Mieux valoriser certaines externalités positives de la forêt

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt, présentée par Mme Vanina PAOLI-GAGIN et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi .  - Le temps long de la forêt nous oblige à sortir des schémas habituels. Nous devons réfléchir à l' « urgence du long terme », selon l'expression d'Étienne Klein.

Nous proposons d'amorcer une réflexion différente et une première réponse concrète. Je remercie Mme Loisier pour ses conseils avisés, ainsi que le rapporteur de la commission des finances.

La forêt apporte des bienfaits inestimables à notre environnement : captation du carbone, biodiversité, qualité de l'eau, mais aussi lutte contre l'érosion des sols, amélioration de la qualité de l'air et conséquences positives sur notre santé physique et mentale. Sa gestion durable est donc primordiale.

Ce texte est la première pierre de l'édifice que nous devons bâtir. Nous avons choisi de parler d'abord des forêts communales, car nous sommes au Sénat, et que la plupart des communes forestières manquent de moyens.

Je crois beaucoup à l'alliance public-privé dans cet impératif de gestion durable.

Nous croyons aussi qu'il y a une attente de nos concitoyens. Voyez la vive émotion suscitée par les feux de forêt de cet été. Les Français veulent agir pour la forêt : ils le font déjà par des dons aux associations, ils doivent pouvoir le faire aussi par des dons aux communes.

Les maires auditionnés ont montré de l'enthousiasme pour ce mécanisme de don. Notre dispositif est simple, car la loi doit être précise et applicable : ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Des travaux sont en cours à l'échelle européenne, nous devons prendre part au débat.

N'opposons pas environnement, société et économie. Notre approche holistique trace un chemin pour les générations futures.

Ce texte est à l'orée d'un champ de travail immense qui reste à labourer pour offrir un cadre plus résilient à nos forêts communales. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains)

M. Vincent Segouin, rapporteur de la commission des finances.  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Déposée par le groupe INDEP, cette proposition de loi a été examinée selon un gentlemen's agreement, en plein accord avec son auteur.

Le contexte est lourd, nous le connaissons tous : incendies de forêt, scolytes.

Havre de biodiversité et puits de carbone, la forêt n'est pas valorisée à sa juste valeur par le marché.

Le mécanisme proposé consiste à financer, par une réduction d'impôt, des opérations de gestion via des dons aux communes et syndicats forestiers.

Le texte va dans le bon sens et apporte une pierre à l'édifice. Une grande loi forestière serait souhaitable, mais nous pouvons ici faire oeuvre utile.

Les forêts communales couvrent 2,8 millions d'hectares sur les 17 millions que totalisent les forêts métropolitaines. L'Office national des forêts (ONF) est le garant d'une gestion durable et multifonctionnelle de ces espaces. Les communes lui versent des frais de garderie, et l'État leur octroie un versement compensateur. Le surcoût des actions d'aménagement est assumé par les communes. Certaines dégagent des recettes conséquentes, notamment dans les Landes, mais ce n'est pas le cas de toutes.

Les assises de la forêt ont mis en évidence un besoin de financement supplémentaire, d'autant que les scolytes ont fait chuter les recettes des communes forestières. Cette proposition de loi tombe donc à point nommé. La réduction d'impôt proposée permettra aux communes de récupérer des forêts laissées à l'abandon, de financer des actions d'entretien, de reconstitution ou de renouvellement ; la prévention et la lutte contre les incendies pourront aussi être renforcées.

Dissipons tout malentendu : il ne s'agit en aucun cas d'une privatisation rampante de la forêt. Si particuliers et entreprises peuvent mettre la main à la pâte, ici pour empêcher des incendies, là pour éviter la propagation d'un parasite, nous aurons fait oeuvre utile.

La commission des finances vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Marc Fesneau, ministre.  - L'examen de cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte marqué par des incendies dévastateurs, conjugués à d'autres événements tels que le désordre climatique, la crise sanitaire et les scolytes.

