SÉANCE

du mardi 9 mai 2023

85e séance de la session ordinaire 2022-2023

Présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Construction de nouvelles installations nucléaires (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE) La CMP est parvenue à un accord. Je me réjouis de la reprise de la plupart des apports du Sénat.

Nous avons d'abord actualisé la planification énergétique. Ainsi, à l'article 1er A, nous avons abrogé les trois verrous à la relance du nucléaire issus de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 : réduction à 50 % de l'énergie nucléaire, plafond de 63,2 gigawatts et fermeture de quatorze réacteurs.

Le Sénat a fixé, à l'article 1er B, de nouveaux objectifs de recherche et innovation, et a introduit, à l'article 1er C, la relance du nucléaire dans la prochaine loi quinquennale de programmation de l'énergie.

Pour garantir la neutralité technologique, les petits réacteurs modulaires (SMR) bénéficieront de simplifications de procédure. D'autres technologies, comme l'hydrogène, feront l'objet d'une clause de revoyure.

Ensuite, nous avons renforcé la sûreté nucléaire. Ainsi, à l'article 9 bis, nous avons intégré la résilience au changement climatique et la cyber-résilience dans la démonstration de sûreté des réacteurs.

À l'article 4, nous avons prévu que les travaux pouvant être anticipés par l'exploitant soient définis par décret après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Je remercie Pascal Martin, rapporteur pour avis, de m'avoir soutenu sur ce point.

L'exploitant rendra un rapport quinquennal sur la sûreté.

Aux articles 9 A, 11 bis et 11 ter, nous avons supprimé toute référence à une éventuelle réorganisation de l'ASN, tout comme de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : laissons-nous le temps de l'expertise.

Nous avons aussi renforcé la commission des sanctions de l'ASN, et alourdi les peines en cas d'intrusion dans une centrale nucléaire.

De plus, nous avons davantage associé les collectivités territoriales et le public en interdisant toute construction de nouveau réacteur avant la fin des consultations. Nous avons aussi obtenu que les réacteurs soient exemptés du décompte du zéro artificialisation nette (ZAN), tout en garantissant aux collectivités le bénéfice de la taxe d'aménagement.

Enfin, nous avons renforcé la sécurité juridique en précisant les procédures d'urbanisme, accéléré le contentieux sur les nouveaux réacteurs avec la régularisation de l'instance et introduit une clause de revoyure pour l'enfouissement du réseau de transport d'électricité.

Nous avons voulu une réforme moderne, qui donne une suite concrète à notre mission d'information transpartisane sur l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone, dont j'ai présenté les recommandations en juillet avec Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau.

Je remercie Maud Bregeon, rapporteure pour l'Assemblée nationale, de ce compromis. Je vous invite à l'adopter et souhaite que la prochaine loi de programmation quinquennale de l'énergie, présentée d'ici à la mi-2023, acte la relance du nucléaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI et du RDSE)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique .  - Vous avez, une nouvelle fois, la responsabilité de vous prononcer sur un texte majeur pour la sécurité énergétique de notre pays face au défi du siècle, la dépendance aux énergies fossiles, qui représentent les deux tiers de notre consommation finale d'énergie. L'objectif du Gouvernement est clair : atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.

Nous devrons construire un consensus politique transcendant les étiquettes partisanes. Nous ne pouvons plus subir les atermoiements erratiques, voire électoralistes.

Nous posons les bases d'un pacte de renouveau énergétique qui se fonde sur des discussions nourries entre le Gouvernement et le Parlement, mais aussi avec les élus locaux, les organisations environnementales et plus largement les milliers de Français qui ont participé à la concertation sur le mix énergétique.

L'énergie est au coeur du débat public. Nous devons y travailler ensemble. Il n'y aura pas d'indépendance politique sans maîtrise énergétique. Après les textes sur la sécurisation de nos approvisionnements énergétiques et sur les énergies renouvelables, je souhaite poursuivre la relance du nucléaire.

Je me réjouis de l'accord en CMP. Je remercie le rapporteur et la présidente de la commission des affaires économiques de leur mobilisation jusqu'à la dernière minute.

Nous pourrons ainsi construire six EPR2 et mettre à l'étude des projets complémentaires.

L'indépendance énergétique est cruciale. Selon les représentants de la filière, pour l'assurer, il faut 100 000 recrutements, d'ouvriers, de tuyauteurs ou d'ingénieurs, soit autant d'opportunités pour nos jeunes de prendre part au plus grand projet industriel de notre pays depuis les années 1970. Ce seront les piliers de la France nation verte. Je ferai début juin le point avec l'université des métiers du nucléaire sur la stratégie de formation répondant à ces besoins de compétences.

