Compétences de la collectivité de Saint-Barthélemy

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État, présentée par Mme Micheline Jacques, à la demande du groupe Les Républicains.

Conformément à l'article L.O. 6213-3 du code général des collectivités territoriales, le Sénat a consulté le conseil territorial de Saint-Barthélemy sur cette proposition de loi organique.

Discussion générale

Mme Micheline Jacques, auteur de la proposition de loi organique .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi organique dote la collectivité de Saint-Barthélemy de la faculté de participer à l'adaptation des règles destinées à assurer la continuité des soins sur son territoire. Ce sujet préoccupe la population. Je remercie les deux rapporteurs.

Le dispositif initial permettait à la collectivité de participer à la compétence de l'État en matière de sécurité sociale, dans un contexte insulaire marqué par la petite taille de l'économie.

Ce texte s'inscrit dans le cadre de l'article 74 de la Constitution, qui permet aux collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie de participer aux compétences conservées par l'État afin de mieux prendre en compte les réalités locales. Il s'inscrit aussi dans le principe de maîtrise de sa destinée concrétisé par l'érection de Saint-Barthélemy en collectivité d'outre-mer. Notre collectivité a toujours été à l'origine de mesures d'adaptation, tout en conservant des relations harmonieuses avec l'État.

En 2015, Michel Magras avait demandé une plus grande implication de la collectivité en matière de sécurité sociale via deux propositions de loi ; cette même année, la caisse de prévoyance sociale (CPS) de Saint-Barthélemy était créée ; depuis, une commission ad hoc a été constituée pour établir un diagnostic territorial de l'offre de soins.

Aucune collectivité d'outre-mer n'a jamais participé à la compétence de l'État en matière de sécurité sociale. Une fois de plus, Saint-Barthélemy innove. Elle est la seule collectivité à avoir renoncé au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), et à assurer les missions du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) et de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).

Ce texte n'est pas une révolution : il s'agit seulement d'utiliser les outils d'adaptation offerts par notre statut. Depuis plusieurs années, les élus alertent sur la dégradation de l'offre de soins, en particulier hospitalière. Le coût de la vie, et notamment les loyers vertigineux, rend difficile la fidélisation des médecins. L'île dispose d'un établissement de proximité, l'hôpital de Bruyn, mais pour les cas les plus graves et plus complexes il faut évacuer, essentiellement vers Saint-Martin : 194 évacuations en 2022, pour un coût de 600 000 euros. De surcroît, on ne peut atterrir la nuit et très vite l'hôpital se retrouve sans médecin urgentiste présent.

Le principe de solidarité n'est pas remis en cause. La population de Saint-Barthélemy est en droit d'attendre une offre de santé adaptée à ses besoins. Les élus considèrent que les comptes territoriaux sont excédentaires, personne ne l'a démenti.

En déficit d'attractivité, l'hôpital dépense 251 000 euros chaque année pour loger des personnels et recrute des intérimaires peu impliqués. Durant des années, il a fonctionné sur une organisation propre à la médecine de ville, mais le retour au droit commun a entraîné le départ de la plupart des médecins.

Le laboratoire de biologie médicale n'est plus aux normes et doit s'agrandir, mais il ne peut supporter le triplement de son loyer.

La CPS est un démembrement de la MSA Poitou. Saint-Barthélemy doit disposer de sa propre caisse, même non-autonome. L'absence de personnalité morale de la CPS est problématique : plus de 97 millions d'impayés de cotisations, c'est inadmissible.

Nous avons envisagé le partage de la compétence santé, la constitution d'un pôle hospitalier ou encore la nomination d'un coordinateur santé. L'organisation et le financement des soins doivent être adaptés pour prendre en compte le coût de la vie et les contraintes insulaires.

Nous devons tenir compte de l'ouverture prochaine d'un hôpital à la Guadeloupe, mais le développement d'un tourisme médical de luxe n'est pas adapté à la clientèle de Saint-Barthélemy.

Il existe enfin un différend sur la propriété du foncier de l'hôpital. Ce terrain a une dimension patrimoniale collective, l'État n'étant arrivé que tardivement. Michel Magras proposait que les 4,7 millions d'euros du Ségur soient alloués au fonctionnement, la collectivité finançant l'investissement. Nous y sommes prêts, une fois que le foncier aura été transmis à la collectivité.

