« Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »

M. Pierre Louault .  - Le grand plan d'investissement américain de l'été dernier nous amène à débattre des réponses que la France et l'Union européenne doivent apporter. L'Inflation Reduction Act (IRA) est un programme puissant de subventions et d'allègements fiscaux de 370 milliards de dollars, visant à financer la transition écologique. Un crédit d'impôt de 7 500 dollars pour l'achat d'un véhicule électrique made in USA y côtoie la subvention pour les fabricants d'éoliennes ou de panneaux solaires en acier américain.

En réalité, il s'agit de favoriser les entreprises américaines et de contourner nos accords de libre concurrence. Nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours, même si l'Union européenne semble l'ignorer !

En réaction à ce plan jugé protectionniste, la présidente von der Leyen a annoncé un pacte vert industriel pour une ère sans carbone, avec une réallocation des fonds existants afin de soutenir la compétitivité et le verdissement de l'industrie européenne. Nous soutenons ces orientations, mais appelons la Commission à faire preuve de lucidité.

Mettons en place un plan de développement basé sur des incitations fiscales, mais assurons aussi une concurrence loyale en imposant les mêmes normes aux produits importés qu'aux produits européens.

Il faut inciter le développement industriel sur le sol européen en accordant des avantages fiscaux aux entreprises qui investiront dans des énergies propres, afin d'assurer notre souveraineté énergétique.

Le déficit de la balance commerciale a doublé en 2022, subissant l'onde de choc de la crise énergétique : nos importations ont augmenté de 29 %, nos exportations, de 18 % seulement. Nos voisins aussi sont touchés, même le bon élève allemand. La pénurie de matières premières a pénalisé les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique.

Cette crise doit nous inciter à investir massivement pour produire localement une énergie décarbonée. L'Europe a perdu trop de temps à déterminer quelles énergies sont suffisamment vertes pour être subventionnées - je pense bien sûr au nucléaire.

Les avantages offerts par l'IRA, couplés à un prix de l'énergie très faible aux États-Unis, font courir des risques à notre industrie. Nos entreprises innovantes ne seront-elles pas tentées de se délocaliser aux États-Unis ?

La Commission a proposé que les États membres soient autorisés à égaler le montant de l'aide offerte par un pays tiers à leurs entreprises ; c'est encourageant, mais tous les pays n'en auront pas les moyens...

Ce premier pas devra s'accompagner d'une débureaucratisation de Bruxelles. Aux États-Unis, les crédits d'impôt sont immédiats ; en Europe, les aides ne sont versées qu'au bout de plusieurs mois, voire années. Gare à ne pas décourager les entreprises !

La réponse européenne doit s'inscrire dans le temps long afin de donner de la visibilité à nos entreprises.

Les réglementations imposées à nos agriculteurs les ont poussés à se tourner vers le bio, avec un succès mitigé. Dernièrement, la Cour de justice de l'Union européenne a banni l'utilisation des néonicotinoïdes en France et en Belgique. Mais les produits importés, eux, ne sont pas soumis aux mêmes règles ! Nos agriculteurs sont face à une concurrence déloyale. Comment peuvent-ils avoir confiance ? Les produits européens sont dix fois plus contrôlés que les produits importés ! Il nous faut un bouclier vert pour les produits agricoles et pour tous les produits manufacturés qui entrent sur notre territoire.

Quelles réponses apporter au plan américain ? La technostructure saura-t-elle débloquer rapidement les fonds, comme aux États-Unis ? Comment réduire la pénétration de notre marché par les Américains ou les Chinois, alors que l'Europe ressent l'impact du conflit ukrainien ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe.  - D'abord, félicitons-nous de l'intérêt des Américains pour le climat. Bruno Le Maire s'est rendu aux États-Unis avec son homologue Robert Habeck pour obtenir toutes les concessions possibles. Enfin, le Conseil européen de demain répondra aux enjeux.

En matière de financement, il faut simplifier les aides d'État. Nous allons modifier des seuils, autoriser des crédits d'impôt, réallouer des fonds existants, car beaucoup de pays n'ont pas encore utilisé leur fonds de résilience ou de cohésion. Pour répondre à l'IRA, il faut préserver le marché intérieur des distorsions de concurrence.