Ce projet de loi montre le soutien du Gouvernement et du Parlement à une politique nucléaire ambitieuse et crédible. Je me félicite que cesse l'opposition entre nucléaire et énergies renouvelables, car l'urgence est de sortir des énergies fossiles : nous aurons besoin de l'un et des autres.

Nous accélérons le renforcement de la filière, avec la montée de l'État au capital d'EDF, les investissements comme ceux de Framatome au Creusot, ou de France 2030.

Depuis plusieurs mois, j'essaie de fédérer nos partenaires européens - quatorze aujourd'hui - pour une alliance européenne du nucléaire civil. La semaine prochaine, je réunirai mes homologues sur les nouveaux investissements. C'était également le but de mon déplacement à Hinkley Point.

Nous pourrons ainsi avancer dans la décarbonation et concilier réindustrialisation et maîtrise énergétique. La prochaine loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) devra être ambitieuse et réaliste. Je vous invite à poursuivre ce travail collectif pour bâtir la souveraineté énergétique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Une fois n'est pas coutume, c'est un texte largement amputé des modifications proposées par le Sénat, pourtant pertinentes, qui nous est proposé. Il est dommage d'avoir retiré les objectifs quantitatifs, notamment sur la part de matières recyclées dans le nucléaire. Les intentions engagent, les objectifs obligent.

Au regard des tensions d'approvisionnement, nous aurions pu aller plus loin. Certes, le rapport prévu à l'article 1er D sera utile, mais l'évaluation aurait dû être menée en amont. Malheureusement, le Gouvernement a pris l'habitude d'imposer des délais d'urgence. Idem à l'article 1er F : les analyses auraient dû être réalisées en amont.

Je regrette que les installations hydrogène bas-carbone ne puissent plus bénéficier des dispositions de la loi. Nous passons à côté d'opportunités.

Il nous faut conquérir notre autonomie énergétique. Le mieux est l'ennemi du bien : l'accélération des procédures ne peut se faire au détriment du débat ou en réduisant notre exigence environnementale.

La suppression de dispositions sur la transparence démocratique nous interroge. Nous aurions aimé une délégation partagée avec les parlementaires. Je salue cependant l'information préalable des régions et départements sur la création de nouvelles installations.

Je note aussi la mise en cohérence du texte à l'article 9 A, supprimant l'intégration de l'IRSN à l'ASN, inopportune au regard de leurs missions et de la sensibilité du domaine nucléaire ; il faut séparer contrôle et expertise.

Le ZAN est un sujet sensible, et nous attendons toujours les propositions du ministre Béchu. Les projets d'installations nucléaires ne seront pas comptabilisés : voilà qui rassurera les élus.

Parce que le sujet est important et que nous devons prendre collectivement nos responsabilités, la majorité du groupe RDSE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.) Cela fait longtemps que le nucléaire n'avait pas été placé au coeur du débat - nous n'avons pas autorisé de nouveau réacteur depuis 2007. Le nucléaire était devenu un problème, alors que c'est une solution pour sortir des hydrocarbures russes et faire face à l'électrification de nombreux usages, afin de réussir notre transition énergétique et d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.

Que de temps perdu pour satisfaire des intérêts politiques : fermeture de Fessenheim (M. Laurent Duplomb le confirme), programmation de l'arrêt de quatorze réacteurs sur vingt, arrêt du programme Astrid, autant de fautes qui nous ont privés de notre souveraineté économique. Fessenheim, ce sont 11 térawattheures perdus, 10 millions de tonnes de CO2 en plus dans l'atmosphère. (Mme Nadine Bellurot le regrette ; M. Laurent Duplomb ironise.)

Notre système électrique est en vigilance particulière sur le plan de la sécurité, selon Réseau de transport d'électricité (RTE), et sans marge de sûreté, selon l'ASN.

Le Sénat s'est mobilisé. Dans la loi Énergie-climat de 2019, nous avions décalé de dix ans la fermeture des réacteurs ; dans la récente loi Énergies renouvelables, nous avons imposé des mesures de simplification sur l'hydrogène. Nous avons plaidé pour construire quatorze EPR2 afin de maintenir un mix énergétique performant en 2050. Quelle clairvoyance, mais aussi quelle opiniâtreté !

Nous serons attentifs à ce que la loi quinquennale poursuive des objectifs ambitieux, et que le Gouvernement instruise les nouvelles installations et précise leur financement.

Nous avons intégré de nouveaux risques climatiques, de nouvelles techniques, et instauré une vision décentralisée du nucléaire.

Je me félicite que les réacteurs soient exemptés des objectifs locaux et régionaux du ZAN. Ce fut une bataille difficile. Nous serons attentifs à ce que le Gouvernement ne rétablisse pas un objectif national.

Nous sommes soucieux des déchets. Je me réjouis de l'abandon de la réorganisation de l'IRSN et de l'ASN, introduite par amendements gouvernementaux improvisés. Nous avons saisi l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et serons attentifs à ce qu'une éventuelle réforme ne déstabilise pas les compétences et ne brouille pas les responsabilités.

Le groupe Les Républicains votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Henri Cabanel et Bernard Buis applaudissent également.)

M. Pierre Médevielle .  - Le nucléaire est l'histoire d'une ambition française transformée en stratégie, d'une ambition industrielle ralentie, à laquelle nous donnons un souffle nouveau.

Nous voulons une véritable indépendance énergétique. Après les chocs pétroliers des années 1970, la guerre en Ukraine nous a rappelé notre dépendance aux énergies fossiles.

Il faut coupler le nucléaire au déploiement des énergies renouvelables pour faire face au changement climatique. Nous devons nous en donner les moyens. Le programme est ambitieux, les investissements lourds, mais tel est le prix de notre indépendance.

Face aux bouleversements climatiques, il est urgent d'abandonner les centrales à charbon. Il faut un mix énergétique bas-carbone, et investir dans la maintenance et la rénovation d'un parc nucléaire malmené par des politiques contradictoires.

Je me réjouis que la CMP ait entériné la fin de l'objectif de 50 % de nucléaire. Investissons massivement dans cette filière, notamment de nouvelle génération.

Nous devons harmoniser notre politique nationale avec la politique européenne - cela a tout son sens en cette journée de l'Europe. Soyez assuré de notre soutien sur ce sujet, comme sur celui de l'hydrogène bas-carbone, lié à la question de la taxonomie.

Le Giec nous incite à réduire nos émissions grâce à des énergies bas-carbone. Certes, l'Allemagne ne partage pas notre analyse : elle ferme ses centrales nucléaires, annonce la fin du charbon en 2038, mais négocie en solo ses approvisionnements en gaz au Moyen-Orient. Ce n'est pas très solidaire... (M. Roger Karoutchi s'amuse.) Construire une synergie européenne est compliqué, mais nous devrons trouver des consensus.

Il faut innover et décarboner nos modes de vie. Le nucléaire et l'hydrogène bas-carbone sont des solutions pour l'aciérie et les transports. Je suis avec attention les biocarburants aériens, au sein de l'Opecst.

Le groupe INDEP sera très attentif au projet de loi sur l'industrie verte et à celui sur l'énergie et le climat.

Madame la ministre, ce texte est encourageant, mais nous restons vigilants sur la sécurité et la formation professionnelle notamment, car notre filière doit être renforcée rapidement.

Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées du RDPI ; M. Henri Cabanel et Mme Sylvie Vermeillet applaudissent également.)

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous contestons l'opportunité et les objectifs de ce projet de loi, qui constitue une régression du droit de l'environnement et de la participation du public.

Nous déplorons la suppression des deux jalons majeurs que sont la part maximale de 50 % de nucléaire dans le mix énergétique et la limite de 63,2 GW de puissance installée. Ce sont des cavaliers législatifs. Et le Gouvernement ne respecte pas les conclusions des débats publics !

Notre position sur la construction de nouveaux réacteurs reste inchangée. Faut-il rappeler les déboires technologiques et financiers invraisemblables du nucléaire ? Les défaillances s'enchaînent avec de nouvelles fissures d'une ampleur inégalée.

Quant à l'indépendance énergétique, c'est un mensonge : la France est dépendante des pays producteurs d'uranium enrichi, dont la Russie.

Le projet de fusion de l'IRSN et de l'ASN, fort heureusement, a été écarté. Il est essentiel de maintenir un système dual et de renforcer l'expertise, en augmentant les budgets de ces deux instituts. Nous serons vigilants sur le recrutement de contractuels à l'ASN.

