Enjeux de la France communale et avenir de la commune en France

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les enjeux de la France communale et l'avenir de la commune en France, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sans doute vous souvenez-vous de la définition que le député-philosophe Jules Barni donnait de la commune - et que le président Larcher reprend fréquemment...

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Absolument !

M. Philippe Bas.  - « La commune, c'est la petite République dans la grande. » L'est-elle encore et pourra-t-elle le rester ?

Sous l'effet d'une recentralisation non seulement rampante mais de plus en plus assumée par l'État, les acquis fondamentaux de la décentralisation menée par Gaston Deferre...

M. Patrick Kanner.  - Et Pierre Mauroy !

M. Philippe Bas.  - ... sont fortement rognés.

Multiplication des normes, perte d'autonomie financière, structures encadrant les communes : le recul est généralisé.

Laissons de côté les normes environnementales et d'accessibilité pour nous concentrer sur l'urbanisme : l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) implique pour le monde rural des contraintes extrêmement sévères, au moment où le développement formidable du télétravail ouvre aux maires de nouvelles perspectives de développement. (Marques d'assentiment à droite)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Cette inquiétude est majeure. Le Sénat a adopté sur le sujet une proposition de loi qui a tant suscité la méfiance du Gouvernement que son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ne laisse pas augurer tous les résultats que nous en attendons. Cette première étape ne suffira pas.

L'autonomie fiscale des communes n'existe pratiquement plus. Le démantèlement de la fiscalité locale par plusieurs gouvernements successifs a distendu le lien démocratique qu'est, par essence, le lien fiscal.

Diminuées sous François Hollande, les dotations globales n'ont, depuis lors, cessé de baisser, alors que les coûts auxquels font face les communes explosent, bien au-delà de l'inflation. L'érosion est de l'ordre de 20 % en dix ans.

On nous objectera que les subventions aux projets ne cessent d'augmenter : dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), dotation de solidarité... Mais quand le pouvoir financier échappe à la commune pour revenir à l'État, la décentralisation recule. Je ne crache pas sur les subventions, mais je préfère de beaucoup une capacité d'investissement indépendante de nos communes plutôt que la dépendance au guichet de l'État. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Je ne reviendrai pas sur la suppression de la réserve parlementaire, une erreur historique. (Applaudissements sur les mêmes travées ; Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)

Il y a plus grave encore : les communes agissent désormais au sein de structures qui, dans bien des cas, les empêchent d'exercer pleinement leurs prérogatives. Les communautés de communes XXL sont la manifestation du socialisme étatique qui se propage dans la gestion des collectivités territoriales. (M. Éric Kerrouche rit.) Considérablement étendues, elles sont aussi très fortement intégrées : quand elles s'occupent des détails de l'adduction d'eau ou de la gestion de l'assainissement, on marche sur la tête. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Résultat : les citoyens regardent leur maire comme une personnalité qui n'exerce plus réellement le pouvoir. Le péril est grave pour notre démocratie, dont la vie communale constitue les travaux pratiques.

Encore faut-il ajouter à cela le manque de respect d'un nombre croissant de nos concitoyens - qui ne mériteraient pas même d'être appelés ainsi - à l'égard des maires, qui deviennent les exutoires de toutes les frustrations. Défendons nos maires ! Nous y travaillons depuis le rapport réalisé en 2019, après la mort du maire de Signes, sur la base de la consultation de plus de 4 000 maires.

Nous devons revaloriser la fonction municipale. En particulier, le statut de l'élu doit être adapté à la complexité croissante de cette fonction, de moins en moins compatible avec une vie professionnelle normale.

Pardonnez mon enthousiasme, mais l'enjeu est fondamental. Il est grand temps de se ressaisir pour faire vivre la démocratie municipale ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDSE ; M. Sebastien Pla applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Je suis intimement convaincue que la commune est un échelon vital pour la démocratie locale et la mise en oeuvre de l'action publique. Nos concitoyens sont fortement attachés à leur commune, échelon de proximité par excellence.

Tocqueville disait : « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. » Je ne cite pas ces mots par coquetterie, mais parce qu'ils sont profondément vrais. Le lien est évident entre l'institution municipale et la construction de la République.

