Lundi 29 avril 2024

- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de M. Bruno Fievet, président de la commission « Accession sociale, copropriété, syndic » de l'Union sociale pour l'habitat (USH) et directeur général de Coopalis et Coopéa, et de Mme Chrystel Gueffier-Pertin, responsable du département « Accession sociale, vente HLM, copropriété, syndic » de l'USH

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Bruno Fievet, président de la commission « Accession sociale, copropriété, syndic » de l'Union sociale pour l'habitat (USH) et directeur général de Coopalis et Coopéa, et de Mme Chrystel Gueffier-Pertin, responsable du département « Accession sociale, vente HLM, copropriété, syndic » de l'USH.

Le rôle des bailleurs sociaux comme syndics de copropriété est trop peu connu, sans doute parce qu'il ne s'agit pas de leur fonction première. On place du reste peut-être trop d'espoirs dans les capacités d'action de ces derniers, comme l'ont montré les débats sur le syndic d'intérêt général auxquels a donné lieu l'examen de ce qui est devenu la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. Certains souhaitaient, en effet, que les bailleurs sociaux soient massivement et automatiquement chargés de cette mission, tandis que l'USH était plus prudente, appelant à travailler sur la base du volontariat.

Pourriez-vous, monsieur, madame, nous dresser un état des lieux des bailleurs qui exercent le métier de syndic et nous indiquer leurs spécificités, la manière dont ils envisagent ce rôle et dont ils peuvent s'emparer de la mission de syndic d'intérêt général qui leur a été reconnue par la loi ?

Je souhaiterais ensuite que vous puissiez aborder la question des copropriétés issues des ventes HLM. Quelle est l'ampleur du sujet ? Constatez-vous des difficultés spécifiques ? N'y a-t-il pas un risque de privatisation du parc social, avec des dérives possibles ? Je sais que les sociétés coopératives d'HLM (Coop'HLM) ont une expérience particulière en matière d'accession sociale à la propriété, et que les situations peuvent différer selon l'histoire des immeubles mis en copropriété.

Je souhaiterais, enfin, que vous puissiez préciser la nature des interventions des bailleurs sociaux dans les copropriétés en difficulté, plus particulièrement dans les programmes mis en oeuvre par les pouvoirs publics. Dans quelle mesure le portage, voire la transformation de ces copropriétés en logements sociaux - à l'inverse de la vente sociale - peuvent-ils être une solution ?

Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite, monsieur Fievet, madame Gueffier-Pertin, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Fievet et Mme Chrystel Gueffier-Pertin prêtent serment.

M. Bruno Fievet, président de la commission « Accession sociale, copropriété, syndic » de l'Union sociale pour l'habitat et directeur général de Coopalis et Coopéa. - Je vous remercie de nous donner l'occasion d'évoquer un rôle méconnu et pourtant bien réel de l'USH, que l'on associe naturellement aux services d'intérêt général et à ce qui relève du public, tandis que les copropriétés relèvent du droit privé.

Les organismes de logement social (OLS) ont en effet développé différentes activités qui permettent d'assurer une interface entre ces deux domaines, que ce soit par l'accession sociale à la propriété, proposée notamment par les coopératives HLM, mais pas seulement, par la vente HLM, qui a instauré un régime singulier, qui, au fil du temps, s'est vu encadré de manière à éviter la paupérisation des copropriétés, ou encore par la captation, dont le volume est encadré par la loi, de copropriétés issues de la production strictement privée, que les OLS peuvent notamment accompagner par l'instauration de syndics solidaires.

Les OLS ont par ailleurs été amenés à s'investir auprès des copropriétés en difficulté, au travers notamment d'actions publiques telles que les opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), le plan Initiative Copropriétés (PIC) ou les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah).

Aujourd'hui, un peu plus de 180 000 lots de copropriété sont gérés par des organismes HLM. Il convient d'y ajouter l'important contingent de logements gérés par les sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (Sacicap), regroupées au sein de Procivis, qui est membre de l'Union sociale pour l'habitat, dont la mission de service d'intérêt général, si elle diffère de celle que les organismes locatifs sociaux peuvent porter directement, n'en est pas moins réelle.

Ces 180 000 logements étant issus de la vente HLM et de l'accession sociale, il était naturel que les organismes ayant permis à des ménages de devenir pleinement propriétaires puissent accompagner ces accédants en siégeant au conseil syndical des copropriétés concernées.

Pendant dix ans, les organismes HLM ont, du reste, la possibilité de gérer une copropriété dont ils étaient bailleurs sans être tenus d'organiser l'élection d'un syndicat. Ils peuvent ainsi mener un certain nombre d'actions, dans le cadre de la loi et au-delà, de manière à assurer l'entretien des parties communes des copropriétés concernées.

Le droit a ensuite permis aux copropriétés, sous certaines conditions, de rester sous l'égide d'un OLS. Cette singularité a permis que la vente HLM ne s'accompagne pas, sauf dans quelques rares exceptions, d'une paupérisation des copropriétés concernées, qui, au contraire, ont bien souvent des moyens financiers suffisants pour anticiper les difficultés que l'entretien du bâti ou certaines dépenses peuvent emporter pour les copropriétaires.

De manière générale, l'accompagnement social a joué le rôle d'un garde-fou au regard de la lente dérive que l'on observe depuis une vingtaine d'années dans certaines copropriétés. Il nous permet d'accompagner les mutations, en particulier relatives aux dépenses énergétiques et à l'adaptation au changement climatique. J'estime donc que les copropriétés qui en bénéficient se trouvent dans une situation favorable.

Cet accompagnement est limité à une dizaine d'années et à un certain nombre de logements qui, au sein de la copropriété, n'auraient pas été vendus par l'organisme de logement social. Au bout de dix ans, le travail de pédagogie qui a été mené doit permettre de pérenniser l'action de l'OLS.

Aujourd'hui, environ 55 % des copropriétés sont gérées par des OLS, le reste étant réparti, à parité, entre les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) et les coopératives HLM.

J'en viens aux interventions des organismes HLM auprès des copropriétés dégradées, notamment dans le cadre des Opah, du PIC et des Orcod.

Lors d'un tour de table, Mme Wargon, alors ministre chargée du logement, m'avait interrogé sur le nombre de ces interventions, mais, aucun recensement de ces actions n'ayant été effectué à ce stade, il m'avait été bien difficile de lui répondre. Sur une suggestion de la commission que je préside, Emmanuelle Cosse et Marianne Louis ont, par la suite, validé un recensement des actions menées, permettant tant à l'USH qu'à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui est porteuse du développement du PIC, d'avoir une lecture assez fine de ce que nous étions en capacité de faire.

La commission s'efforce, par ailleurs, d'établir une sorte de vade-mecum destiné aux organismes sociaux qui peuvent être saisis, non seulement dans le cadre du PIC, c'est-à-dire généralement dans des copropriétés qui ont des singularités fortes, mais aussi par des élus locaux dans des villes moyennes pour accompagner des copropriétés qui ne sont pas encore dégradées, mais qui sont en passe de l'être.

Nous venons de publier un premier document intitulé Mieux connaître et valoriser l'intervention des organismes HLM dans le plan Initiative Copropriétés, à destination des organismes et des élus. J'en tiens un exemplaire à la disposition de votre commission d'enquête.

Nous sommes très sollicités au titre de notre savoir-faire en matière de gestion et de portage. Comme les autres parties prenantes, nous sommes toutefois confrontés à des difficultés qui tiennent à la temporalité dans laquelle les logements, qui ont été acquis ou doivent l'être par un établissement public foncier, se libèrent. Il faut ensuite reloger correctement les personnes concernées, qui sont souvent éligibles au logement locatif social, alors que les vacances de tels logements sont de plus en plus rares. Au regard des moyens - notamment humains et informatiques - nécessaires, la gestion de tels lots est très difficile à équilibrer sur le plan économique, à plus forte raison lorsque le syndic est solidaire.

Du fait de l'évolution du marché de l'immobilier dans sa globalité, les organismes HLM sont très fréquemment sollicités par des élus de communes de toutes tailles confrontés à des problématiques de vieillissement de certains bâtiments et de réel appauvrissement des personnes qui y résident. Ils se tournent donc vers les OLS et les ESH pour gérer des logements privés qui, au regard de la situation sociale et économique de leurs habitants, relèvent de fait davantage du logement social.

Un travail réalisé par le mouvement Solidaires pour l'habitat (Soliha) pour l'USH montre la grande diversité des interventions des OLS dans les territoires. Il y a non pas une, mais des solutions qui permettent aux organismes sociaux de contribuer, par leur action, aux politiques sociales en faveur des communes.

Comme vous le savez, l'USH a souhaité l'instauration du dispositif du syndic d'intérêt collectif par la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé.

Dans le cas où le juge désigne un mandataire ad hoc, celui-ci encadre l'action du syndic existant, qui reste en place. Si le juge désigne un administrateur provisoire, l'OLS peut, à sa demande, devenir syndic ou accompagner le syndic existant. La loi a donné la possibilité aux OLS de devenir, de droit, syndic d'intérêt collectif, quand un arrêté préfectoral doit autoriser un syndic classique qui souhaite se prévaloir de cette qualité.

Dans le cas où un mandataire ad hoc est désigné, la situation est plus complexe, car trois parties doivent travailler ensemble. Or il faut reconnaître que bien souvent, les mandataires n'y connaissent pas grand-chose, ce qui aboutit parfois à une aggravation de la situation initiale. C'est hélas ! une réalité à laquelle bon nombre d'élus et d'OLS sont confrontés au niveau local.

Comme je l'indiquais précédemment, au regard des moyens humains et informatiques nécessaires, il s'agit d'une activité qui n'est pas simple à équilibrer financièrement. Si les OLS, en la matière, n'ont pas tout à fait les mêmes attendus qu'une société privée, il faut tout de même qu'ils puissent espérer un retour sur les moyens humains et matériels engagés.

Je regrette que le droit ne permette pas une intervention en amont de la désignation d'un mandataire ou d'un administrateur provisoire par le juge. De fait, j'estime que, pour les grands sites faisant l'objet d'une Orcod ou d'une Opah, il sera nécessaire de dégager des moyens financiers publics au sens large, car les copropriétés ne seront pas en mesure de financer ces opérations. Si nous voulons que les syndics d'intérêt collectif se développent, une réflexion en ce sens devra être menée par le Parlement, en associant l'ensemble des professionnels.

Les élus seront sans doute tentés de s'en remettre aux OLS, mais, si l'on veut que le dispositif du syndic d'intérêt collectif prospère et qu'il soit efficace, il faudra consacrer des moyens financiers spécifiques à ces opérations. Cela est du reste d'autant plus vrai pour les syndics classiques qui souhaiteraient s'inscrire eux aussi dans une telle démarche.

Je tiens enfin à souligner l'action de l'association QualiSR, qui certifie les organismes, qu'ils soient OLS ou non, compétents pour accompagner les copropriétés en difficulté.

Mme Chrystel Gueffier-Pertin, responsable du département « Accession sociale, vente HLM, copropriété, syndic » de l'USH. - Les organismes HLM sont l'un des acteurs des opérations complexes qui visent à améliorer les situations de fragilité des copropriétés et les dysfonctionnements repérés dans la longue durée. Leur expertise multidisciplinaire est aujourd'hui mieux identifiée par les acteurs de la copropriété.

Les bailleurs HLM ont en effet eu l'occasion de démontrer leur professionnalisme dans le cadre d'un grand nombre d'interventions, que ce soit dans le cadre du portage ciblé de lots, qui vise à remettre à flot la copropriété avant de revendre les lots en accession sociale, ou du portage massif, qui a pour objectif de modifier la gouvernance et les équilibres sociaux de la copropriété par l'acquisition d'un nombre important de lots sur une durée de dix à quinze ans, créant, à terme, une copropriété mixte qui pourra poursuivre son existence de manière autonome. Une troisième possibilité, lorsque de lourdes difficultés sociales, financières ou de bâti ont été identifiées, est le portage complet de recyclage. L'organisme HLM rachète alors la totalité des lots pour les transformer en HLM, et, lorsque ce n'est pas possible, la copropriété est vouée à la démolition.

Quelle qu'en soit l'étendue, cette activité de portage de lots nécessite, de la part des organismes, une expertise forte.

Les organismes peuvent également s'acquitter de missions d'administration de biens, de gérance locative, ou encore de relogement, sujet qui mobilise fortement les organismes, qu'ils soient opérateurs de portage ou mis à contribution au relogement dans la mesure où ils possèdent un parc locatif social à proximité du site concerné. Enfin, la mission de syndic de redressement nécessite une expertise et des savoir-faire pointus.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Les espoirs que suscitent les OLS sont très forts et sans doute trop nombreux, d'autant que le contexte actuel de crise du logement exacerbe toutes les tensions.