Les centrales ne sont pas assez adaptées aux enjeux climatiques. Comment continuer à prélever plus de 26 milliards de mètres cubes d'eau par an quand le service des données statistiques fait passer la part de l'eau consommée de 31 % à 12 % du jour au lendemain ? Nous sommes passés de 72 % d'eau évaporée à 22 %. Cela interroge sur le sérieux de ces chiffres. Qu'en sera-t-il en cas d'augmentation de température de quatre degrés, ou de submersion marine ?

Le code de l'urbanisme est détricoté par ces mesures dérogatoires, censées permettre un gain de temps que le Conseil d'État ne peut quantifier. Plutôt que de sécuriser les centrales, vous vous en prenez aux lanceurs d'alerte.

Nous n'avons plus que sept ans pour agir, mais ces nouveaux réacteurs ne verront le jour qu'en 2035 ! Les générations futures n'ont pas signé pour ce cadeau empoisonné. Planifions une sortie du nucléaire. Nous voterons contre le texte issu de la CMP. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Bernard Buis .  - Si l'énergie nucléaire inquiète autant qu'elle fascine, elle est la première source de production d'électricité en France. Le 5 janvier 2006, la dernière décision importante en la matière a été prise par Jacques Chirac, avec le début des travaux de Flamanville et la création de l'ASN.

Mais à l'heure où la souveraineté énergétique et la sobriété s'imposent, le nucléaire doit redevenir d'actualité. Il faut dépoussiérer des procédures datant parfois de cinquante ans.

Ce texte est une première pierre essentielle pour la relance du nucléaire civil. Sur le fond, il est fidèle à l'esprit du discours de Belfort d'Emmanuel Macron, qui entendait faire de la France le premier grand pays à sortir de la dépendance aux énergies fossiles.

Ce texte, déposé d'abord au Sénat, simplifie la construction de quatorze nouveaux réacteurs d'ici à 2050. Les grands équilibres trouvés lors de la navette n'ont pas été modifiés, et le texte a été enrichi par le Sénat, notamment sur l'hydrogène, la sécurité juridique des procédures et la clause de revoyure pour favoriser l'enfouissement du réseau d'infrastructure de RTE. Soulignons également l'intégration des aléas climatiques dans la démonstration de sûreté des réacteurs, au stade de l'autorisation comme du réexamen.

L'amendement du RDPI sur la parité dans le collège de l'ASN a été retenu, je m'en réjouis.

L'exemption des réacteurs du ZAN est positive pour les communes et régions concernées ; une loi précisera avant le 1er janvier 2024 les modalités d'application de cette dérogation. Ce compromis est à saluer.

On peut bâtir des consensus dans l'intérêt général du pays. Nous attendons la loi de programmation Énergie-climat, qui promet d'être une étape décisive pour la souveraineté de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et au banc des commissions)

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après avoir minimisé la place du nucléaire six ans durant, le Gouvernement nous présente un nouveau texte. À rebours de la logique qui voudrait que nous actualisions d'abord la stratégie nationale bas-carbone, que nous discutions ensuite la loi de programmation Énergie-climat et qu'en soit déduite la programmation pluriannuelle de l'énergie, la CMP prévoit d'actualiser la PPE en vigueur pour le nucléaire. Comprenne qui pourra.

Le Gouvernement veut passer en force et fait peu de cas de la Chambre haute, comme l'a montré le projet de fusion entre l'ASN et l'IRSN, introduit par amendement. Le groupe SER a écouté le personnel de l'IRSN. Toute évolution de la doctrine de sûreté doit être discutée avec la représentation nationale et la société civile. Nous avons pour cela confié une mission à l'Opecst sur ce sujet. Mais nous n'avons pas voté l'amendement relatif au recrutement sous contrat privé : la loi de 2017 permet déjà à l'ASN de recruter des contractuels. C'est donc bien une fusion qui est amorcée à bas bruit.

L'exemption du ZAN, assortie d'une loi au plus tard le 1er janvier 2024 précisant les modalités de cette dérogation, nous semble un pis-aller. Nous en reparlerons.

Ce texte permet de gagner une année après en avoir perdu cinq, pour des installations de 60 ans : de quoi relativiser la portée de ces mesures.

De nombreux autres points restent en discussion : maîtrise technologique des EPR2, coût des programmes, attractivité des métiers, organisation d'EDF, suppression de l'Arenh, réforme des tarifs... Tous ces sujets relèvent de votre ministère, madame la ministre.

