Mardi 4 juin 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 45.

Dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité - Audition des docteurs Jean-Louis Simenel, gynécologue-obstétricien, vice-président de la Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP), coordinateur du réseau de périnatalité de Normandie, Bernard Bailleux, gynécologue-obstétricien, président du réseau Oréhane - Organisation RÉgionale Hauts de France autour de la périNatalité (en visioconférence), Isabelle Jordan, pédiatre, coordinatrice du réseau AURORE - Association des Utilisateurs du Réseau Obstétrico-pédiatrique REgional d'Auvergne-Rhône-Alpes et du professeur Fabrice Pierre, gynécologue-obstétricien, président du RPNA - Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine (en visioconférence)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous auditionnons les coordinateurs de quatre réseaux régionaux de périnatalité - désormais nommés DSRP, pour dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité. Ces coordinateurs représentent quatre régions différentes, nous permettant de poursuivre notre tour de France, après un déplacement dans le Grand-Est en avril dernier, des auditions des Agences régionales de la santé (ARS) d'Ile-de-France, de Bourgogne-Franche-Comté, d'Occitanie, de Guadeloupe et de Mayotte au cours du mois de mai, et avant un déplacement en Bretagne ce jeudi. Vous le savez, nous sommes très attachés, au Sénat, à la dimension territoriale de nos travaux.

Deux de nos interlocuteurs sont présents dans la salle avec nous : le docteur Jean-Louis Simenel, gynécologue-obstétricien, coordinateur du réseau de périnatalité de Normandie et, en outre, vice-président de la Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP). Je précise que nous avons déjà échangé avec la présidente de la Fédération, Margaux Creutz-Leroy, lors de notre audition des fédération hospitalières ainsi que lors de notre déplacement en Meurthe-et-Moselle ; la docteure Isabelle Jordan, pédiatre, coordinatrice du réseau AURORE - Association des Utilisateurs du Réseau Obstétrico-pédiatrique REgional d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Deux de nos interlocuteurs sont connectés par visioconférence : le docteur Bernard Bailleux, gynécologue-obstétricien, président du réseau Oréhane - Organisation RÉgionale Hauts de France autour de la périNatalité ; le professeur Fabrice Pierre, gynécologue-obstétricien, président du RPNA - Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine (en visioconférence).

Les travaux que nous menons depuis trois mois nous ont permis d'identifier trois préoccupations principales s'agissant de la situation actuelle en matière de santé périnatale.

Tout d'abord, nous faisons face à une dégradation des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque : notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité, l'obésité et les problématiques de santé mentale. Ces indicateurs marquent des différences territoriales parfois importantes ; vous nous préciserez - le cas échéant par écrit - quelle analyse vous en faites, puisque vos missions incluent le recueil d'indicateurs « traceurs ».

Ensuite, nous constatons des difficultés dans l'accompagnement des futurs et jeunes parents. Vous nous exposerez les actions que vous menez afin de mieux les informer et de rendre plus lisible et plus accessible leur parcours de soin, en lien avec les différents professionnels concernés hôpital-ville-PMI.

Enfin, dans un contexte de raréfaction des ressources médicales et paramédicales, de nombreuses maternités sont aujourd'hui dans des situations de fragilité, qui amènent à s'interroger sur l'organisation de l'offre et de la permanence de soins, ainsi que sur la coordination et la solidarité territoriales entre établissements et entre professionnels de santé. Vos réseaux jouent un rôle central dans cette coordination. Vous nous direz dans quelle mesure ils accompagnent les ARS dans les projets de transformation de l'offre en maternités et l'anticipation d'éventuelles fermetures. Nous avons perçu, lors de précédentes auditions, une forte disparité entre les régions concernant les modalités d'organisation des réseaux de périnatalité. Ont également été évoqués des processus innovants dans le suivi, la prise en charge et les éventuels transferts des parturientes et de leurs bébés, et dans le suivi des nouveau-nés vulnérables. Vous nous présenterez donc vos actions locales, dont certaines pourraient peut-être gagner à être dupliquées, ainsi que vos préconisations en la matière.

M. Jean-Louis Simenel, gynécologue-obstétricien, coordinateur du réseau de périnatalité de Normandie et, en outre, vice-président de la Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP). - Merci pour cette occasion de nous exprimer sur les enjeux de la périnatalité. En Normandie, nous sommes en cours de fusion des structures régionales depuis deux ans, des thèmes nécessitent du travail pour rapprocher les pratiques, des façons de faire ne sont pas identiques ici et là entre les anciennes régions de Haute et de Basse Normandie - cependant les choses se passent bien, nous nous connaissons depuis longtemps.

Bien des problèmes que nous rencontrons sont liés aux difficultés de ressources humaines. Depuis trois ans, chaque été, nous sommes sous la menace de fermetures de maternités de type 2a et 2b. Nous avons également un souci à l'hôpital de Dieppe, où deux obstétriciens partent en retraite et il n'y a pas de relève. Cela. Nous essayons de combler les manques -du côté des obstétriciens, des pédiatres-réanimateurs, des sage-femmes et des anesthésistes -, ce qui se répercute sur les autres maternités : nous faisons prendre des gardes supplémentaires aux médecins en place et ils se déplacent. Nous le faisons parce qu'il nous parait intolérable de fermer une maternité, mais cela ne règle pas le problème et il faut trouver une solution, des moyens de régler nos difficultés de recrutement.

Cela pour parer au plus pressé, mais la réflexion peut aller plus loin, en reprenant l'organisation issue du décret de 1998, votre mission d'information en est l'occasion.

Des professionnels ne sont pas enclins à faire de la médecine sur certains territoires, c'est une tendance de fond, il faut réfléchir aux façons dont on pourrait faire déplacer les praticiens temporairement, trouver une forme de circulation des spécialistes pour qu'ils soient présents partout sur le territoire. Il faut également anticiper, car former un obstétricien, cela demande 12 ans - et dans l'immédiat, alors que des spécialistes partent en retraite sans remplaçant, il faut trouver une solution transitoire efficace et qui soit au niveau des soins attendus.

Je crois qu'il faut commencer par reconnaitre la gravité de la situation, pour éviter la catastrophe, et accepter de se relever les manches pour collaborer de manière large.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Chacun d'entre vous peut-il nous dire les manques dans son réseau, les fermetures effectives de maternités, les conséquences pour la population en particulier sur la distance à la maternité la plus proche, mais aussi des indicateurs comme la mortalité néonatale ?

M. Jean-Louis Simenel. - Je vous communiquerai les chiffres par écrit. La Normandie compte 23 maternités, dont 8 de type 1, 8 de type 2a, 3 de type 2b et 4 de type 3. Deux sont des centres universitaires - à Rouen et à Caen, un troisième centre universitaire se développe au Havre, plus orienté sur la psychiatrie, ce qui est un avantage pour le réseau normand dans son ensemble pour traiter les questions psychiatriques liées à la natalité. Nous avons eu l'an dernier 32 484 naissances, 7,5 % étaient prématurées, l'âge moyen de la grossesse est de 30,04 ans. Nous ne connaissons pas le taux de précarité mais le réseau de Haute-Normandie a de nombreux contacts avec des associations qui travaillent avec des femmes sans-domicile, qui dorment sous les ponts. Dans l'ancienne Haute-Normandie, aucune maternité n'est à plus de 71 kilomètres du CHU de Rouen, et dans l'ancienne Basse-Normandie, aucune maternité n'est à plus de 124 kilomètres du CHU de Caen et le réseau routier est de bonne qualité. Je vous communiquerai des chiffres plus précis.

Mme Isabelle Jordan, pédiatre, coordinatrice du réseau AURORE - Association des Utilisateurs du Réseau Obstétrico-pédiatrique REgional d'Auvergne-Rhône-Alpes. - Merci pour votre accueil, nous nous réjouissons de votre intérêt pour la périnatalité. Je commente un document que je vous ai préparé et qui comporte des chiffres que je ne citerai pas tous ici.

Notre association a été créée en 2003, elle regroupe 22 maternités - il y en avait 37 en 2004, et nous sommes passé de 41 341 à 37 183 naissances entre-temps, il y a donc eu des fermetures, un recul des naissances, mais nous nous battons pour assurer de la proximité. Notre territoire compte aussi un réseau de suivi des nouveau-nés vulnérables, créé en 2009, c'est un atout. Nous avons 14 services de néonatologie, avec une file active de 4 160 patients par an, nous coordonnons le suivi entre l'hôpital, la ville et les PMI et avons des conventions de collaboration avec les autres professionnels, par exemple les plateformes de coordination et d'orientation (PCO) et les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), ou encore les réseaux de prise en charge des troubles de l'apprentissage.

Nous avons des problèmes de ressources humaines, nous manquons de pédiatres, y compris en libéral, notamment dans la Drôme mais aussi dans des territoires très urbains comme Lyon.

Vous posez la question judicieuse de l'articulation des réseaux de périnatalité avec l'ARS. Après une mandature compliquée, où la périnatalité n'était pas un axe prioritaire de l'ARS et qui a vu des suppressions peu compréhensibles, comme celle des temps d'échange au sein de la commission régionale des naissances, l'équipe de l'Agence a changé et une nouvelle politique est initiée depuis un an, avec la volonté de co-construire un DSRP sans faire disparaitre les réseaux existants, c'est une très bonne chose. Il va y avoir des actions de niveau régional, c'est positif également. Cependant, nous aimerions être davantage consultés et qu'on prenne en compte notre expertise en particulier pour évaluer le maillage territorial, ce n'est pas assez le cas. Nous avons aussi besoin d'un dossier commun.

Les fermetures de maternités peuvent correspondre à des fusions, ce qui n'est pas nécessairement un problème, mais il y a eu des fermetures récentes : une maternité privée à Rilleux en 2023, une maternité privée à Guillerand-Granges en 2022, une maternité publique à Privas en 2019, et il y a eu la fermeture de la maternité publique de Die en 2018. La fermeture de la maternité de Die est un exemple intéressant à étudier, d'abord en raison de la faible couverture territoriale de l'offre de soins dans la Drôme, mais aussi pour tout le travail de préparation et d'accompagnement initié avant, pour maintenir une offre de soins. La maternité de Die est ainsi devenue centre périnatal où il y a des consultations assurées par des obstétriciens, par des pédiatres, par des sage-femmes - et les patientes sont dirigées vers l'hôpital de Valence pour accoucher. Cette mutation de la maternité de Die a bénéficié, en 2017, d'une expérimentation d'un hôtel hospitalier en chirurgie qui a été ouvert également aux femmes enceintes proches du terme. La coordinatrice qui s'en occupe m'a dit, cependant, que le nombre de patientes a diminué, parce qu'un accord est intervenu avec le Samu pour les traiter en priorité - les parturientes sont qualifiées de patientes « remarquables » -, ce qui a rassuré les femmes sur la possibilité d'accéder rapidement à la maternité de Valence et rendu moins nécessaire le recours à l'hôtel hospitalier. Un travail est donc fait en amont pour informer les femmes enceintes du réseau mis en place.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ce travail d'information est-il fait par tous les professionnels ?

Mme Isabelle Jordan. - Oui, par tous les personnels soignants. En fonction de leur résidence géographique, les femmes enceintes sont aiguillées vers une filière et sont reçues pour une information spécifique. La coordinatrice m'a également indiqué que le centre périnatal de Die avait conventionné avec un hôtel près de la maternité, puis avec un appart'hôtel pour pouvoir recevoir les proches des femmes enceintes lorsque c'est utile - le décret prévoit l'hospitalisation jusqu'à cinq jours, mais ce délai peut être étendu en cas de besoin. Cette deuxième solution a eu davantage de succès. Nous comptons dix centres périnataux sur notre territoire. Celui de Tournon peut héberger les femmes en suites de couches, la coopération est très bonne avec la maternité de Valence et cette organisation aide à pallier des difficultés de ressources humaines - je vous invite à vous rapprocher de la coordinatrice à Valence, qui vous rendra compte de cette expérience intéressante.