La forêt est porteuse d'externalités positives : captation de carbone, restauration de la biodiversité, filtrage de l'eau, lutte contre les inondations. Elle représente aussi un secteur économique à part entière, à travers la filière bois ; elle permet notamment aux Français de se chauffer et de construire. Elle est un employeur de premier plan et une source d'innovation.

Des moyens ont été fléchés vers la forêt dans le plan France 2030. La proposition de loi permet aux propriétaires de parcelles de les gérer durablement grâce à des dons. Il ne s'agit en aucun cas de substituer des financements privés aux financements publics : les deux sont complémentaires.

Ce texte ouvre un débat, qui doit prospérer. Je salue le travail du groupe INDEP et de Vanina Paoli-Gagin, ainsi que de M. le rapporteur. Le dispositif proposé répond à des attentes légitimes et contribuera à une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt.

Le Gouvernement accueille donc la proposition de loi avec bienveillance et s'en remettra à la sagesse du Sénat.

Je tiens à souligner l'engagement du Président de la République et de la Première ministre dans ce domaine : des assises de la forêt et du bois ont été organisées, un grand chantier national de reconstruction des forêts incendiées a été lancé.

Un grand défi est de protéger la forêt contre l'incendie et de développer la culture du risque dans tous les territoires forestiers. Je salue à cet égard le rapport d'information de M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin et Olivier Rietmann. La forêt brûle à petit feu. France Relance et France 2030 ont apporté des moyens pour agir en la matière.

La planification est indispensable pour repenser l'écosystème forestier et fonder une politique forestière efficace. Je vous remercie pour cette proposition de loi, qui permet de tracer un chemin. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains)

M. Thierry Cozic .  - Les conséquences du changement climatique sur les forêts sont de plus en plus perceptibles.

De fait, ce texte s'inscrit, sans mauvais jeu de mots, dans une actualité brûlante. Les mégafeux de cet été ont ravagé plus de 11 000 hectares. Les prévisions de l'ONU et du Giec sont inquiétantes. L'exemple australien est éloquent : 832 espèces auraient disparu du fait des incendies.

Cette proposition de loi vise un accroissement des dons pour mieux financer la forêt publique - un quart seulement de la forêt française. En somme, il s'agit de faire financer l'action publique par des dons plutôt que par la puissance publique... Par ailleurs, la réduction d'impôt est, par construction, source d'inégalités, puisque seuls les redevables de l'impôt sur le revenu peuvent en bénéficier.

La forêt française est à la croisée des chemins, comme l'agriculture dans les années cinquante. Nous devons choisir entre l'exploitation industrielle et une sylviculture douce, respectueuse des diverses fonctions de la forêt.

Les arbres séquestrent et stockent du carbone, libérant en retour de l'oxygène. La forêt a aussi une fonction sociale, avec 700 millions de visiteurs chaque année.

Il nous faut un État fort et présent. Or la situation de l'ONF est révélatrice des faibles ambitions de l'État. De nombreuses suppressions de postes sont à déplorer : en vingt ans, 5 000 postes en moins. Et le Gouvernement persiste : il a annoncé la suppression de 500 postes supplémentaires en cinq ans. En 2025, l'ONF comptera 8 000 agents, deux fois moins qu'en 1986.

Ces suppressions de poste sont un non-sens. Elles nourrissent un malaise profond chez ceux qui entretiennent nos forêts. Une cinquantaine d'agents de l'ONF se sont suicidés - un taux deux fois plus élevé que dans le reste de la population. La sémantique est éloquente : les gardes forestiers sont devenus des agents patrimoniaux, soumis à un objectif de rendement. Cette logique comptable pousse à la financiarisation de l'exploitation forestière dans ce domaine pourtant commun.

