Importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à interdire l'importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en République populaire de Chine, présentée par Mme Mélanie Vogel, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues, à la demande du GEST.

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Yan Chantrel applaudit également.) Sur l'initiative de Mélanie Vogel, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence, le GEST propose que le Sénat prenne position, après l'Assemblée nationale, sur l'indicible crime contre l'humanité opéré méthodiquement depuis plus de dix ans dans l'Ouest de la Chine.

Nous voulons compléter la résolution de l'Assemblée nationale en stoppant l'importation des produits fabriqués par les Ouïghours.

Grâce à la mobilisation de la diaspora et du député européen Raphaël Glucksmann, nous connaissons le traitement inhumain dont sont victimes des Ouïghours. Depuis 2010, et surtout depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la République populaire de Chine pratique une politique d'assimilation violente des minorités, particulièrement des musulmans ouïghours.

Cette politique se traduit par l'interdiction de pratiques religieuses et culturelles, la destruction de lieux de culte et de cimetières ou encore la surveillance de masse. Le Xinjiang est devenu le laboratoire de l'assimilation répressive du parti communiste chinois (PCC).

Sous couvert d'antiterrorisme, le pouvoir chinois veut diminuer la place de l'islam dans le pays : la pratique du ramadan, la consommation de nourriture halal, une apparence considérée comme trop religieuse ou l'enseignement coranique valent aux Ouïghours l'envoi dans des camps de concentration ou de rééducation, où les détenus sont forcés d'abandonner leur religion, contraints à boire de l'alcool ou à manger du porc.

Les témoignages font froid dans le dos : les femmes kazakhes et ouïghoures sont soumises à un strict contrôle des naissances et subissent prise contrainte de contraceptifs, avortements, stérilisations forcées, entre autres, sous peine de sanction. Tout cela est constitutif d'un génocide selon la définition internationale établie en 1948.

Au mitan des années 2010, pour des prétextes dérisoires, comme une conversation avec un étranger, les incarcérations se font en dehors de tout système judiciaire. Des fonctionnaires sont envoyés dans les familles musulmanes pour surveiller leur mode de vie. Les autorités encouragent une politique de délation qui rappelle les heures sombres de l'humanité. Les Ouïghours vivant à l'étranger doivent donner des informations sur la diaspora, sous peine que l'État s'en prenne à leur famille restée au pays.

Les premières preuves des camps émergent en 2017. Amnesty International et l'ONU estiment à 1 700 le nombre de camps de concentration et le nombre de prisonniers à un million. Un musulman sur six serait concerné.

De l'aveu même d'un rapport de 2020 des autorités chinoises, 2,6 millions de citoyens ouïghours ont été placés dans des fermes ou des usines : les industriels peuvent passer commande de travailleurs à leur guise. Tous les habitants turciques de plus de 16 ans peuvent être prélevés dans leurs familles selon des quotas, puis entassés dans des dortoirs, et travaillent pendant un nombre incalculable d'heures, pour de très bas salaires.

Le Xinjiang s'est couvert d'immenses complexes industriels. Le secteur textile est le plus concerné : on y trouve Adidas, Zara, Nike, Uniqlo, entre autres. L'automobile, les jouets et les panneaux solaires sont aussi concernés. C'est que nous avons délégué à l'appareil industriel chinois le soin de produire des biens de consommation courante. Notre attitude était tout autre lorsqu'il s'agissait de l'industrie soviétique.

Michelle Bachelet, alors haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, a rendu un rapport accablant qui confirme les informations des associations de défense des droits de l'homme, mais les marques s'étant retirées de cette production se comptent sur les doigts de la main. Les indignations ne suffisent plus. En 2021, le commerce direct entre le Xinjiang et l'Union européenne a même augmenté de 13,6 %. Combattons ce système fondé sur l'exploitation des êtres humains. Un vêtement sur cinq dans le monde pourrait être le fruit du travail forcé ouïghour... C'est vertigineux !

Nous avons le devoir de nous doter d'une politique commerciale exigeante qui respecte les droits humains les plus basiques. La France se veut le phare de la promotion des droits : elle doit agir.