Or l'heure est à un double malaise, des maires et des citoyens. Nos collègues se sentent dépossédés de leur capacité à influer sur le destin de leur commune. Nos concitoyens le perçoivent et perdent de vue l'utilité de s'investir dans la vie communale, voire de voter.

Dans un contexte de crises, nous devons pouvoir nous appuyer sur des communes solides. Les maires restent les acteurs publics locaux les mieux identifiés : les Français les connaissent et savent pouvoir compter sur eux. La commune incarne le service public de proximité. Du fait aussi de sa clause générale de compétence, les attentes à son égard sont fortes.

Les élus se sentent souvent insuffisamment armés pour y répondre, en raison de diverses évolutions : renforcement de l'intercommunalité, technicité croissante... Pour apaiser leur malaise, nous devons résoudre le hiatus entre attentes fortes et moyens.

Nous faisons confiance à nos communes et à nos maires. Les communes ont beaucoup à apporter à l'action publique et à notre vie démocratique : elles sont l'échelon du faire et du bien faire. Proximité et efficacité : voilà ce que nos concitoyens attendent.

L'État doit consolider le rôle de la commune et du maire. Dans cet esprit, nous voulons développer un véritable pouvoir réglementaire local, pour donner des leviers juridiques aux maires. La loi 3DS a consacré ce pouvoir réglementaire local : au législateur de le mettre plus souvent en oeuvre. De même, nous souhaitons une décentralisation différenciée, car c'est l'organisation qui doit s'adapter au terrain, et non l'inverse.

L'État doit jouer un rôle d'accompagnateur et de facilitateur. En la matière, nous amplifierons encore nos efforts dans les mois à venir : renforcement du réseau préfectoral, fonds vert, guichet unique de l'ingénierie, poursuite de la simplification des normes.

Gérald Darmanin et moi-même serons intraitables pour soutenir les maires menacés ou victimes de violences. La peur doit changer de camp. Le déploiement du pack sécurité est une première réponse, qui sera renforcée en liaison avec le Parlement et les associations d'élus.

Nous sommes tout disposés à renforcer le soutien aux communes et aux maires, selon des voies qui ne sont pas figées. Avec l'Association des maires de France (AMF), nous menons une réflexion transversale sur les conditions d'exercice des mandats locaux.

Il nous faut pérenniser le modèle communal que deux siècles de République nous ont légué, mais aussi réfléchir aux changements à impulser pour garantir l'avenir de la commune. Comment favoriser encore la coopération et la solidarité entre communes au service d'une vision partagée du territoire, dans le respect de leur liberté de choix ? Nous continuerons à créer de nouveaux outils en ce sens. Je veux aussi donner plus de visibilité aux communes sur leurs ressources.

Enfin, nous devons responsabiliser nos concitoyens : le modèle de l'électeur-consommateur n'est plus viable. Trouvons ensemble les moyens de mobiliser les Français pour qu'ils fassent corps avec leurs élus !

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Les lois de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) et portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ont rigidifié l'action locale. Les communes ont été diluées dans de grands ensembles et les politiques uniformisées ; normes et injonctions se multiplient.

Le Sénat ne cesse de tirer la sonnette d'alarme et de tenter de corriger ces déséquilibres.

Depuis la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), l'exercice d'une compétence au sein d'une intercommunalité peut être territorialisé pour prendre en compte la réalité des bassins de vie. C'est une avancée décisive pour un exercice souple et simple des compétences.

Dans les faits, communes et EPCI peinent à s'approprier ce mécanisme et méconnaissent la marche à suivre pour créer un pôle de proximité ou de compétences. Les préfectures tâtonnent pour conseiller les élus.

Quel bilan tirez-vous de ce dispositif ? Comment comptez-vous le faire mieux connaître ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Je souhaite, moi aussi, simplifier. Christophe Béchu et le président Larcher ont signé une charte de simplification, qui inventorie plusieurs sujets sur lesquels la direction générale des collectivités locales (DGCL) travaille.