Mme von der Leyen a annoncé un fonds souverain dans les secteurs stratégiques de l'énergie, du numérique et de la santé.

Enfin, il faut faire respecter les règles de gouvernance globales. De nouveaux instruments de défense commerciale ont été développés pendant la présidence française de l'Union européenne, comme la taxation de produits sursubventionnés par des pays tiers. Nous ne reproduirons pas pour les véhicules électriques les erreurs commises pour les panneaux solaires.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les États-Unis s'affranchissent de plus en plus des règles du commerce mondial. L'Amérique serait-elle tentée par l'isolationnisme ? Avec l'IRA, elle renoue avec son ancienne doctrine protectionniste. L'Oncle Sam va octroyer 369 milliards de dollars aux entreprises qui investiront dans la transition verte sur son sol. La bonne nouvelle, c'est que les États-Unis ont pris conscience de l'urgence climatique. La mauvaise, c'est qu'ils jouent leur propre partition.

Après la pandémie puis la guerre, le tissu industriel européen est fragilisé. Il se dit que Saint-Gobain, Volkswagen ou encore le fabricant suédois de batteries Northvolt seraient tentés par le nouveau rêve américain... Avez-vous des éléments précis, madame la ministre ?

Le Conseil européen de décembre dernier appelle à « une réponse coordonnée pour renforcer la résilience économique de l'Europe et sa compétitivité, tout en préservant l'intégrité du marché unique ». Or certains États membres ont des positions divergentes...

Le RDSE est favorable à l'assouplissement des aides d'État, que soutiennent Paris et Berlin. L'Europe ne doit pas être dogmatique ! Face à un acte déloyal, le cadre européen doit évoluer sans tarder. Il ne s'agit pas d'entrer en guerre économique avec les États-Unis, certes, mais notre réponse pourrait consister en la création d'un fonds de souveraineté européen. La BPI a su jouer son rôle sur le plan Juncker.

L'Union européenne ne sera jamais autosuffisante, mais doit reconstituer une industrie compétitive, irriguant tous les territoires. La politique de reconquête industrielle ne peut se limiter à une baisse des impôts de production. Nous serons attentifs aux initiatives du chef de l'État dans le cadre du Conseil européen de février.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Un tiers des fonds européens sont dédiés à la transition énergétique. Si les chiffres de la balance commerciale sont décevants, on note une hausse de nos exportations agricoles de 37 %, ainsi qu'un excédent de 23,5 milliards d'euros dans l'aéronautique. Nous ne sommes pas démunis !

Nous apportons une réponse en quatre temps : une flexibilité immédiate des financements existants ; des instruments de défense commerciale ; la création, dans un second temps, d'un fonds souverain pour tous les États membres ; enfin, un plan Compétences, en particulier pour le numérique et l'énergie.

M. Alain Cadec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Par sa nature, son ampleur et ses modalités, l'IRA soulève des questions difficiles. Cette loi marque un engagement des États-Unis en faveur de la transition écologique, ce qui doit être salué. Mais le volume des subventions interroge : 70 milliards de dollars, réservés aux productions localisées sur le territoire américain. Combiné au moindre coût de l'énergie, ce plan massif risque d'inciter les investissements européens dans les secteurs d'avenir à préférer les États-Unis à l'Europe...

L'Union européenne ne peut rester sans réaction face à cette concurrence déloyale, mais elle est devant le fait accompli : l'IRA est déjà entré en vigueur. Il faut donc rapidement mettre en place tous les éléments d'une réponse européenne.

Les aides américaines enfreignent clairement les principes de l'OMC, mais les contester à Genève serait contre-productif, tant l'organe de règlement des différends (ORD) est paralysé. Les États-Unis n'ont d'ailleurs aucune intention de se plier à ses recommandations.

Amener l'administration américaine à aménager des exceptions en faveur de l'Union européenne est mission impossible.