La collectivité s'est impliquée dans l'amélioration des soins : acquisition d'un mammographe, construction d'un Ehpad, de la buanderie et de la cuisine. Autant d'économies pour l'hôpital et la sécurité sociale. La collectivité, bien que prête à faciliter le logement du personnel, n'a pas le parc nécessaire.

Le Sénat a compris notre démarche et les modifications des rapporteurs sont pertinentes pour parvenir à un équilibre. L'expérimentation de cinq ans laissera le temps d'évaluer.

Dans son rapport d'information sur la différenciation, Michel Magras disait que l'État devait aider les collectivités ultramarines à nourrir leurs capacités propres d'expertise pour faciliter leur développement endogène. (Applaudissements)

Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois .  - Cette proposition de loi organique répond aux difficultés rencontrées par nos compatriotes de Saint-Barthélemy pour accéder à une offre de soins complète.

Le problème est ancien. Les élus locaux, en particulier M. Magras, ont régulièrement alerté sur le manque d'adaptation des règles nationales aux réalités locales et sur la dégradation de l'offre de soins.

Lors des auditions, nous avons constaté avec Alain Milon la persistance des difficultés, qui sont de quatre ordres. Certaines prestations, comme le dépôt de sang, ne sont pas réalisées sur l'île. Il y a ensuite des difficultés opérationnelles : faute d'éclairage, les évacuations ne peuvent avoir lieu la nuit. L'activité de la pharmacie de l'hôpital est menacée par la réglementation qui interdit qu'elle soit gérée par un pharmacien non universitaire. Enfin, les contraintes d'exercice et le coût exorbitant de la vie sont un obstacle à la fidélisation des praticiens hospitaliers.

Cette proposition de loi organique pragmatique et équilibrée confie à la collectivité un pouvoir de proposition dans les domaines de l'assurance maladie et du financement des établissements et services de santé. C'est un point d'équilibre entre adaptation locale et garantie des grands principes nationaux de la sécurité sociale.

La commission l'a retravaillée pour recourir à l'expérimentation du partage de compétences, pendant cinq ans, avant évaluation et éventuelle pérennisation. Les outre-mer doivent trouver dans notre cadre juridique les moyens d'adapter les normes nationales à leur réalité, sans battre en brèche la compétence étatique en matière de santé. C'est pourquoi la commission a renforcé les garanties applicables aux initiatives de la collectivité.

Seulement, ce texte ne résoudra pas toutes les difficultés. Je déplore l'inertie de l'État. Ainsi, le Gouvernement s'était engagé en 2021 à pérenniser l'expérimentation du pouvoir de dérogation accordé aux directeurs généraux d'agence régionale de santé (ARS). Mais pourquoi ce décret, si important pour Saint-Barthélemy, n'a-t-il pas été pris ? Madame la ministre, j'espère que vous nous donnerez une date.

Nous avons également mené nos travaux sans avoir eu communication d'un rapport demandé par le Parlement, il y a plus d'un an, sur l'organisation du système de santé et de sécurité sociale à Saint-Barthélemy. C'est inacceptable. Comment exercer notre contrôle dans ces conditions ?

Cette proposition de loi organique est nécessaire, et je remercie Micheline Jacques et Alain Milon. Équilibrée et consensuelle, elle devrait rencontrer une large adhésion. J'espère que le Gouvernement sera favorable à ce texte pensé pour les territoires ultramarins, et Saint-Barthélemy en particulier. (Applaudissements)

M. Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales .  - Saint-Barthélemy n'est pas ce que l'on désigne parfois comme un désert médical, mais l'île souffre de lacunes persistantes : il n'y a pas de cardiologie ; l'offre hospitalière est fragile, avec dix lits de courte durée ; l'hôpital peine à recruter, notamment des urgentistes - comme ailleurs...

Micheline Jacques nous a alertés, avec ce texte, sur la continuité des soins. Le coût du logement est dissuasif pour les praticiens hospitaliers. Les évacuations sanitaires vers Saint-Martin ou la Guadeloupe, 183 en 2022, se font par voie aérienne, or les pistes sont inutilisables la nuit. Une étude est annoncée, mais le problème est identifié depuis vingt ans... Cette question tarde à trouver une réponse, tout comme celle des dépôts de sang.

Ces problèmes pourraient trouver une réponse de la part des services de l'État, mais le décret en Conseil d'État promis n'a toujours pas été publié.

En 2022, après une mission à Mayotte, la commission des affaires sociales avait proposé des pouvoirs de dérogation accrus pour les ARS outre-mer. Je déplore l'inertie des gouvernements successifs. Ainsi, le rapport sur l'organisation des soins outre-mer, en particulier à Saint-Barthélemy, bien que prévu par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, dite 3DS, n'a toujours pas été remis, six mois après l'échéance.

Cette proposition de loi prévoit la participation de la collectivité sous la forme d'un droit de proposition, l'État conservant sa compétence - la commission des affaires sociales y est très attachée. Le texte ne prévoit ni transfert ni partage - revendications à nos yeux irrecevables, même en cas de territoire contributeur net à la sécurité sociale. L'État doit assumer ses responsabilités.

L'offre de soins à Saint-Barthélemy ne se conçoit qu'en cohérence avec Saint-Martin et la Guadeloupe, où un nouveau centre hospitalo-universitaire (CHU) est en construction. C'est dans cet esprit que la commission des affaires sociales vous propose d'adopter ce texte, sous réserve de la transformation de son dispositif en expérimentation. (Applaudissements)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Le Sénat est le porte-voix des territoires, dans leur diversité. Ce texte lèvera, je l'espère, des incompréhensions. Il s'inscrit dans la préoccupation légitime du Sénat face aux inquiétudes de nos compatriotes ultramarins, Micheline Jacques poursuivant le travail de Michel Magras.

En commission, vous avez regretté le manque d'adaptation des règles nationales aux réalités locales, la dégradation de l'offre de soins, un engagement insuffisant de l'État et la persistance de difficultés.

Vous pointez notamment les évacuations sanitaires, rendues difficiles par le défaut d'éclairage des aéroports de Saint-Barthélemy et Saint-Martin Grande Case. Ce dernier en sera équipé dès 2023. De plus, une étude est en cours pour examiner la possibilité de recours à un hélicoptère ; ses conclusions sont attendues en mai. La commission a aussi souligné les difficultés liées au dépôt de sang. Nous devons trouver des solutions concrètes et souples. Un décret en Conseil d'État permettra au directeur général de l'ARS d'adapter l'offre de soins et de régler la question de la pharmacie à usage intérieur ou des urgences.

Le Gouvernement porterait peu de considération à Saint-Barthélemy ?

M. Mathieu Darnaud.  - Ça c'est sûr.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - C'est faux. À la suite de l'ouragan Irma en 2017, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont bénéficié près de 500 millions d'euros, soit 11 000 euros par habitant. L'État a soutenu les entreprises en proposant notamment un moratoire sur les charges patronales. Lors de la crise covid, l'État a versé plus de 1,4 million d'euros d'aides au paiement des cotisations. Face aux difficultés, l'État est et sera au rendez-vous.

Concernant les excédents supposés des comptes de la CPS de Saint-Barthélemy, rappelons que les flux de cotisations sont centralisés à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), en vertu du principe de solidarité.

La CPS de Saint-Barthélemy ne retrace pas toutes les dépenses de santé : celles des établissements sociaux et médico-sociaux, certaines aides aux professionnels de santé et surtout les évacuations sanitaires échappent à sa compétence. Elle ne retrace pas non plus toutes les recettes. Enfin, ses dépenses de gestion et celles liées aux échanges de données ne sont pas prises en compte.

Pour la branche maladie, 18,15 millions d'euros de prestations ont été versés en 2021, pour 19 millions d'euros de cotisations maladie et de CSG, mais la CPS a 66 millions de dettes à l'égard de la caisse générale de sécurité sociale de Guadeloupe. Cette situation budgétaire complexe s'explique par les nombreux plans liés aux crises climatiques et sanitaires. Saint-Barthélemy bénéficie de la plénitude de la solidarité nationale.

Le rapport prévu sera transmis au Parlement dès le mois d'avril.

M. Mathieu Darnaud.  - Déjà !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Le Gouvernement ne partage donc ni le postulat de cette proposition de loi ni la volonté d'autonomisation qui en découle. C'est contraire à nos principes de solidarité et d'égalité entre les citoyens, alors que des solutions existent, même sans compétence partagée : participation de Saint-Barthélemy au conseil de surveillance de l'ARS Guadeloupe et possibilité d'abonder volontairement le programme d'investissement de l'établissement de santé.

Le Gouvernement est pleinement engagé dans l'amélioration de l'accès aux soins à Saint-Barthélemy : étude pour un centre de périnatalité de proximité, restructuration du centre hospitalier à hauteur de 4,7 millions d'euros, issus du Ségur. Un nouvel hôpital est-il bien nécessaire ?

Après une première phase territoriale, le Conseil national de la refondation (CNR) santé doit maintenant déboucher sur des solutions : les dérogations constituent un levier puissant. Le comité interministériel outre-mer (Ciom) du 19 mai est aussi une échéance importante. Nous travaillons pour construire des solutions pérennes. (Applaudissements sur des travées du RDPI et du groupe INDEP)

M. Victorin Lurel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je suis un peu gêné : la ministre a remis en cause tous mes a priori favorables, avançant que sans autonomie, pas de différentiation. J'ai aussi cru entendre que la branche maladie de la CPS serait légèrement excédentaire en ce qui concerne la maladie, mais qu'elle aurait une dette de 70 millions d'euros.

Pour une fois qu'une collectivité, au nom du principe sacré de la solidarité nationale, demande à financer à la place de l'État, vous refusez ! C'est étonnant. J'étais satisfait du travail de la commission des affaires sociales, mais le Gouvernement rétorque qu'il a toujours agi, et qu'il va y avoir un hélicoptère. J'entends cela depuis vingt ans que je suis parlementaire ! (M. Mathieu Darnaud s'en amuse.)

Voilà une proposition de loi organique qui, grâce l'excellent travail de la commission, devient un texte prudent. J'ai cependant quelques doutes sur l'expérimentation. Sera-t-elle généralisable ? Saint-Martin sera-t-elle intéressée ? Surtout après l'expérience de la Polynésie française qui a dû, lors de la crise du covid, se retourner vers l'État pour obtenir de l'aide... S'agissant d'un dispositif limité à Saint-Barthélemy, il s'agira plutôt d'une pérennisation.

La santé est compétence exclusive de l'État, mais l'on demande à financer avec l'État, en s'en tenant au périmètre de l'assurance maladie, provisoirement à l'équilibre. La proposition initiale concernait toute la CPS, mais c'est une caisse-croupion, adossée à la caisse de MSA de Poitou-Charentes et sans comptabilité analytique !

Il y a un problème de compréhension de la loi organique, comme l'a dit en lettres de feu le président Larcher lors de son déplacement en Guadeloupe et en Martinique : vous refusez de faire de la différenciation, Madame la ministre.

Pour nous, ce texte est prudent et équilibré. Les élus voudraient probablement aller plus loin, mais il vise un consensus solide. Vous récusez tout, sans rien proposer, et nous dites qu'il est urgent d'attendre le Ciom d'avril prochain. Festina lente !

Le Ciom n'apportera rien de plus que ce texte (Mme Catherine Conconne renchérit), qui est de nature à rassurer l'État, et qui pourra inspirer d'autres territoires.

Le SER votera ce texte prudent qui répond aux besoins urgents de Saint-Barthélemy. (Applaudissements)

Mme Éliane Assassi .  - Nous débattons de l'accès aux soins et à la santé, après des années de pandémie qui ont montré les limites de notre politique de santé, notamment dans les outre-mer. Ce texte doit permettre une égalité dans l'accès aux soins.

Or l'offre de soins ne correspond pas aux attentes des habitants de Saint-Barthélemy. Les élus territoriaux ont fait part de leur insatisfaction. Communes et élus ont besoin d'un accompagnement fort pour remplir leurs missions de service public. Comme les évacuations sanitaires ne sont pas systématiques en raison de l'interdiction des atterrissages de nuit, les prises en charge sont limitées : dès lors, l'accès aux soins n'est pas garanti à toutes et tous.

L'hôpital de Guadeloupe a connu un terrible incendie en 2017 : il ne sera totalement réhabilité qu'en 2024. L'île de Saint-Barthélemy peine à attirer en raison de la cherté de la vie, or les salaires ne suivent pas les loyers. En France métropolitaine comme en outre-mer, les moyens pour l'hôpital manquent et le personnel soignant souffre de la non-revalorisation de son statut. On continue de fermer des lits.

Le Gouvernement doit sortir de sa passivité. Lorsque le Parlement vous demande des travaux, vous ne répondez pas. Les limites ont été atteintes lors de la crise sanitaire, quand certains n'ont pu être évacués, alors que leur vie en dépendait.

Cette proposition de loi organique est un premier pas vers une offre de soins qui réponde aux besoins. La santé est une prérogative de l'État, qui doit apporter des réponses aux dysfonctionnements sur le terrain. C'est aussi l'occasion de sortir d'une approche où tout est imposé par le haut sans concertation.

