Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean François Rapin et François-Noël Buffet, à la demande du groupe SER et du GEST.

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution .  - Ce débat est bienvenu, alors que le Gouvernement s'apprête à présenter un projet de loi pour réformer le régime de l'asile et régulariser la situation des travailleurs sans papiers. Or notre politique migratoire, notre politique de l'asile et le contrôle de nos frontières relèvent désormais de compétences partagées avec l'Union européenne. L'espace Schengen dépend d'une surveillance des frontières extérieures, qui relève des États membres, avec le soutien de Frontex. La France bénéficie de son appui, par exemple sur la Côte d'Opale.

Frontex est dotée de moyens importants : 845 millions d'euros en 2022, 2 000 personnels, et même 10 000 officiers à l'horizon 2027.

Mais l'agence a été confrontée à une double crise, de croissance et de confiance. Une crise de croissance, car ses moyens ont fortement augmenté à partir de 2019 sans qu'elle ait eu le temps de recruter ni de mettre en place des procédures de contrôle suffisantes. Une crise de confiance, car elle a été accusée de manquements managériaux et de complicité de refoulements illégaux en mer Égée. Son directeur, Fabrice Leggeri, a démissionné en avril 2022, avant la nomination, le 20 octobre dernier, du néerlandais Hans Leijtens.

Il est urgent de réagir : près de 300 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union européenne ont été enregistrés en 2022, une hausse de 64 % par rapport à 2021. Frontex doit se remettre au travail ; il y va de la crédibilité de l'Union européenne et de l'avenir de l'espace Schengen. D'où cette proposition de résolution européenne, déposée par François-Noël Buffet et moi-même.

Nos recommandations pour que Frontex représente une valeur ajoutée et non une source supplémentaire de complexité sont simples.

D'abord, l'agence doit exercer sa mission première, le soutien aux États membres dans la surveillance des frontières, dans le respect des droits fondamentaux, mais sans se transformer en agence des droits fondamentaux ou de l'asile.

Ensuite, Frontex ne doit pas se substituer aux États membres et doit faire l'objet d'un pilotage politique plus musclé.

Enfin, Frontex doit être contrôlée par le Parlement européen et les parlements nationaux. Nous autres, parlementaires nationaux, connaissons les attentes de nos concitoyens. Nous devons donc prendre toute notre part de ce contrôle, sinon les États membres se détourneront de Frontex. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de résolution .  - Frontex est à un moment critique de son histoire. Son action est remise en cause de toutes parts, alors que son rôle est crucial.

Il nous incombe de faire entendre notre voix, nous parlementaires nationaux, afin que Frontex puisse se consacrer pleinement et exclusivement à sa mission de gestion des frontières.

Nous affirmons notre soutien à l'agence. La maîtrise collective de nos frontières extérieures est la condition du bon fonctionnement de l'espace Schengen. L'élargissement du mandat de l'agence doit être soutenu.

Le législateur a fait en 2019 de l'agence une entité opérationnelle, avec une force de projection autonome.

Mais notre soutien n'est pas inconditionnel, notamment au regard du respect des droits fondamentaux. Nulle concession sur ce point. Contrôle des frontières et respect des droits fondamentaux vont de pair.

Notre texte fait des recommandations concrètes pour sortir de la crise.

Il faut d'abord un vrai pilotage politique. Le directeur doit suivre des directives claires et il faut des réunions dédiées du Conseil européen. Nous regrettons que le Parlement ait unilatéralement instauré un groupe de contrôle, en oubliant les parlements nationaux. Suivons plutôt le modèle du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol.

Les procédures de contrôle du respect des droits fondamentaux étaient insuffisantes. Les réformes mises en place par la direction intérimaire et le recrutement de 46 contrôleurs aux droits fondamentaux vont dans le bon sens. Mais évitons toute guerre des chefs : il faut des canaux de dialogue renforcé, un examen des décisions de l'officier aux droits fondamentaux par le Médiateur européen et l'établissement de critères exigeants pour recruter tant l'officier que les contrôleurs aux droits fondamentaux.

Nous avons voulu exclure l'hypothèse d'une révision du mandat de Frontex : la priorité est de sortir l'agence de la crise et il lui faut du temps pour exercer pleinement son mandat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Cette proposition de résolution européenne intervient à un moment décisif : à la sortie d'une double crise, l'agence doit être confortée.

La première crise, structurelle, trouve sa source dans l'échec de l'Union européenne face à la crise migratoire de 2015. Les règlements européens de 2016 et 2019 ont élargi son mandat et son périmètre d'intervention. Elle a aussi connu une progression inédite de ses moyens : budget multiplié par dix en dix ans, et 10 000 agents en 2027. Jamais une agence européenne ne s'était vue attribuer de tels moyens ni de telles prérogatives de puissance publique : en moins de vingt ans, Frontex est devenue la plus puissante des agences européennes.

Frontex a été sursollicitée et confrontée à une conjonction de crises internationales, comme la tentative d'instrumentalisation des migrations par la Biélorussie en octobre 2021, et la crise en Ukraine. L'agence n'était pas assez outillée pour piloter cette évolution dans de bonnes conditions. Devant notre commission cet automne, la directrice exécutive par intérim reconnaissait que la pression politique était forte et les délais extrêmement serrés.

L'agence a été accusée par des ONG d'avoir participé à des opérations de refoulement en mer Égée. Les enquêtes révèlent que l'agence a fait preuve d'une passivité anormale ; que ses dispositifs de traitement des incidents n'étaient pas assez robustes ; et que la direction de l'agence a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de l'Union. D'où la démission de son directeur exécutif.