Les États-Unis ont ainsi interdit en 2021 l'importation de produits issus du Xinjiang, à charge pour les importateurs de prouver le contraire. En septembre dernier, la Commission européenne a proposé d'interdire certains produits, une enquête pouvant être lancée en cas de doute.

Nous souhaiterions que la France et l'Union européenne adoptent une position similaire à celle des États-Unis en inversant la charge de la preuve : ce n'est pas aux pouvoirs publics ou aux associations, mais bien aux industriels d'effectuer ce travail.

Bien sûr, il ne s'agit pas de s'aligner sur la politique de guerre commerciale des États-Unis...

M. André Gattolin.  - Ah !

M. Guillaume Gontard.  - ... mais compte tenu des bouleversements géopolitiques majeurs, l'Europe et la France doivent construire une politique chinoise qui leur soit propre, dont la fermeté face aux crimes contre l'humanité serait une composante essentielle.

En janvier 2022, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution sur les crimes perpétrés par la Chine contre les Ouïghours, comment pouvons-nous continuer à importer des produits issus d'un travail forcé n'ayant rien à envier au goulag ?

Il faut cesser d'offrir un débouché commercial aux crimes contre l'humanité, comme le disait Mélanie Vogel.

La France ferait peser une vraie chape de plomb sur la Chine qui mise énormément sur le développement du Xinjiang, au coeur de la politique des nouvelles routes de la soie. La Chine comprend uniquement le rapport de force : il faut s'attaquer à son portefeuille pour tenter de retrouver le sens de notre humanité ! (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE ; M. Serge Babary applaudit également.)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remplace Mélanie Vogel, initiatrice de ce texte. Depuis 2017, des millions d'Ouïghours et d'autres minorités musulmanes ont disparu dans les camps du Xinjiang. Nous parlons d'un génocide culturel : stérilisation forcée, endoctrinement politique, renonciation à la culture sous la torture. Voilà trois ans que l'Australian Strategic Policy Institute a rendu son rapport sur le travail forcé, recensant 83 marques dans les secteurs de la technologie, l'industrie et surtout la mode, qui utilisaient massivement ce système concentrationnaire.

Depuis, quelques marques comme Adidas ou Nike ont cessé leur approvisionnement là-bas, d'autres comme Zara ou Hugo Boss ont condamné le système avant de revenir sur leurs déclarations pour ne pas froisser la Chine, mais la plupart sont restées silencieuses.

De nombreuses associations ont porté plainte, mais 20 % du coton mondial reste produit au Xinjiang. Dans cet hémicycle, les vêtements, écrans et téléphones sont sans doute les produits de cet esclavage, carburant sanglant des nouvelles routes de la soie de Pékin.

Un, voire deux millions de personnes sont enfermées et torturées dans des camps de travail, parfois juste pour avoir parlé leur langue, soit 10 % de la population ouïghoure.

M. Rachid Temal.  - C'est vrai !

M. Thomas Dossus.  - C'est la plus grande campagne d'internement depuis la Seconde Guerre mondiale.

Que fait la France ? Trop peu, hélas. Symboliquement, et nous le saluons, l'Assemblée nationale a reconnu que c'était un crime contre l'humanité l'année dernière, mais rien ne fait obstacle à ces produits. Nous invitons le Gouvernement à travailler à l'échelle européenne - plus grand marché mondial - au contrôle des produits issus du travail forcé, comme l'ont fait les États-Unis et le Canada en inversant la charge de la preuve. Résultat, les importations chinoises ont baissé dans ces pays, mais ont été compensées par une hausse en France.

Demandons, nous aussi, aux entreprises de prouver une traçabilité sans reproche. Or Bruxelles s'apprête à mettre en place le processus inverse, qui impose aux États membres de fournir la preuve du travail forcé pour interdire les produits ; c'est absurde et inefficace.

Notre proposition de résolution est de bon sens. Comment dénoncer un crime contre l'humanité et en rester là ? Il y va de l'honneur de la France, un message clair à l'adresse de Pékin, mais aussi universel contre l'esclavage moderne, qui doit être rendu impossible. C'est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI)

M. André Gattolin .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER) Je remercie le GEST : c'est la première fois que notre Haute Assemblée débat de cette abominable stratégie. Il était temps ! Quand j'ai invité le Congrès mondial ouïghour dans nos murs, il y a dix ans, rares étaient les parlementaires informés - un moment de solitude.