La question de l'information préalable est souvent revenue au fil de nos auditions. Il s'agit, en effet, d'un moment charnière, car il faut que les locataires puissent appréhender les changements qu'emporte le passage à un statut de propriétaire. Comment accompagnez-vous les locataires dans ce moment charnière ?

Notre commission s'intéresse aux petites copropriétés, de moins de dix ou vingt logements, qui peinent à trouver un syndic faute de présenter une rentabilité suffisante. Les OLS pourraient-ils se positionner pour répondre à ce besoin, en mutualisant peut-être plusieurs petites copropriétés ? Celles-ci demeurent une sorte d'impensé, alors qu'elles existent bel et bien et continuent de se dégrader.

Par ailleurs, des formations spécifiques sur le métier de syndic sont-elles prévues pour les OLS ? Le cas échéant, rencontrent-elles des résistances ?

Quelles bonnes pratiques partenariales pourrait-on imaginer pour simplifier le schéma dans lequel vous intervenez, qui est marqué, comme cela a été dit, par une multiplicité d'acteurs ? Quels seraient les points à améliorer et les points forts à préserver ou consolider ?

M. Bruno Fievet. - Il existe non une, mais des pratiques. Il existe presque autant de pratiques que d'organismes de logement social. On ne devient pas syndic de copropriété par hasard : cela provient souvent d'une réflexion mesurée de la part des gouvernances de nos organismes, que cela concerne des ventes HLM ou des copropriétés issues d'accessions sociales à la propriété. Il n'y a ni plus ni moins d'accompagnement dans l'un ou l'autre cas. Dans le cas d'une vente HLM, l'OLS dispose, en revanche, de conditions très préférentielles, car il est porteur de droit et place sa compétence technique en gestion patrimoniale et sociale au service de l'opération.

Nous avons des formations propres au mouvement de l'USH, notamment à travers l'Association pour la formation professionnelle continue des organismes de logement social (Afpols), qui propose régulièrement des formations au développement d'une activité de syndic de copropriété. Chaque famille HLM - offices publics de l'habitat (OPH), ESH, coopératives - développe aussi sa singularité de fonctionnement. La Fédération nationale des sociétés coopératives d'HLM, dont je suis issu, organise régulièrement en son sein des formations pour ses collaborateurs pour présenter les singularités de son fonctionnement en tant que syndic.

La spécificité des copropriétés est donc bien prise en compte. Elle l'est, certes, à l'intérieur d'un cadre légal exigeant, celui de la loi du 10 juillet 1965, mais nous nous efforçons cependant de développer des approches singulières - sans aller évidemment à l'encontre de la loi ; bien au contraire -, par le biais, par exemple, de visites mensuelles avec le conseil syndical, de tenues d'assemblées générales extraordinaires ou via une codification des coûts qui diffère de celle que l'on peut retrouver dans un syndic privé. On peut aussi faire bénéficier les coopératives de contrats de service au coût avantageux pour la gestion des parties communes, les OLS pouvant avoir accès à un certain nombre de choses par la commande publique. Cette particularité est développée au coup par coup, quelle que soit la famille concernée - coopératives, ESH, offices.

Néanmoins, il est plus facile d'agir en cas de vente HLM, où nous sommes leaders, que dans le cas d'une vente classique, où l'on peut, pour des raisons financières tenant à quelques euros, être mis en cause dans son rôle de syndic au bout d'un, deux ou trois ans de mandat. Cela peut être vécu comme un échec.

Derrière toute action, il faut des moyens humains. Il n'y a pas de secret. Si l'on veut être présent dans les copropriétés, il faut pouvoir les visiter, il faut pouvoir répondre aux sollicitations et avoir une connaissance intime et fine des endroits concernés. Si les ratios, par lot, en hommes et en équipes, diffèrent parfois selon les organismes, ils sont toujours constitués dans un souci de bon fonctionnement.

Pour ce qui concerne les ventes HLM, il n'y a pas une, mais des manières de faire. Plusieurs organismes prévoient une acculturation pour les nouveaux propriétaires, qui peuvent trouver rassurant que le bailleur social qui leur a vendu le bien soit toujours présent. On pourrait s'attendre à trouver une certaine défiance, puisqu'ils sortent du logement social et peuvent avoir envie de s'en libérer par l'accès à la propriété, mais la relation demeure, en réalité, de plutôt bonne qualité. Cela passe par une formation, utile, des syndicats de copropriétaires. La Fédération des coopératives met en avant, deux fois par an, une formation des syndicats de copropriétaires de façon à aborder des sujets d'ordre technique, juridique ou financier, pour les rendre plus acteurs de la copropriété. Compte tenu de la règle de la majorité qualifiée inscrite dans la loi de 1965, qui donne souvent, malheureusement, raison aux absents, l'enjeu est aussi de voir comment relayer l'information au mieux au quotidien par le biais du syndicat des copropriétaires et défendre notamment l'utilité de participer aux assemblées générales.

Cette singularité est développée, mais reste assez méconnue, car nous représentons peu de copropriétés par rapport à la totalité des copropriétés recensées au niveau national. Ce sujet est néanmoins porté par les bailleurs sociaux de façon récurrente.

Pour ce qui est des petites copropriétés, elles sont le trou dans la raquette. Notre action professionnelle a été récemment reconnue dans les grandes préoccupations de politiques publiques de l'USH que représentent le PIC et les Opah. Nous devions faire un point à ce sujet, pour voir comment nous pourrions nourrir professionnellement les bailleurs sociaux, dans leur pluralité, de ce qui se fait de bien et de moins bien à droite et à gauche : à Nîmes, Montpellier, Grigny ou Clichy.

Nous n'avons pas de réponse aujourd'hui pour les petites copropriétés. C'est peut-être un dossier à ouvrir et à travailler. Nous sommes confrontés de toute évidence à un problème d'équilibre économique. Je ne suis pas certain qu'il y ait une solution émanant de l'USH. Les solutions sont à chercher aussi du côté de l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) et de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), dont nous nous sommes rapprochés après en avoir été longtemps éloignés. Nous avons eu l'occasion de construire des ponts, notamment entre l'Unis et la Fédération des coopératives, à l'initiative de Marie-Noëlle Lienemann, ce qui permet de mieux de se comprendre, de participer à une réflexion professionnelle et de développer un regard constructif sur les petites copropriétés.

Pour ce qui est des partenariats, le ministre organise des réunions annuellement sur les PIC, souvent en présence de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif), des élus ou du groupe Caisse des dépôts et consignations - Habitat (CDC Habitat), qui reconnaissent la nécessité d'avoir des organismes HLM ainsi que l'action menée. La temporalité complexe que j'évoquais reste toutefois difficile à appréhender et vient percuter la volonté légitime des élus de voir évoluer les dossiers rapidement.

De petits organismes participent également à ces réunions. J'ai eu l'occasion de discuter avec le directeur général de Guingamp Habitat, en Bretagne, qui a pu mener une action avec le maire sur une petite copropriété dégradée. Le bâtiment a fait l'objet d'une reprise totale pour faire de l'accession sociale à la propriété et du locatif social. Cette opération a été une réussite, car l'élu a compris la nécessité d'intervenir rapidement et de mobiliser des moyens financiers de façon préventive. Mais cela ne correspond pas forcément à l'échelle des dossiers importants sur lesquels nous pouvons réfléchir, pour 17 sites nationaux notamment, où l'amélioration des moyens humains et financiers pourrait faciliter les relogements.

La mise à disposition des logements, c'est-à-dire leur libération par des personnes qui les occupent légitimement ou par d'éventuels squatteurs, demeure cependant peu aisée. L'OLS ne peut agir seul sur ce point. Il faut l'intervention de la force publique.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Comment informez-vous les locataires auxquels la vente est proposée ? Comment leur décrivez-vous ce qu'implique le statut de copropriétaire, en matière d'engagements, de travaux, etc. ? Avez-vous une démarche particulière sur ce point, pour qu'ils puissent se porter acquéreurs en connaissance de cause ?

Mme Chrystel Gueffier-Pertin. - Je vais revenir sur quelques règles et dispositifs en vigueur en matière de vente HLM. La vente de patrimoine reste à l'initiative de l'organisme HLM et de lui seul, qui inscrit sa politique de vente dans son plan stratégique de patrimoine. Ne peuvent être mis en vente que des logements dont il est propriétaire depuis plus de dix ans. Ces logements doivent répondre à des normes d'habitabilité minimale ainsi qu'à des normes de performance énergétique : le diagnostic de performance énergétique (DPE) doit être classé entre A et E. Les patrimoines classés F et G ne sont donc pas proposés à la vente aux locataires, sauf dans le cadre d'un contrat de vente d'immeubles à rénover. Dans ce dernier cas, les normes d'habitabilité et de performance énergétique doivent être remplies après la réalisation des travaux.

Plusieurs dispositions contribuent à la surveillance du bon fonctionnement de la copropriété mixte, qui est créée dès la vente du premier logement. L'organisme HLM vendeur peut ainsi, s'il le souhaite, être syndic de droit tant qu'il détient un logement dans la copropriété. Le syndic est tenu de présenter une fois par an devant l'assemblée générale des copropriétaires la liste des travaux d'amélioration des parties communes et des éléments d'équipements communs qu'il serait souhaitable d'entreprendre, accompagnée de l'évaluation du montant de ces travaux, ce qui me paraît essentiel pour l'information des copropriétaires.

L'organisme HLM doit aussi communiquer des informations préalablement à la vente, pour que les ménages concernés s'engagent en toute connaissance de cause. Il doit donc préciser le montant des charges locatives et, le cas échéant, si l'immeuble était déjà en copropriété, le montant des charges de copropriété des deux dernières années, la liste des travaux réalisés sur les cinq dernières années, et, dans la mesure du possible, une liste de travaux d'amélioration des parties communes et des équipements collectifs qu'il serait souhaitable d'entreprendre, accompagnée du montant global de ces travaux et de la quote-part du futur accédant. Ces dispositions permettent aux futurs accédants d'intégrer au préalable ces futures dépenses dans leur plan de financement.

La grande majorité des organismes HLM réalisent cependant les travaux les plus importants avant la mise en vente de leur patrimoine, pour s'assurer que ces nouvelles copropriétés créées n'engendreront pas de charges de copropriété importantes à court et moyen termes, dans les cinq à dix ans, pour les nouveaux accédants.

L'organisme HLM, tant qu'il est copropriétaire d'un logement dans la copropriété mixte, peut également mettre son personnel à la disposition du syndicat des copropriétaires pour des missions de gardiennage ou d'entretien technique courant, ce qui contribue au bon fonctionnement des équipements communs.

Enfin, d'autres mesures sont prévues pour sécuriser les accédants, qui sont des primo-accédants. En effet, neuf fois sur dix, en cas de vente d'un logement au locataire en place ou en cas de vente d'un patrimoine locatif vacant, les accédants sont des primo-accédants. Pour sécuriser leur parcours résidentiel, une clause de rachat est prévue dans les contrats depuis la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, pour toute vente consentie à une personne située sous le plafond de ressources de l'accession sociale. Pendant dix ans, le ménage concerné a la garantie qu'en cas d'impossibilité de trouver par lui-même un nouvel acquéreur, l'organisme HLM vendeur lui rachètera son logement. Cela requiert toutefois des faits générateurs spécifiques : une perte d'emploi, la rupture du cadre familial ou des raisons de santé. Plusieurs dispositions législatives existent donc pour sécuriser les nouveaux accédants, qui sont très souvent des primo-accédants.

L'organisme HLM vendeur réalise tout un travail de pédagogie en amont, au moment de la mise en vente du logement, mais aussi une fois le logement vendu. Les organismes HLM qui exercent le métier de syndic nous disent qu'ils réunissent régulièrement les nouveaux accédants pour des réunions d'information et leur communiquent des guides du copropriétaire, pour qu'ils comprennent bien leurs droits, mais également leurs devoirs. En tant que copropriétaires, ils sont en effet tenus de participer au bon entretien des parties communes et des équipements collectifs, ce qui n'est pas toujours forcément bien compris, ces questions ne se posant pas lorsque l'on est locataire. Le souci d'accompagner les ménages dans leur parcours résidentiel vers l'accession dans les meilleures conditions est donc bien réel.