Aux Européens de trouver par eux-mêmes la parade. Une piste consiste à assouplir ou suspendre les règles européennes concernant les aides d'État. L'inconvénient est double : favoriser les seuls États qui peuvent se le permettre financièrement, et remettre en cause le principe de level playing field sur lequel repose le marché unique.

Une autre piste, privilégiée par la France, serait de déployer un plan européen similaire, d'un montant suffisant pour conserver les investissements en Europe. Mais où trouver les fonds, après le plan de relance de 750 milliards d'euros ? Des fonds pourraient certes être réorientés vers un fonds européen de souveraineté, comme la Commission l'envisage, mais cela ne suffira sans doute pas.

Les États-Unis manifestent un égoïsme sacré avec leur politique America First. Ils restent les princes du protectionnisme. Ceux qui espéraient une amélioration après Trump en sont pour leurs frais : seul le style a changé. Les considérations géopolitiques pèsent peu face aux enjeux de politique intérieure.

Ce constat doit inciter l'Europe et la France à privilégier l'autonomie stratégique dans tous les domaines. Le Général de Gaulle avait eu l'intuition, dès 1945, de cette impérieuse exigence : après des décennies de mondialisation débridée, il est grand temps qu'elle revienne au premier plan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - L'Union européenne doit assumer sa puissance géopolitique : elle est forte de 450 millions de citoyens dotés d'un pouvoir d'achat parmi les plus élevés de la planète. C'est pourquoi le Président de la République promeut la notion de souveraineté et d'autonomie stratégique.

À l'inverse des États-Unis, nous nous appuyons sur des règles claires. Depuis la présidence française de l'Union, nous avons les mesures miroir, l'instrument anti-subvention.

À Washington, Bruno Le Maire a obtenu une alliance sur les matériaux critiques.

Le différentiel de compétitivité tient avant tout au différentiel du prix de l'énergie. Nous souffrons des conséquences de la guerre en Ukraine. (M. Fabien Gay proteste.) Une réforme du marché de l'électricité est en cours, qui sera discutée lors du Conseil Énergie de mars.

M. Joël Guerriau .  - La guerre commerciale que se livrent l'Union européenne et les États-Unis n'est pas récente : 35 différends soumis par l'Union contre les États-Unis, 20 dans l'autre sens, et le record du plus long conflit commercial qu'ait connu l'OMC : 17 ans sur les subventions illégales Airbus-Boeing !

Régulièrement, la presse titre sur une nouvelle guerre commerciale. Après quatre années de trumpisme, les Européens promettaient de développer enfin leur souveraineté, avec le plan NextGenerationEU, de 670 milliards d'euros. Bien naïf celui qui pensait que les États-Unis changeraient d'attitude sous Biden.

La crise du covid nous a confrontés à nos lacunes, particulièrement à notre dépendance à l'égard de la Chine. La guerre en Ukraine révèle la dépendance énergétique à l'égard du gaz russe. Les dernières mesures protectionnistes adoptées l'été dernier par les États-Unis ne feront qu'aggraver les choses.

Avec l'IRA, les États-Unis se donnent dix ans pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Si la compétition mondiale se concentre sur les technologies propres, tant mieux ! Créons de l'émulation. Mais nous devons réagir, car la principale menace est celle d'une délocalisation de nos entreprises vers les États-Unis. Nous devons prendre en main notre destin.

Souvenez-vous, monsieur le président, des contrats signés avec l'Iran, pour des milliards de dollars, détruits en 2018 par la rupture des accords par Donald Trump.

M. le président.  - C'était une autre époque !

M. Joël Guerriau.  - L'Union européenne a transformé un espoir de paix en réalité concrète. Être européen, c'est agir ensemble ; faisons de notre diversité une force.

Après les derniers conseils européens, allons-nous réussir à trouver une solution commune ? Madame la ministre, je ne vois qu'une seule réponse : l'unité - même si ce n'est pas une mince affaire.

Nous espérons une réponse puissante à l'IRA, mais nous devons aussi mener la bataille des idées et du modèle. Affirmons haut et fort que nous sommes avant tout des Européens. (M. Alain Richard applaudit.)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Premier volet de la stratégie de souveraineté européenne : la défense, avec des capacités d'achat, des forces qui peuvent agir ensemble, en articulation avec l'Otan, une préférence européenne en matière d'achat d'armement.