Depuis, la coercition massive à leur encontre n'a cessé d'augmenter. Il aura fallu l'incroyable persévérance d'associations et de chercheurs pour documenter ce processus génocidaire.

Même si le travail forcé n'en est qu'une dimension, nous voyons la résurgence de l'esclavage moderne, en Chine et ailleurs. La Convention sur le travail forcé remonte à 1930, elle est l'une des premières de l'Organisation internationale du travail (OIT), créée en 1919. Suit une convention sur son abolition, en 1957. Sur le papier, elles sont ratifiées presque partout - même la République populaire de Chine l'a fait le 12 août 2022, pour une application d'ici deux mois et demi...

Les faits sont têtus et la réalité coriace : le travail forcé ne fait que croître depuis les années 2010. Ainsi, 28 millions de personnes en souffriraient selon l'OIT en 2021, 3 millions de plus qu'en 2016. Si l'OIT ne publie que des agrégats régionaux pour des raisons politiques, la fondation Walk Free, il y a une semaine, révélait que la Chine, avec 5,8 millions de personnes concernées, est au deuxième rang mondial, derrière l'Inde, de son index agrégeant travail forcé, mariage forcé et traite humaine. En Chine continentale, ce chiffre a progressé de plus de 70 % ces cinq dernières années. Contrairement à l'Inde, où le phénomène est diffus, le travail forcé est très concentré au Xinjiang et au Tibet, et est, comme en Corée du Nord, le fruit d'une politique délibérée de l'État.

Il serait illusoire de croire que la ratification des conventions de l'OIT changera les choses. Qui à l'OIT, ira sur le terrain ? Rappelons-nous la tragicomédie de l'inspection de l'OMS au laboratoire de virologie de Wuhan et le fiasco du déplacement de Michelle Bachelet au Xinjiang en mai 2022. Quand la Chine a officiellement aboli la rééducation par le travail, le seul changement a été une requalification sémantique des camps en « centres de formation professionnelle ».

L'accord global sur les investissements entre la Chine et l'Union européenne, signé le 30 décembre 2020 en catimini, n'a été suspendu que face au tollé provoqué par les sanctions imposées par Pékin à plusieurs eurodéputés défendant les Ouïghours. Pour ne pas perdre la face, la Commission européenne finalise un règlement qui interdirait l'importation de produits issus du travail forcé, mais sans moyens opérationnels pour vérifier la traçabilité, faisant peser la charge de la preuve sur le régulateur -  qui a déjà du mal à suivre les autres accords commerciaux.

Or cette proposition de résolution propose l'inverse. Ce n'est pas une mesure d'exception : elle s'applique déjà à d'autres domaines, et est conforme au droit communautaire. Les produits issus du travail forcé représentent 12 milliards de dollars par an en France, dont 8 pour ceux provenant de la Chine. Le RDPI votera cette proposition. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Notre chambre a parfois l'occasion d'être à la hauteur de l'histoire, ainsi de l'adoption du projet de loi relatif à la restitution de bien culturels ayant fait l'objet de spoliations antisémites en mai dernier, ou la résolution sur le génocide assyro-chaldéen en février. Cela aurait aussi pu être le cas sur la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris que j'avais présentée. C'est à nouveau le cas aujourd'hui.

Je remercie Mélanie Vogel et son groupe, et rends hommage aux Ouïghours qui témoignent des crimes subis par leur peuple.

Je ne puis qu'avoir à l'esprit ce triste parallèle : en mai, nous commémorions la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition. La France est le seul État à avoir déclaré la traite négrière et l'esclavage crime contre l'humanité.

Les faits sont documentés et incontestables : au moins 2 millions d'habitants au Xinjiang sont envoyés dans des camps pour y travailler de force. Selon l'OIT, il s'agit d'un travail contraint par la violence, l'intimidation ou la dette. Les 11 millions d'Ouïghours, Kazakhs et autres musulmans du Xinjiang sont soumis à un contrôle policier totalitaire. Des centaines de milliers sont envoyés en camp de rééducation.

Les Xinjiang Police Files ont mis des visages sur les victimes de ces horreurs : la plus jeune détenue, Rahile Orner, n'a que 14 ans. Dans le canton rural de Konasheher, 12 % des adultes sont en prison ou dans des camps.

Fin 2018, la Chine a reconnu l'existence de ces camps, les présentant - une honte - comme de sympathiques lieux de formation professionnelle. Les récits de ces prisonniers mentionnent tortures, viols, lavage de cerveau, entre autres.

Le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, publié à la fin du mandat de Michelle Bachelet le 31 août 2021 en raison du blocage de la Chine, concluait à de graves violations des droits de l'homme. La torture et les violences sexuelles étaient jugées crédibles.

C'est là la conséquence d'un libéralisme fou et d'un emprisonnement numérique, avec l'éradication organisée d'un peuple, d'une religion, d'une culture, à travers la stérilisation des femmes.

L'Assemblée nationale a adopté en janvier 2022 une résolution sur le caractère génocidaire de ces violences. En juin 2022, le Parlement européen adoptait une résolution relative à la situation des droits de l'homme au Xinjiang et une autre sur un nouvel instrument commercial visant à interdire les produits issus du travail forcé : en représailles, Pékin avait sanctionné dès 2021 une dizaine de personnalités européennes, dont l'eurodéputé français Raphaël Glucksmann. Ces sanctions contre des élus doivent être condamnées.

La Commission européenne propose d'interdire le commerce issu du travail forcé. Il appartiendra aux autorités de chaque État de faire la preuve que les produits soupçonnés ont bien été fabriqués dans des conditions de travail forcé. C'est une avancée, mais insuffisante. La proposition de résolution invite à réviser cette position, en s'inspirant du modèle américain. L'application serait simplifiée et ne devrait pas poser problème aux 83 entreprises concernées.

Chaque personne qui porte une fibre de coton produite en Chine doit se dire qu'il profite de ce travail forcé... Le seul responsable, c'est le Gouvernement chinois. J'espère que notre assemblée appellera à le condamner et à soutenir la population ouïghoure.

Selon l'OIT, 30 millions de personnes sont soumises au travail forcé, dont 86 % dans l'économie privée et 14 % dans l'économie dirigée par l'État. C'est inacceptable.

Le groupe SER votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDPI ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Fabien Gay .  - Je remercie le GEST pour sa proposition de résolution. Sans réserve, nous condamnons les crimes de masse commis à l'encontre des Ouïghours. Le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU présente des éléments probants : travail forcé, contrôle des naissances, tortures, voire viols. Toutefois, il n'utilise pas la qualification de génocide, contrairement à cette proposition de résolution. Vous connaissez nos réserves sur ce point, tant que l'ONU ne s'est pas prononcée.

Cela suffit cependant à nous conforter dans notre condamnation de cette répression. Nous appelons la Chine à autoriser rapidement une enquête indépendante.

Les États ne doivent pas rester silencieux : l'interdiction de produits issus du travail forcé peut être prononcée. Pas de deux poids deux mesures dans la fraternité humaine : notre groupe condamne tous les crimes commis à l'encontre d'un peuple - les Ouïghours, les Palestiniens, les Sahraouis, les Cubains, qui subissent un blocus insupportable, les Rohingyas, les Coréens du Nord, les Ukrainiens depuis l'invasion russe.

S'il faut interdire l'importation de produits issus du travail forcé, nous ne comprenons pas l'intérêt de réduire la résolution européenne, plus large, au cas des seuls Ouïghours. Les décisions états-uniennes relèvent d'une logique de guerre économique. La lutte contre le travail forcé ne doit pas être à géométrie variable : selon l'OIT, il concernerait 27 millions de personnes. Trop de populations sont exploitées, pour des salaires indignes : 50 millions de personnes, dans toutes les régions du monde, subissent une forme d'esclavage moderne.

Depuis 2017, la pandémie, les conflits, la crise climatique exposent les populations à l'exploitation débridée et à de graves atteintes aux droits de l'homme. Trop de multinationales s'en rendent coupables, guidées par une logique de profit maximal, trouvant leur compte dans le moins-disant social et environnemental. Elles font système dans le monde de l'argent roi et des traités de libre-échange.

Dénonçons toutes les situations de travail forcé : en Chine, mais aussi au Qatar, ou encore en République démocratique du Congo, où 300 000 enfants travaillent dans l'enfer des mines de cobalt. Le rapport de l'OIT mentionne l'agriculture, les mines, l'industrie.

Même si nous divergeons sur la portée du règlement européen, l'ensemble de notre groupe, à deux exceptions près, votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, du RDSE et du RDPI ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Michel Canévet .  - La France est très attachée aux droits de l'homme. Nous devons l'abolition de l'esclavage à notre prédécesseur Victor Schoelcher. (Marques d'approbation à gauche) Soyons-en fiers. La Déclaration universelle des droits de l'homme a été signée en France : ses articles 4 et 5 précisent que nul ne doit subir l'esclavage ou des sévices. Ces valeurs nous sont fondamentales.

La France est aussi attachée à l'expression de minorités, notamment régionales - élu de Bretagne, j'y suis vigilant. Ce qui est vrai pour la Bretagne doit l'être pour la France et pour le monde entier : oeuvrons pour une liberté effective.

Trente millions de personnes seraient soumises au travail forcé : nous ne pouvons l'accepter. Je souscris aux propos de Fabien Gay appelant à une enquête indépendante en République populaire de Chine, susceptible d'apporter des preuves irréfutables des comportements que nous dénonçons.

Les conflits se poursuivent à travers le monde, comme en Ukraine ou en Arménie. Il faut agir, et il faut donc sanctionner, comme cela a été décidé à l'encontre de la Russie. Dans un monde où les échanges de biens croissent, les sanctions économiques sont une arme importante pour exprimer notre réprobation.

Le groupe UC est foncièrement attaché à nos valeurs humanistes, libérales et sociales. Nous les défendons toujours, notamment dans le cadre des groupes d'amitié.

Le texte du GEST n'appelle pas d'objection sur le fond.

Toutefois, nous regrettons deux choses sur la forme : la charge de la preuve sera très difficile à établir. Soyons prudents. En outre, nous privilégions une approche transpartisane, plutôt que l'initiative isolée d'un groupe, dont la manière de voir n'est pas intégralement partagée.

À l'exception de trois de ses membres, le groupe UC s'abstiendra sur cette proposition de résolution.

Mme Esther Benbassa .  - Vous avez certainement entendu parler de Shein, emblème de la fast fashion. T-shirt à 2 euros, robe à 9 euros : tel est le prix de l'esclavage moderne. Le 5 mai, sa boutique éphémère en plein coeur de Paris a attiré des milliers de clients. À qui jeter la pierre ? Au consommateur, qui, face à l'inflation, souhaite acheter à moindre coût ? Ou au Gouvernement, qui permet à ce géant chinois exploitant une main-d'oeuvre forcée de s'installer impunément sur notre sol ? La marque Shein enregistre un chiffre d'affaires de 30 milliards d'euros, mais ne rémunère ses employés ouïghours que quelques centimes, en leur imposant des conditions exécrables.

Le 9 juin 2022, veille de la commémoration de l'abolition de l'esclavage, le Parlement européen a proposé d'interdire l'importation de produits issus du travail forcé des Ouïghours, mais sans s'en donner les moyens. Alors qu'un génocide se profile, l'effectivité des mesures européennes est faible : il faut aller plus loin pour défendre les droits de l'homme. Trop de géants de la mode font des profits colossaux en vendant des produits fabriqués en Chine au mépris des droits de l'homme. En avril, le combat des ONG a été classé sans suite. De nouveaux instruments s'imposent en vue d'assurer une meilleure traçabilité des produits importés. L'industrie textile ne doit plus se cacher derrière son ignorance.

Apportons notre soutien à cette juste cause : l'Histoire ne doit pas nous juger pour notre inaction. Ne disons pas plus tard que nous ne savions pas. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. André Gattolin applaudit également.)

M. André Guiol .  - (M. Michel Canévet applaudit.) Au lendemain des crimes contre l'humanité commis dans les camps par Hitler ou Staline, nous pensions avoir tourné la page de la barbarie. Tel n'est pas le cas : depuis plusieurs années, la République populaire de Chine bafoue les droits humains des Ouïghours et d'autres peuples turciques, dans l'indifférence de la communauté internationale.

La répression des Ouïghours, population chinoise musulmane originaire du Xinjiang, est documentée : arrestations arbitraires, déportations, travail forcé, violences morales et physiques. Internés dans les camps, ils subissent des flagellations, des électrifications, des stérilisations et avortements forcés, des viols. Ils ne peuvent exercer librement leur culte et se voient forcés d'ingérer du porc ou de l'alcool. L'imagination des autorités chinoises est sans borne, et ces atrocités n'épargnent pas les enfants, eux aussi soumis au travail forcé.

Chaque Ouïghour de la diaspora compte au moins un proche dans les camps, les prisons, les usines de travail forcé. Selon un groupe d'avocats et d'experts des droits humains, il s'agit bien d'un génocide, car les autorités chinoises s'attachent à éradiquer cette population en raison de sa confession et à la rééduquer, culturellement et politiquement.

C'est pourquoi nous devons dénoncer et boycotter les multinationales qui, à l'instar de SMCP, Inditex ou Shein, profitent du travail forcé de la population ouïghoure. Leurs bénéfices ont le goût du sang.

En toute impunité, la Chine bafoue l'article 33 de sa propre Constitution, selon lequel « l'État respecte et garantit les droits de l'homme », et les textes fondateurs du droit humanitaire international.

La communauté internationale a le devoir de protéger la population ouïghoure. Depuis deux ans, les États-Unis interdisent l'achat de produits fabriqués en partie ou totalement dans le Xinjiang. L'Europe, plus timide, ménage la Chine. Voyez pourtant comment la Russie nous a rendu notre bienveillance : la peur de contrarier n'évite pas le danger !

La France doit s'impliquer pour un embargo européen strict sur les produits issus du travail forcé, autour d'un dispositif clair et opérationnel. Le RDSE votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. André Gattolin applaudit également.)

Mme Pascale Gruny .  - En dépit de ses dénégations obstinées, le régime chinois ne parvient plus à dissimuler ses crimes contre la minorité ouïghoure.

Les témoignages sont toujours plus nombreux, précis et étayés : surveillance généralisée, restrictions religieuses et linguistiques, arrestations arbitraires, internements de masse, travail forcé, viols, stérilisations, torture. La qualification exacte fait l'objet de débats d'experts, mais la réalité du supplice vécu par les Ouïghours ne peut plus être mise en doute.

Or la réaction internationale est modeste. La polarisation du monde, la prépondérance de la Chine dans les relations internationales risquent d'entraver encore longtemps la réponse des instances multilatérales.

En 2021, l'Union européenne a haussé le ton, en adoptant des sanctions, les premières depuis Tiananmen. Mais le simple gel des avoirs de quelques responsables chinois, interdits de territoire européen, semble bien modeste au regard des faits incriminés.

La réponse de l'Union européenne doit dépasser le seul terrain diplomatique et viser également les échanges commerciaux.

Notre relation à la Chine, notamment commerciale, est un sujet délicat. La proposition de règlement européen sur l'interdiction des produits issus du travail forcé doit donc être saluée. Certes, le projet ne vise pas spécifiquement la Chine, et pour cause : près de 28 millions de personnes sont touchées par cette forme d'esclavage moderne, sur les cinq continents. Cela ne doit toutefois pas empêcher l'Europe de cibler ses efforts en orientant les investigations vers les zones jugées les plus à risque. Les autorités devront prendre en compte les témoignages individuels ou émanant d'ONG, ou les données recueillies par les entreprises dans le cadre de leur devoir de vigilance. Elles pourront aussi s'appuyer sur les lignes directrices et les indicateurs de risques publiés par l'Union européenne. L'application du dispositif aboutira inévitablement à placer le Xinjiang en haut de la liste.