M. Bruno Fievet. - L'Afpols oeuvre pour faire comprendre cela aux organismes qui suivent ses formations, que ce soit pour organiser une formation complémentaire récurrente à l'activité de syndic pour leurs collaborateurs ou parce qu'ils accèdent à cette nouvelle fonction du fait de l'évolution de leur gouvernance et de leur offre d'activités. La nécessaire implication des futurs copropriétaires dans les engagements qui seront les leurs et les contraintes qui pourront se présenter fait partie du plan de formation préconisé par cet organisme, très proche de l'USH.

M. Laurent Burgoa. - Avez-vous des statistiques nationales sur le nombre de bailleurs sociaux qui ne souhaitent pas exercer le métier de syndic de copropriété, encore moins dans un parcours résidentiel d'accession à la propriété ? En tant que sénateur du Gard, j'en connais certains, dont les conseils d'administration ont fait des choix que je n'ai pas à commenter. Ce type de dispositif me paraît pourtant capital.

En cas d'Orcod d'intérêt national, par exemple, un partenariat public-privé entre les établissements publics fonciers (EPF) impliqués et un ou plusieurs bailleurs sociaux me paraît indispensable pour mener à bien l'opération. Qu'en pensez-vous ?

M. Bruno Fievet. - Ce dernier point correspond à une réalité. Nous sommes partie prenante, légitimement, de ce que vous décrivez, même si j'ai indiqué, dans mon propos liminaire, que l'on pouvait trouver étrange qu'une branche professionnelle de service d'intérêt général s'intéresse à la copropriété privée. Il s'agit de territoire, d'urbanisme. De même que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a eu des vertus, le rôle que nous avons à jouer sur ce point est évident.

Mme Chrystel Gueffier-Pertin. - L'USH dispose d'un observatoire de la vente HLM depuis quelques années. Concernant la vente de patrimoines locatifs sociaux, environ 11 000 ventes sont réalisées chaque année à des personnes physiques, par environ 65 % des organismes HLM. Quelques organismes HLM n'agissent donc pas dans ce domaine, pour plusieurs raisons. Je mets de côté les ventes en bloc entre organismes HLM, qui ne concernent pas notre sujet, puisqu'elles ne génèrent pas de copropriétés.

Pour ce qui concerne l'activité de promotion immobilière sociale, de construction, d'accession sociale à la propriété, environ 320 organismes y travaillent, qui commercialisent en moyenne 7 500 logements par an. Selon les formes urbaines - habitat individuel ou collectif -, cela génère des copropriétés qui seront ensuite parfois gérées par l'organisme HLM maître d'ouvrage, qui voudra, après avoir livré son opération, continuer son action pour accompagner les nouveaux copropriétaires dans leur statut. Il aura donc à coeur d'exercer le métier de syndic solidaire pour ces nouvelles copropriétés créées. Comme pour la vente HLM, la plupart des organismes HLM vendeurs de patrimoine prennent ensuite le mandat de syndic de droit au sein des nouvelles copropriétés.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avant de lui donner la parole, j'invite M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires de l'USH, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Galewski prête serment.

M. Antoine Galewski, directeur des relations institutionnelles et parlementaires de l'USH. - Très peu de bailleurs sociaux rechigneront à entrer dans une activité susceptible de générer un revenu. La vente HLM nous a été proposée par les pouvoirs publics. La législation à ce sujet s'est construite au fil de l'eau, le plus souvent à notre demande, car nous avons appris de nos erreurs - il y en a eu au début -, et nous continuons à apprendre. Cependant, derrière chaque bailleur social, il y a une gouvernance. Des orientations sont décidées, que nous constatons et qui jouent, ou non, à notre avantage. Les bailleurs sociaux font avec. L'équation économique n'est pas forcément facile à résoudre. Les bailleurs font des choix parmi tous les outils qui leur sont offerts, en lien avec leurs gouvernances. Certaines sont allées fortement vers la vente HLM.

Environ 11 000 logements sont concernés. On pourrait en faire cinq fois plus. Si nous ne le faisons pas, cela tient à des choix politiques, mais aussi et surtout à des choix économiques. Nous avons voulu que la vente HLM soit bien encadrée du point de vue législatif, pour protéger les bailleurs sociaux et le patrimoine HLM, mais surtout pour protéger les locataires. La vente HLM date d'il y a un petit moment. Sur les premières opérations, certaines choses ont été faites. À une certaine époque, dans un territoire que Mme la présidente connaît bien, des candidats se sont implantés à certains endroits en proposant l'achat de patrimoine à 1 euro aux veuves de mineurs. Or les gens ont découvert ensuite qu'après le départ du bailleur social il revenait aux propriétaires de faire les travaux, ce qui a suscité une certaine déception.

Nous sommes à la fois des agents économiques et des agents du territoire. Nous ferons toujours très attention à l'équilibre entre les décisions économiques que nous pouvons prendre - et vous savez combien l'équation économique se complexifie pour les bailleurs sociaux - et le rôle républicain que nous devons jouer dans les territoires. Si une copropriété se trouve en difficulté de notre fait, c'est catastrophique pour l'image du logement social et du bailleur social. Il perdra en aval - dix fois plus - le peu de gain qu'il aura fait sur des choix malheureux. Nous avons une responsabilité sur ce point, que nous prenons très à coeur, pour la vente comme pour la copropriété.

Notre intervention sur les copropriétés est récente à l'échelle du logement social. Des élus locaux sont venus nous solliciter. Je pense notamment, en Île-de-France, à un ancien membre du Sénat. Nous avons appris avec les élus locaux à construire une législation et un cadre d'intervention, que nous continuons à renforcer, comme nous l'avons fait pour la vente HLM.

M. Bruno Fievet. - La vente HLM répond aussi, ou pas, à des politiques locales. Moi qui suis breton, j'observe que Rennes Métropole n'accepte absolument pas la vente HLM, pour des raisons d'investissement, considérant que l'État s'est fortement désengagé, alors que Rennes Métropole s'est beaucoup engagé au profit du logement locatif social. Des réalités territoriales politiques très singulières doivent être prises en compte.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avez-vous le sentiment d'un développement du phénomène de paupérisation des copropriétés ? Le cas échéant, avez-vous des chiffres à nous communiquer ?

Les élus locaux confrontés à des copropriétés privées en difficulté vous demandent de les aider. Avez-vous une doctrine spécifique à ce sujet ?

M. Bruno Fievet. - La loi de 1965 date de 1965. Il y a bel et bien une paupérisation depuis plus de cinquante ans. Aucune copropriété n'est épargnée par les problèmes d'impayés, qui vont grandissant dans le contexte de hausse du coût de l'énergie. Nous l'avons constaté, en tant que bailleurs sociaux, à travers les charges que nos locataires sont amenés à honorer, mais il en va de même pour les copropriétés privées. Depuis deux ou trois ans, on observe une accélération de ce phénomène.

Nous discutions récemment avec l'un des porteurs de QualiSR dans le cadre de Procivis. Lui a des chiffres, car Procivis intervient beaucoup au titre des missions sociales et dispose d'un programme important ciblé sur ce point, comportant des engagements financiers significatifs pris auprès du ministre. De fait, la situation d'un certain nombre de copropriétés se dégrade de façon significative.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Avez-vous des chiffres ?

M. Bruno Fievet. - Non, mais les élus y sont sensibles et nous sollicitent régulièrement. Nous n'avons pas toujours la capacité, localement, de leur répondre, car on ne s'improvise pas syndic. Cela nécessite un savoir-faire et une décision. Encore faut-il que la volonté de la gouvernance suive, et chaque organisme est libre de mener sa gouvernance dans un sens ou dans un autre. Toutefois, il s'agit, de fait, d'une préoccupation majeure.

Mme Chrystel Gueffier-Pertin. - Je ne dispose pas de statistiques sur les impayés de charges de copropriété, mais les organismes HLM repèrent les situations de fragilité de leurs copropriétaires, comme pour les locataires, et essaient d'intervenir le plus rapidement et le plus en amont possible pour éviter que ces impayés dérivent. Dès le premier impayé se met en oeuvre un plan d'apurement, ou en tout cas une réaction très opérationnelle de la part de l'organisme HLM, pouvant aller jusqu'à des appels de fonds mensuels. En principe, le syndic fait des appels de fonds trimestriels, à terme à échoir. Pour faciliter la trésorerie des ménages, il est possible de leur proposer de payer tous les mois. Il y a donc vraiment le souci de muscler la partie précontentieuse pour éviter d'arriver à des situations trop compliquées au bout de plusieurs trimestres d'impayés. Ce travail, qui existe en gestion locative, est copié en gestion de la copropriété lorsque l'organisme HLM a cette nouvelle casquette.

M. Antoine Galewski. - Dans les copropriétés où nous n'étions pas majoritaires, nous avons été confrontés à des problèmes pour le lancement de travaux de rénovation énergétique, les copropriétaires n'ayant pas forcément, légitimement, les moyens de les assumer. Nous avons porté des demandes d'évolutions législatives à ce sujet, pour que les bailleurs sociaux puissent mener les travaux nécessaires à la rénovation énergétique des copropriétés, quand bien même les assemblées auraient décidé, pour des raisons légitimes, de ne pas les entamer, car nous avons le sentiment que ce serait une réponse à la fragilisation des copropriétaires. C'est une demande qui vient de chez nous. Les bailleurs sociaux présents dans ces copropriétés, confrontées à une certaine inertie en matière de rénovation énergétique, et qui voyaient les copropriétés plonger à cause de cela, ont demandé à l'État de leur confier le portage de ces travaux, en lien avec les partenaires, pour produire un effet d'impulsion et sortir les copropriétés de leurs difficultés au moins sur cette partie.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci de votre présence et de vos contributions. Les travaux de la commission d'enquête s'achèveront le 31 juillet prochain.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. François Desprat, président, de Mme Florence Tulier-Polge, vice-présidente, et de M. Sébastien Velez, directeur général du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous recevons à présent M. François Desprat, Mme Florence Tulier-Polge et M. Sébastien Velez, en leur qualité respective de président, vice-présidente et directeur général du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), un établissement d'utilité publique, qui représente plus de 450 experts indépendants investis d'une mission de service public.

Aux termes de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, les administrateurs judiciaires peuvent prendre en charge différentes missions au sein de copropriétés fragiles ou paupérisées.

Premièrement, lorsque la collectivité ou les copropriétaires constatent que le taux d'impayés atteint plus de 25 %, ou plus de 15 % pour les plus grosses copropriétés, le juge peut désigner un mandataire ad hoc, afin que ce dernier procède à l'analyse de la situation financière de la copropriété et de l'état de l'immeuble, et formule des préconisations visant à redresser la situation financière du syndicat et à assurer la sécurité des lieux.

Deuxièmement, pour les copropriétés connaissant un déséquilibre financier persistant et dont le syndicat de copropriétaires se trouve dans l'impossibilité de maintenir l'immeuble en bon état, un administrateur judiciaire peut être désigné comme administrateur provisoire. Il est alors chargé de prendre les mesures nécessaires pour rétablir le fonctionnement de la copropriété et dispose, pour ce faire, de tous les pouvoirs du syndic de copropriété, ainsi que de tout ou partie des pouvoirs de l'assemblée générale des copropriétaires et du conseil syndical.

Ces procédures constituent des étapes cruciales pour prévenir la dégradation des copropriétés fragiles et entamer le rétablissement financier des structures déjà dégradées. Néanmoins, leur réussite demeure conditionnée à plusieurs facteurs, tels que la rapidité de la désignation, qui doit intervenir le plus en amont possible afin d'être efficace, et la capacité des copropriétaires à prendre en charge le coût de la procédure ou à disposer d'un accompagnement public en la matière.

Je me réjouis d'entendre vos retours d'expérience sur le sujet et souhaiterais vous poser quelques questions.

Copropriétaires et collectivités sont-ils suffisamment informés quant au rôle et à l'utilité du mandataire ad hoc et de l'administrateur provisoire pour pouvoir saisir le juge, dès que les premières difficultés sont identifiées ? Combien de temps s'écoule en moyenne entre la saisine du juge et la désignation du mandataire ou de l'administrateur provisoire ?

Quels points de blocage identifiez-vous dans l'accomplissement des missions confiées à ces acteurs ? Comment renforcer la portée de leur action ?

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Desprat, Mme Florence Tulier-Polge et M. Sébastien Velez prêtent serment.

M. François Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. - Le CNAJMJ représente 450 professionnels : 150 administrateurs judiciaires et 300 mandataires judiciaires.

Il remplit trois missions principales, dont les deux premières sont liées à des considérations internes : assurer la formation des professionnels, ainsi que de leurs collaborateurs, et organiser les contrôles nécessaires. Sa troisième mission a une portée extérieure puisqu'il s'agit de la défense des intérêts de la profession et de sa représentation. Nous sommes ici présents en vertu de cette dernière.