L'évaluation, par l'État et la collectivité, sera un moment fort.

Nous espérons que les habitants bénéficieront de soins adaptés, et que l'hôpital remplira sa mission de service public. Nous resterons les fervents défenseurs de l'égalité : le CRCE votera cette proposition de loi organique. (Applaudissements)

M. Philippe Folliot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Christophe Colomb a découvert Saint-Barthélemy, qui porte le nom de son frère. Trois dates ont marqué l'histoire de l'île : en 1784, Louis XVI la donne à la Suède ; en 1878, elle redevient française ; enfin, en 2007, cette commune du département de la Guadeloupe devient une collectivité, et peut mieux prendre en main son destin.

Saint-Barthélemy est caractérisée par sa monoactivité touristique : sa population oscille entre 9 000 et 15 000 habitants, ce qui suppose des infrastructures sanitaires adaptées.

Ce texte poursuit l'action de Michel Magras. Un service de santé efficace est l'une des conditions du développement économique et social. Je me réjouis donc que la collectivité veuille prendre ses responsabilités, aux côtés de l'État.

Ce texte est bien construit, avec une durée limitée et des rapports d'étape : il répondra au mieux aux besoins des habitants.

Pour autant, l'offre de santé ne peut reposer que sur Saint-Barthélemy : située à 25 km de Saint-Martin, à 240 km de la Guadeloupe, l'île est soumise à la tyrannie des distances. La « bobologie » peut être traitée sur place, mais il faut parfois évacuer vers d'autres hôpitaux, en particulier vers le CHU de Guadeloupe.

Un hélicoptère est certes nécessaire pour les évacuations sanitaires, mais il pourrait servir également à la protection civile et aux douanes. En effet, déposséder la Guadeloupe de son hélicoptère d'évacuation ne va pas sans poser d'autres problèmes. Toutes les administrations doivent travailler ensemble pour apporter une solution originale.

Le groupe UC votera, bien entendu, ce texte équilibré, qui répond aux besoins des populations de Saint-Barthélemy, et qui est exemplaire de la faculté d'expérimentation à laquelle nous sommes très attachés. Une approche nationale uniforme serait totalement inadaptée. Avec ambition, volonté et conviction, nous voterons ce texte. (Applaudissements)

M. Stéphane Artano .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Mathieu Darnaud applaudit également.) « Les statuts uniformes ont vécu : chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte, un statut sur mesure. » Souvenons-nous de ces mots du président Chirac, prononcés le 11 mars 2000. (Mme Catherine Conconne applaudit.)

Mais la position du Gouvernement, madame la ministre, donne raison aux travaux du Sénat menés par le président Larcher en vue de plus de décentralisation et de déconcentration : il y a manifestement une vraie rigidité de l'administration centrale.

Le partage d'une compétence entre l'État et une collectivité est difficile à réaliser, mais un équilibre est possible, grâce à l'expérimentation. À Saint-Pierre et Miquelon, nous venons de signer une convention avec l'État pour expérimenter la compétence fret maritime. Je ne vois pas pourquoi ce qui est possible dans une collectivité de l'article 74 ne le serait pas dans une autre. La proposition que nous examinons aujourd'hui est pourtant de bon sens.

Je rends hommage à Micheline Jacques, qui fait bouger les lignes ; charge au législateur et aux acteurs locaux de prendre leurs responsabilités.

Je souhaite que le Sénat soutienne cette proposition de loi organique, pour une approche différenciée de l'État qui prenne en compte nos réalités locales : Hexagone, outre-mer, montagne, ruralité...

Ce texte ouvre la voie à nos travaux. Avec le président Larcher, nous ferons des propositions concrètes pour plus de décentralisation et plus de déconcentration, pour un État plus fort sur les territoires. Or, la position du Gouvernement fragilise la saine et légitime ambition d'une meilleure décentralisation. Cet hélicoptère, me disais-je avec M. Lurel, on en parlera encore dans quinze ans...

Si les collectivités font de telles demandes, c'est que les choses ne fonctionnent pas ; c'est pourquoi nous légiférons.

Le RDSE soutiendra cette proposition de loi organique, dans l'équilibre trouvé par les rapporteurs. J'aurais souhaité entendre le ministre des outre-mer, car sa position est, à mon sens, fragilisée. Le 7 septembre, le Président de la République prônait une approche différenciée en outre-mer : c'est en contradiction avec l'approche jacobine du Gouvernement. (Applaudissements)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.) Que d'ascenseurs émotionnels nous fait vivre ce gouvernement ! Alors que les travaux préparatoires laissaient entrevoir un avis favorable, l'espoir suscité n'a d'égal que notre déception à l'arrivée.

Chacun l'a dit : le texte est équilibré, le choix du recours à l'expérimentation bienvenu et, surtout, il faut garantir la continuité des soins.

Madame la ministre, nous revivons l'examen du projet de loi 3DS, l'État demandant toujours aux collectivités de participer aux investissements, mais peinant à partager les compétences - ainsi lorsqu'il s'agissait de faire coprésider les ARS par les présidents de conseils régionaux. Faites ce que je dis, pas ce que je fais...

Je rends hommage à l'auteure du texte, ainsi qu'à Michel Magras, qui en a été un inspirateur, et à Hélène Bernier, première vice-présidente de la collectivité de Saint-Barthélemy. Madame la ministre, il n'est pas question d'autonomisation, de larguer les amarres ! La collectivité souhaite seulement partager l'effort, répondre aux attentes et s'inscrire dans le principe de différenciation.

L'État prône la différenciation dans la loi 3DS pour lui tourner le dos dès qu'il s'agit de la mettre en oeuvre ! Vous renvoyez au Ciom, mais ne saisissez pas l'occasion de prendre la balle au bond.

Notre groupe s'interroge sur la volonté réelle du Gouvernement. Avec Françoise Gatel, nous avons travaillé sur l'expérimentation. Hélas, nos espoirs risquent d'être à nouveau déçus.

Le groupe Les Républicains votera avec conviction ce texte qui trace un sillon. Je regrette que le ministre des outre-mer ne nous ait pas livré son avis, et que le rapport prévu par la loi 3DS n'ait toujours pas été rendu. Il y a urgence à répondre aux aspirations du territoire de Saint-Barthélemy. Ce texte y répond de façon pragmatique et lance la réflexion sur la différenciation - Michel Magras avait ouvert la voie.

Espérons que le Sénat sera une fois de plus précurseur, et que la position du Gouvernement évoluera ! (Applaudissements)

M. Dany Wattebled .  - La problématique de l'accès aux soins ne concerne pas que la métropole. À Saint-Barthélemy, les difficultés sont liées à l'isolement et l'insularité ; les évacuations sanitaires vers Saint-Martin ou la Guadeloupe n'ont lieu qu'en journée faute d'éclairage des pistes de l'aéroport. Il n'y a qu'un seul hélicoptère pour la zone, ce qui nécessite de recourir au bateau.

Les services de soins ne parviennent pas à fidéliser les praticiens en raison du coût de la vie et des contraintes d'exercice.

C'est pourquoi je salue l'initiative de Micheline Jacques. L'article 1er confie au conseil territorial un pouvoir de proposition en matière de sécurité sociale et de financement des établissements de santé relevant de la compétence de l'État.

L'article 2 définit la participation de la collectivité à ces compétences.

Je salue le consensus qui a prévalu en commission, avec notamment le choix d'une expérimentation pendant cinq ans. Je me félicite de la suppression de l'objectif annuel de dépenses, inadapté au regard des moyens de la collectivité.

Je salue le travail de la rapporteure Boyer.

Même si elle ne résout pas tout, cette proposition de loi est un premier pas salutaire dans le sens de la différenciation territoriale. Le groupe INDEP la votera. (Applaudissements)

M. Guy Benarroche .  - Le Sénat est toujours attentif au manque de moyens des collectivités territoriales pour agir sur des compétences étatiques - en l'occurrence, le financement des établissements de santé.

L'offre de soins de Saint-Barthélemy est très restreinte et dépend largement de la Guadeloupe et de Saint-Martin. La crise sanitaire a remis au premier plan le rôle des collectivités territoriales dans le domaine de la santé. À Saint-Barthélemy, les cas graves doivent être évacués, notamment vers Saint-Martin.

Les difficultés sont matérielles, mais aussi financières : les évacuations sanitaires sont réalisées par des sociétés privées, pour un coût de 600 000 euros par an. L'hôpital n'est toujours pas reconstruit, cinq ans après l'ouragan, et la gouvernance de l'ARS laisse peu de place à la collectivité de Saint-Barthélemy.

Ces difficultés sont anciennes. La version initiale de la proposition de loi écartait la participation de Saint-Barthélemy à la compétence santé, faute de moyens et pour mettre la santé à l'abri des aléas politiques. Cependant, la commission a modifié le texte dans le sens d'une plus grande autonomisation.

