Projet de loi de finances pour 2023 (Suite)

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Je salue à mon tour les participants au DuoDay. Nous sommes très attachés à l'enjeu du handicap. Permettez-moi un mot particulier pour deux commissaires du Gouvernement : Khalil Ibrahim Hamzaoui, qui a fait le tour de France en fauteuil roulant, et Arnaud Boeglin.

Hier soir, défendant devant vous le PLFR, j'ai rappelé la situation économique de notre pays et le climat d'incertitude qui règne. Bruno Le Maire l'a fait à son tour et je n'y reviendrai pas.

Grâce au PLFR, nous continuerons à aider nos concitoyens à se chauffer, à financer la bataille du plein-emploi et à soutenir sans faille le peuple ukrainien.

M. René-Paul Savary.  - Nous avons fait tout ça ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Tout cela, sans faire déraper nos comptes.

Je sais que l'adoption du PLFR n'efface pas les clivages. Nous aurons des débats nourris, notamment sur la suppression de la CVAE et les modalités du filet de sécurité pour les collectivités territoriales face à la flambée des prix de l'énergie.

Protéger ménages, entreprises et collectivités territoriales face à la hausse des prix de l'énergie, c'est un choix de justice, mais aussi d'efficacité : car il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer.

L'argent public, c'est celui des Français. Chaque euro investi doit donc être efficace. Nous ne pouvons nous contenter d'une politique du chèque et d'une vision à court terme.

Protéger les Français, c'est répondre aux exigences du quotidien, financer l'action publique, préparer l'avenir et protéger nos comptes. Il n'y a pas à choisir : nous devons mener ces combats de front.

D'abord, il nous faut répondre aux exigences du quotidien, à l'urgence. C'est pourquoi nous maintenons le bouclier énergétique et limitons la hausse de l'énergie à 15 %. Sans ces mesures, un ménage paierait 121 euros de plus par mois s'il se chauffe à l'électricité, 185 euros de plus s'il se chauffe au gaz.

Nous indexons le barème de l'impôt sur le revenu, mesure qui, dans le contexte actuel d'inflation, prend une portée particulière : 6,2 milliards d'euros seront ainsi rendus aux Français.

Nous voulons continuer à redonner du pouvoir d'achat aux Français.

Parmi les mesures retenues à l'Assemblée nationale figurent notamment l'augmentation à 13 euros du ticket-restaurant et la hausse de 50 % du crédit d'impôt garde d'enfants. Nous redonnons de l'oxygène aux entrepreneurs avec la hausse du plafond du taux réduit de l'impôt sur les sociétés, aux agriculteurs avec la prorogation jusqu'en 2025 et l'indexation sur l'inflation de la déduction pour épargne de précaution.

Nous voulons aussi réarmer nos fonctions régaliennes, conformément aux engagements pris durant la campagne présidentielle : plus de moyens pour la police, les gendarmes, les armées. Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), le PLF prévoit une hausse de 3 milliards d'euros pour la mission Défense.

Les deux précédentes LPM prévoyaient un budget annuel des armées de 30 et 32 milliards d'euros. La LPM 2019-2025 prévoit 42 milliards d'euros par an, soit 31 % de hausse. C'est dire l'ampleur de l'effort réalisé.

Nos forces de sécurité voient aussi leurs moyens renforcés, pour les équipements comme la présence sur la voie publique, ou encore la cybersécurité. La trajectoire est conforme à la programmation votée dans la LOPMI. Quant à la justice, fonction régalienne essentielle, elle aura vu ses moyens croître de 40 % depuis 2017.

Préparer l'avenir, c'est faire le pari de l'éducation, gagner la bataille du plein-emploi et accélérer la transition écologique. Aucun professeur ne commencera sa carrière à moins de 2 000 euros nets, et nous allons atteindre le million d'apprentis en 2027.

Nous réduisons la pression fiscale : nous avons rendu 54 milliards d'euros aux ménages et aux entreprises en cinq ans.

Nous supprimerons la CVAE, sur deux exercices. Le Sénat n'est pas acquis à cette mesure : certains s'opposent par principe à la suppression d'un impôt de production, d'autres souhaitent la différer. Pour nous, l'amélioration de notre compétitivité doit rester un objectif central.

