Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution.

Rappel au Règlement

Mme Éliane Assassi.  - À l'orée d'un débat qui engage l'avenir de notre peuple, voici les principes qui guideront notre groupe.

M. Emmanuel Capus.  - Quel article ?

Mme Éliane Assassi.  - Article 42. Nous exigeons, comme des millions d'actifs et l'ensemble des syndicats, le retrait de ce projet de loi. Il est de notre devoir de nous y opposer vivement. On ne peut ignorer la colère froide, massive, déterminée du pays. Le débat doit avoir lieu et notre groupe utilisera tous les moyens constitutionnels pour relayer les préoccupations populaires.

M. Bruno Sido.  - Nous aussi.

Mme Éliane Assassi.  - Le droit d'amendement, la liberté de parole, le droit d'opposition sont des principes démocratiques. La sérénité et la force sont de notre côté, la fébrilité du côté de ceux qui menacent de raccourcir le débat par des procédures. (M. Roger Karoutchi s'amuse.) N'ayons pas peur du débat et écoutons le peuple.

Monsieur le Président, je vous demande solennellement de faire respecter nos droits constitutionnels. Le Gouvernement n'a pas voulu d'un vrai débat et détourne la Constitution. Le Sénat, sa majorité, son président, ne doivent pas l'accompagner dans cette partition dangereuse pour la démocratie. (Applaudissements à gauche)

M. le Président.   - Acte est donné de votre rappel au règlement.

Discussion générale

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous y sommes, enfin. Je suis particulièrement heureux de vous présenter cette réforme, à laquelle je crois profondément.

J'y crois parce qu'elle sortira notre système par répartition de son état déficitaire en évitant de faire peser ce poids - 12,5 milliards d'euros par an dès 2027, 20 milliards en 2035 et 25 milliards en 2040 - sur les générations futures. Il s'agit, en dix ans, de 150 milliards de dette supplémentaire... Nous devons rester attentifs à l'équilibre.

J'y crois parce que cette réforme rendra notre système plus juste, en répondant à des attentes de longue date des Français.

J'y crois parce que c'est une promesse tenue, celle de continuer à transformer le pays. Bien sûr, j'entends les contestations : tous ceux qui ont élu le Président de la République n'ont pas voté pour cette réforme ; certains ont voté pour lui malgré elle, et d'autres ont voté contre lui à cause d'elle. Cependant, elle a toujours été assumée. Elle s'inscrit dans la droite ligne des engagements pris depuis 2017 selon lesquels le travail est la meilleure réponse aux difficultés du pays, pour retrouver de l'autonomie, de la dignité et pour lutter contre la pauvreté.

Toutes les réformes des retraites sont difficiles : le sujet est complexe et son opacité cache bien des imperfections. Réformer les retraites est toujours une gageure : un funambule n'y verrait pas un chemin aisé. Le seul chemin, c'est le débat et le dialogue républicains. La concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques a eu lieu. Des désaccords subsistent, mais nous avons obtenu des avancées sur l'emploi des seniors et les carrières longues. Le débat est toujours fécond et le consensus possible.

Nous ne sommes pas dans le déni : travailler deux ans de plus pour sauver le système par répartition et financer de nouveaux droits, cela reste un effort, qui bouscule des projets de vie. Il s'agit de notre rapport au travail. Liquider sa pension peut être perçu comme un solde de tout compte, qui implique de reconstituer sa carrière. Pour certains ce sont de bons souvenirs, pour d'autres une délivrance.

Cette réforme interroge notre rapport au travail. Elle contribue à poser les bases d'une nouvelle société du travail, dans la continuité de chantiers engagés avec la loi sur le pouvoir d'achat, la réforme de l'assurance chômage et le futur projet de loi pour l'emploi, le travail et la formation. L'objectif est le plein emploi, mais aussi le bon emploi.

Faire cette réforme, c'est avoir le courage de la mener. D'autres ne l'ont pas eu. Nous l'assumons et avançons.

Mes anciennes fonctions, de maire, de député et de ministre m'ont appris que l'équilibre budgétaire détermine notre capacité à agir et celle de nos successeurs. Je sais que vous êtes nombreux à partager cette certitude, j'en serai le garant.

Les moyens ne sont pas une fin. L'objet de la réforme n'est pas uniquement l'équilibre, mais le constat d'un déficit structurel demeure. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) le dit : les 25 prochaines années seront déficitaires. Se soucier exclusivement des dépenses sans se préoccuper des recettes, c'est de l'incurie financière. Certains se satisfont du déficit : ils trahissent les prochaines générations et dénaturent notre système protecteur des retraites.

Nous préférons demander un effort à ceux qui le peuvent, comme votre majorité le propose depuis des années.

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse.  - Très bien !

Mme Michèle Meunier.  - Pas nous !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Ainsi, nous atteindrons 64 ans en 2030 tout en accélérant la réforme Touraine afin d'atteindre 43 ans de cotisation à la fin du quinquennat. L'âge d'annulation de la décote reste à 67 ans. Alors que le taux d'emploi bat des records, la hausse du volume de travail dans notre société apportera des réponses efficaces et justes. Nous reconnaissons ce qui vient du Sénat. (Sourires au banc des commissions)

D'autres réformes des retraites ont eu lieu par le passé. Elles ont toutes relevé l'âge ou la durée de cotisation, n'ont jamais été remises en cause et ont toutes eu pour objet l'équilibre et non la création de nouveaux droits. Notre réforme s'en distingue donc en finançant massivement de nouveaux droits. Améliorer sans équilibrer serait irresponsable, l'inverse serait injuste. C'est ainsi que 6 milliards d'euros seront consacrés à des mesures de justice et de solidarité.

L'impact de ces mesures sur les comptes sociaux dès 2023 justifie leur inscription dans un PLFRSS.

Certains contestent l'évidence d'une telle réforme. Mais leurs propositions se heurtent toutes à un mur de contradictions. 

D'aucuns proposent le retour aux 60 ans sans toucher aux 43 annuités : il faudrait alors soit travailler le plus tôt possible soit créer une machine à décotes, à petites pensions, donc à pauvreté.

D'autres veulent le retour aux 60 ans en réduisant la durée de cotisation : mais où trouver 85 milliards d'euros par an ? Bon courage ! (Mme Éliane Assassi et M. Pierre Laurent protestent.) Un tel projet, critiqué jusque dans vos rangs, est mortifère.

Tous ces projets alternatifs manquent de sérieux. Comment contester l'existence d'un déficit tout en demandant des milliards d'euros de recettes ?

M. David Assouline.  - Et les bénéfices de Total ?

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Comment prôner l'égalité tout en défendant les régimes spéciaux ? (Protestations à gauche)

Notre réforme est équilibrée...

Mme Monique Lubin.  - D'un seul côté !

Mme Corinne Féret.  - Elle est injuste !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - C'est une réforme de justice. (Vives protestations et marques d'ironie à gauche) Nous améliorons la prise en compte des carrières longues et du congé parental, protégeons ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans. Sans dénaturer le système : la durée de cotisation reste un plancher.

Nous nous préoccupons aussi des plus fragiles : les personnes en situation de handicap pourront partir dès 55 ans ; les travailleurs invalides ou inaptes continueront à percevoir une retraite à taux plein dès 62 ans ; nous maintenons le dispositif de départ anticipé à 50 ans pour les salariés exposés à l'amiante.

Nous complétons la première des lois Chassaigne pour considérer comme complète la carrière des exploitants agricoles interrompue pour inaptitude ou invalidité ; cette mesure concernera 45 000 personnes.

Nous créons aussi l'assurance vieillesse des aidants, pour compenser leurs interruptions de carrière par l'attribution de droits nouveaux.

Nous entendons créer de nouveaux droits, avec une meilleure prise en compte de la pénibilité. L'accès au compte professionnel de prévention (C2P) et les droits acquis sont renforcés. Un congé de reconversion est créé. Les branches devront négocier des accords de prévention de l'usure professionnelle. Un fonds de 1 milliard d'euros sur cinq ans en assurera le financement.

Nous renforçons aussi le suivi médical au-delà de 45 ans, pour garantir la possibilité d'un départ anticipé, avec notamment une visite à 61 ans. Autant de promesses de partir à la retraite en meilleure santé.

S'y ajouteront des progrès sur les petites pensions : 100 euros de plus pour une carrière complète au niveau du Smic. (Marques d'ironie à gauche)

Mme Raymonde Poncet Monge.  - À taux plein !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - J'y insiste : cela valorise le travail et respecte la nature de notre système. Il ne s'agit pas de minima sociaux : le système de retraite ne distribue pas de pension supérieure au salaire. Il faut une saine différence entre l'assurance contributive et le minimum vieillesse. Ils seront 1,8 million de retraités actuels à en bénéficier, pour la moitié d'entre eux de 70 à 100 euros. (Mme Corinne Féret est dubitative.) On en parle depuis 20 ans : aucune majorité n'a prévu d'indexation pour respecter le minimum de 85 % du Smic.

J'en viens aux régimes spéciaux. Ils ont leur histoire, ont eu leur raison d'être,...

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Ils étaient les pionniers !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - ... mais ne se justifient plus. Il faut effacer des différences incompréhensibles : les agents de conduite partent à 56 ans en Île-de-France, à 62 ans ailleurs. (Protestations à gauche)

Nous assurerons la solvabilité des caisses, comme nous l'avons fait pour la SNCF. Les salariés actuels continueront à bénéficier du régime spécial, mais chaque entreprise devra négocier la période de convergence pour relever l'âge d'ouverture des droits de deux ans.

Place au débat au Sénat, puisque l'Assemblée nationale n'a pas permis de discuter de toutes les propositions, concernant notamment les pompiers volontaires, les enseignants, les apprentis, Mayotte, le rachat de trimestres de stage ou d'études. Nous déposerons et soutiendrons des amendements sur ces sujets.

Nous entendons aussi ouvrir le débat sur les droits familiaux. Le système devait compenser les trimestres non cotisés, mais la hausse du taux d'emploi des femmes change la donne. Il ne s'agit plus tant des interruptions subies que de l'égalité dans les salaires et l'accès à la promotion. Le PLFSS pour 2024 permettra des avancées, mais cela ne nous empêche pas d'apporter de premières réponses. Je pense à la surcote que votre commission a adoptée et que nous examinons avec intérêt, en veillant toutefois à son coût. Je pense aussi à l'initiative du président Retailleau (marques d'approbation à droite) sur la pension de réversion des orphelins, que nous soutiendrons.

Telle est la réforme que nous vous proposons. Je compte sur le Sénat pour l'améliorer, vous trouverez toujours auprès du Gouvernement une oreille attentive. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Pierre Louault et Bernard Fialaire, ainsi que Mmes Évelyne Perrot et Véronique Guillotin, applaudissent également.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.) Notre objectif est simple : un compromis clair pour la retraite des Français. (Ironie à gauche)

M. Fabien Gay.  - Compromis ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Il s'agit de payer leurs retraites sans impôt en plus ni retraite en moins.

C'est le cycle naturel des lois financières : après l'Assemblée nationale, le Sénat.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Constitutionnel !

M. Bernard Jomier.  - C'est donc bien une loi financière.

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Par-delà les divergences politiques et les oppositions de fond, ici, on s'écoute, on débat. (On ironise à gauche.) Par-delà les parcours, on se respecte. II n'y a pas de ZAD ici, que la République ! J'espère qu'après le vacarme et l'obstruction des extrêmes, s'ouvre le temps de la sagesse et de la raison.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Quel mépris pour les députés ! (M. David Assouline et Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie renchérissent.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Des 100 heures de débat à l'Assemblée nationale, qu'est-il sorti de bon pour les Français ?

M. Emmanuel Capus.  - Rien !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Les Français se sont fait leur avis, sans nous attendre. (Marques d'irritation à gauche)

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Ça, c'est sûr !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Notre boussole est l'intérêt général et l'intérêt des Français. Elle tient en quatre points : payer sereinement les retraites de bientôt 20 millions de retraités ; ne pas faire perdre un euro de pouvoir d'achat aux Français...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il ne fait que baisser !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - ... équilibrer notre système de retraite ; et prendre en compte la situation de chacun.

Tel est le cadre au sein duquel nous sommes ouverts au compromis. L'intérêt général, c'est de permettre à chacun de compter sereinement sur la retraite à laquelle il a droit, ni plus ni moins. C'est du bon sens : à la fin d'une vie de travail, on a droit à sa retraite. Au fond, la classe moyenne, ce sont les Français qui n'ont que leur travail pour vivre et qui ont, trop souvent, le sentiment de travailler pour ceux qui font le choix de ne pas travailler. (Protestations indignées à gauche)

Mme Laurence Rossignol.  - C'est de la provocation !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - C'est pour eux que nous agissons, que nous présentons ce texte. Je lance donc un appel : engageons-nous dans ce débat sans faux-semblants ni postures politiques. (Exclamations à gauche)

M. Rémi Féraud.  - Et sans cynisme !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Je lance un appel au compromis entre les majorités sénatoriale et présidentielle. Je lance un appel à la cohérence : la majorité sénatoriale a tant voulu cette réforme.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est la leur !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Je lance un appel à la responsabilité : augmenter les impôts, ce n'est pas la solution. Celui qui paie, c'est le contribuable.

J'en appelle donc au Sénat : débattons, amendons, mais votons ce texte. Car garantir aux Français que leurs retraites seront payées, ce n'est ni de gauche, ni du centre, ni de droite : c'est d'intérêt général.

Plusieurs voix à gauche.  - C'est de droite !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - La progression du débat a permis de trouver des points de convergences politiques intéressants. (M. Fabien Gay proteste.) Désormais, plus personne ne remet en question le problème de financement.

Mme Laurence Rossignol  - Si !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Même la Nupes le reconnaît : c'est un progrès. (Protestations sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

Quelque 12 millions de retraités en 2002, 20 millions en 2030. Face à un tel choc démographique, tous les pays ont réformé leur système. (Mme Michelle Gréaume et M. David Assouline protestent.)

M. Mickaël Vallet.  - Tant pis pour eux !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Les travaux de vos commissions témoignent d'une volonté sincère d'avancer : nous serons à leurs côtés.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est sûr...