Deuxième élément : l'autonomie énergétique et industrielle, à savoir les finances, les talents et les secteurs stratégiques. Nous sortons du gaz russe, nous avons diversifié les sources, construit une plateforme d'achat commun et engagé la réforme du marché de l'électricité.

Dernier volet : l'influence et le développement de la Communauté politique européenne, lancée par le Président, dont la première réunion a eu lieu à Prague, et la prochaine, en juin, en Moldavie.

M. Jacques Fernique .  - Face à Washington, qui subventionne massivement son industrie, Paris et Berlin ont proposé des contre-mesures à la Commission. Mme von der Leyen a dévoilé à Davos ses propositions, qui font écho au « protectionnisme vert européen » prôné par les écologistes.

Il s'agit de réindustrialiser l'Europe en sortant du libre-échange pour aller vers le juste échange. « Protectionnisme », le mot fait peur. Il ne s'agit pas de nous calfeutrer, mais de voir le monde tel qu'il est. Les multinationales exploitent la moindre faille dans les réglementations. Assumons notre rang de premier marché au monde, imposons le respect de nos valeurs ; on ne peut plus polluer impunément sans tenir compte des externalités négatives dans le prix.

En réponse à l'IRA, la Commission veut autoriser plus d'aides d'État. Mais il manque un levier : le Buy European Act pour favoriser les produits made in Europe dans les marchés publics, qui représentent 14 % du PIB européen. C'est une protection, mais aussi un levier pour créer des emplois durables et décarboner nos économies. Pour le moment, il n'apparaît ni dans les conclusions du Conseil ni dans la proposition de la Commission. Le candidat Macron l'avait porté en 2017, mais il l'a abandonné au profit de la concurrence de tous contre tous. Seule l'Europe laisse ses marchés publics ouverts à tout vent.

Nous avons enfin décidé d'une taxe carbone aux frontières, fermé nos marchés aux produits issus de la déforestation. L'impact est palpable, mais trop lent. Les États-Unis, eux, agissent d'abord et discutaillent après. Sur le photovoltaïque, nous avons raté le train.

Défendons la possibilité de consommer des produits de chez nous et de pays qui respectent nos normes. La France devrait pousser pour obtenir enfin les clauses miroirs pour l'agriculture. Elles sont absentes de l'accord Mercosur, qui n'est que mondialisation de la malbouffe et arrêt de mort pour nos paysans...

La France a l'habitude de proposer des choses intéressantes, mais d'y renoncer au premier froncement de sourcil. Prenons notre bâton de pèlerin et recherchons des alliances ! En quelques années, nous avons obtenu des avancées qu'on pensait impossibles : taxe sur les superprofits énergétiques, interdiction des importations issues du travail forcé, impôts sur les sociétés, devoir de vigilance, taxe carbone aux frontières. L'Europe se fortifiera en les approfondissant.

Présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Je vous trouve bien négatif, alors que vous reconnaissez ces succès européens.

Plutôt que le protectionnisme, la stratégie made in Europe vise à inclure des critères qualitatifs dans la commande publique, afin de favoriser les entreprises qui respectent les normes européennes, sans revenir sur le principe de libre accès à la commande publique.

Le Gouvernement soutient les mesures miroirs sectorielles, lorsque c'est nécessaire pour protéger la santé et l'environnement. C'était l'une des priorités de la présidence française. La Commission a confirmé leur faisabilité. Le Gouvernement veillera à ce que le Conseil et le Parlement européens les mettent en place dès que nécessaire.

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Il y a deux semaines, nous adoptions le projet de loi relatif à l'accélération des procédures dans le nucléaire, et trouvions un compromis sur celui relatif aux énergies renouvelables. Hier, lors du salon Hyvolution, la ministre de la transition énergétique a présenté les lauréats des appels à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène ». Depuis vendredi, les élus locaux peuvent solliciter des financements au titre du fonds vert pour leurs projets durables.