Préparer l'avenir, c'est aussi protéger la planète : nous finançons la transition écologique, énergétique et territoriale à travers le fonds vert pour l'investissement des collectivités territoriales, le plan vélo ou l'augmentation de 500 millions d'euros de MaPrimRénov'.

Le rétablissement du crédit d'impôt pour la rénovation énergétique des entreprises a été retenu à l'Assemblée nationale, sur l'initiative d'un amendement de la députée Les Républicains Émilie Bonnivard. Nous avons aussi retenu la proposition de Véronique Louwagie pour un meilleur accès à MaPrimRénov', sans condition de ressources.

Nous refusons le laisser-aller budgétaire, car l'argent public n'est pas de l'argent magique. Nous stabiliserons le déficit public à 5 % l'année prochaine. Nous reviendrons sous les 3 % en 2027, grâce à des recettes dynamiques de TVA et de contribution sur les rentes inframarginales. Cette dernière se montera à 11 milliards d'euros l'année prochaine, en raison des prix de l'énergie.

Nous allons reparler de la taxation des superprofits. L'été dernier, Bruno Le Maire et moi-même avons renvoyé à la négociation européenne. L'argument n'était pas dilatoire : entre-temps, un accord européen est intervenu qui nous permettra de percevoir l'année prochaine 11 milliards d'euros, qui financeront une partie du bouclier énergétique.

Je sais le Sénat attaché à un rythme plus soutenu de consolidation des finances publiques.

M. Jérôme Bascher.  - En effet !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Mais une baisse trop brutale de la dépense publique serait dangereuse pour nos services publics, notre cohésion, notre activité économique. Nous partageons la même responsabilité pour préserver notre souveraineté.

Nos débats seront vifs, mais je ne doute pas que nous saurons trouver une voie d'équilibre. Chacun avec ses convictions, nous défendons l'intérêt de nos concitoyens. Les défis du moment nous appellent à tracer collectivement des solutions au service des Français. Nous serons toujours à vos côtés pour les défendre. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je maintiens les critiques déjà formulées : le Gouvernement fait preuve d'un excès d'optimisme dans ses prévisions économiques et d'un manque de volontarisme pour le redressement des comptes publics.

L'économie française est soumise à de nombreux chocs exogènes : la hausse des coûts de l'énergie nous coûtera 2,5 points de PIB entre 2021 et 2023, selon l'OCDE ; la remontée des taux d'intérêt nous ferait perdre un autre point de PIB.

L'hypothèse de croissance de 1 % en 2023 ne tient pas compte des avis des experts. La hausse des taux directeurs de la BCE, la stagnation économique en Europe et les prévisions de récession en Allemagne doivent être prises en compte. Ce budget est ainsi bâti sur un cadre trop optimiste, peut-être obsolète.

Nous maîtrisons mieux l'inflation que d'autres pays, mais au prix fort pour nos finances publiques : 50 milliards d'euros en 2022, 56 milliards d'euros en 2023. Pour nécessaires qu'elles soient, ces dépenses nous appellent à la vigilance.

De fait, nos conditions de financement se détériorent. Le taux de nos obligations à dix ans a augmenté de 290 points de base en un peu plus d'un an. Le temps de l'argent facile et gratuit est bien fini. Ce n'est pas faute d'avoir mis le Gouvernement en garde contre les risques d'un endettement massif...

La crise n'explique pas toute la dégradation de nos finances publiques. Il est urgent de revenir à une meilleure maîtrise de nos dépenses, alors que notre dette atteindra l'année prochaine 111 % du PIB.

L'État bénéficiera de recettes conjoncturelles supplémentaires, grâce notamment aux producteurs d'énergie. Mais la suppression de la redevance, de la taxe d'habitation pour tous les ménages et de la part communale de la CVAE réduira le rendement fiscal.

Parallèlement, les dépenses primaires progresseront d'au moins 137 milliards d'euros en deux ans, dont la moitié l'année prochaine. La revalorisation des pensions et traitements des fonctionnaires coûtera 16 milliards d'euros.

J'insiste : les collectivités territoriales sont en excédent budgétaire et les administrations de sécurité sociale à l'équilibre ; la dégradation du solde est du seul fait de l'État. Dans ces conditions, il est inacceptable de soumettre les collectivités territoriales à un carcan -  c'est une ligne rouge. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Le Gouvernement fait le choix de ne pas adapter les dépenses aux moyens dont il dispose. En particulier, nous déplorons l'absence de volonté de maîtriser la masse salariale. Le déficit de l'État sera supérieur à 150 milliards d'euros en 2023, pour la quatrième année consécutive.

C'est le budget de tous les records : 270 milliards d'euros de nouveaux emprunts, 155 milliards d'euros de remboursement des prêts arrivant à échéance. La mission Engagements financiers de l'État dépasse désormais les budgets de l'éducation nationale, de la recherche et des armées réunis ! La charge de la dette dépasse les 50 milliards d'euros en autorisations d'engagement, redevenant notre deuxième poste de dépenses. L'État est sous respirateur artificiel.

Mme Nathalie Goulet.  - Eh oui !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - À cet endettement s'ajoute la dette climatique. Les dépenses défavorables au climat sont multipliées par deux. Nous récoltons les fruits de la politique énergétique désastreuse des gouvernements successifs, qui explique notre impréparation aux défis du changement climatique.

La fiscalité énergétique est toujours aussi inégalitaire : elle pèse plus sur les ménages à revenus modestes et sur les habitants des zones rurales et des petits pôles urbains.

Les deux principaux phénomènes affectant les recettes sont la suppression de la CVAE et la poursuite du bouclier tarifaire. Mais le Gouvernement ne compense nullement ces mesures par des économies, faisant le choix de dégrader nos comptes. En matière d'économies, l'heure des choix est quasiment renvoyée au prochain quinquennat !

Nous avons besoin d'une trajectoire sérieuse et raisonnable. Bruno Le Maire avait qualifié celle que nous proposions de juste et honnête. Elle est, en tout état de cause, plus ambitieuse et plus juste que celle du Gouvernement.

Nous proposerons des économies sur certaines missions, dont les missions Écologie, Aide au développement et Santé, s'agissant de l'aide médicale d'État. Je propose aussi de ne plus ouvrir de crédits au titre du plan de relance, dont le temps est passé.

Par ailleurs, nos travaux de commission regorgent de mesures structurelles à mettre en oeuvre qui seraient source d'économies ; je pense à l'audiovisuel, pour lequel le Gouvernement ne respecte pas ses engagements de l'été dernier.

Vous maintenez et étendez aux entreprises le bouclier fiscal et budgétaire. Nous ne pourrons que soutenir les mesures d'urgence qui vont dans le bon sens, mais l'ensemble constitue désormais un maquis illisible. Chacun se demande s'il fait partie de ceux qui seront protégés. C'est un signe de l'impréparation et du caractère erratique des politiques environnementales.

Nous proposerons un filet de sécurité repensé, qui complète l'amortisseur prévu pour les collectivités territoriales.

Il s'agit aussi de maintenir nos services publics, sur tout le territoire national : toute collectivité doit bénéficier d'une prise en charge de 50 % de ses dépenses supplémentaires d'énergie, hors amortisseur, lorsque cette hausse dépasse 40 % des recettes de fonctionnement.

Les impôts de production en France restent trop élevés par rapport à la moyenne européenne. La suppression de la CVAE est une bonne chose, mais les modalités de compensation pour les collectivités territoriales sont mal conçues. Faites-nous confiance et acceptez nos amendements !

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Je souhaite que nous ayons des débats sereins pour une France forte, souveraine et au service de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Je remercie l'ensemble des rapporteurs spéciaux pour leurs travaux et leurs propositions.

Avec le 49.3, très peu de dispositions du PLF ont été examinées par l'Assemblée nationale. Le Sénat a donc une responsabilité toute particulière.

Je voudrais m'abstraire quelque peu des chiffres pour tenter de comprendre le sens de ce PLF. S'agit-il de soutenir les Français face à l'inflation ? De maintenir notre outil industriel ? De préserver nos finances publiques ? Un peu tout cela, nous explique M. Attal. Seulement voilà : la copie peine à convaincre.

En 2017, la situation était claire. Bénéficiant d'une situation rétablie, vous avez appliqué une politique néolibérale. Personne, pas même France Stratégie, ne se risque à envisager un lien entre les mesures prises et la réorientation de l'épargne vers les entreprises... Pour ma part, j'étais opposé à votre politique, mais du moins j'en comprenais les attendus.

Puis vint la pandémie. Là aussi, j'ai compris la politique menée, et je l'ai même approuvée. Les résultats ont été au rendez-vous.

La crise russo-ukrainienne, puis la crise énergétique sont venues mettre fin à ce scénario favorable. Dans ce contexte, tâtonnements et choix malheureux se multiplient. Vous avez mis en place de nombreuses mesures non ciblées, plaçant sur un pied d'égalité les Français qui ont de bons revenus et ceux qui ne s'en sortent pas. Concernant la rente inframarginale des producteurs d'énergie, vous avez tardé à accepter une taxation. Comme quoi, il n'est pas si difficile de calculer et de taxer les superprofits... (Marques d'acquiescement à gauche ; M. Daniel Breuiller renchérit.)

Poursuite de la suppression de la taxe d'habitation, suppression de la redevance TV et de la CVAE : les recettes de l'État diminueront l'année prochaine de 2,7 % en volume.

Alors que vous devez faire face à la crise énergétique et aider les entreprises électro-intensives, vous poursuivez la même ligne politique qu'en 2017, comme si de rien n'était. Et si encore vous aviez la reconnaissance du Medef... (Sourires) Le Medef, qui s'interroge sur la suppression de la CVAE et le manque d'ambition en matière de baisse des dépenses publiques.

Le Medef - cela va vite - a déjà oublié les prêts garantis par l'État (PGE), le chômage partiel, les plans de soutien à l'industrie... (M. Roger Karoutchi s'en amuse.)

Les petites entreprises souffrent. Mais pas les grandes : 57,5 milliards d'euros de dividendes pour le CAC 40 en 2021 ! En France, nous avons la passion de la distribution de dividendes. (Sourires sur les travées du groupe CRCE) N'oublions pas les 23 milliards d'euros de rachats d'actions, totalement insupportables. Sur tout cela, l'État a prélevé 1 milliard d'euros, hors prélèvements sociaux. Le temps n'est plus aux cadeaux fiscaux, mais à l'équilibre entre revenus du travail et dividendes.

Comme moi, monsieur le ministre, vous ne goûtez pas les propos du Medef. Vous avez fait part de votre colère, et leur avez proposé de faire le ménage dans les crédits d'impôts des entreprises. Voilà une offre généreuse ! (Sourires) Je veux vous aider, monsieur le ministre. (Sourires)

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Tout arrive !

M. Patrick Kanner.  - Quel bon fond !

M. Claude Raynal, président de la commission.  - L'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) a relevé 2 000 mécanismes d'aides aux entreprises, pour 180 milliards d'euros annuels, soit plus de 8 % du PIB : niches, allègements et autres dépenses budgétaires. Vous qui aimez tant les comparaisons internationales, monsieur le ministre : combien de pays soutiennent-ils leurs entreprises à hauteur de 8 % du PIB ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.) Arrêtons de tout regarder en silo. Je proposerai au rapporteur général que notre commission s'y intéresse, pour que vous disposiez d'éléments.

Il faut savoir répondre aux priorités du moment. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Georges Patient et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°I-1419, présentée par MM. Breuiller, Parigi, Gontard, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat reconnaît que le projet de loi de finances pour 2023 (n° 114, 2022-2023) est contraire au texte de la Constitution française.

M. Daniel Breuiller .  - Les écologistes agissent pour une République plus parlementaire. Quelle est la sincérité du Gouvernement dans ce débat ? Messieurs les ministres, respecterez-vous le travail du Parlement ?

La Première ministre a donné une méthode dans son discours de politique générale. Mais, dans les faits, le travail de l'Assemblée nationale est sabordé par le recours au 49.3 et le vote du Sénat n'est pas respecté : vous réintroduisez dans ce PLF l'article 23 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP), supprimé par le Sénat. Certes, vous avez organisé les dialogues de Bercy, mais voulez-vous sincèrement travailler avec nous ? Comme lors du grand débat et de la Convention citoyenne pour le climat (réactions sur quelques travées du groupe Les Républicains), vous n'écoutez pas. À l'image des entreprises qui font du greenwashing, vous inventez le democratic washing. Vous faites croire que vous écoutez, mais vous n'entendez pas.

Ma collègue Eva Sas disait que le Gouvernement montrait non seulement son déni du débat parlementaire, mais aussi son absence d'écoute du pays. La Première ministre estimait que, sans majorité absolue à l'Assemblée nationale, le Gouvernement devait rechercher le compromis. La loi doit être concertée, enrichie par la diversité de nos assemblées. Mais la Première ministre n'en a pris acte que dans son discours et non dans sa pratique. Pourtant, on a rarement raison seul et jamais en restant droit dans ses bottes, sans le peuple, surtout à l'heure où fascisme et populisme prennent place en Europe sur l'échiquier des décisions.

Nous rejetons le dévoiement démocratique. Si le 49.3 est constitutionnel, le tri des amendements est bien plus discutable. Les députés ont débattu avec conviction, mais vous avez éliminé l'essentiel des amendements qu'ils ont voté. En particulier, vous n'avez retenu qu'un amendement écologiste, sans doute par democratic washing : celui de Julien Bayou prévoyant l'utilisation de l'huile de friture comme combustible automobile. C'est un amendement utile, mais qui n'influe pas sur notre trajectoire carbone... Vous avez écarté, en revanche, celui d'Eva Sas sur l'isolation thermique des logements. Pourtant, le logement représente 25 % de nos émissions de CO2 et l'on dénombre onze millions de foyers en précarité énergétique et cinq millions de passoires thermiques.

Vous avez aussi rejeté l'amendement Modem de Jean-Paul Mattei, malgré son adoption très large, qui taxait temporairement à 35 % les bénéfices exponentiels réalisés dans ce contexte exceptionnel. Ce n'était pourtant pas la nuit du 4 août...

Le Gouvernement respectera-t-il le travail du Sénat ?

J'en viens à l'article 23 de la LPFP, qui met au pas les collectivités et que nous avons rejeté. Les collectivités territoriales votent, contrairement à l'État, des budgets à l'équilibre. Vous remettez en cause leur autonomie, pourtant prévue à l'article 72 de la Constitution. C'est inacceptable pour notre chambre des territoires, pour l'Assemblée nationale, qui l'a aussi rejeté, et pour les associations d'élus. Face à ce refus, que faites-vous, selon votre méthode démocratique ? Vous le retirez ? Au contraire ! Vous ramenez ce dispositif par la fenêtre en article additionnel au PLF. Étrange conception de la démocratie... En attaquant les collectivités territoriales, vous attaquez le dernier échelon démocratique de notre République, alors qu'il faudrait tout faire pour le préserver. Lors de chaque crise traversée par notre pays, nous avons bien vu que les élus locaux étaient la digue de notre cohésion sociale. Ils sont aussi le meilleur moyen d'évaluer l'efficacité de nos réponses face aux défis de notre temps.

Nous souhaitons travailler, proposer, contribuer, car l'urgence climatique est là. Elle est redoutable pour les plus fragiles. Il faut une autre gouvernance, dans la concertation, qui inclut les collectivités territoriales, le Parlement, les partenaires sociaux, les associations et les citoyens. La trajectoire écologique doit être immédiate, l'anecdotique n'y suffit plus. Combien de mauvais hivers et d'étés suffocants faudra-t-il subir encore ?

Si, à l'arrivée, vous refaites le choix du 49.3, messieurs les ministres, ce débat est dénué de sens. Assumez-le. La démocratie sans le Parlement n'est plus la démocratie. Prenez-vous l'engagement d'un débat sincère avec nous ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)

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Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du vendredi 18 novembre 2022

Séance publique

À 16 heures et le soir

Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente, M. Alain Richard, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat

- Projet de loi de finances pour 2023 (n°114, 2022-2023)

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