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Le contexte social nous oblige collectivement : il n'est pas question d'enlever un euro de pouvoir d'achat aux Français qui travaillent ni aux retraités. Nous nous opposerons de toutes nos forces à toutes les augmentations de taxes. Ainsi des heures supplémentaires, mais aussi des petites successions. À l'Assemblée nationale, la Nupes a proposé de taxer toutes les successions, celles des Français qui ont travaillé toute leur vie !

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est faux !

M. Étienne Blanc.  - Quel scandale !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - On nous a proposé d'augmenter les charges des petits artisans.

M. Mickaël Vallet.  - Les cotisations, pas les charges !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Un boulanger employant trois salariés au Smic aurait dû en licencier un pour payer ses charges ! (Vives protestations à gauche ; marques d'approbation à droite)

Notre conviction, c'est que c'est le travail qui produit la richesse, pas les nouveaux impôts. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Notre système est injuste, il faut le corriger : pour les métiers pénibles, les femmes, les petites retraites.

Voilà les points d'accord partagés (Ironie à gauche), nous sommes prêts à travailler dessus pour aboutir à un compromis. Notre volonté est réelle et sincère. Mais je suis lucide : si l'Assemblée nationale a été la chambre des divergences brutales, le Sénat ne sera pas pour autant celle des convergences miraculeuses. (Ironie à gauche)

Le compromis se construit par la cohérence. Si les parlementaires qui soutiennent un recul progressif de l'âge légal votent la réforme, nous y parviendrons. Je ne doute pas que la majorité sénatoriale aura le mérite de la cohérence, après celui de la constance. Le projet du Gouvernement et celui que la majorité sénatoriale défend de longue date sont proches : report de l'âge légal de départ à 64 ans et accélération de l'allongement de la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein.

Je salue cet esprit de responsabilité dans un jeu politique où de trop nombreux responsables choisissent d'ignorer le danger qui pèse sur nos finances publiques.

Un compromis est possible au Sénat. Or la force du compromis vaut toujours mieux que le fait accompli.

L'équilibre financier n'est pas négociable. Nous ne pouvons pas nous permettre de le menacer. Il ne s'agit pas d'une variable d'ajustement, mais du moteur de la réforme.

La responsabilité d'un ministre des comptes publics, c'est de dire la vérité sur les chiffres. Le texte venu de l'Assemblée nationale est à l'équilibre. Mais certains amendements adoptés en commission sont coûteux. Nous devrons donc en discuter. Je pense notamment à l'amendement créant une surcote dont l'évaluation en cours laisse supposer un coût très important ; à celui maintenant le départ anticipé pour incapacité permanente à 60 ans, 250 millions d'euros à horizon 2030 ; à celui maintenant l'âge d'éligibilité à la retraite progressive à 60 ans, 100 millions d'euros en 2030 ; à celui qui instaure un CDI de fin de carrière, 800 millions d'euros. Si l'on additionne ces coûts, l'objectif d'équilibre en 2030 s'éloigne. Or nous voulons respecter cet équilibre.

Parler de dépenses supplémentaires n'a jamais été tabou, mais une réforme ne revenant pas à l'équilibre serait inacceptable, voire contre-productive. L'équilibre financier n'est pas une fin en soi...

M. David Assouline.  - Alors ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - ... mais il faut pouvoir payer les retraites.

Sachez que nous progressons dans la lutte contre la fraude : il n'y aura plus de versement sur des comptes étrangers à partir de juillet prochain. Les caisses auront accès au Fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba). Nous avons démantelé un réseau lituanien de fraude au RIB. Nous développons des outils biométriques pour le 1,1 million de retraités à l'étranger, avec un décret en cours d'examen à la Cnil. Nous prenons toutes les mesures pour assurer le paiement au juste droit. (M. Sébastien Meurant s'en félicite ; M. Mickaël Vallet proteste.) N'ajoutons pas au déficit structurel un déficit dû aux fraudeurs.

Mme Céline Boulay-Espéronnier.  - Très bien !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Je ferai preuve d'écoute et d'ouverture. (Marques d'ironie à gauche)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - D'ouverture à droite !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - J'ai appelé à un compromis politique au service des Français. Nous devons entendre leur appel (vives exclamations à gauche), car ils ont l'impression de n'être ni entendus ni défendus. À nous de leur prouver le contraire. Discutons et avançons, pour eux. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe UC)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains) Depuis 2020, la commission des affaires sociales a souvent réclamé au Gouvernement le dépôt d'un PLFRSS, afin que le Parlement s'exprime sur les déséquilibres des comptes sociaux. Trois années de suite, les prévisions se sont révélées caduques, en recettes comme en dépenses.

Voilà enfin un collectif social, mais sur la réforme des retraites. Cet apparent paradoxe justifie le dépôt d'une motion d'irrecevabilité constitutionnelle, mais la réforme a toute sa place dans un tel texte : j'en veux pour preuve la proposition de réforme du régime portée depuis plusieurs années par notre commission des affaires sociales. Si l'effet de la présente réforme sur les comptes sociaux de 2023 est mineur, l'impact sera majeur à terme.

Le Gouvernement n'a pas fait évoluer les prévisions macroéconomiques du PLFSS pour 2023 ; il ne fait que tirer les conséquences de la réforme sur le solde de l'année en cours. Celles-ci sont faibles et se résument à une légère dégradation, de l'ordre de 400 millions d'euros : la majoration des minima de pension coûtera 600 millions d'euros en 2023, mais une économie de 200 millions d'euros est attendue grâce au relèvement des bornes d'âge à compter du 1er septembre.

Au total, le déficit consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) passerait de 7,1 à 7,5 milliards d'euros. Le Gouvernement a proposé d'augmenter l'Ondam pour 2023 de 750 millions d'euros, mais l'Assemblée nationale n'a pas examiné l'amendement. Monsieur le ministre, pourquoi une telle modification, alors qu'en novembre, vous prétendiez que l'Ondam était bien calibré, contre l'avis du Sénat ?

À titre personnel, je souscris à l'objectif de rétablir l'équilibre du système des retraites à terme. C'est cohérent avec notre position. On ne peut pas en dire autant du Gouvernement, qui a d'abord proposé de refonder le système sans objectif financier, puis de refonder le système en l'assortissant d'un âge pivot, puis de le réformer de façon paramétrique afin de financer toute sorte de dépenses publiques et finalement de présenter une réforme paramétrique pour équilibrer le seul système de retraites, comme le préconisait le Sénat. Difficile de reprocher à nos concitoyens d'avoir du mal à s'y retrouver... La pédagogie naît de la répétition, pas des changements de pied !

Sans réforme, le déficit serait de 13,5 milliards d'euros par an en 2030 ; son cumul mettrait en péril le système par répartition créé à la Libération.

Le relèvement de l'âge de départ et l'accélération de la durée de cotisation rapporteraient 17,7 milliards en 2030, soit un excédent théorique de 4,2 milliards. Mais le projet de loi propose des mesures d'accompagnement à hauteur de 5,9 milliards d'euros. Le manque à gagner de 1,7 milliard est financé par l'augmentation de deux cotisations patronales. Voici donc un projet tout juste à l'équilibre, fondé sur des hypothèses optimistes.

Une seule mesure votée par l'Assemblée nationale a permis d'améliorer le solde : l'article 2 bis, pour un rendement de 300 millions d'euros. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé des amendements qui auraient coûté 850 millions d'euros s'ils avaient été adoptés. C'est dire si nos marges de manoeuvre sont faibles. Mais il ne serait pas responsable de voter une réforme qui suscite tant d'émoi sans rétablir la trajectoire budgétaire de notre système de retraite.

M. Pierre Laurent.  - On n'est pas obligé de l'accepter !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - La vraie générosité pour les générations futures consiste à leur léguer un système de retraite solide, dans lequel elles peuvent avoir confiance.

L'article 1er supprime les régimes spéciaux en respectant la clause du grand-père. Les régimes concernés se caractérisent par un déséquilibre financé soit par un abondement de l'État ou de l'employeur, soit par une taxe spécifique. Nous en resterons là.

Je vous proposerai de supprimer l'article 1er bis, qui prévoit un rapport.

Nous sommes satisfaits de l'article 3, qui prévoit l'abandon du projet de transfert de l'activité de recouvrement de l'Agirc-Arrco (Association générale des institutions de retraite des cadres - Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) et de la Caisse des dépôts et consignations aux Urssaf.

Je vous proposerai un amendement sur la compensation intégrale par l'État, dès cette année, des surcoûts engendrés par l'augmentation des cotisations patronales pour la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

L'abbé Pierre disait (on se scandalise à gauche) : « La responsabilité de chacun implique deux actes : vouloir savoir et oser dire ».

Mme Céline Boulay-Espéronnier.  - Bravo !

Mme Éliane Assassi.  - Il aurait été contre la réforme !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - Nous devons comprendre et débattre. Le Sénat saura se montrer à la hauteur de ces enjeux. (Applaudissements des travées du RDPI jusqu'aux travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Gatel.  - Bravo !

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) La voilà enfin, cette réforme si longtemps repoussée !

M. David Assouline.  - Vous l'attendiez !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - La voilà reprise par le Gouvernement, cette proposition sénatoriale votée année après année, contre l'avis de ce gouvernement, depuis 2018. Pourquoi ne s'y est-il pas rallié dès le début ? Que de temps perdu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire... (Rires au banc des commissions)

Les déficits sont de plus en plus abyssaux, leur redressement est impératif. La commission approuve donc l'article 7 : le recul à 43 annuités voté par la gauche de cet hémicycle...

M. Éric Bocquet.  - Pas nous !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - ... et le recul de l'âge voté par la droite de cet hémicycle. (Sourires à droite) Il ne faut pas oublier les plus fragiles. (M. Pierre Laurent s'exclame.) La commission vous propose donc d'aménager l'article 8 en accordant une surcote de 5 % aux assurés ayant cotisé un trimestre au titre d'un enfant.

M. David Assouline.  - Mais ils en ont dix aujourd'hui !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Cela améliorera la situation des mères de famille et réduira les écarts de pensions entre les hommes et les femmes.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et les salaires ?

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - C'est de la natalité que dépend l'équilibre financier d'un tel système. (Marques d'ironie à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Laurent.  - Et les salaires ?

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Nous ne pouvons demander davantage à nos concitoyens, qui supportent les agissements de ceux qui ne respectent pas la générosité de notre modèle social.

Mme Laurence Cohen.  - Mais quelle générosité ?

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - L'usage de la biométrie pour les retraités à l'étranger est bienvenu. (Mme Valérie Boyer applaudit.)

Il faut aussi améliorer la prévention de l'usure professionnelle et compenser les effets de la pénibilité. La commission propose donc, à l'article 9, de maintenir à 60 ans l'âge de départ à la retraite pour les personnes victimes de maladies professionnelles ou exposées à des facteurs de pénibilité.

Les améliorations proposées pour le C2P vont dans le bon sens, de même que la prise en compte des facteurs de risques ergonomiques et la création d'un fonds d'investissement. La commission propose d'y inclure les agents chimiques, exclus en 2017.

Grâce à l'article 10, les retraités bénéficieront de la solidarité nationale, après plusieurs années de sous-indexation des pensions sur l'inflation. Les pensions liquidées à partir du 1er septembre prochain seront revalorisées à hauteur de 100 euros, et portées à 85 % du Smic net pour une carrière complète au niveau du Smic - j'y insiste.

Pour les retraités actuels, une revalorisation de pension sera aussi versée pour les assurés justifiant d'au moins 120 trimestres. Nous le réclamions, nous l'avons obtenu.

La commission proposera, dans la même logique, d'ouvrir la majoration de pension des parents d'au moins trois enfants aux professionnels libéraux, dont les avocats.

L'article 11 prévoit la prise en compte des travaux d'utilité collective dans la durée d'assurance. C'est une juste reconnaissance.

L'article 12 crée une assurance vieillesse des aidants. Là aussi, c'est une juste reconnaissance.

J'en viens à l'article 13. Une réforme des retraites allongeant la durée du travail doit favoriser l'emploi des seniors. Ce texte est insuffisamment imaginatif.

Mme Monique Lubin.  - C'est sûr !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Il aurait été utile de prendre en compte l'employabilité des seniors avant de leur en demander plus. Nous souhaitons une campagne « un senior, une solution », sur le modèle d'« un jeune, une solution ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; exclamations sur les travées du groupe CRCE) Il faut favoriser leur recrutement, leur maintien en emploi et la transition vers la retraite.

La commission a rehaussé à 300 salariés, au lieu de 50, le seuil de l'index senior. Ce dispositif, à la limite de la constitutionnalité dans un PLFSS, est cependant insuffisant. Nous proposons de créer un contrat de fin de carrière exonéré de cotisations familiales réservé aux plus de 60 ans. Afin d'inciter les employeurs à les maintenir en emploi, portons à 30 % le taux de la contribution assise sur les indemnités de rupture conventionnelle, et mutualisons le coût lié aux maladies professionnelles à effet retardé.

L'article 13 ouvre aux fonctionnaires, aux assurés des régimes spéciaux et aux professionnels libéraux la possibilité de partir en retraite progressive, tout en portant l'âge d'éligibilité de 60 à 62 ans, ce que nous regrettons. Il faut aménager les transitions, en tenant mieux compte de la pénibilité, en allégeant la charge de travail en fin de carrière. Nous proposons de maintenir à 60 ans l'accessibilité à ce dispositif.

En parallèle, le cumul emploi-retraite sera enfin créateur de droits.

Bien que tardif, incomplet et insuffisant, ce texte doit être voté pour que notre système soit sauvegardé et que les générations futures bénéficient d'une pension décente. Toutefois, nous conditionnons notre soutien à l'adoption de nos amendements de justice sociale. Nous vous savons de bonne volonté, messieurs les ministres.

D'autres pays autour de nous ont déjà pris leurs responsabilités. La France vieillit. Nous devons avoir le courage de réagir. Non, nous ne voulons pas que nos enfants travaillent plus de 45 ans. Prenons nos responsabilités, dans la sérénité et le respect. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; quelques membres du groupe INDEP et M. Bernard Fialaire applaudissent également.)

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure pour avis de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Pascale Gruny applaudit également.) La commission des finances s'est saisie pour avis de l'ensemble du PLFRSS.

Notre système de retraite par répartition a financé 345,1 milliards d'euros de pensions en 2021. Selon le scénario optimiste du Gouvernement, avec une croissance de 1 % et un chômage à 4,5 %, le déficit du système atteindrait 13,5 milliards d'euros fin 2030 et 150 milliards d'euros cumulés sur les dix prochaines années. La stabilisation des dépenses ne compensera pas la baisse des ressources, qui provient de la réduction du nombre de cotisants, de la diminution de l'emploi public et de la réduction des transferts venus des branches famille et chômage.

Selon le COR, les effets de la hausse du nombre de pensionnés, 23 millions en 2027 contre 19 aujourd'hui, seront atténués par la stabilisation, voire la baisse du niveau des retraites par rapport au PIB. Les dépenses progresseront néanmoins de 1,8 % par an, ce qui est incompatible avec l'objectif de réduction du déficit public d'ici 2027.

La réforme est centrée sur la majoration de l'âge d'ouverture des droits, et l'accélération de l'augmentation de la durée de cotisation.

Le Gouvernement écarte l'hypothèse d'une hausse des cotisations, qui réduirait le pouvoir d'achat de 442 euros annuels par cotisant, ou de la diminution des pensions, pour compenser le déficit.

La progression de l'emploi des seniors est un enjeu majeur, car il reste inférieur à la moyenne européenne. Une attention doit être portée aux 55-65 ans, dont la réforme de 2018 avait accru le chômage.

Le montant des réserves placées par les régimes de retraite atteignait, fin 2021, 180,4 milliards d'euros, dont 86,5 milliards d'euros à l'Agirc-Arrco, qui pourra utiliser ces excédents, confortés par la réforme. Afin de nous prémunir d'aléas, il faudrait accélérer les transferts vers le fonds de réserve pour les retraites.

Plusieurs mesures d'accompagnement sont prévues avant le retour à l'équilibre en 2030, mais celui-ci est fragilisé par les amendements du Gouvernement.

Les régimes des industries électriques et gazières, de la RATP, de la Banque de France, des clercs de notaires et des élus du Conseil économique social et environnemental (Cese) n'affilieront plus de nouveaux cotisants au 1er septembre 2023. Ces régimes sont actuellement équilibrés au moyen d'une taxe ou d'une subvention de l'État, ou structurellement déficitaires. Leur fermeture aura des conséquences financières, et je m'étonne qu'elles ne soient pas prévues, notamment le reversement des cotisations des nouveaux affiliés à la Cnav et l'Agirc-Arrco.

Le relèvement de l'âge d'ouverture des droits de deux ans ne devrait avoir que peu d'effets sur les agents de la fonction publique. Le solde technique du compte d'affectation spécial (CAS) Pensions pourrait être de 0,7 milliard d'euros en 2027, puis de 1,1 milliard en 2030. Je préconise l'attribution de ces sommes au fonds de réserve pour les retraites.

La commission des finances estime que le projet de loi va dans le sens d'un rééquilibrage du système des retraites, ce qui doit être défendu. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP, Les Républicains et du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°162, présentée par Mmes Assassi et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).

Mme Éliane Assassi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST) « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » La lecture du 11e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 sonne comme un rappel aux valeurs fondamentales de notre République.

Intégré au bloc de constitutionnalité, il reprend de nombreux points du programme du Conseil national de la résistance, qui a permis la naissance de la sécurité sociale, et sous l'impulsion du ministre communiste Ambroise Croizat, la création de notre système de retraite par répartition.

Cette réforme des retraites, ou plutôt cette destruction programmée de la solidarité, est injuste moralement. Alors que l'inflation galope, que nos concitoyens se remettent à peine de la crise sanitaire, que la précarité s'accroît et que la guerre tue à nos portes, le Gouvernement ne trouve rien de mieux que de demander de travailler plus longtemps.

Quelle violence pour les salariés usés !

Quelle violence faite aux femmes, qui, en raison de leurs parcours heurtés, devront travailler plus longtemps. Je dénonce les propositions insultantes du président Retailleau pour toutes les femmes de ce pays : sous prétexte de vous préoccuper de leur sort, vous les enfermez dans un rôle de mère des plus grandes familles possible (vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mme Brigitte Micouleau marque son désaccord) au lieu d'agir pour l'égalité salariale, qui assurerait pourtant 6 milliards d'euros de cotisations supplémentaires !

Quelle violence pour les jeunes, qui se sentent condamnés à travailler jusqu'à un âge avancé, et dont beaucoup estiment qu'ils n'auront jamais de retraite ! Il est de bon ton de s'en moquer, mais mesurez-vous leur angoisse, face à notre planète qui s'abîme à un rythme fou ?

Votre projet, monsieur le ministre, relève de la provocation, car il n'a pas de justification financière - le COR l'a démontré. Aucun financement alternatif n'est exploré, afin de ne pas déplaire au patronat. Vous restez dans votre bulle de comptables de Bercy et de Bruxelles.

Des millions de Français sont descendus dans les rues. L'unité syndicale vous a surpris, mais elle tient ! Tous les actifs ou presque retoquent votre réforme. La majorité des électeurs Les Républicains et centristes s'y opposent. (Mme Laurence Cohen acquiesce.) Vous devriez l'entendre, MM. Larcher, Retailleau, Marseille : l'opinion publique exige le retrait de la réforme.

Mais plutôt que d'entendre la voix de la raison, vous vous entêtez. Le seul responsable des troubles et du blocage annoncés, c'est le Gouvernement, et demain ce sera peut-être vous, membres de la majorité sénatoriale !

Vous violez la Constitution. Vous faites planer la menace de la capitalisation, contraire à l'idée fondamentale selon laquelle c'est la Nation qui assure les retraites, et non les marchés financiers. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; M. Daniel Salmon applaudit également.)

Malgré cela, Emmanuel Macron s'obstine à demander une adoption rapide de la réforme. Il l'inscrit dans un PLFRSS, avec un temps de débat limité. Un texte non voté par une assemblée est transmis à l'autre, et même en cas de non-vote de la seconde, une commission mixte paritaire (CMP) sera convoquée pour amender le texte. En cas d'échec, le Gouvernement légiférera par ordonnance. Ce texte capital pourra ainsi entrer en vigueur sans même avoir été examiné dans son intégralité par une des deux assemblées, voire les deux !

Chers collègues, comment avez-vous pu accepter de délibérer de ce texte alors qu'il n'a pas été voté par les députés, élus au suffrage universel direct ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; applaudissements sur quelques travées du groupe SER et du GEST ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains) C'est un coup de force du Président de la République contre les institutions. Cette tentative d'oukase est peut-être le pari de trop de M. Macron, dont la légitimité est bancale. Chacun sait qu'il a été élu pour faire barrage à Marine Le Pen, non pour appliquer le recul de l'âge de la retraite. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes CRCE et SER ; quelques membres du GEST applaudissent également.)

La méthode est contraire à la Constitution. Dominique Rousseau, professeur émérite de droit constitutionnel, le confirme, en soulignant qu'il n'y a aucune obligation que la réforme soit votée avant une date précise. Selon lui, « il y a un risque sérieux d'inconstitutionnalité, car l'utilisation du 47-1 dans ce cas porte atteinte à la sincérité des débats ». Sincérité : le mot est lâché ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

Quelle sincérité si les deux chambres n'examinent pas le texte ?

Le 47-1 peut s'appliquer à un PLFRSS s'il concerne des mesures nécessaires à la continuité de la vie nationale. Est-ce le cas ici ? Non !

Au Sénat, les choses doivent être dites clairement. Le cadre imposé par le Gouvernement est contraire à la Constitution. Nous n'accepterons pas que le Sénat use de procédures pour tuer le débat.

M. David Assouline.  - Ça, c'est clair !

Mme Éliane Assassi.  - Nous n'accepterons pas que la liberté de parole ne soit pas respectée.

Monsieur le président, accompagnerez-vous le coup de force du Président de la République contre le Parlement ? Cela relèverait d'un coup d'État feutré contre les institutions de la République.

Ce texte est contraire à la Constitution, car il s'attaque aux principes de solidarité au coeur de notre République et soumet le Parlement. Ne laissons pas au Conseil constitutionnel le soin de le censurer. Signifions clairement que le Parlement doit être respecté pour que la démocratie le soit ! (Applaudissements nourris sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST)

Mme Catherine Deroche.  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'impact des retraites sur les finances publiques est indéniable. C'est l'un des principaux postes. Cette réforme budgétaire a pour objet d'assurer la pérennité de notre système de retraites. Un PLFRSS a toute sa place.

J'entends vos arguments. Mais nous allons vers plus de 100 heures de débats, alors que nous consacrons en moyenne 30 heures au PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. David Assouline.  - Ce n'est pas assez.

Mme Catherine Deroche.  - Depuis 2019, à l'initiative de notre rapporteur pour la branche vieillesse, le Sénat débat chaque année de cette réforme. Le Conseil constitutionnel sera sûrement saisi et se prononcera, conformément à sa mission. J'invite le Sénat à voter contre cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP et du RDPI)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - Les auteurs de cette motion contestent la constitutionnalité du PLFRSS. Ce texte remettrait en cause le droit à la retraite, et le véhicule ne serait pas valable. Or il ne remet pas en cause le système par répartition, au contraire : il a pour objet d'en assurer la pérennité.

L'espérance de vie sans incapacité à 65 ans est supérieure en France à la moyenne européenne.

M. Bernard Jomier.  - Vous biaisez !

Plusieurs voix sur les travées du CRCE.  - Et l'espérance de vie en bonne santé ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - Les dispositions de ce texte entrent clairement dans le cadre d'un PLFSS. Les conséquences du texte sur 2023 sont certes modestes, mais leur effet sera important à terme. De nombreux PLFR ont porté des mesures plus anecdotiques sans qu'elles ne soient jamais censurées. Avis défavorable. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et du groupe UC)

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Madame Assassi, vous avez évoqué trois sujets de fond. Nous aurons l'occasion de vous convaincre de la justesse de cette réforme.

Les dispositions présentées ont des conséquences sur les comptes sociaux pour 2023, d'où la pertinence du PLFRSS.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'article 47-1 ne relève pas d'une décision du Gouvernement : cet article s'applique à toutes les lois de finances (Mme Éliane Assassi proteste), en particulier les collectifs budgétaires. Il prévoit des délais, que nous appliquons de manière stricte. Mais le respect de cet article permet un délai d'examen au Parlement plus long que pour les précédentes réformes des retraites.

Enfin, vous considérez que la non-adoption du texte par l'Assemblée nationale empêche son étude au Sénat. Mais elle tient en un mot : l'obstruction (quelques protestations à gauche). Plus de 20 000 amendements avaient été déposés à l'Assemblée nationale. Aux derniers jours du débat, LFI avait déposé 68 amendements identiques sur un sujet qui ne concernait pas le fond du texte. Avec Gabriel Attal, nous avons écouté patiemment tous les orateurs.

Mme Éliane Assassi.  - Nous sommes le groupe communiste !

M. Mickaël Vallet.  - Prévoyez des mots croisés !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Avis défavorable, pour toutes ces raisons. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Patrick Kanner.  - Vous avez choisi de détourner l'esprit du 47-1 de la Constitution, pour museler le Parlement. Ce n'est pas de l'obstruction, mais de la piraterie parlementaire, pour ne pas dire un déni de démocratie. Le 12 mars à minuit, le couperet tombera.

C'est la première fois que l'on procède ainsi. Vous portez atteinte à notre Constitution. Cette procédure tout à fait dérogatoire propre aux textes budgétaires n'a qu'un but : permettre l'adoption du budget avant le premier jour de l'année civile suivante. Tronquée, elle ne devrait jamais porter sur une réforme sociale de fond, relevant de la loi ordinaire. De plus, vous prenez le risque de voir les cavaliers sociaux de ce texte censurés par le Conseil constitutionnel.

La vérité est que vous n'avez pas de majorité maîtrisée au Parlement. La seule majorité qui existe, c'est celle de l'opposition à cette réforme, celle des Français. Nous voterons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Guillaume Gontard.  - Nous ne sommes pas là, au Sénat, pour jouer le match retour de l'Assemblée nationale. Ce qui s'y est passé y reste. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que des groupes SER et CRCE) Nous voulons repartir sur des bases saines, arrêtez avec les provocations !

Le groupe CRCE a raison de dénoncer un tel corsetage du débat. Combien d'élus de la majorité sénatoriale l'ont aussi dénoncé ! Élisabeth Borne nous avait promis un texte d'équilibre, spécifique, sans passer par un PFLRSS. Pourquoi une telle urgence ? Pourquoi ce passage en force, ce festival de mensonges ? Parce que vous ne voulez pas parler du fond : la destruction des services publics, de nos acquis sociaux ; toujours moins pour le commun, toujours plus pour le privé. Votre projet est une retraite gérée par le privé, avec des miettes pour les petites gens. Nous souhaitons débattre le temps nécessaire. La responsabilité de ce débat écourté revient au Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Exactement.

Mme Céline Brulin.  - Oui, l'utilisation du 47-1 est contraire à la Constitution. Ceux qui le nient font l'aveu de leur complicité dans cette manipulation.

Le 47-1 ne se justifie que par l'urgence des délais du 31 décembre, pour éviter la banqueroute publique. Or il n'y a aucune urgence à légiférer sur les retraites, le COR le montre. L'urgence, c'est, pour vous, de contrer la colère du pays.

Vous avez tout fait à l'Assemblée nationale pour que le texte n'arrive pas à son terme. (Marques d'ironie à droite ; M. Thomas Dossus applaudit.)

M. Emmanuel Capus.  - C'est une blague ?

M. Christian Cambon.  - Une contre-vérité !

Mme Céline Brulin.  - Votre texte comprend de nombreux cavaliers sociaux.

Difficile de commencer nos travaux sans documentation. On ne joue pas avec la démocratie. On ne s'appuie pas sur des mensonges, comme sur les 1 200 euros de retraite minimale, sur lesquels, monsieur le ministre, vous avez piteusement reconnu qu'ils concerneraient non la totalité des retraités, mais 10 000 à 20 000 d'entre eux.

Le Sénat s'honorerait d'adopter notre motion. Il y va de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST)

La motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°137 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption   93
Contre 251

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°125, présentée par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Gontard, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Labbé, Parigi et Salmon.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).

M. Daniel Breuiller .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) « Ils vont nous prendre nos deux plus belles années de retraite », me disait une Atsem, une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles, d'Arcueil. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Reprenez les discussions avec les organisations syndicales : ce serait un message fort adressé à nos concitoyens, massivement opposés à la réforme.

Ce projet fait peser l'équilibre des retraites sur le dos des travailleurs plutôt que sur le capital. Il malmènera nos concitoyens, surtout les femmes, et tous ceux qui souffrent du travail, qui ont les épaules et le dos abîmés, mais aussi qui vivent dans la tension permanente du résultat, sans reconnaître le sens de leur travail. Les Français parlent de leur vie et le Gouvernement répond : « comptabilité ».

Le système n'est pas en danger. Les dépenses ne dérapent pas, les recettes sont possibles, mais vous voulez respecter le pacte de stabilité et de croissance. La dette publique, elle, dérape car vous multipliez les baisses d'impôt pour les entreprises du CAC 40, alors qu'avec 59,8 milliards d'euros de dividendes versés, la France détient le record d'Europe. La seule suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) représente la quasi-totalité des économies prévues par la réforme.

Vous faites l'impasse sur la répartition de la richesse et sur l'apport non monétaire des jeunes retraités à la société : associations, aides familiales notamment.

Nous nous opposons à un texte qui n'assurera pas de retraite minimale à tous : on ne vit pas dignement avec moins de 1 200 euros par mois.

Nous voulons un vrai débat sur le travail et les retraites, sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée - plusieurs pays expérimentent la semaine de quatre jours -, sur la manière de conserver l'expertise des seniors, sur la volonté folle de vouloir produire toujours plus, alors que le productivisme est une impasse.

Nos concitoyens ont des idées, écoutons-les.

Votre réforme malmène la démocratie, au premier chef sociale. Aucune réforme ne s'est faite contre les organisations syndicales. La démocratie contre les partenaires sociaux, ce n'est déjà plus la démocratie. Ce jeu est dangereux, quand le Rassemblement national est aux portes du pouvoir.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Exactement !

M. Daniel Breuiller.  - Un PLFRSS est fait pour rectifier. Que rectifierez-vous avec l'index senior pour 2023 ? Rien. Avec la suppression des régimes spéciaux ? Rien, grâce à la clause du grand-père, heureusement maintenue.

Au-delà du fond, le véhicule législatif est problématique. Les lois de 2003, 2010 et 2014 étaient toutes des lois ordinaires, non des PLFRSS. Rien ne justifie ce contournement parlementaire, qui envenime les débats et affaiblit la démocratie représentative.

Depuis la constitution de ce gouvernement, aucune loi financière n'a échappé au 49.3. Le Parlement est déjà bridé par les irrecevabilités. Or « le Parlement vote la loi », selon l'article 24 de la Constitution. J'appelle la présidence à la vigilance quant à la plénitude du travail parlementaire.

Il est dangereux de transférer l'arbitrage de nos débats au Conseil constitutionnel, qui en devient une troisième chambre.

Monsieur le ministre, l'appui de la droite sénatoriale vous est acquis, puisque vous faites une réforme de droite. Que, depuis des années, la majorité sénatoriale utilise le PLFSS pour ses propositions sur les retraites, c'est compréhensible. Mais que le Gouvernement le fasse, alors qu'il maîtrise l'ordre du jour, ce n'est pas acceptable.

L'index senior et le dispositif sur la pénibilité devraient être supprimés. Vous n'avez même pas voulu rendre public l'avis du Conseil d'État. Vous portez atteinte à la sincérité des débats, alors que le texte risque, par censure, d'être amputé de ses rares mesures d'atténuation. Il faut respecter le pluralisme si nous voulons respecter notre démocratie et la qualité de nos travaux. Nous dénonçons ce passage en force.

Pour éviter le blocage du pays, bloquez cette réforme. Cette question préalable redonnera du temps aux organisations syndicales pour débattre. Toute l'histoire du travail, c'est la mise des gains de productivité au service de meilleures conditions de vie. Cette loi va en sens inverse, en nous privant de nos deux plus belles années de retraite.

Mon pays, c'est la vie. Combien de temps encore à vivre ? Quand j'y pense, mon coeur bat si fort, chantait Serge Reggiani. Combien de temps encore pour rire, courir, pleurer, voir et croire ? (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Catherine Deroche.  - Il est nécessaire que le Sénat puisse débattre d'un projet si important. Nous partageons cette volonté. Même s'ils ne peuvent le dire, des citoyens de pays totalitaires nous envient le bicamérisme. Assurer la pluralité des débats est nécessaire dans une démographie représentative.

Cette délibération est utile et nécessaire. Plus de 4 700 amendements ont été déposés : tous, vous souhaitez délibérer, de toute évidence. Je m'oppose donc à cette question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. David Assouline.  - Quelle déception...

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Nous aussi, nous parlons avec nos concitoyens. Cette Atsem travaillera déjà deux ans de plus, non à cause de nous, mais à cause de la réforme Touraine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Jacquemet, MM. Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi et Martin Lévrier applaudissent également.)

Le système par répartition est un système de cotisation. Il y a une différence entre systèmes beveridgien et bismarckien. Quand la longévité s'accroît et que la natalité baisse, vous pouvez toujours taxer, c'est un puits sans fond... Les mesures paramétriques sont nécessaires.

Enfin, 100 heures de débat, c'est trois fois plus que pour le PLFSS.

M. David Assouline.  - Ce n'est pas assez !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Effectivement, ce n'est pas assez pour 4 700 amendements, donc n'hésitez pas à en retirer.

Votons contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC, du RDSE, du groupe INDEP et du RDPI)

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Avis défavorable. Nous considérons qu'il y a urgence et que ce débat est nécessaire.

Le Conseil d'État produit non un avis, mais une note de synthèse. Les parlementaires peuvent en solliciter la consultation. Certains l'ont fait à l'Assemblée.

Quant à la recevabilité, je partage les avis de la commission.

« Il suffirait de presque rien », chantait aussi Reggiani... Il suffirait de presque rien pour entrer dans le débat : rejeter la motion ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Il faudrait la chanson en entier.

Mme Monique Lubin.  - Au groupe SER, nous appelons toujours au débat - il aura lieu, d'ailleurs. Mais cette fois, il est tronqué. Nous abordons une des périodes les plus importantes de la vie d'un salarié. Or nous ne parlerons pas de retraite, mais de chiffres ! Nous ne parlerons surtout pas de la vie. Nous n'avons pas envie de parler de retraites dans ces conditions.

Vous protégez toujours les mêmes, et vous faites toujours porter les efforts sur les mêmes. Monsieur Savary, vous ne pourrez pas appeler indéfiniment à reculer l'âge de départ à la retraite, notamment des travailleurs de première ligne. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Jusqu'où irez-vous ? Vous rajoutez des années de travail à ceux qui travaillent le plus ou le plus dur. Vous ne nous laissez pas le choix. Nous voterons cette question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. David Assouline.  - Vous ne voulez pas taxer le capital.

M. Fabien Gay.  - Nous sommes d'accord, messieurs les ministres. Nous aussi, nous voulons un débat. Mais pour débattre, il faut être deux. Nous espérons des réponses à nos questions. Qui gagnera les 1 200 euros ? Tout le monde, ou 20 000 personnes, comme l'a démontré Jérôme Guedj ?

En quoi l'index sur les seniors sera-t-il utile, quand on voit les résultats de l'index sur l'égalité salariale ? Qui croire, quand on nous dit, la main sur le coeur, protéger le système par répartition alors qu'en 2019, c'était la capitalisation pour tous et la retraite par points ? Qui croire, quand vous parlez de justice sociale et que vous volez deux ans de vie à ceux qui auront vécu une vie de labeur ?

Nous avons des propositions : l'égalité salariale par exemple, c'est 6 milliards d'euros de cotisations en plus. Et je ne parle pas de reprendre la main sur les 162 milliards d'aides directes et indirectes données chaque année sans contrepartie au capital !

La limite de 64 ans n'est ni juste socialement ni efficace financièrement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST)

Plusieurs voix à gauche.  - Où est passée la droite ?

La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°138 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption  93
Contre 251

Le Sénat n'a pas adopté.

Motion référendaire (Dépôt)

M. le président.  - J'informe le Sénat qu'en application de l'article 11 de la Constitution et de l'article 67 du Règlement du Sénat, j'ai reçu de M. Patrick Kanner, président du groupe SER, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRCE, et M. Guillaume Gontard, président du GEST, une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le PLFRSS pour 2023.

En application de l'alinéa 1er de l'article 67 du Règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.

Il est procédé à l'appel nominal des signataires.

M. le président.  - Acte est donné du dépôt de cette motion. Elle sera envoyée à la commission des affaires sociales. Sa discussion aura lieu, conformément à l'article 67, alinéa 2, du Règlement, « dès la première séance publique suivant son dépôt », c'est-à-dire demain, vendredi 3 mars, à 9 h 30.

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (Suite)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Le sens de l'histoire avait conduit à la retraite à 60 ans. Depuis, les contre-réformes se succèdent, pesant sur le monde du travail, et la concentration des richesses se poursuit.

Rien ne justifie cette réforme brutale, car le léger déficit prévisionnel, dramatisé, provient d'un manque de recettes. Or les cotisations des employeurs diminuent avec les exonérations, qui coûtent sept fois le déficit du système de retraites, mais qui sont de moins en moins compensées, en violation de la loi Veil : 2 milliards d'euros manquent - sans compter la non-compensation des exonérations des primes pour le partage de la valeur, alors que notre amendement de rétablissement avait été adopté, avant d'être retoqué en CMP.

Le Gouvernement poursuit sa course folle aux baisses d'impôt, qui alarme jusqu'au gouverneur de la Banque de France. Il continue les exemptions d'assiette de cotisations sociales et refuse d'aligner les prélèvements sur les revenus financiers à hauteur des revenus du travail. La multiplication des rémunérations désocialisées des travailleurs acte des reculs de droits. L'austérité dans la fonction publique creuse aussi les recettes : en plus de la réduction des effectifs, le gel du point d'indice est une réforme à bas bruit : s'il n'y avait aucun décrochage de masse salariale des fonctionnaires, le déficit se réduirait de 3 milliards d'euros à horizon 2030 !

D'autres solutions seraient possibles. Mais cette réforme est juste indispensable au respect de la trajectoire des dépenses publiques de +0,6 % en volume à l'horizon 2027 que vous avez inscrite dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles, alors que les retraites progressent de 1,8 %. En effet, pour poursuivre la baisse des impôts de production, les dépenses publiques - dont les retraites - sont la variable d'ajustement. Voilà la vraie nécessité de votre réforme, qui ne demande aucune contribution aux employeurs, pourtant responsables du faible emploi des seniors, mais qui sert la poursuite des aides massives, des baisses d'impôts et de cotisation dont ils bénéficient.

Ainsi, le fonds de réserve des retraites (FRR), qui devait passer la bosse démographique, a été asséché et détourné. Cette réforme injuste, comme la précédente, allongera le sas de précarité des femmes et des ouvriers. Les 30 % les plus pauvres attendront deux ans de plus le passage à la retraite. À 61 ans, moins de la moitié des Français sont en emploi, 28 % seulement des ouvriers !

Pour les catégories populaires, pour un tiers des femmes, la réforme aboutira aux minima sociaux, aux arrêts pour maladie de longue durée et au chômage. Alors que les femmes partent plus tard que les hommes, parce qu'elles courent après le taux plein, celles de la génération 1980 devront travailler encore huit mois de plus, après avoir perdu un an et neuf mois avec la réforme de 2010.

Les économies de court terme se font sur les plus fragiles. La durée de vie en retraite diminuera encore, alors que l'espérance de vie en bonne santé progresse moins vite que l'augmentation de la durée de travail et qu'il reste un écart de dix ans entre un ouvrier et un cadre. Le risque d'une retraite de moins de dix ans touchera 40 % des hommes les plus modestes. Les rares mesures d'atténuation n'y changeront rien.

Selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), depuis 1984, tous les indicateurs de pénibilité ont été multipliés. La question centrale reste donc celle du travail et de l'urgence de le changer. Face à son intensification - autre facette du « travailler plus » -, votre réforme parle la langue de la finance, non celle du sens.

Vous multipliez les mensonges, de la revalorisation du minimum contributif (MiCo) -  d'à peine 100 euros pour une infirme minorité en contrepartie de deux ans de travail supplémentaire  - aux super carrières longues : jusqu'ici, l'âge de 60 ans était la contrepartie de la réforme de 2010. Je n'oublie pas l'occultation des externalités négatives : l'OFCE montre que cela se fera au détriment de l'emploi et des salaires. C'est une loi de classe qui touchera surtout les catégories populaires.

Les Français l'ont bien compris : c'est pourquoi la réforme est si impopulaire. Cette réforme porte sur le temps, et, comme le disait André Gorz, « à travers le pouvoir du temps, c'est le pouvoir tout court qui est en jeu ». Ce temps volé, c'est le temps libéré de la subordination et de la nécessité, un temps sans incapacité que votre réforme veut livrer à une croissance sans fin qui ignore les limites de la planète, le dérèglement climatique et l'effondrement du vivant. La réforme poursuit l'obsession du travailler plus, mais il faut mieux partager le PIB, plutôt que de vouloir l'augmenter, et le remplacer par de nouveaux indicateurs de prospérité comme l'espérance de vie en bonne santé.

Si, comme disait Ambroise Croizat, la retraite ne doit plus être l'antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie, elle doit aussi être une nouvelle étape dans notre rapport au monde. Or, cette loi du passé, d'une violence sociale inouïe, vole les deux meilleures années de retraite pour en faire les plus dures au travail. C'est une loi qui barre la bifurcation écologique.