Cette crise a aussi révélé l'existence d'un débat sur les priorités de l'agence, entre protection des droits fondamentaux et obtention de résultats probants dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Notre positionnement est clair : la première mission de Frontex est le contrôle des frontières, dans le respect absolu des droits fondamentaux. Le débat entre droits fondamentaux et contrôle des frontières est stérile, car ce sont les deux faces d'une même médaille.

Nous nous opposons à toute révision du mandat de Frontex : il faut lui laisser le temps d'exercer pleinement son mandat actuel.

Enfin, le soutien des parlements nationaux est indispensable : avec cette proposition de résolution, celui du Sénat est clair.

Frontex doit être pleinement au travail pour lutter contre l'immigration irrégulière, alors que les passages clandestins vers l'Europe ont augmenté de 64 % en un an, et même de 150 % par la route des Balkans. En France, Frontex travaille dans nos aéroports et sur la côte d'Opale.

Il faut enfin renforcer le pilotage politique de l'agence : le Conseil européen doit se réunir spécifiquement, et le rang hiérarchique des membres du conseil d'administration doit être rehaussé. De plus, l'officier aux droits fondamentaux doit être indépendant et fort, c'est une garantie de crédibilité pour l'agence.

Je vous invite à soutenir cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Je remercie nos deux présidents pour cette proposition de résolution européenne, fruit de leurs longues réflexions sur un sujet crucial : la sécurité des frontières extérieures de l'Union européenne. Cette question n'est pas que technique : elle concerne notre quotidien.

Les États membres doivent assurer la surveillance de leurs frontières, mais aussi pouvoir s'appuyer sur une agence opérationnelle, réactive, respectueuse des droits fondamentaux et pilotée politiquement.

Voilà pourquoi, le 14 décembre dernier, la commission des affaires européennes a approuvé cette proposition de résolution européenne sans la modifier. Le contrôle conjoint du Parlement européen et des parlements nationaux a même fait l'objet d'un consensus.

La commission des lois a adopté trois amendements qui actualisent les dispositions de la proposition de résolution, ainsi qu'un amendement sur l'expérience requise pour l'officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux.

Une proposition de résolution européenne est un voeu politique qui a sa cohérence. Je serai donc défavorable à tous les amendements qui dénatureraient le dispositif et le rendraient inopérant.

Avec cette proposition de résolution européenne, nous affirmons que Frontex est une belle réalisation européenne, mais qui doit encore faire ses preuves. Sans quoi, nous serons de nouveau face à des flux incontrôlés et au retour du chacun pour soi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer .  - Merci à François-Noël Buffet et Jean-François Rapin de nous permettre de débattre de cette agence déterminante pour le contrôle de nos frontières.

En 2022, la pression migratoire a retrouvé son niveau d'avant crise sanitaire : les franchissements irréguliers restent inférieurs à ceux de 2016, mais ils progressent dans toute l'Europe, notamment autour en Méditerranée centrale et dans les Balkans occidentaux, faisant peser un poids particulier sur l'Autriche, la Hongrie et la Croatie.

La demande d'asile a progressé de 61 % en Europe et de 31 % en France, second pays d'accueil après l'Allemagne. Notre pays est la cible de mouvements secondaires : il faut faire évoluer le système européen de l'asile.

La détermination du Gouvernement est totale face à cette situation migratoire.

Au niveau national, un projet de loi a été présenté en conseil des ministres mercredi dernier, avec des dispositions visant à éloigner les étrangers qui représentent une menace, à favoriser l'intégration par la langue, à simplifier le contentieux des étrangers et à réformer notre organisation de l'asile. Le Sénat l'examinera dès le mois de mars.

Le Gouvernement consacre d'importants moyens à la politique migratoire : 3 000 nouvelles places en centres de rétention administrative (CRA) d'ici à 2027 et budget consacré à l'intégration en hausse de 24 % sur cinq ans.

La clé de notre réussite sera la coordination européenne : nous devons prendre des mesures ordonnées, comme cela a été reconnu lors du sommet de La Valette en 2015, puis par le Pacte mondial sur les migrations de Marrakech en 2018.

À la suite du débarquement de l'Ocean Viking, le 11 novembre dernier, la France a demandé la tenue d'un conseil extraordinaire des ministres européens, qui a adopté un plan d'action européen sur la Méditerranée centrale.

Grâce à notre approche graduelle, les négociations sur le pacte sur la migration et l'asile ont progressé vers un équilibre entre solidarité et responsabilité.

La France soutient un mécanisme de solidarité contraignant et prévisible pour soulager les pays de la première entrée et lutter contre les mouvements secondaires. Dans ce cadre, la France soutient la montée en puissance de Frontex, outil essentiel de contrôle des frontières, dont le champ de compétences a été élargi en 2016 et 2019.

L'agence a désormais un rôle proactif. C'est l'agence européenne la plus importante, avec un budget de 5,6 milliards d'euros sur 2021-2027, et une force opérationnelle de 10 000 agents à terme, déployés sur de nombreux terrains d'opération - Méditerranée, Est de l'Europe, Manche, etc. Depuis décembre 2021, un avion renforce la détection des traversées de migrants dans la Manche.

La proposition de résolution européenne conforte le mandat de Frontex et le Gouvernement partage son esprit, car elle soutient le renforcement de la veille opérationnelle de Frontex dans la Manche et en mer du Nord ; du pilotage politique de Frontex, avec notamment une discussion annuelle du Conseil Schengen ; et du rôle de l'agence dans les retours, avec l'organisation de vols conjoints. Enfin, elle propose de laisser à l'agence le temps de remplir son mandat actuel.

Frontex est tenue d'assurer son mandat dans le plein respect des droits fondamentaux, conformément à son règlement intérieur et au mandat de son nouveau directeur. Un adjoint à l'officier aux droits fondamentaux ainsi que 45 contrôleurs des droits fondamentaux ont été recrutés.

Les enquêtes sur les allégations de refoulement de migrants contre Frontex ont conclu que l'agence n'y avait pas participé, sans qu'il soit possible d'affirmer qu'elle n'en avait pas eu connaissance.

Plusieurs mécanismes de garantie des droits fondamentaux ont été mis en place depuis. La France s'assurera de leur suivi.

Cette question est au coeur des préoccupations du Gouvernement et de nos concitoyens. Nous continuerons d'agir avec des moyens à la hauteur des attentes des Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Selon Frontex, il y aurait eu 330 000 franchissements irréguliers des frontières européennes en 2022. La pression migratoire que subit l'Europe fait peser le risque d'un bouleversement démographique et culturel.

Alors que le nouveau directeur de l'agence s'installe, il faut revenir au mandat originel de l'agence : surveiller et protéger les frontières extérieures. C'est ce que défend cette proposition de résolution européenne, et nous y souscrivons.

Depuis sa création, les missions de Frontex ont été étendues : lutte contre l'immigration illégale, le trafic de drogue et la criminalité organisée.

Les critiques et controverses se sont également multipliées, de la part d'ONG humanitaires agissant comme des organes de propagande opposés à l'idée même de frontière. Les droits des migrants ne seraient pas assez protégés, Frontex en serait responsable. Mais l'agence n'est pas une agence humanitaire, un SOS Méditerranée 2.0 ! Si c'était le cas, des migrants arriveraient sur les côtes méditerranéennes, à la merci des passeurs, avec des conséquences humaines désastreuses au vu de la démographie africaine.

La France doit soutenir Frontex. Ce n'est pas une agence Bisounours : elle est là pour garantir l'étanchéité des frontières européennes. Il faut éloigner les organisations humanitaires et remettre les pays souverains au centre des choix de l'agence, en veillant au respect des droits de l'homme. À laisser l'angélisme irresponsable fleurir, nous prêterions le flanc à l'extrémisme qui n'attend que cela pour mettre à mort le projet européen. Ne cédons pas aux injonctions de la bien-pensance : liberté pour les migrants, honte aux frontières ? La France est généreuse, mais elle en droit d'exiger des étrangers qu'ils se plient à sa culture.

Les souverainetés nationale et européenne sont complémentaires. Ne cachons pas la poussière migratoire sous le tapis européen, ne détournons pas le regard, mais engageons-nous résolument pour apporter une réponse à 360 degrés. La maîtrise de son destin est le coeur de toute Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC) Les confinements des dernières années ont mis un coup d'arrêt à la circulation des personnes. La pandémie est désormais sous contrôle, et les déplacements, légaux ou non, ont repris. Ils sont même en pleine expansion : environ 330 000 franchissements irréguliers de nos frontières communes l'année dernière. La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan et la situation en Syrie entretiennent ce phénomène.

En 2015, l'Union européenne avait délégué le contrôle de ses frontières à la Turquie d'Erdogan, qui l'avait utilisé comme moyen de pression. La libre circulation en Europe est une chance, mais également une menace.

Le budget de l'agence a été multiplié par neuf en moins de dix ans. Les États membres lui ont confié les moyens les plus importants dont une agence européenne ait jamais disposé. Elle devrait compter 10 000 agents d'ici quatre ans.

Les temps futurs s'annoncent difficiles. La situation en Biélorussie nous montre que les migrants peuvent être utilisés comme moyens de pression. Dans ce contexte, l'agence doit protéger les frontières sans porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants. L'Union européenne, puissance normative, ne peut admettre que le droit soit bafoué.

Cette proposition de résolution européenne appelant au renforcement des moyens de l'agence est équilibrée et nécessaire. Le GEST et le groupe SER ont tenu à exprimer leurs préoccupations légitimes quant au respect du droit des migrants, mais il ne faut pas perdre de vue la raison d'être de l'agence : protéger nos frontières.

Si la Hongrie a construit un mur de barbelés, si le Royaume-Uni a envisagé de renvoyer les migrants au Rwanda, si l'extrême droite est au pouvoir en Italie et le sera peut-être demain dans d'autres pays, c'est bien le signe que quelque chose ne va pas.

La politique migratoire doit pouvoir s'appuyer sur le socle des valeurs républicaines, comme la maîtrise de notre langue et de nos valeurs, la laïcité, l'égalité des hommes et des femmes. C'est une demande de nos concitoyens. La politique plus stricte mise en oeuvre au Danemark doit nous inspirer.

Frontex doit avoir le temps de monter en puissance pour intégrer ses nouvelles missions. Le contrôle politique est essentiel. Le groupe INDEP votera cette proposition de résolution européenne. (M. Jean-François Rapin applaudit.)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de la PFUE, le Gouvernement voulait rendre l'Europe plus humaine. Mais du slogan aux actes, comme souvent, il y a un fossé.

L'accueil des Ukrainiens a été sans faille, mais, en même temps, la France plaidait pour une surveillance accrue des frontières et le renforcement de la base de données biométriques Eurodac. Mes collègues écologistes du Parlement européen ont observé une continuité de la ligne brutale de la loi asile et immigration de 2018.

La guerre en Ukraine a démontré que des exilés pouvaient être accueillis dignement. Mais les Irakiens, les Afghans, sont affublés du terme de migrant. En Italie, Domenico Lucano, qui a choisi d'en accueillir dans sa commune, risque treize ans de prison...

Regardons la situation en face : 87 % des migrations se font dans un pays voisin. Seule donc une infime partie de ces personnes demande à être accueillie dans l'Union européenne. Mais, depuis des années, nous traitons les questions migratoires principalement par une surenchère sécuritaire. C'est une défaite morale. Des enfants meurent chaque jour, et personne ne peut dire qu'il ne sait pas.

Les 900 millions d'euros d'argent public alloués à Frontex chaque année pourraient financer une grande politique d'accueil. L'agence ne peut continuer à faire fi des demandes du Parlement européen. Ce qui se passe aux frontières de l'Union revient à nier la dignité humaine, avec le concours de Frontex.

Cette résolution adopte un vocabulaire militaire, alors que d'importants manquements ont été signalés tant par des ONG et des journalistes que par le Parlement européen. Qui a parlé des 48 647 personnes mortes aux frontières de l'Union européenne depuis trente ans ?

Permettre à Frontex de continuer avec les mêmes règles, c'est conforter des violations du droit. La France devrait plaider plutôt pour une refonte structurelle de l'agence. En refusant de voter la décharge budgétaire, des eurodéputés de tous bords ont exigé une rupture dans la culture interne et la pratique de l'agence.

Nous croyons en la capacité collective à faire des choix de solidarité. Tel est le sens de nos amendements. S'ils ne sont pas adoptés, nous voterons contre la proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) L'Union européenne comprend un espace de liberté, de sécurité et de justice : l'espace Schengen. Dans ce cadre, l'agence Frontex veille sur nos frontières extérieures.

Lorsqu'un État membre est confronté à des difficultés à ses frontières, l'agence garantit une action européenne. Depuis 2016, les missions de l'agence ont été étendues. Mais les flux migratoires n'ont cessé d'augmenter. Cette année, ils atteignent le niveau le plus élevé depuis 2016 : 330 000 entrées irrégulières, principalement par la route des Balkans.

L'agence a dû construire des capacités opérationnelles autonomes dans l'urgence, dans un contexte international tendu par l'instrumentalisation des flux migratoires par la Biélorussie et la crise ukrainienne. Ses moyens matériels et son budget ont augmenté fortement : 835 millions d'euros lui sont alloués pour 2023. Au même moment l'agence a subi des accusations en matière de respect des droits de l'homme.

Au regard de ces crises de confiance, la Commission européenne envisage de réviser le règlement européen définissant le mandat de Frontex. Nous ne le souhaitons pas, les derniers élargissements du mandat n'ayant pas été absorbés. Toute révision serait prématurée.

Les objectifs politiques, diplomatiques et juridiques de cette proposition de résolution européenne renforcent le pilotage politique de l'agence ; une évaluation rigoureuse de l'officier aux droits fondamentaux est indispensable. Une clarification est nécessaire pour que l'agence respecte les droits fondamentaux, en associant les parlementaires.

La mise en place d'un groupe de contrôle conjoint entre Parlement européen et parlements nationaux est une piste sérieuse. Mais nous avons une réserve sur le regret exprimé dans la proposition de résolution à l'égard du refus du Gouvernement de proposer un candidat au poste de directeur. L'influence française continue de porter ses fruits.

Cela étant dit, nous soutenons pleinement cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En 1995, l'espace Schengen était mis en oeuvre, posant le principe de la libre circulation en Europe. Mais chaque État membre restait responsable de la surveillance de sa part de frontières. Depuis 2015, avec Daech aux portes de l'Europe et la guerre au Proche-Orient qui a jeté des milliers de personnes sur les routes de l'exil, des évolutions sont intervenues : contrôles biométriques, système Etias, nouveau mandat de l'agence.

En 2023, Frontex bénéficiera de 845 millions d'euros pour assurer la libre circulation et la sécurité dans l'espace Schengen. Une crise de croissance a suivi la multiplication par huit de son budget et par trois de ses personnels.

Mais l'agence se heurte aussi à une crise plus systémique : elle n'est pas le garde-frontière de l'Europe, mais un prestataire de services pour les États, qui conservent leur souveraineté.

En 2021, la Pologne a géré seule, de manière choquante et non transparente, l'arrivée de migrants depuis la Biélorussie. Seuls les témoignages des habitants de la zone permettent de savoir comment la situation a été réglée. La Pologne n'a pas fait appel à Frontex, qui a des exigences en matière de droits fondamentaux.

En Grèce, des migrants ont été refoulés de manière absolument scandaleuse. Frontex a vu ces situations, mais l'agence agit toujours sous la responsabilité des États membres. Si la Grèce ne veut plus de l'agence, comment pourrons-nous surveiller la situation ?

Il faut être intransigeant en matière de respect des droits fondamentaux au sein de Frontex. Une plus grande indépendance doit être accordée à ceux qui font respecter les droits fondamentaux au sein de l'agence ; tout ne doit pas reposer sur le directeur de l'agence.

Frontex devrait aussi pouvoir accompagner des pays hors de l'Union européenne. Pour cela, elle doit être irréprochable. Il faut une autre organisation pour mieux faire respecter les droits fondamentaux au sein de l'agence, de manière plus indépendante.

Si nous partageons certaines orientations de la proposition de résolution européenne, comme la volonté d'un pilotage politique et d'un contrôle parlementaire renforcés, nous ne pourrons la voter si nos amendements ne sont pas adoptés. Car, en matière de droits fondamentaux, le texte ne va pas assez loin.

Frontex est essentielle, mais nous ne pouvons accepter que l'agence ne soit pas surveillée de manière indépendante et ne soit pas irréprochable, ce qui est le gage de son efficacité à long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) L'action de Frontex a été sévèrement mise en cause, et cette proposition de résolution européenne vise à soutenir l'agence ; elle minimise grandement les conséquences qu'il conviendrait de tirer de ces mises en cause, notamment de l'Office européen de lutte antifraude (Olaf).

On parle de crise de croissance, mais les dérives constatées viennent de la conception même des missions de l'agence : militarisation des frontières de l'Union européenne, politique d'accueil restrictive. Balafré de dix-neuf clôtures frontalières, l'espace Schengen prend de plus en plus l'apparence d'une forteresse assiégée.

Le rapport de l'Olaf pointe la complicité de l'agence dans l'abandon par la Grèce de migrants sur des îlots inhabitables. Chaque jour, une véritable crise humanitaire a lieu aux frontières de l'Europe : noyades, réseau de traites, mineurs refoulés, droit international bafoué.

Seules des politiques de migrations concertées dans le respect des droits fondamentaux pourraient changer la situation, et non l'augmentation des budgets. Arrêtons de dresser des murs toujours plus hauts et d'externaliser la gestion des frontières. Les politiques répressives n'arrêtent pas l'immigration, mais légalisent l'arbitraire et encouragent les flux irréguliers.

La démission de l'ancien directeur n'est qu'un symptôme d'un mal profond. Frontex manque cruellement de mécanismes de responsabilité. La proposition de résolution européenne minimise ce problème.

Laisser Frontex aller au bout de son mandat nous paraît bien insuffisant. Les manques constatés sont graves, les pays européens restent irresponsables. Tout cela n'est pas raisonnable. Nous voterons contre la proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le sujet des migrations est brûlant. Les défis de l'Europe face aux flux migratoires s'incarnent dans les mutations de Frontex. L'agence assure sa mission de surveillance, appuie les États dans la lutte contre la criminalité et assiste les pays tiers dans la gestion de leurs flux migratoires. Ses moyens humains et financiers ont augmenté de manière exponentielle.

La Cour des comptes européenne et l'Olaf ont pourtant mis à mal la crédibilité de l'agence, jusqu'à entraîner la démission de son directeur, Fabrice Leggeri. Les luttes d'influence internes au sein de l'Union européenne sont réelles : les positions des États membres divergent. Une clarification des missions est donc nécessaire.

Je salue le travail de MM. Rapin et Buffet, ainsi que du rapporteur de Belenet.

Le pilotage politique de Frontex a montré ses faiblesses : il faut des personnels plus expérimentés, contrôlés par le Parlement européen et les parlements nationaux, pour assurer une stabilité institutionnelle de l'agence.

Le mandat doit être clarifié. Des critères de recrutement plus clairs des officiers aux droits fondamentaux et des contrôleurs aux droits fondamentaux sont nécessaires. Le médiateur européen doit également intervenir.

En outre, l'agence doit disposer d'un processus d'alerte en cas de manquements au respect des droits fondamentaux de la part d'États membres, de manière encadrée.

La montée en puissance de Frontex doit aller de pair avec plus de transparence.

Les Hautes-Alpes ont vu entre 2019 et 2020 plus de 11 000 passages illégaux depuis l'Italie, notamment via le col de l'échelle, tristement célèbre malgré sa beauté. La route, très dangereuse, est exploitée par les passeurs. Certains meurent sur cette route, notamment en hiver. La pression migratoire locale est renforcée par l'inadéquation des moyens de la police aux frontières. Les associations chargées d'accompagner les migrants font face au même manque de moyens.

Soyons à la hauteur de nos idéaux. Il faut faire preuve d'humanité, sans être naïf. Frontex doit évoluer dans cette direction et trouver un meilleur équilibre entre efficacité et humanité.

Le groupe UC votera cette proposition de résolution européenne, tout en restant vigilant sur l'exigence d'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Esther Benbassa .  - En février 2022, l'ONU alertait l'Europe sur la normalisation des refoulements aux frontières. Le rapport d'Human Rights Watch est accablant pour l'agence : Frontex devient complice d'actes inhumains. L'Olaf dénonce des faits similaires en Albanie et à la frontière entre la Grèce et la Turquie.

Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Je ne partage pas l'avis du rapporteur : non, la première mission de Frontex n'est pas le contrôle efficace des frontières. Le respect des droits de l'homme doit primer toute considération idéologique.

Les drames s'enchaînent en Méditerranée : Lampedusa en 2013, plus de 800 morts en 2015, une trentaine depuis le début de l'année. Nous devons mesurer la gravité de l'échec de Frontex : 330 000 entrées irrégulières ont été enregistrées en 2022, et le système en place est incapable de gérer la situation. Résultat : de nombreuses personnes, dont beaucoup de mineurs, sont contraintes de vivre dans des conditions indignes, comme les 400 personnes livrées à elles-mêmes dans le campement de fortune de la porte d'Ivry.

Il est urgent de réformer Frontex : sa mission de contrôle est indissociable de sa mission de respect des droits fondamentaux. Sans un système d'asile et d'immigration harmonisé et fort, je redoute une nouvelle poussée extrémiste aux prochaines élections européennes. Je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Pierre Laurent et Jean-Yves Leconte applaudissent également.)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sans Frontex, que resterait-il de nos frontières extérieures de l'Union européenne ? Frontex est indispensable pour réguler les flux migratoires aux portes de l'Union européenne.

Ces dernières années, ces flux n'ont cessé de s'accroître. En 2019 et 2020, les tensions entre la Turquie et l'Union européenne se sont traduites par des risques de migrations. En 2021, une crise frontalière a éclaté avec la Biélorussie. En 2022, le conflit en Ukraine a provoqué d'importants déplacements de populations. Dans certains cas, il s'agit de tentatives de déstabilisation étrangères.

Plus importants sont les flux migratoires, plus forte doit être la réponse européenne. Frontex constitue un moyen de coordination de nos frontières et une force opérationnelle capable de se projeter pour soutenir les États. Sa finalité est de préserver l'ordre et la sécurité aux frontières de l'Union européenne.

Les défis se sont multipliés ces dernières années, en raison notamment du terrorisme international, qui rend nécessaire une plus grande vigilance, mais aussi de la criminalité transfrontalière et des trafics en zone frontalière. Les moyens et les capacités opérationnelles de Frontex ont été salutairement augmentés.

Nos frontières ne sont pas de simples zones d'accueil. L'élargissement du mandat de Frontex est une évidente nécessité. Les États membres ne peuvent faire face aux défis du continent tout entier.

La croissance naturelle de l'agence justifie l'adoption de cette proposition de résolution. Elle n'est pas seulement naturelle, mais logique, dans le prolongement de nos valeurs républicaines. En 1974, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Raymond Barre soulignait déjà la nécessité d'élargir notre attention vers la liberté, la responsabilité, la sécurité. Ne laissons pas croire que la liberté implique l'insécurité : c'est au contraire la sécurité qui implique la liberté.

La proposition de résolution européenne stabilise politiquement et juridiquement l'agence, dont le mandat doit être conservé. Frontex n'intervient qu'à la demande des États membres, elle doit non les surveiller, mais les soutenir. La lutte contre la criminalité transfrontalière doit être conduite dans les limites des États membres.

L'autorité de son futur directeur exécutif est liée à cette condition : réaffirmer notre soutien à cette agence, malgré les critiques.

Quelles sont les conclusions des rapports rendus sur Frontex ? Si l'agence n'a pas participé directement à des opérations de refoulement, si les cadres dirigeants se sont plaints de l'ignorance des enjeux opérationnels de l'agence, que manque-t-il sinon des moyens pour garantir le respect des droits fondamentaux ? Le code de conduite, les officiers aux droits fondamentaux ne suffisent pas : il faut continuer à fournir des moyens. Les recommandations convergent : transparence, renforcement du contrôle parlementaire, soutien renforcé à Frontex pour surmonter les crises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Claude Kern et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme Nathalie Delattre .  - Dans quelques semaines, nous examinerons le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration. La gestion des flux migratoires est un sujet majeur des dernières années, et les controverses récentes autour de Frontex n'ont pas apaisé le débat.

Pour reprendre les termes du Règlement européen de 2016 qui crée l'agence, la première mission de l'agence est de rendre plus efficace la gestion des frontières extérieures ; la seconde est de contribuer à l'application du droit de l'Union, notamment en matière de droits fondamentaux.

Ces deux missions ne sont pas incompatibles si elles sont menées avec la confiance des États membres.

C'est là que réside le vrai problème : une institution trouve sa légitimité dans les faits. Il y a unanimité pour souligner les manquements et les fautes de ces dernières années, corroborés par la démission de son directeur, accusé d'avoir couvert des refoulements de migrants entre la Grèce et la Turquie en 2020.

L'enjeu est de retrouver la confiance. Les moyens juridiques de Frontex sont importants, notamment pour contrôler les frontières et lutter contre les trafics, mais aussi pour organiser le retour des migrants illégaux.

L'agence sera dotée d'un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes d'ici 2027. Un avion de surveillance opère déjà dans la Manche. Un tel dispositif ne peut s'accompagner de tant de controverses.

Je rejoins les auteurs de cette proposition de résolution européenne sur le rôle des parlementaires nationaux, avec un groupe de contrôle sur le modèle d'Europol.

Le RDSE souligne souvent son attachement à l'Union européenne et à ses institutions. Mais le rôle des nations aussi est essentiel, car elles contribuent à réguler et à assurer une forme de confiance. L'agence est actuellement responsable devant le Conseil européen, mais un contrôle national la renforcerait.

Au RDSE, malgré certaines réserves, nous voterons cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe UC)

Discussion de la proposition de résolution

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_4.html

M. Jacques Fernique.  - La sécurisation des frontières doit passer par le rétablissement de l'espace Schengen et le renforcement de la solidarité entre les États membres pour un accueil digne.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Avis défavorable. Le contrôle des frontières n'est pas incompatible avec la qualité de l'accueil. De plus, l'amendement précise qu'il ne vaut que dans le cadre d'un fonctionnement normal de l'espace Schengen. Or la situation actuelle n'est pas normale, nous pouvons nous accorder là-dessus.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Un contrôle harmonisé est le corollaire de la libre circulation dans l'espace Schengen. C'est le sens du pacte sur la migration et l'asile proposé par la Commission européenne fin 2020, qui vise à améliorer la solidarité entre les États membres.

En revanche, y faire référence dans ce texte ne semble pas pertinent. Avis défavorable.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_5.html

M. Jacques Fernique.  - La France devrait plaider au Conseil européen pour une refonte structurelle de l'agence, en conformité avec la convention de Genève et son principe de non-refoulement des personnes aux frontières.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Cet amendement transformerait Frontex en organisme dédié au sauvetage en mer, ce qui ne va évidemment pas dans le sens de la proposition de résolution européenne.

L'amendement présente des contrefaits : tous les rapports, y compris du Parlement européen, ont conclu à l'absence d'action proactive de refoulement menée par Frontex ; quarante contrôleurs ont déjà été embauchés ; enfin, les mécanismes de contrôle interne ont été renforcés, sur préconisation de la médiatrice de l'Union européenne. Avis défavorable.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Le Gouvernement est attaché au principe de non-refoulement et aux droits fondamentaux des migrants, mais la refonte de Frontex semble prématurée : une évaluation du règlement de Frontex est en cours. Il présente les garanties nécessaires ; il faut se concentrer sur sa mise en oeuvre. Depuis fin 2022, 44 contrôleurs aux droits fondamentaux ont été recrutés ; le 19 avril 2021, un nouveau mécanisme de signalement des incidents en matière de respect des droits de l'homme a été adopté.

Pour Frontex, l'enjeu est la pleine mise en oeuvre de son mandat de 2019 : il faut le stabiliser pour que l'agence l'exerce pleinement et sereinement.

Les discussions sur les opérations de sauvetage, essentielles, ont lieu au niveau européen. Cette question dépasse le cadre de Frontex, et doit être traitée avec toutes les parties prenantes. Avis défavorable.

M. Guillaume Gontard.  - J'ai besoin d'une précision. Le rapporteur et le ministre ont indiqué que les contrôleurs aux droits fondamentaux ont déjà été nommés ; d'où l'intérêt de l'inscrire dans la résolution, pour clarifier les orientations de Frontex. Quel est le point de blocage ?

L'autre proposition est que la France porte les recommandations du groupe de contrôle de Frontex dans son rapport de juillet 2021. Là encore, si c'est déjà fait et que vous êtes d'accord, pourquoi ne pas l'inscrire dans le texte ?

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_1.html

M. Jean-Yves Leconte.  - Comme cela a été rappelé au cours de la discussion générale, une indépendance stricte de l'officier aux droits fondamentaux est nécessaire. Or il doit rendre des comptes devant le conseil d'administration qui, par ailleurs, est responsable de son évaluation professionnelle... Il faut corriger cela, pour éviter que la crise traversée par Frontex ne se reproduise.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Avis défavorable. La commission a trouvé un équilibre que nous souhaitons conserver.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Avis favorable. Le Gouvernement est favorable à l'indépendance de l'officier aux droits fondamentaux et des contrôleurs aux droits fondamentaux. Le règlement de Frontex prévoit déjà qu'ils agissent en toute indépendance. Le conseil d'administration ne saurait procéder à leur évaluation professionnelle. Cela n'exclut pas que l'officier aux droits fondamentaux lui rende des comptes.

Par ailleurs, si l'expérience des garde-frontières peut être utile pour les contrôleurs aux droits fondamentaux, ce ne peut être une compétence préalable. D'autres compétences, comme une maîtrise des enjeux internationaux, sont importantes.

Le nouvel officier aux droits fondamentaux a pris ses fonctions en juin 2021. Une telle recommandation jetterait un doute sur sa légitimité et celle des 45 contrôleurs aux droits fondamentaux recrutés.

M. Jean-François Rapin.  - Au contraire, une évaluation sérieuse de l'officier aux droits fondamentaux conforterait son indépendance. C'est de ne pas le former qui n'y contribuerait pas.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Il est nommé. Il est trop tard !

M. Jean-François Rapin.  - Rien n'empêche la formation professionnelle.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°127 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption 129
Contre 215

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_2.html

M. Jean-Yves Leconte.  - « La mission de Frontex n'est en aucun cas de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux », dit l'alinéa 46. Mais dans tous les cas, elle doit veiller au respect des droits fondamentaux ! Il n'est pas acceptable de laisser cet alinéa dans le texte.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Ce n'est pas une question de hiérarchie : Frontex n'a simplement pas à surveiller l'action des États membres. Pour autant, l'article 10 du règlement de l'agence lui donne un mandat clair sur ce point : les agents doivent signaler les manquements, et l'article 46 l'autorise même à se désengager d'une opération conjointe avec un État membre.

En revanche, nous sommes d'accord avec la seconde partie. Nous avions donné un avis favorable en commission sous réserve de la suppression de la première partie. L'auteur ayant souhaité conserver le texte initial, avis défavorable.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Nous partageons totalement l'avis du rapporteur. Sagesse, si l'amendement n'est pas rectifié.

M. Jean-Yves Leconte.  - Je rectifie l'amendement selon les recommandations du rapporteur, même si cela ne changera pas notre vote sur l'ensemble de la proposition de résolution européenne. Frontex doit pourtant surveiller les manquements des États membres.

M. le président.  - L'amendement n°2 rectifié devient ainsi l'amendement n°2 rectifié bis.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Avis favorable.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Sagesse.