S'agissant de l'exercice territorialisé des compétences, nous ne disposons pas de bilan. J'ai fait 66 visites de terrain depuis neuf mois : certaines intercommunalités fonctionnent bien, mais d'autres - de taille XXL, comme l'a dit M. Bas - ont du mal à fonctionner.

Le rôle du préfet de département est primordial : ils sont le point d'entrée. Nous travaillons pour favoriser l'appropriation par les communes et les intercommunalités des possibilités offertes par la loi. Vous connaissez mon attachement à l'enjeu de la mutualisation - le faire ensemble.

M. Max Brisson.  - Tous les EPCI XXL n'ont pas été imposés. Mais, dans ces structures, le besoin de territorialisation est particulièrement marqué. Faute de proximité, les maires se découragent, car ils ont le sentiment de ne plus compter. Amplifions la territorialisation, sans quoi la crise des vocations et de la démocratie communale s'aggravera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Des circulaires ont été diffusées aux préfets pour leur demander de jouer ce rôle. Nous devons aller plus loin pour renforcer l'information.

M. Max Brisson.  - Madame la ministre, venez au Pays basque : je vous ferai connaître une intercommunalité de plus de 150 maires. Il faut renforcer les pôles de proximité : nos maires doivent avoir le sentiment qu'ils comptent dans la République !

M. Franck Menonville .  - Je salue le dévouement inlassable de nos élus, qui oeuvrent au bon fonctionnement de nos territoires avec courage et désintéressement.

La dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL) est destinée à compenser les déplacements obligatoires, les frais de formation et la revalorisation des maires et adjoints. Pour en bénéficier, les communes doivent avoir une population de moins de 1 000 habitants et un potentiel financier par habitant inférieur au potentiel financier moyen par habitant des communes de cette strate, majoré de 25 %.

La moindre variation de potentiel fiscal peut priver une petite commune de ce dispositif. Ces critères, inadaptés aux petites communes, doivent être modifiés. Pour remédier à l'iniquité actuelle, toutes les communes de moins de 500 habitants pourraient toucher la DPEL : qu'en pensez-vous ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Je salue comme vous le courage et le désintéressement des élus locaux.

Votre proposition a déjà été évoquée dans la discussion du projet de loi de finances pour 2023. Pourquoi le seuil de 500 ? Pourquoi pas 1 000 ? C'est l'absence de tout autre critère qui serait source d'iniquité.

Les crédits prévus pour la DPEL sont en augmentation de 7,5 millions d'euros par rapport à l'année dernière.

J'insiste : l'iniquité viendrait d'un changement de règles, avec fixation d'un seuil.

M. Franck Menonville.  - Le problème tient à la variabilité du potentiel fiscal d'une petite commune.

M. Ronan Dantec .  - J'ai plusieurs points d'accord avec Philippe Bas. Larvée ou assumée, la recentralisation est un contresens historique.

Toutefois, nous ne devons pas céder à la nostalgie des petites républiques communales. Le bloc communal doit assumer sa part de responsabilité collective en matière d'environnement et de cohésion sociale.

Les normes seraient le mal, le cancer... Mais nous payons souvent le prix de l'absence de normes : c'est le cas en matière d'accessibilité ou de protection des zones humides.

L'enjeu, c'est l'application des normes. Pourquoi ne pas créer une commission départementale associant l'État, les élus locaux et les associations ? S'il y a consensus, celle-ci pourrait décider de ne pas appliquer une norme.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nombre de maires se plaignent d'un excès de normes. Mais ces pratiques sont liées à notre histoire républicaine. Il serait difficile de repartir d'une page blanche.

En matière d'accessibilité et de protection de l'environnement, je ne vois pas de retard. La création d'une commission départementale ne ferait qu'ajouter de la complexité.

M. Georges Patient .  - La loi de 1992 qui instituait les intercommunalités répondait à une logique de mutualisation des moyens. J'ai soutenu cette évolution, et initié la première communauté de communes de Guyane en 1994. Mais en 2010, le regroupement en EPCI est devenu une obligation.

D'un mouvement volontaire, nous sommes passés à la contrainte avec des transferts obligatoires de compétences. Le rôle du maire et du conseil municipal est devenu secondaire, derrière celui du président de l'intercommunalité.

Pourquoi ne pas créer un conseil des maires au sein de l'EPCI, qui contrôlerait l'action de l'exécutif communautaire ? Ce dernier fait souvent la part trop belle à la ville principale, et dans beaucoup d'EPCI il est perçu comme une simple succursale de celle-ci.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Il existe déjà une conférence des maires, mais il est vrai que toutes les intercommunalités ne s'en saisissent pas.

Le pacte de gouvernance entre l'EPCI et ses communes membres fait l'objet d'un débat en début de mandature.

Je citerai également la garantie de la présence au conseil communautaire des maires de moins de 1 000 habitants.

Enfin, il faut mieux associer les maires aux décisions des EPCI.

Nous avons bien les outils nécessaires ; encore faut-il qu'ils soient bien utilisés. En cas de problème, le préfet peut servir de recours. Je suis également à votre disposition.

M. Patrick Kanner .  - Aucune politique publique ne peut être menée sans les moyens correspondants ; et dans certaines communes, la situation est grave à cause des choix de votre Gouvernement. À Saint-Remy-du-Nord, le maire, Lucien Serpillon, et les élus ont décidé de renoncer à toutes leurs indemnités de mars à décembre pour assurer la viabilité financière de la commune. La dotation globale de fonctionnement (DGF) y a été divisée par deux... La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) n'a pas arrangé les choses. Il est difficile de parler d'autonomie financière, aux termes de l'article 72 C de la Constitution, sans autonomie fiscale !

À l'Assemblée nationale, vous n'avez pas soutenu la proposition de loi de Philippe Brun visant à protéger le statut d'EDF, qui aurait permis de réduire les coûts des collectivités territoriales.

Vous refusez, en somme, toutes les solutions qui soulageraient les communes. Comment lutter contre cette évolution mortifère, qui nous fait passer d'une centralisation providence à une décentralisation pénitence ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Quelques communes ont vu leur DGF baisser en 2023, mais 94 % d'entre elles ont vu leur DGF augmenter ou se stabiliser. J'ai tendance à voir le verre à moitié plein... L'action du maire que vous citez est tout à son honneur ; nous devons travailler ensemble pour éviter cette situation.

Après l'augmentation de la DGF en 2023, nous travaillons avec Christophe Béchu à la renouveler en 2024 - mais pas à la hauteur de l'inflation : l'État doit encore compenser une partie, pas la totalité.

La suppression de la CVAE participe de la réindustrialisation de la France. Certes, elle a des effets de bord mais elle a été compensée plus qu'à hauteur grâce à la fraction de TVA affectée.

Mme Michelle Gréaume .  - Depuis dix ans, les réformes se sont succédé : lois NOTRe, engagement et proximité, 3DS. Pendant ce temps, les moyens et les dotations se réduisent. En dix ans, des milliards ont été ponctionnés sur les budgets communaux.

La hausse des prix de l'énergie et l'inflation sont de nouvelles menaces. Les dotations sont imposées sans négociation avec les maires.

Or le couple commune - services publics est le coeur battant de la République. Nous l'avons vu lors de la crise sanitaire. Bien souvent, la mairie est la dernière porte qui s'ouvre encore dans certaines communes. Les maires ont le sentiment d'être une variable d'ajustement des choix du Gouvernement, ce qui aggrave le mal-être. Quelles mesures prévoyez-vous pour conforter les maires tout en garantissant les libertés communales ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Je ne partage pas votre constat. Depuis 2017, la DGF est stabilisée, elle a augmenté l'année dernière. En dix ans, la DETR a doublé. Celle-ci et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) représentent 2,2 milliards d'euros. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Raymond Hugonet.  - On parle de fonctionnement, pas d'investissement !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Ce gouvernement porte la transition écologique, avec les 2 milliards d'euros supplémentaires du fonds vert.

Bien sûr, on peut toujours faire mieux. Mais la réouverture de six sous-préfectures, les maisons France Services, l'Agence nationale de la cohésion territoriale (ANCT), l'ingénierie au chevet des communes rurales sont autant de politiques qui aident directement nos élus locaux.

Mme Michelle Gréaume.  - La DGF représentait une grande part de ressources de fonctionnement. Les communes sont étranglées.

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il a été rappelé que la commune est la petite république dans la grande. On le voit dans la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire : les maires sont à portée de connexion, dans le réel de nos concitoyens.

Vous avez dit que vous étiez la ministre du « faire ». Pour cela, il faut des moyens, notamment dans l'ingénierie. Mais plutôt que d'accompagner, l'ANCT lance surtout des appels à projets, qui sont un collier au cou des maires... Que proposez-vous pour faire en sorte que les projets se fassent ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - En matière d'ingénierie, l'ANCT et les commissaires de massifs gèrent le plan Avenir montagne, doté de 31 millions d'euros, avec 62 chefs de projet.

Jeudi, la Première ministre présentera le plan France Ruralités, qui apportera une ingénierie dans les territoires. Accessibilité, mobilité, lutte contre les logements vacants, aménités rurales : nous travaillons sur la cohésion sociale et celle des territoires.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Vous n'avez pas répondu à ma question.

M. Mathieu Darnaud.  - Complètement à côté de la plaque...

M. Jean-Michel Arnaud.  - Quels moyens au quotidien pour accompagner les projets et les faire sortir ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nous proposons aussi, de plus en plus, un accompagnement sans passer par les appels à projets, comme le fonds vert, qui malheureusement n'est pas pleinement mobilisé par les collectivités.

M. Mathieu Darnaud.  - Sauf erreur de ma part, le fonds vert est complémentaire de la DSIL et de la DETR. C'est une « greenisation » des critères d'éligibilité. De plus, ils sont à la main des préfectures de région : en matière de proximité, ce n'est pas idéal. Je note néanmoins votre engagement à assurer un accompagnement régulier, plutôt que par des appels à projets.

Mme Guylène Pantel .  - Loin de moi l'idée d'opposer villes et campagnes. Cependant, sur la base du calcul de la DGF instauré en 2005, qui pondère en fonction de la population, il semblerait qu'en matière budgétaire, un habitant d'une commune de 200 000 habitants pèse deux fois plus qu'un habitant d'une commune de 500 habitants.

Le Gouvernement compense en effet les charges de centralité des communes les plus peuplées ; mais la sous-densité aussi a un coût très important, en matière d'entretien de la voirie, de maintenance des équipements communaux. Les communes doivent mobiliser des moyens pour les services publics de proximité, préserver les petits commerces et, de plus en plus, se protéger des risques naturels.

Quelles sont vos intentions pour réduire l'écart de pondération entre communes les plus peuplées et les moins peuplées ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nous travaillons à rendre la DGF plus lisible, ce qui prendra du temps.

En revanche, il n'y a pas de déséquilibre entre territoires ruraux et urbains dans le calcul de la DGF par habitant. La différence se situe au niveau des intercommunalités : les rurales reçoivent en effet un montant plus faible que les intercommunalités plus denses. Nous essaierons de corriger cela en 2024.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans la France communale que nous défendons, la relation maire-préfet est souvent mise en avant ; mais il faut aussi valoriser la relation entre le maire et son secrétariat de mairie. Or ce métier est en tension : 2 000 postes sont à pourvoir, un quart des agents ont plus de 58 ans. Les causes de cette crise de vocation sont multiples : charge de travail, isolement, dématérialisation, faible rémunération, absence de reconnaissance par un statut particulier...

Afin de renforcer nos communes, il faut rendre à ce métier sa pleine attractivité. C'est le sens de la proposition de loi que le Sénat examinera ce mercredi.

Quelles dispositions complémentaires le Gouvernement entend-il prendre en la matière ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nous devons rendre au métier de secrétaire de mairie sa pleine attractivité. Mon collègue Stanislas Guerini sera mercredi devant vous pour débattre de votre texte, qui est de grande qualité.

Nous faisons déjà en sorte que le niveau d'emploi corresponde aux responsabilités : ce métier sera exercé par des personnels de catégorie B. La revalorisation du métier figure parmi les mesures de France Ruralités qui seront présentées dans quelques jours.

Mme Frédérique Espagnac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce débat nous passionne, car nous sommes témoins de l'engagement des femmes et des hommes dans ces communes - 546, pour ce qui concerne les Pyrénées-Atlantiques. Les communes ont été créées le 14 décembre 1789. Des générations d'élus se sont succédé avec la volonté de bien faire ; mais il y a aujourd'hui tant de défis... Complexification de la mission, sentiment croissant d'impuissance avec l'augmentation de la taille des intercommunalités, crise civique... Tout cela pourrait entraîner une crise des vocations aux prochaines élections municipales, chez les élus comme chez les employés communaux. Or sans eux, pas de proximité ni d'efficacité.

Il faut en finir avec la technocratie et faire simple : privilégier l'aller-vers, améliorer le statut de l'élu, revaloriser les petites mains de la République que sont les secrétaires de mairie, mettre en oeuvre une réelle subsidiarité. Quelles mesures comptez-vous prendre ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nous n'avons jamais autant apporté aux communes en investissement : 4 milliards d'euros. La DGF a augmenté pour la première fois depuis treize ans.

Il faut en effet faire plus simple, c'est une évidence, et nous allons y travailler avec l'AMF. Mon collègue Christophe Béchu et Gérard Larcher ont récemment signé une charte sur le sujet.

Enfin, nous devons travailler sur la reconnaissance du métier de secrétaire de mairie, pour que la confiance dont ont besoin les maires devienne une évidence.

Moyens de fonctionnement, moyens pour investir, ingénierie, simplification et reconnaissance, voilà nos axes de travail.

M. Jean-François Longeot .  - Les communes sont le socle de notre organisation territoriale ; elles sont entrées dans l'imaginaire des Français, avec l'église au milieu du village... Mais depuis les années 2000, on tente de les ringardiser au profit de leur version contemporaine, l'intercommunalité. La commune reste pourtant un repère essentiel pour nos compatriotes, le point d'entrée de toutes les doléances.

La commune est cependant confrontée à des défis majeurs, à commencer par la répartition des compétences avec l'État. Comment peut-on prétendre renforcer la décentralisation tout en supprimant les leviers de souveraineté fiscale des collectivités ?

La réforme des intercommunalités a donné lieu à 1 254 regroupements. Si la vérité de l'État est de substituer l'intercommunalité aux communes, n'est-on pas allé trop loin ? L'objectif de rationalisation est-il clair ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - L'émiettement communal reste important : plus de 18 000 communes ont encore moins de 500 habitants, près de 9 000 moins de 200 habitants.

Le Gouvernement mise sur la stabilité : il n'y aura pas de transfert de compétences massif. La commune nouvelle et la communauté de communes sont de bons outils pour lutter contre l'émiettement communal, quand cela part des maires et des communes.

Nous ne ferons rien pour accélérer le mouvement de regroupement des communes. Certaines intercommunalités fonctionnent bien, d'autres moins. Nous allons faire en sorte d'embarquer tous les maires, en les accompagnant dans la durée.

Mme Elsa Schalck .  - Notre pays est riche de ses 35 000 communes et les Français y sont attachés. La seule source d'efficacité des politiques publiques se trouve précisément dans cette proximité si précieuse. Mais, avec la complexification des procédures, la multiplication des interlocuteurs, les lenteurs administratives, la remise en cause du principe de libre administration, la recentralisation asphyxie l'exercice du mandat local ; pis, elle démotive.

Pourquoi la volonté de simplification finit-elle en complexification ? La multiplicité des agences de l'État a créé un patchwork administratif, la dématérialisation, au lieu de faire gagner du temps, s'est traduite par un éloignement humain. Les exemples sont nombreux : réorganisation des finances publiques, foisonnement des appels à projets, complexité du fonds vert.

Quand allez-vous entendre la voix des maires et regrouper les dotations, plutôt que de mener des politiques en silo qui suscitent l'incompréhension ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Comme je l'ai souligné, le Gouvernement est à l'écoute des besoins, avec la DGF en augmentation, les deux milliards d'euros supplémentaires pour l'investissement. Pour le fonds vert, la page d'accueil sur le site est simple, même s'il est vrai que les documents à fournir peuvent être complexes...

M. Mathieu Darnaud.  - Quatorze pages !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nous devons être aux côtés de nos maires et leur donner espoir. (M. Mathieu Darnaud s'exclame.) Nos préfets et sous-préfets sont en soutien total. J'invite les maires en difficulté de votre région à se rapprocher des services de l'État ou de mon ministère.

M. Éric Kerrouche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Répondre à la crise démocratique, c'est aussi répondre à la crise de la représentation. Tout citoyen doit pouvoir être candidat à une élection politique, ce qui impose de corriger les déséquilibres les plus flagrants. La démocratie a peu à gagner en rémunérant peu ou mal les fonctions électives, comme le montrait dès 1976 un rapport d'Olivier Guichard. Pierre Mauroy prônait ensuite dans un autre rapport la mise en place d'un véritable statut de l'élu.

La multiplication des revalorisations depuis 40 ans a pu laisser penser que les élus étaient plus favorisés que la majorité des citoyens, d'où des incompréhensions. Il faut empêcher que les titulaires de mandats restent indéfiniment en place et créer un véritable statut de l'élu local. Le Gouvernement y est-il disposé ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Oui ! Nous avons commencé à travailler sur le sujet. Je sais, pour avoir lu certains de vos écrits, combien vos compétences sont grandes en la matière. Nous vous contacterons début juillet pour vous informer de l'état d'avancement des travaux.

M. Éric Kerrouche.  - Vous avez de saines lectures ! Il conviendrait déjà de rassembler les textes qui touchent au statut de l'élu, dispersés dans le code des collectivités territoriales. C'est une condition de la démocratie locale.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Le rapport public annuel de la Cour des comptes est sans appel : les dépenses des communes ne cessent de croître. Le bloc communal assume à lui seul 61 % des dépenses d'investissement.

Parallèlement, la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE a distendu le lien entre les collectivités et les entreprises.

L'autonomie des communes est insuffisante. Notre collègue Mathieu Darnaud mène un combat sans relâche pour le maintien de la compétence eau dans les communes. L'objectif du ZAN aura un effet sur la fiscalité foncière. Il faut un changement de paradigme, or deux ans après la loi Climat et résilience, le Gouvernement n'a toujours pas proposé de modèle de financement pour faire face à ces contraintes. Allez-vous refondre la fiscalité locale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - J'ai souscrit à la suppression de la taxe d'habitation, qui a certes eu pour effet de distendre le lien entre le maire et ses habitants, mais aussi d'améliorer le pouvoir d'achat et de réduire les inégalités.

Sur la mutualisation de l'eau et de l'assainissement à l'échelon intercommunal, récemment débattue à l'Assemblée, je vous invite à travailler avec les députés pour trouver un compromis. Sans toucher au principe du transfert, on doit pouvoir trouver un chemin commun.

Sur la fiscalité foncière, je vous invite à attendre les discussions à l'Assemblée nationale sur le ZAN, le 21 juin. Le Gouvernement est prêt à faire de gros efforts. Je reste à votre disposition.

M. Jean-Baptiste Blanc.  - Nous attendons un atterrissage sur le ZAN, mais aussi sur la fiscalité, dès le prochain projet de loi de finances.

M. Olivier Paccaud .  - La moitié de nos 35 000 communes abritent moins de 500 âmes. Ces poussières de France recèlent une partie de notre essence nationale - mais d'aucuns y voient un legs archaïque et coûteux, un excès de crème dans notre millefeuille territorial. Pourtant, en 2021, huit petites communes sur dix avaient une situation budgétaire saine. Pour élaguer le vieux chêne, le Gouvernement les incite à fusionner - mais elles y sont rétives - ou à renforcer l'intercommunalité - mais un pays ne s'administre bien que de près. La commune demeure le chemin le plus court vers la démocratie, l'alvéole où la République prend son souffle.

Entre normes touffues et chronophages, moyens réduits et exigence de proximité, le sacerdoce municipal est bien ingrat.

Que veut le Gouvernement ? Laisser dépérir les petits villages pour qu'ils fusionnent de guerre lasse, ou les aider pour que la démocratie et le service public infusent jusqu'au dernier hameau ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - Excellent !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Les communes de moins de 500 habitants sont des lieux de vie, de lien social, de solidarité, de don de soi. Le Gouvernement veut les aider.

M. François Bonhomme.  - Nous voilà rassurés !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Nous avons ainsi revalorisé les indemnités de leurs élus et prévu un accompagnement en matière d'ingénierie. La Première ministre fera des annonces jeudi.

Face à l'émiettement communal, le Gouvernement souhaite relancer, sur la base du volontariat, la constitution de communes nouvelles. Je n'ai reçu aucune consigne. J'ai rencontré la présidente Gatel (« Ah ! » sur les travées du groupe Les Républicains), avec qui nous travaillons. Il n'y a aucune volonté de réduire le nombre de communes, seulement d'accompagner les communes volontaires.

M. Bruno Rojouan .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous observons un regain d'intérêt de nos concitoyens pour la ruralité. La petite commune a un avenir au sein de la République. Il faut permettre son développement en facilitant l'aménagement local et en simplifiant les différents schémas qui brident la conduite des projets. Le ZAN est une inquiétude supplémentaire. Bureaux de poste, écoles et guichets continuent de fermer. Les maisons France Services ne règlent pas tout, et représentent un reste à charge.

Enfin il faut redonner de l'autonomie financière aux communes. En supprimant le levier fiscal, vous imposez une tutelle déguisée. Les élus locaux perdent leur pouvoir dans ce grand mouvement de recentralisation. Où en sont vos réflexions sur ce sujet primordial ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Non, la petite commune n'est pas un modèle dépassé. France Ruralité est là pour apporter un accompagnement en ingénierie et sur des politiques publiques comme le logement ou les mobilités. Nous vous présenterons en octobre un projet de loi sur les ZRR pour renforcer leur attractivité.

Le ZAN est une source de complexité ; nous y répondons avec France Ruralité, qui accompagnera les projets de territoire, en ingénierie et en financement, à la maille de la commune ou du bassin de vie.

M. Bruno Rojouan.  - La République, avec ses valeurs, est représentée par les maires : ce sont eux qui tiennent la République française. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Ce débat aurait pu s'intituler : l'avenir de la démocratie locale. Chaque jour, des maires démissionnent, des élus alertent sur la complexification des projets et annoncent qu'ils ne se représenteront pas.

Au Sénat, nous oeuvrons, notamment avec la mission sur l'avenir de la commune. Pourquoi l'État ne se saisit-il pas de nos propositions ? Pourquoi n'arrivons-nous pas à simplifier ? (Mme Françoise Gatel le confirme.) À mettre fin aux politiques en silo, aux appels à projets qui perdent les élus ? Pourquoi ce que nous votons ici n'est-il jamais mis en application ? (M. Laurent Burgoa renchérit.)

Combien de propositions avons-nous faites dans la loi 3DS en matière d'urbanisme, pour donner plus de liberté et d'agilité aux maires ? Jamais le Gouvernement n'a donné suite. (Mme la ministre le conteste ; applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Nous voulons avancer sur des bases réelles, pas sur de vagues promesses. Sur le statut de l'élu, le Sénat fait des propositions depuis 2018. Les maires attendent de la simplicité. Comment expliquer que l'instruction d'un dossier DETR ou DSIL par les préfets soit si complexe ? Simplifiez donc la tâche ! L'État refuse de voir l'évidence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Madame la ministre, nous serons à vos côtés pour avancer avec pragmatisme, y compris sur les communes nouvelles. Il faut aussi savoir redonner de la confiance et de la liberté. Sur l'eau et l'assainissement, vous dites vouloir trouver des solutions, mais refusez de revenir sur le transfert de compétences ! Avançons collectivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Le temps est venu de se pencher sur les propositions du Sénat, qui a travaillé sur les irritants de la loi NOTRe avec la volonté d'aider les maires à faire vivre la démocratie locale. Assez de paroles, place aux actes ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Françoise Gatel.  - Tout est dit !

La séance est suspendue quelques instants.