Malgré sa portée toute relative, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Fabien Gay .  - Notre groupe est favorable à la construction de nouveaux réacteurs, à côté du développement des énergies renouvelables, pour acquérir l'indépendance énergétique, à ne pas confondre avec la souveraineté énergétique. La crise climatique nous impose de combiner les énergies pour rendre les prix supportables, tant pour les particuliers que pour les collectivités. C'est la combinaison des moyens de production qui garantira l'indépendance. Pour la souveraineté, il nous faudrait extraire de l'uranium et arrêter les livraisons venues du Kazakhstan et du Niger, ce qui est impossible.

Je suis agacé : madame la ministre, vous avez annoncé que le projet de fusion entre IRSN et ASN serait abordé lors de la navette. Est-ce respecter le Sénat ou les salariés de ces institutions ? Heureusement, l'affaire a été enterrée à l'Assemblée nationale, et votre coup de force ne passera pas.

Vous segmentez le sujet sans donner de cadre général, ni évoquer l'Arenh ou EDF. Le seul problème serait les délais administratifs, comme si un constructeur automobile commençait par construire les enjoliveurs, sans se préoccuper du moteur ni de l'habitacle !

Le moteur, c'est EDF et ses 60 milliards d'euros de dette, dont 8 milliards d'euros liés à l'Arenh. Avec un tel endettement, comment investir plusieurs dizaines de milliards dans huit EPR ? Vous allez devoir céder des actifs, chercher des investisseurs privés. Il serait bon que la représentation nationale soit impliquée...

Parlons de l'habitacle - la régulation. Vous poursuivez l'Arenh avec l'objectif de faire investir les alternatifs dans la production. Hormis Total et Engie, c'est raté : tous les autres profitent du système et revendent à profit. Avec Dominique Estrosi Sassone, nous rendrons prochainement un rapport sur les abus qui ont eu lieu en 2022 : beaucoup pèsent sur le portefeuille d'EDF tout en rackettant les Français.

Le principe du coût marginal, invention de Marcel Boiteux, s'entend sur le marché national, mais est une aberration sur le marché européen. Quant à votre réformette, elle favorisera l'industrie allemande à notre détriment.

Pour construire une belle voiture comme une bonne centrale nucléaire, il faut des ouvriers. Le Gouvernement vient de casser les retraites des industries électriques et gazières (IEG). Comment comptez-vous valoriser la filière, recruter 100 000 personnes, de l'ingénieur au chaudronnier ? Pas de réponse.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 6 mars 1974, avec le plan Messmer, la France de l'énergie entrait dans une ère où indépendance rimait avec nucléaire, où scientifiques et politiques ne faisaient qu'un pour l'intérêt général. Devenu le grenier à électrons de l'Europe, notre pays s'est affirmé comme un acteur de premier plan pour l'indépendance énergétique de notre continent, mais nous n'avons pas su prendre les décisions stratégiques nécessaires. Sous les coups de boutoir des ayatollahs verts, le nucléaire s'est dégradé sans que nous y prêtions attention. Avec la fermeture de Fessenheim, la France est devenue importatrice d'électricité, sortant de son rôle historique d'exportateur.

Alors que nous avons besoin d'une politique forte, l'attentisme des dirigeants a fragilisé la position de l'acteur phare, EDF. Saluons le sursaut constitué par le discours de Belfort : la relance est décisive pour notre pays. Ce projet de loi est un premier pas pour rompre avec le déclin de la production nucléaire.

Le groupe UC salue les compromis trouvés. Ce texte est vital pour relancer l'énergie nucléaire. Le Sénat y a pris toute sa part, faisant fi de tout dogmatisme. L'abrogation du plafonnement de la part du nucléaire dans notre mix est un signal fort pour le secteur ; la dérogation pour le ZAN également. Enfin, le fléchage du bénéfice de la taxe d'aménagement vers les collectivités territoriales sera clé, embarquant l'ensemble des acteurs dans la relance du nucléaire.

Ce texte technique demandait des ajustements. Je salue le travail des rapporteurs Daniel Gremillet et Pascal Martin, ainsi que des présidents des deux commissions.

Il faut accélérer la formation, et faire confiance aux personnels mobilisés. C'est ce que nous attendons de la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie que nous examinerons à l'automne.

J'espère que nous saurons, plus qu'une nouvelle loi Messmer, doter notre pays d'une véritable ambition nucléaire et d'une vision stratégique pour les années à venir, sans oublier la nécessité de continuer à travailler sur le mix énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

À la demande du groupe Les Républicains, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°281 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l'adoption 315
Contre   13

Le projet de loi est adopté.