Les écologistes s'opposent à cette réforme et se mobiliseront jusqu'à son retrait. (Applaudissements à gauche.)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI) À grande cause, grande controverse. Depuis des mois, le mot « retraite » est partout. Il vole de tweet en tweet, de manifestation en émission, de motion en émotion. (Marques d'ironie sur quelques travées du groupe SER) À la charnière de la vie privée et de la vie publique, la retraite mobilise le vivre ensemble comme le sens du travail. C'est l'ambition des Assises du travail, à l'ouverture desquelles le ministre a insisté sur le mieux-vivre au travail et de son travail.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - C'est réussi !

M. François Patriat.  - La retraite est souvent vécue comme une délivrance, donnant enfin le droit à la liberté, au bien-être et à la réalisation de soi. Comment sortir de la dimension totémique de ce débat ? Une démocratie comme la nôtre devrait le faire sereinement, nous le devons aux Français. L'enjeu est considérable. Après neuf jours de débat à l'Assemblée nationale, les stratégies d'obstruction - 20 000 amendements, invectives et violences verbales, menaces - ont abouti à ne pas voter le texte, conformément à la demande de M. Mélenchon...

Mme Éliane Assassi.  - Revenons au Sénat !

M. François Patriat.  - Les 4 727 amendements déposés ici sont-ils les prémisses d'une obstruction ?

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - D'une discussion...

M. François Patriat.  - Avec 69 amendements identiques de suppression de l'article liminaire, j'ai des doutes...

Mme Éliane Assassi.  - Que voulez-vous ? Que nous rentrions chez nous ?

M. François Patriat.  - À ce niveau, c'est du psittacisme ! Rassurez-vous, nous sommes tous ici pour débattre et réaliser ce que n'a pu réussir l'Assemblée. C'est difficile, car exigeant. Je sais l'opposition résolue, mais je compte sur l'esprit de responsabilité de chacun. Nous avons un espace pour délibérer et pour voter, sans quoi il n'y aura pas d'avenir pour notre système de retraite, condamné par ceux qui flattent l'opinion. (Marques d'ironie sur les travées du groupe CRCE)

Diminuer les pensions ? C'est impensable. Augmenter les cotisations ? C'est intenable !

Notre choix, c'est la valeur travail. (Protestations à gauche)

M. Vincent Éblé.  - Du Sarkozy dans le texte !

M. François Patriat.  - L'effort de deux années supplémentaires, réparti pour protéger les plus vulnérables, peut encore être amélioré - notre groupe formulera des propositions, du rachat d'études à la revalorisation de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) à Mayotte.

Ici, au Sénat, débattons, mais, surtout, votons. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Difficile d'ouvrir ce débat sans mentionner la méthode par laquelle vous imposez la réforme. Elle trahit vos convictions profondes et nous heurte. Vous n'avez que faire du dialogue social : vous ignorez les syndicats que vous convoquez. Vous piétinez le Parlement : le PLFRSS ouvre une porte de sortie peu respectueuse du débat. L'article 47-1 achève de démontrer votre volonté de nasser le Parlement pour le rendre inaudible, comme votre maigre étude d'impact, dénoncée même par le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Vos chiffres faux et vos éléments de langage sophistiqués témoignent de votre insincérité, illustrée par les 1 200 euros de pensions minimales : il aura fallu le décryptage de l'économiste Michaël Zemmour à une heure de grande écoute pour dévoiler ce biais, mais il ne vous a pas dissuadé de poursuivre les intox. Il aura fallu qu'un vice-président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de l'Assemblée nationale se rende au siège de la sécurité sociale pour obtenir les authentiques évaluations chiffrées : au mieux, 20 000 pensionnés par an passeront la barre des 1 200 euros.

Prenez le temps de la pédagogie vis-à-vis du Président de la République, qui n'a pas saisi le fonctionnement du MiCo et veut la réforme sans la comprendre. Nous, avec les Français, la comprenons et n'en voulons pas. (M. Bernard Jomier renchérit.)

Le COR, en 2022, fait état d'un système de retraites stabilisé. L'arrivée des baby-boomers est déjà amortie, et nous aurons fait le plus dur d'ici 2035.

Ce qui nous préoccupe, c'est la baisse du niveau de vie des retraités. Le système, qui verse 300 milliards d'euros de pensions par an, ne sera pas mis en péril si la trajectoire de dépenses ne dérape pas. Le déficit atteindrait entre 10 à 13 milliards d'euros.

Repousser l'âge de départ de deux ans est injuste, pesant moins sur les cadres qui ont rarement commencé à travailler avant 22 ans et travaillent donc déjà jusqu'à 65 ans que sur les ouvriers, les employés, les aidants, ceux de première ligne, qui ont commencé plus tôt et vivent moins longtemps.

Les carrières courtes des CSP+, plus rémunératrices et moins usantes, seront peu touchées.

La précarité des seniors sera rallongée : 38 % des femmes et 27 % des hommes ne sont déjà plus en emploi un an avant la retraite. L'index n'y changera rien. En outre, la perte du bénéfice des maternités augmente encore les inégalités, alors que des 18 milliards d'euros d'économie attendus, 11 milliards d'euros seront payés par les femmes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est énorme !

Mme Monique Lubin.  - Il n'y a ni besoin ni urgence de supprimer les régimes spéciaux : vous ne faites que reprendre une vieille lune de la droite. Certains régimes sont autonomes et ne demandent rien à l'État. La suppression du régime spécial de la RATP, c'est un contrat qu'on rompt et une pure diversion politique.

En 2017, par ordonnance, l'exécutif a supprimé le compte personnel de pénibilité au profit du compte personnel de prévention (C2P). La notion de pénibilité n'est pas réintroduite.

Quant aux carrières longues, le Gouvernement prétend donner de nouvelles tâches aux médecins pour lutter contre les inaptitudes, alors que toute la France devient un désert médical. L'exécutif aurait-il sous le coude des praticiens mobilisables ?

Cette loi n'est pas une réforme des retraites, mais celle des finances de l'État, en réduisant les déficits. Vous avez pour constance de favoriser les plus riches et de désocialiser les salaires. Les retraites sont sacrifiées sur l'autel des déficits. Cette réforme est un gage pour nos partenaires de l'Union européenne, que le Gouvernement a voulu inclure dans le programme de stabilité.

Faute d'un vrai projet d'orientation des finances publiques 2023-2027, le Gouvernement procède par coups de force successifs.

Cette réforme est aussi une réforme masquée du marché du travail.

Les recettes ne devraient pas être un tabou. Ainsi, nous pourrions revenir sur les coûteuses exonérations de cotisations employeur consenties par ce Gouvernement : 80 milliards d'euros par an.

En outre, une politique volontariste de l'emploi des seniors, la lutte contre les inégalités de salaires femmes-hommes et une convention nationale sur les salaires devraient être un préalable à une réforme des retraites. Renoncez à votre bricolage contreproductif et travaillez en profondeur avec les partenaires sociaux et le Parlement sur ce que nous voulons comme modèle de société, comme partage des richesses, comme modèle social et comme progrès social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Daniel Breuiller applaudit également.) Ce projet de loi est un véhicule inadapté à son objet. Son scénario est celui d'un mauvais film : il commence mal et finira encore plus mal.

Les acteurs recrutés manquent de crédibilité. C'est votre cas, monsieur Retailleau, qui promettiez le 23 juillet une attitude sans complaisance ni dogmatisme. C'est aussi le cas de vos collègues de la majorité : vous travaillez main dans la main avec le Gouvernement pour faire adopter en CMP un texte qu'une majorité de nos concitoyens refuse.

M. Pierre Laurent.  - Exact !

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Après avoir échoué entre 2017 et 2022 à rallonger la durée de cotisation, vous vous alignez aujourd'hui sur le pouvoir en reportant l'âge légal à 64 ans.

Les bons acteurs sont dans la rue ; c'est avec eux qu'il faut réécrire le scénario. Même le Président de la République s'est pris les pieds dans le tapis au Salon de l'agriculture sur la pension minimale à 1 200 euros. (M. le ministre Gabriel Attal se récrie.)

La Première ministre l'avait promis : les petites retraites auront droit à ce relèvement ; les membres du Gouvernement l'ont répété dans tous les médias. Mais soyons clairs : votre projet est fait depuis le début d'approximations et de mensonges. La revalorisation est brute ; même pour les quelques carrières complètes, ce sera 100 euros en plus, et encore pas pour tout le monde. Monsieur le ministre, vous avez fini par avouer que cela ne concernerait qu'une dizaine de milliers de personnes, après avoir laissé entendre qu'elle concernerait tous et toutes. Proposer 75 euros par mois pour 10 000 personnes, la belle affaire !

Il faut faire une tout autre réforme des retraites, celle que demandent les Français. Selon l'économiste Michaël Zemmour, il suffirait d'augmenter de 28 euros les cotisations patronales pour retrouver l'équilibre.

Quid de l'épuisement physique ? Votre réforme privera les salariés de deux années de vie en bonne santé où ils pourraient profiter de leurs petits-enfants ou s'engager dans le monde associatif.

Les nantis ne sont pas les bénéficiaires des régimes spéciaux - qui sont des conquêtes sociales, des régimes pionniers qu'il faudrait étendre plutôt que de supprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont des carrières hachées, souvent des femmes, souffriront. C'est le copier-coller des propositions du Medef, qui reste bien silencieux, et de la bureaucratie européenne.

C'est pourquoi, avec les organisations syndicales, nous luttons pour une réforme qui fasse primer l'humain sur la finance et les intérêts des multinationales, qui ont empoché 160 milliards d'euros d'aides publiques sans contrepartie et réalisent des bénéfices records, alors que les Français doivent se serrer la ceinture.

Nous présenterons des amendements pour mettre à contribution les milliards d'euros de dividendes et augmenter la CSG sur le capital. Nous proposons de mettre fin aux exonérations patronales qui amputent le budget de la sécurité sociale pour 75 milliards d'euros, sans effet sur l'emploi, et qui profitent surtout aux plus grandes entreprises.

Nous proposons de conditionner les aides publiques à l'absence de délocalisation des emplois, à l'augmentation des salaires et à la garantie de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

De l'argent, il y en a, si l'on veut ramener la retraite à 60 ans après 37 années et demi de cotisation et calculer les pensions sur les dix meilleures années. Nous proposons d'augmenter les salaires contre l'inflation et pour la durabilité du système de retraites.

Nous proposons de fixer des listes de métiers pénibles et de postes ouvrant droit au départ anticipé, ainsi que de réformer totalement le compte pénibilité : combien de travailleurs du bâtiment, d'ouvriers de fonderie, d'aides à domicile se retrouvent sans aucun point après des années de travail ?

Prenons en compte la situation des familles monoparentales et restaurons les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Cette liste n'est pas exhaustive. Nous défendrons chacun de nos amendements contre vos mauvais coups.

Monsieur le ministre, cette réforme ne sera pas un long fleuve tranquille. (Sourires ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie et MM. Bernard Jomier et Fabien Gay applaudissent.)

Comme 66 % des Français, nous sommes opposés à votre réforme. Vous pouvez compter sur nous pour nous opposer avec force et détermination à cette réforme refusée par neuf salariés sur dix.

En démocratie, il faut écouter la voix du peuple. Écoutez-le dans la rue : le 7 mars avec les salariés, le 8 mars avec les femmes, le 9 mars avec les jeunes. (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Marseille .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bruno Retailleau applaudit également.) Ici, monsieur le ministre Dussopt, vous n'avez rien à craindre. Nous n'avons qu'une seule intention : débattre.

Car le débat n'a pas encore eu lieu. Cela fait plus d'un mois que cette réforme est commentée ad nauseam dans les réseaux sociaux, mais elle n'a jamais été débattue par les représentants de la Nation.

Sans revenir sur le spectacle et les palinodies de l'Assemblée nationale, ne nous étonnons pas des progrès de l'abstention et des extrêmes.

Le Sénat a l'opportunité de rehausser l'image du parlementarisme. S'il était besoin de revaloriser le bicamérisme, certains députés viennent de nous en offrir l'occasion sur un plateau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Hervé Marseille.  - Le système de retraite actuel a été établi en 1945 par Ambroise Croizat, comme Mme Assassi l'a rappelé, autour du principe de répartition. Il avait l'avantage d'être opérationnel immédiatement, mais nous sommes devenus dépendants de réalités démographiques. En 1945, ce n'était pas trop compliqué, avec une espérance de vie de moins de dix ans pour les retraités et un ratio de quatre actifs pour un retraité.

Depuis lors, les choses ont changé, et l'âge de départ a été abaissé. Le ratio est de 1,6 actif pour un retraité. Depuis trente ans, les réformes se succèdent : 1995, 2003, 2010 et 2014, et heureusement. Où en serions-nous avec le ratio de 1,4 actif pour un retraité annoncé pour 2050 ?

Pour défendre le régime par répartition, il faut faire évoluer les paramètres. Il est inenvisageable de baisser les pensions, et nous ne voulons pas augmenter le coût du travail, pour atteindre le plein emploi. Il ne nous reste que deux leviers : la natalité et le report de l'âge de départ.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et les recettes ?

M. Hervé Marseille.  - Nous aussi avons des propositions pour les recettes, déposées en partie par M. Vanlerenberghe, et elles ne sont pas si éloignées des vôtres... (Marques d'ironie sur les travées du groupe CRCE)

Monsieur le ministre, je vous concède le volontarisme, mais vos prévisions optimistes manquent peut-être de réalisme. Pour autant, pour éviter de laisser aux générations futures une montagne de dettes, la réforme doit avoir un solde équilibré. Nous serons vigilants.

Nous soutiendrons les mesures proposées par notre rapporteur.

Notre groupe proposera également que le surplus de CSG permis par le report de l'âge d'ouverture des droits soit attribué au FRR. Nous présentons aussi une exonération de charges pour tous les salariés de plus de 57 ans pour favoriser l'emploi des seniors.

