Représentation devant les cours d'appel
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.
Discussion générale
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. - Le projet vise à simplifier la représentation des parties devant les cours d'appel ; il unifie les professions d'avocat et d'avoué à compter du 1er janvier 2011. L'Assemblée nationale l'a adopté le 6 octobre au terme de débats riches, denses et constructifs. Votre commission y a apporté de nouvelles modifications, des améliorations aussi, et je salue la qualité du travail de son rapporteur. Grâce aux parlementaires, le texte est plus clair, plus lisible et, sans doute, plus cohérent. Nous nous en félicitons avec ceux qui aiment que le droit soit bien écrit.
La réforme de la représentation devant les cours d'appel s'inscrit dans une ample stratégie de modernisation de la législation. Les règles actuelles sont à la fois complexes, coûteuses et mal comprises de nos concitoyens. Se pose en outre un problème de compatibilité avec le droit communautaire. L'unification étant déjà réalisée en première instance depuis 1971, il était d'autant plus logique, après quarante ans, de compléter cette réforme qu'avoués et avocats possèdent les mêmes diplômes et offrent une qualité de conseil identique. Bien entendu, il faut éviter les petites réformes et conduire une modernisation globale de la procédure en prévoyant un accompagnement adapté.
La préoccupation de modernisation et de simplification globale s'exprime en premier lieu par un recentrage sur les avocats, qui deviendront les uniques interlocuteurs en appel. Les offices d'avoués seront supprimés ; automatiquement inscrits au tableau de l'ordre du tribunal de grande instance, les avoués pourront demander leur inscription à n'importe quel autre barreau. En deuxième lieu, la modernisation entraîne une diminution des coûts pour les justiciables, surtout à moyen et long terme. Le tarif de postulation en appel sera en effet supprimé et les justiciables n'auront plus qu'à régler les honoraires d'avocat...
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - ...qui doubleront...
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Une taxe destinée à l'indemnisation des avoués sera à la charge du perdant, au titre des dépens.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est très bien.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Il s'agit en troisième lieu de développer les nouvelles technologies, la dématérialisation permettant une plus grande efficacité de la procédure et une rationalisation. Les avocats ne seront plus obligés de se déplacer pour les actes de procédure ; aux termes du décret du 9 décembre, la procédure doit être introduite par voie électronique. La dématérialisation, applicable aux déclarations d'appel à compter du 1er janvier 2011, sera progressivement étendue. Pour éviter toute difficulté, un groupe de travail réunit mensuellement le Conseil national des barreaux et la Chancellerie ; comme le sait votre rapporteur, deux expérimentations sont en cours à Versailles et Douai ; toutes les cours d'appel connaîtront la dématérialisation avant la fin 2010. Afin de favoriser le dialogue entre chefs de cour et avocats, le projet prévoit qu'un avocat, désigné par les bâtonniers du ressort, traitera des questions relatives à la communication électronique.
Malgré le précédent de 1971, il s'agit d'une réforme d'ampleur. Dès lors, elle peut emporter des conséquences, notamment pour les avoués et leurs salariés. Dès l'été dernier, je me suis attachée à limiter les effets négatifs. Les mesures d'accompagnement tendent d'abord à favoriser l'activité sur la base d'un libre choix. S'agissant des passerelles vers d'autres professions, l'accès à celle d'avocat est automatique pour les avoués et assoupli pour leurs collaborateurs juristes. L'accès aux métiers d'officiers ministériels sera facilité. L'ensemble de ces passerelles sera mis en oeuvre dès 2010, les décrets nécessaires paraissant dès la loi promulguée. Sous réserve des modifications que vous pourriez apporter au texte, je tiens les avant-projets à votre disposition, c'est de bonne méthode. J'ai aussi obtenu dans le budget 2010 la création de 380 postes dans les services judiciaires. Les salariés d'avoués pourront postuler à ces emplois qui seront de catégorie A, B et C. Un concours adapté, avec une épreuve valorisant l'expérience professionnelle, sera organisé pour les salariés souhaitant devenir greffiers. Pour ceux désirant rejoindre la catégorie C, une épreuve sur dossier et avec entretien sera mise en place dès avril prochain.
Le projet prévoit en second lieu une juste indemnisation.
Ce projet de loi prévoit une juste indemnisation de la fermeture des offices d'avoués. Sur ce point, dès ma nomination comme garde des sceaux, j'ai souhaité améliorer le texte initial qui limitait cette indemnisation à 66 %. Pour les avoués, le préjudice doit être réparé dans un délai raisonnable. J'avais proposé et j'ai obtenu à l'Assemblée nationale que l'indemnité soit portée à 100 % de la valeur de l'office et qu'elle soit directement versée par le fonds d'indemnisation de la profession d'avoué, ce qui garantit une indemnisation adaptée, rapide et uniforme.
D'autres mesures sont prévues pour adapter l'indemnisation aux situations concrètes. Comme il s'agit d'un public restreint, contrairement à ce qu'il en était en 1971, nous pouvons individualiser les mesures.
Pour les avoués qui ont acquis récemment leur office, l'indemnité sera portée à un montant égal à la somme de l'apport personnel et du capital restant dû au titre de l'emprunt contracté pour l'acquisition. L'indemnisation interviendra dans un délai raisonnable. Dès le début 2010, les avoués pourront bénéficier d'un acompte sur l'indemnisation qui leur sera due, qui s'élèvera à 50 % du dernier chiffre d'affaires connu. Les avoués endettés pourront obtenir le remboursement du capital restant et la prise en charge des éventuelles pénalités de remboursement anticipé. A compter du remboursement, ils pourront bénéficier des revenus tirés de l'office sans avoir à supporter de remboursement d'emprunt. Les avoués qui partiront à la retraite dans le cadre de la réforme bénéficieront des mêmes avantages fiscaux que ceux qui cédaient leurs offices pour partir en retraite.
Une attention particulière est apportée aux salariés. S'ils suivent leur employeur dans sa nouvelle profession d'avocat, ils conserveront les avantages qu'ils auront acquis en application de la convention collective. Mais le nombre de postes ouverts sera évidemment inférieur au nombre de salariés employés par les anciens avoués. Pour ceux qui perdront leur emploi, un accompagnement personnalisé sera mis en place dans chaque cour d'appel. Sous l'égide du ministère de l'emploi, une convention tripartite réunira l'État, la Chambre nationale des avoués et les représentants des salariés. Elle prévoira des aides à la mobilité, des allocations compensant les pertes de revenus, des formations, un suivi personnalisé par un prestataire privé. La convention sera signée dès la promulgation de la loi. Le comité technique préparatoire a déjà été réuni à plusieurs reprises et il le sera à nouveau le 14 janvier. En outre, l'ancienneté des salariés d'avoués sera mieux prise en compte. J'avais souhaité renforcer le texte initial sur ce point lors du débat à l'Assemblée nationale. Votre commission améliore encore le dispositif en retenant le principe d'un mois d'indemnisation par année d'exercice. Nous en discuterons. Ces indemnités, non soumises à l'impôt sur le revenu, n'entraîneront pas de différé dans le versement des indemnités de chômage.
L'aménagement d'une période transitoire a été préféré à la fusion immédiate des professions, pour préparer la reconversion des avoués et répondre aux conséquences sociales des fermetures d'offices. Certains avocats voudraient s'y opposer, craignant des distorsions de concurrence. Mais une transition, qui ne doit pas être infinie ni même excessive, est nécessaire. Il ne s'agit ni de créer des distorsions dans la concurrence entre avoués et avocats ni, pour les salariés d'avoués, de faire durer une situation d'incertitude. On m'a parlé de trois ou cinq années. Le projet de loi prévoit une fusion à compter de janvier 2011, date qui me paraît raisonnable. D'ici là, les avoués qui le souhaitent pourront aussi exercer la profession d'avocat et seront inscrits de plein droit au barreau de leur choix.
Ce dispositif s'inscrit dans notre ambition générale de simplifier et de moderniser notre justice, tout en prenant en compte de légitimes intérêts catégoriels. Il était en outre indispensable de s'adapter au droit européen. Avec cette fusion, le Gouvernement vous propose d'aller jusqu'au bout de la réforme entamée en 1971 et de franchir une étape supplémentaire vers une justice en phase avec les attentes de nos concitoyens et avec les exigences du XXIe siècle. (Applaudissements à droite)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - Je ne suis pas en parfaite harmonie avec la ministre, j'ai avec elle d'importantes divergences. Cependant, sur un point, je la félicite : comme il n'y a pas là de procédure accélérée, la navette améliorera un texte au départ inacceptable.
Je ne suis pas d'accord, madame la garde des sceaux, avec votre interprétation de la directive Services. La justice n'est pas un service comme les autres et nous aurions pu maintenir les avoués tout en respectant cette directive, comme c'est le cas en Alsace-Moselle où des avoués sont spécialisés auprès des cours d'appel. Mais pour le rapport Attali sur la croissance comme pour la commission Darois, la cause était entendue et les dispositions envisagées n'étaient plus discutables. D'où ce projet de loi qui supprime l'intervention des avoués dans les cours d'appel alors, que, à mon avis, il n'y a là aucune continuité avec la réforme de 1971.
Vous nous dites que la procédure sera plus simple et moins coûteuse. J'en doute. Le recours à l'avoué coûtait environ 900 euros. Cela coûtera autant, sinon plus, car l'avocat se fera payer doublement : pour sa plaidoirie et pour le recours en appel ; sans parler de la fameuse taxe de 330 euros. De plus, les avocats compenseront le travail qu'ils font dans le cadre de l'aide juridictionnelle en augmentant les honoraires de leurs clients solvables.