Comment évaluer l'offre de soins ? La question invite à parler du chiffre - magique ? - des 1 000 naissances par an, alors que le nombre de naissances n'est pas le seul critère à prendre en compte. Ce qu'il faut regarder aussi, c'est le maillage territorial et le problème massif d'attractivité : les jeunes générations de professionnels n'ont pas les mêmes aspirations, c'est le cas dans tous les milieux professionnels et il faut faire avec.

Il vaut donc mieux prendre à bras-le-corps l'ensemble de la problématique, et programmer les fermetures qui sont inévitables, réfléchir ensemble pour rassembler les ressources sur des plateaux techniques de bon niveau et relier les maternités à des centres périnataux et à des maternités sans accouchement - nous sommes disposés à y travailler.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous évoquez des maternités sans accouchement et des centres périnataux, quelles distinctions faites-vous entre les deux ?

Mme Isabelle Jordan. - Je n'ai pas réfléchi particulièrement à la terminologie, mais je dirais que des centres périnataux peuvent se contenter de faire des consultations, ce sont des centres de consultation avancés, tandis que la notion de maternité implique la prise en charge des suites de couches et de la psycho-périnatalité.

Je signale que nous documentons la survenue d'événements graves, nous les suivons en réunion de morbinatalité, sans aucun pouvoir de décision ni de relation hiérarchique avec les équipes, nous ne pouvons être que des incitateurs, la décision appartient à l'ARS.

Il faut parler aussi de l'aspiration des usagers, en particulier pour des accouchements moins médicalisés. Nous avons une maison de naissance adossée à la maternité de Bourgoin-Jallieu, par exemple, elle fonctionne bien depuis quelques années et répond à une partie de la demande d'accouchements physiologiques, il faudrait voir son articulation avec la demande d'accouchement à domicile - c'est à prendre en compte, des patientes pourraient trouver du confort dans des maisons de naissance.

J'ai obtenu de l'ARS, en un temps record - c'est le signe de très bonnes relations de travail - la carte montrant le temps d'accès à une maternité sur notre région, je vous la communique. Elle montre qu'il y a des territoires situés à plus d'1h30 d'une maternité, y compris dans la Drôme, qui est pourtant un territoire attractif. Il y a des lacunes, par exemple nous n'avons pas de maternité avec réanimation entre Lyon et Nîmes, c'est pourquoi nous demandons que la maternité de Valence, actuellement de type 2b, passe en type 3, mais cela pose un problème de ressources humaines, notamment s'agissant des pédiatres - alors, encore une fois, que le territoire est attractif.

Le DSRP joue un rôle important d'harmonisation des pratiques, pour proposer des formations, pour rédiger des protocoles, ou encore pour l'articulation hôpital-ville-PMI, nous avons des liens privilégiés avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS), avec les maisons départementales, nous avons un rôle dans le suivi des événements indésirables graves, avec des réunions de morbi-mortalité dites de réseau, où l'on examine les causes de transfert tardif. Nous assurons aussi le suivi des échographistes, qui sont validés pour assurer le suivi de la trisomie 21.

Quelles sont nos difficultés ? Elles tiennent au déficit de ressources humaines et aux suspensions d'activité. Nous avons également des difficultés dans le recueil des informations pour suivre les indicateurs - nous n'avons pas beaucoup de moyens pour le faire. D'autant qu'ensuite, une fois l'information obtenue, il faut adapter notre action en conséquence, par exemple quand on constate des violences, de la maltraitance, des difficultés de santé... Nous manquons de moyens. Un exemple : l'allaitement maternel, encourage par le programme des 1 000 premiers jours paraît essentiel, mais il ne fait plus partie des orientations prioritaires du DPC (développement professionnel continu) - donc les professionnels, pour se former, doivent payer de leur poche, c'est un détail qui a son importance...

Quelles sont nos particularités régionales ? Nous avons mis en place une cellule régionale des transferts périnataux, depuis 2002, je sais d'expérience qu'elle a apporté du mieux, on ne passe plus des heures à chercher des places disponibles. Elle traite 3 000 dossiers par an, assurant 1 200 transferts intra-utérins et 1 000 transferts en post-natal. En cinq années d'existence, le nombre de transferts intra-utérins a pris le pas sur les transferts en post-natal, c'est le signe que les bébés naissent davantage dans des unités adaptées - en France, on s'attend à ce que ce soit le cas pour 80 % des naissances, nous sommes à 88 %, ce bon résultat est à mettre au crédit de la cellule régionale ; ce très bon outil est devenu indispensable.

Autre particularité, notre plateforme d'expertise IVG de la région Auvergne Rhône-Alpes (Pleiraa), qui, en lien avec notre réseau, fait des formations, s'assure de la continuité de service de l'IVG.

Nous avons aussi un très bon niveau de dépistage néonatal, il y a quelques refus, mais nous parvenons par exemple à 99,65 % d'exhaustivité pour le dépistage de la surdité, et 99,98 % sur le dépistage biologique (soit 40 refus pour 38 000 naissances).

Un mot sur la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité. Elle assure une très bonne coordination, en assurant le lien entre les DSRP, qui participent à son conseil d'administration, en animant des groupes de travail nombreux et en développant des outils très utiles, par exemple pour le repérage des professionnels qui font l'échographie de repérage de la trisomie 21. Cette fédération manque de moyens, je crois utile de la soutenir.

M. Bernard Bailleux, gynécologue-obstétricien, président du réseau Oréhane - Organisation RÉgionale Hauts de France autour de la périNatalité. - Le réseau Oréhane est issu de la fusion, début 2020, des réseaux de périnatalité du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie. Les écarts très forts de densité, mais aussi dans les indicateurs de santé publique, rendent très difficile toute cartographie de la vulnérabilité. Nous avons peu de maternités menacées de fermetures, plusieurs ont été faites avant 2020 ; il reste peut-être quelques petites maternités de moins de 500 naissances qui pourraient être appelées à fermer un jour, mais pas dans l'immédiat. Une parenthèse : s'il fallait fermer les maternités sous le seuil de 1 000 naissances, il faudrait en fermer une sur trois, mieux vaut donc raisonner au cas par cas. Cependant, nous observons des arrêts transitoires d'activité, qui entrainent une désorganisation très importante de l'offre sur le territoire. Par exemple, le service de néonatalité du CHU de Lille a fermé quelques lits depuis octobre 2023, ce qui a désorganisé les transferts, des services de type 2b ont dû prendre en charge des nouveau-nés qui auraient dû l'être par le CHU. En tout cas, les solutions de remplacement sont toujours difficiles à trouver quand une maternité ferme.

Les indicateurs de santé publique sont nombreux, je pourrai vous communiquer ceux dont nous disposons, mais il manque à notre DSRP une synthèse régionale, cela pose un souci de la visibilité sur les territoires en difficulté. Or, l'ARS dispose de ces indicateurs, puisqu'ils lui servent à construire le programme régional de santé (PRS), pour lequel nous sommes très sollicités.

L'ARS nous a confié des projets qu'elle gérait, par exemple les IVG, ou encore le dossier régional informatisé - lequel est assez lourd à gérer après des échecs d'informatisation - et le suivi des enfants vulnérables.

La cellule de transfert néonatal créée en 2020 a eu des effets très positifs, les professionnels nous l'ont dit immédiatement. Cependant, des services ferment faute de personnel et la cellule doit gérer les transferts de mamans et de nouveau-nés sur des distances malheureusement très longues, par exemple de Lille à Senlis et une coopération existe aussi avec la Belgique et plus précisément la maternité de Tournai.

Autre point positif, l'implication des usagers dans nos projets, dans les groupes de travail, les webinaires - c'est utile et nous pouvons nous en féliciter.

Les difficultés que nous rencontrées sont liées aux fermetures temporaires et à la désorganisation de l'offre de soins, et bien sûr aux manques de ressources humaines - il y a des fluctuations préjudiciables à la qualité des soins, quelle que soit la taille de la maternité. L'intérim et le turn over insécurisent les équipes et sont préjudiciables à la qualité même des soins.

Il faut réfléchir aux moyens de stabiliser et distribuer l'offre de soins. Je pense que les ARS n'ont pas de solution non plus à leur échelle, la réflexion doit être plus large. Il faudrait augmenter l'offre de soins, mais ce n'est pas l'orientation prise.

Nous sommes le premier DSRP de France, avec plus de 60 000 naissances par an, mais nous n'avons qu'un seul projet de maison de naissance, alors qu'il y a une demande forte des familles, en particulier pour l'accouchement à domicile - il faut réfléchir à ce qu'on en fait : est-ce qu'on laisse faire, on accompagne, on réglemente ?

Enfin, quelques mots sur l'articulation de notre DSRP avec l'ARS. Nous avons toujours eu d'excellentes relations avec l'ARS, car notre référente périnatalité avait une bonne connaissance des territoires, elle constituait un point d'appui dans nos échanges. Cette référente est partie en retraite, une nouvelle référente est très dynamique et à l'écoute, c'est une très bonne chose - je suis persuadé, d'expérience, qu'il faut un référent périnatalité bien ancré dans les territoires, et j'appelle aussi à réactiver les anciennes commissions régionales de naissance, je pense que c'est nécessaire.

M. Fabrice Pierre, gynécologue-obstétricien, président du RPNA - Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine. - Merci, ces échanges sont importants. Le RPNA a regroupé les réseaux du Limousin et de Poitou-Charentes, la fusion a été difficile et houleuse au départ, avec de vraies difficultés, mais elle est maintenant effective, nous avons bénéficié de la mise en place d'un réseau de suivi des enfants vulnérables (RSEV) dans le cadre du parcours de soins précoces et coordonnés du nouveau-né (Cocon), expérimentation introduite par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - et je peux dire que l'agrégation des réseaux s'est bien passée, le RPNA est effectif depuis 2017.

Nous vous communiquerons les chiffres que vous nous avez demandés, mais je voudrais d'ores et déjà que Louise Delavenne, notre responsable administrative, vous présente très sommairement notre territoire.

Mme Louise Delavenne, responsable administrative au RPNA. - La Nouvelle Aquitaine est peu dense, avec 72 habitants par kilomètre carré en moyenne, et nous avons enregistré ces dernières années entre 54 000 et 55 000 naissances annuelles.

Le RPNA fédère 12 centres de proximité, 42 maternités dont 3 CHU, les maternités de type 1 représentent 52 % de nos maternités, contre 38 % à l'échelle nationale. Une comparaison de densité : pour un nombre équivalent d'habitants, les Hauts-de-France représentent 40 % de notre territoire.

M. Fabrice Pierre. - La densité est même de 21 habitants au kilomètre carré en Creuse. Nous avons de vastes territoires peu denses, avec des populations dispersées, ce qui implique de conserver de petites structures, ou bien la distance à la maternité atteint vite 1h30 à 2 heures, ce qui n'est pas acceptable.

Mme Annie Campagne, coordinatrice médicale au RPNA. - Les chiffres de natalité sont comparables en Nouvelle-Aquitaine à ceux de la France métropolitaine, nous vous les ferons passer par écrit.

Le réseau permet un échange entre professionnels de la périnatalité, de rompre l'isolement, nous organisons des réunions mensuelles qui sont très suivies, pour des présentations et des échanges, nous mettons en commun les professionnels hospitaliers et la médecine de ville. Nous élaborons aussi des outils, avec des auto-questionnaires pour repérer les vulnérabilités de façon précoce - nous vous communiquerons ces questionnaires. Au-delà, nous aidons les professionnels à accéder à des formations. Nous sommes en lien permanent avec l'ARS.

M. Fabrice Pierre. - Nous avons la chance d'avoir à l'ARS une référente périnatalité très engagée, c'est un appui très précieux pour le dossier Cocon par exemple, nous échangeons en continu avec elle, les choses se passent bien. Nous avons une cellule de régulation sur la plateforme du Samu, les transferts in utero sont gérés par le Samu, mais avec les sages-femmes de notre réseau. Pour les urgences, les sages-femmes facilitent le travail du Samu et hors urgence, elles gèrent les transferts, elles font aussi les transferts néonataux. Elles doivent régler les problèmes de places posés dans les re-transfert car nous manquons de places de néonatalogie de type 2 en région, au plus près des patientes, c'est un sujet important.

L'aspect ressources humaines est décisif dans le maillage territorial. Il faut reprendre les recommandations publiées en 2018 par le CNGOF, le CARO, le CNSF, la FFRSP, la SFAR, la SFMP et la SFN dans un rapport consacré aux ressources humaines pour les activités non programmées en gynécologie-obstétrique. Des maternités vont fermer, c'est clair, parce qu'il faut un minimum d'activité pour se maintenir. Mais il faut regarder de plus près comment les choses se passent et je ferai deux remarques. D'abord, quand une structure veut recruter, c'est pour avoir un tableau de garde et une permanence de soins d'urgence, pour assurer les urgences : ce n'est pas très motivant, ce n'est pas ce qui fait venir un professionnel. Ensuite, il ne faut pas croire que le phénomène touche seulement les petites structures, les grandes aussi sont concernées, y compris les CHU, car le travail est très lourd, la pression forte, entre les consultations programmées et les urgences, il y a des spirales qui font craquer - les gens ne veulent plus travailler comme on le faisait avant, il faut en tenir compte.

Je crois donc que l'avenir passe par un GHT équilibré dans la région, dans le respect des différents temps du professionnel et de ses appétences, entre des activités dans des petites maternités et des activités de surcompétence dans les plus grosses maternités, c'est en respectant cet équilibre qu'on parviendra à maintenir les équipes. En tout état de cause, le recours aux intérimaires n'est pas une bonne chose, il finit par empêcher la politique de service et le bon suivi.

Nous avons de nombreuses fermetures partielles, y compris dans des structures de type 2 qui sont en grande difficulté, notamment en Charente. Nous avons un système d'anticipation « plan rose » qui permet de repérer les femmes, de savoir où elles veulent accoucher, de transmettre les dossiers. Nous le faisons en nous rapprochant du Samu et des transporteurs.

Oui, nous allons être obligés de fermer certaines maternités mais je crois qu'il faut organiser un « aller vers » et un « rester à côté ». Je pense à une initiative dans des territoires très isolés en Auvergne, qui s'appelle « Opti'soins », où les sage-femmes vont voir des femmes enceintes. Dans l'un de nos secteurs, il y a aussi des initiatives de suivi prénatal au sein d'un GHT mais coordonné avec les sages-femmes libérales et de PMI, qui sont nombreuses dans certains territoires. L'idée est d'avoir un suivi à une équipe de proximité et de savoir où elles veulent accoucher et comment. Il faut aussi que les établissements aient des réflexions sur les différents modes d'accouchement, au sein d'un même grand établissement, pour avoir des accouchements dans un environnement moins ou pas technique. Nous ne sommes pas favorables à la sortie à quelques heures mais nous sommes favorables à la sortie précoce à 24 ou 48 heures, à condition que la même équipe suive la maman et l'enfant, avec la sage-femme, l'auxiliaire de puériculture et les autres professionnels de la néonatalité qui se rendent à domicile ou à proximité. Il ne faut donc pas fermer de maternité sans organiser un maillage territorial, cela demande du temps mais il faut faire ce travail.

Je signale, enfin, que nous n'avons pas d'idée précise du nombre d'accouchements à domicile. Dans un territoire que je connais, qui compte 2 500 accouchements, il y aurait une centaine d'accouchements à domicile, c'est loin d'être négligeable ; et si l'on n'a pas une maternité où l'on a envie d'accoucher, un accompagnement avant et après la naissance, il est probable que la tendance à ces accouchements non sécurisés s'accentuera - une évaluation serait la bienvenue.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Le temps de cette audition est écoulé, nous continuerons à échanger par écrit. Je remercie chacune et chacun pour votre participation aux travaux de la mission et vous invite à nous communiquer vos contributions et les compléments que vous jugerez utiles de porter à notre connaissance.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 15 h 45.

Présentation par l'institut CSA des résultats de l'étude d'opinion sur la prise en charge de la santé périnatale commandée par la mission d'information

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Après la table ronde consacrée aux réseaux de périnatalité, nous recevons Quentin Llewellyn, directeur conseil, et Lola Loyaté, analyste de données, de l'institut CSA. Ils nous présenteront une enquête d'opinion commandée par la mission.

Les travaux que nous menons depuis trois mois nous ont permis de dresser différents constats sur la situation de la santé périnatale dans notre pays. Sans revenir sur ces éléments en détail, je rappellerai le contexte de création de cette mission. Cette mission d'information a été demandée par le groupe RDSE, alors que les indicateurs de mortalité néonatale infantile et maternelle ne s'améliorent plus, voire se dégradent dans notre pays et que la situation s'avère également préoccupante concernant différents facteurs de risque, notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité, l'obésité, et les problématiques de santé mentale.

Dans le même temps, et en partie face à ce premier constat, l'académie de médecine s'est autosaisie et a publié un rapport appelant à une réforme d'urgence, au moyen notamment d'une rationalisation de l'offre des maternités. Cette préconisation qui a fait couler beaucoup d'encre s'appuyait notamment sur un diagnostic alarmant quant à l'état de fragilité de nombreuses structures, du fait principalement d'une raréfaction des ressources médicales. Force est de constater que cette fragilité n'a été que confirmée par nos travaux et ne concerne pas, comme on peut parfois l'entendre, uniquement des maternités dites « petites », mais constitue bien un enjeu de préoccupation majeure.

Notre mission a entendu de nombreux représentants médicaux et paramédicaux, ainsi que des responsables politiques et institutionnels, tous animés, dans leur analyse, par une tension inhérente à notre sujet : l'arbitrage délicat entre sécurité et proximité.

Dans ce contexte, la rapporteure et moi-même avons considéré qu'au-delà des représentants médicaux, scientifiques et institutionnels, l'avis des premières concernées se devait d'être analysé sous un angle nouveau. Telle est la raison pour laquelle nous avons décidé de commander une étude d'opinion afin de recueillir la perception des femmes sur leur prise en charge durant leur grossesse, leur accouchement et les mois qui ont suivi.

J'insiste : l'objet de ce travail n'est pas, aujourd'hui, d'apporter une étude épidémiologique nouvelle ou concurrente des données existantes, mais d'apporter un éclairage nouveau sur le ressenti des mères ou futures mères, l'organisation des soins périnatals, les priorités qui sont les leurs et leur appréhension de certains débats qui, parfois, peuvent nous animer de façon vive.

L'étude livrée me paraît riche d'enseignements et je souhaitais qu'elle vous soit présentée au plus vite.

M. Quentin Llewellyn, directeur conseil de l'institut CSA. - Nous allons vous présenter les principaux enseignements de notre enquête d'opinion sur la santé périnatale, réalisée en ligne, en mai dernier, auprès de plus de mille femmes âgées de 18 à 50 ans. Leur moyenne d'âge se monte à 34 ans. Parmi elles : 676 avaient accouché au cours des deux dernières années ; 84 étaient enceintes ; 253 prévoyaient de tomber enceinte avant la fin de l'année 2024.

Il s'agissait de donner la parole à ces femmes pour dresser un état des lieux de leur ressenti par rapport au suivi de leur grossesse et de leur accouchement, au suivi postnatal et au problème posé par le choix de leur lieu d'accouchement.

Les critères déterminant le choix de ce lieu sont principalement, et à égalité, la proximité avec le domicile et la qualité des soins. Vient ensuite la notoriété de l'établissement.

D'intéressantes différences se font jour selon la catégorie de femmes interrogées. Ainsi, la proximité est davantage mise en avant par les femmes ayant accouché au cours des deux dernières années, tandis que les femmes enceintes ou ayant un projet de maternité se montrent plus sensibles à la qualité des soins, de sorte que ce critère se retrouve, en ce qui les concerne, en première position.

Si 71 % des femmes interrogées ont eu le choix de leur lieu d'accouchement, la part de celles qui n'ont pas eu ce choix se monte à 32 % chez celles qui ont accouché au cours des deux dernières années. L'impossibilité de choisir s'explique en premier lieu (à 69 %) par l'éloignement géographique. Un cinquième des femmes ayant accouché au cours des deux dernières années n'a cependant pas pu choisir son lieu d'accouchement en raison d'impératifs médicaux liés à leur grossesse.

Le choix du lieu d'accouchement s'opère néanmoins dans un contexte de déficit d'information non négligeable. Les femmes interrogées sont guidées, ou du moins éclairées dans leur choix, par différents acteurs et sources d'information, qui sont principalement : le personnel soignant qui les accompagne (pour 58 % d'entre elles) ; l'entourage (familial et amical) ; puis, dans une moindre mesure, des sites Internet (spécialisés ou des établissements) ; et, enfin, les réseaux sociaux.

Une majorité de femmes (plus précisément 71 %) s'étaient renseignées sur la maternité où elles avaient accouché (ou allaient accoucher). Leur démarche proactive visait à s'informer sur : le niveau d'encadrement pendant l'accouchement ; le type de professionnels obligatoirement présents pendant l'accouchement ; le niveau de risque pris en charge en cas de complication ou d'urgence.

La classification des maternités en quatre types (1, 2a, 2b, 3) échappe à la plupart des interrogées : seules 38 % d'entre elles savent de quoi il retourne. Les 62 % restantes, soit n'en ont jamais entendu parler, soit ne savent pas vraiment à quoi renvoient les quatre catégories.

La maternité de type 1 se distingue par l'absence de service de néonatologie, de service de réanimation ou de soins intensifs néonatals, or moins d'une femme sur deux en a conscience. Cette proportion atteint 60 % chez les femmes ayant accouché ou comptant accoucher dans une maternité de ce type.

L'enquête a fourni l'occasion d'une remise à niveau des connaissances des femmes interrogées touchant aux types de maternité. À l'issue de cette remise à niveau, il a été demandé aux femmes ayant accouché entre 2022 et 2024 dans quel type de maternité elles avaient accouché. Près d'un quart d'entre elles n'ont pas été en mesure de répondre à cette question.

Abordons l'arbitrage entre la sécurité et la proximité - arbitrage délicat, comme le montrent les résultats de l'enquête. Il a été demandé aux femmes interrogées si elles privilégiaient la proximité ou la garantie d'une plus grande sécurité. 56 % des femmes préfèrent une maternité plus sécurisée (de type 2a, 2b ou 3, mieux en mesure de prendre en charge des grossesses à risque), y compris s'il leur faut plus de trente minutes pour s'y rendre. A l'inverse, 44 % des femmes préfèrent accoucher à proximité de leur domicile y compris s'il s'agit d'd une maternité de type 1. En somme, les avis sur la question restent partagés.

Par ailleurs, les femmes seraient prêtes à effectuer jusqu'à quarante minutes de trajet en moyenne pour rejoindre leur lieu d'accouchement, alors que le temps de trajet moyen déclaré par les femmes interrogées tourne autour de vingt à vingt-cinq minutes.

Le projet de regroupement des maternités a été soumis aux femmes interrogées. Afin de resituer ce débat, la question était ainsi libellée : « Aujourd'hui, certains considèrent nécessaire de revoir l'organisation des maternités. L'académie de médecine propose par exemple de fermer des « petites maternités » de type 1 pour les regrouper avec des maternités de type 2 et 3 au sein d'un même territoire, mieux équipées pour faire face à un accouchement qui se passerait mal. Ces maternités pourraient se trouver plus loin du domicile des femmes (jusqu'à 1h de trajet) mais seraient plus sécurisées. Les suivis de la grossesse et post natal seraient assurés dans des établissements de proximité ». 67 % des femmes interrogées ont alors jugé que ce projet était une bonne chose. 26 % ont même trouvé une très bonne chose.

Passons à la perception du suivi de la grossesse. Une grande majorité de femmes interrogées a jugé satisfaisante leur prise en charge durant leur grossesse. Près d'une sur deux a même qualifié ce suivi de très satisfaisant - qu'il s'agisse aussi bien du suivi obligatoire du septième mois, du rendez-vous avec l'anesthésiste ou des informations fournies sur le déroulé de la grossesse et de l'accouchement que de la place accordée au coparent.

Intéressons-nous au ressenti à l'égard de l'accouchement lui-même, finalement très positif, malgré quelques regrets exprimés par une part non négligeable de femmes. Notons que cet événement est susceptible d'entraîner une dégradation de leur santé mentale.

L'accouchement se passe bien dans 88 % des cas - et même très bien pour 47 % des interrogées, qui justifient leur ressenti par la qualité de l'accompagnement reçu, jugeant le personnel à l'écoute et compétent. La bonne gestion de la douleur est également mise en avant, ainsi qu'un accouchement ni trop long ni trop difficile et, le cas échéant, des difficultés aient au bout du compte surmontées. Il ne faudrait pas pour autant oublier les problèmes et complications rencontrés par 30 % des interrogées - problèmes liés à des situations d'urgence, tels que des césariennes, parfois sous anesthésie générale, mais aussi des hémorragies, la nécessité de déclencher certains accouchements ou encore des péridurales. Les problèmes signalés concernent autant la mère que l'enfant.

Près d'un quart des femmes ayant accouché entre 2022 et 2024 expriment des regrets, principalement celui de ne pas avoir pu accoucher naturellement, et, plus globalement, de ne pas avoir vécu leur accouchement comme elles l'avait imaginé. Certaines auraient souhaité une préparation différente à l'accouchement, faisant la part plus belle à la sensibilisation et à la prévention des imprévus, tout en ayant conscience du potentiel anxiogène d'une telle approche. D'autres regrets ont porté sur la relative indisponibilité des soignants à certains moments-clés de l'accouchement.

Intéressons-nous au suivi postnatal, tant à la maternité qu'à domicile. Bien qu'il ne pose a priori pas de difficulté particulière, il a lieu sur fond de détérioration de la santé mentale de certaines parturientes. 60 % des interrogées ont estimé satisfaisante la durée de leur séjour à la maternité. La plupart de celles qui se sont montrées critiques à cet égard reprochaient à ce séjour d'être trop long plutôt que trop court.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelle est la durée moyenne des séjours à la maternité ?

M. Quentin Llewellyn. - La question n'était malheureusement pas posée dans l'enquête, mais il me semble que ce séjour ne se prolongeait pas plus de trois jours en moyenne quand l'accouchement se passe bien.

Nous nous sommes intéressés à l'état physique et psychologique des femmes à la suite de leur accouchement : dans les deux heures suivantes ; à leur sortie de maternité ; au cours des jours suivant cette sortie ; au bout de deux mois.

L'état physique s'améliore au fur et à mesure que l'accouchement s'éloigne dans le temps. Alors que 79 % des femmes jugeaient leur état physique satisfaisant deux heures après l'accouchement, elles étaient 90 % dans ce cas au bout de deux mois. En revanche, l'état psychologique, jugé satisfaisant à 84 %, deux heures après l'accouchement, se dégrade légèrement à partir de la sortie de maternité. Ainsi, près d'un cinquième des femmes témoignent d'un état psychologique non satisfaisant à compter de leur sortie de maternité, jusqu'à au moins deux mois après l'accouchement. Ce chiffre montre que l'accouchement n'est jamais anodin. Même quand il se passe bien, il est susceptible de laisser des traces, voire des séquelles psychologiques. De fait, une femme sur deux a ressenti une dégradation de sa santé mentale par suite de son accouchement. Certes, la notion de dégradation de la santé mentale peut renvoyer à une multitude d'états selon le vécu de chacune.

Une femme sur cinq n'est pas satisfaite des informations communiquées par le personnel soignant après l'accouchement. Au regard des autres résultats de l'enquête, ceci prouve que, si le suivi postnatal pèche par l'un de ses aspects, c'est bien par celui-là. Une femme sur cinq n'a pas non plus bénéficié d'un suivi postnatal de retour à son domicile. Le suivi du nourrisson ne pose en revanche pas de difficulté particulière, puisque 88 % des femmes ont facilement trouvé un moyen de faire suivre leur nouveau-né. Un léger décalage s'observe toutefois entre les réponses des femmes issues d'un milieu rural, qui semblent avoir trouvé plus facilement un suivi que les femmes franciliennes. Le suivi s'est en tout cas bien passé pour 97 % des répondantes. Il s'est même très bien passé pour 58 % d'entre elles.

Enfin, les femmes interrogées ont suggéré des pistes d'amélioration à trois moments-clés. D'abord, une majorité souhaiterait être suivie, durant leur grossesse, par un professionnel unique de référence et de proximité. Ensuite, la systématisation des chambres individuelles et d'un deuxième couchage pour le coparent est vivement attendue lors de l'accouchement, en vue d'un meilleur confort et d'un meilleur soutien mutuel entre coparents. Enfin, l'allongement du congé accordé à la mère comme au coparent serait, lui aussi, le bienvenu.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour votre restitution de cette étude. Il nous semblait important de mieux cerner le regard des femmes elles-mêmes, d'autant que celui-ci nous éclaire sur les avis des professionnels.

Avez-vous remarqué, pour certaines questions, des différences entre territoires urbains et ruraux ?

La dégradation de la santé mentale d'une partie des parturientes a-t-elle occasionné un suivi psychologique particulier ?

M. Quentin Llewellyn. - Nous ignorons si celles qui éprouvaient des difficultés psychologiques ont bénéficié d'un suivi ou non, bien que, dans l'ensemble, fort peu aient été suivies.

Les différences entre territoires restent de l'ordre de la nuance. Les plus notables ont trait au choix du lieu d'accouchement. Dans les communes rurales, les parturientes, domiciliées assez loin de la maternité la plus proche, acceptent plus volontiers un long trajet jusqu'à leur lieu d'accouchement.

Mme Annie Le Houerou. - L'enquête fait état d'une certaine opposition entre proximité et qualité. Force est de constater une dégradation de la prise en charge en proximité, car rien ne garantit aux maternités de type 1 qu'elles disposeront d'assez de moyens en termes de ressources humaines. D'autres conditions d'accueil dans les maternités de type 1, avec du personnel en nombre suffisant - spécialistes y compris - auraient peut-être donné lieu à des réponses différentes. Pour cette raison, cela me gêne quelque peu que vous opposiez proximité et sécurité.

M. Quentin Llewellyn. - Nous proposions le choix entre une maternité de type 1 à proximité du domicile et un établissement plus sécurisant quoique plus éloigné.

M. Patrice Joly. - L'éloignement géographique reste le premier obstacle au choix du lieu d'accouchement. Comment parvenez-vous à la conclusion que les femmes seraient prêtes à parcourir en moyenne quarante minutes pour rejoindre ce lieu ? Cette durée ne correspond pas à la moyenne des autres pourcentages.

M. Quentin Llewellyn. - La question du temps de trajet acceptable était en réalité une question ouverte. Nous avons réparti les réponses par tranches de durée, en calculant par ailleurs une durée moyenne d'après l'ensemble des réponses.

M. Patrice Joly. - Ceci pose la question du maillage, de l'organisation des réseaux et de l'éloignement. Plutôt que de supprimer les maternités de type 1, nous pourrions décider de les faire monter en gamme afin d'éviter à toute femme de résider à plus d'une heure d'un établissement de ce type. Votre enquête ne nous guide pas sur la question du maillage des maternités au regard de leur qualité de service.

Selon votre sondage, les projets de regroupement de maternités sont plutôt vus d'un bon oeil. Il eût été intéressant de distinguer les réponses de celles qui résident en zone rurale. Interroger à ce propos des femmes non concernées par un allongement du trajet jusqu'à leur lieu d'accouchement a pu introduire un biais dans les opinions exprimées.

M. Quentin Llewellyn. - La majorité des femmes (67 % précisément) se montrent favorables au projet de regroupement des maternités, indépendamment de leur CSP et de la catégorie d'agglomération dans laquelle elles résident. Ainsi, 60 % des résidentes de communes rurales considèrent ce projet comme une bonne chose. Certes, cette proportion atteint 70 %, soit trois points de plus que la moyenne parmi les habitantes de communes de plus de 100 000 habitants - et même 71 % dans l'agglomération parisienne.

M. Patrice Joly. - Près d'un tiers des femmes se heurtent à des problèmes durant leur accouchement. Plus précisément, tel est le cas de 32 % de celles qui accouchent dans une maternité de type 1, de 34 % de celles qui accouchent dans une maternité de type 2 et de 35 % de celles qui accouchent dans une maternité de type 3. Mieux vaut donc accoucher dans une maternité de type 1.

M. Quentin Llewellyn. - En réalité, la proportion de femmes confrontées à des problèmes ne varie que très peu selon le type de maternité où elles accouchent.

M. Patrice Joly. - Le pourcentage inférieur de problèmes dans une maternité de type 1 fait figure de paradoxe quelque peu amusant.

M. Quentin Llewellyn. - La part des femmes ayant rencontré un problème lors de leur accouchement reste dans cette enquête la même quel que soit le type de maternité.

M. Patrice Joly. - 54 % des femmes ayant accouché dans une maternité de type 2 ont rencontré un problème les concernant elles-mêmes, contre 36 % de celles qui ont accouché dans une maternité de type 1 et 28 % de celles qui ont accouché dans une maternité de type 3.

Mme Céline Brulin. - N'est-il pas contradictoire que 54 % des femmes préfèrent une maternité proche de leur domicile, alors que des problèmes sont aussi susceptibles de survenir dans n'importe quel type de maternité ? Face à un choix théorique, les avis semblent partagés, tandis que le vécu paraît à peu près le même partout. La remarque vaut aussi pour les regrets. Surtout, la plupart des femmes n'établissent aucune différence entre les divers types de maternités.

M. Quentin Llewellyn. - Vous avez raison de distinguer le vécu et l'expérience, d'une part, de la psychologie, d'autre part. Les notions de proximité et de sécurité se trouvent mises en balance, avec tous les avantages et inconvénients que l'une et l'autre comportent. Une forte tension apparaît lors du choix entre un accouchement au plus près de chez soi et le principe de sécurité, y compris dans le cadre d'une grossesse ne présentant pas de risque particulier, encore que des complications, par nature difficiles à prévoir, puissent toujours surgir le moment venu. En somme, une courte majorité de femmes cherchent avant tout à se rassurer.

Je n'y verrais pas tant une contradiction que deux angles distincts sous lesquels aborder le sujet. Certaines grossesses dérapent quelque peu, pas nécessairement parce qu'elles présentaient des risques, mais en raison d'un suivi anxiogène, amenant à se poser des questions qui ne seraient jamais venues à l'esprit hors de certains échanges.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La question des regrets a été abordée à propos de la visite de la maison de naissance à Nancy. Un décalage s'observe entre la manière dont les femmes imaginent que leur accouchement va se passer - aussi bien à domicile qu'en maison de naissance - et la réalité les contraignant parfois à se rendre en maternité. La fédération des accouchements accompagnés à domicile prépare les femmes à ce qui les attend en leur expliquant qu'à chaque étape peut survenir un imprévu obligeant à renoncer à un accouchement idyllique. Alors que 30 % des femmes ont rencontré un problème en accouchant, 12 % seulement estiment que leur accouchement ne s'est pas bien passé. Autrement dit, un problème, une fois résolu, n'empêche pas de penser qu'un accouchement s'est bien passé.

M. Quentin Llewellyn. - En effet, parmi les 88 % de femmes affirmant que leur accouchement s'est bien passé, certaines ont pu se heurter à des difficultés.

Mme Marie Mercier. - Avez-vous distingué les réponses des primipares ?

M. Quentin Llewellyn. - Nous pourrions le faire. Je vous renvoie au rapport complet. La distinction n'est apparue signifiante que dans quelques cas.

Mme Marie Mercier. - La formulation de certaines questions et, par conséquent, leur compréhension peut induire des réponses en apparence contradictoires à propos de l'état physique et de l'état psychologique. Qu'entendent les parturientes par « santé mentale » ? Vous indiquez une demande renforcée d'un accompagnement postnatal, d'une importance effectivement cruciale. Lorsque surgit une difficulté à l'occasion d'un accouchement à domicile, celui-ci a finalement lieu ailleurs. Les transferts au regard des risques expliquent la part des accouchements difficiles dans les divers types de maternités, vers lesquelles sont réorientées les parturientes, en cas de complications.

