Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027- Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire (Conclusions des CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du projet de loi organique, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.

La Conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l'objet d'explications de vote communes.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Nous voilà au terme de la navette pour ces deux textes qui tendent à donner un nouveau souffle à l'institution judiciaire.

Les six réformes législatives de ces dernières années n'ont su endiguer le malaise mis en exergue par la « tribune des 3 000 ».

Le Sénat a mêlé exigence, réalisme et pragmatisme pour donner à la justice les moyens d'être la plus efficace possible. Ce texte de compromis reprend les avancées du Sénat.

Nous nous réjouissons que nos collègues députés nous aient rejoints sur le recrutement de 1 800 greffiers, chevilles ouvrières de la justice. Le ratio de 1,2 greffier pour un magistrat nous semblait devoir être maintenu. Nous espérons que les revalorisations salariales aboutiront rapidement.

Nous avons aussi été entendus sur la nécessité d'un danger imminent pour les perquisitions de nuit, à l'initiative de Guy Benarroche, le privilège légal pour les juristes d'entreprise, la participation des agriculteurs comme assesseurs aux tribunaux des activités économiques (TAE) et le maintien du rôle de conciliation des commissaires de justice dans les saisies sur rémunération.

Le projet de loi organique ouvre le recrutement des magistrats. Nous avons veillé à mieux définir leurs responsabilités et à la parité.

La ligne rouge de l'impartialité des magistrats ayant été franchie, le Sénat a modifié l'article 10 de l'ordonnance statutaire, dans le respect de la liberté syndicale.

Ce n'est pas un blanc-seing au Gouvernement. Monsieur le garde des sceaux, nous nous assurerons que les engagements programmatiques seront tenus, notamment les recrutements. En outre, la réforme du code de procédure pénale doit dépasser la simplification.

Soyez assuré, Monsieur le garde des sceaux, que le Sénat exercera un contrôle vigilant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Dominique Vérien et Patricia Schillinger applaudissent également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je félicite les sénateurs élus ou réélus. Attaché au bicamérisme (sourires à droite), je me réjouis de poursuivre nos travaux.

Nous voilà presque au bout du chemin. Les historiens se demanderont un jour les raisons de l'abandon, durant tant d'années, de notre institution judiciaire, me disait dernièrement un magistrat. Il a raison. Alors que nous débattons d'une programmation à 11 milliards d'euros, comment avons-nous pu donner si peu en demandant toujours plus à une justice réceptacle de toutes les colères ?

Cette loi de programmation ne sort pas de nulle part. Le Président de la République et la Première ministre nous ont fixé un cap et donné les moyens de la mettre en oeuvre. Elle suit les États généraux de la justice, où tout le monde a eu voix au chapitre, notamment le président Buffet. Le président Larcher a également organisé les agoras de la justice ; nous avons examiné leurs conclusions avec attention.

Ces lois arrivent après des hausses massives décidées depuis 2017 et votées par le Sénat : 700 magistrats recrutés, 850 greffiers, 2 000 contractuels et une hausse du budget de 40 %. Le déstockage, historique, atteint 30 % en matière civile.

Bien évidemment, il fallait aller plus loin. C'est le constat des États généraux, et le mien après avoir sillonné les juridictions pendant 35 ans.

L'accord en CMP est décisif. Je salue en tout point le travail des deux rapporteures, Dominique Vérien et Agnès Canayer, qui a enrichi significativement ces textes. Ne sous-estimons pas le rôle du Parlement, c'est dangereux ! (Mme Catherine Di Folco renchérit en souriant.)

Je remercie aussi le président Buffet pour son attention particulière aux questions de justice. Je vous félicite de manière républicaine et sincère pour votre réélection, gage de réformes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - N'en faites pas trop ! (Sourires)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Certains n'en font pas assez, madame la sénatrice !

Le nombre de greffiers à recruter est un point important. J'étais d'abord prudent, de peur de formuler un voeu pieux. Ces recrutements sont la preuve de l'attachement que nous portons à cette profession. Le dialogue social se poursuit avec la création d'une catégorie A pour 25 % du corps et des revalorisations.