L'amendement n°2 rectifié bis est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_3.html

M. Jean-Yves Leconte.  - Frontex a systématiquement agi sous la responsabilité des États membres, mais il n'est pas raisonnable de préciser que les personnels de Frontex ne sauraient être tenus responsables d'actions commises par les États partenaires. Cela reviendrait à une immunité pour les personnels de Frontex.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Cette fois-ci, avis défavorable, clairement et totalement. La proposition de résolution européenne ne prévoit aucune immunité. Les alinéas 45 et 46 sont clairs : les responsabilités de chacun sont dissociées. En revanche, les manquements commis par d'autres ne peuvent engager la responsabilité des agents de Frontex ; ces derniers ne sont pas immunisés pour des poursuites dont ils seraient les auteurs, mais ils sont traités de la même manière que les agents de l'État hôte. Ils ne sont pas exonérés de rapporter les manquements qu'ils constateraient.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La responsabilité civile et pénale des équipes est déjà encadrée par le règlement de Frontex et les statuts des agents de l'Union européenne. Il n'est pas question d'immunité. Les personnels sont en revanche tenus à un strict code de conduite, et doivent signaler toute violation des droits fondamentaux des personnes. Une action litigieuse peut être engagée sur ce point. Ainsi le texte de la proposition de résolution européenne est équilibré. Avis défavorable.

M. Jean-Yves Leconte.  - Suite aux précisions du ministre, je le retire.

L'amendement n°3 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°6 présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme Mélanie Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_6.html

M. Jacques Fernique.  - Frontex est l'agence la plus dotée de l'Union européenne, or elle pose problème, comme l'Olaf l'a souligné. L'argent engagé doit financer une vraie politique d'accueil des migrants, compatible avec les valeurs fondatrices de l'Union européenne.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Voilà qui est totalement antagoniste avec l'esprit de la proposition de résolution européenne. Avis défavorable.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - La plupart des dispositions de l'amendement sont déjà prévues dans le droit de l'Union, ou font l'objet de négociations au sein du pacte européen sur la migration et l'asile de 2020. Ces propositions n'ont pas leur place ici.

Les frontières internes ne relèvent pas du mandat de l'agence ; la rédaction de l'amendement est floue sur ce point. Avis défavorable.

M. Jacques Fernique.  - Je suis perplexe : notre amendement reçoit deux avis défavorables pour deux raisons opposées.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Je maintiens la mienne !

M. Jacques Fernique.  - Pour l'un, notre amendement est antagoniste avec les missions de Frontex, pour l'autre, il liste des missions déjà dévolues à Frontex...

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme Mélanie Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/298/Amdt_7.html

M. Jacques Fernique.  - La politique d'externalisation de la gestion des frontières par les États membres leur permet de se dégager de leurs obligations en matière de droits fondamentaux. La sous-traitance encourage les atteintes à ces droits. Après l'échec patent de Dublin, il faut une politique d'accueil plus solidaire et un régime commun de l'asile européen.

M. Arnaud de Belenet, rapporteur.  - Avis défavorable.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué.  - Cet amendement est purement politique, il n'a pas sa place ici.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

Explications de vote

M. François-Noël Buffet .  - Cette proposition de résolution européenne marque la nécessité d'un équilibre. Il y a en réalité deux lois qui s'appliquent à l'immigration en France : la loi nationale et la réglementation européenne. Nous prenons acte de la volonté du Gouvernement au niveau national, mais il faut aussi des échanges européens.

Frontex doit retrouver une organisation apaisée, dans les limites de sa mission première. M'étant rendu à Lesbos et Lampedusa voici quelques années, je n'avais pas observé les difficultés vécues depuis en Grèce. Il faut aussi savoir faire confiance à l'institution.

M. Jean-Yves Leconte .  - Nous voterons contre cette proposition de résolution européenne, car elle ne marque pas suffisamment l'indépendance des contrôleurs aux droits fondamentaux, pourtant essentielle pour sortir de la crise. Frontex n'intervient que sous la responsabilité des États membres. Une indépendance totale est absolument nécessaire. Cette proposition de résolution européenne ne trace pas la voie pertinente.

M. Jean-François Rapin .  - Cette proposition de résolution européenne a été adoptée en commission des affaires européennes. Si elle est votée par le Sénat, le Gouvernement devra en tenir compte.

Les événements des dernières heures nous invitent à la vigilance : le séisme en Turquie et en Syrie a fait de nombreux morts et plongé de nombreuses personnes dans la rue ; un afflux migratoire important est possible, et nous aurons besoin des agents de Frontex.

Mme Esther Benbassa.  - De la décence !

M. Jean-François Rapin.  - Je vous ai laissée vous exprimer, je vous invite à en faire de même à mon égard. J'ai vu les contrôleurs travailler : il faut leur faire confiance. L'agence prend les mesures nécessaires pour faire respecter le droit.

En application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), l'ensemble de la proposition de résolution européenne est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°128 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption 252
Contre   92

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - En application de l'article 73 quinquies, alinéa 4, du Règlement, la résolution que le Sénat vient d'adopter sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.

Prochaine séance demain, jeudi 9 février 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 45.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 9 février 2023

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président, M. Pierre Laurent, vice-président

Secrétaires : Mme Martine Filleul - M. Jacques Grosperrin

1. 22 questions orales

2. Débat sur le thème « L'État territorial, entre mirage et réalité » (demande de la délégation aux collectivités territoriales)