Mme Jocelyne Guidez. - Je reste sceptique quant à la satisfaction exprimée par rapport à la longueur du séjour en maternité. La plupart des femmes la trouvent suffisante. En revanche, leur état psychologique se dégrade après leur retour à domicile. Un séjour en maternité de deux jours n'est-il pas trop court ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - N'était-il pas aussi demandé aux femmes si elles s'estimaient aptes à rentrer chez elles à leur sortie de maternité ? Une large majorité d'entre elles a répondu par l'affirmative.

M. Quentin Llewellyn. - Absolument : 90 % précisément. 53 % se déclaraient même tout à fait aptes à regagner leur domicile. Seules 10 % exprimaient un avis contraire.

Mme Jocelyne Guidez. - Une femme peut se sentir apte à rentrer chez elle, mais ne pas l'être.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les femmes étaient interrogées sur leur ressenti.

M. Quentin Llewellyn. - Nous avons mené une enquête d'opinion touchant au ressenti. Dans toute enquête de cette nature se font jour des contradictions. Les êtres humains sont par nature animés de contradictions.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie à nouveau pour la qualité de votre enquête et la présentation éclairante que vous venez d'en faire.

Mes chers collègues, nous nous retrouverons demain pour une audition de représentants d'associations d'élus locaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 10.

Mercredi 5 juin 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition commune de représentants des collectivités territoriales

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Dans le cadre de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous poursuivons notre cycle d'auditions en entendant aujourd'hui des représentants des collectivités territoriales : Gilles Noël, maire de Varzy, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), et, en visioconférence, Marie-Paule Chesneau, vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire en charge de la prévention, co-présidente de la commission Santé, Enfance, Famille de ce département, et représentante de Départements de France.

Malheureusement, l'Association des maires de France n'a pu se faire représenter mais elle nous adressera une contribution écrite.

Notre cycle d'auditions nous a permis de faire plusieurs constats :

• une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle ;

• une tension extrêmement forte sur les effectifs des personnels de santé (pédiatres, obstétriciens, anesthésistes, sages-femmes et infirmières puéricultrices) ;

• un manque de pilotage dans la politique de santé périnatale, marquée par une pluralité d'acteurs qui rend difficile l'établissement de véritables diagnostics territoriaux permettant de répondre aux enjeux de sécurité et de proximité des soins.

Tous ces éléments sont marqués par des différences territoriales fortes.

Cette audition complète les échanges que nous avons eus avec les représentants d'Agences régionales de Santé ou lors de travaux consacrés à certains territoires en particulier. La mission s'est rendue en Meurthe-et-Moselle et se rendra demain en Bretagne. Nous avons également organisé des visioconférences pour évoquer les enjeux propres à la Guadeloupe et à Mayotte.

Si les communes contribuent souvent à la politique de santé, les départements ont, eux, en matière de santé périnatale, une compétence directe à travers la gestion des services de protection maternelle et infantile. Vous nous direz quels sont, selon vous, les défis actuels pour les missions exercées par les PMI, l'attente de certains publics cibles comme la place à trouver entre les professionnels libéraux et l'hôpital.

Vous le savez, cette mission a aussi été constituée en réaction au rapport de l'Académie nationale de médecine, qui préconise une rationalisation du nombre de maternités de type 1 au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2. Il nous paraît indispensable d'avoir votre avis sur ce sujet, animé par une tension particulièrement importante entre les enjeux de proximité et de sécurité des soins.

Nous sommes pleinement conscients, particulièrement dans la chambre des territoires qu'est le Sénat, que la présence d'une maternité est souvent perçue comme une question d'attractivité et de rayonnement des territoires, notamment les plus isolés. Pourtant, l'offre de soins actuelle ne semble pas satisfaisante et paraît parfois présenter un risque pour les mères et leurs enfants, au regard notamment de la fragilité de certaines structures et de la nécessité de disposer d'effectifs stables et complets. La succession de fermetures temporaires, prolongées ou définitives de certaines maternités ne fait que souligner cette préoccupation.

Surtout, derrière une offre facialement maintenue, ces fermetures soudaines déstabilisent les territoires. Elles sont sources d'incertitudes, de stress et de ruptures dans les prises en charge des patientes, y compris dans leur suivi pré- et postnatal. Mal anticipées, elles peuvent être préjudiciables à l'ensemble d'un bassin de naissances. Nous devons, en tant que responsables politiques, assurer l'accessibilité et la sécurité des soins sur tout le territoire.

Nous oeuvrons cependant collectivement dans un contexte nouveau, qui est celui d'une baisse de la natalité mais aussi et surtout d'une démographie médicale en crise, conjuguée à de profondes modifications des attentes des professionnels en matière de qualité d'environnement du travail. Les solutions ne sont donc ni évidentes ni simples, au niveau local comme au niveau national.

Nous conduisons nos travaux en ouvrant le débat sans a priori. L'objectif est d'être utiles. Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande. Je vous laisse la parole pour une courte intervention liminaire. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure, Véronique Guillotin, pour une première série de questions. Nos collègues présentes pourront également intervenir pour vous interroger.

M. Gilles Noël, maire de Varzy, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Je me demande ce que je vais pouvoir ajouter à vos propos liminaires, madame la présidente, si ce n'est que nous ne pouvons que nous réjouir, en tant que maires de villages, d'entendre les mots de santé périnatale accolés à celui d'avenir. Il y a longtemps en effet que nous avons perdu ces attributs, à travers les fermetures de centres hospitaliers de proximité. Vous l'avez dit, c'est très souvent la sécurité qui est invoquée pour les justifier. Vous avez omis de mentionner également la rationalisation des choix financiers, qui a conduit à détricoter un élément d'avenir de nos territoires en fermant ces maternités et en éloignant toujours plus les futures mères mais aussi leurs proches. Lorsque vous demandez à votre mari, un voisin, de vous accompagner à la maternité en pensant que c'est le jour J et que vous avez une heure et quart ou une heure et demie de trajet pour y aller, c'est une demi-journée ou une journée de congé qu'il faut prendre, et ce, parfois « pour rien ». Vous condamnez ainsi toute une population. En tout cas, si c'est le bon jour, au moins, la maman ne sera pas dérangée par les visiteurs : ceux-ci ne feront pas trois heures de route, même si l'enfant est très attendu.

Nous savons que les inégalités d'espérance de vie commencent à la naissance, ou juste avant. Un enfant qui naît aujourd'hui en milieu rural a deux années d'espérance de vie en moins, en moyenne, qu'un enfant qui naît en ville. L'accès aux soins constitue l'un des déterminants de cette espérance de vie.

Quelques initiatives sont menées dans les territoires ruraux afin d'éviter des grossesses à risque. Je pense notamment au rôle des sapeurs-pompiers que vous n'avez pas mentionné, madame la présidente, et plus particulièrement à celui des sapeurs-pompiers volontaires. Les sapeurs-pompiers sont organisés dans les territoires ruraux pour accompagner les femmes sur le point d'accoucher.

L'avenir de nos territoires ruraux ne peut reposer sur l'idée selon laquelle on est mieux soigné en ville. Les inégalités territoriales se renforcent et continueront de se renforcer. Vous avez fait état d'un rapport qui invite à se mettre dans la perspective de la restructuration de l'offre de soins au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2. Cela résonne comme un abandon de nos territoires pour des considérations uniquement logistiques..

Je remercie l'Académie nationale de médecine pour ses préconisations, eu égard au grand âge de ses membres, qui visent à centraliser encore les maternités. Peut-être décideront-ils un jour de transporter les mamans par drone, pour que ce soit plus simple, à moins qu'ils ne nous condamnent encore davantage à l'isolement. C'est la raison pour laquelle une contradiction évidente figure à mes yeux, en tant que représentant d'un territoire rural, dans le titre de votre mission : avenir et périnatalité ne semblent plus, pour nous, qui agissons en proximité, aller de pair. C'est un détricotage des territoires qui a été organisé. C'est une « désorganisation organisée » qui touche notamment les maternités. Nous allons ainsi voir des déprogrammations d'un grand nombre d'opérations, faute de personnel ou de place, plutôt que de recréer les conditions permettant à ces opérations d'avoir lieu dans un environnement de proximité des patients. Je souhaite que des centres hospitaliers de proximité puissent être rééquipés chaque fois que c'est possible, dans des conditions qui restent à définir, dans ces petites unités de vie et que l'on cesse de brandir tel ou tel seuil d'activité pour justifier les fermetures, d'autant que ces seuils changent fréquemment.

Le mot « attractivité » résonne avec « maternité » dans nos territoires. Nous n'avons ni l'une ni l'autre. Nous ne construisons plus désormais notre attractivité en lien avec la présence d'une maternité. Nos territoires ont perdu au fil du temps nombre de services dont on considère manifestement qu'ils sont bien mieux en ville (Direction des finances publiques, La Poste, la Gendarmerie...), à l'aune de ce qu'ont fait les banques et d'autres acteurs économiques avant.

C'est autant d'opportunités de créations d'emplois supplémentaires et d'accueil de familles nouvelles sur nos territoires, dans des catégories socioprofessionnelles supérieures, qui n'existent plus. Ces catégories socioprofessionnelles ne viennent plus dans nos territoires ruraux et je parle ici des petites communes de moins de 3 500 habitants. On sait que le renouvellement des populations est important en milieu rural. Les « natifs » s'entremêlent avec d'autres populations et c'est tant mieux, sauf lorsque c'est exclusivement la pauvreté qui, s'éloignant des villes, accentue encore et toujours les difficultés de la ruralité. Nous appelons de nos voeux le renouvellement des générations et l'arrivée de populations jeunes, car ce seront des clients de la boulangerie, des parents d'école, des acteurs de la vie associative... Ils contribueront ainsi par de multiples aspects au vivre ensemble

Ces fermetures sont à honnir et nous luttons contre elles. J'en donnerai un exemple concernant les urgences, qui font partie de notre écosystème de santé, au même titre que les sapeurs-pompiers, la médecine de ville ou les PMI, qui agissent en proximité grâce aux conseils départementaux. C'est la même punition qui nous attend tous : il vaut mieux aller en ville pour se faire soigner que d'attendre l'hélicoptère, même si vous avez un AVC. Les familles rurales souffrent de tout cela. En tant qu'élus, nous nous battons. Nous déposons parfois nos écharpes et il nous arrive même de manifester. Bientôt, nous nous enchaînerons. Cela ne changera pas grand-chose, puisque les maternités sont déjà parties.

Ces logiques de santé dépassent la seule question des naissances. Les décisions prises nous sont parfois annoncées dans la presse. Elles ne sont parfois discutées qu'avec vous, les parlementaires. En tant qu'élus ruraux, nous les découvrons lorsque la messe est dite. Nous ne sommes pas considérés, ne participons pas à la concertation, sauf a posteriori et nous sommes alors uniquement informés, souvent parce que des parlementaires se sont mobilisés pour que nous le soyons. Des parlementaires vont alors venir du chef-lieu de région pour nous expliquer que le manque de personnel ou les problématiques de matériel contraignent à procéder ainsi. La recherche de solutions alternatives, l'ouverture d'esprit, ne semblent pas de mise.

On évoque les centres de santé périnatale de proximité. Si, a minima, dans une logique de prévention, il peut y avoir une valeur ajoutée, en mettant des locaux à disposition, pour accompagner les quelques femmes qui continueront d'accoucher en milieu rural, pourquoi pas ? Nous avons besoin de cela. Nous avons également besoin de personnels qui vont aider ces femmes du point de vue psychologique avant et après l'accouchement. Nous avons besoin d'un maillage. C'est la raison pour laquelle je parlais tout à l'heure de l'importance de l'accès aux soins. Le fait de pouvoir déclarer les naissances dans la ville au sein de laquelle est localisé le centre périnatal de proximité (CPP) chargé du suivi de la grossesse et non pas dans la ville du centre hospitalier dans lequel a eu lieu la naissance me semble accessoire.

Quant aux enjeux de sécurité, les élus sont rarement diplômés en médecine et nous sommes obligés d'entendre les discours qui nous sont tenus, même si nous les contestons. Une chose est sûre : si l'on compare les taux de mortalité au niveau national avec d'autres pays, je ne suis pas sûr que nous soyons champions. La situation se dégrade et il n'est pas normal d'accepter cette dégradation, au XXIe siècle, en France...

Le conseil départemental et les sous-préfectures sont deux interlocuteurs avec lesquels les maires peuvent parler de proximité. Nous nous inquiétons d'ailleurs de l'état financier des Conseils départementaux, car si ceux-ci gèlent leurs crédits d'investissement ou de fonctionnement à notre égard, c'est la misère annoncée. C'est malheureusement ce que nous prépare Bruno Le Maire à l'horizon 2025. Nous avons déjà connu des épisodes de ce type. Les collectivités devront se serrer encore un peu plus la ceinture. Je ne parle pas des compensations décidées sur la taxe d'habitation ou la CVAE. Vous en savez sûrement plus que moi. À notre niveau, nous comptons les coups reçus. Le Conseil départemental est en tout cas une instance primordiale. Il joue un rôle à travers les PMI et un rôle d'accompagnement essentiel au plan social.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je passe la parole à Marie-Paule Chesneau.

Mme Marie-Paule Chesneau, vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire en charge de la prévention, co-présidente de la commission Santé, Enfance, Famille, représentante de Départements de France. -En guise d'introduction, je voudrais souligner l'importance du sujet qui nous réunit. Je suis effectivement conseillère départementale, vice-présidente chargée de la prévention dans le champ de la prévention, de l'enfance et de la famille. La prévention, sur nos territoires, est essentielle. J'y suis d'autant plus attentive que j'ai travaillé, en tant qu'infirmière puéricultrice, en maternité puis en pédiatrie, durant une vingtaine d'années. J'ai ensuite travaillé en PMI puis, dans une logique de parcours, je me suis sentie légitime pour devenir élue au sein du Conseil départemental.

Nous devons, en tant qu'élus, maîtriser les problématiques de terrain. Comme vous l'avez souligné, monsieur le maire, les Conseils départementaux ont des budgets de plus en plus contraints, alors que la prévention suppose d'y mettre les moyens. Or ceux-ci ne sont pas disponibles à la hauteur de ce que nous voudrions faire. Nous devons effectivement faire de la prévention en proximité. Les élus locaux ne sont pas seuls concernés : les sages-femmes libérales et les médecins libéraux, ainsi que tous les professionnels libéraux, doivent s'associer pour mailler le plus finement possible le territoire.

La PMI assure une fonction très précieuse en maillant le territoire, en apportant des actions de soutien et d'accompagnement à la parentalité avant, pendant et après la grossesse. Elle accompagne les enfants jusqu'à six ans, de même que leur famille. Il faudrait donner une autre image de la PMI. En complément des CPP et des maternités, la PMI doit être envisagée comme un dispositif à la disposition de tous et non seulement des personnes en difficulté sociale. La PMI peut intervenir pour toute personne susceptible d'être vulnérable à un instant donné. On peut être un ménage aisé et se trouver en difficulté face à un comportement d'enfant ou à la dépression périnatale par exemple.

La qualité et la sécurité des soins sont naturellement essentielles. Nous ne pouvons plus nous permettre de procéder comme on le faisait auparavant, car tous les budgets sont contraints. Nous devons néanmoins maintenir la qualité du service rendu et la sécurité, tant pour les patientes qui vont accoucher que pour leur famille et pour les professionnels, qu'il ne faut pas décourager. Les professionnels sont investis mais nous devons aussi savoir leur montrer que nous allons dans leur sens et que nous donnons du sens aux politiques conduites.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci monsieur le maire, merci madame la vice-présidente, pour vos propos. Nous sentons bien, chez l'un et l'autre, la passion de votre engagement et la défense de vos territoires.

Je voudrais repositionner le contexte de cette mission. Nous avons engagé nos travaux notamment en réaction à un rapport de l'Académie de médecine, dont les prises de positions notamment au sujet de la réorganisation de l'offre de maternité autour d'un seuil minimal de 1 000 naissances par an avait eu un écho médiatique important. En relisant le rapport, on se rend compte qu'il s'agissait d'un scénario qui n'avait pas nécessairement valeur de préconisation. La question envisagée était un peu différente : il s'agissait de dire quelle serait la cartographie des maternités en France si l'on fixait le seuil à 1 000 naissances par an. En tout cas, le propos a ému beaucoup de monde et a conduit à constater que quatre maternités sur cinq, au sein des territoires, accompagnaient moins de 1 000 naissances par an.

Nous avons ainsi ouvert cette mission et rapidement abordé la question des indicateurs de mortinatalité et de mortalité maternelle. Nous avons vu que la première cause de mortalité des mères, à un an après l'accouchement, était le suicide.

Nous avons ainsi été rapidement mis sur deux chemins : celui du maillage territorial et celui de la prise en charge pré- et postnatale. Nous manquons de chiffres indiquant pourquoi nous sommes si mauvais dans notre pays, pourquoi la mortalité maternelle ne diminue pas, pourquoi nous sommes passés de la 7e à la 27e place des pays de l'OCDE en matière de mortalité infantile... D'aucuns affirment qu'on a fermé des maternités et que cela va toujours plus mal. D'autres invoquent un manque de qualité dans le suivi, notamment après l'accouchement. Le paysage est assez confus.

. Je voudrais tout de même revenir sur l'argument de l'AVC qu'a invoqué monsieur le maire, car il n'est pas tout à fait le bon : depuis que l'on ne se rend plus dans l'hôpital de proximité avec un AVC, on traite beaucoup mieux les victimes de ce type d'accident et d'infarctus : on démarre le traitement dans le véhicule du SAMU. On apporte la victime à l'hôpital de proximité, qui effectue l'IRM et commence à placer la perfusion. On gagne deux heures et demie de trajet, puisque le traitement démarre avec le centre de référence. Nous devons prendre garde aux idées reçues selon lesquelles tout ce qui est près est bien, tandis que tout ce qui est éloigné ne serait pas bien. Je crois que c'est plus complexe que cela.

S'agissant des plateaux techniques d'accouchement, nous avons été sensibilisés, durant ces trois mois d'audition, à un problème de ressources humaines et au maintien de lieux d'accouchement qui ne répondent plus aux exigences de sécurité. Les professionnels ne veulent plus se rendre dans des centres où ils doivent assurer plusieurs gardes par semaines. Ces structures ne parviennent plus à recruter. On peut chercher des explications. Il faut certainement former davantage mais nous aurons les fruits de ces efforts dans dix ans. En l'état actuel de la situation, avec des fermetures inopinées, souvent brutales et non organisées, pensez-vous qu'il serait nécessaire, avec les élus, d'organiser des circuits sécurisés ? Cela demande parfois de regrouper des plateaux d'accouchement et parfois de conduire une politique d'attractivité dans les territoires. Entendez-vous cette raison, la comprenez-vous et comment cela pourrait-il être organisé à vos yeux ? La proximité, dans le suivi pré- et postnatal, avec le renforcement des CPP sur les territoires, pourrait-il, selon vous, répondre aux enjeux de sécurité et améliorer la santé pré- et postnatale ?

S'agissant des départements et de la PMI, pensez-vous qu'une politique des « 1 000 premiers jours », adossée par exemple à des maternités ou des centres de proximité, pourrait améliorer la prise en charge de la mère et de l'enfant, en particulier dans les territoires éloignés ou ruraux ? Quelles propositions feriez-vous pour faire évoluer l'image des PMI ? Rencontrez-vous, dans vos PMI, des difficultés en termes d'attractivité vis-à-vis des professionnels de santé et avez-vous des propositions à faire sur ce sujet ?

M. Gilles Noël. - Madame la rapporteure, je me suis sans doute mal exprimé. J'ai dit qu'on attendait l'hélicoptère, lorsqu'il est question d'un AVC. Je n'ai pas parlé du reste. Lorsque l'hélicoptère ne vient pas, au bout d'une, deux ou trois heures, c'est l'ambulance qui vous emmène au CHU en roulant à tombeau ouvert pour vous y déposer à 1 heure ou 3 heures du matin, alors que vous avez été récupéré par les pompiers à 19 heures 30. Le fonctionnement « H24 » des Hélismur est loin d'être une réalité partout. Savez-vous combien il y a de « H24 » sur notre territoire ? Il y a Besançon, Dijon et Châlons, si je me souviens bien. À Nevers, dans la Nièvre, le dispositif fonctionne en H12 : à 19 heures 30, il ne tourne plus. Des personnes décèdent pour ce type de raisons. Le centre 15, qui est à deux ou trois heures de chez vous, ne recherchera jamais une solution à Paris ou Orléans. Il gère ses affiliés sans chercher d'autres solutions. Voilà où en est la sécurité. C'est nous, habitants ruraux, qui en pâtissons. Au centre hospitalier de proximité, à l'héliport, on attend. Telle est la réalité factuelle que nous subissons.

S'agissant de l'organisation du territoire, nous sommes rattachés à des groupements hospitaliers de territoire. Pourquoi ceux-ci ne continueraient-ils pas, comme ils le font d'habitude, à organiser les plannings à partir de leur centre hospitalier support de façon à organiser la prise en charge dans les centres de proximité ? Mobilisons les GHT.

Vous avez remarqué que la population souscrit rarement, en cas de fermeture. Les habitants manifestent. Et ensuite, après ce nouvel abandon qu'ils subissent, ils votent Rassemblement National. Chez moi, c'est le cas de 40 % des électeurs. Peut-être est-il malséant de le dire ici mais il me semble important de le rappeler. Devant ces désorganisations organisées, nos concitoyens sont perdus, crient, se lamentent. Il ne nous reste plus que La Poste - même si des tentatives la visent aussi...

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous parliez tout à l'heure du titre de notre mission. Celle-ci porte sur l'avenir de la santé périnatale et sa territorialisation. Nous travaillons sur la santé périnatale au sens large (mères et pères, bébés), sans oublier la territorialisation. C'est dans ce cadre que nous sommes réunis ici. Il ne s'agit pas seulement de parler de sécurité. Comment répartit-on les ressources sur le territoire compte tenu de la réalité de la démographie médicale notamment ?

M. Gilles Noël. - Ne m'en veuillez pas, madame la présidente.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je ne vous en veux absolument pas. J'apportais une précision.

M. Gilles Noël. - De surcroît, je vous dis des choses que, de toute façon, vous savez déjà. On connaît d'ailleurs le lien des parlementaires avec les collectivités.

Je ne vous donnerai pas une « recette » aujourd'hui mais nous sommes ouverts sur ces sujets, car nous sommes concernés. Nous aspirons à être présents dans cette démocratie sanitaire. Nous devons d'ailleurs, en tant qu'élus ruraux, faire notre mea culpa : souvent, nous déléguons ces questions de santé à nos collègues des villes. Ils sont souvent présidents du Conseil de surveillance au CH ou au CHU. Ils ont le portable du DG et de l'ARS, qui sont toujours à leur écoute. Prenons notre bâton de pèlerin. On a besoin de se documenter, de s'informer pour ne pas être totalement dépendants de ce que nous disent les autorités sanitaires et pouvoir réellement contribuer à créer les conditions que nous appelons de nos voeux.

Concernant les PMI, toutes les femmes s'y rendent. Peut-être n'y vont-elles plus parce qu'elles se débrouillent autrement, du fait d'un regard trop caricatural sur le sens social de la PMI. Cependant, je n'ai jamais entendu une femme enceinte dire « je n'irai jamais à la PMI ».

J'ai deux propositions à vous faire. Premièrement, nous devons nous intéresser à la jeunesse, qui constitue les pères et mères de demain. Nous devons parler des questions de sexualité, en amont de la grossesse. Le pharmacien joue un rôle important, de même que le médecin généraliste et la famille. Par l'intermédiaire de nos bénévoles, du monde associatif, nous avons peut-être un rôle à jouer de ce point de vue. Nous y sommes très ouverts.