La présente proposition de résolution adopte une approche différente. Tout d'abord, elle condamne les crimes contre les Ouïghours. Nous pouvons tous nous retrouver là-dessus.

Elle appelle également à un embargo sur les produits issus du travail forcé de la population ouïghoure. Comment ne pas y souscrire ? Mais je m'interroge. À l'instar du mécanisme retenu par les États-Unis, toute marchandise en provenance du Xinjiang serait présumée issue du travail forcé, sauf si l'importateur prouve le contraire. Dans le labyrinthe des chaînes d'approvisionnement, éliminer tout doute sera impossible, notamment pour les PME.

Ce n'est pas un obstacle pour les autorités, dont le projet de règlement européen prévoit qu'elles pourront interdire la commercialisation d'un produit même s'il n'est pas absolument prouvé qu'il est issu du travail forcé. Dès lors, une inversion de la charge de la preuve n'apparaît pas indispensable, d'autant qu'elle ferait peser une responsabilité exorbitante sur les entreprises. Déjà, nombre d'entreprises ont annoncé qu'elles cesseraient de s'approvisionner dans le Xinjiang, pour conserver l'accès au marché américain. Un embargo général priverait le Xinjiang de tout débouché économique.

Évitons les ruptures et avançons pas à pas. Privilégions les logiques partenariales entre des États de plus en plus exigeants, à juste titre, et des entreprises de plus en plus engagées. Nous comprenons l'objectif de la proposition de résolution, mais le dispositif proposé ne nous semble pas opportun. Le groupe Les Républicains s'abstiendra.

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Ses prouesses économiques nous feraient presque oublier que la Chine est communiste. L'enfer des camps nous le rappelle.

Les onze millions de Ouïghours sont la cible d'une persécution génocidaire, sous couvert de lutte contre l'islamisme. Dans la droite ligne totalitaire communiste, le Parti organise la rééducation à travers un système concentrationnaire, endoctrine pour briser les consciences. Le marxisme n'ayant jamais été très convaincant (M. Fabien Gay s'exclame), on recourt à la torture, aux viols et au travail forcé.

Le conseil des droits de l'homme de l'ONU accuse la Chine de stérilisations forcées. Il s'agit d'effacer non seulement la culture et la langue, mais la minorité ouïghoure dans son ensemble. Ces actes qui déshonorent la Chine millénaire appellent la plus ferme condamnation. C'est le sens du présent texte, que notre groupe a cosigné à l'unanimité.

Avant les Ouïghours, il y eut les nationalistes, les contre-révolutionnaires, les militants des droits humains, les Tibétains : 50 millions de personnes sont passées par les camps du Parti, 20 millions y sont mortes. La Chine a toujours eu recours à l'emprisonnement de masse car hors de la majorité, il n'y a que des ennemis du peuple. Surveillance et contrôle garantissent l'obéissance, la disparition du droit de propriété et de la liberté.

Un tel système carcéral coûte cher : on rééquilibre donc en recourant au travail forcé. Les marchandises qui en sont issues sont souillées du sang des victimes. Défenseurs de la liberté, nous ne devons pas commercer avec ses fossoyeurs.

Le groupe INDEP votera cette résolution à l'unanimité. Comme toutes les minorités, les Ouïghours ont droit à la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa et M. André Gattolin applaudissent également.)

M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger .  - Depuis plusieurs années, la situation des droits de l'homme au Xinjiang fait l'objet de vives préoccupations. Des témoignages étayés font état d'internements de masse et de détentions arbitraires, de disparitions forcées, de violences sexuelles, de surveillance généralisée ainsi que de travail forcé. Ces faits ont été confirmés par le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies, publié en août 2022, qui estime qu'ils pourraient être constitutifs de crimes internationaux, en particulier de crimes contre l'humanité. Le rapport constate des éléments de coercition dans les programmes de travail et d'emploi, rejoignant en cela les conclusions du rapporteur général de l'ONU sur les formes contemporaines d'esclavage.

La France est pleinement mobilisée face à la gravité de la situation. D'abord dans le cadre de notre relation bilatérale avec la Chine, en relayant nos préoccupations auprès des autorités chinoises, au plus haut niveau. Le Président de la République s'est exprimé à plusieurs reprises avec force sur ce sujet, et notre ambassade en Chine apporte son soutien à la société civile et aux militants des droits de l'homme.

Sur le territoire national, le Gouvernement veille au respect des droits fondamentaux et à la sécurité des Ouïghours établis en France.

Au niveau européen, nous avons adopté, le 22 mars 2021, des sanctions contre quatre individus et une entité - une première depuis 1989. Le Xinjiang a été au menu de la 38e session de dialogue Union européenne - Chine sur les droits de l'homme du 17 février 2023, ainsi que de la réunion triennale entre la présidente de la Commission, le Président de la République et le président Xi Jinping. L'accord global sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine comprend également des engagements formels en matière de travail forcé.

Cette vigilance a abouti à la ratification par la Chine des conventions 29 et 105 de l'OIT sur le travail forcé. Leur mise en oeuvre est toujours évoquée dans nos échanges avec Pékin. Au demeurant, le processus de ratification de l'accord sur les investissements est suspendu depuis les sanctions chinoises contre des élus et parlementaires européens.

La France soutient systématiquement les déclarations et résolutions de l'ONU sur le sujet. Le 6 octobre dernier, lors de la 51e session du conseil des droits de l'homme, elle a appelé à un débat sur la situation des droits de l'homme dans le Xinjiang.

La France est la première à s'être dotée, dès 2017, d'une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères. Elle impose aux entreprises d'établir un plan de vigilance, inclus dans le rapport de gestion. Nous conduisons des actions de sensibilisation afin que le secteur privé prenne sa part de responsabilité pour lutter contre le travail forcé.

La France a plaidé pour un capitalisme responsable lors de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et participé à l'élaboration du projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises présenté par la Commission en février 2022. Elle met son expérience au service de la négociation en cours et participe aux travaux en vue d'interdire la mise sur le marché de produits issus du travail forcé.

Elle sera attentive à ce que le projet de règlement soit clarifié pour être opérationnel et prévisible pour les entreprises. Nous souhaitons que les discussions s'accélèrent.

En outre, la France promeut l'application effective des normes internationales pour interdire le travail forcé. La ratification par la Chine des conventions 29 et 105 déclenchera les mécanismes de suivi.

Le Gouvernement conteste également tout financement, y compris par l'intermédiaire des banques, de projets susceptibles de contribuer au travail forcé ou à la répression, notamment dans le Xinjiang.

La France tient aussi un rôle moteur au sein de l'Alliance 8.7, qui lutte contre le travail forcé. Au sein du G7, elle a signé plusieurs déclarations politiques, notamment à Hiroshima le 20 mai 2023.

La France est aussi active dans la négociation sur les entreprises responsables au sein de l'OCDE.

Notre pays est donc engagé à tous les niveaux. Vous pouvez constater la convergence avec votre proposition de résolution.

Le problème est toutefois d'ampleur mondiale : la réponse doit l'être aussi. La France et l'Union européenne privilégient une approche transversale, gage d'efficacité et de concurrence équitable. Nous poursuivons notre dialogue, exigeant et difficile, avec la Chine sur les droits de l'homme au Xinjiang, en l'appelant à ratifier le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.

Sans relâche, nous continuerons à nous battre pour que les objectifs européens en matière de droits de l'homme aux Xinjiang soient tenus, notamment dans le cadre de la politique commerciale et d'investissement. Dans les instances internationales, nous défendons le caractère inaliénable des droits de l'homme : la Chine doit les respecter, en cohérence avec ses engagements internationaux.

À la demande du GEST, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°294 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 144
Pour l'adoption 144
Contre    0

La proposition de résolution est adoptée.

Prochaine séance, mardi 6 juin 2023, à 9 h 30.

La séance est levée à 16 h 35.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 6 juin 2023

Séance publique

À 9 h 30, 14 h 30 et 21 h 30

Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président, M. Pierre Laurent, vice-président M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Daniel Gremillet

1. Questions orales

2. Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (procédure accélérée) (texte de la commission n°661, 2022-2023) et projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (procédure accélérée) (texte de la commission n°662, 2022-2023)

3. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique étrangère de la France en Afrique