Pour lutter contre les violences intrafamiliales, les parents condamnés pour violence ou maltraitance de leur enfant seraient privés des bonifications qui leur sont liées.

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

Nous souhaitons indexer les pensions sur l'inflation prévisionnelle plutôt que sur l'inflation constatée l'année précédente, et nous voulons améliorer les droits à la retraite des élus des petites communes, qui perdent des droits en réduisant leur activité.

Cette réforme n'est pas une fin en soi. La bouffée d'oxygène qu'elle permet doit ouvrir le débat et la réforme systémique par points d'inspiration centriste devrait être remise sur le métier.

Une retraite par capitalisation, comme elle existe dans la fonction publique, doit être envisagée sans polémique. Notre groupe est prêt à y participer, en association avec les corps intermédiaires.

Je regrette que le débat sur la dépendance soit toujours reporté.

Il serait indispensable de lancer une conférence sociale sur la société post-covid. (Mme Françoise Gatel acquiesce.)

Espérons que le débat soit utile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; MM. Emmanuel Capus, Daniel Chasseing et Martin Lévrier applaudissent également.)

Mme Esther Benbassa .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'espérance de vie en bonne santé est de 64 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes. Quel message envoyez-vous en repoussant l'âge légal à 64 ans ? Vous partirez en retraite lorsque vous ne serez plus en assez bonne santé pour travailler ? Avec votre projet de société déshumanisant, vous êtes dans la rentabilité au lieu d'être dans la solidarité, la coopération et la vie.

Loin de sauver la retraite par répartition, vous la fragilisez et ouvrez la voie à la retraite par capitalisation. Deux années dans une vie, ce serait peu ? C'est 730 jours de trop pour une personne qui attend la retraite comme une délivrance après des décennies de dur labeur.

Bien sûr, lorsqu'on travaille par passion et par conviction, sans s'épuiser à la tâche, cela importe peu. Mais ne peut-on admettre que lorsqu'on travaille par nécessité, on y voit une libération, une vie nouvelle ? Encore faut-il qu'on puisse la mener dignement.

La Première ministre le disait : une vie de travail doit permettre une retraite digne. Avez-vous conscience que 1 200 euros bruts ne permettront jamais à quiconque de vivre, mais de survivre ? Combien de personnes en bénéficieront-elles ? Le ministre du travail donne chaque jour des chiffres différents.

Les femmes représentent 80 % des salariés à temps partiel, et suspendent souvent leur carrière pour leur maternité. Leur salaire est inférieur de 22 à 28 % à celui des hommes. Elles ne cotisent donc pas de la même façon. Elles seront les plus touchées et devront partir à 67 ans pour avoir un taux plein. De qui se moque-t-on ?

Je déplore qu'il n'y ait pas eu de vote à l'Assemblée nationale. (Mme Françoise Gatel et plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains ironisent.)

Une opposition de gauche est bien présente au Sénat, moins bruyante, mais prête à débattre jusqu'au bout.

Une surcote de 5 % pour les mères de famille ayant une carrière complète et un CDI senior ne suffiront pas à rendre cette réforme acceptable.

Cette réforme, 69 % des Français la rejettent sans appel. Ces petits arrangements ne prouvent qu'une chose : la droite et la Macronie marchent main dans la main.

Nous, parlementaires, marcherons avec les millions de Français qui manifesteront leur opposition le 7 mars et après, et serons à leurs côtés et au Sénat pour débattre. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Était-il urgent de faire cette réforme des retraites ? Alors que les Français disent leur opposition, alors que l'inflation, la guerre en Ukraine, la crise de l'énergie et la crise économique créent un climat anxiogène, fallait-il en rajouter ? Est-il raisonnable de passer en force ? N'est-ce pas jouer avec le feu, la colère entraînant souvent des votes extrêmes ?

Il y a un problème de méthode. Chaque Président de la République - Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron - veut réformer le système. Il faudrait une réforme à long terme. Les Français ne le comprennent plus.

L'équilibre financier est surtout un enjeu pour le régime de base de la sécurité sociale.

Depuis la loi organique du 14 mars 2022, chaque PLFSS contient un article liminaire, notamment sur le solde du régime. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il n'est pas équilibré. Le COR prévoit un déficit entre 12 et 14 % à l'horizon 2070. Il faut y remédier.

La solution du Gouvernement est d'augmenter l'âge de départ à la retraite, qui est l'un des plus bas d'Europe. Mais toutes les solutions ont-elles été examinées ? Le Président Macron avait envisagé une autre réforme, remplaçant les 42 régimes par un régime unique à points, qui avait provoqué des manifestations, mais pas plus qu'aujourd'hui. La crise sanitaire l'a effacée d'un revers de manche. Quelle évaluation, quel bilan ?

Je salue l'adoption de l'article 1er bis à l'Assemblée nationale prévoyant une étude d'un tel régime unique. Le RDSE y appelle depuis longtemps.

Les enjeux n'ont pas été expliqués aux Français, ce qui laisse la voie à tous les fantasmes et crée un climat de défiance. Les Français se prennent en pleine figure une réforme injustifiée et injuste pour les seniors, les femmes, les salariés aux métiers pénibles et aux carrières longues.

Peu de gens savent que les 43 ans de cotisation ont déjà été votés sous François Hollande, en 2014, l'augmentation devant être progressive jusqu'en 2035. Votre texte accélère cette évolution de la loi Touraine pour la faire aboutir en 2027. Ceux qui vocifèrent oublient de le dire et qu'on a déjà reculé l'âge pour obtenir un taux plein.

Mmes Élisabeth Doineau et Françoise Gatel.  - Exactement !

M. Henri Cabanel.  - Vous avez commis une erreur de timing, mais avez aussi fait preuve d'un manque de préparation, de sensibilisation et d'explication.

Mener une telle réforme sans l'accord d'aucun syndicat est déjà un échec. Le recul progressif de l'âge légal à 64 ans va pénaliser tous ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans, puisque certains devront travailler plus de 43 ans. Des adaptations sont nécessaires pour prendre en compte les carrières longues, d'autant que ceux qui ont travaillé tôt ont souvent assumé des travaux pénibles. Il s'agit avant tout d'un problème de solidarité.

La surcote à 67 ans soutient les femmes, dites-vous ? Mais combien en bénéficieront ? Heureusement le Gouvernement a annoncé une nouvelle bonification, que nous étudierons avec intérêt.

La réforme va automatiquement reculer l'âge de départ en cas de pénibilité. Il faut donc préciser les critères de pénibilité et encourager les retraites anticipées. J'espère que nous examinerons l'article 9, car l'enjeu est primordial.

L'article 2 met en place l'index senior, avec un objectif d'amélioration de l'embauche des seniors et de maintien dans l'emploi. Je soutiens l'idée d'un bonus-malus qui poserait de vrais objectifs. Un index sans pénalité ne servirait à rien.

Les critères de qualité de vie au travail, comme le taux d'arrêt maladie et de turnover, sont des indicateurs fiables, mais ne sont efficients que s'ils sont assortis de contrôles et de mesures coercitives. Le bien-être au travail est la clé pour le maintien dans l'emploi, d'où l'importance de la visite médicale et du bilan d'usure au travail. Il faut lutter contre les abus de ruptures conventionnelles, privilégier les retraites progressives, penser au bien-être du futur retraité et à la transmission. Je salue l'extension de ce système à la fonction publique. J'ai déposé un amendement pour que le refus de l'entreprise soit motivé.

Pénibilité, carrières longues, femmes : autant de sujets très importants sur lesquels notre groupe défendra des amendements.

À titre personnel, je suis choqué que nous abordions ce débat sans remettre en question le système de retraite des sénateurs. Nous avons certes un régime autonome, que nous finançons nous-mêmes, mais à partir de deniers publics : notre cotisation, la cotisation employeur du Sénat et un prélèvement sur ses actifs financiers. L'Assemblée nationale a aligné son régime sur celui de la fonction publique ; pourquoi pas nous ? Après six ans de mandat, notre pension est supérieure à celle dont bénéficient la majorité des Français après une carrière complète. Je trouve cela choquant. Monsieur le président, je salue vos propos indiquant qu'il faudra réformer notre système. Prévoir pour les autres, c'est trop facile !

Beaucoup de points restent à éclaircir. L'ADN du RDSE, c'est le débat : construisons un texte, allons au bout en le faisant évoluer, débattons dans un climat apaisé. (M. Emmanuel Capus s'impatiente.) C'est notre responsabilité de parlementaires, nous l'assumons en conscience. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Notre pays évolue et vieillit. Nous sommes loin d'en avoir tiré les conséquences sur un système social conçu pour une société totalement différente.

Le préambule de la Constitution de 1946 indique que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » La France d'alors a 40 millions d'habitants, dont moins de 5 millions de plus de 65 ans ; l'espérance de vie à cet âge est de 12 ans pour les hommes et 16 ans pour les femmes. Les retraités y sont beaucoup plus pauvres que l'ensemble de la population, avec un taux de pauvreté qui dépasse les 35 %. Ce taux est aujourd'hui tombé à 8,5 %, contre 14 % dans le reste de la population.

En 2018, la France comptait 65 millions d'habitants, dont 13 millions de plus de 65 ans, soit 20 % de la population. L'espérance de vie à cet âge est de 19 et 23 ans respectivement. Depuis 1945, elle a progressé de trois mois par an en moyenne. Mieux, l'espérance de vie sans incapacité à 65 ans a progressé de 2,7 ans depuis 2008.

Depuis sa création, la retraite a changé de nature et c'est heureux. Bien sûr, ces moyennes cachent de fortes inégalités. Le système y a répondu, se faisant plus universel et plus solidaire : 150 heures de travail permettent de valider un trimestre, contre 200 heures auparavant. Ces évolutions paramétriques et démographiques ont fait des retraites un des premiers postes de dépense publique. Si la loi de programmation des finances publiques n'était pas si technocratique, elle serait le lieu du nécessaire débat sur les priorités de l'action publique...

Nous devons adapter nos choix pour des retraites prises globalement plus tôt, pour plus longtemps et dans des conditions plus généreuses que chez nos voisins.

Oui, il est légitime de s'interroger dans le cadre d'un texte budgétaire car il s'agit bien d'un enjeu de finances publiques.

Notre pays semble devoir subir régulièrement ce rituel traumatique : concertation, oppositions, manifestations, adoption après des reculs qui sont l'annonce d'une prochaine fois...

Il y a trois ans, le Président de la République a tenté une réforme systémique, dans une belle construction intellectuelle sans considération budgétaire. D'abord intéressés, nous nous sommes vite inquiétés : l'âge pivot est venu perturber un régime de moins en moins universel, remarquablement coûteux, qui cheminait sans pilote vers la catastrophe. Seule la crise sanitaire nous a épargné ce risque... Le Gouvernement s'est bien gardé depuis de reprendre sa réforme.

Demeure la question du financement des retraites. Nous sommes attachés au régime par répartition qui marque la solidarité entre les générations mais aussi une certaine garantie de l'État. Pour assurer la pérennité du système, il faut garantir son équilibre.

Le levier des recettes supplémentaires n'est pas crédible, quand nous peinons à descendre sous les 45 % de prélèvements obligatoires.

Reste donc le levier du partage de la prolongation de l'espérance de vie. Nous devrions pouvoir construire un consensus sur des ajustements périodiques, et je regrette que l'âge de départ soit devenu un totem.

La retraite n'est pas le premier sujet pour les personnes âgées : c'est plutôt la santé et la perte d'autonomie, un risque qui doit être assuré. Nous ne sommes pas prêts à faire face aux effets budgétaires du vieillissement. Un pays qui vieillit tend aussi à négliger sa jeunesse. La retraite ne saurait être la seule perspective que nous lui offrons : nous devons une éducation de qualité à nos jeunes, des conditions favorables pour les familles, des services publics de qualité. Faisons le choix de l'équilibre des comptes sociaux pour préserver notre système de retraites et notre capacité à investir pour l'avenir.

On nous reproche d'être la génération qui a gâché la planète : ne soyons pas celle qui aura laissé dépérir un système social qui fait notre fierté et une part de notre identité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Emmanuel Capus .  - (MM. Daniel Chasseing et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.) En France, il y a toujours eu deux grandes familles politiques : les cigales et les fourmis. (Sourires) Les cigales promettent des droits sans savoir si la Nation pourra les financer.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Heureusement, sinon il n'y aurait jamais eu de progrès social !

M. Emmanuel Capus.  - Les fourmis ne promettent rien qui ne puisse être financé.

Au début des années 1980, la France des cigales s'est offert, à crédit, la retraite à 60 ans - contresens historique majeur, alors que la natalité baissait et que la mortalité diminuait.

Mme Monique Lubin.  - Et les gens qui bossaient à 14 ans ?

M. Emmanuel Capus.  - Le temps passé à la retraite n'a cessé d'augmenter depuis.

Mme Monique Lubin.  - C'est faux !

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il a perdu un an !

M. Emmanuel Capus.  - Parallèlement, les Français entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, en raison de l'obsession du bac pour tous et du dénigrement de l'apprentissage.

M. Fabien Gay.  - Par qui ?

M. Emmanuel Capus.  - En 1960, on comptait quatre actifs pour un retraité ; au début des années 1980, moins de trois. Aujourd'hui, ce ratio est de 1,7 actif pour un retraité ; en 2050, ce sera 1,2.

« Il n'y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités », disait De Gaulle. La politique de François Mitterrand fut exactement l'inverse : ignorer la réalité par calcul électoral.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il a été élu !

M. Emmanuel Capus.  - Depuis, tous les Gouvernements ont dû rattraper le coup. La droite avec la réforme Woerth, la gauche avec la réforme Touraine en 2014.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et elle a été battue !

M. Emmanuel Capus.  - Le clivage politique entre cigales et fourmis ne correspond pas au clivage gauche-droite.

Mme Monique Lubin.  - CQFD.

M. Emmanuel Capus.  - Les cigales sont légion au RN : les troupes de Le Pen militent pour revenir à l'ère Mitterrand, quel comble !

Les fourmis ont compris qu'il fallait agir pour sauver l'équilibre financier de notre système de retraite par répartition.