Deuxièmement, nous devons faire preuve de souplesse et les lieux de naissance doivent pouvoir se trouver ailleurs que seulement au sein des maternités. Pourquoi ne pas réfléchir à des maisons de naissance de proximité ou à d'autres organisations innovantes permettant d'accoucher en proximité ? J'ouvre en tout cas cette piste.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Nous avons bien sûr travaillé sur les GHT et sur leur contribution possible dans un bassin de naissances. Nous sommes des élus et nous sommes confrontés à une réalité qui s'impose à nous tous. Dans certains cas, lorsqu'un GHT ou CHU peut apporter un soutien à une maternité, c'est ce qui a lieu : les équipes travaillent ensemble et cela se passe plutôt bien. Néanmoins, selon ce qui nous est dit, il est tout aussi compliqué pour les maternités de recruter et plus le dispositif englobe des acteurs différents, plus il est difficile de le solidifier.

Nous avons également ouvert la question des autres modes d'accouchement. Il existe effectivement des maisons de naissance mais celles-ci se trouvent toujours à proximité d'une maternité, pour des raisons de sécurité. Les accouchements à domicile existent aussi. Ces cas de figure restent néanmoins marginaux et ne peuvent, en tout état de cause, s'affranchir des considérations de sécurité.

Je suis ravie de vous entendre dire que l'information et l'éducation dès le plus jeune âge sont des enjeux essentiels au vu des indicateurs actuels. Peut-être que des CPP avec des missions plus larges qu'une simple maternité sans accouchement pourraient aussi contribuer à une amélioration des choses. Nous pourrions y adosser la PMI, la maison des 1 000 premiers jours et y faire venir des professionnels de santé de territoire pour gagner en proximité. Ce pourrait être une piste. Vous n'avez pas parlé de la santé mobile mais je sais que l'AMRF y est attaché, puisqu'elle a produit des rapports sur la santé en ruralité, que j'ai lus avec la plus grande attention. Ils contiennent des propositions intéressantes.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Au cours de nos auditions, on nous a très souvent dit qu'en cas de problème, plus personne ne voulait en endosser la responsabilité. Même au sein d'une équipe, la situation est très difficile à vivre et à assumer, émotionnellement, lorsqu'un bébé ne parvient à survivre ou lorsqu'une mère décède. Il faut une équipe présente, soudée, pour que cette responsabilité ne repose pas sur les épaules d'une seule personne. J'englobe dans cette considération les équipes médicales mais aussi les élus et tous ceux qui ont une responsabilité dans la décision.

Qui endosse les choix qui sont faits si une femme enceinte est mal orientée ou si un accouchement qui devait se dérouler sans risque se passe mal ? Nous voulons tous les meilleurs soins partout, dans le plus grand nombre de communes. Cependant, qui assume, le cas échéant, cette responsabilité dans les cas que je viens d'évoquer ?

Mme Marie-Paule Chesneau. - La PMI constitue à mes yeux le coeur du sujet car, au titre de la prévention de proximité, il est plus que jamais nécessaire de renforcer ces structures. Nous avons des professionnels de PMI très spécialisés dans leur domaine, fortement investis dans l'accompagnement des familles, le repérage et le soutien à la parentalité. Ils s'adaptent aux besoins des enfants comme à ceux des territoires, avec la volonté de toujours prendre en considération le pouvoir d'agir des familles et de les conforter dans leurs compétences, mais aussi de sécuriser l'avenir des enfants et des familles. À ce titre, nous parlons encore de la « Protection Maternelle et Infantile » mais sans doute faudrait-il revoir la terminologie, car on ne parle plus seulement de mères mais bien sûr de couples avec enfants.

Dans le Maine-et-Loire, le nombre de grossesses chez des mineures a diminué de 75 % entre 2013 et 2021 grâce à l'éducation à la santé et aux actions de prévention conduites dans les centres de santé sexuelle. Je vous rejoins, monsieur le maire, sur ce point : nous avons un gros travail à faire auprès des jeunes pour la prévention. Les centres de santé sexuelle doivent être mis en lumière pour ce travail de prévention considérable qu'ils font.

Il n'y a pas de profils particuliers en PMI, qui assurent un service universel, mais nous repérons tout de même de nombreuses vulnérabilités sociales, psychologiques ou médicales. Je l'ai déjà dit, c'est un service accessible à tous, sans aucune discrimination. Pour autant, nous recevons de plus en plus de familles sans ressources, sans papiers, migrantes, dont les parents sont parfois déficients intellectuels. La santé mentale constitue un problème qui n'a jamais été aussi prégnant, ce qui rend d'autant plus complexe l'accompagnement de ces familles.

Nous parvenons à recruter mais nous avons parfois du mal à fidéliser les professionnels, faute de pouvoir leur donner la possibilité de travailler comme ils le voudraient. Les besoins ont augmenté. Nos professionnels ont besoin d'être formés. Le contexte des situations sociales est compliqué. Les sollicitations sont de plus en plus importantes. Le besoin de soutien et d'accompagnement de la parentalité est de plus en plus manifeste. Il existe des familles en grande précarité, à la rue, il y a des logements insalubres. Certaines personnes n'ont aucune couverture sociale. Les professionnels ont parfois un sentiment de solitude et d'incompétence face à ces problématiques sociales. Il y a les troubles du comportement. Les familles manquent d'accompagnement de proximité et souvent, la PMI doit pallier ces manques.

Dans notre département, le « SAS 49 » est un dispositif innovant que nous avons mis en place pour accompagner toutes les familles où au moins l'un des parents est porteur de handicap. Les habiletés parentales sont mises en exergue. Nous parvenons à un résultat extrêmement intéressant mais cela mobilise des moyens RH importants. Les TISR (techniciens d'intervention sociale et familiale) interviennent précocement, dès la naissance, pour accompagner les familles, concernant le handicap ou la prévention précoce. Ce sont des acteurs très importants mais insuffisants.

Le maillage départemental, pour les PMI, est bien fait. Chaque département s'adapte aux besoins des territoires et de tous les publics accompagnés, en tenant compte des partenariats locaux. Ces partenariats sont très riches dans certains territoires et permettent un travail en proximité. Dans le Maine-et-Loire, nous avons onze maisons départementales des solidarités mais nous assurons également des permanences délocalisées au sein des mairies ou de leurs annexes. Nous organisons aussi des visites à domicile, qui sont très riches : cela permet de visualiser l'entourage et l'environnement familial dans sa globalité. Ceci étant, dans chaque département, les situations sont hétérogènes compte tenu des politiques nationales qui se déclinent ensuite selon la stratégie départementale.

Par ailleurs, les équipes de PMI sont aussi happées par d'autres missions chronophages, en particulier celles relatives à la protection de l'enfance et le suivi des modes d'accueil, qu'il s'agisse des assistants maternels ou des établissements accueillant de jeunes enfants, dans un contexte d'augmentation des exigences réglementaires et de renforcement des contrôles des établissements.

Une autre difficulté dans le suivi tient au fait que les sages-femmes libérales suivent la femme et l'enfant durant un mois après l'accouchement. La prise en charge des parents ayant bénéficié d'un suivi par une sage-femme libérale cesse ensuite et nous avons parfois du mal à obtenir des sages-femmes qu'elles assurent la passation du suivi de la prise en charge avec la PMI. Cela peut créer, dans bien des cas, une rupture de parcours fortement préjudiciable à l'accompagnement des enfants et des familles. Celles-ci se retrouvent parfois chez le médecin avec des difficultés importantes. Un médecin avec qui j'ai pu échanger m'a parlé d'une maman qui s'est présentée avec son enfant de trois ans, et tous les deux connaissaient de graves difficultés. Il s'est dit complètement démuni et extrêmement étonné que personne, depuis trois ans, n'ait vu la situation de cette maman et de son enfant. Nous allons, d'une façon générale, à la rencontre des médecins et nous leur présentons les missions de la PMI car nous avons besoin de travailler ensemble, avec les sages-femmes libérales comme avec les médecins libéraux.

Nous devrons malheureusement prioriser nos missions au regard de nos moyens RH, qui sont très insuffisants, bien que le travail effectué en PMI soit essentiel et fasse ses preuves. D'une manière générale, les mères témoignent du fait qu'elles sont très bien prises en charge durant la grossesse, par une sage-femme à l'hôpital, en libéral ou en PMI. C'est au retour à domicile que les questions et les doutes surgissent car, après avoir été très entourées, tout s'arrête. Elles se sentent livrées à elles-mêmes et ont, de surcroît, la responsabilité d'un bébé. Lorsqu'elles sont prises en charge par une sage-femme de PMI, la continuité du parcours est assurée. La naissance est souvent un moment où les femmes sont fragilisées. 16,7 % des femmes ayant accouché sont touchées par une dépression deux mois après l'accouchement. Le travail en PMI est aussi de repérer, durant la grossesse, les situations de fragilité, étant entendu que l'accompagnement doit se poursuivre dans la durée, car la dépression peut s'installer et durer. Le suicide maternel fait partie, comme vous l'avez souligné, des deux premières causes de décès des mères. Nous en avons fait un sujet de santé publique dans notre département. Nous avons formé des puéricultrices afin de sensibiliser à la dépression périnatale tous les professionnels intervenant au titre du département, hors du seul champ de la PMI et des maisons départementales.

Nous travaillons très bien avec les centres hospitaliers, assurant la liaison hospitalière entre l'hôpital et les territoires. Cela permet d'informer les professionnels de PMI des parents à suivre particulièrement, notamment sous l'angle du lien avec l'enfant, alors que des situations de précarité et de vulnérabilité peuvent nécessiter un accompagnement particulièrement attentif. Les consultations par les infirmières puéricultrices de PMI constituent également un levier très important dès le lendemain de la sortie de maternité. Les mamans en sortent aujourd'hui beaucoup trop tôt et un accompagnement précoce est indispensable. Dans notre département, nous proposons à chaque maman qui vient d'accoucher, en particulier s'il s'agit du premier enfant, une visite à domicile. Cela permet de valoriser les compétences du parent, de renforcer sa confiance en soi, de mesurer l'environnement familial et de repérer d'éventuels dysfonctionnements.

Les consultations assurées par les puéricultrices représentent dans notre département 50 % de l'activité de la PMI. Or ces consultations de prévention médicosociale ne sont pas remboursées par la CPAM, à la différence des consultations de sages-femmes et de médecins. Leur remboursement par la Sécurité sociale doit être possible, d'autant plus que les médecins ne peuvent assurer toutes les consultations. Les puéricultrices y contribuent grandement et ce serait une bonne façon d'accompagner les départements dans l'exercice de leurs missions. Il faudrait également automatiser le remboursement des soins médicaux dans le cadre de la stratégie numérique en santé. .

Il y a un véritable enjeu de partenariat à resserrer les liens avec les maternités, les sages-femmes libérales, les médecins libéraux et tous les partenaires, sans oublier les élus locaux, sur les territoires. Nous devons tous nous mettre autour de la table pour nous poser les bonnes questions en recherchant la fluidité et la cohérence des parcours. Cela tient parfois à peu de choses. Par exemple, les médecins ne saisissent pas toujours le numéro de téléphone de la patiente lors des déclarations de grossesse. Or l'examen du 4e mois (qui doit être fait avant la fin du 3e mois de grossesse) ne peut, souvent, être réalisé par une sage-femme pour la seule raison qu'elle ne peut joindre la patiente.

La sensibilisation à la santé environnementale devra également être accentuée. Nous y avons sensibilisé tous les professionnels du département mais l'effort devra également être relayé au plan national.

Vous avez évoqué le programme des 1 000 premiers jours. Nous avons à l'esprit ses objectifs mais, faute de moyens RH, nous ne pouvons les atteindre, malgré toute notre volonté. Nous manquons cruellement de moyens RH en PMI. Nous plaidons enfin pour une campagne nationale qui valorise le travail effectué par la PMI en partenariat avec tous les acteurs du territoire.

Mme Annie Le Houerou. - Merci pour vos témoignages, ainsi que pour vos propositions. Monsieur le maire, j'ai senti une colère sourde dans votre propos. Nous partageons parfois, en tant qu'élus de territoires, ce sentiment et la question posée par cette mission d'information révèle ces préoccupations.

En tant que sénatrice d'un territoire qui se trouve dans une situation similaire à celle que vous avez évoquée, nous voyons parfois une population résignée. Ce n'est pas toujours le cas néanmoins. La semaine dernière avait lieu une réunion à Carhaix sur ces sujets. Elle a mobilisé 800 personnes. Il faut, certes, écouter les professionnels de santé, qui nous alertent sur les questions de sécurité et sur une réalité, en matière de mortalité. Nous devons l'entendre. Je ne peux, toutefois, me résigner à considérer qu'il faut choisir entre sécurité et proximité. Il y a une réalité, vous l'avez dit, madame la présidente : les professionnels de santé eux-mêmes ne veulent plus aller dans ces territoires et dans les maternités de type 1, sous-équipées en personnel et peut-être aussi en matériel. Pour autant, je ne peux voir là une fatalité.

On nous dit que dix années difficiles à passer se profilent devant nous. Je vois les choses différemment, car les médecins actuellement en formation peuvent venir dans les établissements avant dix ans. Cela fait vingt ans qu'on nous tient ce discours et on ne fait rien. Dans nos territoires ruraux, nous n'avons plus accès à la santé. Hier se posait la question des maternités. Aujourd'hui, c'est celle des urgences. Nous voyons bien la dérive qui se dessine. On nous impose de rationaliser les moyens et de faire en sorte que tout se concentre dans les grands centres, malgré certains aménagements et je pense notamment aux GHT). Cependant, à mon avis, ils ne jouent pas leur rôle de mutualisation : ils ont au contraire pour objectif de « pomper » encore davantage les ressources locales. Or je ne veux pas d'une France des métropoles. Je veux un aménagement du territoire qui donne le même accès aux soins à tous, que l'on habite à Paris, à Lyon, dans la Nièvre ou les Côtes-d'Armor. Les contribuables que nous sommes ont tous les mêmes droits.

Je souhaite donc que l'on travaille sur cette supposée période de dix ans, sans fatalisme. Il y a des solutions. 2 500 étudiants en médecine, chaque année, ne passent même plus les concours en France, préférant aller en Roumanie, en Espagne, en Italie ou en Amérique. Nous devons aussi tenir compte de cette réalité et faire des propositions qui contribuent à faire évoluer les choses.

Mme Emilienne Poumirol. - Tout au long de ces auditions sur la périnatalité, on a mis en balance proximité et sécurité. Un choix semble inéluctable en faveur de l'un ou l'autre de ces termes. Cela me gêne. On connaît la vision en faveur de la métropolisation de la France qui oriente souvent les décisions prises au plan national. Le Président de la République a même eu, en 2018, le projet de faire disparaître les départements qui contenaient une métropole. Il a fallu qu'on se batte pour les conserver.

Nous nous inscrivons dans une logique d'accès aux soins. Les objectifs de sécurité se comprennent. François Braun prenait l'exemple, l'autre jour, de l'infarctus. C'est une situation différente, s'agissant d'une pathologie aiguë : en pareil cas, il faut naturellement aller vers le plateau technique le plus poussé, le plus rapidement possible. Un accouchement est, dans la grande majorité des cas, physiologique et ne présente pas le même caractère d'urgence qu'un infarctus.

Le problème est que nous avons du mal à réfléchir aux voies d'amélioration de la sécurité dans la proximité. J'ai conscience des difficultés que l'on rencontre pour attirer des médecins et des équipes médicales en zone rurale, faute d'une attractivité suffisante. Nous devons bien sûr y réfléchir au sein des départements. Pour autant, ne plaçons pas tous nos oeufs dans le même panier en ne raisonnant qu'en termes de sécurité. Cela conduit à des raisonnements un peu simplistes, du type : « vous accouchez deux fois dans votre vie, vous pouvez bien faire une heure de voiture ». Pour les grossesses pathologiques, la nécessité de faire appel à une maternité de type 3, avec un grand plateau technique, ne se discute pas. Dans la plupart des cas, néanmoins, la sécurité devrait être suffisante pour répondre à la très grande majorité des situations d'accouchement. Cette vision binaire opposant constamment sécurité et proximité me dérange.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. -Je ne crois pas qu'il y ait de fatalité. Peut-être faut-il réfléchir à un modèle permettant de trouver un équilibre de proximité. Je n'ai pas trouvé la solution pour l'accouchement. En ce qui concerne la surveillance, peut-être peut-on faire mieux en milieu rural, car on voit bien que nous sommes confrontés à un problème de prévention et de suivi après l'accouchement. Il y a un gros travail à réaliser de ce point de vue mais cela ne demande pas des moyens techniques importants, d'autant plus que ce n'est pas de médecins dont on a besoin principalement en la matière. Il faut des infirmières puéricultrices, sans doute revoir un peu les métiers, la formation... On voit assez facilement se dessiner des pistes. Quant aux soins de proximité, de nombreux professionnels de santé ont été, à un moment donné, vent debout contre les maisons de santé et force est de constater que celles-ci attirent les professionnels en milieu rural. Le problème n'est pas la ruralité. Ce sont les conditions d'exercice qui attirent les professionnels.

En revanche, l'acte d'accouchement peut basculer d'une minute à l'autre d'un acte très facile vers un acte extrêmement complexe, assorti d'un danger élevé. La sécurité doit être assurée dans tous le cas. Nous sommes, pour cette raison, face à un sujet particulier.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - On se heurte, au cours de nos auditions, à cette difficulté qu'ont les professionnels de santé pour s'installer en zone rurale. Que proposez-vous pour les attirer ? Nous avons vu que les maisons de santé avaient des répercussions positives sur les territoires. Mais que proposez-vous à la nouvelle génération de médecins, qui ne veulent plus assurer qu'une soirée de garde par semaine et un week-end de garde par mois ? Il faut les attirer mais aussi les retenir et surtout parvenir à obtenir des équipes stables, car le grand danger, nous a-t-on dit, est d'avoir des intérimaires et des équipes qui ne se connaissent pas, qui n'ont pas d'automatisme et qui ne savent parfois même pas où se trouvent les équipements médicaux au sein de l'établissement.

M. Patrice Joly. - Je m'inscris dans le prolongement des propos des collègues qui m'ont précédé autour de l'enjeu du maillage territorial. Il faut aussi entendre le plaidoyer qui a été exprimé pour un enjeu de cohésion sociale et pour le sentiment d'appartenance à une même communauté, dans laquelle chacun souhaite légitimement voir se réaliser la promesse républicaine d'égalité de traitement. C'est un vrai sujet, a fortiori dans des territoires ruraux qui ont subi une paupérisation indéniable ces dernières décennies.

Je connais peu de territoires qui ne fassent pas d'efforts, aujourd'hui, à l'échelle communale, intercommunale ou départementale, pour rendre leur territoire attractif, sur le plan touristique et du cadre de vie de même que vis-à-vis des professionnels de santé, au travers de bourses, de maisons de santé ou de divers dispositifs. Il faut aussi compter avec l'attractivité en matière de rémunération.

La situation actuelle réduit de deux ans l'espérance de vie des bébés qui naissent actuellement, a-t-il été dit. Retenons cette hypothèse (même si, dans mon territoire, cet écart est plutôt de quatre ans) : ce sont deux ans de retraite en moins et deux ans de ressources qui ne vont pas irriguer le territoire. Cela représente plus de 5 000 personnes qui ne sont pas là, et, à 1 000 euros par mois de retraite, environ 60 millions d'euros par an de ressources en moins. Quel effort consentir pour que ces 60 millions d'euros nous reviennent comme il se doit ? Ils pourraient être utilisés pour attirer les professionnels de santé. Je suis sûr que certains considéreront qu'à ce prix-là, les ruralités ont aussi leur intérêt et qu'on ne peut pas jurer que par les métropoles. Ce ne serait que rendre leur dû à ces territoires.

La question du fonctionnement en réseau, pour sortir de la logique « centre-périphérie », me paraît féconde. Les technologies le permettent et la société elle-même travaille déjà en réseau. Les GHT ont été évoqués mais ne fonctionnent pas. Ils drainent davantage qu'ils n'irriguent le territoire. Cela s'explique parfois : le seul centre hospitalier où se trouve une maternité traitant 900 naissances par an constitue naturellement, à un moment donné, une priorité. Néanmoins, il n'y a plus de direction dans nos hôpitaux de proximité et il n'y a plus de projets d'établissement pensés à l'échelle du territoire de proximité. Nous devons continuer de travailler sur l'enjeu territorial et l'enjeu républicain des réponses pouvant être apportées à ces questions. Nous ne sommes évidemment pas sourds aux questions de sécurité. Selon un tableau parfois caricatural qu'on fait de ces débats, les élus, inconscients, seraient prêts à faire n'importe quoi pour garder une maternité. C'est évidemment faux : nous voulons le meilleur pour nos territoires, en particulier pour le moment important que constitue une naissance.

M. Gilles Noël. - Pour attirer des professionnels de santé, je dirais que les maires que nous sommes peuvent proposer « tout sauf de l'argent ». L'État s'occupe de ces aspects et la course à l'échalote ne fonctionne pas. D'autres ont beaucoup plus de sous que nous. Je regrette, pour ma part, que les professionnels de santé soient condamnés à ne plus payer d'impôt. France Ruralité Revitalisation (FRR) a créé un désordre formidable et a amplifié les détricotages, au lieu de sortir les professionnels de santé de cette logique. Résultat, tout le monde cherche à se différencier et le maire de la ville-préfecture a intérêt à ce qu'il soit « FRR+ », quel que soit le nombre d'habitants de sa ville.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ce n'est pas le sujet du jour.

Mme Annick Billon. - Vous partez du postulat, monsieur, selon lequel les professions médicales seraient des nanties. Je ne partage pas du tout cette analyse. La question est de savoir comment l'on organise le système de soins sur le territoire hexagonal et ultramarin avec d'aussi faibles moyens RH dans la santé périnatale. Les débats philosophiques visant à savoir si les médecins profitent, comment il faut les obliger à ceci ou cela, ne constituent pas le sujet qui nous rassemble aujourd'hui.

M. Gilles Noël. - Nous avons nos petits bras pour faire en sorte que le vivre ensemble soit une réalité et qu'un professionnel de santé puisse venir dans nos territoires. Je n'ai pas de recette miracle. Il fait bon vivre chez nous. Le lien entre la ville et l'hôpital constitue sans doute une piste pour attirer des professionnels de santé, pour peu de faire preuve d'imagination et de souplesse. Ce n'est pas une question de moyens financiers, d'autant plus que nous ne sommes pas de taille à livrer la compétition sur ce terrain.

Vous avez mentionné François Braun. Le GHT de Metz a proposé aux professionnels de santé de venir aux urgences à Verdun et ces professionnels ont compris qu'ils dormiraient un peu plus à Verdun qu'à Metz, ce qui a permis d'organiser le dispositif. Cela nous ramène aux GHT, qui doivent à mes yeux constituer une pierre angulaire de la réflexion.

Mme Marie-Paule Chesneau. - Il nous faut effectivement conduire une réflexion globale pour attirer les professionnels de santé. S'agissant des médecins, les services sanitaires des étudiants en médecine viennent réaliser des actions d'éducation au sein des territoires auprès des jeunes. C'est aussi leur montrer la réalité des territoires ruraux et valoriser le travail des professionnels qui s'installent en milieu rural. Faut-il agir sur le plan financier ou en améliorant leur cadre de vie et en leur offrant des conditions d'installation qui répondent à leurs attentes, en agissant par exemple sur l'immobilier ? Promouvoir les stages en milieu rural me paraît également important. Les médecins ruraux doivent pouvoir être les tuteurs de ces étudiants afin de mieux faire connaître les territoires et mesurer la réalité du travail, qui n'est pas du tout la même en milieu rural et en ville. Nous les invitons aussi à faire des stages en PMI, ce qui leur montre de quelle manière on peut mailler le territoire et travailler en partenariat. C'est enfin leur offrir des installations et un travail dans des équipes pluridisciplinaires, avec des d'autres professionnels de santé (orthophoniste, gynécologue, kinésithérapeutes...).

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie pour votre participation à cette audition.

Un questionnaire écrit vous a été adressé et il vous permettra de compléter vos propositions. Nous avons compris que vous étiez très attachés à vos territoires comme nous le sommes toutes et tous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 00.