Les administrateurs et mandataires judiciaires exercent une profession libérale réglementée, soumise à de multiples contrôles. Dans le cadre de nos missions, le tribunal judiciaire, les juges-commissaires et le parquet sont responsables de ces contrôles. En ce qui concerne les fonds que nous détenons, cette mission revient aux commissaires aux comptes. Enfin, le Conseil national met en oeuvre un contrôle triennal.

La très grande majorité des administrateurs et mandataires judiciaires intervient quand des décisions judiciaires ont été prises pour soutenir des entreprises en difficulté, mais une partie d'entre eux agissent dans le cadre de l'administration provisoire de copropriétés en difficulté. La liste nationale des administrateurs judiciaires compte 70 professionnels ayant une spécialité dite « civile », qui correspond à l'ensemble des missions de représentation des personnes ou d'administration de leurs biens auprès des tribunaux judiciaires, dans le cadre de successions litigieuses, d'indivisions conflictuelles ou de copropriétés en difficulté.

Jusqu'en 1994, il n'existait pas de textes relatifs à la copropriété en difficulté et, par défaut, certains tribunaux judiciaires appliquaient aux syndicats en difficulté le droit de la faillite prévu par le code de commerce, qui n'était pas adapté à ces situations. Depuis, le législateur a institué une procédure d'administration provisoire spécifique, décrite dans les articles 29-1 et suivants de la loi du 10 juillet 1965, qui a consisté à donner des pouvoirs de droit commun exorbitants à un administrateur provisoire, ayant de préférence choisi la spécialité civile, afin de redresser des copropriétés caractérisées par leur situation financière obérée ou leur incapacité à assurer la conservation des immeubles concernés.

Ensuite, deux textes ont fait évoluer nos interventions dans ce domaine. D'abord, la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (Molle) a créé le mandat ad hoc de copropriété en difficulté. Puis, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a considérablement étoffé la boîte à outils des administrateurs provisoires de copropriétés dégradées, en créant un véritable droit de la faillite des syndicats en difficulté, qui permet au tribunal d'organiser le paiement des dettes et de restructurer l'ensemble immobilier si nécessaire.

Depuis vingt ans, les administrateurs judiciaires spécialisés dans l'administration provisoire de la copropriété en difficulté sont devenus des acteurs majeurs du redressement des immeubles ou de leur recyclage, en collaboration avec les acteurs publics locaux et nationaux. Le juge leur confère généralement tous les pouvoirs du syndic et de l'assemblée générale des copropriétaires. Ils ont ainsi la capacité de prendre des décisions, dans des délais très courts et sans risque de recours dilatoire des copropriétaires, en matière de travaux urgents ou de procédures de recouvrement visant les copropriétaires débiteurs.

Par ailleurs, leur statut réglementé et leur désignation par décision judiciaire leur confèrent une indépendance et une légitimité qui leur permettent d'agir dans l'intérêt de l'immeuble et de l'ensemble des résidents, sans subir la pression que les copropriétaires pourraient imposer à un syndic professionnel, notamment lorsqu'ils détiennent un nombre de tantièmes suffisant pour faire et défaire les contrats des syndics.

Parallèlement, de nombreux outils facilitant la restructuration juridique et urbaine des immeubles en difficulté sont désormais à leur disposition, sous le contrôle du juge. Ainsi, ils ont le pouvoir de solliciter et d'organiser la division de grands ensembles trop complexes à administrer, mais aussi celui de rétrocéder des parcelles ou des voiries aux acteurs publics locaux. Enfin, lorsque la situation de l'immeuble est désespérée, ils ont la possibilité de solliciter la mise en place d'une mesure de carence auprès du tribunal.

Dans ce contexte et face à un afflux de dossiers, certains tribunaux judiciaires se sont engagés dans un processus de spécialisation, mettant en place de façon permanente des équipes de magistrats, de procureurs et de greffiers, chargés de suivre les procédures relatives à ces immeubles.

Compte tenu de la complexification et de la multiplication des dossiers, le CNAJMJ a proposé au ministre de la justice de créer une « super spécialisation » en administration des copropriétés en difficulté, qui prendrait la forme d'un label détenu par des administrateurs judiciaires particulièrement expérimentés et compétents en la matière.

Par ailleurs, le Conseil national a mis en place un module de formation en droit de la copropriété, destiné aux professionnels et à leurs collaborateurs, et dispensé par des universitaires spécialistes de ces questions, comme Jean-Marc Roux.

Je passe la parole à Me Tulier-Polge, qui, au-delà de ses fonctions de vice-présidente du CNAJMJ, est administrateur judiciaire en région parisienne et spécialiste des missions civiles, notamment de la gestion des copropriétés en difficulté.

Mme Florence Tulier-Polge, vice-présidente du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. - Je souhaiterais revenir sur les situations auxquelles nous sommes confrontés quand nous sommes désignés administrateurs provisoires.

D'abord, la grande majorité des dossiers que nous recevons concerne de petits immeubles, de moins de vingt lots, réunissant parfois trois ou quatre copropriétaires.

Nous n'avons pas de statistiques, mais nous réfléchissons, au sein du Conseil national, à créer un observatoire, comme nous l'avons fait pour les procédures collectives et les entreprises afin de pouvoir fournir des éléments concrets aux pouvoirs publics. Une telle structure permettrait de faire remonter des informations chiffrées sur le type d'immeubles concernés, le nombre de copropriétaires ou la nature des difficultés rencontrées. Il s'agirait d'un outil intéressant pour légiférer.

Dans la quasi-totalité des cas, les dossiers sont ouverts trop tard et nous sommes désignés quand le malade agonise. Il est très rare que les dossiers soient ouverts dans des conditions qui nous permettent d'intervenir de manière sereine et efficace.

La plupart du temps, les syndics sollicitent le tribunal pour demander la désignation d'un administrateur provisoire quand ils n'ont plus de trésorerie ou que la collectivité locale dont dépend l'immeuble a dû prendre des mesures, telles que des arrêtés de péril imminent ou de traitement de l'insalubrité.

Les taux d'impayés de charges sont alors très élevés et représentent souvent plus de 100 % du budget annuel. Par ailleurs, quand le dossier est ouvert, les syndics ont très rarement engagé des procédures de recouvrement visant les copropriétaires débiteurs, alors qu'ils ont désormais accès à un arsenal judiciaire efficace pour recouvrer ces créances. En effet, ils sont souvent sous le contrôle des copropriétaires qui détiennent de nombreux tantièmes et qui peuvent choisir de ne pas renouveler leur mandat.

Les dossiers sont aussi caractérisés par des situations de trésorerie très dégradées, dans lesquelles le passif fournisseurs s'accumule, moins dans les petits immeubles que dans les grandes copropriétés, où ces dettes peuvent représenter plusieurs années de charges et sont très difficiles à gérer. C'est notamment le cas à Grigny 2, la plus grande copropriété française en difficulté, dont le passif s'élève à des millions d'euros.

Par ailleurs, la comptabilité n'est pas tenue. Certes, les petits immeubles n'ont pas l'obligation de tenir une comptabilité d'engagement. Dans les grands ensembles, nous découvrons des comptabilités irrégulières ou des systèmes de fusion entre les comptes de plusieurs syndicats secondaires. Il est donc difficile d'appréhender la situation réelle de ces syndicats et il nous faut commencer par régulariser la comptabilité lors de l'ouverture de la procédure, ce qui entraîne une perte de temps.

De plus, les immeubles sont entretenus a minima et certains systèmes de sécurité incendie ne sont pas aux normes ou manquent tout à fait, parfois dans des immeubles comptant des centaines d'appartements. Dans certains cas, même les mises en demeure des collectivités locales n'ont pas été suivies d'effet.

Le portrait que je dresse est un peu noir, mais il n'est pas forcé. À l'ouverture de la procédure d'administration provisoire, ces difficultés sont toutes à régler, dans des délais très courts, alors que les moyens manquent pour engager des travaux et prendre des mesures.

Par ailleurs, les petits immeubles et les grands ensembles ne bénéficient pas du même accès aux dispositifs publics, qui sont nombreux et efficaces. Ainsi, les grandes copropriétés peuvent avoir recours à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ou aux opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), mais, la plupart du temps, les dispositifs proposés ne s'appliquent pas aux petits immeubles en secteur diffus. Il faudrait réfléchir à la possibilité de regrouper certains immeubles au sein d'un dispositif global.

Les situations diffèrent aussi en fonction des zones. Des tribunaux spécialisés ont été créés à Bobigny ou à Évry parce que ces villes regroupent de nombreuses copropriétés en difficulté et qu'un effet de masse a conduit les acteurs concernés, publics et privés, à s'organiser pour traiter ces dossiers. Cependant, en province ou dans des villes de banlieue parisienne peu souvent confrontées à cette difficulté, les représentants des collectivités locales et les tribunaux judiciaires sont plus démunis face à un immeuble dégradé. L'absence de connaissance et de culture en la matière, d'un point de vue technique et judiciaire, est de nature à engendrer un grand retard dans la gestion des cas. Les maires ne sont pas suffisamment informés des procédures et des dispositifs pouvant être mis en place.

Enfin, l'accès aux dispositifs de soutien nécessite une expertise technique et reste difficile, même avec l'aide d'opérateurs désignés. Une simplification serait souhaitable, qui permettrait notamment aux maires des petites communes de solliciter ces aides.

J'en viens à vos questions, madame la présidente.

D'abord, les procédures de mandat ad hoc et d'administration provisoire sont peu connues des copropriétaires et du public, et sont mal perçues. De nombreux copropriétaires manquent d'information et craignent la gestion d'un administrateur provisoire. Cette méconnaissance constitue un frein à l'ouverture pourtant nécessaire de certains dossiers. J'évoquerai le cas d'une copropriété très dégradée de l'Essonne, dans laquelle des plans de sauvegarde ont été mis en place pendant vingt ans. Les copropriétaires, essentiellement des bailleurs, ont tout fait pour éviter la désignation d'un administrateur provisoire, ont eu recours à différents dispositifs dont aucun n'a fonctionné, puisqu'ils ne souhaitaient pas voter les travaux. La conjonction de cette absence de volonté et de la méconnaissance de l'administration provisoire a conduit cet immeuble à tarder dans la désignation d'un administrateur.

Une fois l'administration provisoire ouverte, les copropriétaires sont informés de toute la procédure. En effet, l'administrateur provisoire doit consulter le conseil syndical avant de prendre des décisions en matière de travaux, d'appels de fonds ou de recouvrements judiciaires. De plus, l'administrateur rédige un rapport annuel, adressé à tous les copropriétaires, informe des décisions prises et peut aussi convoquer des réunions d'information. Les copropriétaires sont peut-être mieux informés dans le cadre de cette procédure qu'ils ne le sont par un syndic.

Quant au délai entre la demande de désignation et la prise de décision, il est rapide et souvent inférieur à un mois. Je n'ai pas de critique à émettre sur le temps de réaction des tribunaux judiciaires.

Dans la quasi-totalité des cas, la décision, qui doit émaner du président du tribunal, advient sur requête du syndic, qui n'est plus en mesure d'administrer la copropriété dans des conditions normales.

L'ouverture peut aussi avoir lieu dans le cadre d'une procédure contradictoire, si des copropriétaires, mais aussi le maire ou le préfet, en font la demande. Cependant, ces cas ne représentent que 1 ou 2 % des dossiers.

Je mentionnerai enfin l'article 47 du décret du 17 mars 1967, qui prévoit que, en l'absence de syndic, tout intéressé peut demander la désignation d'un administrateur provisoire, qui peut solliciter la transformation de sa mission si la copropriété est en difficulté. En Seine-Saint-Denis, de nombreux petits immeubles sont en administration provisoire intérimaire dans ce cadre. Il s'agit d'une voie d'accès détournée, mais légale, qui est pratique pour opérer des constatations dans des immeubles qui ne sont plus gérés et pour solliciter l'application de l'article 29-1, si l'immeuble est en difficulté. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais cette voie est empruntée par 15 à 20 % des dossiers.

J'en viens à l'efficacité de notre action. Plus nous intervenons tôt, plus nous avons de chances d'atteindre notre objectif, qui reste de permettre au syndicat de retrouver un fonctionnement normal. A contrario, plus l'immeuble est endetté et plus les débiteurs et les travaux nécessaires sont nombreux, plus notre tâche est difficile.

Votre dernière question portait sur d'éventuelles propositions. D'abord, il faudrait simplifier les dispositifs publics, qui sont pratiques, nombreux et efficaces, mais nécessitent une certaine expertise. La création d'un guichet unique serait bénéfique, pour les administrateurs judiciaires comme pour les syndics.

Ensuite, nous suggérons la mise en place de procédures de recouvrement visant les copropriétaires débiteurs, qui pourraient être accélérées quand l'immeuble se retrouve sous administration provisoire. J'ignore si un tel mécanisme est possible d'un point de vue légal, mais, aujourd'hui, les administrateurs judiciaires n'ont pas plus de pouvoir qu'un syndic pour procéder à ces recouvrements.

Nous pourrions aussi songer à des regroupements pour les petits immeubles en secteur diffus, afin de mutualiser les moyens à disposition.

Le mandat ad hoc, qui devait permettre de détecter en amont les immeubles fragiles et de mettre en place des mesures afin d'éviter le recours à l'administration provisoire, ne fonctionne pas. La loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement prévoit une mesure, qui doit être incitative et rendre potentiellement responsables les syndics qui n'auraient pas sollicité le mandat ad hoc avant de s'engager dans la procédure de l'administration provisoire. Le nombre de mandats ad hoc s'élève à une dizaine par an et il est difficile de comprendre pourquoi le texte n'est pas davantage utilisé, d'autant que la rémunération du mandataire est très raisonnable, voire modique. Ainsi, malgré ce dispositif, nous n'avons toujours pas les moyens de détecter suffisamment tôt les copropriétés en difficulté.

Dans le cas des copropriétés sous dispositif, nous pourrions envisager des procédures simplifiées de préfinancement pour les subventions. En effet, l'absence de trésorerie demeure la grande difficulté et, si des dispositifs permettent aux copropriétés de recevoir jusqu'à 100 % du montant total, toutes taxes comprises, des travaux à réaliser, le versement de ces subventions reste complexe malgré les efforts fournis, notamment par l'Anah. Les copropriétés doivent souvent attendre des mois. Pour pallier cette attente, il faut passer par des systèmes compliqués de préfinancement, qui nécessitent la présence d'un opérateur pour piloter le dossier, ce qui est impossible dans les petits immeubles. Il faudrait simplifier les procédures et accélérer le versement des aides.

À titre d'exemple, dans une procédure concernant un petit immeuble n'étant pas sous dispositif, j'ai sollicité des aides de l'Anah pour payer les huissiers au titre de la notification du jugement de carence. Pour monter le dossier et recevoir les aides, il a fallu deux ans, pendant lesquels l'huissier a avancé 15 000 euros de frais.

Enfin, pour des motifs qui ne sont pas clairs, la durée maximale des plans de remboursement des copropriétés en difficulté est de cinq ans, alors qu'elle est de dix ans pour une entreprise. Pourquoi ne pas aligner ces durées ? Les administrateurs judiciaires formulent cette demande depuis plusieurs années. En effet, il est actuellement impossible de rembourser en cinq ans les dettes des grandes copropriétés et il nous faut solliciter des prolongations de plan. Il serait souhaitable que, dès la deuxième année de l'administration provisoire, un plan de dix ans soit proposé, qui serait plus adapté aux délais de recouvrement et de redressement.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Le mandat ad hoc n'a pas trouvé sa place et nous peinons à comprendre pourquoi. Le pourcentage d'impayés, qui joue le rôle de déclencheur, vous semble-t-il un critère judicieux et suffisant ? Mériterait-il d'être complété ?

Sachant que les procédures du mandat ad hoc et de l'administration provisoire sont mises en place dans des copropriétés en difficulté, leur coût, supporté par les copropriétaires, constitue-t-il un facteur pouvant expliquer les refus d'intervention ?

Dans le cadre de l'administration provisoire, les communes, les intercommunalités et les préfectures sont en première ligne. Or, aujourd'hui, vous ne devez rendre compte qu'au tribunal. Le partenariat en la matière vous semble-t-il optimal ? Faudrait-il renforcer le réseau des acteurs impliqués ?

Qu'il s'agisse de mandat ad hoc ou d'administration provisoire, quel regard portez-vous sur le syndic d'intérêt collectif, dispositif prévu par la loi du 9 avril 2024 ?

Mme Florence Tulier-Polge. - S'agissant de l'ouverture du mandat ad hoc, les critères chiffrés paraissaient in fine les plus simples. Les critères de l'ouverture de l'administration provisoire sont quant à eux bien plus larges : les difficultés financières ou l'incapacité de pourvoir à la conservation de l'immeuble permettent de couvrir un grand nombre de situations.

Dans la mesure où le mandat ad hoc équivaut au lancement d'une alerte, l'idée de critères chiffrés a semblé être la plus intéressante. Les critères définis me semblent adéquats, la seule difficulté a trait au caractère automatique du déclenchement de la procédure que le législateur avait imaginé en 2009. Cette mesure ne sera à mon sens jamais demandée par les copropriétaires, mais émanera du syndic, dans la mesure où les premiers ne disposent pas toujours des éléments chiffrés, à la différence du second. De plus, les copropriétaires ont des réserves vis-à-vis des mandataires de justice et ne souhaitent pas qu'un administrateur vienne apprécier la situation dans laquelle se trouve l'immeuble.

Les syndics ne se montrent pourtant pas friands de cette mesure, même lorsque les seuils sont dépassés. Ainsi, alors que je consacre 90 % de mon activité aux administrations provisoires de copropriétés en difficulté, il me semble n'avoir été désignée que quatre fois dans le cadre de mandats ad hoc depuis 2009. J'ajoute que je n'ai pas pu remplir ma mission dans trois de ces quatre dossiers, car le syndic ne m'a jamais envoyé les documents. S'il peut écrire au président du tribunal pour lui faire part de difficultés d'exécution, le mandataire ad hoc ne dispose en effet pas des moyens de contraindre le syndic.

Cette absence de déclenchement du mandat ad hoc est regrettable : il ne s'agit pas, selon moi, d'une question de seuils, mais plutôt d'une question de volonté. J'ajoute que les syndics éprouvent de nombreuses difficultés à déclencher des administrations provisoires, même quand les seuils sont très largement dépassés, ce qui soulève à nouveau cet enjeu de la volonté. En résumé, la mesure n'est pas du tout attractive.

S'agissant du coût du mandat ad hoc, j'avais évoqué, au cours des discussions relatives à la loi Alur, la possibilité d'offrir une subvention spécifique aux copropriétaires. À nouveau, le coût est très faible pour de petits immeubles : il s'élève à 1 500 euros pour établir un diagnostic complet de l'immeuble, le texte encadrant le mandat ad hoc listant les points à analyser. De fait, la démarche recouvre les analyses effectuées par les opérateurs dans le cadre de la préparation d'un plan de sauvegarde, qui englobent les problématiques juridiques, l'examen du règlement de copropriété et une évaluation des travaux à réaliser, soit un travail très important.

En 2015, nous avions indiqué que le coût du mandat ad hoc devrait être assez raisonnable afin de faciliter sa mise en oeuvre. Compte tenu de la nature des dossiers que nous avons à administrer, nous souhaitons pouvoir ouvrir les administrations provisoires au plus tôt, avec des immeubles bien moins dégradés. Je ne pense pas que le coût constitue un obstacle, les difficultés tenant davantage à l'absence de volonté de voir un tiers intervenir et porter un regard extérieur sur l'immeuble, alors que cela permettrait peut-être de sortir du face-à-face entre le syndic et les copropriétaires.

Les relations avec les collectivités territoriales et les acteurs publics sont quant à elles bien organisées dès lors qu'elles s'inscrivent dans le cadre d'opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), de plans de sauvegarde ou d'Orcod. Ces dispositifs prévoient en effet des réunions entre les différents acteurs, qu'il s'agisse des syndics ou des administrateurs judiciaires. Dans le dossier de Grigny 2, nous avons atteint un niveau de collaboration très poussé, avec des réunions mensuelles, des échanges d'informations et un soutien logistique des opérateurs.

La collaboration est évidemment moindre dans le cadre de copropriétés en difficulté en secteur diffus, en l'absence de dispositif d'organisation et parfois de personnes compétentes pour aborder cette thématique au sein de la collectivité concernée. Les relations se limitent souvent à des alertes envoyées au maire à propos de la situation de l'immeuble. Encore une fois, les situations sont très variables : dans certaines villes de Seine-Saint-Denis, les services municipaux nous alertent directement et, à peine désignés, nous savons déjà que l'immeuble fait l'objet d'un arrêté de péril par exemple. Dans d'autres communes, aucun dispositif n'existe : je suis très souvent amenée à écrire à des élus pour leur faire part de suspicions de suroccupation chez un bailleur, ou de pratiques de marchands de sommeil, en demandant l'intervention d'un inspecteur de salubrité ou des services sociaux. Certains maires se sont plaints de ne pas disposer d'informations, un propos qui m'a étonnée alors que les administrateurs ont tout intérêt à collaborer avec les acteurs locaux. Nous ne pouvons en effet rien faire en dehors d'une collaboration avec le maire ou la communauté d'agglomération.

Concernant le syndic d'intérêt collectif, je comprends que les maires préféreraient qu'il s'agisse d'un bailleur social, qui serait compétent pour gérer des immeubles en difficulté. Certains bailleurs sociaux ont d'ailleurs créé des structures de gestion particulièrement intéressantes et compétentes. Le texte prévoit que ce syndic pourra assister les administrateurs provisoires dans le cadre des articles 29-1 et suivants et j'y suis bien sûr tout à fait favorable. Nous avons en effet besoin d'un vivier de syndics aptes à nous assister, notamment dans le cadre de très grandes copropriétés.

D'après ce que j'ai compris, dès lors que le syndic émanera d'un bailleur social, il sera de manière quasi automatique un syndic d'intérêt collectif. Des syndics privés solliciteront sans doute leur inscription sur la liste préfectorale : nous serons extrêmement vigilants quant aux critères qui seront retenus, car la compétence ne s'invente pas en matière de copropriétés en difficulté, les bons sentiments ne sauraient suffire. J'espère que nous serons consultés à ce sujet.

Mme Audrey Linkenheld. - Élue du Nord, territoire confronté à ces problématiques d'habitat indigne ou dégradé, j'ai également été rapporteure de la loi Alur à l'Assemblée nationale. Je suis assez surprise par vos propos relatifs à la spécialisation des tribunaux et des administrateurs et à la collaboration avec les collectivités. Dans un certain nombre de départements, des pôles de lutte contre l'habitat indigne ont été constitués et tentent - avec de nombreuses difficultés - de spécialiser les différents interlocuteurs, que ce soit au sein des collectivités, des préfectures ou des acteurs judiciaires.

À ce titre, je m'étonne que vous disiez qu'il n'existe aucun dispositif en province. Cela signifierait que, malgré tous les efforts accomplis à Marseille ou dans le Nord, nous n'aurions pas réussi dans cette entreprise de spécialisation, ce qui serait fort décevant. Le sujet de la paupérisation des copropriétés concerne en effet au premier chef les petits immeubles qui ne sont accompagnés par personne, plus que les grands ensembles. Vous avez indiqué que la collaboration avec les collectivités territoriales était plus aisée dans le cadre d'Opah ou d'Orcod, ces petits immeubles se situant précisément là où ces dispositifs n'existent pas la plupart du temps. Cette absence n'empêche pas, me semble-t-il, la collaboration avec les collectivités, même si elles ne sont pas toutes outillées sur ce sujet.

Comment les collectivités territoriales pourraient-elles mieux travailler avec vous ? Il me semble que ce sujet de l'amélioration de l'accompagnement des petits immeubles en secteur diffus devrait être creusé par notre commission d'enquête.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Cette question résume bien l'objet de cette commission d'enquête, orientée vers cet angle mort des petites copropriétés.

M. Laurent Burgoa. - Vous avez indiqué que 70 administrateurs disposent d'une labellisation « civile » et sont spécialisés dans les copropriétés en difficulté. Issu de la région Occitanie et du département du Gard, confronté à d'importants problèmes de copropriétés dans diverses communes, je constate que le nombre d'administrateurs spécialisés y est assez faible.

Le CNAJMC mène-t-il un travail d'information et de pédagogie afin d'assurer cette présence d'au moins un administrateur par département ? Je n'ai rien contre le département de l'Hérault, qui dispose d'un administrateur, mais Montpellier est loin de Nîmes et la situation est pénalisante pour le Gard.

Mme Florence Tulier-Polge. - La situation de très nombreux immeubles est traitée en amont de l'intervention d'un administrateur provisoire par les acteurs locaux, d'où un angle mort pour notre profession. Cela signifie qu'une série de dispositifs fonctionne bien, les administrations provisoires étant mises en oeuvre dans les territoires où aucune mesure n'a été adoptée a priori. Je pense que ce facteur explique la différence d'appréciation que j'exprimais.

Cet aspect recoupe l'interrogation que vous avez formulée sur l'absence d'administrateurs judiciaires spécialisés dans certains départements. Je rappelle que les 70 administrateurs spécialisés sont une création récente : dans le prolongement de la loi Alur, l'idée consistait à recréer cette spécialisation civile, abandonnée en 2004 pour être remise en place en 2017.

J'ai d'ailleurs mené une enquête auprès des administrateurs par rapport à cette perspective de labellisation. Pour le Sud-Ouest et l'Occitanie, mes collègues m'ont indiqué ne jamais être saisis. La principale difficulté réside dans le trop faible nombre de dossiers existant dans certains territoires, qui ne justifie pas la présence d'un administrateur spécialisé sur place.

Nous ne nous orientons donc pas vers ce type de réponse en termes de maillage du territoire, mais plutôt vers l'idée que certains administrateurs très spécialisés pourraient épauler des administrateurs locaux, afin de leur apporter leur expertise dans le cadre d'une co-désignation. J'ai ainsi été co-désignée dans le Nord aux côtés d'administrateurs locaux non spécialisés, afin de prendre en charge des dossiers d'administration provisoire.

Il s'agit donc d'une sorte de compagnonnage, qui sera d'autant plus développé dans le cas où l'idée de label que nous avons proposée venait à être retenue par le ministre de la justice. Cette solution permettrait aux tribunaux judiciaires de savoir quel type d'administrateur désigner dans un dossier donné, la gestion d'une grande copropriété étant différente de celle d'un petit immeuble.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos contributions. Cette commission d'enquête prendra fin le 31 juillet : d'ici là, un rapport dédié au phénomène de paupérisation des copropriétés vous sera présenté.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Bertrand Menay, président de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), et de Mme Claire Liaud, présidente du tribunal judiciaire de Bastia (en téléconférence)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous entendons maintenant M. Bertrand Menay, président de la conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ) et Mme Claire Liaud, présidente du tribunal judiciaire de Bastia.

La Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires est une association professionnelle créée en 2006, regroupant plus de 80 % des présidents de tribunaux judiciaires, et représentant l'ensemble des territoires. Elle participe à de nombreux groupes de travail s'intéressant à l'organisation judiciaire, aux libertés individuelles et à l'institution judiciaire, dans le but de contribuer à l'évolution de la justice et d'améliorer l'organisation judiciaire.

Aussi, mes collègues et moi-même sommes particulièrement intéressés par vos retours d'expérience, ainsi que par les propositions formulées par les tribunaux judiciaires en matière de prise en charge des copropriétés dégradées.

En matière de répression des marchands de sommeil, il est établi que la réticence de certaines victimes à intenter une action en justice et la durée des procédures judiciaires sont des obstacles majeurs dans la lutte contre ces personnes malveillantes et la dégradation des copropriétés. Quelles sont les actions menées par l'institution judiciaire pour accélérer les procédures et renforcer leur efficacité ? Identifiez-vous des leviers qui permettraient d'avancer dans la détection et la répression de tels actes ?

Je souhaiterais également connaître votre point de vue concernant le rôle joué par le magistrat référent en matière d'habitat indigne, désigné dans chaque parquet de France. Celui-ci assure un rôle de référent des autorités administratives chargées de coordonner l'action administrative et judiciaire à ce sujet.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ quinze minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bertrand Menay et Mme Claire Liaud prêtent serment.

M. Bertrand Menay, président de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires. - La CNPTJ est une association dont l'objet est de contribuer à la réflexion en vue d'améliorer le fonctionnement des juridictions, et donc, in fine, le service rendu par la justice à nos concitoyens.

Notre association n'a pas d'objet politique ou syndical : nous essayons de nous extraire des positions partisanes - nobles au demeurant - et nous défendons des propositions d'amélioration prenant en compte toutes les opinions. Elle représente la majorité des présidents de tribunaux judiciaires ; j'ai l'honneur d'en être le président depuis quatre mois.

Madame la présidente, vous avez axé votre propos liminaire sur la répression des marchands de sommeil - une question ô combien importante. J'avais prévu d'en parler, mais je voulais surtout évoquer les contentieux regroupés généralement sous le terme de copropriétés dégradées. Nous ne disposons pas de définition de cette notion, même si les lois successives essaient de prévoir des outils au profit des juridictions pour prévenir ces situations et y remédier, notamment en matière de lutte contre les marchands de sommeil.

Dès lors, dois-je axer mon propos sur les marchands de sommeil ou puis-je également évoquer les copropriétés dégradées ? Nous avons bien sûr pris connaissance de l'adoption définitive de la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, laquelle répond à un certain nombre de questions que vous vous posez.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Notre attention se porte principalement sur les marchands de sommeil. Comme vous l'avez souligné, la question de l'habitat dégradé a déjà été traitée : notre commission d'enquête s'intéresse au rôle joué par les marchands de sommeil dans la paupérisation des copropriétés dégradées. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir cantonner votre propos à ce cadre.

M. Bertrand Menay. - Votre commission a procédé à l'audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice : celui-ci s'est exprimé mieux que les présidents de tribunaux judiciaires ne pourraient le faire. Il a évoqué les différentes infractions prévues par le code pénal et par le code de la construction et de l'habitation (CCH).

Vous vous intéressez aujourd'hui à la pratique judiciaire. Certaines victimes sont réticentes à déposer plainte contre les marchands de sommeil, car les procédures sont longues, et les aléas judiciaires possibles. Le directeur des affaires criminelles et des grâces a souligné avec justesse que la lutte contre les marchands de sommeil repose d'abord sur l'action des procureurs de la République et des autres administrations de l'État, notamment au sein d'instances de concertation telles que les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) ou sur l'action des magistrats référents, présents dans tous les parquets.

Vous comprendrez que ma fonction ne me permet pas de décrire réellement l'action des procureurs : je suis un spectateur, non un acteur. Les échanges entre les parquets et les administrations de l'État existent avant la constitution des procédures et échappent un peu à la stricte perception des présidents de tribunaux judiciaires : ainsi, tout un pan de la lutte contre les marchands de sommeil s'effectue en amont. Les présidents de tribunaux et les magistrats du siège sont destinataires des procédures engagées au moment de l'ouverture d'une information judiciaire ou lorsqu'une procédure ayant déjà fait l'objet d'une enquête est soumise à l'appréciation d'une juridiction - les tribunaux correctionnels, en particulier.

Peu de procédures vont jusqu'à leur terme devant les juridictions correctionnelles. Je n'en connais pas les raisons ; plusieurs hypothèses peuvent être formulées. Établir les infractions commises par les marchands de sommeil est complexe : aux termes du code pénal, il faut démontrer que ceux-ci abusent de la vulnérabilité des victimes. Il faut aussi pouvoir saisir les auteurs de l'infraction. Vos travaux l'ont montré : ces personnes font preuve d'une grande adaptabilité et revendent les biens à plusieurs reprises, parvenant parfois à échapper à la mise en cause de leur responsabilité. Ces facteurs expliquent le faible nombre de procédures en la matière. C'est pourquoi les victimes imaginent que les juridictions pénales ne sont pas le meilleur endroit pour obtenir réparation.

Le magistrat référent est un magistrat du parquet. Son action est davantage tournée vers les autres administrations de l'État que vers la juridiction en elle-même, sauf s'il s'agit d'organiser des audiences spécialisées : en ce cas, c'est lui qui exercera l'action publique et les poursuites contre les marchands de sommeil incriminés.

Mme Claire Liaud, présidente du tribunal judiciaire de Bastia. - Je compléterai les propos de mon collègue en indiquant qu'il faut repérer des signaux faibles à l'occasion de ces procédures pénales. En notre qualité de présidents de tribunal, nous n'avons pas développé suffisamment d'actions de prévention pour lutter contre la vulnérabilité face aux marchands de sommeil dans le cadre des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD) ou des bureaux d'aide aux victimes (BAV) - dont nous assumons la responsabilité -, ne serait-ce que pour repérer ces dernières et les diriger vers les associations compétentes. Nos instances abordent peu ce sujet ; sans doute y aurait-il matière à avancer grâce aux outils à notre disposition.

J'ai abordé la lutte contre les marchands de sommeil par le biais des contentieux de la protection, soit les impayés de loyer soit les difficultés nées de la mise à disposition d'un logement qui ne répond pas aux conditions initiales du contrat de bail - ces questions sont récurrentes. Lors de mes précédentes fonctions en Charente-Maritime, la sous-préfète de Saintes m'avait alertée à ce sujet.

M. Menay l'a dit : ce sont surtout les personnes vulnérables, notamment les majeurs faisant l'objet de mesures de protection, qui sont malheureusement la cible des marchands de sommeil.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour ces précisions. Compte tenu des auditions que nous avons déjà menées, le constat semble assez largement partagé : le phénomène de paupérisation des copropriétés s'amplifie et s'aggrave. Avez-vous le même sentiment ? Avez-vous des propositions pour améliorer la procédure de recouvrement des charges impayées, afin d'éviter que le temps long n'ajoute de nouvelles difficultés ?

Lors de l'audition précédente, nous avons entendu les administrateurs judiciaires. Le déclenchement des procédures vous semble-t-il adapté ? Au contraire, faudrait-il les déclencher automatiquement ou plus en amont pour éviter la spirale infernale de la paupérisation et de la dégradation ?

M. Bertrand Menay. - En effet, nous constatons un boom du nombre de procédures pour charges impayées dans les contentieux traités par les tribunaux judiciaires sous l'effet de la modification de la loi de 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, notamment son article 19. Ce mouvement est continu. Par ailleurs, au fond, la procédure accélérée est désormais de rigueur.

J'ai lu les comptes rendus des auditions précédentes : tous les acteurs constatent que la paupérisation des copropriétés est un phénomène économique et social. Les causes sont multifactorielles, notamment le vieillissement des copropriétés ou les travaux trop longtemps différés qui, aujourd'hui, doivent être engagés. Ainsi, les copropriétaires dont les moyens sont limités ne peuvent faire face aux appels de charges, trop importants. Ces situations diffèrent de celles pour lesquelles le copropriétaire est de mauvaise foi et n'entend pas payer ses charges, quelles que soient les actions menées par le conseil syndical ou le syndic. Hormis ces affaires spécifiques, certains copropriétaires se retrouvent dans des situations délicates, d'où une augmentation du nombre de procédures.

Le système mis en place, qui prévoit non seulement le recouvrement des charges, mais aussi le paiement des provisions votées, doit faciliter l'émission du titre de recouvrement. La décision judiciaire est susceptible d'intervenir rapidement, mais encore faut-il pouvoir la faire exécuter : obtenir le recouvrement effectif des charges représente une réelle difficulté. Tel est le point le plus délicat : bien que condamné, le copropriétaire qui a laissé filer sa dette pour des raisons économiques valables ne sera pas, la plupart du temps, en mesure de payer. Dès lors, le recouvrement par le syndic s'avérera délicat.

La procédure de recouvrement des charges mériterait-elle d'être améliorée ? Aujourd'hui, nous disposons de tous les outils nécessaires : le problème est moins la procédure en elle-même que la situation des copropriétaires, victimes, eux aussi, de paupérisation.

J'en viens au déclenchement de l'action des administrateurs et des mandataires provisoires. Demain, grâce à la nouvelle loi et après avoir respecté un délai de carence, ceux-ci pourront intervenir non pas uniquement lorsqu'un pourcentage de copropriétaires est en difficulté - variable selon que le nombre total de copropriétaires est inférieur ou supérieur à 200 -, mais aussi lorsque des comptes de charges n'auront pas été approuvés dans une période de deux ans - signe d'une copropriété en difficulté. Autant de mécanismes permettant d'anticiper les situations trop dégradées et de faire intervenir le mandataire ad hoc, puis, si la situation perdure, l'administrateur provisoire, qui dispose alors de pouvoirs extrêmement importants. Il me semble que la nouvelle loi apporte un début de réponse sur qui est susceptible de saisir le juge, et à quel moment ; un critère supplémentaire y a été introduit pour agir plus rapidement. Cela rejoint votre souhait d'anticiper les difficultés avant que celles-ci ne deviennent trop importantes : des copropriétés en très grande difficulté mettent des années à se redresser.

Pour résumer, c'est plutôt la pédagogie envers les copropriétaires qui prime ; là réside la difficulté, nous le constatons à l'occasion de nos procédures. La vie du conseil syndical est compliquée ; le plus souvent, elle ne repose que sur quelques entités volontaires, bénévoles et dynamiques. Le syndic est parfois un peu seul. En outre, il est difficile de faire vivre les assemblées générales : le taux d'absentéisme y est très élevé. Dès lors, l'information des copropriétaires sur la situation exacte de leur résidence et sur les éventuelles conséquences sur le collectif devrait être plus développée pour susciter des réactions de la part soit des copropriétaires - peu d'entre eux nous saisissent - soit du syndic, conformément à ce que lui impose la loi. Les nouveaux intervenants désignés par la loi pourront saisir le juge dans un délai permettant d'agir avec plus d'efficacité.

Mme Claire Liaud. - Le tribunal judiciaire de Bastia est particulièrement confronté à la paupérisation des copropriétés, avec une dégradation de l'habitat ancien dans le centre-ville de Bastia ou de Corte, notamment.

Les affaires nouvelles liées au recouvrement des charges de copropriété ont augmenté de 58 % entre 2022 et 2023 en Haute-Corse, à tel point que nous avons envisagé avec le bâtonnier de l'ordre des avocats de Bastia d'avoir recours à des injonctions de payer, mais cela ne semble pas possible compte tenu de la législation en vigueur ; nous avons établi un groupe de travail à ce sujet, car les procédures accélérées au fond en matière de charges de copropriété représentent plus d'un tiers de l'audience, ce qui nous handicape pour l'examen des autres procédures. Nous nous sommes même interrogés sur l'utilité de créer une audience ad hoc ou, en effet, d'imaginer un autre mode de saisine du juge.

Environ 60 % à 70 % des ordonnances sur requête que je rends visent à désigner un administrateur en matière de copropriété. Il est difficile d'identifier les copropriétaires et, partant, le débiteur défaillant lors du lancement de la procédure, en raison du règlement des successions. Ce problème est peut-être plus aigu en Corse que sur le continent - même si je ne doute pas que d'autres régions sont aussi confrontées à ce problème -, car les indivisions sont défaillantes pour gérer l'appartement reçu en héritage à l'occasion d'une succession. C'est là une difficulté particulièrement prégnante pour les administrateurs : la plupart du temps, les règlements de division de copropriété n'existent pas, d'où des travaux méticuleux de recherche avant de pouvoir imaginer réunir une assemblée générale : c'est un frein et une perte de temps pour administrer ces copropriétés à titre provisoire. Ces faits sont particulièrement saillants dans ma pratique professionnelle quotidienne ainsi que dans celles des administrateurs provisoires.

M. Laurent Burgoa. - Monsieur Menay, vous nous avez indiqué que peu de dossiers concernant les marchands de sommeil pouvaient être jugés par les tribunaux correctionnels. Est-ce pour des raisons quantitatives ou qualitatives ? Des magistrats de Nîmes m'indiquent ne pas renvoyer le dossier devant le tribunal correctionnel tant que celui-ci n'est pas complet, afin d'éviter la relaxe : ils préfèrent transmettre peu de dossiers - ainsi, l'aspect qualitatif prime l'aspect quantitatif.

M. Bertrand Menay. - La question des marchands de sommeil est aussi fondamentale pour les tribunaux que pour la représentation nationale. Ces agissements constituent une dérive d'acteurs âpres aux gains, qui profitent de la vulnérabilité de certaines personnes. Ils utilisent des situations pour faire du profit, notamment grâce à des mécanismes de vente et de revente de copropriétés qui sont déjà en difficulté, d'où une amplification du phénomène de paupérisation.

Dans cette matière comme dans d'autres, nos tribunaux correctionnels font face à des masses d'affaires à juger. Les poursuites contre les marchands de sommeil n'en font évidemment pas partie. Je citerai plutôt les trafics de stupéfiants - qui se déroulent parfois dans certaines copropriétés où sévissent des marchands de sommeil -, les violences intrafamiliales (VIF) ou encore les appropriations frauduleuses, comme le vol ou les escroqueries. Les juges sont habitués à ces contentieux et les traitent aisément. C'est moins le cas pour les affaires intéressant des marchands de sommeil : il est plus difficile de caractériser l'infraction, notamment. C'est pourquoi les magistrats du parquet et les administrations qui travaillent avec eux doivent prévoir des procédures robustes, car il ne sera pas possible de soumettre au tribunal un nombre trop important de procédures dans ce domaine. C'est aussi une réalité de l'action judiciaire : notre capacité de jugement est sans doute trop limitée par rapport à l'extension du nombre d'infractions dans le code pénal ou dans les autres codes. Face à cette masse d'infractions présentes sur les territoires, qui seraient susceptibles de déboucher sur des poursuites, le parquet doit choisir les bonnes procédures - pardonnez-moi pour l'utilisation de cette expression - pour en faire des exemples utiles. C'est le cas en matière de poursuites contre les constructions illégales : les effets sont désastreux si ces procédures ne débouchent pas sur une condamnation et sur la destruction de la construction.

Telle est la réalité judiciaire : pour que l'exemple soit probant et efficace, et que l'auteur de l'infraction soit réellement puni, il faut s'orienter vers des procédures particulièrement bien choisies.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie et rappelle que nos travaux aboutiront à la publication d'un rapport, qui sera disponible avant le 31 juillet 2024.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous poursuivons nos travaux de ce jour par une quatrième et dernière audition en recevant M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires.

La Banque des territoires est un acteur essentiel du système financier et un partenaire de l'action publique. Nous entendons M. Kastrinidis en tant que directeur des prêts de cette institution, mais aussi en tant que responsable, l'an dernier, d'une mission exploratoire sur le financement de la rénovation des copropriétés en difficulté.

Monsieur, vous pourrez à ce titre nous expliquer les conditions dans lesquelles M. Olivier Klein, à l'époque ministre délégué chargé de la ville et du logement, vous a confié cette mission pour laquelle vous avez été assisté par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd).

L'une des principales propositions que vous avez émises dans ce cadre a inspiré la création d'un prêt global et collectif dans la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dont j'ai été la rapporteure au Sénat. Le législateur a notamment voulu s'assurer de l'engagement du secteur bancaire, car les banques ne peuvent prêter sans respecter certaines obligations en matière de prêt responsable et de lutte contre le surendettement. De même, une copropriété ne peut pas rester pour les banques une « boîte noire » financière, alors qu'il s'agit d'une personne morale sans patrimoine ou ressources propres.

Vous pourrez bien sûr nous indiquer si les modalités retenues dans la loi remplissent les objectifs du dispositif tel que vous l'aviez imaginé, s'agissant d'apporter une véritable réponse aux problèmes de financement des travaux dans les copropriétés en difficulté.

Je vous invite également à nous présenter un point de vue plus large sur l'action de la Banque des territoires et sur le rôle qu'elle tient aux côtés d'autres acteurs dans la détection, le suivi et le traitement des copropriétés en difficulté. Nous pensons non seulement aux grandes copropriétés, qui font parfois la une de l'actualité et suscitent la création de grandes opérations de requalification, mais aussi aux nombreuses petites copropriétés dont on parle en définitive assez peu. Mal connues, elles aussi sont touchées par l'accroissement des difficultés, mais ne sont souvent identifiées que trop tard.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Kosta Kastrinidis prête serment.

M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par quelques mots d'introduction pour resituer dans son contexte la mission que nous avons conduite et qui fut à l'origine de l'introduction du prêt collectif dans la loi du 9 avril dernier, et pour vous présenter plus globalement le rôle de la Banque des territoires relativement aux copropriétés.

La Banque des territoires est partenaire depuis 2018 du plan Initiative Copropriétés (PIC). Nos engagements sont matérialisés dans une convention qui nous lie à l'État. Nous les déclinons auprès de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), par l'intermédiaire de laquelle nous mettons à la disposition des collectivités locales des subventions d'ingénierie dans le cadre d'opérations de redressement des copropriétés dégradées.

Nous sommes également à l'origine d'une offre de financement dédiée aux porteurs de projet intervenant dans le redressement des copropriétés, offre qui prend la forme d'un prêt copropriétés dégradées. Ce financement, très adapté aux problématiques des copropriétés, s'adresse préférentiellement à des bailleurs sociaux, leur permettant de différer les amortissements et de débloquer progressivement des fonds au fur et à mesure de leur prise de contrôle des différents lots de la copropriété.

Plus globalement, le groupe Caisse des dépôts et consignations (CDC) et sa filiale CDC Habitat constituent un opérateur important du plan Initiative Copropriétés, au moyen d'une structure, CDC Habitat Action copropriétés, qui intervient sur douze des dix-sept sites nationaux identifiés dans le cadre de ce plan.

C'est pour ces raisons qu'Olivier Klein nous a confié une mission portant sur le reste à charge des copropriétaires dans les copropriétés en difficulté. L'objectif du ministre était d'analyser les différents dispositifs de préfinancement et de financement existant sur le marché, pour trouver une manière d'accélérer la réalisation des investissements dans le parc des copropriétés, plus particulièrement dans celles qui sont en difficulté. Nous avons conduit ce travail avec l'appui de l'Igedd et en associant largement nos divers partenaires, notamment l'Anah et les différents services de l'État chargés de ces questions.

Ce rapport nous a amenés à dresser un état des lieux des dispositifs existants, ainsi qu'à formuler des propositions visant à accélérer les investissements au sein du parc privé des copropriétés, et non uniquement dans les copropriétés en difficulté.

Premier constat : il est difficile de disposer de ressources fiables quant à la qualification des copropriétés en difficulté et de celles qui sont en voie de fragilisation. Nous avons la chance de disposer du registre national des copropriétés établi par l'Anah, mais, bien que très complet, il ne couvre pas la totalité des copropriétés. En particulier, les petites copropriétés évoquées par Mme la présidente dans son propos liminaire n'y sont pas intégrées.

Voilà qui complexifie l'analyse du phénomène général de paupérisation des copropriétés. Nous pressentons qu'il s'agit là d'une réalité croissante, notamment du fait du choc inflationniste et des investissements nécessaires à la transformation écologique, mais il est difficile de disposer de chiffres tout à fait fiables à ce sujet. Nous pourrons y revenir, en évoquant des actions qu'il nous paraîtrait utile de conduire pour améliorer notre connaissance du parc privé.

Sur cette base, nous avons identifié un certain nombre de copropriétés en difficulté et d'autres qui sont en voie de fragilisation, en portant une attention particulière à ces dernières. Certes, des dispositifs d'appui exorbitants du droit commun existent déjà dans le cadre du plan Initiative Copropriétés, et traitent des copropriétés dégradées ou en difficulté, mais nous pressentons qu'un volume important de copropriétés est aujourd'hui confronté à des difficultés pour honorer ses appels de charges, du fait de la dégradation du patrimoine des copropriétés ainsi qu'en raison des enjeux de rénovation thermique.

Il nous tenait à coeur de mieux appréhender ce phénomène pour essayer de le prévenir, cantonner ce risque le plus possible et éviter, pour ainsi dire, de continuer à « remplir la baignoire ».

En dressant l'état des lieux des dispositifs existants, nous avons identifié un premier sujet lié au préfinancement des aides adressées aux copropriétés en difficulté. Les copropriétés en difficulté sont particulièrement aidées par les pouvoirs publics, tant par l'État que par les collectivités locales, mais les aides, qui peuvent aller jusqu'à 100 % des montants hors taxes des travaux à réaliser, ne se débloquent qu'une fois que les travaux ont été réalisés, sur la base d'un service fait. Dans certaines situations, cela crée une forme de complexité administrative : malgré le soutien des pouvoirs publics, les travaux ne s'enclenchent pas. Il nous semblait important, dans le cadre de ce rapport, de proposer des mesures pour améliorer et simplifier le préfinancement des aides.

Deuxième point de diagnostic que nous avons identifié : l'insuffisance des financements bancaires dédiés à la question des copropriétés. À l'heure actuelle, le financement proposé par les établissements bancaires est essentiellement hybride : il s'appuie à la fois sur une analyse du risque lié à la copropriété en elle-même et sur une analyse individuelle du risque lié à chacun des copropriétaires. Les délais de traitement peuvent ainsi être très longs, entre six et dix-huit mois, ce qui est tout à fait légitime étant donné les caractéristiques du produit, mais ce qui n'aide pas à accélérer les investissements. Au-delà de ce financement, très peu de modalités de financement collectif existent à l'échelon de la copropriété, ce qui oblige chaque copropriétaire à adopter une stratégie individuelle, engendrant des disparités entre les copropriétaires qui bénéficient d'un autofinancement, ceux qui peuvent avoir accès au crédit bancaire et ceux qui en sont exclus.

L'hétérogénéité de l'accès aux financements de marché nous a semblé être un point d'autant plus problématique qu'en prenant en compte les copropriétés saines, les copropriétés fragiles et celles qui sont en difficulté, entre les enjeux classiques de ravalement et ceux qui sont liés à la transformation écologique et à la rénovation thermique, les besoins d'investissement sur le parc national des copropriétés se situent autour de 9 milliards d'euros par an. Ces montants sont donc très importants, même si nous avons adopté une approche prudentielle en ne retenant qu'un reste à charge par copropriétaire relativement modeste au regard des travaux réalisés dans certains ensembles immobiliers. Si l'on souhaite accélérer les investissements et atteindre ce chiffre, il faut répondre à la carence de financements bancaires.

Ainsi sommes-nous arrivés à la conclusion que le marché potentiel de financements à accorder est extrêmement important, et que l'entrée sur ce marché des banques françaises, aujourd'hui insuffisante, peut être facilitée et amplifiée à condition de trouver un produit idoine, qui réponde aux problématiques de politique publique. C'est ce qui nous a amenés à recommander la création d'un prêt collectif adossé aux lots ; et nous nous réjouissons de la prise en compte de cette préconisation dans le texte de loi promulgué le 9 avril dernier. Le dispositif retenu reprend les principales caractéristiques du produit que nous avions imaginé. Il est aussi très proche du modèle belge, organisé de cette manière pour financer les besoins des copropriétés saines. En Belgique, les associations de copropriétaires peuvent emprunter sur un marché qui fait intervenir les banques belges et où des organismes de caution maîtrisent les risques au niveau de la copropriété, ce qui permet des investissements soutenus. C'est sur ce dispositif que nous avons en grande partie calqué notre prêt collectif.

Comme notre mission portait initialement sur les copropriétés en difficulté, nous avons voulu étudier la façon dont ce financement collectif « tout en un » pouvait résoudre la question des copropriétés en difficulté. Cela nous a conduits plus particulièrement à formuler une proposition complémentaire, à savoir la création d'un fonds de garantie permettant de « dérisquer », comme on dit en mauvais français bancaire, l'action des prêteurs sur cette partie du marché. Il s'agit en effet d'un marché à risque. Certes, ce risque est in fine très nettement réduit par l'action des pouvoirs publics que je mentionnais tout à l'heure ; néanmoins, il reste difficile pour un prêteur de s'engager sur des poches de risque avéré. Il nous semble donc cohérent que l'État s'engage, par un dispositif de garantie nationale, à fournir au marché une réassurance, afin de résorber ces poches de risque accru.

Aussi avons-nous formulé l'hypothèse, en conclusion de notre analyse, qu'une fois le tableau des copropriétés saines dressé par les banques, une péréquation pourrait être mise en place au sein du marché des copropriétés, de sorte que l'État soit dispensé de maintenir un dispositif de garantie. Autrement dit, une fois les quelques milliards de besoins de prêt pris en charge, au travers du prêt collectif, par les banques commerciales, la péréquation sur les poches de risque pourrait être assurée par le dispositif lui-même. Chaque prêt collectif fait l'objet d'un dispositif de caution bancaire ; or le rôle d'un dispositif de caution bancaire est justement de couvrir les aléas, donc les risques.

Dans ce scénario idéal, le dispositif de garantie par l'État est un dispositif transitoire qui vise à fournir aux acteurs de marché la réassurance dont ils ont besoin de la part de la puissance publique pour pouvoir intervenir dans le financement des copropriétés.

Nous sommes aujourd'hui très confiants quant au déploiement de ce prêt collectif sur le territoire. Des travaux sont en cours dans un certain nombre d'établissements bancaires et d'organismes de caution qui interviennent notamment dans des pays voisins de la France et qui pourraient être intéressés par notre marché.

Évidemment, il faudra un décret pour permettre une mise en oeuvre rapide et simple du dispositif par les banques commerciales, ainsi qu'un travail d'accompagnement par l'ensemble des partenaires.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Vous avez notamment souligné la difficulté de disposer d'un outil de connaissance performant et exhaustif. Pouvez-vous développer ce point ? Que manque-t-il, selon vous, pour améliorer les différents dispositifs que nous avons évoqués ?

Vous avez parlé du préfinancement. Quelles avancées pouvons-nous envisager en la matière ?

Enfin, le préfinancement et les prêts collectifs vous semblent-ils adaptés à tous les types de copropriétés, quelle que soit leur taille ?

M. Kosta Kastrinidis. - En préambule, je me dois de souligner le travail remarquable mené par l'Anah pour mettre en place le registre national d'immatriculation des copropriétés. En analysant ce registre et en retenant pour seuil d'alerte un montant d'impayés supérieur à 20 % du budget annuel, on identifie actuellement 215 000 copropriétés environ. Reste que cet indicateur ne nous semble pas suffisant pour caractériser pleinement la notion de copropriété fragile, car le taux d'impayés, qui se calcule à une date donnée, peut intervenir après un appel de charges particulièrement élevé, ce qui crée un biais à corriger. Il faudrait pouvoir croiser cette notion d'impayés avec le contexte immobilier de la copropriété et le profil socio-économique des habitants, ce qui n'est pas chose aisée.

La méthode qui nous paraît la plus pertinente serait d'actualiser un fichier qui fut mis à jour pour la dernière fois en 2017 : le « fichier des logements à la commune » (Filocom). Celui-ci a le mérite de proposer une évaluation multifactorielle fondée sur des notations de A à D tenant compte à la fois des caractéristiques socio-économiques des occupants, de l'état du bâti, de l'écart entre la copropriété et le marché et de la question des impayés. Il serait très pertinent de relancer cette analyse à l'aune de ce que l'on a connu ces dernières années, à savoir un choc inflationniste qui a nettement accru les coûts des marchés de travaux et l'augmentation des besoins inhérents aux objectifs de rénovation énergétique. Il serait très intéressant, nous semble-t-il, d'intégrer ces éléments dans le registre d'immatriculation nationale.

De la même manière, les données relatives aux contentieux au sein des copropriétés, qui appartiennent au ministère de la justice, pourraient être utilement versées au fichier, sous le sceau de la confidentialité. La connaissance du phénomène des copropriétés fragiles s'en trouverait nourrie par un intéressant faisceau d'informations complémentaires.

Le préfinancement était l'une de nos premières préconisations ; il a été remplacé, au fil de nos échanges avec l'exécutif, par l'idée du prêt collectif. En effet, le prêt collectif, qui déclenche d'emblée l'investissement, permet de contourner la question du préfinancement. Dès lors qu'il est souscrit, l'ensemble des montants liés aux travaux est versé au syndicat de copropriétaires, lequel peut enclencher les travaux et mettre un terme à la spirale infernale de paupérisation du patrimoine, les retards dans les travaux accélérant la dégradation du bâti et la dépréciation des lots et celles-ci renforçant le sentiment de spoliation des copropriétaires. Par ailleurs, au moment où les subventions sont versées, celles-ci viennent réduire la quote-part de chacun des copropriétaires. C'est en définitive de cette manière-là qu'a été réglée la question du préfinancement.

Enfin, vous m'interrogez sur l'adaptation du prêt collectif aux petites copropriétés. L'on constate que les règles de majorité sont difficiles à mettre en oeuvre dans les petites copropriétés des centres anciens et des centres-bourgs, notamment parce que s'y trouvent des fonds de commerce et des bailleurs non occupants qui sont par définition moins impliqués dans le traitement de la copropriété. De ce fait, il n'y a souvent d'autre solution qu'un investissement individuel de chaque membre. Le prêt collectif a le mérite de permettre rapidement à l'assemblée générale de prendre position et d'agir avant que le bâti ne se dégrade. Selon nous, ce dispositif est adapté aussi bien aux grands ensembles de plusieurs centaines de copropriétaires, puisqu'il évite l'analyse individuelle des dossiers, qu'aux toutes petites copropriétés. Dans tous les cas, il permet d'accélérer le processus de décision et d'investir plus rapidement.

Mme Audrey Linkenheld. - Quel est votre sentiment sur le plan Initiative Copropriétés ?

M. Kosta Kastrinidis. - En tant que partenaires de ce plan depuis 2018, nous avons pu en mesurer les effets sur les sites nationaux, au prix d'un effort extrêmement important de l'Anah et de toutes les parties prenantes - je citais tout à l'heure CDC Habitat, qui intervient sur douze de ces dix-sept sites -, ainsi que d'une implication extrêmement forte, qu'il faut saluer, des élus et des collectivités locales concernées. Il y a vraiment un avant et un après-PIC.

Il n'en reste pas moins que les outils permettant d'accélérer le redressement des copropriétés dégradées étaient insuffisants ; le texte qui vient d'être adopté devrait permettre de remédier à cette lacune.

J'en profite pour développer un point qui me tient à coeur. Lorsqu'il est question des copropriétés fragiles, on parle évidemment de la garantie financière publique, mais il me semble tout aussi important d'adosser cette première garantie sur une autre, à savoir une garantie d'action des collectivités locales, c'est-à-dire un engagement de leur part à mettre en place tous les moyens susceptibles de contribuer au redressement des copropriétés en difficulté : relogement des copropriétaires sortant au sein du parc social ; exercice d'un droit de préemption ; mise en place de mesures juridiques. Cet engagement est en quelque sorte le corollaire de l'engagement pris par le fonds de garantie pour « dérisquer » ces financements.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons le sentiment qu'il y a beaucoup d'outils et de dispositifs pour traiter les problèmes dans les grands ensembles, mais qu'il y en a assez peu pour les petites copropriétés. Partagez-vous ce sentiment d'un déficit d'action ?

Sur le terrain, nous avons rencontré des élus de petites et moyennes villes qui se plaignent de manquer d'ingénierie et de moyens financiers. Que peut faire la Banque des territoires pour les accompagner ?

Mme Audrey Linkenheld. - En complément de ces interrogations, je me demande si des initiatives ont été prises, par CDC Habitat ou dans le cadre du programme Action coeur de ville, par exemple, pour faire des repérages et identifier les petites copropriétés fragiles qui échapperaient au registre.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je ne dis pas que rien n'est fait, mais il y a, nous semble-t-il, des trous dans la raquette.

M. Kosta Kastrinidis. - Vos questions soulèvent le problème de la priorisation de nos politiques publiques.

Aujourd'hui, il y a urgence à traiter vraiment les copropriétés dites dégradées, celles qui font l'objet d'un suivi national ou local dans le cadre du PIC ; voilà qui représente déjà beaucoup d'investissements et d'énergie, et un soutien public très important.

La zone moins traitée est celle des copropriétés en voie de fragilisation, les dispositifs préventifs restant très locaux. Beaucoup de municipalités prennent l'initiative d'aider, par des subventions locales, des copropriétés qui ont besoin de réaliser des travaux, mais il n'existe pas de recensement de tout ce qui existe en la matière, notamment dans les villes moyennes et les centres-bourgs. La Banque des territoires peut intervenir en subsidiarité, en soutenant les dispositifs portés par les acteurs qui savent mieux faire que nous, la plupart du temps l'Anah. Au cours des dernières années, nous avons consacré 30 millions d'euros de subventions à ces opérations d'accompagnement des copropriétés, principalement là où il manquait d'offres d'ingénierie.

De manière générale, nous essayons de ne pas concurrencer les acteurs qui font, et nous nous efforçons d'amplifier leur action par un effet de levier. C'est ce que nous faisons dans le cadre des programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain, en apportant des crédits d'ingénierie. Nous intervenons également auprès de bailleurs sociaux ou de collectivités locales qui nous sollicitent pour des actions de requalification d'habitat privé dégradé ou d'habitat ancien.

Il pourrait être intéressant de mettre en place un partage de projets ou d'expériences à cet égard. Les bailleurs sociaux ont un véritable savoir-faire qui les rend légitimes à assurer la maîtrise d'ouvrage d'opérations QPV (quartier prioritaire de la politique de la ville). Dans les centres anciens, cette option est parfois utilisée par des collectivités, via par exemple la mobilisation de leur office local, mais il y aurait là matière à faire davantage. En outre, je pense que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) devrait, dans ses programmes, prendre en compte l'habitat privé plus qu'elle ne le fait actuellement.

Enfin, si le repérage ne fait pas partie de nos missions, je vous rejoins quant au constat. Il serait certainement utile d'approfondir la connaissance du parc en insistant sur l'anticipation et la prévention.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.