Je ne suis pas non plus sûr que la procédure soit plus simple, notamment avec la dématérialisation. Les 48 000 avocats ne sont pas en mesure d'informatiser leurs procédures et je plains les bâtonniers qui crouleront sous les recours des justiciables pour vice de forme. Les logiciels ne sont pas prêts et les avocats ne sont pas encore équipés. Sur ce point, l'étude d'impact a été bien insuffisante.
M. Robert Badinter. - Très juste !
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Y avait-il d'autres solutions ? En tout cas, la commission a décidé de suivre le Gouvernement.
Quelques remarques tout de même.
La loi de finances rectificative a prévu toute une série d'éléments qui concernent le texte dont nous commençons l'examen. La loi de finances initiale a même prévu les emplois ! Cela ne peut que poser des problèmes aux personnes concernées.
Je suis très insatisfait d'apprendre qu'un membre du cabinet a déclaré aux avoués venus le rencontrer que le travail de la commission des lois du Sénat n'était pas acceptable. Le législateur, c'est le Parlement, pas les membres des cabinets ministériels ! (Applaudissements sur la plupart des bancs)
J'avais préparé un amendement que j'ai finalement retiré mais je veux tout de même évoquer l'anomalie dont il s'agit : on supprime la postulation devant les cours d'appel mais pas devant les tribunaux d'instance ! L'avocat havrais ne pourra agir devant la cour de Rouen qu'en passant par un confrère rouennais alors que lui-même est avocat d'appel !
On a fait la comparaison avec la suppression des monopoles des commissaires-priseurs et des courtiers maritimes. Les commissaires-priseurs ont été indemnisés à 50 % et leurs salariés ont eu droit à un mois pour un an. Mais ils subsistent, même s'ils sont désormais soumis à la concurrence. Même chose pour les courtiers maritimes. On peut invoquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel substituant au principe patrimonial celui de la rupture d'égalité. Dans le cas des avoués, l'argument ne tient pas, c'est d'un bien patrimonial qu'il s'agit.
Quand s'appliquera cette réforme ? Le projet de loi n'étant pas soumis à procédure accélérée, il y aura deux ou trois lectures. Nos divergences sont grandes, cela prendra du temps, dans un agenda parlementaire très chargé. La deuxième lecture ne pourra se faire dans un avenir proche, sans doute pas avant le printemps. Une adoption avant juin n'est rien moins qu'assurée, et elle serait nécessaire pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2011.
Notre désaccord touche essentiellement à l'indemnisation, et d'abord celle des 1 650 salariés dont la moitié va se retrouver sur le carreau. Un amendement de Mme Des Esgaulx prévoyant un mois pour un an a été adopté par notre commission. Le Gouvernement voudrait en limiter l'application à trente ans ; pourquoi pas ? Certains de ces salariés disposent des titres suffisants pour pouvoir entrer dans des professions juridiques ; ils sont 170. Le ministère compte en recruter 380 autres. Enfin, 350 vont devenir secrétaires d'avoués devenus avocats. Il faut les indemniser correctement. Il faut aussi une indemnisation de reconversion pour ceux qui exerceront un autre métier, moins bien rémunéré. Ce n'est pas parce que le nombre de personnes concernées n'est pas considérable qu'elles ne doivent pas être indemnisées intégralement. (Marques d'approbation au centre et à droite)
L'Assemblée nationale a reconnu la spécialité des avocats en procédure d'appel. Elle a, grâce à vous, madame la ministre, décidé une indemnisation à 100 %, mais de quoi ? Des charges, pas des préjudices ! Nous souhaitons que ce soit le juge des expropriations qui tranche. Nous souhaitons aussi l'exonération fiscale des plus-values. Nous nous sommes aussi préoccupés du sort des salariés. Cela fait beaucoup ? Nous sommes en début de discussion et on ne peut pas admettre le caractère très partiel des indemnisations proposées par le projet de loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Cette réforme nous est présentée comme concernant un cas bien particulier qui appelle des réponses pratiques et circonstanciées. Les lacunes et incohérences mises en évidence par les députés et par notre commission des lois montrent qu'en réalité, ce projet de loi n'a rien d'objectif : il est au service d'intérêts politiques qui n'ont rien à voir avec ceux des avoués, de leurs salariés et du justiciable. Ce texte sans rationalité ni pragmatisme a été rédigé à la hâte et dans une pleine méconnaissance de la profession visée.
Le cabinet de la garde des sceaux écrit que cette réforme a pour but de rendre plus simple et moins chère notre justice devant les cours d'appel. Nous récusons cette affirmation : si le justiciable n'aura plus à faire recours auprès de deux professionnels, il devra payer une taxe de 330 euros à laquelle s'ajoutera une somme forfaitaire exigée au titre de la simple postulation devant les cours et estimée par les barreaux à 800 euros, avec une majoration de 20 % pour chaque événement de la procédure nécessitant des diligences supplémentaires. En somme, faire appel ne sera ni plus simple, ni moins coûteux.
Le tarif des avoués, qui était fixé par le Gouvernement, sera totalement dérégulé. Ce seront donc les justiciables les plus fragiles économiquement qui en pâtiront le plus. Plus choquant encore, il nous est dit que la garde des sceaux a obtenu 380 postes dans les services judicaires auxquels pourront postuler les salariés d'avoués. Il n'est pas dit que cela ne représentera que 19 postes de catégorie A contractuels et 139 de catégorie B. Autant dire que 222 emplois seraient de catégorie C : plus des deux tiers des postes seraient des emplois sous-qualifiés et faiblement rémunérés. Et il n'est question que de 380 postes pour 1 852 salariés.
Selon la caisse de retraite du personnel des avocats et des avoués (Crepa), sur 1 852 salariés 1 687 seraient des personnels administratifs, dont 90 % de femmes, souvent seules avec des enfants à charge. Leur âge moyen est de 42 ans et 24 % ont plus de 50 ans. Pour cette catégorie salariale moins diplômée et spécialisée dans des tâches juridiques spécifiques, la reconversion professionnelle sera extrêmement difficile. Le Gouvernement aurait dû compenser ces suppressions de postes par un solide programme de reconversion professionnelle. Il n'en est rien.
Les exonérations fiscales accordées aux cabinets d'avocats permettront au mieux à ces derniers de recruter d'anciens salariés d'avoués à moindres frais, mais tous ne pourront se reconvertir ainsi. Le marché est saturé et des tribunaux sont supprimés par la réforme de la carte judiciaire. En outre, la composition salariale d'une étude d'avoués diffère de celle d'un cabinet d'avocats. Le ratio de salariés par avoué s'élève à 4,95 contre 0,8 pour un avocat.
Le devenir des avoués a été examiné avec une attention bien plus grande puisqu'ils pourront exercer les professions d'avocat, de notaire, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier au tribunal de commerce, d'huissier de justice, d'administrateur et de mandataire judiciaire. La suppression de leur droit de présentation sera indemnisée. Le projet de loi initial prévoyait un taux de 66 % de la valeur de leur office, porté par un amendement gouvernemental à 92 %, puis à 100 % pour les jeunes avoués. Le compte n'y est pas, mais nous regrettons que leurs employés n'aient pas été traités avec la même considération. Les dispositifs assurant une réelle réinsertion professionnelle, et non un vague plan de reclassement qui mènera ces salariés de stages en emplois précaires, restent cruellement absents.
Pourquoi une telle réforme, qui ne fait qu'empirer la situation des justiciables et des personnels de justice ? Le Gouvernement s'abrite derrière la directive Services du 12 décembre 2006, mais des spécialistes du droit communautaire ont démontré que les avoués n'entraient pas dans son champ d'application. Une conception utilitariste de l'Europe permet de rendre cette dernière responsable d'une réforme impopulaire. En réalité, la suppression des avoués est une vieille revendication des gros cabinets d'avocats d'affaires parisiens. Sur le reste du territoire, cette réforme compliquera l'action des tribunaux et engorgera encore davantage les services des greffes.
Ce projet de loi s'inscrit dans une politique qui vise à insuffler le management dans le service public de la justice, comme le préconisait déjà le libéral Institut Montaigne en 2004. Les grands principes et l'architecture d'une justice libre et indépendante sont remis en cause. Toutes les fonctions de la justice sont touchées : les juges de l'application des peines sont stigmatisés à la moindre occasion tandis que les lois de circonstances s'amoncellent ; les juges des enfants font l'objet d'une suspicion permanente alors que leurs possibilités d'intervention se réduisent et que les moyens pour l'accompagnement des mineurs délinquants baissent ; les magistrats du parquet, de plus en plus encadrés et dont les nominations sont de plus en plus partisanes, s'inquiètent de leur avenir ; les juges civils et pénaux doivent gérer des flux ; un énième projet de réforme prévoit la mort du juge d'instruction... Quant au budget de la justice judiciaire, il stagne, et Ies effectifs sont réduits au point d'hypothéquer le fonctionnement normal de l'institution.
Cette réforme prend tout son sens dans ce contexte. Plutôt que d'augmenter les moyens de la justice, le Gouvernement cherche à diminuer les droits du justiciable. La nouvelle procédure d'appel ira encore davantage dans le sens d'une justice à deux vitesses. Les amendements que nous avions déposés pour améliorer la compensation et augmenter l'aide juridictionnelle n'ont pas résisté au couperet de l'article 40. C'est une raison supplémentaire pour refuser cette réforme entachée d'inconstitutionnalité. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)
M. Yves Détraigne. - Méfions-nous des idées si simples et évidentes qu'on se demande pourquoi on ne les a pas eues plus tôt : ce sont souvent de fausses bonnes idées. Ainsi en va-t-il de la suppression de la profession d'avoués devant les cours d'appel. Cette proposition du rapport Attali pouvait séduire ceux, dont j'étais, qui ne connaissaient pas leur rôle. Pourquoi les avocats ne pouvaient-ils se charger eux-mêmes d'une procédure assurée par une profession qui compte cent fois moins de membres ? Le remplacement des avoués par les avocats n'est pas aussi simple qu'il y paraît : je m'en suis aperçu en rencontrant des représentants de cette profession, en écoutant les chefs de cour d'appel et les avocats de ma région.
Sur le fond, les avoués ont-ils démérité et leurs études sont-elles dans une si mauvaise situation ? Non. Le monopole des avoués alourdit-il et renchérit-il à ce point la procédure ? Le rapporteur lui-même n'en est pas convaincu. Les avoués, comme les conseillers généraux par exemple, sont emportés par la vague de réformes et de simplification voulue par le Président de la République. La simplification des procédures d'appel avait déjà été envisagée, mais les premiers présidents des cours d'appel avaient considéré que l'intervention des avoués constituait un gage de sécurité pour la procédure civile.
Aujourd'hui, de nombreuses questions se posent. Les avocats pourront-ils assurer la postulation devant la cour d'appel dès le 1er janvier 2011 ? Les 440 avoués disposaient d'un système de communication électronique qui a nécessité quatre années de préparation ; dans un an, les 50 000 avocats de France pourront-ils tous introduire leurs instances avec une application informatique expérimentale ? La disparition de l'avoué va-t-elle réduire le coût de la procédure ? Il serait surprenant que les avocats ne revoient pas à la hausse leurs honoraires, auxquels s'ajoutera le droit de postulation de 330 euros. L'intervention de l'avoué coûtait 900 euros en moyenne et ce prix était réglementé.
Les avoués vont-ils tous s'installer comme avocats ? A priori non. Si Mme le garde des sceaux nous indique que la fusion sera d'autant plus aisée que les avoués ont les mêmes diplômes et qualifications que les avocats, un avoué n'est pas un avocat qui n'aurait pas réussi ! (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve) L'avoué a choisi cette profession, qu'il a préférée à celle d'avocat. En outre, cette profession ne les attend pas : beaucoup d'avocats commis d'office sont rémunérés au tarif de l'aide juridictionnelle. Et les avoués n'ont aucune chance d'acquérir une clientèle propre d'ici le 1er janvier 2011 puisqu'ils vont concurrencer leurs pourvoyeurs d'affaires.
Que va-t-il advenir des 1 450 salariés qui perdront leur emploi ? Certes, 380 postes leur ont été réservés dans le budget du ministère de la justice, quelques-uns ont d'ores et déjà quitté la profession, d'autres vont partir en retraite, mais pour la grande majorité d'entre eux il ne s'agit pas d'un licenciement économique ou pour faute, mais d'un licenciement consécutif à une décision politique ! Dans la situation économique actuelle, le moment paraît fort mal choisi. Même si l'avoué devient avocat, il sera obligé de licencier car il n'aura pas besoin du même nombre de salariés qu'un avoué.
Les avoués recevront-ils une indemnisation juste et équitable ? Non ! Si l'Assemblée nationale a amélioré celle-ci, il s'agit en fait du simple rachat de l'étude qui ne dédommage pas les préjudices subis. Heureusement, notre commission des lois a bien travaillé. Le groupe centriste soutient les propositions du rapporteur. S'il y a une utilité publique à supprimer, comme en 1971, un échelon dans la procédure d'appel, les conditions dans lesquelles se fait cette réforme ne sont pas correctes. J'ai été frappé par la dignité des avoués que j'ai rencontrés. L'un d'eux m'a dit que leur profession était morte d'invisibilité. Les avoués, jusqu'à présent, faisaient leur métier, ne demandaient rien à personne, ne faisaient pas parler d'eux... Peut-être auraient-ils dû ?
Les avoués ont très mal vécu la publication du rapport de Jacques Attali. Leur proposition de faire évoluer leur métier n'a été ni entendue ni écoutée. Le texte de la commission des lois améliore les conditions d'indemnisation. Je proposerai toutefois quelques amendements de précision et un amendement prolongeant d'une année supplémentaire la période transitoire.
Ainsi, les avoués, leur personnel, la justice et les justiciables n'auront pas à déplorer les conditions de mise en oeuvre de cette décision politique... (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)
M. Alain Anziani. - En écoutant le doyen Gélard, j'ai failli renoncer à prendre la parole, tant il a expliqué avec force et pertinence que cette réforme n'était motivée ni par le droit européen ni par la volonté de simplifier la procédure, tant il a critiqué avec vigueur les modalités d'application inscrites dans le texte originel. Nous sommes donc d'accord sur -presque- tous les points, puisque notre rapporteur conclut à l'adoption du projet de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Amendé !
M. Alain Anziani. - La commission des lois a beaucoup travaillé, mais sans enthousiasme, comme pour honorer une commande de la Chancellerie. Même certains commissaires membres de la majorité sénatoriale estiment qu'il existe d'autres urgences.
Qui a demandé cette réforme ? Probablement certains avocats, peut-être quelques magistrats, mais je ne crois pas que les justiciables la souhaitent, car ils ignorent la dualité de représentation devant la cour d'appel.
En réalité, cette réforme idéologique trouve son origine dans les idées d'un homme qui a parfois -mais pas toujours- des traits de génie. J'ai nommé Jacques Attali, dont la commission a publié un rapport proposant de renoncer à toutes les spécificités françaises pour niveler notre pays selon le modèle américain. Les suggestions du rapport n'ont pas toutes connu le même succès que la réorganisation des collectivités territoriales... Pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, la commission Darois a estimé que la fusion-absorption des avoués et des avocats n'était pas discutable dans son principe.
La modernisation de la justice passe-t-elle par la mort des avoués ? Je ne pense pas qu'il faille les enterrer vivants avec leur personnel.
Que vont donc devenir les 434 avoués ? Ils devront affronter la concurrence de 50 000 avocats ! Tout le reste n'est qu'une fable car les avocats ne vont pas recruter un grand nombre d'anciens avoués, ne serait-ce que parce qu'ils connaissent déjà quelque peu la procédure. De même, il faudra beaucoup de temps à un ancien avoué pour se constituer une clientèle s'il veut devenir avocat.
J'en viens donc à leur indemnisation. Je vous remercie à ce propos, madame la ministre, car votre prédécesseur n'avait envisagé qu'une spoliation : rien ne justifiait qu'elle soit limité à 66 %. Pourquoi pas 50 % ou 80 % ? Il est bon d'être arrivé à 100 %. Je me demande toutefois si la France ne risque pas ici une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme, dont l'arrêt Lallement de 2002, confirmé en 2003, exige, comme l'a relevé le rapporteur, que la perte de l'outil de travail fasse l'objet d'une indemnisation spécifique fondée sur la perte de revenus. La commission des lois a fait une bonne proposition, dont je regrette que le Gouvernement ne la soutienne pas, car il est naturel de confier l'indemnisation au juge de l'expropriation. Qui va payer l'indemnisation ? Le justiciable, donc le contribuable.
Quant aux 1 650 salariés des études d'avoués, ils seront licenciés. On connaissait jusqu'ici le licenciement pour faute ou pour cause économique ; l'innovation du licenciement du fait de la loi impose à l'État une responsabilité particulière. Avec un âge moyen de 43 ans, ce personnel en majorité féminin dont 55 % n'a pas dépassé le niveau du bac et qui, pour la moitié, n'a jamais exercé d'autre profession rencontrera beaucoup de difficultés en arrivant sur le marché du travail. Ne racontons pas de fable : l'embauche par des cabinets d'avocats restera marginale, car chaque avoué emploie en moyenne cinq fois plus de personnes qu'un avocat.
Le groupe socialiste a déposé à ce propos deux amendements acceptés par la commission, ce dont je la remercie. Ainsi, les salariés recrutés par un cabinet d'avocats resteront soumis à leur convention collective et cotiseront à la caisse de retraite du personnel des avocats.
L'État dit vouloir faire un geste en facilitant l'intégration dans les greffes : 380 postes leur seront réservés. C'est bien, mais insuffisant ! D'autant plus qu'il s'agit pour l'essentiel de postes en catégorie C, donc largement inadaptés à la situation.
En clair, la moitié des salariés n'auront aucune perspective d'emploi.
Grâce à la commission, les salariés licenciés percevront une indemnité égale à un mois de rémunération par année d'ancienneté. L'article 40 nous interdit de renchérir, mais le Gouvernement pourrait mettre en place une préretraite pour les personnes âgées de plus de 50 ans.
Voyons maintenant l'incidence de la réforme sur le coût de la procédure. Les émoluments des avoués atteignent 980 euros par affaire selon la Chancellerie, 500 à 600 selon la Chambre nationale des avoués. Pour l'avenir, le Conseil national des barreaux propose un forfait de 800 euros, majoré de 20 % par incident de procédure. Mais ce n'est pas tout, car il faudra financer aussi le fonds d'indemnisation des avoués et de leur personnel, si bien que les justiciables payeront une taxe fixée à 330 euros par l'article 28 de la loi de finances rectificative pour 2009. Cette disposition est d'ailleurs étrange, puisqu'elle a été introduite avant que nous n'ayons examiné la fusion des avoués et des avocats.
Comme l'écrit le rapporteur avec sa finesse habituelle, qui est oralement plus abrupt : « il n'est pas certain que le justiciable ait à supporter des dépenses plus faibles » ... Oui, la réforme va lui coûter plus cher, au moins 150 euros de plus pendant au moins dix ans ; c'est absurde.
L'étude d'impact relève que le taux d'appel devrait augmenter de 15 % ; c'est donc que le travail des greffes va s'alourdir. Qu'avez-vous prévu pour les aider à absorber 20 000 affaires supplémentaires par an ? Quant à la dématérialisation de la procédure, j'y suis favorable pourvu qu'elle soit menée avec efficacité. Je ne suis pas certain que les matériels et logiciels des greffes et des cabinets d'avocats seront compatibles à la date voulue ; qu'avez-vous prévu pour y faire face ?
La date d'application, enfin, n'est pas réaliste. Période de transition ou non ? Je suis pour qu'il n'y en ait pas, comme certaines organisations de salariés ; il faut éviter la confusion. Les uns, dans un réflexe de survie, essayeront d'obtenir des clients sous leur double casquette ; les autres, les cabinets d'avocat, par instinct de conservation, vont multiplier les échanges avec ceux qui les rejoindront... Si l'on ne veut pas de désordre, il y a plus simple encore : ne pas voter cette loi. (Applaudissements à gauche ; M. Jacques Mézard applaudit aussi)
M. Jacques Mézard. - En cette semaine de Noël, nous ne célébrons pas un avènement, mais le décès de la profession d'avoué. Le choix de cette fin d'année est-il innocent ? Veut-on enterrer les avoués comme on enterrait les comédiens sous l'Ancien régime ? Faut-il, après le texte sur le travail dominical fin juillet, s'inquiéter des lois de fin de session ? Prenons garde à ce que la proximité des vacances ne rime pas avec la vacance de la démocratie. (M. Jean-Pierre Sueur approuve)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - C'est excessif !
M. Jacques Mézard. - Je m'efforce à la mesure, mais je note que les semaines d'initiative parlementaire ont bon dos...
Vous avez hérité de ce texte, madame la garde des sceaux. Devant toute succession, le choix est entre l'acceptation, l'acceptation sous bénéfice d'inventaire et la renonciation. (On apprécie)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Je ne renonce jamais !
M. Jacques Mézard. - La troisième solution avait notre préférence, au moins avez-vous choisi la deuxième, ce qui est un progrès tant le texte initial était provocateur, porteur d'excès, méprisant à l'égard de toute une profession, méprisant à l'égard des 1 850 salariés employés dans des entreprises en bonne santé et privés d'emplois en pleine crise par le fait du prince. Vous avez su faire preuve d'humanité pour améliorer un texte à l'origine inacceptable.
Ayant travaillé 37 ans avec les avoués, je peux témoigner de l'utilité de leur collaboration. Méritent-ils un tel opprobre ? D'être considérés comme une profession coûteuse, inefficace pour le justiciable et inutile pour le service de la justice ? Méritent-ils de ne plus être défendus par la majorité de leurs partenaires de toujours, qui guettent leurs dépouilles ? Et l'indifférence des magistrats dont ils ont été des siècles durant les auxiliaires ? S'il faut une voix, après d'autres, pour répondre non à ces questions, ce sera la mienne. La plupart d'entre eux ont acquis leur charge par leur travail, ils ont été d'utiles conseillers et ont rendu les procédures plus sûres et moins nombreuses. Tout n'était certes pas parfait, mais pourquoi cette précipitation ? Et dans quel but ?
L'accélération de la procédure ? Des économies pour l'État, qui y perdra des recettes fiscales ? Pour le justiciable, ce qui est très discutable ? Ou est-ce une friandise pour le Conseil national des barreaux ? S'agit-il de l'application de la « décision 213 » du rapport Attali, seize lignes péremptoires approximativement motivées ? Une graine de ce rapport aurait-elle germé sur le terreau des défunts avoués ? J'attends avec impatience la concrétisation des autres propositions Attali, l'ouverture des professions réglementées, la suppression du numerus clausus ou la suppression des greffes des tribunaux de commerce, sans parler de ce qui concerne les coiffeurs et les taxis...
Droit et justice doivent évoluer pour s'adapter à la marche de la société, ce qui impose autre chose qu'un salmigondis de lois médiatiques ou l'introduction asynchrone de morceaux de rapports divers, autre chose qu'une accumulation de lois sécuritaires, que la création de juges de proximité accompagnée de la disparition rapide de tribunaux au mépris de la proximité, que la création de pôles d'instruction aussitôt gelée par amendement gouvernemental... Sans compter les lois de simplification et de clarification, voitures-balais de la prolifération législative dont le dossier de la scientologie a montré les failles dans le balayage, lequel sera, n'en doutons pas, amélioré par le travail d'un cabinet conseil à la compétence coûteuse...
Pourquoi, donc, cette suppression brutale des avoués ? Brutale, dis-je, puisqu'on a cette année cyniquement délivré des diplômes à de jeunes avoués. L'accélération de la procédure ? Non, il y aura 15 % d'appels en plus que ne pourront absorber ni les magistrats ni les personnels des cours d'appel. La transposition d'une directive du Parlement européen ? Motif fallacieux, car ce texte demandait une réforme, non une suppression, ce que vous avez d'ailleurs reconnu devant la commission. Une simplification pour le justiciable, qui pourra s'adresser à un professionnel unique ? C'était déjà le cas dans l'immense majorité des dossiers. La réduction du coût de la justice d'appel ? Motif « discutable », note avec sagesse le rapporteur, en raison notamment de la taxe de 330 euros. Surtout, à moins d'imaginer que le travail de l'avoué ne servait à rien, il est original d'envisager que le cumul du travail de deux professions par une seule va réduire sensiblement les coûts. Il est en outre dangereux d'imaginer que c'est la concurrence entre avocats qui s'en chargera : valorise-t-on la qualité en spéculant sur la concurrence entre avocats impécunieux ?
Je me dois d'aborder ici la question fondamentale de l'aide juridictionnelle dans la procédure d'appel, que tous vos prédécesseurs ont occultée. Il s'agit de la défense du justiciable démuni, défense d'autant plus difficile à organiser lorsque le siège de la cour d'appel est à quatre ou cinq heures aller et retour de son domicile ou de celui de son avocat. II existait une indemnité ridicule de 14 unités de valeur pour l'avocat comme pour l'avoué ; allez-vous les réévaluer ? Les cumuler ? Il y va de l'équilibre des petits barreaux et surtout de la possibilité pour le justiciable impécunieux d'avoir un conseil efficace de proximité.
Autre raison invoquée pour l'urgence de la réforme : la concomitance avec la dématérialisation de la procédure d'appel et la mise en oeuvre du rapport Magendie -la transmission par voie électronique à la Cour, à peine d'irrecevabilité d'office, des actes de procédures pour le 1er janvier 2011. Mais Paris n'est pas la France ; le rapporteur souligne avec réalisme qu'il est improbable que les 28 cours et les 40 000 avocats soient prêts à cette date. Les conséquences ne paraissent pas avoir été mesurées d'un rendez-vous raté.
L'évolution de la procédure d'appel est nécessaire mais dans une approche globale incluant la dématérialisation, la fusion, un véritable tarif répétible, donc la postulation -dont la suppression brutale bouleverserait encore davantage l'existence des petits barreaux comme la qualité d'un service du droit en dehors des métropoles régionales.
« Une réforme aux modalités discutées » : ainsi M. Gélard a-t-il intitulé son rapport. Je salue sa remarquable indépendance d'esprit et sa technique juridique au service de l'humain. Nous n'approuvons pas la réforme du Gouvernement ; si elle devait être votée, qu'au moins elle soit assortie des propositions de la commission des lois, qui ne relèvent plus de la spoliation ni du mépris.
En espérant que la navette ne reviendra pas là-dessus. On se demande comment l'État a pu envisager de laisser quelque 1 850 salariés compétents sans indemnités : un mois de salaire par année d'ancienneté, qui leur sera versé directement par le fonds d'indemnisation, c'est indispensable, comme une indemnité de licenciement et une indemnité exceptionnelle de reconversion. Notre commission a également fait preuve de sagacité en se fondant sur la jurisprudence européenne pour confier au juge de l'expropriation le soin de déterminer le montant de l'indemnité des avoués : c'est le seul moyen d'assurer une indemnisation équitable de l'ensemble du préjudice futur et certain, surtout à l'égard des avoués les plus jeunes.
Quant à la période transitoire, nous souhaitons aller encore plus loin que la commission pour laisser plus de temps aux salariés et aux avoués pour s'adapter aux nouvelles conditions qui leur sont faites.
Monsieur le président de la commission, vous avez souligné que la réforme devait être guidée par l'intérêt général et par le souci du justiciable, vous avez dit que la justice ne saurait être un marché. Nous en sommes parfaitement d'accord, en précisant que l'intérêt général passe par l'existence de professionnels compétents, disposant de revenus du travail qui suffisent à leur indépendance financière, qui garantissent leur liberté au service de la défense du droit et du citoyen.
Cette loi ne va pas dans ce sens, et si la majorité veut décider de la mort de la profession d'avoué, faites que ce soit dans la dignité, ce qui n'était pas le cas du texte initial ! (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs du centre)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce texte de 2008 poursuit une réforme initiée en 1971 et que nous ne saurions retarder davantage. De nombreux rapports ont appelé à modifier le fonctionnement du procès en appel, notamment celui de M. Attali et celui de M. Darrois, tant l'organisation actuelle est source de complexité. Aussi, madame le garde des sceaux, partageons-nous votre ambition d'une meilleure lisibilité et d'une simplification des démarches, mais aussi votre désir de réduire le coût du procès en appel.
Le justiciable pourra être conseillé et représenté par un même professionnel devant les deux degrés de juridiction, la dématérialisation des échanges devant la cour d'appel évitera les déplacements pour de simples actes de procédures : ces mesures vont dans le sens de la modernisation. Le groupe UMP se félicite que ces propositions aient été faites en concertation avec les professions juridiques et que vous-même, madame le garde des sceaux, vous ayez pleinement tenu compte de cette concertation.
Cependant, votre texte nous paraît s'arrêter en chemin pour l'indemnisation des avoués et de leurs salariés. Nous nous félicitons du travail de très grande qualité réalisé par la commission, en particulier par M. Gélard, pour aller plus loin.
Le groupe UMP se prononce pour une période de transition assez courte, car elle représente un temps d'incertitude pour les professionnels concernés et elle est susceptible de fausser la concurrence entre les avoués et les avocats. L'échéance de la publication de la loi, proposée par la commission plutôt que le 1er janvier prochain, va donc dans le bon sens.
Nous souhaitons ensuite que les quelque 2 000 professionnels concernés disposent des meilleures garanties pour saisir de nouvelles opportunités professionnelles. Nous nous réjouissons de la liberté de choix donnée aux 434 avoués entre plusieurs professions juridiques.
L'indemnisation, en revanche, était insuffisante : notre commission propose d'en confier la décision au juge de l'expropriation, c'est intéressant, mais nous sommes également ouverts à vos propositions, madame le garde des sceaux. Nous nous soucions aussi tout particulièrement des jeunes avoués, dont beaucoup ont dû contracter un prêt pour acquérir leur office : l'intervention du juge, là encore, va dans le bon sens.
Nous avons enfin complété les mesures particulières au bénéfice des salariés d'avoués. La commission a retenu l'amendement que j'avais déposé avec M. Couderc pour une indemnité d'un mois de salaire par année d'ancienneté. Elle a également suivi notre rapporteur pour un versement direct par le fonds d'indemnisation. Pour faciliter la reconversion, nous avons encore créé une indemnité de reconversion, ainsi qu'une exonération de charges sociales patronales pour l'emploi de salariés qui étaient employés par des avoués.
Vous avez annoncé la signature d'une convention entre l'État, la Chambre nationale des avoués et les représentants des salariés : cela va dans le bon sens.
Vous avez obtenu 380 postes pour les services judiciaires, auxquels les salariés d'avoués pourront prétendre : quand auront lieu les recrutements ?
Ce texte simplifie la gestion des caisses de retraite, puisque seuls les avoués qui deviendront avocats dépendront de la Caisse nationale des barreaux français pour leurs années d'avocat, les autres continuant à dépendre de la Caisse d'assurance vieillesse des officiers ministériels.
En conclusion, ce texte modernise notre justice et répond à nos obligations européennes. L'accès à la justice sera amélioré, l'indemnisation et la reconversion des avoués seront mieux assurées, tout comme celles de leurs salariés. Le groupe UMP votera pour ! (Applaudissements à droite)
M. Roland du Luart. - La suppression de la profession d'avoué s'inscrit dans un mouvement continu, depuis plusieurs années, de modernisation de l'institution judiciaire. Certaines de ces réformes ont eu un retentissement très important, par exemple la réforme de la carte judiciaire, quand d'autres sont plus discrètes, ce qui ne signifie pas que leurs conséquences soient moins importantes pour le justiciable et les professionnels de la justice, comme c'est le cas de la réorganisation de la justice en appel.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission Justice, j'insisterai sur les enjeux économiques et financiers de cette réforme.
Ce texte n'est que le « vaisseau amiral » d'une trilogie législative engagée avec la loi de finances pour 2010 et poursuivie par la loi de finances rectificative pour 2009.
La loi de finances pour 2010 aborde le volet « emploi » de la reforme : 190 emplois équivalents temps plein seront créés, au sein de la mission Justice, en milieu d'année 2010 pour permettre le recrutement de 380 personnes au total. Affectés aux greffes des juridictions, ces emplois se répartissent entre dix-neuf postes de catégorie A, 139 postes de greffiers de catégorie B et 222 postes d'adjoints administratifs de catégorie C. Cet effort est substantiel, mais on peut regretter que les emplois de catégorie A soient des contractuels, dont la pérennité est par définition sujette à caution.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2009 traite du volet financement, décisif, de cette réforme. Le texte discuté par la CMP fait reposer ce financement sur toutes les parties à l'appel, via la création d'un nouveau droit de 150 euros, qui ne pèse pas sur les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle. Selon les estimations de notre commission des finances, la ressource fiscale pourrait ainsi se monter à près de 347 millions.
Le collectif budgétaire anticipe également sur le volet indemnisation des avoués, puisqu'il prévoit déjà, pour ceux partant en retraite du fait de la suppression de la profession, l'exonération des plus-values de cession réalisées pour les offices. C'est équitable.
La passerelle ouverte par le présent projet de loi aux avoués vers la profession d'avocat est appréciable, mais ne règle pas tout. Les avoués n'ont guère de clientèle propre et ils étaient jusqu'à présent très dépendants des avocats, qui jouaient le rôle d'apporteurs d'affaires. Leur reconversion sera nécessairement difficile. Il en sera de même pour leurs salariés, qui ne pourront pas tous retrouver un emploi dans un cabinet d'avocat. On compte 4,3 salariés par avoué, contre seulement 0,8 salarié par avocat : ce seul rapport de 1 à 5 suffit à éclairer les difficultés du reclassement.
La réforme de la représentation en appel va bouleverser la vie professionnelle de près de 2 000 personnes, contraintes de s'adapter, de se former à un nouveau métier et, parfois, d'accepter la mobilité géographique.
Si l'on apprenait, demain, la fermeture d'une entreprise et le licenciement de 2 000 salariés, le choc serait fort, à n'en pas douter (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, le confirme) et l'on prévoirait un plan d'accompagnement soigneusement pensé. Le texte issu des travaux de la commission des finances va dans ce sens, et c'est justice. La tâche sera assurément difficile, mais l'objectif est clair : parvenir à une juste et équitable indemnisation du préjudice subi par les avoués et leurs personnels. Il revient au Sénat d'y veiller et j'ai la conviction que le président et le rapporteur de la commission des lois sont parvenus, avec le concours de ses membres, à un texte équilibré. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)
Mme Muguette Dini. - Le code du travail prévoit deux cas de licenciement : le licenciement pour motif personnel, qui sanctionne un manquement du salarié et le licenciement pour motif économique, dicté par des difficultés économiques, la suppression ou la transformation d'emplois.
Or, les salariés employés dans les études d'avoués seront licenciés sans avoir commis de faute et alors qu'aucune raison économique ne l'impose.
Leurs représentants parlent de « licenciement politique » tandis que le rapporteur, plus euphémistique, emploie les expressions de « licenciement du fait de la loi », de « licenciement pour motif économique survenant en conséquence directe de la loi », ou encore de « licenciement venant en conséquence de la réforme ».
Foin de ces considérations sémantiques : ce sont 1 650 salariés, dont 90 % de femmes, d'une moyenne d'âge de 43 ans, qui se retrouveront en recherche d'emploi, dans un contexte économique plus que défavorable, contraints d'accepter la mobilité géographique et une baisse de revenus. Car les avocats, ployant déjà sous les charges patronales, se montrent peu enclins à embaucher du personnel supplémentaire, dont la qualification et la spécificité ne correspondent pas forcément à leur attente.
Le décompte établi par le rapporteur montre combien la situation s'annonce critique pour une grande moitié de ces salariés, qui n'auront, au moment de leur licenciement, aucune perspective immédiate d'emploi.
Pour l'autre moitié, l'avenir se conjugue au conditionnel : 170 collaborateurs juristes bénéficieraient de passerelles vers d'autres professions ; 350 salariés pourraient accompagner leur ancien employeur devenu avocat ; 380 seraient recrutés par le ministère de la justice et affectés aux greffes des juridictions mais essentiellement dans le cadre d'emplois de catégories B et C.
Comme présidente de la commission des affaires sociales, je me suis montrée attentive aux mesures d'indemnisation et d'accompagnement prévues pour ces 800 salariés assurément licenciés. Elles consistent en des indemnités de licenciement plus élevées que celles prévues dans le cadre du régime légal de licenciement économique, fondées sur un mois de salaire par année d'ancienneté et directement versées par le fonds d'indemnisation créé à cet effet ; une convention de reclassement et d'accompagnement personnalisée ; une indemnité exceptionnelle de reconversion pour ceux des salariés qui trouveraient un nouvel emploi, avant d'être licenciés.