La direction de la sécurité sociale met en avant une mauvaise appréciation de la situation financière locale et souligne que la solidarité nationale s'exerce déjà. Le texte de la commission préserve ce principe de solidarité et prévoit l'expérimentation, sur cinq ans, d'un pouvoir de proposition par la collectivité.

Madame la ministre, comme l'ont rappelé Valérie Boyer et Alain Milon, le Gouvernement pourrait donner suite aux rares rapports que demande notre assemblée ! L'inertie dont fait preuve l'État dans la prise des décrets ajoute aux difficultés.

Ce nouveau pouvoir est encadré : sera soumis pour avis à l'ARS tout projet d'acte du conseil territorial, afin d'assurer sa compatibilité avec l'organisation de l'offre de soins. Le champ est limité à l'assurance maladie et au financement des établissements et services de santé, « en vue de garantir la continuité des soins et l'adaptation aux particularités ».

Le GEST, attaché à l'engagement local et à l'expérimentation, votera cette proposition de loi organique, mais, sans engagement fort de l'État, toute démarche locale restera vaine.

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Micheline Jacques applaudit également.) Je remercie Micheline Jacques et son groupe pour leur initiative.

Ce texte met en lumière les défis de Saint-Barthélemy, accentués par l'isolement. Comme dans les autres territoires ultramarins, la santé est au coeur des préoccupations : pénurie de soignants, difficulté d'accès aux spécialistes, évacuations sanitaires parfois difficiles, impossibilité de constituer un stock de sang et de recruter un pharmacien d'officine à l'hôpital, infrastructures hospitalières toujours pas reconstruites depuis l'ouragan Irma.

Ce texte recourt à l'article 74 de la Constitution qui permet aux collectivités, sous le contrôle de l'État, d'exercer certaines de ses compétences. À ce titre, Saint-Barthélemy exerce déjà des compétences de l'État en matière pénale.

Il y a sept ans, le Parlement avait, avec l'article 6 de la loi organique du 17 novembre 2015, prévu la possibilité pour l'État d'habiliter, pour une durée de trois ans, le conseil territorial de Saint-Barthélemy à adopter des actes en matière de sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel avait censuré cet article pour incompétence négative.

Le présent texte semble conforme, puisqu'il ne renvoie pas au pouvoir réglementaire. La commission des lois en a restreint le champ à la seule assurance maladie.

Le Gouvernement fait de la santé sur l'île une priorité, avec le maintien des évacuations sanitaires et la demande faite au préfet, par le ministre Carenco, d'engager des travaux avec la collectivité, et d'envisager l'investissement dans un avion ou un hélicoptère.

Saint-Barthélemy a reçu 4,7 millions d'euros dans le cadre du Ségur de la santé, et de nouveaux médecins arrivent. Un décret en Conseil d'État pourrait lever des obstacles réglementaires : nous invitons le Gouvernement à le publier au plus vite - de même que le rapport prévu par la loi 3DS.

Enfin, la solidarité nationale doit primer. Le transfert de compétences, sous le contrôle de l'État et sous la forme d'une expérimentation, semble opportun. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - La position que j'exprime est celle du Gouvernement, ministre des outre-mer compris.

Madame Assassi, nous sommes d'accord sur l'importance du sujet, et le constat est partagé. La différence, c'est que nous ne souhaitons pas faire prendre le risque à Saint-Barthélemy de contrevenir au principe de solidarité nationale, au coeur de notre pacte républicain.

La réponse à ces problèmes structurels n'est pas institutionnelle. La loi 3DS permet déjà aux collectivités d'intervenir, et le pacte territorial qui sera proposé d'ici à la fin de l'année à toutes les collectivités permettra de travailler avec chacune, à partir des besoins de chaque territoire.

Enfin, le décret évoqué par plusieurs d'entre vous paraîtra fin mars et le rapport en avril. Le ministre Jean-François Carenco a mandaté le préfet pour régler rapidement les difficultés liées à l'atterrissage sur l'île.

Conservons ce que la sécurité sociale apporte : la solidarité.

Discussion des articles

L'article unique est adopté.

Explications de vote

Mme Catherine Conconne .  - Mon soutien total va à Mme Jacques.

Un célèbre Martiniquais disait que les meilleurs spécialistes des affaires martiniquaises sont les Martiniquais. Il en va de même pour Saint-Barthélemy. On peut être Français, mais aussi imprégné des réalités de son pays.