Le budget 2024 respecte à la lettre cette loi de programmation. J'en ferai un combat de tous les instants.

Nous nous engageons sur le plan d'embauche : en 2024, 327 magistrats, 340 greffiers et 400 attachés de justice seront recrutés, en sus des départs à la retraite.

Ainsi, pour créer 1 500 postes de magistrats, il faut en fait 2 800 recrutements. La revalorisation de 1 000 euros de leur rémunération sera par ailleurs effective dès la fin du mois.

Je vous confirme également la revalorisation inédite des métiers pénitentiaires, qui passeront dès janvier en catégorie B, A pour les officiers. Il y va de l'attractivité des métiers de la justice.

Nous devons par ailleurs accélérer la transition numérique du ministère - je pense à la procédure pénale numérique, qui facilite grandement la vie des magistrats et des policiers. Chaque mois, 150 000 procédures pénales sont transmises de manière dématérialisée, 300 fois plus qu'en 2020.

Ensuite, il faut accroître le parc immobilier du ministère et le renouveler. J'ai annoncé dernièrement à Brest l'extension de la cité judiciaire. Quant à la création de 15 000 places de prison, j'étais, vendredi, à Ifs avec la Première ministre pour inaugurer les 550 places de la nouvelle prison. Plus de 1 000  places seront ouvertes sur le seul mois d'octobre.

Ces hausses doivent servir une réponse pénale ferme, sans démagogie, et améliorer tant les conditions de travail des agents que les conditions de détention, qui sont parfois indignes.

Je veux diviser par deux les délais de justice d'ici à 2027. Chacun doit prendre sa part à cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que tant de moyens n'améliorent pas le service rendu. De tels moyens exigent des résultats !

Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour prendre ces mesures et sur le Parlement pour les adopter. Je sais pouvoir compter sur eux.

Je rappelle les mots du président Sauvé : tout ne se résume pas à la question des moyens. D'où des mesures concrètes.

Je salue le chantier inédit de la refonte complète du code de procédure pénale. Si le Sénat confirme son vote, dès la promulgation de la loi de programmation, j'écrirai aux présidents des deux assemblées pour que chaque groupe désigne son représentant au comité de suivi parlementaire -  dont sont membres de droit les présidents des commissions des lois.

Par ailleurs, le décret portant réforme de l'amiable entrera en vigueur le 1er novembre. De même, la refonte de la procédure d'appel sera prochainement mise en oeuvre.

Je pense également aux enjeux de déconcentration, madame Canayer, afin de donner plus d'autonomie aux chefs de cour, qui ont reçu mandat pour répartir les moyens alloués, notamment les 1 500 nouveaux postes de magistrats.

Madame Vérien, le décret créant les pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales est devant le Conseil d'État.

Je conclus sur le défi majeur de la justice : la gestion des ressources humaines. Outre le recrutement massif, nous pérenniserons ces emplois en les CDIsant et en créant la fonction d'attaché de justice.

La réforme du statut de la magistrature est particulièrement ambitieuse. Nous comptons en ouvrir l'accès et réformer la réception des plaintes des justiciables contre les magistrats devant le CSM, qui aujourd'hui n'aboutissent jamais à des sanctions.

Toutes ces améliorations rendent votre vote décisif. Tous les acteurs de la justice vous regardent. Ils ont besoin d'un message de reconnaissance et d'espérance. L'heure est à l'action, j'y mettrai toute mon énergie. Le meilleur est à venir ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes INDEP et UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Discussion du texte du projet de loi élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - En application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

ARTICLE 3

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 102 à 104

Supprimer ces alinéas.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ces amendements, rédactionnels et de coordination, ont été élaborés avec les rapporteurs.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis favorable à tous ces amendements.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Je demande la parole pour explication de vote.

Mme la présidente.  - Ce n'est pas prévu par le Règlement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est surréaliste ! La commission n'a pas statué sur ces amendements, il s'agit d'un avis personnel de la rapporteure.

Mme la présidente.  - Nous en prenons acte.

ARTICLE 3 BIS AAE

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

II.  -  Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l'article 137-1-1 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, les mots : « premier grade ou hors hiérarchie » sont remplacés par les mots : « deuxième ou du troisième grade » ;

b) À la seconde phrase, le mot : « second » est remplacé par le mot : « premier » ;

2° Au premier alinéa de l'article 695-8, les mots : « hors hiérarchie » sont remplacés par les mots : « du troisième grade ».

ARTICLE 5

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 25

Supprimer cet alinéa.

ARTICLE 6

Mme la présidente.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 21

remplacer les mots :

portant sur les

par les mots :

ouvertes à l'égard des personnes exerçant l'une des

II.  -  Alinéa 23

Remplacer les mots :

présent titre

par les mots :

titre IV du livre VI du code de commerce

III.  -  Alinéa 25

Remplacer les mots :

des procédures portant sur les professions mentionnées au second alinéa de l'article L. 722-6-1 du même code

par les mots :

de celles ouvertes à l'égard des personnes exerçant l'une des professions mentionnées au second alinéa de l'article L. 722-6-1 du code de commerce

IV.  -  Alinéa 26

Remplacer le mot :

affaires

par le mot :

activités

ARTICLE 13

Mme la présidente.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 8

Remplacer les mots :

Après la première phrase de l'avant-dernier alinéa du III de l'article 16, est insérée

par les mots :

L'avant-dernier alinéa du III de l'article 16 est complété par

ARTICLE 26 BIS

Mme la présidente.  - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par dix alinéas ainsi rédigés :

V. - À la fin de l'article L. 112-7 du code de justice militaire, les mots : « hors hiérarchie » sont remplacés par les mots : « du troisième grade » ;

VI. - Au 3° de l'article L. 831-1 du code de la sécurité intérieure, les mots : « hors hiérarchie de la Cour de cassation » sont remplacés par les mots : « du troisième grade de la Cour de cassation, à l'exclusion des auditeurs, conseillers référendaires et avocats généraux référendaires, »

VII. - La loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits est ainsi modifiée :

1° L'article 2 est ainsi modifié :

a) À la fin du 2° , les mots : « magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élus par les magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation » sont remplacés par les mots : « conseillers ou présidents de chambre de la Cour de cassation élus par l'ensemble des magistrats du siège du troisième grade de la Cour à l'exclusion des auditeurs et conseillers référendaires » ;

b) À la fin du 3° , les mots : « de la Cour de cassation parmi les conseillers hors hiérarchie et référendaires » sont remplacés par les mots : « du troisième grade de la Cour de cassation, à l'exclusion des auditeurs, parmi l'ensemble des magistrats du siège du troisième grade de la Cour, à l'exclusion des auditeurs » ;

2° Au premier alinéa de l'article 4, les mots : « hors hiérarchie du parquet général » sont remplacés par les mots : « du parquet du troisième grade, à l'exclusion des avocats généraux référendaires, » ;

3° À la seconde phrase du premier alinéa de l'article 6, les mots : « magistrats du siège hors hiérarchie » sont remplacés par les mots : « conseillers ou présidents de chambre ».

VIII - À la fin du 2° du II de l'article 19 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les mots : « hors hiérarchie de la cour » sont remplacés par les mots : « du troisième grade de la Cour, à l'exclusion des auditeurs et conseillers référendaires » ;

IX. - À la première phrase du premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, les mots : « hors hiérarchie » sont remplacés par les mots : « du troisième grade ».

ARTICLE 27

Mme la présidente.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 3

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

1° bis L'article L. 532-2 est ainsi modifié :

a) Les mots : « , L. 211-12 et L. 217-6 » sont remplacés par les mots : « et L. 211-12 » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

L'article L. 217-6 est applicable à Wallis-et-Futuna dans sa rédaction résultant de la loi n° du d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

ARTICLE 29

Mme la présidente.  - Amendement n°8, présenté par le Gouvernement.

I. - Alinéa 18

1° Après la première occurrence de la référence :

I

insérer les mots :

, le 2° du I bis

2° Après la référence :

article 22

insérer les mots :

ainsi que le 1° du V de l'article 27

II.  -  Après l'alinéa 18

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Le II de l'article 19 entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État, et au plus tard le 1er janvier 2025.

Mme la présidente.  - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

VIII.  -  Les V à IX de l'article 26 bis entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État, et au plus tard le 31 décembre 2025.

Discussion du texte du projet de loi organique élaboré par la CMP

ARTICLE 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 58

Supprimer les mots :

, dont la durée ne peut être inférieure à douze mois

II.  -  Alinéa 68

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

17° L'article 25-3 est ainsi rédigé :

« Art. 25-3.  -  La durée cumulée des formations probatoire et complémentaire dispensées aux stagiaires ne peut être inférieure à 12 mois. » ;

17° bis L'article 25-4 est abrogé ;

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Là aussi, ce sont des amendements de précision et de coordination.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - ... de la rapporteure, et non de la commission !

Mme la présidente.  - Madame de La Gontrie, vous pourrez vous exprimer lors des explications de vote.

ARTICLE 5

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Après l'alinéa 19

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article est applicable selon les cas au parquet financier, au parquet antiterroriste ou aux membres intéressés de ces parquets, dans la limite de leurs attributions.

II.  -  Après l'alinéa 21

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article est applicable selon les cas au parquet financier, au parquet antiterroriste ou aux membres intéressés de ces parquets, dans la limite de leurs attributions.

III.  -  Après l'alinéa 23

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article est applicable selon les cas au parquet financier, au parquet antiterroriste ou aux membres intéressés de ces parquets, dans la limite de leurs attributions. » ;

ARTICLE 7

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 37

Remplacer cet alinéa par quatre alinéas ainsi rédigés :

7° L'article 41-27 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « non renouvelables » sont supprimés ;

b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ils peuvent être nommés pour un second mandat pour la même durée et dans les mêmes formes. »

Vote sur l'ensemble

M. Guy Benarroche .  - La CMP sur ce texte relève à la fois de la boîte noire et de la chambre d'enregistrement.

La vision qu'a le Gouvernement pour l'avenir de la justice ne nous satisfait pas pleinement et l'urgence à agir ne saurait nous contraindre à nous aligner sur l'ensemble du texte. Il fait l'impasse sur la régulation carcérale, alors que les états généraux de la justice plaidaient pour un seuil de suroccupation. Le ministre a affirmé que cette question était abordée au cas par cas, sans expérimentation. Construire de nouveaux établissements pénitentiaires ne peut être la seule réponse à la surpopulation carcérale !

La France est parmi les pays européens où la population carcérale progresse le plus, selon la Cour des comptes, selon laquelle un dispositif national de régulation carcérale « relève du débat démocratique et d'une orientation forte de la politique pénale ». Nous y avons appelé ; c'est un rendez-vous manqué.

Moins de personnes en prison, ce n'est pas le moins-disant. Le coût et l'efficacité des peines alternatives plaident en leur faveur. À l'inverse, remplir les prisons ne rend pas la société plus sûre.

Nous saluons la sortie de la précarité des assistants de justice et l'ouverture de l'accès à la magistrature.

Toutefois, nous regrettons la mise en cause de la liberté syndicale des magistrats ou les mesures qui éloignent les citoyens des lieux de justice. La géolocalisation des téléphones à distance ou l'extension des horaires de perquisition, entre autres, nous inquiètent.

L'effort budgétaire est certes à saluer mais ne saurait suffire. Il aurait fallu développer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), mais ce n'est hélas pas le cas : dans ces conditions nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Cécile Cukierman .  - Sans revenir sur nos débats passés, nos désaccords démontrent le caractère démocratique de notre institution et notre exigence d'une justice efficace.

Je salue l'effort consenti en matière de recrutement de magistrats et de greffiers. Toutefois, monsieur le minsitre, en bas de votre bulletin scolaire - c'est l'ancienne enseignante qui parle -, je vous inviterai à ne pas relâcher vos efforts. (Sourires)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - « Peut mieux faire » !

Mme Cécile Cukierman.  - Nous serons vigilants, lors du projet de loi de finances à ce que les moyens suivent, dans toutes les juridictions.

Le développement à outrance de la solution technologique, certes facilitatrice, nous inquiète. Gare à ne pas menacer le droit à la présomption d'innocence et le droit à participer au débat politique, où l'on peut être minoritaire sans être antirépublicain.

Je rends hommage à Eliane Assassi, auteure d'une proposition de loi contre la surpopulation carcérale. S'il n'existe pas de formule magique, s'interroger sur les conditions de vie en prison revient à s'interroger sur l'humanité de notre République.

Enfin, je conclurai sur un sujet qui parfois nous oppose : la liberté syndicale, qui doit être garantie. Il ne s'agit pas du pouvoir de dire n'importe quoi (M. le garde des sceaux ironise), mais de la capacité à s'opposer, dans le respect.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Dans le respect, oui !

Mme Cécile Cukierman.  - Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-Kanaky)

Mme Nathalie Delattre .  - Nous nous réjouissons de l'accord en CMP sur un texte aussi essentiel. Comme le disaient Jean-Yves Roux et Maryse Carrère, nos juridictions survivent grâce au dévouement et à l'abnégation de nos magistrats et des agents qui les accompagnent, derniers maillons de notre État de droit.

Face au constat partagé du délabrement de la justice, nous saluons les efforts consentis depuis plusieurs années, et espérons rattraper nos voisins européens.

Saluons également la mise en avant de la peine de travail d'intérêt général (TIG), l'élargissement du champ des infractions recevables par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ou encore la réécriture du code de procédure pénale. Certes, le RDSE défend le débat législatif, mais en l'espèce, reconnaissons que le recours à l'ordonnance est plus efficace.

La médiation en matière civile est intéressante. J'avais déposé une proposition de loi en septembre 2021 dans ce sens : je me réjouis que ce texte y donne suite dans le rapport annexé.

L'article 2 bis reprend le texte de la proposition de loi de Jean-Claude Requier adoptée par le Sénat en novembre dernier, qui corrigeait un oubli de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Création du métier d'attaché de justice et maintien de la déjudiciarisation de la procédure de saisie de rémunérations sont d'autres progrès.

Cela dit, mon groupe, attaché à la liberté, a des réserves, notamment sur la télécommunication pour les interprètes et la téléconsultation médicale en garde à vue. En outre, nous sommes circonspects sur l'activation à distance des appareils des suspects. La position du Sénat nous semblait plus raisonnable.

Une partie du RDSE s'abstiendra, tandis qu'une autre votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. François Patriat et Dany Wattebled applaudissent également.)

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous achevons un long processus entamé lors des états généraux de la justice. Ces deux textes sont historiques : 11 milliards d'euros d'ici à 2027, 10 000 emplois supplémentaires, revalorisations, équipe autour du magistrat, simplification de la procédure, renforcement de l'administration pénitentiaire. L'ampleur des mesures impressionne.

Je salue l'esprit constructif ayant présidé à l'élaboration de ces textes ainsi que votre travail, monsieur le garde des sceaux.

Je me réjouis du relèvement à 1 800 du nombre de greffiers supplémentaires. Les magistrats en seront mieux épaulés et la justice plus efficace.

Nous sommes heureux que la position de l'Assemblée nationale sur l'activation à distance des appareils connectés ait été retenue. Elle pourra être utilisée par exemple contre le trafic de stupéfiants.

Nous sommes en outre attachés à la compétence universelle et nous réjouissons de l'expérimentation des TAE, qui reprend une proposition de loi de Thani Mohamed Soilihi. L'amendement du RDPI prévoyant une participation des parlementaires à l'évaluation a été retenu.

Nous prenons acte de la construction de 3 000 places de prison sous condition d'autorisations d'urbanisme et saluons le compromis autour de la confidentialité des avis des juristes d'entreprise.

Le texte de la CMP du projet de loi organique est un excellent compromis. Nous nous réjouissons de la suppression de la limitation du droit syndical des magistrats, qui aurait été inconstitutionnelle.

Je forme le voeu que les mesures adoptées réduisent la défiance de nos concitoyens à l'égard de la justice. C'est avec ferveur et enthousiasme que les sénateurs RDPI voteront ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ces deux textes sont très importants, en effet, monsieur le garde des sceaux.

Les augmentations budgétaires sont considérables. Mais l'argent achète-t-il tout ? Ma réponse sera non pas négative, mais nuancée.

Vous avez pris le soin de revaloriser les métiers et d'augmenter les effectifs, notamment des greffiers : c'est très important. Nous saluons la pérennisation des attachés de justice, tout comme l'équipe autour du magistrat. Nous avons accepté le principe de la réécriture du code de procédure pénale, par pragmatisme : elle sera encadrée.

Nous avons supprimé la double incrimination. Je rends hommage à l'obstination convaincue et convaincante de Jean-Pierre Sueur.

Cela dit, ces textes sont lacunaires : rien sur la régulation carcérale, un éléphant au milieu de la pièce.

La CMP a conservé la saisie-rémunération, à laquelle nous sommes hostiles, car un juge protège davantage qu'un commis de justice - les personnes à faible revenu seront les premières victimes.

Nous ne sommes pas non plus favorables à l'activation à distance des appareils connectés. La limitation aux infractions punies de cinq ans de prison nous avait surpris - dans le bon sens, nous étions presque à front renversé - mais elle n'a pas perduré.

Monsieur le ministre, vous êtes obstiné : vous n'avez pas voulu créer de juridictions spécialisées dans les violences intrafamiliales. Espérons que le pôle spécialisé suffira.

Je n'ai pas compris pourquoi vous refusiez la catégorie A aux greffiers, dont le rôle est pourtant essentiel.

Dans le projet de loi organique, je salue la diversité des métiers et l'inscription de la parité - mais vous n'avez pu vous empêcher de limiter la liberté d'expression des magistrats. La CMP a renoncé à limiter le droit syndical - heureusement -, mais vous avez trouvé d'autres moyens, c'est assez grave.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, nous nous abstiendrons sur ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Catherine Di Folco .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre groupe se réjouit de l'accord trouvé en CMP. Le Sénat appelait de ses voeux une loi de programmation en faveur de la justice - je rappelle le rapport de Philippe Bas de 2017. Nous nous réjouissons de la remise à niveau des moyens humains et matériels.

Le Sénat a bataillé pour les 1 800 greffiers supplémentaires. Lors de l'Agora de la justice, organisée au Sénat en septembre 2021, tous avaient pointé la nécessité de ces recrutements. Nous regrettons que le recrutement de 600 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation n'ait pas été retenu en CMP.

Monsieur le garde des sceaux, vous nous assurez qu'aucune modification de fond code de procédure pénale ne sera entérinée sans l'aval du Parlement : nous y veillerons. (M. le garde des sceaux le confirme.)

Nous nous réjouissons de la création des TAE.

L'accord trouvé en CMP conforte les apports du Sénat pour renforcer l'impartialité des magistrats, sans limiter leur liberté d'expression. Celle-ci ne justifie ni la suspension de l'évacuation du bidonville de Mamoudzou ni l'animation d'une table ronde à la Fête de l'Humanité !

Nous notons d'autres apports comme l'ouverture du recrutement dans le corps de la magistrature et la création de la charte de déontologie des magistrats, à l'initiative de Bruno Retailleau.

Le renforcement des exigences en matière de responsabilité renforcera la confiance envers la justice, particulièrement abîmée.

Nous serons très vigilants quant au déploiement effectif des crédits dans les années à venir, et voterons ces deux textes dans notre grande majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christopher Szczurek .  - Après les émeutes de juin dernier, cette loi, sous-dimensionnée face à l'insécurité, contient toutefois des progrès. Les 1 800 greffiers supplémentaires sont bienvenus, malgré l'absence de revalorisation.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'était dans la discussion !

M. Christopher Szczurek.  - Les 18 000 places de prison, loin des 85 000 que nous préconisons, sont un premier pas.

Les TIG, insuffisamment dissuasifs, sont pourtant le troisième type de peine prononcée.

Le sentiment d'insécurité n'est pas qu'un sentiment, mais une légitime appréhension. Les émeutes rappellent que des territoires entiers sont soustraits au droit commun et régis par la brutalité.

Les nouvelles techniques d'enquête rendront la lutte contre les trafics plus efficaces.

Enfin, il faut sortir de la politique du cataplasme et s'attaquer aux causes de la délinquance. Pour paraphraser Blaise Pascal, la force doit être juste, la justice doit être forte. Le système judiciaire doit punir, mais les peines doivent être suffisamment fortes pour être dissuasives. (M. Joshua Hochart applaudit.)

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La justice, qui assure pourtant une mission essentielle à notre démocratie, n'était pas suffisamment financée. L'augmentation du budget de la justice est donc une excellente nouvelle, pour les professionnels comme pour nos concitoyens. Le manque de moyens, notamment humains, a embolisé nos juridictions et dégradé les délais de jugement.

Le projet de loi ordinaire y remédiera, avec la création de postes de magistrats, de greffiers et d'attachés de justice. De nouvelles places de prison seront construites, besoin urgent. (M. le garde des sceaux opine.) Enfin, de nouvelles techniques, suffisamment encadrées au regard des libertés individuelles, rendront la justice plus efficace.

La justice pénale n'est pas la seule en souffrance. L'expérimentation des TAE est une bonne nouvelle. Nous soutenons le transfert aux commissaires de justice des procédures de saisie sur rémunération sous le contrôle du juge de l'exécution.

Le projet de loi organique ouvre le corps judiciaire et en simplifie le fonctionnement. Il renforce également la responsabilité et la protection des magistrats. L'État doit concentrer ses moyens sur ses missions régaliennes pour rendre la justice plus efficace et plus attractive.

L'inflation normative demeure un cancer pour nos réglementations. Il faut simplifier le code de procédure pénale, qui en est un des symboles. Nous devons réduire le nombre de normes et améliorer leur qualité. Le ministre et le Sénat y sont très attentifs, et j'espère des avancées concrètes dans les prochains mois.

Le groupe INDEP votera le texte de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le travail fut long, mais il était nécessaire pour répondre aux attentes des personnels de la justice et du grand public. Il fallait réparer notre justice, pour la rendre plus efficace et plus ouverte. Cette modernisation touchera la gestion des carrières, avec un dialogue social amélioré et une place des syndicats confortée.

La charte de déontologie, la notion d'impartialité, le rehaussement des sanctions contribueront à restaurer la confiance des citoyens dans la justice.

Je salue la création des 1 500 postes de magistrats et des 1 800 postes de greffiers, attente forte de notre chambre.

Les TAE sont le résultat d'un compromis entre nos deux chambres. Le Sénat avait supprimé l'échevinage ; la CMP a exclu les professions juridiques et les baux commerciaux, mais inclus les associations et prévu la participation des agriculteurs comme assesseurs. Les associations ne seront pas lésées et les juges sauront se montrer à la hauteur. Nous ne manquons pas de candidats et pourrons évaluer le dispositif.

Le commissaire pourra jouer le rôle de conciliateur dans la procédure de saisie des rémunérations, c'est bienvenu.

Je remercie nos collègues de l'Assemblée nationale pour le travail respectueux que nous avons réalisé ensemble. Les points les plus délicats ont été traités, et nous avons su maintenir ce qui nous tenait le plus à coeur : le champ de compétences du TAE, la contribution des plus petites entreprises, la création du legal privilege à la française, le niveau d'études requis pour être avocat, la notion de danger imminent lors des perquisitions de nuit, etc.

Monsieur le ministre, merci pour votre écoute et la qualité de nos échanges, que nous poursuivrons lors de notre contrôle parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Le projet de loi, modifié, est adopté définitivement.

Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°2 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 251
Pour l'adoption 233
Contre   18

Le projet de loi organique, modifié, est adopté définitivement.

La séance est suspendue quelques instants.