Il se murmure ça et là que ces mesures seraient plus que satisfaisantes : je ne suis pas d'accord. Avec plusieurs de mes collègues de l'Union centriste, j'avais déposé un amendement instaurant une indemnité exceptionnelle de reconversion d'un montant égal à l'indemnité majorée de licenciement. Ces salariés ne sont-ils pas tous contraints de renoncer à leur emploi ? Tous doivent donc bénéficier d'une indemnisation équivalente. Je regrette donc que notre amendement se soit vu opposer l'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution. Ne revient-il pas au législateur de prévoir une juste indemnisation des salariés licenciés du fait de cette réforme ?
Quant à la période transitoire préalable à son entrée en vigueur, elle est essentielle. Affirmer que la réduire, c'est humaniser la réforme en ne laissant personne dans l'incertitude n'est pas défendable. Une fois la loi votée, il n'y aura plus d'incertitude. Les avoués devront se reconvertir et les salariés se reclasser. Mais pour cela, il leur faut du temps et le groupe de l'Union centriste estime qu'une période de deux ans est nécessaire : une nouvelle vie professionnelle, ainsi à marche forcée, ne se prépare pas en à peine huit mois. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs UMP)
Mme Virginie Klès. - J'avoue avoir été un peu désarçonnée par la charge du rapporteur : il m'a ôté les mots de la bouche. Cette convergence des arguments montre assez, en dépit de l'appréciation contraire du Gouvernement, qu'il y a consensus quant à l'analyse de ce texte. Ce qui ne préjuge hélas rien du vote...
Effet du hasard ou de la répétition, voici à nouveau un texte marqué par l'incohérence de son calendrier : programmation en fin d'année, précipitation dans la mise en oeuvre. J'estime qu'il méritait pourtant le temps d'une réelle et large concertation et que dans le contexte socio-économique et financier particulièrement défavorable que nous connaissons, l'obstination du Gouvernement quant à sa date de prise d'effet est incompréhensible.
Oui, une réforme générale de la postulation et de la représentation devant les cours d'appel est utile et nécessaire, mais elle est inséparable de la question des tribunaux de première instance. Elle ne dispense donc pas de s'interroger sur les incohérences, le coût réel prévisible de la contestable et contestée réforme de la carte judiciaire. Simplifier et moderniser la justice, en rendre l'accès à tous plus facile et moins onéreux : voilà de nobles objectifs mais auxquels il faut des moyens réalistes et adaptés. Malgré l'excellent travail de notre rapporteur, nous sommes encore loin du compte. D'autant que les amendements déposés par le Gouvernement laissent augurer qu'il prépare un mauvais sort au texte de la commission... Mais attendons les débats, et faisons confiance à la sagesse de mes collègues.
Seul le Gouvernement persiste à croire que la réforme peut entrer en vigueur au 1er janvier 2011 sans désorganiser gravement la justice. Provoquer des licenciements dits économiques, aliéner l'outil de travail de plus de 2 000 personnes, financer -mal- la réforme par la création d'une taxe acquittée par les justiciables : tout cela est-il vraiment urgent et indispensable ?
L'étude d'impact proposait d'autres solutions ; les avoués, quand ils ont enfin été reçus à la Chancellerie, aussi : mais trop tard, il était urgent de boucler ce texte.
Où est la simplification attendue ? Mettre fin à la persistance de régimes différents ? Mais nos 28 cours d'appel ont aujourd'hui 440 interlocuteurs, les avoués ; elles auront demain 45 000 interlocuteurs, les avocats, lesquels n'y seront pas préparés : le système de communication électronique mis en place par les avoués, et qui n'est que partiellement utilisé par les avocats, ne sera pas fonctionnel au 1er janvier 2011. On risque l'encombrement des cours d'appel, des irrecevabilités injustes liées à des problèmes de fonctionnement informatique. La justice sera plus simple, dites-vous, avec un seul intervenant dans les cours ? Mais seuls les avocats du ressort pourront accéder aux cours : quid des TGI ? Il aurait fallu prendre le temps de s'intéresser à la postulation devant l'ensemble des juridictions.
Et quel avenir cette réforme annonce-t-elle pour les petits cabinets, éloignés des cours d'appel et que la suppression de ces professionnels de la procédure d'appel, après la disparition des tribunaux d'instance proches de chez eux, va totalement désorganiser ? Le système informatique y remédiera, m'objecterez-vous ? Mais vous n'ignorez pas que les logiciels utilisés par les avocats sont incompatibles avec ceux utilisés par les avoués (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, le confirme) : obligation de se former, d'investir, perte de temps, perte d'argent... voilà la réalité. Seuls les plus gros cabinets, dans lesquels le volume des affaires traitées permet de disposer de compétences spécialisées, pourront suivre : et l'on sait que leurs tarifs sont loin d'être accessibles à tous.
Géographiquement, matériellement, financièrement, la justice s'éloigne de tous... Les professionnels ont l'impression d'être écrasés de multiples réformes, toutes plus destructrices les unes que les autres. Je pense à la réforme de la carte judiciaire, imposée sans tenir compte des difficultés de terrain.
La justice sera-t-elle moins chère ? Nullement parce que le coût de l'appel ne diminuera pas, mais, au, mieux, restera identique : 980 euros pour l'avoué, 1 014 pour l'avocat. Et elle ne sera pas plus rapide puisque les délais vont augmenter du fait de la multiplication des appels et de la désorganisation programmée ou annoncée. En tout cas, la justice sera moins accessible.
Quant au financement de la réforme, sans être une spécialiste des finances, je constate qu'on crée une taxe de 330 euros, qu'il y a 100 000 appels et qu'entre l'augmentation de leur nombre (15 %) et l'aide juridictionnelle qu'il faut défalquer (17 %), elle s'appliquera à environ 100 000 affaires, soit un produit de 250 millions à 260 millions sur huit ans pour un coût annoncé de la réforme de 350 millions plus les frais financiers, plus les pertes de recettes et les charges non compensées : on est loin du compte. Est-ce le moment de rajouter de telles charges à l'État ou aux contribuables ?
Il faudra indemniser les avoués mais de quelle indemnisation parle-t-on ? Si le droit à l'indemnisation de l'office est la conséquence inévitable de sa suppression par la loi, quid de l'indemnisation du préjudice lié à la perte de l'outil de travail ? La Chancellerie opérait volontairement une confusion et l'article 13, amélioré dans sa rédaction par la commission des lois, laisse toutefois le juge de l'expropriation dans l'ignorance des bases du calcul de l'indemnisation.
Une justice plus simple, moins chère, une justice plus juste ? Ce ne sera pas le cas pour les 1 850 salariés des avoués, dont beaucoup de femmes, seules avec des enfants, des charges et peu de diplômes. La commission a consenti un important effort pour les plus jeunes, mais on peut douter qu'ils retrouvent un poste dans la fonction publique judiciaire avec la RGPP. Les 380 postes évoqués seront-ils en CDI ou en CDD et, dans ce cas, pour quelle durée et avec quelles perspectives ? Quelles compensations y aura-t-il aux baisses de salaires ? Elles ne seraient que temporaires et plafonnées alors que les charges pour un logement sont à long terme. Comment la sélection respectera-t-elle le principe d'égal accès à la fonction publique et comment ces emplois seront-ils localisés ? Les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent...
Voilà beaucoup de questions en suspens pour un texte si bien préparé. En revanche, la spécificité de leur emploi voue les 1 470 autres salariés au chômage. La loi place les plus vulnérables dans une situation difficilement compréhensible.
Démantèlement, désorganisation, inaccessibilité d'une justice que le Président de la République, hanté par sa vie professionnelle passée et, peut-être, future, rêve à l'anglo-saxonne, avec des cabinets multi compétents mais loin des préoccupations des justiciables. Il faut des réformes menées en vraie concertation : nous voterons contre ce texte mal abouti et en trompe-l'oeil. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Certains ont parlé de précipitation. Il n'y en a ni vis-à-vis de la justice, ni vis-à-vis des intéressés, ni à l'égard du Sénat. La modernisation de la justice constitue une exigence. Je constate en effet une grande distance entre les citoyens et leur justice. Ils ont le sentiment de ne pas la comprendre et considèrent qu'elle leur est close, extérieure. La modernisation n'a que trop tardé : la justice, qui est une institution essentielle, n'a pas bénéficié d'une adaptation aux évolutions de notre société.
Il n'y pas non plus de précipitation à l'égard des avoués et de leurs salariés. La réforme a été annoncée en juin 2008. Nous voilà dix-huit mois après et certains ont déjà pris des dispositions.
Il n'y a pas non plus de précipitation sur le texte. Le Gouvernement n'a pas réclamé l'urgence ; l'Assemblée nationale s'est prononcée début octobre et nous sommes en décembre. Vous nous dites qu'il est trop tard ? On pourrait en effet dire que le Parlement ne doit plus débattre de textes après le 15 décembre, mais ce ne serait pas raisonnable. Nous nous sommes donc inscrits dans le temps de la réflexion et du progrès, et non dans la précipitation !
Il est indispensable, à l'égard de l'ensemble de nos concitoyens, que les différents éléments du puzzle de la modernisation se mettent en place. Trouverait-on avec plus de temps des solutions plus simples ? Je n'en suis pas sûre à vous entendre car, s'il fallait faire l'unanimité, à partir de quoi le pourrions-nous ? Rien dans les interventions ne dessine une réforme simple et consensuelle. Nous en resterions alors au statu quo dont vous reconnaissez qu'il n'est pas satisfaisant. Les solutions ne sont pas faciles et la conciliation des différents intérêts n'est pas évidente. On l'a vu sur les délais, certains demandant une période transitoire plus longue dont les autres ne veulent pas, comme sur l'indemnisation, que les uns demandent maximale, tandis que les autres souhaitent que la taxe acquittée par les justiciables ne soit pas trop importante.
Face à cela, une certaine humilité est de mise : nous sommes là pour trouver les solutions les plus justes et les plus adaptées. Tel est l'état d'esprit dans lequel il faut aborder le débat, même quand on est décidé à voter contre le texte. Évitons les procès en sorcellerie. Non, il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur les avoués, monsieur Mézard, ni d'enterrer une catégorie de personnes, mais de répondre aux attentes de nos concitoyens. Pour cela, il convient que chacun exprime sa position et argumente afin que la discussion permette d'avancer.
M. Gélard a évoqué des points sur lesquels nous avons déjà discuté. La directive Services ne s'appliquerait pas ? Des dispositions de notre droit sont en tout cas incompatibles, du nombre d'avoués à l'agrément par le ministre de la justice et au remboursement du droit de présentation....
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Je l'ai dit.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Je ne suis pas sûre qu'elles aient de l'importance sur le fond. S'agissant du coût de la procédure, les parties doivent aujourd'hui rémunérer deux professionnels ; il n'y en aura plus qu'un. Certes, il n'y a plus de garantie de baisse du coût car il n'y a plus de tarif. J'ai commencé à en discuter avec les avocats et certaines dispositions peuvent nous permettre d'avancer.
La dématérialisation des cours d'appel ? Mais la dématérialisation est en cours et j'ai récemment signé un texte en la matière. Elle va simplifier la procédure et la rendre plus sûre. Certes, il faut être attentif aux difficultés mais il s'agit de franchir un saut technologique. Je souhaite donc créer un groupe de travail de très haut niveau sur son impact.
Monsieur le rapporteur, vous avez fait une comparaison avec la situation des commissaires-priseurs et des courtiers. Mais le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont jugé qu'il n'y avait là aucune atteinte au droit de propriété. Les avoués peuvent continuer...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Non !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Si, ils pourront intégrer une autre profession. Il n'y a là ni privation du droit de propriété, ni rupture de l'égalité devant les charges publiques au regard du Conseil constitutionnel.
Pour les salariés, des mesures de reconversion ciblées prendront en compte chaque situation. Ce n'est pas la première fois, hélas, que je suis amenée à prévoir des reconversions. Dans mes anciennes fonctions, j'avais dû le faire pour Giat-Industrie, et ce pour des effectifs plus importants, et -j'en suis très satisfaite- personne n'a été abandonné au bord du chemin. Je ferai en sorte qu'il en soit de même pour les salariés d'avoués : c'est pour moi une obligation. Outre les 380 emplois créés dans les juridictions, on peut compter sur le maintien de personnels auprès des avocats ou des avoués devenus avocats, ainsi que sur un certain nombre de départs en retraite.
Mme Mathon-Poinat a évoqué le coût de la procédure. La taxe remplacera l'ensemble des frais d'avoué et la prise en charge d'une partie des frais d'avocat. Pour les salariés, il existe une convention de reclassement qui prendra en compte leur ancienneté.
M. Détraigne a évoqué l'utilité d'une réforme annoncée depuis longtemps et qui fera entrer notre justice dans la modernité. Quant à la communication électronique, elle n'est pas en place pour tous les avoués dans toutes les cours d'appel. Sur les compétences : les avoués sont des juristes de bon niveau et, lorsqu'ils seront devenus avocats, ils bénéficieront de leur acquis professionnel, en plus de formations continues. Et je propose une indemnisation à 100 %. (On le conteste au banc des commissions)
Monsieur Anziani, dans la situation actuelle, le justiciable ne comprend pas toujours le rôle des deux professionnels qu'il paie et ne rencontre pas. Et bien avant MM. Attali et Darrois, un rapport remis à Mme Lebranchu avait, en 2001, proposé cette fusion des deux professions. L'indemnisation des jeunes avoués comportera le remboursement du capital, ce qui leur permettra de vivre de leurs revenus sans avoir à rembourser d'emprunt pendant la phase transitoire. Le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme auquel vous avez fait allusion traitait de l'expropriation d'un agriculteur, situation tout à fait différente. Un bâtonnier référent est prévu pour régler les difficultés éventuelles liées à la dématérialisation. Les expérimentations en cours nous permettent d'identifier les problèmes et, de plus, des formations sont prévues dans les greffes et les barreaux. Si l'étude d'impact a envisagé l'éventualité d'une augmentation des contentieux, c'est la preuve que, aujourd'hui, le justiciable ne fait pas appel à cause du coût de la procédure.
Monsieur Mézard, j'accepte d'autant mieux ce texte que je l'ai modifié. Pourquoi avoir organisé en 2009 un examen délivrant un diplôme d'avoué ? Cela a été décidé avec la profession afin que les nouveaux diplômés puissent profiter de la passerelle vers la profession d'avocat. Sur l'aide juridictionnelle, j'ai confié une mission à MM. Belaval et Arnaud, qui doit améliorer notre visibilité de cette réforme et dont j'espère le rapport en 2010.
Madame Des Esgaulx, je vous remercie d'avoir rappelé l'utilité de cette réforme. La période transitoire est utile mais ne doit pas être trop longue. Certaines personnes ont varié du tout au tout sur la durée de cette transition, preuve que la bonne solution réside dans un juste équilibre. Pour les anciens avoués existeront des passerelles vers le métier d'avocat et vers celui de magistrat. Leur indemnisation viendra directement du fonds d'indemnisation. Pour les exonérations de charges sociales, il existe déjà un « dispositif Fillon » de droit commun. Les dates de recrutement dans les professions judiciaires paraîtront dès la promulgation de la loi, les chefs de cour étant chargés d'un recensement des postes.
Mon souhait, monsieur du Luart, c'est qu'aucun salarié ne reste sans solution. Nous faisons déjà un geste important en offrant 380 postes, soit 20 % du total des effectifs.
La loi de finances rectificative est intervenue avant l'examen de ce texte ? Moi aussi, cela me gêne mais comment faire autrement ? Il aurait fallu, autrement, attendre la suivante.
La taxe ? Elle est partagée par toutes les parties prenantes à l'appel, pour 150 euros.
Nous avons aussi prévu un volet social important, qui ne se limite pas à l'indemnisation : le projet de loi de finances rectificative comporte ainsi une mesure d'exonération pour les avoués qui partiront à la retraite. .
L'indemnisation, madame Dini, tiendra compte de l'ancienneté ainsi que des spécificités, en particulier du cas des femmes peu diplômées. C'est pour cela que j'ai privilégié les postes de catégories B et C. Pour les plus diplômés, qui peuvent prétendre à des emplois de catégorie A, toutes les passerelles sont possibles.
Sur la période transitoire, nous avons tous hésité mais le projet est connu depuis 2008, les intéressés ont eu le temps de se préparer.
Je vous rappelle, madame Klès, que le recours à l'avoué n'est pas obligatoire devant la chambre sociale ni outre-mer ; on n'y constate pourtant pas de désorganisation de la justice.
La transmission électronique coûtera 60 euros par cabinet et par mois, en première instance et en appel. On compte 125 000 appels par an. Les avocats sont en train de s'équiper de matériel et de logiciels, des expérimentations sont en cours.
Je pense avoir répondu à toutes vos questions ; le cas échéant, nous y reviendrions à l'occasion de l'examen des amendements. J'ai déjà été très longue ; je vous remercie, monsieur le président, pour votre indulgence.
Cette réforme est nécessaire ; je souhaite que nous en débattions dans la sérénité pour rechercher ensemble les meilleures solutions. (Applaudissements sur les bancs UMP)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°18, présentée par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (n° 140, 2009-2010).
M. Robert Badinter. - Je suis commis d'office. (Sourires) M. Michel est bloqué dans un train très en retard et vous prie de l'excuser. Les moyens de dématérialisation ne sont pas tels que l'on puisse atteindre un voyageur en chemin de fer depuis Belfort, je ne sais donc pas ce que mon collègue aurait dit.
Mais j'ai quelque titre à intervenir, en improvisant, parce que j'éprouve de la reconnaissance pour la profession d'avoué. Je l'ai connue du temps de ma basoche, il y a plus d'un demi-siècle, en tant que clerc d'avoué près d'un tribunal puis près de la cour d'appel. Je filais sur ma mobylette à travers Paris et je gagnais l'équivalent de 2 euros par mois.
M. Gélard a été comme d'habitude savant et aujourd'hui particulièrement talentueux. La chambre des avoués pourra lui élever une statue devant laquelle ils diront « Ave Gélard, morituri te salutant ! » (Sourires)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La chambre aussi est supprimée.
M. Robert Badinter. - Cela fait des décennies que tout le monde dit qu'il faut en finir avec la profession d'avoué ; je me souviens l'avoir entendu demander dans nos rangs. Est-ce le moment de le faire ? Aucun de nous n'en est convaincu.
On parle de moderniser la justice. Quand il entend le mot modernisation, mon ami Jacques Attali s'enthousiasme. Mais entre le dépôt de son rapport et la situation d'aujourd'hui, les conditions ne sont pas les mêmes. La ministre nous dit que la modernisation est nécessaire ; on me l'avait dit quand j'occupais cette fonction. De quoi s'agit-il avec cette modernisation ? De numérisation. Dans l'état où sont les professions judiciaires, les études d'avoués de cour d'appel, mieux équipées, sont plus à même de procéder à cette informatisation que la plupart des avocats. Commençons par l'informatisation et réformons ensuite le reste. Quant à l'argument selon lequel les justiciables ne comprendraient pas pourquoi ils doivent en appel recourir à un avoué... Les justiciables ne sont pas sots ! Je n'en ai jamais vu s'émouvoir de cette dualité.
Je ne crois pas que cette réforme soit porteuse d'économies pour les justiciables. Mesurez que tous les cabinets d'avocats ne seront pas à même de procéder à la numérisation demain matin. Quant aux plus grands, ils ont déjà des frais généraux considérables et ne voudront pas perdre de l'argent avec cette activité. Vous n'obtiendrez donc pas dans l'immédiat d'amélioration des services accompagnée d'une baisse des prix.
Et puis il faut voir la réalité humaine. C'est très important. Il est déjà difficile de quitter une profession que l'on a aimée. Les avoués les plus âgés ne pourront pas évoluer. Ceux qui retrouveront une activité les feront dans de grands cabinets. Ils passeront ainsi du statut de patron d'une PME à celui d'associé secondaire. Ce n'est pas une perspective souriante.
Et comment reclasser ceux qui n'ont pas le niveau d'études suffisant -je pense notamment aux avoués les plus âgés ? Les jeunes, qui se sont endettés, s'adapteront mais ce sera difficile.
Le véritable problème est la question des personnels. Je les ai bien connus, j'ai apprécié leur comportement chaleureux. Leur formation est différente de celle des personnels des grands cabinets d'affaires. Pendant plusieurs décennies parfois, ces femmes ont accompli les mêmes tâches. La reconversion sera pour elles une grande épreuve, surtout avec le marché de l'emploi actuel.
Cette réforme, envisageable à long terme, n'est pas indispensable aujourd'hui. Pourquoi ajouter des chômeurs aux chômeurs, des mécontents aux mécontents ? En fait, cette réforme ne résulte pas du souci d'améliorer le fonctionnement de la justice ; j'ai plutôt l'impression qu'il s'agit d'un mouvement presque autonome : une idée jaillit d'une commission, est reprise par le Président de la République, et nous voila votant une loi qui n'est ni urgente ni aboutie. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La proposition de supprimer la profession d'avoué n'est pas nouvelle. On l'a envisagée en 1971 et en 1991. La commission Attali souhaitait créer une profession judiciaire unique mais cette idée s'est heurtée à l'importante question des notaires en France et à leur droit patrimonial -droit dont les avoués disposent également.
Ce texte prévoit d'indemniser la part patrimoniale mais omet le préjudice de carrière et de liquidation, ce qui se fait pourtant toujours lorsqu'on supprime une charge. Que penseraient nos concitoyens si nous ne prévoyions pas une indemnisation légitime ?
Cette simplification est envisagée depuis longtemps. On ne peut pas dire pour autant que les avoués ne servent à rien car les avocats ont envie de les remplacer ; ils ont même prévu de créer la fonction de spécialiste en postulation... La dématérialisation a déjà constitué une avancée dans le sens de la modernisation de la procédure.
Le processus a été engagé par l'Assemblée nationale, qui n'a pas bien réglé la question de l'indemnisation des charges et des personnels. Si nous votions cette question préalable, nous interromprions le dialogue, alors que nous avons obtenu des avancées sur les personnels et sur le fonds d'indemnisation. Nous tenons aussi beaucoup aux congés de reconversion, qui permettraient aux personnels de rebondir avant même le licenciement. En plus, cette solution serait économique.
La commission des lois a réalisé certaines avancées ; elle souhaite poursuivre le processus et affirmer clairement ses positions. Cette réforme est importante : nous n'avons pas le droit de l'empêcher, mais nous avons le devoir de permettre aux avoués comme à leurs salariés de trouver un avenir professionnel. Ce n'est pas la première fois qu'une loi prévoit des licenciements : cela a déjà été fait pour les commissaires-priseurs. Les conditions d'indemnisation étaient alors similaires à ce que la commission prévoit pour ce texte.
Je comprends les préoccupations exprimées par les auteurs de la question préalable, mais nous ne sommes pas favorables à son adoption. Nous devons poursuivre le dialogue avec l'Assemblée nationale. A défaut, celle-ci tranchera en dernière lecture sans tenir compte des améliorations que nous proposons.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. - Je crois en la justice, qui doit évoluer parallèlement à la société. Pour certains, on a toujours le temps de réformer. Pour moi, il y a urgence à adapter notre pays. Pour la justice, le défi est intérieur et extérieur. Il faut aborder toute réforme avec humilité car on n'est jamais sûr de ne pas se tromper. Faisons confiance aux hommes et aux femmes de cette profession ; nous devons réfléchir et les écouter afin de trouver la meilleure solution.
Je connais des avoués, j'ai travaillé avec eux. Je connais leur rôle de conseil, qui les amène parfois à dissuader leurs clients de faire appel. Je ne les mets pas en cause, pas plus que leurs salariés dont j'ai pu moi aussi apprécier la chaleur humaine, le dévouement et les compétences. Il ne s'agit pas seulement de les indemniser et de leur proposer une préretraite. Nous pouvons aussi les aider à continuer d'exercer leurs talents.
Il est des réformes qu'il ne faut pas repousser car cela ne sera pas forcément mieux demain. Il faut parfois savoir agir tout de suite. Je ne suis donc pas favorable à cette motion.
M. François Pillet. - J'ai connu une expérience un peu particulière puisque ma première tâche de jeune avocat stagiaire a été d'administrer l'étude d'un avoué décédé. J'éprouve donc des sentiments comparables à ceux qu'à exprimés Robert Badinter et on ne pourra me mettre du côté des avocats silencieux qui attendent de se partager les dépouilles des avoués ni de celui des magistrats qui ont refusé de confirmer la nécessité de leur survie.
Quant aux avoués, à l'inverse du conscrit qui peut devenir maréchal, les jeunes n'ont pas tous une étude dans leur giberne car il leur faut acheter le droit d'exercer. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve)
La réforme ne désorganisera pas les cours d'appel. Le ministère d'un avoué n'est pas obligatoire devant les chambres sociales, les tribunaux paritaires des baux ruraux, pour les appels des décisions des prud'hommes. Aucun syndicaliste ne s'en plaint. L'avoué n'est pas non plus nécessaire pour les appels de correctionnelle, où l'on juge parfois de l'indemnisation de préjudices corporels très importants.
Les litiges concernés ne sont pas tous de premier ordre : il peut s'agir d'un trouble du voisinage ou de la décision d'un juge aux affaires familiales pour une pension alimentaire. SI un industriel bâtit un gros complexe, il fera appel à de nombreux corps de métiers et à autant de contrats de droit privé et d'assureurs. S'il subit des malfaçons, puis des pertes, il ira devant le tribunal d'instance, puis devant la cour d'appel où le ministère d'un avoué sera obligatoire.
En revanche, il n'y a pas de ministère d'avoué devant la cour administrative d'appel si une commune plaide devant elle pour des malfaçons dans une grande structure pour la petite enfance qu'elle a fait construire avec architecte, maître d'oeuvre et intervenants multiples. La décision sera-t-elle pour autant critiquable ? Sur ce point, l'argument ne tient pas.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous voterons la question préalable. Il faut certes moderniser la justice et la rendre accessible à tous, mais ce n'est pas cette loi qui y contribuera. La directive Services ne s'applique pas directement, que nous critiquons comme nous critiquons les textes européens de libéralisation qui déstabilisent nos services publics. La suppression de la profession d'avoué sera douloureuse pour les salariés et n'améliorera pas le fonctionnement de la justice pour nos concitoyens, qui n'ont rien à attendre du transfert d'une charge publique à de grands cabinets d'avocats sinon des frais supplémentaires.
M. Jacques Mézard. - Mon groupe votera majoritairement la motion. Je peux entendre les propos de Mme la garde des sceaux sur la nécessité de moderniser la justice, mais la priorité est-elle vraiment la suppression des avoués ? Est-ce là le défi auquel notre justice est confrontée ? Si l'idée que nos concitoyens se font de leur justice est ce qu'elle est, on le doit davantage aux difficultés que connaît depuis des décennies le budget de la justice. Là est le problème, là est l'enjeu.
Je n'ai entendu cet après-midi personne qui soit convaincu de l'urgence et de la nécessité de cette réforme. M. le président de la commission des lois soutient que le vote de cette question préalable pour des raisons de principes rendra difficile le dialogue avec l'Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il n'y aura plus de dialogue du tout !
M. Jacques Mézard. - Nous pensons, nous, que nous devons exprimer un refus de principe. Nous pensons aussi que ce texte ne traite pas des questions fondamentales que sont la tarification et l'aide juridictionnelle et qu'il laisse les salariés dans l'incertitude. Nous ne doutons pas de votre engagement à trouver des solutions au cas par cas, madame la garde des sceaux, mais nous savons ce qu'il en sera sur le terrain. Cette réforme, extraite de la décision 213 du très médiatisé rapport Attali, n'est aucunement nécessaire. Il n'y a rien de positif à en attendre.
Un mot, pour terminer, à M. Pillet. Sans vouloir être désagréable avec les chambres sociales, je veux saluer la qualité des procédures avec le ministère d'avoué.
La motion n°18 n'est pas adoptée.