Il n'y a aucune incompatibilité entre égalité et droit à l'initiative. Le Gouvernement, l'univers tout entier doivent s'habituer à cette révolution culturelle : les peuples d'outre-mer ont le droit d'avoir le regard le plus précis sur leur réalité, tout en restant dans l'espace français et européen.

Madame la ministre, votre énumération, presque impertinente, de tout ce que l'État a réalisé dans nos territoires durant la crise covid, est déplacée. Oui, comme tous les territoires français, nos territoires ont bénéficié de la solidarité nationale. À quoi bon battre pavillon français, sinon ? Reprocherons-nous à un Breton ou à un Auvergnat d'avoir bénéficié du « quoi qu'il en coûte » ? Devrions-nous nous excuser, en robe de bure, d'avoir bénéficié de la solidarité ?

C'est une résurgence du vieil homme de Césaire. Tuons le vieil homme, inscrivons-nous dans la démarche d'un pays progressiste, ouvert à la spécificité, à la différence, qui ne se recroqueville pas dans un mortel nombrilisme. (Applaudissements)

Mme Micheline Jacques .  - Au terme de l'examen de ce texte, j'exprime toute ma gratitude à Valérie Boyer, à Alain Milon et à tous les orateurs des groupes. Merci de votre intérêt pour Saint-Barthélemy. Madame la ministre, je regrette en revanche la transmission tardive des chiffres de la sécurité sociale, que nous demandons depuis trente ans. J'y vois un signe de défiance. Saint-Barthélemy a toujours eu une relation harmonieuse avec l'État, et ce texte n'est pas contre lui. Je remercie votre cabinet, qui m'a reçue ce matin. Mais pourquoi cet échange n'a-t-il pas eu lieu plus tôt, dès le 14 octobre 2022 ?

Ce texte ne porte pas une volonté d'autonomisation, mais une organisation adaptée au statut du territoire. Malgré les 4,7 millions d'euros du Ségur, l'hôpital n'est toujours pas reconstruit, six ans après Irma. La médecine coûte plus cher à Saint-Barthélemy ; pour garantir un accès universel, le financement doit être adapté.

En ma qualité de rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la différenciation, je souhaite que le Sénat adopte ce texte, car il pose la question de la mise en oeuvre des politiques publiques outre-mer en lien avec les collectivités. (Applaudissements)

Mme Lana Tetuanui .  - J'ai une pensée toute particulière pour Michel Magras, initiateur de la démarche qui aboutit aujourd'hui. Merci aussi à Micheline Jacques.

Ce que réclament les sénateurs des outre-mer, c'est simplement le droit à la différenciation. L'État nous fait-il confiance ?

Nous avons regretté l'absence de disposition relative aux outre-mer dans le texte sur les retraites. Je me félicite du vote que nous aurons aujourd'hui, et je propose à ma collègue de Saint-Barthélemy de venir constater comment fonctionne le système en Polynésie française : il est plus facile d'être affilié à la caisse de prévoyance sociale qu'à la sécurité sociale ! (Applaudissements)

Mme Victoire Jasmin .  - Je félicite Micheline Jacques pour son initiative. Les 8 et 9 mars se tenait la seizième conférence de coopération Antilles-Guyane. Nous sommes tous complémentaires et interdépendants. Il est donc important d'être solidaires, surtout en temps de crise où l'on a tendance au repli. Le CHU de Guadeloupe, malgré ses difficultés, continuera à accueillir les évacuations sanitaires. En tant que sénatrice et professionnelle de santé, je vous le dis : comptez sur nous ! (Applaudissements)

M. Victorin Lurel .  - J'avoue n'avoir toujours pas compris le fond de notre divergence avec la ministre. (Mme la ministre lève les bras au ciel.) Quel en est le véritable motif ?

Je félicite Mme Jacques d'être allée plus loin que M. Magras, sans pour autant dessaisir l'État de sa compétence ni aller vers l'autonomisation. Le texte est prudent.

On nous promet que le décret sera bientôt pris ? Cela fait trois ans que nous attendons l'arrêté sur la parité de rémunération des praticiens hospitaliers et contractuels, crucial pour renforcer l'attractivité. Il est à la signature, nous répond-on toujours !

Nous voterons ce texte avec enthousiasme. L'État fait l'unanimité contre lui aujourd'hui.

La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°250 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 343
Contre     0

La proposition de loi organique est adoptée.

(Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.