Mme Monique Lubin.  - Et qui se fait manger à la fin ?

M. Emmanuel Capus.  - Il en existe deux types. (Marques d'intérêt à gauche) Les fourmis rouges, qui pensent qu'il faut taxer davantage, oubliant que nous sommes déjà champion olympique des prélèvements obligatoires. (Protestations à gauche)

M. Fabien Gay.  - Et les 100 milliards d'euros de bénéfices des entreprises du CAC 40 ?

M. Emmanuel Capus.  - Et les autres fourmis, qui souhaitent augmenter le temps de travail. Les Pays-Bas, l'Italie, l'Allemagne ou l'Espagne ont déjà décidé de repousser l'âge légal à 67 ans. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.) Ils se sont rendus à l'évidence, il faut travailler plus pour l'équilibre des comptes, c'est une mesure de bon sens. (Marques d'ironie à gauche)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il n'y a que les Français qui sont bêtes !

M. Emmanuel Capus.  - Nous l'avons d'ailleurs déjà voté ici plusieurs fois.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Macroniste ! (Sourires)

M. Emmanuel Capus.  - Nous ne proposerons pas d'aller au-delà de 64 ans, le contexte politique et social ne s'y prête guère.

Messieurs les ministres, je salue votre patience et votre résistance : vous avez survécu à deux semaines de vociférations à l'Assemblée nationale.

Une voix à gauche.   - Flagornerie !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.   - Futur ministre ! (Rires)

M. Emmanuel Capus.  - Beaucoup de Français se demandent aujourd'hui à quoi sert l'Assemblée nationale.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Ils sont plus encore à penser que le Gouvernement fait mal !

M. Emmanuel Capus.  - J'espère que le Sénat ne donnera pas un tel spectacle. Notre groupe soutient ce texte sans ambiguïté. (On feint de s'en étonner à gauche.) Nous serons force de proposition pour l'améliorer. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cher Olivier, cher Gabriel ! (Sourires)

M. Martin Lévrier .  - (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.) La solidarité est le ciment des liens sociaux, le coeur de la cohésion sociale. Notre système de retraite par répartition, que nombre de pays nous envient, fonctionne sur la solidarité intergénérationnelle. L'équilibrer est le moyen d'assurer sa pérennité. Sans réforme, il serait déficitaire dès 2023 et ne reviendrait jamais à l'équilibre : le déficit atteindrait 21,2 milliards d'euros en 2035, et les déficits accumulés d'ici dix ans approcheraient 150 milliards d'euros.

Pour un pensionné, on comptait quatre cotisants en 1960, deux en 2000, 1,7 aujourd'hui, 1,5 en 2040. Qui ici accepterait de baisser les pensions ? De léguer aux générations futures un déficit colossal ? D'augmenter les cotisations des actifs au détriment du pouvoir d'achat ?

Ce texte permet de réaliser 18 milliards d'euros d'économies d'ici 2030, et offre un cadre pour l'avenir.

Il aurait pu se limiter à la recherche de l'équilibre - c'est l'amendement voté depuis quatre ans par Les Républicains - mais nous devions résorber les inégalités qui pénalisent les plus modestes.

Le projet de loi reporte progressivement à 64 ans l'âge légal de la retraite pour les générations nées après 1961, tout en accélérant la réforme Touraine sans toucher à la décote, instaurée par les socialistes.

Le Sénat, dans son esprit de responsabilité, devra mieux prendre en compte les carrières hachées, notamment pour les aidants, ainsi que les carrières longues et la pénibilité. L'accès au C2P sera élargi, un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle sera créé et doté d'un milliard d'euros sur le quinquennat.

Les agents de la fonction publique hospitalière et territoriale exerçant des métiers pénibles seront mieux protégés.

Ce texte comporte des mesures spécifiques aux seniors. Seuls 23 000 salariés bénéficient de la retraite progressive, qui permet une meilleure transition entre vie active et retraite. (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.) La réforme l'étend aux libéraux et aux agents publics. Le cumul emploi-retraite créera des droits supplémentaires à la retraite.

En matière de pouvoir d'achat, 1,8 million de retraités verront leur pension de base revalorisée de 600 euros par an en moyenne ; un futur retraité sur quatre verra sa pension augmenter de 400 euros. La réforme revient sur des inégalités - ainsi des agriculteurs qui conserveront leur taux plein même en cas de départ pour inaptitude ou invalidité.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - N'allez pas nous donner des leçons sur les retraites agricoles !

M. Martin Lévrier.  - Notre groupe proposera le rachat des trimestres de stage et d'études à un tarif préférentiel, ainsi que l'extension aux professionnels libéraux de la majoration de 10 % pour trois enfants.

La démocratie parlementaire a été blessée par des comportements antirépublicains, voire révolutionnaires, à l'Assemblée nationale. Les Français attendent autre chose de notre part.

Lors du PLFSS pour 2023, nous avions examiné 1 142 amendements sur 112 articles ; sur ce PLFRSS de 20 articles, plus de 4 000 amendements ont été déposés... Nous devrons examiner l'ensemble du texte, qui aborde de nombreux sujets importants. Les Français attendent un débat de controverse.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Ils attendent que le texte soit retiré !

M. Martin Lévrier.  - Faire fi du déficit à venir, c'est mettre à mal notre système. Il faut étudier le texte dans son intégralité, pour l'avenir de notre système. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Fabien Gay applaudit également.) Cette réforme d'inspiration purement financière emporte des conséquences sociales que vous avez systématiquement minimisées ou tenté de colmater à coup de rustines.

Prise en charge réduite de la pénibilité, adaptation insuffisante des postes de travail, arrêts maladie à répétition : voilà la réalité des fins de carrière. L'espérance de vie sans incapacité en Suède est de 72 ans, pour un âge légal de départ à 65 ans ; âge que vous voulez repousser à 64 ans en France, alors que l'espérance de vie sans incapacité les atteint difficilement... Vous choisissez de rééquilibrer le régime sans rien demander aux plus favorisés, ce qui revient à fabriquer de la maladie et à dégrader les fins de carrière.

Mme Monique Lubin.  - Tout à fait.

M. Bernard Jomier.  - En 2019, six ans après le report de l'âge l'égal à 62 ans, la Cour des comptes constatait une hausse de 800 millions d'euros du coût annuel des arrêts maladie, qu'elle attribuait à ce report.

Une récente étude du Conservatoire national des arts et métiers l'a confirmé : le report à 62 ans a généré une augmentation des arrêts maladie.

Il faut prendre en charge la pénibilité et adapter les postes. En la matière, tout reste à faire. Il faudrait mener un vrai travail sur les activités responsables d'émissions d'aérosols dangereux, réserver les postes les moins pénibles aux plus âgés, favoriser le recours au C2P, mobilisé par six personnes éligibles sur mille - bref, mener une politique de prévention. L'effort s'est révélé payant chez nos voisins. Mais le virage de la prévention a percuté le mur de Bercy.

Ce texte n'est pas une loi de finances sociales, mais un texte de Bercy. Vous imposez cette réforme financière aux dépens de ceux qui travaillent, souvent pour de faibles revenus. Écoutez-les, avant que le sourd ressentiment qui traverse le pays n'emporte de graves conséquences.

Nous avons élu un président pour faire barrage à l'extrême droite, non pour ajouter du carburant à son moteur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions) Voulons-nous d'un doux mensonge ou d'une amère vérité ? Le système par répartition est menacé. Il a été conçu avec un retraité pour quatre cotisants ; le ratio est aujourd'hui de 1,7 pour un. Les chiffres ne mentent pas.

Les rapports indigestes du COR sont soudain devenus le livre de chevet de certains irresponsables politiques qui n'en ont retenu que le fait que les dépenses étaient sous contrôle, oubliant la dette retraites, de plus de 43 milliards d'euros, détenue par la Cades. Les déficits cumulés représenteront 150 milliards d'euros de dette nouvelle en 2030. Fallait-il réformer dès maintenant ? Oui, sans hésiter.

Nous ne pouvons laisser une telle dette à nos petits-enfants.

Le Sénat, dans sa sagesse, n'a pas attendu l'agenda gouvernemental. Il adopte régulièrement le recul progressif de l'âge de départ à 64 ans, avec accélération de la loi Touraine.

La réforme proposée est-elle adaptée ? Oui, si nous partons du postulat de ne pas augmenter les cotisations pour préserver le pouvoir d'achat. Pour la création d'emplois, j'en doute. Une hausse de 0,5 point des cotisations employeur, c'est 4,5 milliards d'euros de recettes, 225 euros par salarié, même pas le coût d'un emploi pour une entreprise de cent salariés.

Cette réforme est-elle satisfaisante ? D'un point de vue comptable, oui ; d'un point de vue social ou politique, beaucoup moins. Les 6 milliards d'euros de mesures de solidarité seront financés. Mais les Français n'acceptent pas les 64 ans, considérant que seuls les salariés sont mis à contribution. Une solution serait d'augmenter la taxation du capital : est-ce envisageable ?

Plusieurs voix à gauche.  - Oui, oui !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Je pose la question au Gouvernement, et à ceux qui voudraient prendre tout le plat dans leur assiette, pour citer l'Abbé Pierre. Il ne me paraît pas indécent que les bénéficiaires d'un CAC 40 au plus haut acceptent une augmentation de la CSG sur le capital. Un point supplémentaire rapporterait 1,5 milliard d'euros. (Applaudissements à gauche)

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Bravo !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - J'en viens au contenu des articles, car le diable se niche dans les détails.

La retraite à 1 200 euros minimum ne vaudra que pour les carrières complètes. Je propose, avec l'Uncass, un plancher à 75 % du Smic, soit 1 000 euros, pour les carrières incomplètes.

Pour les carrières longues, il serait judicieux de lisser les départs de 57 à 62 ans, avec une durée de cotisation n'excédant pas 43 ans, comme le proposent Olivier Blanchard et Jean Tirole.

Le Gouvernement s'intéresse enfin aux fins de carrière, mais l'index seniors proposé sera insuffisant. Il doit être accompagné d'une prime à l'embauche, une sorte de « Un senior, une solution ».

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Et pourquoi pas un CDI senior ?

Pour les droits familiaux, nous proposions - avant que ne s'abatte l'article 40 - un départ anticipé à 62 ans pour trois enfants, et 63 ans pour deux enfants. De fortes disparités demeurent, avec encore treize régimes de réversion.

Quant à la pénibilité, nous y sommes attentifs, tout comme au sens du travail et à sa valeur. Mais tel n'est pas l'objet de ce texte financier.

Comment prévenir et réparer l'usure professionnelle ? La loi, généreuse, prend en compte les trois critères dits ergonomiques qui donneront droit à un suivi médical à 45 ans. Ce bilan médical devra être complété par un bilan de compétences.

Nous regrettons que le dialogue social ait tourné court, que certains aient voulu remplacer le débat par la désinformation et l'hystérie. J'espère que nous aurons ce débat au Sénat.

Aucune réforme n'est faite pour l'éternité, aussi nous voulons une clause de revoyure, un bilan d'étape par la Cour des comptes en 2026 afin d'assurer la sérénité des débats futurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) Bien sûr, nous allons voter un texte, qui sera le nôtre, une réforme amendée selon les prescriptions du docteur Savary. (« Ah ! » à gauche.)

De quoi aurions-nous l'air si nous refusions de voter une réforme que nous votons ici chaque année depuis des années ? Nous ne sommes pas des girouettes. Notre boussole n'est pas le président Macron, mais l'intérêt national. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce qui abîme la politique, ce sont les revirements, les tête-à-queue. Le Sénat se montrera constant et cohérent.

La politique s'honore à tenir un discours de vérité. La vérité de dire qu'en 2030, la France aura le régime le plus avantageux d'Europe en matière d'âge de départ à la retraite, le plus avantageux aussi pour les carrières longues. (Protestations à gauche) C'est un fait !

La vérité de reconnaître qu'il s'agit d'une réforme budgétaire, car elle doit faire face aux 150 milliards de déficit sur dix ans - et encore, en prenant des hypothèses macroéconomiques très favorables, comme un taux de chômage à 4,5 % !

Nous voulons sauver un régime auquel nous tenons tous. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.) Mais nous voulons aussi garantir le pouvoir d'achat des retraités. Va-t-on imposer aux jeunes de payer deux retraites, la nôtre et la leur ? Certains dénoncent le fétichisme comptable, mais derrière les chiffres, il y a l'argent des Français, il y a la peine des Français. Cela vaut le coup d'en prendre soin.

M. Pierre Laurent.  - Il faut aussi prendre soin de leur avenir !

M. Bruno Retailleau.  - Le point de départ de la réforme, ce sont les déficits ; ce ne peut être le point d'arrivée. Il y a pire que demander des efforts aux Français : c'est leur demander des efforts pour rien. Ce serait le cas si le système n'était pas équilibré en 2030. Nous allons faire des propositions d'économies, notamment sur la fraude... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; protestations à gauche)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et la fraude fiscale ?

M. Bruno Retailleau.  - ...ou sur les conditions de résidence. (M. Philippe Mouiller acquiesce.) Pourquoi de telles différences entre RSA et Aspa ?

Nos amendements vont enrichir le texte, mais pour un coût raisonnable, loin des 6 milliards d'euros de mesures d'accompagnement que prévoit le Gouvernement.

Cette réforme n'est qu'accessoirement budgétaire, car elle porte en elle un projet de société. (On le confirme sur les travées du groupe SER.) Elle récapitule trois enjeux majeurs. Le premier est le modèle social, celui d'un régime de retraite par répartition qui donne du sens au lien entre générations, à ce que nous sommes : non pas un agrégat de communautés ou d'individus, mais une nation, un peuple, dépendants les uns des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Notre régime, certes perfectible, est généreux. Parmi les grands pays de l'OCDE, la France a la plus faible proportion de pauvres de plus de 65 ans, 2,5 fois moins que la moyenne européenne.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Grâce à la retraite à 60 ans ! Depuis, leur nombre augmente !

M. Bruno Retailleau.  - La générosité doit aller de pair avec l'exigence, en matière de lutte contre la fraude, de justice aussi. Pourquoi attendre 43 ans pour faire converger les régimes spéciaux ? Une infirmière mérite-t-elle moins qu'un conducteur de la RATP ou de la SNCF ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; vives protestations à gauche) Nous déposerons bien sûr un amendement. Croyez-moi, cette proposition est juste, et populaire !

Le deuxième enjeu est démographique. La démographie, c'est le destin, disait Auguste Comte. Sans renouvellement générationnel, point de solidarité. C'est pourquoi la réforme ne peut se faire sur le dos des mères de famille qui ont eu des carrières complètes, souvent parce qu'elles élevaient seules leurs enfants, ou que leurs maris avaient de petits salaires... (MmeLaurence Rossignol et Martine Filleul protestent.)

Mme Michelle Gréaume.  - Égalité salariale !

M. Bruno Retailleau.  - Pour ces mères de famille, nous proposons une surcote. Nous le leur devons bien. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Le troisième enjeu est celui de la société que nous voulons. Société du droit à la paresse ou société du travail ? De la décroissance, du déclassement collectif et de l'appauvrissement individuel, ou de la prospérité pour tous et de la croissance ?

Le rapport au travail s'est dégradé à cause de la pandémie, certes, mais avant tout car trop de Français ne parviennent pas à vivre du fruit de leur travail. (Protestations à gauche, où l'on appelle à augmenter les salaires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est le fait d'un mensonge vieux de 40 ans, celui de la retraite à 60 ans et des 35 heures ; du boniment de ceux qui ont dit aux Français qu'ils vivraient toujours mieux en travaillant toujours moins. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains ; protestations à gauche)

M. Emmanuel Capus.  - Et voilà !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - C'est l'euro ! La croissance a manqué !

M. Bruno Retailleau.  - Résultat, la richesse par habitant a dégringolé au 26e rang mondial. Sortons de ce mensonge, tenons un discours de vérité. Ce qui améliorera le niveau de vie, outre le salaire, c'est la création de richesses grâce au travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) D'où ce recul de deux ans de l'âge de départ à la retraite, même s'il est impopulaire. (On le confirme à gauche.) C'est un levier budgétaire, un filet de sécurité contre les décotes massives qui créeront de la pauvreté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et les recettes ?

M. Bruno Retailleau.  - Voyez les simulations de la Cnav ! Croyez-vous que la France puisse s'en tirer en travaillant toujours moins ?

M. Emmanuel Capus.  - Non !

M. Bruno Retailleau.  - Avec cette réforme, nous allons mécaniquement augmenter le taux d'emploi des seniors. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Faux ! De 1 % seulement !

M. Bruno Retailleau.  - La croissance de demain est obérée par une productivité en berne, une durée du travail en berne, un taux d'emploi parmi les plus faibles en Europe. La proposition de notre commission sur l'emploi des seniors n'est pas un caprice, mais un point essentiel. L'index est statistique, le contrat de fin de carrière est autrement plus opérant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Nous sommes la Haute Assemblée, nous avons un rôle majeur à jouer. Le débat sera passionné, mais raisonné ; il sera rugueux - je suis heureux qu'il ressuscite le vieux clivage droite-gauche. (Applaudissements amusés sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

M. Jérôme Durain.  - Merci pour les ministres ! (Sourires)

M. Bruno Retailleau.  - Le Parlement, ce n'est pas Guignol : c'est la représentation des Français. La politique n'est pas la guerre, l'institutionnalisation de la violence dans les hémicycles : c'est la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE) C'est le moyen de canaliser la violence et de la transformer en débat.

Nous devrons relever le défi d'un débat respectueux, qui aille jusqu'au vote : un parlementaire est aussi fait pour voter !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Nous voulons le retrait du texte !

M. Bruno Retailleau.  - Vous annoncez vouloir voter l'article 7, mais toutes les questions que nous aborderons après méritent aussi un vote. Pour nous, c'est un devoir. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)

M. Daniel Chasseing .  - Carrières longues, emploi des seniors, retraite des femmes : il eût fallu traiter de ces sujets au préalable, dans le cadre d'une loi Travail négociée avec les partenaires sociaux. Reste que ce texte est là, notre responsabilité est d'en débattre. Je remercie Mme Doineau et M. Savary pour leurs exposés complets et leurs propositions précises, qui amélioreront le texte.

M. Capus a rappelé les faits : nous sommes passés de quatre actifs pour un retraité à 1,7 pour un ; le nombre de retraités atteindra 25 millions en 2050 ; le COR annonce un déficit de 14 milliards d'euros en 2030, sur la base d'un taux de chômage de 5 %.

Telle est la situation, malgré les réformes de 2004, 2010 et 2014, qui ont allongé la durée de cotisation. Ce texte accélère la réforme Touraine mais ne change rien à l'objectif.

Nous devons sauver notre système par répartition, issu du Conseil national de la Résistance (CNR), sans laisser une dette désastreuse à nos enfants et tout en préservant le pouvoir d'achat des retraités. Nous devons valoriser davantage la maternité et augmenter le taux d'emploi des seniors sans les précariser.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - C'est pourtant ce qui va se passer !

M. Daniel Chasseing.  - À l'article 2, nous devons améliorer sensiblement l'index senior dans les entreprises pour favoriser leur recrutement et leur maintien dans l'emploi. L'amendement du rapporteur « Un senior, une solution » nous paraît cohérent avec cet objectif.

À l'article 8, il est essentiel que les personnes ayant commencé à travailler à 16, 18 ou 20 ans puissent partir après 43 ans de cotisations.

L'article 9 peut également être amélioré afin de mieux tenir compte de l'usure professionnelle via un suivi médical plus régulier et l'application de nouveaux facteurs de pénibilité.

Les aidants doivent être mieux pris en compte à l'article 10.

La revalorisation des pensions les plus faibles à 85 % du Smic est un progrès, mais nous avons besoin de précisions : les agriculteurs et les artisans ayant une carrière complète percevront-ils 1 200 euros ?

L'article 13 améliore sensiblement le dispositif emploi-retraite : les retraités qui reprennent une activité bénéficieront de nouveaux droits, ce qui remotivera des médecins retraités à effectuer des remplacements. Il faut ouvrir plus largement la retraite progressive et assurer le départ anticipé des personnes handicapées.

Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas mobilisé les partenaires sociaux en amont pour préparer une loi Travail. Mais nos rapporteurs ont donné au texte une dimension nouvelle, notamment sur l'emploi des seniors.

Espérons que le Sénat améliorera ce texte pour apporter un équilibre pérenne à notre système de retraite et, par là, à la sécurité sociale, colonne vertébrale de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et au banc des commissions ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

Mme Victoire Jasmin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Laurence Cohen et Esther Benbassa applaudissent également.) Cette réforme injuste et injustifiée aura des effets néfastes sur les populations d'outre-mer. Pourquoi les réalités de nos territoires, marqués par la vie chère, n'ont-elles fait l'objet d'aucune étude préalable ?

Par idéologie, le Gouvernement cherche à imposer son projet machiavélique en limitant à dix jours le débat au Sénat.

Une application différenciée de la réforme en outre-mer est indispensable, particulièrement pour les femmes. Sinon, nous irions à la catastrophe humaine et sociale ; les conséquences seraient graves pour les retraités, mais aussi les collectivités territoriales - les centres communaux d'action sociale servent de rempart face aux inégalités et à la pénibilité.

Les disparités entre nos territoires et la métropole sont pourtant connues. Les défauts de déclaration et la maltraitance institutionnelle contribuent au non-recours aux droits, et les trous de carrière sont trois fois plus nombreux que dans l'Hexagone. Les salariés ultramarins sont contraints à des départs en retraite plus tardifs : 65 ans en moyenne, contre 62,7 ans dans l'Hexagone. Vous allez contraindre ceux qui partent déjà plus tard à partir plus tard encore, avec les problèmes de santé qui s'ensuivront !

Les pensions en outre-mer sont plus basses de 10 à 17 % par rapport à l'Hexagone. Dans un contexte d'inflation permanente, 9 à 15 % des retraités ultramarins sont en grande pauvreté ; en Martinique, 24 % des pensionnés bénéficient du minimum contributif.

Les travailleurs indépendants, les travailleurs agricoles et les femmes sont de plus en plus nombreux à solliciter l'Aspa : 40 % de plus en Guadeloupe entre 2017 et 2022. Des questions restent en suspens sur la déconjugalisation et le seuil de recouvrement sur l'actif successoral.

Les enjeux de la réforme en outre-mer sont nombreux et spécifiques. Une plus grande différenciation est donc nécessaire. La chambre des territoires doit entendre les Français ! (Applaudissements à gauche)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - J'insisterai sur quatre points en écho à vos interventions, dont je vous remercie : qu'elles aient exprimé oppositions, soutiens ou nuances, elles augurent de débats qui permettront d'avancer.

Premièrement, notre objectif est de rétablir l'équilibre du système tout en l'améliorant. L'améliorer seulement serait plus facile, mais ce ne serait pas responsable. L'équilibrer seulement ne serait pas juste.

Les seules mesures d'âge rapporteront 17,7 milliards d'euros. Par ailleurs, nous augmentons légèrement le taux de cotisation à la CNRACL. Nous proposons aussi une réduction légère du taux de cotisation des employeurs à la branche AT-MP, excédentaire, pour augmenter leur taux de cotisation à la Cnav. Au total, ces mesures rapporteront 19,5 milliards d'euros, qui financeront les mesures nouvelles et résorberont le déficit, estimé à 13,5 milliards d'euros en 2030.

D'autres mesures sont envisagées, dont la retraite anticipée pour les salariés en incapacité permanente, proposée par M. Savary, mais aussi le financement du fonds de prévention de l'usure professionnelle, proposé par le Gouvernement. Mais soyons vigilants pour ne pas contrarier le retour du système à l'équilibre.

Deuxièmement, si certains amendements remettent en cause l'essence de la réforme, d'autres, déposés par presque tous les groupes, permettent d'avancer, d'apporter des précisions ou de créer des droits : avec la prudence financière dont je viens de parler, le Gouvernement est ouvert à l'ensemble de ces propositions.

Troisièmement, notre système est complexe et morcelé, traversé par des inégalités, parfois des injustices. Songez que, en matière de pensions de réversion, treize règles différentes s'appliquent !

Mme Jasmin a évoqué les outre-mer : on y retrouve cette complexité, alors que les assurés ultramarins ont déjà un âge effectif de départ supérieur à 64 ans.

M. Victorin Lurel.  - Et pourquoi ?

M. Olivier Dussopt, ministre.  - La solution relèvera non de ce texte, mais des chantiers que vous avez évoqués : amélioration des déclarations, fiabilisation des systèmes d'information, carrières moins hachées. (M. Victorin Lurel est dubitatif.) En revanche, le relèvement de l'âge ne sera pas mordant en outre-mer, où l'on part déjà en retraite plus tard.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est une moyenne !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Par ailleurs, de nouveaux chantiers sont devant nous : en Guadeloupe et à La Réunion, par exemple, les salariés agricoles ne sont pas couverts par la complémentaire Agirc-Arrco - cette décision relève des partenaires sociaux.

Mayotte appelle des réponses différentes. Les 2 600 pensionnés y touchent une retraite moyenne de 287 euros, parce qu'ils ne déclarent que neuf ans de cotisations.

Autre illustration, les pensions minimales, qui relèvent de l'article 10 - je ne doute pas que nous y arriverons rapidement...

Mme Laurence Rossignol.  - Le dimanche 12 !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Le Président de la République a pris l'engagement d'atteindre 85 % du Smic net pour une carrière complète.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Ce n'est pas le cas !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Cette cible se traduit par le fait que 1,8 million de retraités verront leur pension revalorisée dès septembre ; la moitié percevront entre 70 et 100 euros supplémentaires, ce qui ne les rendra pas riches mais est loin d'être négligeable. Ces mesures concernent aussi les salariés ayant une carrière complète à temps partiel, moyennant la proratisation.

S'agissant des 800 000 nouveaux retraités annuels, 200 000 auront une pension revalorisée ; parmi eux, 40 000 dépasseront les 1 200 euros et 40 000 recevront 100 euros - mais ce ne seront pas forcément les mêmes. Pour la génération 1962, le passage à 1 200 euros dépend à la fois de l'indexation et de la revalorisation. Globalement, j'insiste, 200 000 nouveaux retraités, chaque année, auront une retraite améliorée.

Une voix à gauche. - Mais pas à 1 200 euros !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Quatrièmement, cette réforme n'est pas un aboutissement, mais un jalon. Avant l'été, vous serez saisis d'un texte sur l'emploi, le travail et l'insertion qui traitera notamment de l'apprentissage et de la formation, prolongera les assises du travail en matière de qualité de vie, renforcera la lutte contre les accidents de travail graves et mortels, un sujet qui me tient particulièrement à coeur, et améliorera la démocratie en entreprise.

Je suis certain que de nombreuses préoccupations qui seront évoquées dans les prochains jours trouveront leur place dans ce futur texte. C'est vrai notamment pour le travail des seniors. Quant au retrait, proposé par M. Marseille, de la majoration de 10 % aux parents privés de leur autorité parentale, il s'agit d'une mesure à laquelle je souscris (on s'en félicite sur les travées du groupe UC), mais qui, s'agissant d'une peine complémentaire, relève plutôt d'un texte sur la justice.

Je ne doute pas que nous examinerons l'ensemble des mesures de ce projet de loi et que la CMP pourra être saisie d'un texte amélioré. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ainsi que sur des travées du groupe UC ; M. Rémy Pointereau applaudit également.)

Prochaine séance demain, vendredi 3 mars 2023, à 9 h 30.

La séance est levée à 18 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du vendredi 3 mars 2023

Séance publique

À 9 h 30, 17 h, le soir et la nuit

Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Valérie Létard, vice-présidente

Secrétaires : M. Loïc Hervé - Mme Jacqueline Eustache-Brinio

1. Examen de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n°388, 2022-2023)

2. Suite du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, dont le Sénat est saisi en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution, pour 2023 (discussion des articles) (n°368, 2022-2023) (demande du Gouvernement en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution)