choses soient très claires à ce sujet.
Nous nous demandons aujourd'hui quelle peut être la valeur du TNP, pour nous, si l'Iran, signataire dès le départ du TNP et signataire du protocole additionnel, devient une puissance nucléaire. A ce moment-là, nous pourrions tous devenir des puissances nucléaires.
Par conséquent, la question n'est pas de savoir si l'Iran va devenir une puissance nucléaire ou si le TNP va survivre, mais si le régime nucléaire va survivre. Je crois que c'est comme cela que nous voyons les choses dans la région. C'est la raison pour laquelle nous commençons à accepter le principe de nucléarisation de la région.
Les programmes doivent être civils, mais nous savons qu'aucun programme ne commence par être militaire. Nous avons besoin du savoir faire et nous avons besoin de nous préparer pour le jour où nous serons laissés de côté, quand la communauté internationale ne fera plus son travail. Nous devons envisager l'option nucléaire si cela se produit.
Les Etats du Golfe sont convaincus que l'Iran continue à travailler à l'acquisition d'une bombe atomique ou au moins d'une capacité nucléaire. Qu'il s'agisse de la bombe atomique ou de la capacité de la produire ne fait pas une grande différence pour nous. Cette évolution va nécessiter que nous agissions sérieusement pour ajuster le délicat équilibre des puissances dans la région. L'équilibre assuré par l'Irak, comme contrepied et zone-tampon entre le Conseil de coopération des Etats du Golfe (CCG) et l'Iran, a constitué un développement majeur pour le CCG. Les Etats du Golfe ne sont pas prêts à accepter une nouvelle réalité avec l'Iran émergeant comme une puissance nucléaire. Nous avons déjà souffert de cela et nous n'avons pas eu de réponse pour rétablir l'équilibre, suite à la disparition de l'Irak comme facteur d'équilibre dans la région. La question est de savoir ce que nous allons faire.
Nous, Etats du Golfe, reconnaissons et acceptons le droit de l'Iran à développer un programme civil nucléaire pacifique. Cela ne nous pose absolument aucun problème. Adoptant nous-mêmes cette stratégie, nous ne pouvons la refuser à l'Iran et lui refuser l'accès à cette technologie. Ceci étant dit, nos relations avec l'Iran sont dictées par l'histoire et la géographie, la religion, la culture et beaucoup d'autres liens. Il faut bien se rappeler que nous ne pouvons pas faire sans notre voisin : c'est la réalité géographique, qu'elle nous plaise ou non. Nous avons le choix de traiter l'Iran comme un ennemi ou comme un ami mais nous ne pouvons pas changer la réalité géographique.
C'est la raison pour laquelle il nous faut être très prudents et ne pas être au premier rang lors de la confrontation avec l'Iran tant que nous n'avons pas une véritable confiance dans la politique des Etats-Unis ou de l'Union européenne. Sinon, nous pourrions nous retrouver seuls en première ligne face à l'Iran, abandonnés au milieu du gué, et être seuls à être taillés en pièces. Par conséquent, nous sommes très prudents et tous les dirigeants des pays du Golfe veillent à ce que le problème ne soit pas régionalisé. C'est un problème international dans lequel nous pouvons jouer notre rôle, mais nous ne voulons pas que quelqu'un nous reproche de ne pas faire pression sur l'Iran. Nous ferons pression sur l'Iran dans le cadre de la communauté internationale.
Les négociations avec l'Iran peuvent-elles être fructueuses ? Je peux parler de notre expérience, puisque nous sommes voisins et que nous avons depuis longtemps négocié avec l'Iran. Pour illustrer très simplement nos négociations ou nos tentatives de négociation avec l'Iran, je peux citer l'exemple de l'occupation des trois îles des Emirats Arabes Unis en 1971. Cela s'est produit il y a quarante ans, mais nous espérons toujours, en vain, mettre l'Iran à la table des négociations.
Officiellement, les Iraniens ne parlent pas d'une occupation mais d'un malentendu. Même sur la base de ce malentendu, ils refusent de négocier. Par ailleurs, pendant la guerre sanglante et meurtrière entre l'Iran et l'Irak qui a duré huit ans, les Iraniens ont refusé de négocier durant sept ans. Finalement, ils ont accepté en 1988 les termes qui leur avaient été proposés en 1981. Nous parlons donc d'un pays avec lequel il est très difficile de négocier. Tel est notre vécu, en tant que voisins de l'Iran.
Je voudrais brièvement répondre à la question sur les perspectives de succès du dialogue.
Premièrement, les Iraniens vont montrer un intérêt envers toute invitation au dialogue car ils souhaitent montrer leur intérêt pour un règlement diplomatique, cela ne fait aucun doute. Ils estiment qu'ils ne doivent pas rejeter le dialogue car cela affecterait négativement leur image. L'Iran veut en effet se présenter comme un pays qui cherche une solution diplomatique au problème nucléaire.
Deuxièmement, les Iraniens sont prêts à parler à l'Union européenne ou à d'autres nations ou organisations internationales mais leur véritable intérêt consiste à établir un dialogue direct avec les Etats-Unis. Ils pensent que ce serait la clé pour faire changer l'attitude de la communauté internationale vis-à-vis de l'Iran. Les Iraniens considèrent que toute négociation sans engagement direct des Etats-Unis n'apportera pas le résultat requis.
Dans toute négociation avec l'Iran, l'Iran essaye de s'en sortir en mettant plusieurs points sur la table des négociations. Le pays n'acceptera pas de discuter la question du nucléaire sans traiter d'autres problématiques. Il va demander que toutes les cartes soient mises sur la table. Nous avons le sentiment que l'Iran veut devenir une superpuissance régionale. Tel est l'objectif iranien et c'est dans cette vision des choses qu'il faut inscrire la problématique du nucléaire iranien. Les Iraniens n'ont pas besoin d'arme nucléaire pour se défendre. En revanche, ils ont besoin d'une capacité nucléaire pour apparaître comme une puissance régionale. Ils attendent de l'Union européenne et des Etats-Unis d'être reconnus comme une puissance régionale de premier rang. Pour nous, cela est totalement inacceptable. Nous avons connu cela avec l'administration Nixon qui a fait du Shah d'Iran le policier de la région. Il fallait frapper à la porte de Téhéran chaque fois que des décisions stratégiques devaient être prises concernant les Etats du Golfe. Aujourd'hui, nous sommes des Etats matures. Je ne pense pas que nous accepterons que cela se reproduise.
Troisièmement, les Iraniens sont connus pour leur tactique très efficace consistant à faire perdurer des négociations qui n'aboutissent pas ou aboutissent à des résultats limités. Je ne révèle pas ici un secret : il s'agit de la réalité. Cette tactique implique la présentation, au cours des négociations, de multiples sujets, au lieu d'une seule problématique en modifiant les priorités, en établissant des liens entre les différents dossiers. D'une manière générale, cela conduit à une approche très vague des négociations.
Quatrièmement, le style de négociation iranien s'appuie sur la stratégie des concessions offertes par étapes. Ainsi, une véritable percée dans les négociations n'est pas envisageable en une session unique de négociations. Cinquièmement, la stratégie iranienne d'approbation du dialogue pourrait en outre avoir d'autres objectifs que le désir réel de parvenir à un règlement négocié sur la question du nucléaire.
Les tactiques de négociation pourraient être utilisées pour plusieurs raisons. Une première raison est la volonté de gagner du temps, permettant au programme nucléaire national d'avancer suffisamment pour établir une nouvelle réalité sur le terrain. Dans tout programme nucléaire militaire, le temps est un facteur essentiel. Les ingénieurs ont besoin de temps pour travailler sur les projets et le rôle des politiques est de leur donner le temps de faire avancer les projets techniques jusqu'à ce qu'ils atteignent le seuil à partir duquel la nature des négociations change complètement. Toute avancée technique du programme aura un impact sur la manière de conduire les négociations et sur leur issue.
Une seconde raison est de montrer au public iranien que le gouvernement fait tout son possible pour refuser le conflit et éviter la confrontation. Ainsi, la responsabilité de l'échec des solutions diplomatiques sera attribuée aux pays occidentaux ou aux ennemis de l'Iran.
Troisième raison : ces tactiques de négociations pourraient être utilisées pour tester et explorer les options des autres parties, principalement la crédibilité d'une action militaire. Par conséquent, si la négociation avec l'Iran est possible, sa réussite est en revanche beaucoup plus incertaine. Je vous remercie.
Bernard HOURCADE, Directeur de recherche au CNRS - Je voudrais d'abord dire que nous avons tous très bien entendu ce qu'a dit Madame Boroumand sur la situation de l'Iran. Cela fait trente ans que cette situation dure et s'empire chaque jour. En tant qu'universitaires, nous sommes très touchés directement par le fait que Clotilde Reiss, une étudiante allée en Iran pour apprendre le persan se trouve toujours en résidence surveillée depuis six mois. Le problème n'est pas la réalité iranienne mais d'envisager les moyens de s'en sortir et de prendre enfin l'Iran au sérieux.
Je reprendrais ce qu'a dit précédemment Robert Malley, en considérant que le problème du nucléaire - et le titre de cette conférence peut-être - est déjà dépassé. Même si elle est essentielle, la question nucléaire n'est plus une question d'actualité après ce qui vient de se passer au mois de juin dernier. L'émergence d'un nouveau phénomène démocratique, c'est-à-dire la manifestation des gens dans la rue, change selon moi complètement la donne quand on veut parler à l'Iran.
Il faut également considérer que d'une part, la politique internationale concernant le nucléaire a été un échec puisque - comme cela vient d'être souligné - l'Iran a une capacité nucléaire évidente. Si un jour le gouvernement iranien veut l'arme nucléaire, il l'aura, quel que soit son gouvernement. D'autre part, il n'y a jamais eu un régime aussi dur en Iran qu'aujourd'hui. Autrement dit, la politique de sanction et d'embargo qui a dominé la politique internationale sous diverses formes depuis trente ans a lamentablement échoué.
A plusieurs reprises, Français, Européens et Américains ont cherché à coordonner leur action, mais il faut se souvenir qu'en 2003, les Iraniens avaient accepté pour la première fois de rentrer dans le rang et que la politique nucléaire iranienne soit aussi claire que possible. Mais cette proposition, qui visait à éviter la prolifération nucléaire, n'a pas plu à nos amis américains, car leur but n'était pas le même. En Europe, nous voulions lutter contre la prolifération et l'arme atomique. Nous voulions éviter une prolifération qui, après l'Iran, aurait concerné la Turquie, l'Arabie Saoudite, l'Algérie, le Brésil, l'Argentine, et combien d'autres pays au monde... Aux États-Unis, le problème était le regime change , le changement de régime. Mettre cela en préalable signifie que l'on ne souhaite pas de solution à la crise. Effectivement, aux États-Unis, on comptait de nombreux partisans d'une confrontation avec l'Iran et qu'il fallait d'abord éradiquer le régime islamique. Le dernier gouvernement Bush l'a montré. Le résultat est que le régime islamique est fort aujourd'hui, qu'il réprime comme jamais et que la bombe atomique, si elle est en projet, n'a jamais été aussi proche.
L'Iran pose mal le problème du nucléaire, mais il le pose. Cette très grave question est focalisée sur l'Iran, mais on a tort d'ignorer le fait qu'aujourd'hui, le problème du nucléaire n'est pas uniquement celui de l'Iran mais aussi du Brésil, de l'Argentine, de l'Algérie et de combien d'autres pays émergents. L'Iran n'est qu'un exemple : à force de se focaliser sur lui, on est aveuglés.
La question iranienne aujourd'hui est posée par les Iraniens eux-mêmes. Cela fait quarante ans que je fréquente l'Iran et que je regarde de pays par la base, non pas par le haut. Comme tous les chercheurs en sciences sociales, j'ai constaté que depuis trente ou quarante ans, la société iranienne avait évolué en profondeur, indépendamment du gouvernement. Ce changement ne s'est pas produit grâce à la République islamique ni contre elle.
Nous savons tous combien les femmes iraniennes ont un rôle essentiel et qu'elles sont majoritaires à l'université. Nous savons aussi comment l'évolution de la société, ouverte vers le XXIème a connu des succès en Iran, comme elle n'en a pas eus dans les pays voisins. Le problème est le passage du sociologique au politique. Le fait que les Iraniens ne soient pas d'accord avec leur gouvernement est une évidence. Il est certain que 80 % des gens qui ont voté pour Ahmadinejad critiquent sa politique, mais n'ont pas pu ou voulu faire un choix de rupture lors des élections de juin 2010 car la répression était déjà effective et les élections étaient - comme l'a dit Madame Boroumand - une cérémonie particulière. Depuis lors, les choses ont changé car la société iranienne a eu le courage de passer au politique. Dans certains lieux d'Iran, notamment à Téhéran, les gens ont été assez forts et courageux pour aller dire leur protestation dans la rue.
Le deuxième élément important est le discours du président Obama au peuple iranien. Certes tout le monde est un peu déçu et la mode est à dire : « Yes, we can , mais vous n'avez pas pu grand-chose depuis un an » . Mais, concernant ce discours de Nowrouz - du nouvel an iranien- : quel pays dans le monde a eu droit à un discours du Président des États-Unis d'Amérique ? Seul l'Iran. C'est un événement majeur. A deux reprises, il a reconnu la « République islamique d'Iran ». C'est la fin de l'embargo, la fin de la volonté de regime change , de changer le régime pour faire revenir le fils du Shah ou je ne sais quel avatar politique. Pour la première fois, l'Iran a été pris au sérieux par les États-Unis et cela a changé considérablement les choses. Autrement dit, pour la première fois, les élections iraniennes du mois de juin avaient un enjeu.
D'habitude, on l'a dit, une élection en Iran ne fait que légitimer le vainqueur : mais cette fois-ci, il y avait un enjeu, pour la première fois. Barack Obama a détruit un des piliers de la République islamique : il a détruit le dogme de l'opposition aux États-Unis, qui est le pilier fondateur de la république islamique. Il a détruit, lui-même, pacifiquement, ce pilier. Cela a semé la panique dans la classe politique iranienne. Le fonds de commerce basé sur des slogans tels que « A bas l'Amérique ! » ne rimait plus à rien. De ce fait, les élections ont eu un enjeu pour la première fois parce qu'on savait que le vainqueur de l'élection allait pouvoir serrer la main du président américain, de façon au moins virtuelle et obtenir ainsi la reconnaissance durable de la République islamique. D'où les rivalités internes entre un Rezai - ancien commandant des Pasdars -, un Moussavi - ancien Premier Ministre de Khomeini -, de Karoubi, qui a été de tous les gouvernements, et Ahmadinejad, qui se sont disputé le gâteau électoral parce qu'enfin il y avait, pour la première fois, un gâteau à partager : l'ouverture internationale du pays. De cela a découlé le coup-d'État d'Ahmadinejad et le contre coup-d'État de la société iranienne. Nous en sommes là aujourd'hui. Nous pourrions discuter longuement des tenants et des aboutissants, mais la question est de savoir que faire aujourd'hui et quels sont les rapports de force.
D'un côté les plus conservateurs disent que la République islamique est en danger. En effet, aujourd'hui, les pays occidentaux sont absents d'Iran. Environ de 2 000 à 3 000 étrangers occidentaux résident en Iran. Si l'on ouvre les frontières, si l'on serre symboliquement la main des États-Unis - donc par le même coup celle des Européens, des Australiens et de tous les autres - cela signifierait pour les conservateurs que 200 000 à 300 000 étrangers viendraient travailler en Iran dans deux ans. Cette perspective pacifique et banale est considérée par les plus conservateurs comme une invasion économique et culturelle étrangère à laquelle la République islamique ne résistera pas. Donc ils sont contre toute discussion avec les États-Unis.
La deuxième solution est celle d'Ahmadinejad, qui constate qu'il faut trouver un modus vivendi . Une solution à la chinoise : on réprime à l'intérieur, on montre que le régime islamique sera éternel, on verrouille, on tue, on sanctionne et on réprime massivement, tout en gardant quelques portes de sorties. Simultanément, on ouvre la porte de façon très tactique, grâce quelques accords avec les États-Unis, notamment sur le nucléaire, qui n'est plus un enjeu majeur. Le nucléaire n'est pas un enjeu stratégique pour l'Iran car l'armée iranienne est importante et forte, que le pays a 75 millions d'habitants et que la force de l'Iran - comme cela l'a été dit précédemment - est géographique. Même si l'Iran n'a pas de bombe atomique, pour les Émirats Arabes Unis, Bahreïn ou le Qatar, l'Iran reste un monstre politique, économique et culturel. Le nucléaire n'est donc pas un enjeu prioritaire. Ahmadinejad a donc proposé, à Vienne le 7 octobre dernier, un accord technique sur le réacteur de recherche de Téhéran. Il s'agissait d'un petit deal amical qui permettait de faire tomber la pression et d'ouvrir les négociations avec les États-Unis de façon limitée. Le modèle chinois consiste à fermer à l'intérieur et à ouvrir de façon contrôlée à l'extérieur, pour assurer la survie du régime islamique. Dans le camp occidental, certains disent que cela n'est pas acceptable, parce que les Iraniens n'acceptent plus ce système politique après trente ans de République islamique. Par ailleurs, aux États-Unis et en Europe, on ne se satisfera pas d'une solution en demi-teintes.
Ces nouveaux rapports de force ont favorisé la montée d'un troisième pouvoir, d'une opposition. Il ne s'agit pas de la vague verte - qui est très courageuse et qu'il faut soutenir, mais qui est durement réprimée faute d'organisation et de stratégie - mais de l'opposition des gens de l'intérieur, celle des Gardiens de la révolution. Je vais vous choquer - mais il faut choquer pour penser différemment, comme le disait Robert Malley - : le vaste réseau des Gardiens de la révolution n'est pas sans rapport, comme structure et non sur le plan des valeurs, avec celui des Résistants en France en 1945. Dire aujourd'hui que quelqu'un, un Préfet, un sous-préfet, un Ministre, est issu des Pasdars, c'est exactement comme dire en 1945 en France que tel Préfet, sous-préfet ou directeur dans un ministère, sortait de la Résistance. C'est un fait historique banal. Tous les Gardiens de la révolution ont combattu pour défendre leur patrie et une révolution tiers-mondiste qu'ils avaient faite, mais l'hétérogénéité des vétérans des Gardiens de la révolution est extrêmement grande, même si tous ont été liés peu ou prou à des actions terroristes. Ils ont placé des bombes rue de Rennes, ils ont assassiné Ghassemlou à Vienne, Charafkandi à Berlin, et d'autres, mais parmi cette masse de gens, certains veulent un Iran que je qualifierais de « normal », ouvert au XXIème siècle, tout en restant fidèles à la République islamique. Ces anciens vétérans de la guerre Irak-Iran restent pour le moment discrets, en réserve de la république. Malgré leur unité, certains anciens Pasdars sont en exil, d'autres soutiennent les Réformateurs, le mouvement vert, d'autres enfin sont prêts à défendre le régime islamique en usant de tous les moyens.
Dans la situation de blocage actuelle, il ne faut donc pas s'inquiéter de l'arrivée au pouvoir, des Gardiens de la révolution, mais se poser la question de savoir qui sont ces vétérans Pasdars et constater qu'aujourd'hui, le régime islamique est divisé comme jamais. Comme dans tous les pays du monde, après trente ans de gouvernement ensemble et de cohabitation, les rivalités et les haines sont à leur paroxysme : le noyau de la République islamique est divisé et au bord de l'éclatement. Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Ahmadinejad est confronté à l'opposition de la rue iranienne soumis à la pression américaine et surtout à son propre camp où des gens ne veulent pas qu'il conforte son pouvoir et en serrant, même virtuellement, la main de Barack Obama.
On assiste donc à la mise en place d'un système de rapports de forces radicalement nouveau. Comment donc aider le peuple iranien tout en défendant nos intérêts et la sécurité internationale mise en cause par les incertitudes du programme nucléaire iranien? Comment sortir de cette impasse ? Les analyses et stratégies du camp occidental ne semblent pas avoir pris conscience des changements survenus en Iran quand on constate la simple poursuite de la politique des sanctions que des diplomates de haut rang des six grandes puissances du monde se réunissent et mobilisent leurs équipes pour voir quelles sanctions nouvelles pourraient être appliquées à l'Iran, il semble qu'ils n'aient pas pris en compte le fait que les sanctions aident Ahmadinejad et encouragent la course à la bombe nucléaire - si elle doit exister - alors que les États-Unis ont changé de stratégie, gardent malgré tout la main tendue même s'ils n'obtiennent pas de réponse, parce que l'Iran ne veut pas et ne sait pas répondre.
Qu'est-ce qui terrorise l'Iran aujourd'hui ? Ce ne sont pas les sanctions, qui renforcent le régime, affectent le niveau de vie des iraniens. Ce n'est pas un bombardement israélien, qui raviverait le nationalisme autour du président Ahmadinejad et, montrerait que la vague verte est soutenue par le « sionisme international ». Quelle est la vraie crainte des factions les plus radicales durégime ? Il s'agit de la pire sanction contre l'Iran : la levée des sanctions.
L'Iran ne restera pas éternellement sous un régime de sanctions, et dans toutes hypothèses, il n'est pas inutile d'envisager les effets et l'agenda d'une sortie de crise. Il faut envisager le jour où les compagnies pétrolières mondiales auront le droit, contrairement à la loi d'Amato de1996, d'investir en Iran. Il faut cinq ans pour qu'un nouveau puits de pétrole rapporte de l'argent, le gouvernement Ahmadinejad n'en sera pas bénéficiaire. Si l'embargo sur les avions civils, sur les ouvrages scientifiques - sachez que les universités iraniennes ne peuvent pas acheter librement des revues et livres scientifiques étrangers depuis 30 ans - était levé, autrement dit si l'on ouvrait l'Iran, si l'on prenait au mot les demandes de relations économiques du gouvernement iranien et si l'on répondait à la demande du peuple iranien qui veut vivre au XXIème siècle, au lieu d'aller au devant des souhaits Monsieur Ahmadinejad et de ses amis, en isolant le pays comme ils le souhaitent, les choses changeraient. Le rapport de force changerait. Cette « sanction » par l'ouverture est sans doute une naïveté d'universitaire.
La différence, par rapport à il y a trente ans, est que, le 15 juin dernier, une grande partie de la population iranienne a franchi un seuil politique. Ce mouvement sera sans avenir si la communauté internationale continue d'apporter un soutien à la volonté d'isolement du gouvernement de Téhéran. Si au contraire les diplomates et les hommes politiques européens et américains pensent enfin différemment et « envahissent » l'Iran de façon pacifique, dans un souci de coopération durable, les choses vont changer en Iran. La forme du gouvernement iranien, c'est le problème des Iraniens, et pas le nôtre. Dans cette stratégie qui n'est pas nouvelle, L'Europe qui a longtemps tenté un « Dialogue critique », aurait pu jouer un rôle d'intermédiaire. Mais hélas elle n'est pas là, on en reparlera.
Il faut prendre l'Iran au sérieux et ne pas lui donner des intentions, une force, ou un rôle qu'il n'a pas. L'Iran, actuellement, n'est pas une puissance régionale capable de promouvoir un consensus régional et elle ne le sera jamais, car les Persans sont isolés dans une région peuplée d'Arabes et de Turcs. Avec sa population, sa surface et sa société et ses richesses, l'Iran sait très bien qu'il sera craint mais qu'il ne sera jamais un pays assez fort pour commander seul et se faire respecter de ses voisins. Malgré son renouveau, le chiisme est minoritaire dans le monde musulman L'Iran n'est pas une puissance islamique. L'Iran a échoué à être leader du monde islamique. Le succès du Hezbollah parti politique libanais et du radicalisme sunnite en est la preuve. L'Iran est par contre une puissance émergente, comme le Brésil, l'Indonésie, l'Afrique du sud, comme tant de pays qui ont aujourd'hui entre 50 et 100 millions d'habitants, qui ont une bourgeoisie moyenne active et une culture politique nouvelle.
Alors regardons l'Iran différemment, regardons les Iraniens différemment, ayons une perspective différente pour dire que, si l'on veut que ce pays soit un pays des droits de l'homme et des règles internationales, tout en conservant son identité, il y a une façon de faire différente et de soutenir le peuple iranien en respectant sa diversité non pas en envoyant un message de soutien naïf par Internet, mais en étant présents en Iran de façon durable, concrètement, par la présence des entreprises.
Merci.
Jean FRANCOIS-PONCET, Sénateur et co-auteur du rapport sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient - Nous avons, grâce aux différentes interventions, les bases d'un dialogue sérieux avec la salle. Nous n'avons malheureusement pas beaucoup de temps à y consacrer car nous aurions dû finir il y a un quart d'heure.
Je vais poser une question à Monsieur Cordesman : est-ce qu'Israël a les moyens de détruire, par une attaque aérienne ou par une attaque à partir de sous-marins lance missiles dont vous parliez, les sites nucléaires iraniens ?
Deuxièmement, cette hypothèse, qui est souvent agitée, vous paraît-elle plausible ?
Anthony H. CORDESMAN, Conseiller au Center for Strategic and International Studies (CSIS), Washington DC - Je crois que personne en Israël ne croit vraiment qu'ils peuvent détruire la base technologique iranienne permettant peut-être de créer des systèmes nucléaires. Il s'agit plutôt de ralentir les efforts de l'Iran pour plusieurs années. Une des raisons animant le débat israélien est de savoir si vous croyez que ralentir les efforts des iraniens pour de nombreuses années marchera ou si cela les provoquera et les incitera à un déploiement beaucoup plus important et à des efforts beaucoup plus larges en ce sens.
D'après ce que j'ai pu voir concernant les matériels et bases technologiques et les cibles iraniennes, les informations les plus fiables se trouvent sur le web, sur un site qui s'appelle Nuclear Threat Initiative (NTI) . Je dis cela parce qu'aucun des services d'Etat s'occupant de cette question n'a jamais pu eux-mêmes recueillir des informations fiables ou utiles concernant la force technologique iranienne et les cibles possibles. Je pense que Nuclear Threat Initiative est sûrement exact quand il recense plus d'une cinquantaine de sites. Nous savons que nombre d'entre eux sont confirmés. NTI souligne également qu'il est impossible de caractériser ces sites de façon fiable. Ni Israël, ni les Etats-Unis, ni personne d'autres, ne parviennent à localiser les sites ou à savoir exactement ce qui est contenu dans chaque site. La capacité à dissimuler des technologies clés qui sont majoritairement mobiles et faciles à disperser est absolument cruciale. C'est un jeu.
La différence fondamentale entre Israël et une puissance comme les Etats-Unis est qu'Israël ne pourrait probablement organiser qu'une seule frappe, majeure, contre un nombre limité de cibles en Iran. Les Etats-Unis pourraient attaquer, frapper une seule fois, détruire les défenses aériennes et conduire plusieurs attaques sérieuses. Ceci n'est qu'une théorie, parce que cela exigerait un soutien politique de la part du Golfe. Les porte-avions ne seront pas utilisés, contrairement à ce que j'ai pu lire et que je trouve particulièrement irritant. Je trouve cela assez farfelu car ce n'est pas la bonne plateforme pour ce genre d'attaques.
A nouveau, puis-je vous rappeler avec quelle rapidité ces types de pays peuvent se rétablir ? A l'heure actuelle, l'Iran a toujours des problèmes avec la centrifugeuse P1. Nous savons qu'il a une installation P1 améliorée, une P2, une P3 et nous avons aussi vu des images qui semblent indiquer qu'il détient également une centrifugeuse P4. Si Israël faisait une frappe aujourd'hui contre ces installations et que l'Iran continuait à les fabriquer et à les disperser, on parlerait là de capacité nucléaire très sérieuse mais nous ne savons pas quand, et combien de matières il utiliserait.
Quand on parle de capacité à éliminer ( knock out capability ), il ne s'agit pas simplement de disposer d'une bombe de quelques millier de kilogrammes. Il est nécessaire d'avoir un missile nucléaire ou une bombe dont le dispositif pèse bien moins que mille kilos. C'est de cela qu'il s'agit au fond. Ces questions ne pourront pas être résolues à la fin de la semaine, mais au cours d'un un cycle de négociations qui prendra 10, 15 voire 20 ans.
Jean FRANCOIS-PONCET, Sénateur et co-auteur du rapport sur l'évaluation de la situation au Moyen-Orient - Y a-t-il une question dans la salle ? Nous ne pourrons pas en prendre plus d'une, mais il faut que le principe soit sauf !
De la salle - Ma question s'adresse à Monsieur Cordesman : compte tenu de la difficulté d'avoir une politique américaine lisible et instantanée sur l'Iran, comment voit-il, entre ces différents mouvements, s'infléchir cette politique américaine ? Dans le sens de la fermeté ou au contraire dans le sens de la souplesse ? Merci beaucoup.
Anthony H. CORDESMAN, Conseiller au Center for Strategic and International Studies (CSIS), Washington DC - La réponse est très simple. La politique américaine répond au fait qu'il n'y a pas de réponse du côté iranien. Il y a eu, bien sûr, la crise des élections mais l'administration américaine a produit un certain nombre d'efforts officiels et officieux, à titre individuel mais aussi avec l'Europe et dans le cadre d'autres initiatives.
Jusqu'à présent - je crois que Monsieur Alani l'a souligné - nous n'avons simplement pas obtenu le type de réponse nous permettant de continuer le dialogue ou de poursuivre facilement quelque nouvelle option. La Secrétaire d'Etat Madame Clinton l'a montré très clairement. A travers ses propos, vous comprenez que le problème est que les initiatives que la Présidence américaine a essayé d'engager, à des niveaux moins élevés et de façon informelle, ont simplement suivi le même chemin que les efforts qui avaient été entrepris par l'ancienne secrétaire Madame Albright. Nous n'avons pas été capables de les poursuivre. Donc c'est toujours la même politique, c'est-à-dire celle des six ou du Quartet. Je ne sais jamais combien nous sommes de nos jours, mais apparemment en France quatre, c'est la même chose que six, et aux Etats-Unis six, c'est la même chose que quatre. Voilà les politiques qui existent. Pourront-elles progresser dans le cadre de l'administration présente ? Je ne le sais pas, mais il n'y en a pas encore de signes en tout cas.