Je déplore le manque d'ambition de la proposition de loi, qui se réduit à une faible part de la forêt française et ne s'appuie que sur un mécanisme fiscal. Le désarmement fiscal n'est pas une réponse satisfaisante. Pour toutes ces raisons et en dépit d'une initiative bienvenue, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pascal Savoldelli .  - En l'an 500 de notre ère, la forêt représentait 46 % du territoire ; aujourd'hui, c'est 31 %. La déforestation est donc à l'oeuvre, en France, même si notre patrimoine forestier est mieux préservé qu'ailleurs. Préservé, entre 1990 et 2020, par la régénération naturelle : l'intervention humaine, elle, est défaillante.

Le dernier rapport annuel du Haut Conseil pour le climat confirme la dégradation de la capacité des forêts à capter du carbone. En 2017, la capacité d'absorption des puits de carbone s'est effondrée à un niveau trois fois moindre qu'en 2005. L'objectif de 13 % de captation en 2030 est hors d'atteinte.

Le législateur est donc fondé à intervenir. Mais cette proposition de loi répond à une idéologie libérale. Elle se borne à deux dispositifs de mécénat, payés par les particuliers et les entreprises. On ne devrait pas choisir entre coupes rases forestières et coupes rases dans les finances publiques !

Vous créez une niche fiscale, alors que votre dispositif existe déjà -  il est prévu à l'article 238-10 du code général des impôts. En outre, cette mesure n'est assortie d'aucun contrôle fiscal ni démocratique. Les fondements idéologiques de ce texte sont incompatibles avec les objectifs affichés.

Les communes forestières pâtissent de la baisse de la DGF. (M. Emmanuel Capus marque son impatience.) Nous voterons contre ce texte. Pour incendier les forêts il faut l'aide du vent ; pour les sauver, il faut l'aide de l'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST)

Mme Guylène Pantel .  - La dernière loi d'orientation sur la forêt remonte à 2020. Au regard des difficultés structurelles, il est urgent de consacrer à cet enjeu du temps - et de l'argent.

Puits de carbone et sanctuaire de la diversité, la forêt nous impose des devoirs.

Notre groupe est favorable au mécénat des particuliers et des entreprises, à condition que l'État n'en profite pas pour se désengager. La forêt est un bien commun : l'État doit donc veiller à sa bonne gestion. À cet égard, je m'inquiète des suppressions d'emplois à l'ONF, alors que les défis s'amplifient.

Les collectivités locales ont des dépenses induites par les incendies. Deux amendements de mon groupe tendront à favoriser la prévention de ces catastrophes.

Le morcellement est une caractéristique bien connue des forêts françaises, contre laquelle nous devons agir. Il faudrait promouvoir les groupements forestiers et les associations syndicales. Nous avons besoin d'une vision ambitieuse et partagée.

Le groupe RDSE votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les forêts sont une composante à part entière de notre patrimoine. Elles abritent une incroyable biodiversité, mais sont aussi d'importants puits de carbone. La France a su instaurer très tôt une gestion durable de la forêt grâce à la filière bois.

Ces espaces sont toutefois fragilisés par le réchauffement climatique. Les forêts du Grand Est sont particulièrement frappées par le scolyte. Sécheresses et incendies se succèdent. Le rapport de la mission d'information sur les feux de forêt indique que les surfaces brûlées pourraient augmenter de 82 % d'ici à 2050.

Les forêts communales représentent 2,8 millions d'hectares, pour des frais d'entretien annuels de 110 millions d'euros. Les dépenses sont en forte hausse, nuisant à la santé financière des communes.

La proposition de loi vise à simplifier la réduction d'impôt des particuliers. Ce dispositif paraît satisfaisant, comme l'a expliqué le rapporteur. Souvent, les petites communes ne connaissent pas la possibilité de financer ces activités par des dons.

La gestion de nos forêts est un enjeu stratégique. Les dispositions renforçant le rôle des collectivités dans ce domaine ne peuvent être que saluées. Nous voterons donc la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !