SÉANCE

du vendredi 3 mars 2023

61e séance de la session ordinaire 2022-2023

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Motion référendaire sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la motion présentée par M. Patrick Kanner, Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues, tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023.

Discussion générale

M. Patrick Kanner, auteur de la motion .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Au nom de la présidente Assassi, du président Gontard et de nos trois groupes CRCE, GEST et SER, j'ai l'honneur de vous présenter cette motion référendaire.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.  - C'est la Nupes ! Vous avez oublié Mme Panot !

M. Patrick Kanner.  - « Toute la bataille menée depuis le XIXe siècle se trouve ainsi résumée : la bataille pour le temps de vivre. La conquête du temps de vie. Quelle était cette vie pour un prolétaire au XIXe siècle ? Il n'y avait pas de retraite à la fin de la vie, il n'y avait pas de journée de repos, il n'y avait pas de week-end. »

Quarante-deux ans plus tard, ces mots du président Mitterrand résonnent dans notre hémicycle. Issu du Nord, où l'espérance de vie est plus basse de deux ans que la moyenne nationale, je sais ce que veut dire le travail, dans le bassin minier à Denain ou Douai, dans les usines textiles de Roubaix et Tourcoing, dans les usines métallurgiques de Maubeuge et Dunkerque.

Toujours, sous tous les régimes, il a fallu arracher les concessions aux puissants et un peu de « temps de vivre » pour les salariés.

J'ai aujourd'hui face à moi ceux qui veulent revenir sur ces conquêtes sociales - toujours pour les mêmes raisons : l'argent, quoi qu'il en coûte sur le plan social. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE ; protestations amusées à droite)

Les majorités de droite, relative à l'Assemblée nationale, indiscutable au Sénat, font face aux Français, en opposition frontale. Aujourd'hui, nous nous battons, non pour arracher des concessions, mais pour qu'elles n'arrachent pas du temps de vivre aux Français - un nouvel impôt sur la vie. Ils ont fait le choix de l'injustice, plutôt que l'équité.

La retraite par répartition s'est forgée dans les luttes sociales : la Libération et les jours heureux, 1981 et ses grandes conquêtes. Vous attaquez un pan de l'histoire. Rien d'étonnant venant de la droite, qui fait son fonds de commerce du détricotage de notre modèle social. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Roger Karoutchi.  - Et la sécurité sociale ?

M. Patrick Kanner.  - Rien d'étonnant non plus venant du Gouvernement.

En revanche, le faire ainsi est inédit. Choisir une procédure qui fait obstacle à un débat souverain, pour une réforme de cette importance, c'est inédit. Présenter un texte qui semble griffonné sur un bout de table, c'est inédit. Faire émerger un front syndical aussi uni, c'est inédit. Je pourrais continuer...

Vous détournez l'article 47-1 de la Constitution pour contourner le Parlement : c'est de la piraterie parlementaire, qui entraînera un examen rapide et incomplet d'une réforme sociale relevant normalement de la loi ordinaire.

De plus, ce débat aurait dû être précédé d'une grande réflexion sur le travail et l'égalité femmes-hommes.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Exact.

M. Patrick Kanner.  - Ce texte pourrait être promulgué sans aucun vote des deux chambres : c'est un scandale. Vous agissez ainsi parce que vous n'avez pas de majorité propre, monsieur le ministre. Le Conseil d'État vous a prévenu que vous prenez le risque d'une censure des cavaliers sociaux de ce texte : les mesures qui n'ont pas d'effet direct sur les recettes et les dépenses de la sécurité sociale. Sans ces sucrettes, il ne restera que la pilule amère.

Au surplus, cela abîme la démocratie. Le Gouvernement est le premier comptable de ce climat dégradé. L'obstruction, le débat tronqué, le passage en force, c'est d'abord vous. (On feint l'indignation à droite ; M. Martin Lévrier proteste.)

M. David Assouline.  - Ce n'est que vous !

M. Patrick Kanner.  - Voilà plusieurs semaines que vous naviguez de contre-vérités en approximations, sur la retraite des femmes, sur le minimum de 1 200 euros : vous semblez découvrir au fil de l'eau les effets négatifs du texte, lorsque nos collègues députés vont chercher l'information à la source. Cette litanie de mensonges sert à camoufler vos insuffisances. C'est un mécano bancal, conçu par des bricoleurs.

La seule majorité que vous avez est contre vous : c'est celle des Français. Le front syndical uni est à l'origine d'une mobilisation pacifique inédite depuis trente ans. Le monde du travail, dont nous sommes les porte-voix, le montrera le 7 mars.

M. Roger Karoutchi.  - On verra !

M. Patrick Kanner.  - Entendez-vous le clair refus des Français ? Ils vous disent qu'ils ne tiendront pas jusqu'à 64 ans. Ils percent vos intentions profondes : faire des économies sur le dos des ouvriers, des employés, de la classe populaire comme de la classe moyenne. Votre obsession du moins d'impôt, vous voulez la faire supporter par six Français actifs sur dix, sans effort demandé à l'hyper-minorité des bénéficiaires de votre bouclier fiscal. Qu'ils dorment en paix : le ruissellement, c'est pour les autres...

Le Président de la République a été élu pour faire barrage à l'extrême-droite, pas pour cette régression sociale. Vous ne passerez qu'en brutalisant la République ; vous jouez avec le feu, tout en sachant à qui cela profitera politiquement.

Nous vous appelons donc à retirer votre réforme ; mais à défaut, nos trois groupes vous offrent une autre voie : assumez votre politique, et présentez le texte aux Français. Ils sont dans la rue, ils préféreraient aller aux urnes. J'appelle aussi la majorité sénatoriale à faire honneur au gaullisme ! (On se récrie à droite ; M. David Assouline s'amuse.) Faites trancher cette question par référendum, comme le permet la Constitution de De Gaulle.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Exactement !

M. Patrick Kanner.  - Mes derniers mots sont pour le Président de la République, qui a osé en appeler au bon sens des Français. Le bon sens, c'est de retirer la réforme. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST) À défaut, je vous encourage, chers collègues, à porter la question devant les Français. (Applaudissements et « bravos ! » sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

Monsieur le président Kanner, nous nous attendions à votre motion. Elle est un outil - ne disons pas une arme - de destruction majeure. (Protestations amusées à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. David Assouline.  - Quelle violence ! (Sourires)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - D'obstruction, à tout le moins !

Une incompréhension, d'abord : je sais combien vous êtes attaché à la démocratie parlementaire, monsieur Kanner.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il ne fallait pas demander un référendum dans ce cas-là !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - Or vous nous proposez un court-circuit : on ne débattrait pas au Parlement, mais on laisserait la rue choisir... (Vives protestations à gauche) Je vois que cela vous fait réagir ; mais François Hollande n'a-t-il pas dit qu'il fallait respecter la démocratie représentative ? Pourquoi élire des parlementaires s'il faut tout demander directement au peuple ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; nouvelles protestations à gauche)

M. David Assouline.  - Pas tout !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - Poser une question binaire sur cette réforme aboutira toujours à un non. (Nombreuses interpellations à gauche)

Mme Laurence Cohen.  - Ce n'est pas vrai !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - En revanche, si vous leur demandez : voulez-vous sauver le système de répartition, préserver vos propres pensions, la réponse sera oui. Soyons attentifs aux questions posées par référendum. (Les protestations et interpellations continuent.)

M. David Assouline.  - Posez-les, ces questions !

Mme Éliane Assassi.  - C'est laborieux !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - Un autre socialiste, Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes...

M. Mickaël Vallet.  - Il n'est pas socialiste !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale.  - ... dit que nous sommes face à un mur d'investissements et de dettes, avec les 155 milliards d'euros de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Je n'entends pas laisser à d'autres cette responsabilité, qui relève du Parlement. (Marques d'ironie à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

Le Président Chirac déclarait : « La maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Aujourd'hui, c'est la dette que nous oublions. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDPI ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) On peut se poser la question du référendum : proposer au peuple un texte dont nous sommes saisis, en refusant le débat. (« Non, non ! » à gauche) Sans, donc, prendre en compte les avancées sociales que nous proposons. (On ironise bruyamment à gauche.)

M. David Assouline.  - C'est ça !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Sans l'effort pour les mères de famille, la meilleure prise en compte de l'usure professionnelle, les améliorations sur la retraite progressive. Avec une question brute de décoffrage, vous refusez le débat.

Ensuite, les Français, un petit peu franchouillards, un petit peu gaulois... (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'indigne.)

M. Martin Lévrier.  - Réfractaires !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - ... ne répondront pas nécessairement à la question qui leur est posée.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Et le référendum sur la Constitution européenne ?

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - Que ne l'avez-vous pas fait, chers collègues, au moment de la réforme Touraine ? (M. Roger Karoutchi marque son approbation ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Auriez-vous demandé aux jeunes Français de 16 ans s'ils voulaient travailler 45 ans ? (Mme Monique Lubin et M. David Assouline se récrient.) Nous proposons, nous, qu'ils travaillent moins.

Je ne poserais pas la question comme vous le proposez. Je leur demanderais, moi, s'ils veulent que leurs enfants travaillent jusqu'à 65 ans plutôt que 64, car c'est ce qui arrivera si nous ne prenons pas nos responsabilités. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Que nous disent les syndicats ?

De nombreuses voix à gauche.  - Retrait de la réforme !

M. René-Paul Savary, rapporteur.  - C'est qu'il faut débattre du texte ! Je discutais récemment avec une déléguée CGT de mon département (on s'en amuse à gauche) : elle nous y exhortait. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Martin Lévrier applaudit également.) Nous, nous suivons les syndicats. Avis défavorable ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Les sénateurs ne peuvent se décharger de leur mission de débat et de vote. Ce serait une démission. Sur le fondement de l'article 68 de notre Règlement, vous proposez d'interrompre le débat, au moment où il s'engage. Tout ça pour ça...

Le Sénat a le rôle particulier de débattre des vingt articles du projet de loi. Seuls deux l'ont été à l'Assemblée nationale... Tant Philippe Martinez que Laurent Berger le regrettent, ce dernier ayant même déploré un « spectacle indigne et honteux ». (Protestations à gauche)

M. Roger Karoutchi.  - Eh oui !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Ce n'est pas une lubie, mais un devoir. Vous esquivez le débat, comme le montre aussi le dépôt de milliers d'amendements. Pas bouger, pas fâcher, pensez-vous... Pas gouverner non plus !

Nous, nous avons la conviction que le Parlement peut être utile. Que n'avez-vous utilisé le référendum en 2016 sur la loi travail, qui permet de travailler jusqu'à 46 heures par semaine ? Deux Français sur trois n'en voulaient pas... (M. Laurent Lafon marque son approbation.)

Quant aux retraites, la loi Touraine de 2014 a-t-elle fait l'objet d'un référendum ? La réponse est non ! La présidente Cohen dénonçait à l'époque une réforme qui allait « frapper les femmes ». Je reconnais la constance au CRCE, qui avait alors multiplié les motions. Le groupe SER n'a pas cette cohérence.

Quant à la retraite à 60 ans, en 1981, elle a été instituée par ordonnance... (Protestations sur les travées du groupe SER)

M. Roger Karoutchi.  - Eh oui !

Mme Monique Lubin.  - Le mandat était clair à l'époque !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Pourtant, le directeur de cabinet du Premier ministre alertait déjà sur les dangers de la retraite à 60 ans. (M. Robert Karoutchi acquiesce.)

Si vous voulez un référendum, il faudra aussi soumettre vos propositions : renoncer à 10 % des pensions, par exemple.

Mme Monique Lubin.  - Qu'est-ce que c'est que cette histoire de 10 % ?

M. Rémi Féraud.  - Et taxer les superprofits !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - En outre, les plus jeunes, qui sont les premiers concernés, n'auraient pas leur mot à dire. Le questeur Anziani, se prononçant sur une motion référendaire en 2010, l'avait souligné en son temps : l'autre façon de consulter les Français, c'est l'élection présidentielle. Le Président de la République a abordé le sujet dès la campagne du premier tour, en 2022.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et il a eu 25 % !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Le peuple français l'a porté au second tour.

Vos collègues socialistes et sociaux-démocrates européens, eux, n'ont pas fait l'autruche : José Socrates, au Portugal, 66 ans ; José Luis Zapatero, en Espagne, 66 ans ; Alexis Tsipras, en Grèce, 67 ans ! (Nombreuses protestations à gauche) Il y a urgence pour consolider le système. (Mêmes mouvements)

Le RDPI votera contre la motion, pour poursuivre l'examen du texte et faire notre travail parlementaire. Je vous citerai en conclusion cette belle analyse publiée en 1988 dans la revue Pouvoirs : « L'article 11 doit être utilisé avec précaution, à propos de textes peu nombreux et simples dans leur rédaction. Sinon, il serait préférable que la population des Français fût éclairée par un large débat parlementaire ». Elle est de François Mitterrand... Soyez mitterrandiens, éclairez les Français par le débat parlementaire ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

M. Laurent Lafon.  - Excellent !

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Au lendemain de la victoire de 1945, la Constitution de 1946 proclame dans son Préambule : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

La politique, c'est changer la vie : voilà le thème porté par les socialistes en 1981. Parmi les grandes avancées d'alors figure la retraite à 60 ans. Nous savons combien le travail endommage la santé : seuls 35 % des ouvriers travaillent au-delà de cet âge. Vous avez supprimé le critère de pénibilité : votre politique, c'est de dégrader la vie des femmes, des précaires, de ceux qui ont une carrière longue. Changer la vie, c'est oeuvrer pour la France qui travaille, les aides-soignants, les femmes de ménage.

La retraite a été pensée comme un nouveau salaire, dans une relation autre que marchande avec la société. Les retraités sont une richesse non prise en compte dans les tableaux comptables, par leur engagement dans les associations, la garde des enfants, les conseils municipaux. Vous allez réduire de deux ans cet engagement. Les Français, qui y sont attachés, rejoignent un front syndical uni pour manifester.

Le 7 mars, les syndicats ; le 8, les femmes, le 9, les jeunes, et le 10, les marches pour le climat diront non à votre réforme injuste et libérale.

Nous vous proposons une échappatoire avec le référendum : saisissez-la. De Gaulle, par quatre fois, s'en est remis à la sagesse populaire, les citoyens prenant leurs responsabilités pour décider de l'avenir. Il faut associer les Français à la construction de leur future société.

Plus des deux tiers d'entre eux s'opposent à une réforme pour laquelle M. Macron n'a pas de légitimité : il a été élu non sur son programme, mais pour faire barrage à l'extrême droite. Sans majorité, il doit composer avec la droite. Lorsque le peuple, souverain, est en désaccord avec ses représentants, il ne reste que le référendum.

Je me tourne vers la droite : par coïncidence, il revient au groupe héritier du gaullisme de trancher. Il vous appartient d'offrir à nouveau au peuple les clés de son destin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Mme Laurence Cohen .  - (M. Patrick Kanner applaudit.) Demander un référendum sur cette réforme sonne comme une évidence. Le rejet de cette provocation est massif dans le pays. C'est une provocation de répondre ainsi à l'angoisse d'une population frappée par le covid, par une précarité en hausse, par une inflation à deux chiffres sur les produits alimentaires et de première nécessité.

C'est une provocation pour les femmes déjà discriminées dont, en reculant la retraite, vous prolongerez en réalité le chômage... Le message est cynique : l'écart entre leurs pensions et celles des hommes, qui s'élève à 40 %, sera moindre, dites-vous. Mais les femmes veulent l'égalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

Le Président de la République a dit faire de l'égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat. Mettez en adéquation les actes avec les mots !

Toute la gauche est scandalisée par l'idéologie familialiste, nationaliste qui inspire les propositions de M. Retailleau. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; protestations à droite)

M. Bruno Retailleau.  - Sectarisme !

Mme Laurence Cohen.  - Non, les femmes n'ont pas d'alternative entre travailler plus et faire plus d'enfants ! Retirez ces propositions, par dignité.

M. Bruno Retailleau.  - Jamais !

Mme Laurence Cohen.  - C'est une provocation alors que menace la troisième guerre mondiale, que la jeunesse fait face à des parcours scolaires et universitaires de plus en plus sélectifs. Que proposez-vous pour elle ? Un service national universel autoritaire, qui s'apparente à un embrigadement... Quel étudiant peut espérer une retraite avant 70 ans ?

C'est une provocation pour les premiers de corvée que vous couvriez de louanges hypocrites lors du covid.

La mobilisation du 7 mars s'annonce massive : le clivage gauche-droite, enfin assumé jusqu'au sein même du Gouvernement, s'affirme. M. Macron veut passer au forceps avec l'article 47-1 qui relève d'un détournement de procédure : vous violez la Constitution, tentez de soumettre le Parlement.

Nous sommes tout aussi choqués par l'attitude de la majorité sénatoriale : le Sénat, qui avait affirmé son rôle de contre-pouvoir, accompagne désormais complaisamment le chef de l'État.

M. Roger Karoutchi.  - C'est l'inverse !

Mme Laurence Cohen.  - Un texte qui n'aurait été soumis au vote ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat pourrait être adopté en CMP, dans un débat dominé par un groupe Les Républicains pourtant en perte d'influence dans l'opinion publique. (On se récrie sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi.  - Pas du tout !

Mme Élisabeth Doineau.  - Et la gauche ?

Mme Laurence Cohen.  - Il faut un référendum. Qui peut dire, alors que 90 % des actifs rejettent le texte, « restons entre nous, validons le texte dans un temps contraint » ? Tout vote contre cette motion référendaire est un acte grave contre la démocratie. (On s'indigne à droite ; applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST) La révolte est légitime. Je vous appelle, au nom du CRCE, à voter sans hésitation cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue le travail des rapporteurs sur le fond du texte, ainsi que leur calme et leur modération. C'est important, on vient de le voir ! (Sourires) Leur capacité d'écoute, leur sens de la formule grandissent le Sénat.

Au nom du groupe UC, nous ne voterons pas cette motion pour des raisons d'opportunité et de fond.

Mme Laurence Cohen.  - Ce n'est pas un scoop !

M. Olivier Henno.  - Nous sommes réunis pour discuter de nos retraites, et s'exonérer du débat en choisissant le référendum reviendrait à refuser l'obstacle. Ce n'est pas une option.

En outre, notre tradition politique veut que le référendum soit réservé aux questions institutionnelles : pour les questions sociétales, économiques et sociales, c'est au Parlement de débattre. Évitons ce précédent irresponsable - car pourquoi pas un référendum sur tous les textes sociaux ? - qui est un mauvais coup à la démocratie parlementaire... (« Très bien ! » à droite)

Parlons du texte et du contexte. MM. Marseille et Vanlerenberghe ont exprimé hier le soutien de notre groupe à la réforme. Mais il faut améliorer le texte, dans une double volonté d'équilibre et d'enrichissement, notamment pour les femmes, les carrières longues, les seniors.

Nous proposerons d'aller plus loin que la commission, tout en préservant l'équilibre financier, qui est fondamental : il faut que la réforme en vaille la peine - sinon, les Français seraient fondés à dire : « tout ça pour ça ! »

M. Roger Karoutchi.  - Absolument.

M. Olivier Henno.  - Je ne comprends toujours pas la timidité du Gouvernement sur la politique familiale. Vous avez privé la branche famille de deux milliards d'euros dans le dernier PLFSS, ce qui semble d'autant plus inapproprié aujourd'hui. Nous proposons la retraite à 63 ans pour les familles jusqu'à deux enfants, et 62 ans pour les familles de trois enfants et plus. Je ne crains pas d'assumer une politique nataliste. (MM. Bruno Retailleau et Max Brisson applaudissent.)

Nous sommes attachés au système de retraite par répartition. Financer la retraite de 20 millions de retraités impose l'anticipation : seule l'augmentation de la quantité de travail garantit le financement de la protection sociale, notamment de la branche vieillesse.

Nous sommes attachés à la valeur travail : vous n'entendrez pas sur nos travées un éloge de la paresse ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Monique Lubin proteste.)

Les partenaires sociaux sont prêts à aborder la question du travail. L'index seniors est un premier geste, mais sera-t-il suffisant ? Le succès de cette réforme passe par la nécessité, pour toutes et tous, de s'épanouir dans son travail. Un sondage publié hier montre que 58 % des Français, contre 49 % en 2019, voient le travail comme une contrainte, et 42 % comme un moyen de se réaliser - ils étaient 51 % en 2019. Ce recul est inquiétant : ce changement profond, s'il se confirme, est un germe de déclin de notre pays. (M. Martin Lévrier acquiesce ; protestations sur les travées du groupe CRCE)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Merci à la loi Travail !

M. Olivier Henno.  - Dans la société post-covid, il faut débattre de l'augmentation des salaires, de la pénibilité, des métiers en tension, de la formation tout au long de la vie. Le bien-être au travail, voilà notre défi.

Il convient d'aller plus loin en matière d'équité. Au lendemain de cette réforme, il faudra recoudre notre tissu social : c'est pourquoi nous avons demandé par la voix de notre président Hervé Marseille une conférence nationale pour refonder le paritarisme et discuter de la place du travail dans notre vie.

Le groupe Union Centriste veut aller au terme de ce débat : nous ne voterons pas la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Jean-Claude Requier .  - Cette motion référendaire pose deux questions : faut-il un débat, faut-il une réforme ?

Le RDSE répond « oui » à la première. Hier, nous avons entendu qu'un compromis était à notre portée, mais que la réforme est incontournable. Les regards se tournent vers le Sénat. Encore faut-il que le débat soit empreint de respect...

Beaucoup de groupes politiques ont tenté d'améliorer la réforme. Le RDSE a écouté syndicats, experts, déposé des amendements... Le renforcement des prérogatives du Parlement est un combat du Sénat : ne nous privons pas du droit de débattre ni de celui d'améliorer pour avancer. C'est le principe du bicamérisme.

Le temps de la réforme est venu : notre système sera déficitaire de 1,8 milliard d'euros dès cette année, et de plus de 13 milliards d'euros en 2030. Il a le défaut de ses qualités, mais la solidarité intergénérationnelle est au coeur du pacte républicain.

Il faut une réforme. Le RDSE défend depuis longtemps une réforme systémique pour une retraite à points. Mais, sans rancune, notre groupe ne rejette pas en bloc votre projet.

Nous sommes ouverts au compromis, avec des attentes cependant, sur les carrières longues, les droits des femmes, le service civique, la pénibilité, les seniors... La participation des entreprises ne doit pas être écartée, notamment de celles qui distribuent des dividendes indécents à leurs actionnaires en pleine crise du pouvoir d'achat.

Pour être acceptée, une réforme doit être équitable. Nous devons entendre toutes les sensibilités et nos concitoyens inquiets.

Le Sénat doit jouer son rôle, le RDSE choisit le débat. La grande majorité de mon groupe ne votera pas la motion. (MM. Emmanuel Capus et Roger Karoutchi applaudissent.)

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Déposer une motion référendaire s'inscrirait dans une stratégie de « combattre sans obstruer ». Stratégie ou stratagème ? Les auteurs de la motion crient au scandale en disant qu'avec les 64 ans on pousse les Français à travailler plus longtemps, alors que c'est la réforme Touraine qui allonge la durée de cotisation. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) Or on commence à travailler en moyenne à 22 ans : 22 plus 43, ça fait 65... (Applaudissements sur les travées dRDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Monique Lubin proteste.)

Les Français peuvent toujours partir à 62 ans, direz-vous. Mais avec quelle retraite ? Leur pension subira une décote. C'est une machine à créer des retraités plus pauvres, dont nous ne voulons pas.

Donner la parole au peuple sur un sujet qui le concerne serait démocratique. Mais qu'en est-il vraiment ? Pourquoi, Monsieur le président Kanner, déposer une telle motion qui dessaisit le Parlement de son pouvoir d'améliorer un texte si important ?

Nous parlons travail, égalité hommes-femmes, justice sociale, santé, vieillissement. C'est un véritable projet de société : jamais un référendum ne permettra de répondre à toutes ces questions. Au nom d'une légitimité populaire, votre proposition empêche tout débat de fond.

Pour exprimer la volonté populaire, le référendum doit porter sur des questions précises. (On s'agite à gauche.) La complexité des questions sur les retraites le permet-elle ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et le traité constitutionnel européen, il était simple ?

M. Alain Milon.  - Un tel référendum ne risque-t-il pas de se transformer en plébiscite et de cristalliser les tensions de notre société ?

Dominique Rousseau, cité par Éliane Assassi hier, estime que la démocratie a besoin d'institutions intermédiaires pour éviter la personnalisation excessive du pouvoir. (M. David Assouline proteste.) Toujours selon lui, le référendum laisserait penser que ces institutions sont un obstacle à la démocratie, alors qu'elles sont les instruments qui font passer de la barbarie à la civilisation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau et MM. Martin Lévrier et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

Pourquoi s'automutiler, après des débats affligeants de l'Assemblée nationale qui ont creusé le fossé entre élus et citoyens ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il était déjà bien creusé, le fossé !

M. Alain Milon.  - Il est vital de défendre nos opinions. Les syndicats ont joué leur rôle avec responsabilité. Les élus politiques seraient-ils moins capables de répondre aux obligations de leur mandat ? J'espère que nous saurons faire évoluer ce texte.

La réforme n'est peut-être pas proposée au bon moment : le Gouvernement aurait pu se ranger au vote du Sénat, qui défend une réforme paramétrique pour assurer la pérennité du système. (On acquiesce au banc des commissions.) Nous devons agir pour ne pas laisser filer les déficits -  plus de 150 milliards d'euros cumulés sur les dix prochaines années.

Cette réforme est urgente : le report de l'âge légal va enfin être mis en oeuvre. Nous avons fait de nombreuses propositions pour améliorer la situation des Français -  seniors, mères de famille, orphelins, personnes en situation de handicap.

M. David Assouline.  - C'est faux, vous dégradez leur situation ! (Mme Monique Lubin renchérit.)

M. Alain Milon.  - Lisez plutôt nos propositions... Et nous voulons un système plus équitable, notamment en luttant contre la fraude.

Nous ne pouvons pas nous défausser : le groupe Les Républicains ne votera pas cette motion, afin que nous ayons un débat argumenté s'appuyant sur le travail de nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI)

M. Daniel Chasseing .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La retraite à 64 ans faisait bien partie du programme du Président de la République candidat, mais beaucoup ont voté pour lui afin de faire barrage au RN. (M. Jean-Michel Houllegatte acquiesce.)

Le Sénat vote depuis de nombreuses années une telle mesure d'âge. Bien entendu, si nos comptes étaient meilleurs, il nous serait agréable à tous de renoncer à ce projet qui mobilise syndicats et Français hostiles à la réforme.

Mais nous savons tous que les comptes de la branche retraite vont se dégrader : 26 milliards d'euros de déficit en 2040. Pourquoi ? Parce que le nombre de cotisants par retraité est passé de 4 pour 1 en 1970 à 1,7 en 2020, alors que l'espérance de vie augmentait  -  79 ans pour les hommes, 86 ans pour les femmes. Alors que nous comptions 4 millions de retraités en 1970, ils sont 17 millions actuellement et seront 21 millions en 2030.

Les générations futures risquent de ne plus pouvoir bénéficier du système de répartition, alors que le dynamisme démographique français faiblit. Il faut donc équilibrer les retraites sans baisser les pensions, en augmentant légèrement la durée de travail.

C'est pourquoi j'avais souhaité une loi travail, précédée d'une concertation auprès des partenaires sociaux, afin que soient mieux pris en compte les seniors, les personnes handicapées ou invalides, les carrières longues, les femmes, la pénibilité, les aidants, les petites retraites, l'apprentissage, l'engagement associatif, etc. Tout cela relève de la compétence de la commission des affaires sociales du Sénat.

J'avais déposé un amendement de revoyure à 2027 sur le financement.

Avec votre référendum, quelle question poserez-vous ? Celle du recul de l'âge légal, ou celle de l'allongement de la durée de cotisation à 43 trimestres de la réforme Touraine ? Car si vous êtes né en 1971 et que vous avez commencé à travailler à 21 ans, vous partirez à 64 ans. Français Hollande l'a fait non pour brimer les Français, mais pour équilibrer le système.

Cette réforme ne peut être réduite à une question fermée ; nous devons traiter de situations particulières. Aucune réforme des retraites n'a jamais été adoptée par référendum. Nous devons débattre et amender le texte pour aboutir à la réforme la plus juste possible. Les INDEP rejettent la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'examen d'une motion référendaire au Sénat, une première depuis une décennie, est un moment grave. Le Parlement n'a pas vocation à se dessaisir. Si nous sommes favorables à plus d'implication citoyenne dans la fabrique de la loi, la binarité du référendum semble peu compatible avec l'exercice complexe de la rédaction de la loi.

Mais ce débat parlementaire est une farce (M. Laurent Lafon le conteste) : le Gouvernement a choisi un véhicule législatif inédit qui corsète le débat dans le temps et l'espace. Selon vous, le travail n'est qu'un coût. Édouard Philippe avait, au moins, le courage d'une vision différente d'une réforme de comptable en costume gris. (Marques d'assentiment à gauche ; constatant qu'il porte un costume gris, M. le ministre esquisse un sourire.)

Nous sommes saisis d'un texte non voté par l'Assemblée nationale, première historique délétère. Il faudrait l'adopter avant le 12 mars minuit, sans quoi le carrosse redeviendrait citrouille ? Nous en sommes abasourdis : la citrouille, non votée, pourra tout de même être examinée en CMP, voire être adoptée par ordonnance !

M. Roger Karoutchi.  - Eh oui !

M. Guillaume Gontard.  - La Ve République n'est jamais en reste pour piétiner le Parlement. L'exécutif, dans sa dérive autocratique, est isolé dans sa tour d'ivoire, assiégé par les partenaires sociaux et le peuple de France tout entier, que vous méprisez. Plus vous invoquez la pédagogie, plus les Français s'y opposent. Les manifestations enregistrent des records et les préavis de grève se multiplient. La semaine du 7 mars s'annonce historique.

Alors que nous sortons d'une pandémie, que la guerre gronde, que l'inflation galope, que la crise climatique nous force à rationner l'eau, vous conduisez le pays au blocage, sans scrupule. Pour quelle urgence ? Un agenda européen caché, ou la fierté mal placée d'un Président de la République qui croit que le barrage à l'extrême droite vaut adoubement de sa royale personne, alors même qu'il ne connaît pas la composition de la potion qu'il entend faire boire au pays ?

Nous proposons une alternative : soumettez ce projet dont vous êtes si fiers aux Français. Ils sont 70 % à souhaiter s'exprimer directement. Tout à sa réélection, Emmanuel Macron affirmait, le 11 avril dernier, qu'il voulait retrouver le référendum. Voilà l'occasion !

Notre démocratie est malade : il n'y a pas de majorité nette au Parlement, mais celle de nos concitoyens est claire. Une fois n'est pas coutume, dessaisissons-nous d'une réforme bricolée dont personne ne veut. Comme disait de Gaulle, il faut savoir ce qu'il y a dans les esprits et dans les coeurs. Soyez donc gaullistes, chers collègues de droite : n'ayez plus peur du peuple et votez cette motion ! (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dans Le Monde, Pierre Rosanvallon souligne que, si le Président de la République a une légitimité procédurale, il lui manque la légitimité sociale. Nombreux ont voté au second tour pour faire barrage à l'extrême droite, non pour une réforme des retraites.

La France se soulève, elle sera à l'arrêt le 7 mars. Notre système de retraites est le fruit de nos conquêtes sociales. Rien ne justifie votre obstination, alors que le système est excédentaire en 2022 et son évolution contrôlée. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) affirme qu'il n'y a ni urgence ni nécessité. Les dépenses ne dérapent pas, il faut simplement ajuster les recettes, sans imposer deux ans de travail obligatoire.

Les Français s'opposent, avec force et détermination, à votre réforme qui ne fait que des perdants, surtout parmi les catégories populaires et les femmes. En 2017, le Président de la République déclarait lui-même qu'après plus de vingt ans de réformes, le problème des retraites n'était plus financier. Mais vous justifiez pourtant votre PLFRSS par l'urgence financière.

Vous omettez de rappeler que le troisième tour des élections de 2022 n'a pas donné de majorité solide à l'Assemblée. Nous sommes saisis d'un texte qu'elle n'a pas voté.

M. Olivier Dussopt, ministre.  - La faute à qui ?

Mme Annie Le Houerou.  - En utilisant l'article 47-1 de la Constitution, vous créez vous-même les conditions de l'obstruction. Ce PLFRSS n'impacte que faiblement les comptes de l'année 2023, et vous privez les Français de leurs deux meilleures années de retraite. Le Conseil d'État l'a contesté, le Conseil constitutionnel le fera aussi. (M. Roger Karoutchi semble en douter.)

Votez cette motion, pour que le peuple tranche. Le Gouvernement pourrait alors constater l'adhésion, ou non, du peuple français, qui souhaite prendre sa retraite de son vivant. J'invite la droite à s'associer à notre démarche et à s'en remettre au peuple. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - Sans surprise, le Gouvernement est défavorable à la motion.

La première question que vous posez est celle de la recevabilité. Hier, la rapporteure générale et moi-même y avons répondu. Nous avons rappelé que les effets du texte sur les comptes sociaux de 2023 le rendent recevable. Il est toutefois cocasse de nous reprocher l'obstruction. Le temps de débat dont le Parlement dispose est supérieur à celui des deux réformes précédentes.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - C'était le souhait du Parlement !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Le choix du Sénat d'ouvrir plus de jours que l'Assemblée nationale l'illustre. En outre, ce n'est pas le Gouvernement qui a déposé plus de 20 000 amendements à l'Assemblée nationale, dont des centaines d'identiques.

Une autre question est celle de la légitimité du Parlement à débattre des retraites. J'y crois, parce que toutes les réformes des retraites, depuis 1981, ont été examinées par le Parlement - malgré des ordonnances en 1981. (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Émilienne Poumirol s'en agacent.)

Ce texte permet des progrès. Le président Requier a évoqué les carrières longues. Avant 2003, l'âge de départ était de 60 ans et la durée de cotisation de 37,5 ans. Si vous commenciez à travailler à 14 ans, vous deviez cotiser 46 ans pour atteindre les 60 ans ! À partir de la réforme de 2033, l'écart s'est progressivement réduit. Avec notre réforme, il sera de moins d'un an. (MM. David Assouline et Pierre Laurent se récrient.)

Mme Monique Lubin.  - C'est votre vision des choses !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Ce seul exemple démontre l'intérêt d'un examen du Parlement.

Enfin, la troisième question est celle de l'opportunité du référendum. On ne peut pas répondre de façon binaire à la question des retraites.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et le traité constitutionnel européen ?

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Aucun parent, aucune femme n'a d'enfant pour obtenir des trimestres supplémentaires.

Mme Monique Lubin.  - C'est vrai !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - En revanche, la maternité est, parfois, un facteur d'inégalité professionnelle. Notre système de retraite traduit, dans le calcul des pensions, ces inégalités professionnelles. Il ne faut pas s'interdire de les compenser. C'est pourquoi nous observons avec bienveillance l'amendement de M. Retailleau qui permettra aux mères de famille de compléter une carrière hachée.

L'augmentation, depuis 2003, de l'âge du départ à la retraite a fait perdre l'utilité des trimestres de maternité pour compléter une carrière. L'objectif est désormais de compenser, pour celles qui ont une carrière complète, les opportunités perdues en termes de progression professionnelle. Votre proposition est donc intéressante.

C'est pourquoi une question binaire est inopportune pour cette réforme. Je compte davantage sur la richesse des débats du Parlement. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Explications de vote

M. Daniel Breuiller .  - Nous sommes, bien sûr, légitimes à débattre. Même si ici, on s'écoute, on ne se convainc pas.

Mais nous traversons une crise démocratique, tant l'écart entre le peuple et le Gouvernement s'accroît, tant celui entre la majorité des citoyens et celle de notre chambre est grand. Avec un sentiment d'injustice sociale, des millions de personnes manifestent et l'unité syndicale est contre cette réforme ; si nous ne bougeons pas, le populisme s'en nourrira.

Le groupe UC appelle à un grand débat social : c'est une proposition intelligente, car la nature de ce texte, un PLFRSS, ne le permet pas.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Venez chez nous ! (Sourires)

M. Daniel Breuiller.  - Nous faisons tout à l'envers ! Sous l'impulsion du Gouvernement, nous changeons le mix énergétique avant le débat sur les choix énergétiques ; et maintenant nous votons une réforme de la retraite sans parler auparavant du travail lui-même. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

Des citoyens en appellent à une convention citoyenne sur les retraites : cela me séduit, car nous échouons au consensus ici, alors que ces conventions y parviennent, sur des sujets aussi délicats que la fin de vie ou le climat. Voilà qui devrait nous faire réfléchir.

Le référendum, binaire, a de graves inconvénients, mais il n'y a jamais de honte à redonner la décision au peuple. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Après chaque élection, on fait de grandes déclarations sur le taux d'abstention abyssal, puis on oublie la gravité du décrochage d'une grande partie de la population.

Pourquoi ? Parce que depuis des années, des réformes attaquent notre modèle social -  et médical  - comme un rouleau compresseur. Malgré l'alternance politique, rien ne change ; les gens n'y croient plus.

Il faut retrouver un équilibre entre le choix référendaire et la démocratie représentative : si l'on n'avance pas sur ces deux jambes, elles sont toutes deux affaiblies.

On peut toujours déposer des amendements, mais le référendum doit avoir lieu sur l'essentiel, c'est-à-dire le recul de l'âge de départ à 64 ans, massivement refusé. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST) Sans cela, nous creusons la tombe de notre démocratie.

Chers collègues, et néanmoins amis, des Républicains, qui vous réclamez de De Gaulle, ne dites pas que le référendum est mauvais ! Mme Pécresse en demande un, avec force tambours et trompettes, sur l'immigration.

M. le président.  - La trompette du temps a sonné...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - La trompette, c'est le retrait ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Un sondage récent de l'Ifop l'affirme : 75 % des ouvriers et des employés, 63 % des cadres sont opposés à la réforme ; 59 % sont favorables à une hausse des cotisations ; 77 % des actifs jugent la réforme injuste, 66 % inefficace ; 72 % des actifs soutiennent la mobilisation et 60 % souhaitent qu'elle se durcisse ; 59 % trouvent que le Gouvernement est responsable du blocage et du conflit social.

Cela ne fait que révéler une opposition massive et sans équivoque. La démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, mais vous en niez la mobilisation. Cher Alain Milon, Pierre Rosanvallon complète Dominique Rousseau. Monsieur le ministre, vous vous targuez de la seule légitimité électorale, alors que vous avez été élus en raison des circonstances du second tour, et non d'un blanc-seing donné à votre programme. Vous faites semblant de l'oublier actuellement, alors que vous le disiez entre les deux tours pour réclamer nos voix. La population a le droit de débattre. Si le peuple vote contre la réforme, il ne vous restera que deux solutions : le retrait, ou alors « dissoudre le peuple », comme disait Bertolt Brecht. Le GEST votera la motion. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Éliane Assassi .  - Le référendum est un outil démocratique. Il permet de trancher, dans un moment de doute. Or nous sommes au coeur du doute.

Bien sûr, le Président de la République y est réticent, le Gouvernement y est réticent, notre majorité sénatoriale aussi, car ils craignent une remise en cause de leur légitimité. Mais ce n'est pas le sujet ! Le Président de la République se félicite du bon sens des Français : il faut aller au bout de cette logique.

Un refus du référendum serait un mauvais message envoyé aux 90 % des actifs et aux 60 % de Français qui rejettent le texte, dont bien des électeurs du premier tour d'Emmanuel Macron, mais aussi des candidats Les Républicains et centristes aux dernières élections ! Attention à leur niveau de tolérance.

Cette réforme s'ajoute aux contraintes financières et sociales déjà imposées à la population. Sortez de votre bulle de flatteurs, entendez le peuple qui demande le retrait. Le groupe CRCE votera la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

M. Bernard Jomier .  - Quand on évoque le général de Gaulle, c'est le signe d'un grand trouble dans notre assemblée. Le chef de l'État, qui a théorisé son mépris des organisations intermédiaires, est responsable de ce désordre institutionnel qui explose à la figure du Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

Une réforme des retraites négociée avec l'assentiment d'une partie des syndicats aurait été possible. Tel n'est pas le cas ici, mais ce gouvernement y est habitué, comme l'échec d'un accord conventionnel avec les professionnels de santé le démontre.

Face à un peuple qui dit non, le Gouvernement a imaginé une procédure constitutionnellement bancale et qui place le Sénat comme l'assemblée du peuple, ce que nous ne sommes pas : nous sommes la chambre des territoires.

M. Bruno Retailleau.  - Pas seulement !

M. Bernard Jomier.  - Ce chaos ne peut se résoudre par la voie parlementaire. Je le regrette, la seule solution, c'est le retrait, et d'aller vers le peuple. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)

M. David Assouline .  - J'ai entendu les plaidoyers pour la démocratie parlementaire. J'en prends acte : le Parlement, c'est le fondement de la démocratie dans notre pays. Nous l'avons soutenu lorsqu'il a été brutalisé par les différents gouvernements. Depuis quelques années, cette brutalisation est constante : les procédures accélérées sont devenues la règle. Chers collègues qui faites ces plaidoyers, cher ministre, pourquoi brutaliser à ce point le Parlement ?

Nous allons toucher à la vie de millions de nos concitoyens, alors que le Président de la République n'a pas été investi pour faire cette réforme, sans quoi il aurait eu une majorité nette à l'Assemblée.

Le mandat octroyé au Président de la République, à la Première ministre, à la majorité sénatoriale n'est pas si clair en ce sens, alors que les enquêtes d'opinion et l'union syndicale montrent que les Français sont contre. Il faut que le peuple prenne la parole, il faut un débat dans le pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

La motion référendaire est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°139 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption   93
Contre 251

Le Sénat n'a pas adopté.

(Mmes Catherine Procaccia et Nadine Bellurot applaudissent.)

La séance, suspendue à 11 h 05, reprend à 17 heures.