II. TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE
Article 16 bis (nouveau)
I. - L'article L. 112-11 du code monétaire et financier est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les commissions interbancaires perçues au titre d'une opération de paiement par carte de paiement ne doivent pas s'éloigner de façon abusive des coûts réels supportés par le prestataire de service de paiement qui les facture.
« Au cours du mois de janvier de chaque année, est porté à la connaissance du bénéficiaire un document distinct récapitulant le total des sommes perçues par le prestataire de paiement au cours de l'année civile
précédente au titre des frais facturés fixés contractuellement. Ce récapitulatif distingue, pour chaque catégorie de produits ou services, le sous-total des frais perçus et le nombre de produits ou services correspondants.
« Est puni de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait de méconnaître les obligations mentionnées à l'alinéa précédent. Le contrôle du respect de ces dispositions est réalisé dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article L. 316-1 du présent code.
II. - Les deuxième et troisième alinéas du I s'appliquent à compter de l'exercice 2010. L'envoi du document relatif à l'exercice 2010 peut intervenir jusqu'au 31 mars 2011.
III. RAPPORT SENAT N° 111 (2010-2011)
Commentaire : le présent article, introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative de nos collègues députés Richard Mallié, Bernard Debré et Françoise Branget, vise à encadrer et limiter les commissions interbancaires perçues au titre d'une opération de paiement effectuée avec une carte de paiement.
I. LES COMMISSIONS INTERBANCAIRES CONTROVERSÉES
La France dispose d'un système de paiement par carte bancaire performant et étendu. En 2009, près de 58,4 millions de cartes étaient en circulation pour un nombre total d'opérations supérieur à 8,13 milliards 1 ( * ) .
Le système de paiement est organisé selon le schéma reproduit ci-après.
Organisation du système de paiement par carte bancaire en France
Source : site Internet du GIE Cartes bancaires (www.cartes-bancaires.com)
Dans ce cadre, hormis le paiement proprement dit, il existe trois relations monétaires :
- le contrat qui lie le client à sa banque pour la possession et l'utilisation de la carte bancaire. Les tarifs, variables en fonction des services associés, sont publics ;
- de même, le commerçant signe un contrat avec sa banque pour l'utilisation d'un terminal de paiement par carte. Le commerçant paye, à cette fin, une « commission commerçant » qu'il négocie avec sa banque ;
- enfin, au moment du transfert des fonds relatifs à la transaction, la banque du client prélève une « commission interbancaire de paiement » (CIP) qui est, in fine , supportée par la banque du commerçant (et non par le commerçant lui-même).
Le vocable de « commission » introduit souvent une confusion entre la « commission commerçant » et la CIP. Elles sont pourtant bien distinctes.
A. LA COMMISSION INTERBANCAIRE DE PAIEMENT
Envisageons, par exemple, qu'un client effectue une transaction de 100 euros dans un magasin. Sa banque ne va transférer que 99 euros à la banque du commerçant car elle prélève la CIP. Pour autant, la banque du commerçant reverse bien 100 euros à celui-ci. La CIP pèse bien sur la banque du commerçant.
Les modalités du calcul de la CIP ont été revues à la suite d'une décision du Conseil de la concurrence en date du 11 octobre 1988. Pour chaque transaction, elle se décompose en trois parties :
- un montant fixe de 0,1067 euros ;
- un montant proportionnel équivalent à 0,21 % du montant de la transaction ;
- un autre montant proportionnel, appelé le « taux interbancaire de cartes en opposition » (TICO), qui est variable car il est déterminé sur une base bilatérale entre les banques en fonction du taux de fraude constaté par l'une vis-à-vis de l'autre. Dans les faits, il est nettement inférieur à au premier montant proportionnel.
La CIP a, en fait, plusieurs objets que reflète bien sa composition. Elle couvre des coûts fixes liés au traitement de la transaction (infrastructures, gestion des réclamations, etc.). Elle garantit également que le commerçant sera payé. En cas de fraude, c'est la banque du client qui subit le préjudice. Le montant prélevé en fonction de la transaction correspond donc à une forme d'assurance. Enfin, le TICO s'apparente à un mécanisme incitatif de lutte contre la fraude. En effet, plus elle diminue et plus le TICO baisse.
Le Gouvernement n'a pas été en mesure de transmettre à votre rapporteur général un ordre de grandeur des CIP payées chaque année.
B. LA « COMMISSION COMMERÇANT »
La « commission commerçant », pour sa part, est indépendante de la transaction évoquée ci-dessus. Elle est librement négociée, a priori , entre le commerçant et sa banque. Elle constitue le prix d'un service.
La « commission commerçant » est donc soumise à la concurrence. Par exemple, les acteurs de la grande distribution, qui disposent d'un réel pouvoir de négociation, lancent régulièrement des appels d'offres à ce titre. Les profils de facturation sont aussi divers que le permet la liberté contractuelle : la commission peut être forfaitaire, proportionnelle en fonction du montant des transactions ou bien les deux.
D'après les informations transmises par le Gouvernement à votre rapporteur général, le montant moyen des « commissions commerçant » s'élèverait, pour un panier moyen de 50 euros, entre 0,48 % et 0,50 % de ce montant.
C. DANS QUELLE PROPORTION LA CIP EST-ELLE RÉPERCUTÉE AU COMMERÇANT ?
Par nature « interbancaire », la CIP s'inscrit dans le cadre d'une relation d'une banque vis-à-vis d'une autre banque à laquelle tant le client que le commerçant sont étrangers.
La CIP n'est pas répercutée, en tant que telle, sur le commerçant - au sens où elle ne lui est pas directement facturée. En revanche, il va de soi que, pour chaque transaction, la banque du commerçant a tout intérêt à ce que la « commission commerçant » qu'elle perçoit soit supérieure à la CIP dont elle s'acquitte. Rien n'interdit au demeurant que la même banque, pour des raisons commerciales, choisisse de « perdre » de l'argent sur les transactions par cartes bancaires effectuées chez tel ou tel commerçant.
La « commission commerçant » n'est donc pas définie en fonction de la CIP. La capacité de négociation du commerçant est, en revanche, primordiale. Dans ce contexte cependant, les commerçants, surtout les plus petits d'entre eux, ont l'impression que la CIP leur est indirectement et indûment facturée par répercussion sur le prix de la « commission commerçant ».
Ainsi, en 2009, l'Autorité de la concurrence, saisie notamment par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), a ouvert une enquête afin de déterminer si le montant actuel des CIP rémunère, dans des justes proportions, le service rendu par les banques et s'il ne contribue pas à une hausse artificielle du prix des services bancaires et, en particulier, des « commissions commerçant ». Elle devrait rendre sa décision dans le courant de l'année 2011.
II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Le présent article additionnel résulte d'un amendement de nos collègues députés Richard Mallié, Bernard Debré et Françoise Branget et de deux sous-amendements du Gouvernement. Notre collègue député Gilles Carrez, rapporteur général, a indiqué que la commission des finances s'était « montrée très réservée sur cet amendement » mais elle a donné un avis favorable aux sous-amendements.
Dans le dispositif initial de l'amendement, ses auteurs entendaient compléter l'article L. 112-11 du code monétaire et financier 2 ( * ) afin de préciser que « les frais facturés par le prestataire de paiement pour les opérations par carte de paiement sont déterminés en fonction des coûts réels supportés par le prestataire de paiement , sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel » et, en tout état de cause, ne dépassent certains plafonds prescrits par l'amendement. Toute pratique venant en contradiction avec ces dispositions était susceptible d'une amende à hauteur de 1 % du produit net bancaire.
Toutefois, afin d'assurer la sécurité du système de paiement, l'amendement instituait une « taxe additionnelle sur le chiffre d'affaires des cartes de paiement des établissements bancaires », dont le taux était fixé à 0,1 %.
Néanmoins, deux sous-amendements du Gouvernement ont profondément remanié le dispositif de l'amendement. Ainsi, le premier sous-amendement a remplacé les alinéas 2 à 7 par un alinéa unique (alinéa 2) qui prévoit désormais que les « commissions interbancaires perçues au titre d'une opération de paiement par carte de paiement ne doivent pas s'éloigner de façon abusive des coûts réels supportés par le prestataire de services de paiement qui les facture ».
Par ailleurs, l'alinéa 3 , non modifié par les sous-amendements, dispose que « au cours du mois de janvier de chaque année, est porté à la connaissance du bénéficiaire un document distinct récapitulant le total des sommes perçues par le prestataire de paiement au cours de l'année civile précédente au titre des frais facturés fixés contractuellement. Ce récapitulatif distingue, pour chaque catégorie de produits ou services, le sous-total des frais perçus et le nombre de produits ou services correspondants ».
Aux termes de l'alinéa 4, dans sa rédaction issue du second sous-amendement, la méconnaissance des dispositions de l'alinéa 3 est punie « de la peine d'amende prévue pour les contraventions de cinquième classe » 3 ( * ) . Conformément à l'article L. 316-1 du code monétaire et financier, le contrôle sera effectué par des agents de la Banque de France et des fonctionnaires de la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes.
Article L. 316-1 du code monétaire et financier « Des agents de la Banque de France commissionnés par le ministre chargé de l'économie et des fonctionnaires habilités [...] sont qualifiés pour procéder dans l'exercice de leurs fonctions à la recherche et à la constatation par procès-verbal des infractions [...] « Ces agents peuvent accéder à tous les locaux à usage professionnel et demander la communication des livres et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications. [...] « En cas d'opposition du responsable des lieux, la visite ne peut se dérouler qu'avec l'autorisation du procureur de la République du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux. Le secret professionnel ne peut être opposé aux agents agissant dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés par le présent article. « Pour les infractions sanctionnées pénalement, les procès-verbaux sont transmis au procureur de la République dans les cinq jours suivant leur établissement. Dans tous les cas, une copie du procès-verbal est remise à l'intéressé. » |
Enfin, l'alinéa 5 prévoit que les alinéas 2 et 3 s'appliquent à compter de l'exercice 2010 mais l'envoi du document visé à l'alinéa 3 peut intervenir jusqu'au 31 mars 2011.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Votre rapporteur général approuve les principes posés par le présent article. Le paiement par carte bancaire constitue un service que les commerçants et les consommateurs doivent rémunérer de manière appropriée.
Les commissions interbancaires ne sont pas payées par les commerçants mais il est indéniable qu'ils en supportent indirectement une partie du coût. Il est donc souhaitable que leur montant ne s'éloigne pas « de façon abusive » des charges réellement supportées par les prestataires de paiement.
De même, l'envoi aux commerçants d'un récapitulatif annuel des frais facturés relève d'une mesure de transparence - le pendant de ce qui a été adopté dans la loi de modernisation de l'économie pour les particuliers - qu'il convient de saluer.
L'adoption de ce dispositif devra conduire à envisager une révision plus globale de la réglementation applicable aux frais relatifs aux paiements par carte bancaire de telle sorte que les dispositions issues du présent article ne fassent pas cavalier seul au sein du code monétaire et financier.
A ce titre, l'enquête en cours de l'Autorité de la concurrence devrait permettre de mieux apprécier la réalité des commissions perçues par les banques et pourra fournir une base solide à une évolution législative de plus grande ampleur.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
* 1 Source : rapport d'activité 2009 du GIE Cartes bancaires.
* 2 Cet article autorise, par exemple un commerçant, à appliquer des frais ou, à l'inverse, une réduction en fonction du mode de paiement utilisé.
* 3 Contraventions d'un montant allant de 1 500 à 3 000 euros (article 131-13 du code pénal).