Tout cela montre que le Gouvernement veut aller plus loin, plus vite pour tenir ses objectifs de décarbonation.

Le cap européen est aussi fixé : zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050. Parmi les leviers pour y parvenir, la feuille de route « Ajustement à l'objectif 55 » et les plans NextGenerationEU, doté de 725 milliards d'euros, et REpowerEU pour retrouver l'autonomie.

Le Conseil européen discute en ce moment du pacte vert pour renforcer la compétitivité de l'Europe et soutenir une transition rapide vers la neutralité climatique. Une proposition juridique devrait aboutir d'ici à la mi-mars. Nous sommes à un tournant historique, avec l'ambition, rappelée par Bruno Le Maire, de faire de l'Europe l'une des trois puissances de l'industrie verte.

Mais la compétition internationale est rude : l'IRA ouvre la porte à une relocalisation des activités sur le sol américain, au risque de perturber le développement de notre tissu industriel vert.

Alors que nous cherchons un cadre réglementaire européen approprié, nous ne pouvons tolérer des distorsions de concurrence - c'est le sens du déplacement des ministres de l'économie allemand et français à Washington.

Simplification de la procédure des projets importants d'intérêt européen commun (Piec), assouplissement des règles sur les aides d'État, réflexion sur la commande publique, réorientation des financements de REPowerEU, InvestEU ou du Fonds d'innovation vers les technologies propres, formation aux métiers de demain : voilà les réponses à apporter.

En parallèle, nous devons poursuivre les négociations, obtenir des exemptions, rétablir des conditions de concurrence équitables avec les États-Unis. L'Europe est sans aucun doute l'échelon pertinent. Je suis sûre que nous saurons trouver les réponses ensemble.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - REPowerEU est un plan ambitieux : 200 milliards d'euros de prêts, 20 milliards de dons.

Nous demandons à la Banque européenne d'investissement (BEI) de se mobiliser et de réfléchir à des plans de financement pour la transition énergétique. Les projets d'accélération en cours iront aussi chercher des investissements privés, grâce à l'union des marchés de capitaux.

L'ampleur du fonds souverain fait l'objet d'une réflexion qui sera l'occasion de relancer le débat sur les ressources propres.

Les Piec accélèrent. L'objectif est de réduire les délais d'autorisation à quatre mois. De même, les crédits d'impôt seront immédiats.

Les Américains en sont à la rédaction des décrets, qui prévoient des exemptions sur les véhicules électriques en leasing. Comptez sur nous pour obtenir ces exemptions.

M. Didier Marie .  - Après la crise sanitaire, après l'invasion de l'Ukraine, la vague protectionniste est un nouveau défi. L'IRA dopera l'industrie et la consommation américaines. Il faut saluer cette réponse apportée au dérèglement climatique, mais se méfier du risque de délocalisation massive d'entreprises européennes confrontées à une énergie chère et un encadrement strict des subventions.

Alors que la Chine a elle aussi pris le virage de l'industrie verte à grand renfort d'aides d'État et de travail à bas coût, ce changement de paradigme doit pousser l'Union à être plus ambitieuse. Celle-ci ne part pas de zéro, même si elle a trop souvent agi en réaction aux crises, et non par anticipation : réglementation antidumping, filtrage des investissements étrangers, mesures de sauvegarde, mais aussi règlement sur les subventions étrangères, Chips Act et instrument du marché unique pour les situations d'urgence.

La présidente von der Leyen a présenté les contours du pacte vert ; c'est une bonne nouvelle. N'ayons aucun tabou. Ce plan prévoit une simplification du cadre réglementaire européen, avec la très attendue réforme du marché de l'électricité, l'assouplissement des aides d'État, la réutilisation d'enveloppes financières existantes, la mise en oeuvre d'un fonds souverain, l'amélioration des compétences.

Après ces annonces bienvenues, la Commission semble toutefois tergiverser. La France doit s'engager avec force dans les négociations.

Quelle est à ce stade la définition des technologies propres ? L'hydrogène, l'hydraulique ou le nucléaire seront-ils concernés ? Quelle articulation avec la directive sur les énergies renouvelables ? Les concepts de sobriété, d'efficacité énergétique et de décarbonation de l'industrie lourde sont ignorés : cela vous inquiète-t-il ? Quid d'un Buy European Act ?

La simplification administrative ne doit pas se transformer en dérégulation à outrance, et je regrette l'absence d'un pilier social.

Nous avons suivi les déclarations volontaristes du président Macron et de Bruno Le Maire. Mais seul compte le résultat. Quelles concessions Robert Habeck et Bruno Le Maire ont-ils obtenues hier à Washington ? Toutefois, il me paraît illusoire d'espérer un assouplissement des positions américaines.

Il nous faut réagir par un plan ambitieux, non par rétorsion, mais pour ne pas être marginalisés. Le plan européen présenté à Davos doit maintenant être précisé, sans être édulcoré.

En matière de financement, jusqu'où la Commission et le Conseil sont-ils prêts à aller ?

L'encadrement des aides doit être pensé pour éviter de creuser les écarts entre pays. Nous devons aussi nous doter d'un fonds de souveraineté ambitieux ; nous regrettons les réserves de l'Allemagne à cet égard.

La prochaine revue de mi-parcours du cadre financier pluriannuel est une opportunité. L'Union européenne doit d'abord se doter de nouvelles ressources propres : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une nouvelle taxe sur les transactions financières sont des pistes. Ensuite, le recours à l'emprunt mutualisé pour abonder le futur fonds ne peut être tabou. Quant à la BEI, elle doit devenir le prêteur le plus vert au monde.

Il ne nous faut pas entrer dans une guerre commerciale et une spirale protectionniste. L'Union européenne doit se dégager de l'étau du conflit sino-américain en continuant de s'ouvrir au reste du monde, avec une exigence en matière environnementale.

Nous devons aussi développer les compétences des salariés pour réussir les transitions numérique et écologique. La reconnaissance mutuelle des qualifications facilitera la mobilité interne ; elle doit s'accompagner d'un souci de qualité des emplois et de dignité au travail.

La réponse aux mesures protectionnistes des États-Unis, qui ont délibérément contourné les règles de l'OMC, doit être globale et ambitieuse. Nous devons négocier tout ce qui peut l'être et, en parallèle, nous doter d'un plan industriel innovant et réduire nos dépendances stratégiques. Nous comptons sur le Gouvernement pour faire de ce moment une opportunité. (Mme Gisèle Jourda applaudit ; M. Jacques Fernique manifeste son approbation.)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Des consultations publiques sont en cours pour réformer le marché de l'électricité. Nous voulons une production soutenable et préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. (M. Fabien Gay s'exclame.)

Hydrogène, solaire, batteries, semi-conducteurs : dans tous ces secteurs, nous devons développer les formations, car 800 000 postes y seront à pourvoir d'ici 2025. Facilitons la reconnaissance des formations et attirons les talents de l'Union européenne et d'ailleurs. Une cartographie des métiers concernés est en cours d'élaboration.

Aux États-Unis, les ministres Bruno Le Maire et Robert Habeck ont obtenu l'élargissement des exemptions au plus grand nombre possible de composants européens pour les véhicules électriques et les matériaux critiques. Un nouveau canal de communication sera mis en place au niveau ministériel, à la demande des Européens.

M. Fabien Gay .  - L'enjeu de ce débat est capital pour nos industries, notre agriculture, nos emplois et nos territoires. Les États-Unis, qui n'ont jamais été avares de mesures protectionnistes, mettent aujourd'hui sur la table 370 milliards de dollars pour l'IRA et 52 milliards supplémentaires dans le cadre du Shipping Act, sans concertation avec leurs partenaires. Cette stratégie offensive vient d'être confirmée par le président Biden dans son discours sur l'état de l'Union.

La situation est grave pour les secteurs stratégiques européens. Les Américains sont incités à acheter américain en contrepartie de réductions d'impôt ou de subventions directes. Les dirigeants américains amplifient la guerre économique sous prétexte d'engagement environnemental. Les Nord-Américains seraient plus crédibles s'ils ne renforçaient pas l'exploitation du gaz de schiste...

Déjà prééminents dans les industries pharmaceutique et numérique, les États-Unis se renforcent contre l'Union européenne dans l'industrie de l'armement, l'énergie ou le transport maritime. Ils cherchent à attirer les entreprises d'avenir en captant les savoir-faire et les brevets, sans s'embarrasser des théories du libre-échange qu'ils prônent à l'OMC. Ils utilisent le dollar, monnaie de référence des échanges internationaux, comme une véritable machine de guerre.

Alors que la souveraineté de l'Union européenne est menacée, nous ne pouvons pas rester les bras ballants ni nous asseoir une fois de plus dans les fourgons des Américains.

Nous pouvons nous défendre en renforçant nos marchés publics, qui représentent de 14 à 19 % de l'économie européenne. Préparons nos industries et notre agriculture pour relever les défis d'avenir en investissant dans la recherche et le développement. Quand des secteurs entiers sont menacés, il est possible de déclencher la clause de sauvegarde.

Nous n'avons aucun intérêt à être suivistes des États-Unis. L'alignement sur leur stratégie militaire nous empêche de défendre nos intérêts stratégiques. Nous devrions avoir l'audace de bâtir des consortiums européens, de réviser le marché européen de l'électricité, de modifier les règles budgétaires européennes, pour enfin investir. Les aides d'État comme les crédits européens doivent être conditionnés aux investissements verts et à la défense de nos emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Gisèle Jourda et M. Christian Bilhac applaudissent également.)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Tout ce que vous le demandez, nous le faisons déjà ! Simplement, nous n'en faisons pas la promotion. (Marques d'ironie sur plusieurs travées à gauche)

La réforme budgétaire, nous la faisons. La flexibilité figure dans les propositions de la Commission. La préférence européenne fait l'objet de décisions. Nous disposons d'instruments commerciaux assertifs et allons les utiliser. Nous avons la 5G, pas les Américains. Nous sommes les plus avancés au monde en matière environnementale.

Nous sommes leaders, pas suiveurs, et comptons sur vous pour le faire savoir !

M. Fabien Gay.  - Nous avançons des propositions, et vous nous répondez : tout va bien !

Dans le domaine spatial, par exemple, les Américains sont en train d'achever leur constellation de satellites. Ils subventionnent Space X à gogo et, d'ici quelques années, contrôleront toutes les données. (Mme la secrétaire d'État le conteste.) Même nos données de santé sont détenues par des entreprises américaines.

Sur le marché européen de l'électricité, voilà un an que Bruno Le Maire nous promet de faire bouger les choses, mais rien n'avance et nous restons pieds et poings liés !

M. Jean-François Rapin .  - Voilà trente ans, le Sommet de Rio lançait la guerre contre la pollution. Mais la coopération internationale reste laborieuse. Lorsque le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre engage la décarbonation de son économie, comment ne pas y voir un bon signe ?

Mais si l'IRA est une bonne nouvelle pour la planète, il représente un défi économique et conceptuel pour l'Europe. Car l'ambition du texte est environnementale, mais surtout industrielle : il s'agit de prendre la tête de la course aux technologies propres, clé de voûte de l'économie de demain. Le message est clair : les fonds publics ne profiteront qu'aux produits made in America.

Alors que nos industries font face à une explosion des prix de l'énergie, l'IRA pourrait leur porter un coup fatal. Les récentes décisions d'investissement des grands groupes en témoignent. Le risque de délocalisations devient systémique. Le plan américain pourrait faire perdre 10 milliards d'euros d'investissement et 10 000 emplois potentiels à la France.

Sur le plan conceptuel, il souligne les différences d'approche entre les États-Unis et l'Union européenne. Quand l'Europe cherche à imposer ses normes, les États-Unis s'en remettent à une politique offensive, avec pour seule boussole la défense de leurs intérêts économiques. Les Américains usent de longue date d'un protectionnisme assumé - le Buy American Act est en vigueur depuis 1933.

L'Europe doit regarder ces réalités en face. Bien sûr, les discussions entamées doivent être poursuivies. Mais nous ne pouvons espérer que des ajustements à la marge. Quant à la saisine de l'OMC, elle n'offrirait aucune solution rapide, les Américains bloquant l'organe de règlement des contentieux.

C'est donc avant tout par ses propres moyens que l'Europe doit répliquer, afin de rester une terre de production. Les aides d'État doivent être simplifiées et accélérées. Attention toutefois à ne pas déstabiliser le marché unique par des subventions disparates. Grâce à un fonds de souveraineté, quelque 350 milliards d'euros soutiendront les projets industriels innovants ; mais la question du financement reste entière, alors que l'Europe ne sait toujours pas comment elle remboursera son plan de relance.

Pour une réindustrialisation efficace, nous avons besoin aussi de simplifier l'environnement réglementaire, de développer les compétences, de réformer le marché européen de l'électricité.

Avant tout, l'Union européenne doit adapter son logiciel de pensée et se résoudre à jouer à armes égales avec nos concurrents. Elle doit faire de la réciprocité le maître mot de sa stratégie commerciale et ne pas s'interdire de renouer avec le principe de préférence communautaire, à l'instar du Buy American Act, à rebours des politiques menées ces dernières décennies.

En améliorant le contrôle des actifs stratégiques et en modifiant son regard sur le concurrent chinois, l'Europe a montré qu'elle sait évoluer. Elle doit franchir un cap, pour ne pas être la variable d'ajustement de la mondialisation. Selon la formule de Sigmar Gabriel, elle ne peut rester un herbivore dans un monde de carnivores ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État.  - Les 670 milliards d'euros d'aides d'État annoncés par la Commission correspondent à des autorisations ; ils n'ont pas forcément été déboursés. Rapportés à la population, les montants dépensés sont plus importants en Finlande et au Danemark qu'en France et en Allemagne.

Tous les pays doivent soutenir leur industrie, car les chaînes de production parcourent tout le continent. Il nous faut trouver un équilibre entre aides d'État et fonds de cohésion. Il est également envisagé d'ouvrir les Piec aux PME. (M. Jean-François Rapin s'en félicite.)

Mme la présidente. - Il vous revient à présent de conclure le débat.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Merci pour ce débat riche et qui tombe à point nommé : ces questions seront au coeur des discussions des chefs d'État demain et après-demain.

Il s'agit de la capacité de l'Union européenne à s'affirmer comme puissance industrielle et commerciale à part entière. Telle est l'ambition du Président de la République : une Europe plus forte, plus résiliente et plus souveraine.

Nous faisons face à un triple défi d'une ampleur exceptionnelle : s'adapter aux transitions écologique et numérique, réduire nos dépendances stratégiques et établir les conditions d'une concurrence équitable - ce qui n'est pas le cas, compte tenu des pratiques distorsives de nos partenaires.

Nous allons poursuivre les discussions avec les Américains, mais le ressort principal est interne. Nous devons donner de la visibilité à nos industriels : c'est le sens du plan vert, que nous soutenons.

Il nous faut aussi sécuriser notre approvisionnement en matériaux critiques et simplifier drastiquement notre environnement réglementaire, non pour baisser nos standards, mais pour les rendre plus clairs. En la matière, il faut un choc de modernisation et de simplification. Nous plaidons aussi pour une réforme du marché de l'électricité et l'adaptation des règles de commande publique aux enjeux industriels.

Nous aurons besoin de mobiliser des capitaux privés, mais aussi publics, à travers d'abord des redéploiements, puis le fonds de souveraineté.

En matière commerciale, nous mobilisons des outils protecteurs et assertifs. C'est la fin de la naïveté.

La préparation du Conseil européen a mis au jour des clivages entre États membres, mais nous allons continuer d'oeuvrer à des positions communes.

Nul ne veut d'une guerre commerciale. Mais l'Union européenne ne doit pas être une variable d'ajustement. Ce paquet ambitieux combine flexibilités raisonnables sur les aides d'État et accélération des négociations avec les États-Unis : vous pouvez compter sur nous pour faire avancer une politique industrielle européenne digne de ce nom ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Pierre Louault applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.