Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023, à la demande de la commission des affaires européennes.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - C'est un plaisir de vous retrouver et d'accueillir de nouveaux sénateurs ; j'adresse à tous mes félicitations.

La France est pleinement solidaire d'Israël en ce moment tragique. J'adresse mes condoléances aux familles endeuillées. Lundi, le Président de la République a exprimé, avec ses homologues allemand, italien, britannique et américain, notre soutien ferme et uni à Israël et notre condamnation sans équivoque des actes de terrorisme du Hamas.

Les ministres des affaires étrangères, réunis hier en urgence, ont réaffirmé le droit d'Israël à l'autodéfense, dans le respect du droit international et humanitaire. Le sujet sera abordé lors du Conseil européen, trois semaines après le conseil informel de Grenade, qui s'est tenu le lendemain de la troisième réunion de la Communauté politique européenne.

Ces éléments sont susceptibles d'évoluer d'ici au Conseil, mais je reste à la disposition de votre commission des affaires européennes.

Les chefs d'État et de Gouvernement rappelleront leur engagement à aider l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire, y compris en matière financière, dans un contexte d'incertitudes sur le soutien américain.

Ils évoqueront le soutien au plan de paix et les moyens pour convaincre les pays tiers et renforcer les corridors de sécurité en vue de permettre aux exportations agricoles ukrainiennes d'atteindre les marchés mondiaux sans entraves.

Il s'agira aussi d'ancrer notre soutien militaire sur le long terme, via la facilité européenne pour la paix. Nous entendons promouvoir les coopérations avec la base industrielle de défense ukrainienne à la suite de la visite du ministre Lecornu à Kiev le 28 septembre dernier.

Il s'agit également de lutter contre l'impunité des crimes internationaux commis en Ukraine, de renforcer la pression sur la machine de guerre russe et de réagir au contournement des sanctions.

Autre sujet récurrent : les migrations. Une majorité d'Européens veut désormais agir en tant que tels : on ne peut que s'en réjouir. Même Mme Meloni reconnaît que la solution passe par l'Union européenne. Malgré l'opposition de la Hongrie et de la Pologne, les échanges à Grenade ont confirmé que les Européens partagent des objectifs communs : prévenir les départs et lutter contre les passeurs. Nous changerons d'échelle dans notre coopération avec les pays d'origine et de transit, en déployant sur le terrain des experts de Frontex et d'Europol. Solidarité et humanité dans les demandes d'asile, accélération des retours pour les personnes n'ayant pas vocation à rester sont les maîtres mots.

Je salue plusieurs avancées. Premièrement, le pacte sur les migrations et l'asile a fait l'objet d'un accord global, notamment sur le mandat situation de crise -  condition indispensable pour que les négociations avec le Parlement aboutissent. Nous disposerons ainsi d'un accord interinstitutionnel avant les élections européennes.

Deuxièmement, les actions vis-à-vis des pays extérieurs rassemblent aussi l'ensemble des États membres -  le mémorandum signé en juillet avec la Tunisie en témoigne. Un pilotage robuste, s'appuyant sur des objectifs et des contreparties, s'impose désormais. Conclure de tels partenariats nous assurera la maîtrise des flux, en traitant les causes profondes des migrations, en prévenant les départs et en renforçant la coopération avec les pays tiers. Le vice-président de la Commission Schinas a déjà eu des entretiens en Guinée, au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie notamment.

Les chefs d'État et de Gouvernement aborderont ensuite la révision du cadre financier pluriannuel. Le budget européen doit trouver le bon équilibre entre la soutenabilité des finances publiques et l'atteinte de nos priorités politiques.

Première priorité, le soutien à notre voisin ukrainien, aussi longtemps que nécessaire.

Deuxième priorité, la souveraineté industrielle. La plateforme Technologies stratégiques pour l'Europe, dite Step, encouragera les technologies critiques, les cleantech et les biotechnologies, et améliorera la visibilité des financements.

La Commission propose de renforcer les moyens existants sur l'immigration. Une partie de ces abondements doit accompagner la mise en oeuvre du pacte. La France est attachée à un cadre financier pluriannuel ambitieux et plaide pour un redéploiement des fonds pas ou peu consommés avant toute augmentation. Nous ne pouvons soutenir la proposition de la Commission d'augmenter les dépenses administratives.

En matière de compétitivité économique, le premier pilier est l'énergie. Les chefs d'État et de Gouvernement échangeront sur la réforme du marché de l'électricité. Le niveau et la volatilité des prix sont amenés à s'accroître. Certains de nos partenaires assument une forme de protectionnisme, l'Europe doit donc agir.

La réforme du marché de l'électricité devra décorréler le prix de l'électricité des énergies fossiles en encourageant les productions décarbonées.

Deuxième pilier : la politique industrielle, une idée française désormais reconnue par l'Europe. Nous attendons le résultat d'une première évaluation de la stratégie européenne pour l'affiner.

Nous avons des avancées concrètes : le dispositif de la loi sur les semi-conducteurs, le Chips Act, est une réalité. Le NZIA (Net Zero Industry Act) diversifiera l'approvisionnement en matières premières critiques. Ces deux textes sont actuellement en discussion.

Le troisième volet est la sécurité économique. La semaine dernière, la commission a listé des technologies critiques ; nous devons désormais nous coordonner pour mieux les protéger indépendamment de ce que font les États-Unis.

À l'occasion de la COP 28 - qui se tiendra du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï - il s'agira d'obtenir des engagements forts des gros émetteurs et d'établir une trajectoire de sortie des énergies fossiles.

Nous devrons aussi tirer tous les enseignements des différents coups d'État au Sahel. Adoptons une approche non pas punitive, mais réaliste : si ces États ne veulent plus travailler avec nous, pourquoi nous y maintenir ? Pourquoi dépenser autant de ressources pour des partenaires qui ne veulent pas de nous ? Les événements au Niger, au Mali et au Burkina Faso montrent toute la pertinence d'une action auprès d'autres partenaires demandeurs, tels que les pays du golfe de Guinée.

Tels sont les enjeux de ce Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Ahmed Laouedj et Mme Karine Daniel applaudissent également.)

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au nom des membres de la commission, je veux dire notre soutien au peuple israélien. Nous partageons la souffrance des familles, des victimes et des otages. Cette violence ignoble est sans issue : nul ne peut soutenir que les terroristes du Hamas défendent les intérêts des Palestiniens. Dans ces circonstances, le soutien de la France à Israël -  dont la sécurité n'est pas négociable  - doit être sans faille. Toute l'Union européenne doit s'exprimer d'une même voix.

Notre pays, où la blessure du terrorisme islamiste n'est pas refermée, sait la difficulté de réagir à un tel drame. Dans sa riposte, Israël doit s'assurer du respect du droit international et du droit humanitaire.

Nous prenons acte de la décision de maintenir l'aide de l'Union à la Palestine, mais nous voulons des garanties afin que le financement européen ne nourrisse pas indirectement le terrorisme, entretenu par certains acteurs régionaux.

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères.  - J'invite ceux que la frénésie de cogitation étourdit un peu à lire le communiqué final du sommet de Grenade, visant à « rendre l'Europe plus résiliente, prospère et géostratégique ».

Le bilan n'est guère rassurant et nos efforts de défense communs sont à la peine : en mars dernier, le président Cambon alertait déjà sur le risque d'une dépendance à l'industrie militaire américaine. Six mois plus tard, trois pays européens achetaient des chasseurs américains F 35...

Sur le plan énergétique, nous saluons l'ambition du plan REPowerEU. Mais après ce que viennent de subir les Arméniens du Haut-Karabagh, il faut reconnaître que l'accord de juillet 2022 avec l'Azerbaïdjan pose d'inconfortables questions.

Quant à la prospérité, reconnaissons que les indicateurs économiques sont plutôt mauvais.

Quid des perspectives d'élargissement ? Dans quelles conditions, à quel horizon ? Que pensez-vous du rapport de douze politologues - rédigé en anglais - plaidant pour une fédéralisation accrue ? L'adhésion des peuples est-elle seulement prise en compte ?

De sombres nuages s'accumulent sur notre monde ; nos concitoyens attendent que la France propose un cap clair pour défendre nos intérêts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La révision du cadre financier pluriannuel s'impose au vu de la hausse des taux d'intérêt et des dépenses causées par la guerre en Ukraine. Facilité pour l'Ukraine, augmentation du budget pour faire face aux défis des migrations et nouvelle plateforme Step : ne craignez-vous pas que la révision proposée par la Commission européenne se fasse au détriment d'autres politiques communes ?

Dans le nouveau paquet de ressources propres, figurent une ressource sur les bénéfices d'entreprises, une révision du système d'échange des quotas d'émission et une modification du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Celle-ci vous semble-t-elle à la hauteur ? Quel est le calendrier prévu ?

La suspension du pacte de stabilité et de croissance prendra fin en 2024, que les États membres se mettent d'accord ou non sur un nouveau cadre. Ses règles sont trop complexes, car elles reposent sur des variables économiques non observables, trop uniformes, trop rigides.

En novembre dernier, la Commission proposait que les États s'engagent sur des trajectoires pluriannuelles de moyen terme ; et de tenir compte de la situation des finances publiques. En avril, à la demande d'États dits frugaux, dont l'Allemagne, elle ajoutait des mesures de sauvegarde, comme l'obligation pour les États dépassant les 3 % de réduire leur déficit de 0,5 % minimum. Pour la France, cela représenterait 1,1 point de PIB entre 2025 et 2028, soit 30 milliards d'euros d'économies annuelles !

Quelle est la crédibilité de notre pays pour renégocier ces règles ? Sa dette publique dépasse 3 000 milliards d'euros et son déficit ne devrait pas repasser en dessous de 3 % avant 2027. Mauvais élève de l'Europe, la France est menacée d'une procédure pour déficit public excessif au printemps. Comment peser dans ces conditions ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) L'ordre du jour du prochain Conseil européen est vague. Dès lors, comment assurer notre mission de contrôle ? Le nouveau bureau de la commission des affaires européennes se pose la question. Il faudra y revenir sans tarder. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MmeCatherine Morin-Desailly et Mathilde Ollivier applaudissent également.)

La Commission européenne a proposé une révision inédite du cadre financier pluriannuel à mi-parcours. Il est vrai que le covid, la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont rebattu les cartes. Le budget européen a mué, avec l'emprunt commun NextGenerationEU et la mobilisation de toutes les flexibilités possibles. Avant d'envisager une rallonge, prêtons attention aux remarques de la Cour des comptes européenne : les erreurs augmentent, et atteignent 4,2 %. Il faut mieux contrôler l'usage des fonds européens.

Nous devons aussi en tenir compte dans la controverse sur l'aide de l'Union européenne aux Palestiniens - 120 millions d'euros. La moitié des opérations examinées par la Cour comportaient des erreurs. Ainsi, une aide pour l'utilisation durable des ressources naturelles a été versée pour un projet qui n'a jamais vu le jour.

Si nous devons continuer à soutenir les Palestiniens, qui ne peuvent être assimilés au Hamas, nous devons aussi mieux contrôler l'usage des fonds européens. De même, les 18 milliards d'euros de prêts consentis à l'Ukraine en décembre 2022 ne sont assortis d'aucun provisionnement en cas de défaut : les pertes seront à la charge du budget de l'Union.

La Commission a identifié quatre technologies stratégiques sensibles, mais pas la fusion nucléaire. La France entend-elle rappeler au Conseil l'importance stratégique du nucléaire et son caractère éminemment critique pour la sécurité économique de l'Union comme pour la transition verte ?

Face à la pression migratoire à ses frontières, l'Union doit traiter la dimension externe des migrations, et notamment la coopération avec les pays tiers. Depuis le début de l'année, le nombre d'arrivées par la mer en Italie est déjà le double de celui de 2022 et le triple de 2021. Nous devons solidairement mieux contrôler ces flux.

Dans ce contexte tendu, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu un arrêt très préoccupant le mois dernier, qui prive d'effet utile tout refus d'entrée que la France déciderait à l'égard d'un migrant irrégulier. Que reste-t-il de notre politique migratoire après cet arrêt ? La France compte-t-elle mettre le sujet sur la table lors du Conseil ?

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.  - Sur ces sujets régaliens, nous ne pouvons laisser ainsi dériver l'Europe, au risque d'alimenter l'euroscepticisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Georges Patient .  - Nous ne connaissons pas l'ordre du jour du prochain Conseil, mais nous pouvons imaginer qu'il sera dominé par la dramatique actualité internationale. Guerre en Ukraine, drame humanitaire dans le Haut-Karabagh, tensions entre la Serbie et le Kosovo, attaque terroriste du Hamas en Israël, que le groupe RDPI condamne avec force : autant de foyers de déstabilisation autour de l'Union, dont les États membres connaissent la plus longue période de paix de leur histoire. Elle est une réussite pour elle-même, mais semble incapable d'entraîner ses voisins.

Voulons-nous peser dans la conduite du monde ou regarder les États-Unis et la Chine écrire l'histoire sans nous ?

Depuis 2022, un nouvel outil a été créé à l'initiative du Président de la République, la Communauté politique européenne (CPE), qui regroupe 47 États. La réunion du 5 octobre à Grenade a réaffirmé les engagements pour la paix, la prospérité et la sécurité en Europe et la volonté de coopérer. La CPE peut-elle être un moyen pour l'Union européenne d'accroître son influence ? Dans les faits, cet outil, certes balbutiant, n'a pas empêché l'Azerbaïdjan d'agir au Haut-Karabagh, et la réunion du 5 octobre a été marquée par l'absence du président azéri...

Autre question : les futures adhésions - jusqu'à neuf nouveaux membres, dont l'Ukraine, au cours de la prochaine décennie. L'enthousiasme des hauts responsables de l'Union n'est pas partagé par tous les États membres. Qu'en est-il de la France ?

Enfin, le Conseil européen traitera de la gestion sensible des migrations. Le drame qui se joue en Méditerranée doit nous faire réfléchir sur notre humanité. L'accord du 4 octobre sur la répartition de la prise en charge des migrants ouvre la voie à l'adoption du pacte sur la migration et l'asile, afin de soulager les pays d'entrée et de mieux répartir les demandeurs d'asile concentrés en Allemagne, en France et en Espagne.

La situation actuelle ne peut durer. L'Allemagne a suspendu l'accueil fin août et la France n'accueillera pas de migrants en provenance de Lampedusa, sauf réfugiés politiques. Or la pression migratoire devrait persister, car les passeurs baissent les prix de la traversée.

Il est donc urgent de mettre en oeuvre ce futur pacte, qui ouvre la voie à une plus grande coopération avec les pays de départ. Si nous voulons assécher les réseaux de passeurs, nous devrons accorder beaucoup plus de visas. Mieux vaut voir arriver légalement des personnes bénéficiant d'une vraie politique d'accueil - cours de langue, hébergement, contrat de travail, prise en charge du trajet - plutôt que de subir cet afflux incontrôlé qui jette les migrants dans les bras des réseaux mafieux - quand ils ne périssent pas noyés.

La guerre en Ukraine a montré que l'Europe pouvait accueillir un grand nombre de réfugiés. Les migrants, poussés par la misère, font preuve d'une détermination à toute épreuve : aucun mur ne les arrête.

Combien de temps laisserons-nous croire à nos concitoyens que nous pouvons réguler le flux en fermant nos frontières ? Cela fait le jeu des extrêmes et encourage un discours toujours plus radical.

Vu l'évolution démographique de l'Europe, l'immigration va devenir un apport indispensable à notre économie et à notre modèle social. C'est sur elle que les États-Unis ont construit leur prospérité. La France aussi en a bénéficié depuis le XIXe siècle. Quand le pacte sur les migrations entrera-t-il en application ?

Proportionnellement à leur population, ce sont la Guyane et Mayotte qui accueillent le plus d'étrangers : la moitié de leur population est étrangère. Quels seront les impacts du pacte sur ces deux territoires ? Ont-ils été pris en compte ? (M. Patrick Kanner et Mme Mathilde Ollivier applaudissent.)

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'adresse tout le soutien du groupe SER au peuple israélien touché par les attentats terroristes du Hamas.

Guerre en Ukraine, inflation, infrastructures : l'énergie est au coeur de tous les débats, pour les Français comme pour les entreprises. Nous devons vite prendre des décisions, à l'échelon européen.

Depuis la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) en passant par Euratom, l'énergie est au centre de la construction européenne, mais le marché de l'énergie libéralisé se révèle incapable de réguler les crises et d'assurer une énergie bon marché. Ses défaillances plombent la compétitivité de nos entreprises et grèvent les budgets de nos services publics, de nos collectivités et de nos ménages.

La politique énergétique doit garantir notre souveraineté et assurer décarbonation et prix bas de l'électricité. Alors que l'Europe pourrait manquer de gaz en cas de grand froid, il est urgent que nous rapprochions le prix de l'électricité de son coût réel de production en découplant les prix de l'électricité et du gaz. La réforme présentée le 14 mars dernier par la Commission européenne relève plus de l'ajustement.

Ce projet révèle les fortes dissensions entre l'Allemagne et la France, car il y va de la compétitivité industrielle au sein de l'Union. Selon les dernières informations, la présidence espagnole envisagerait un mécanisme de soutien pour les centrales à charbon. Comment la France va-t-elle défendre sa position ? Une régulation franco-française avant la fin des discussions européennes, envisagée par le Président, est-elle envisageable ? Il nous faut des réponses !

La décarbonation de notre économie nécessitera des investissements massifs pour diversifier nos modes de production et mettre en oeuvre les accords de Paris. La Commission européenne les chiffre à 379 milliards d'euros par an sur la période 2020-2030, pour la seule transition énergétique. On est loin du compte, alors que s'ajoutent d'autres besoins : soutien à l'Ukraine, financement du plan de relance NextGenerationEU, réponse aux crises émergentes, transition numérique, plateforme Step...

Il faut un cadre budgétaire ambitieux pour relever ces défis. Nous ne pourrons remplir nos objectifs sans augmentation des ressources propres. À quand une taxe sur les transactions financières et un ISF vert ? Quelle position la France défendra-t-elle ?

Il faut enfin alléger les contraintes financières sur les États membres pour qu'ils puissent investir : c'est l'enjeu de la réforme du pacte de stabilité et de croissance, qui a bridé la croissance et les investissements européens et nous a fait prendre du retard. Personne ne peut imaginer revenir aux règles fondatrices. Les dépenses d'investissement liées à transition écologique doivent être exclues des règles de déficit. Alors que la clause de sauvegarde arrive à échéance, quelles sont les perspectives de révision du pacte ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Pascal Allizard .  - L'agression russe contre l'Ukraine a marqué le retour de la guerre sur notre continent. Impuissants, nous assistons à une instabilité grandissante. Quelle Union européenne dans tout cela ? Malgré quelques mesures, nous subissons la convergence des autoritarismes qui cherchent à nous déstabiliser. Début octobre, Vladimir Poutine disait que la guerre en Ukraine n'était pas un conflit territorial, mais un fondement du nouvel ordre mondial.

La récente attaque de groupes terroristes liés à certaines puissances contre Israël est aussi un message adressé aux Occidentaux ; idem pour l'éviction de la France de l'Afrique au profit de la Russie, de la Chine ou de la Turquie. Les sanctions ne sont pas parvenues à faire fléchir les États visés, dont elles font même la fierté. Sont-elles symboliques ?

Faute de solutions européennes, nous sommes liés avec la Turquie sur les questions migratoires et avec l'Azerbaïdjan sur les questions énergétiques. Comment dialoguer avec ces États après les récents évènements ? Le groupe de Minsk n'a pas su trouver une solution. Quelles conséquences sur le partenariat oriental de la guerre éclair de l'Azerbaïdjan ? Quelles aides humanitaires ? Après le bannissement des productions gazières russes, allons-nous réduire notre dépendance à la Caspienne ?

L'intensification des flux migratoires vers l'Union européenne et le Royaume-Uni est porteuse de nombreux dangers : le sort des migrants, moins bien traités que des marchandises ; le renforcement des réseaux mafieux ; la saturation des dispositifs d'accueil des États ; la montée de l'inquiétude des Européens. La stratégie de fracturation de l'intérieur de l'Europe par certains États qui utilisent les migrations comme une arme commence à porter ses fruits. La percée de l'extrême droite observée en Allemagne risque de se reproduire aux élections européennes.

Va-t-on tarir ces flux ou se contenter de les gérer et de les répartir ? Les Européens attendent une réponse non pas technique, mais politique !

Quid de l'accord Union européenne-Tunisie ? Qu'attendre de la Turquie, qui dit ne plus rien attendre de l'Europe ? Comment coopérer en Afrique avec des pays d'origine dont les autorités résultent de coups d'États militaires ?

La prise de conscience européenne du non-respect de la propriété intellectuelle par la Chine, des différences de normes et de ses visées géopolitiques aura été tardive. L'Europe veut se défendre dans des domaines stratégiques - semi-conducteurs, intelligence artificielle, technologies quantiques, biotechnologies - mais comment lutter contre la concurrence déloyale et la coercition économique ? Je pense aux mesures chinoises contre la Lituanie, qui soutient Taïwan.

Quelles actions sont envisagées en matière de cybersécurité, de contre-espionnage ? La crise économique en Chine fait peser un risque pour l'économie mondiale et l'Europe ; il faut être vigilant.

La tâche est immense, madame la ministre, et je crains que vous n'ayez perdu beaucoup de temps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Médevielle .  - Après l'invasion de l'Ukraine, les événements au Proche-Orient soulignent la nécessité d'une cohésion face au terrorisme et aux ennemis de la démocratie. Le déchaînement de haine et les exactions commises nous rappellent les pages les plus sombres de notre histoire. Il est regrettable que la classe politique française ne condamne pas de tels massacres d'une même voix. Toutes nos pensées vont aux familles et aux victimes.

Le fragile processus de paix est bien compromis, tout comme les espoirs de rapprochement avec l'Arabie Saoudite.

Quelles sont les prochaines étapes ? Quelle sera la position de l'Union européenne dans ce conflit et comment les États membres se coordonneront-ils ?

Sur un autre front, l'agression de la Russie contre l'Ukraine a été un ciment fort pour les Européens. Avançons-nous assez vite pour consolider notre politique extérieure ou constituer une armée européenne ?

Avez-vous prévu de nouvelles aides pour l'Ukraine ? Quid de l'embargo sur les céréales ? Nous avons tous en tête les conséquences migratoires d'une pénurie en Afrique.

La question migratoire était absente de la déclaration de Grenade, alors que le pacte sur la migration et l'asile a fait l'objet d'un accord. Où en est-on des blocages au moment où l'aide médicale d'État (AME) explose et où les drames humains continuent ? L'Europe ne pourra accueillir toute la misère du monde, et nos voisins nous observent en se frottant les mains. Un cap fort n'est-il pas nécessaire avant les élections européennes ?

Contrairement aux pronostics, nous sortons renforcés des crises du Covid et de l'Ukraine, qui ont cependant causé un choc inflationniste sans précédent. L'issue viendra d'une réponse solidaire.

À Grenade, les dirigeants ont rappelé les promesses de l'Union européenne : paix et stabilité. Or la crise inflationniste nous a rappelé les lacunes de notre politique énergétique. En relançant notre filière nucléaire, nous avons fait un choix très différent de l'Allemagne. Le charbon germanique n'est ni souhaitable ni durable, mais nous devons continuer à acheter ensemble sur les marchés mondiaux.

Je salue la relance du nucléaire. Un effort doit être fait sur l'ensemble du mix bas-carbone, pour une énergie durable, abordable et suffisante.

Autre enjeu, l'agriculture. La France a enfin décidé l'arrêt des surtranspositions qui l'ont tant pénalisée. Ne devrions-nous pas uniformiser plus rapidement nos politiques ? L'Europe pourrait alors parler d'une seule voix. Notre souveraineté est à ce prix.

Dans un tel contexte, le scrutin européen de 2024 revêt une importance primordiale. Tous les Européens convaincus devront s'unir pour ne pas laisser le champ libre aux eurosceptiques. La construction européenne mérite un engagement total.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.) Nous sommes tous encore sous le choc de l'attaque dont Israël a été victime ce week-end. Je réaffirme notre soutien à ce pays et à sa population et notre condamnation des actes inqualifiables du Hamas. Que faire pour venir en aide aux otages, dont des Français ? Comment éviter le pire pour les populations palestiniennes, dont le Hamas est le bourreau ?

Nous devons être intraitables vis-à-vis de cette organisation terroriste comme de ceux qui la financent insidieusement, dont le Qatar ou l'Iran, mais le siège total de Gaza est contraire au droit international. Madame la ministre, pouvez-vous préciser les propositions et la position de la France ?

Cette terrible réalité ne doit pas nous faire oublier le drame qui se déroule en Arménie, qui ne figure toujours pas à l'ordre du jour du Conseil européen, preuve d'un abandon malgré les efforts de politiques de tous bords. La Commission a cyniquement lâché les 120 000 Arméniens de l'Artsakh, comme si l'on pouvait faire confiance à Aliyev et à son funeste complice Erdogan. Ainsi, Aliyev prétend qu'Erevan est un territoire azerbaïdjanais. Qui ne dit mot consent : peut-être la Grèce, l'autre obsession ottomane, viendra-t-elle après l'Arménie...

Après avoir réagi lorsque la Russie a attaqué l'Ukraine, pourquoi ne pas avoir dénoncé la fermeture du corridor de Latchin ? Après le 19 septembre, en trois jours, on a laissé s'effacer 3 000 ans d'histoire, car on s'en prend aussi à l'inestimable patrimoine religieux, comme nous l'a rappelé notre ancienne collègue Bariza Khiari, présidente de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph).

Pourquoi, dans les années 1990, le monde s'était-il engagé pour la Bosnie musulmane, alors qu'il abandonne l'Arménie aujourd'hui ? Poutine a besoin de l'Azerbaïdjan pour contourner les sanctions.

Madame la ministre, l'Europe doit se réveiller et apporter à Nikol Pachinian - que nous avons rencontré, avec Bruno Retailleau et Gilbert-Luc Devinaz - l'aide militaire qu'il mérite.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a lancé un appel aux dons de 97 millions d'euros pour les réfugiés du Haut-Karabagh, mais cela ne suffit pas. Il faut réévaluer les relations de l'Union européenne avec Bakou. Qu'attendons-nous pour décider de sanctions ?

Face aux démultiplications des crises et des guerres et aux volontés expansionnistes de dictateurs qui piétinent le droit international, nous devons agir. Nous comptons sur vous, madame la ministre. La France doit être à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jacques Fernique .  - On ne peut débattre de manière détachée du terrorisme massif du Hamas, qui brise toute possibilité d'apaisement. En face, un gouvernement d'extrême droite engage une punition collective pour 1,6 million de personnes. N'est-ce pas ce qu'escompte le Hamas ?

L'Union européenne ne peut entrer dans cette logique d'amalgame... C'est pourtant ce qui transpirait de l'annonce par le commissaire hongrois Olivér Várhelyi de la suspension de toute aide aux Palestiniens. Heureusement, la Commission a rétropédalé et ne parle plus que de réviser l'aide. C'est le résultat des réticences de l'Espagne, du Luxembourg, de l'Irlande ou encore du Danemark.

Quel rôle la France a-t-elle joué ? N'aurait-il pas fallu une réunion en urgence du Conseil européen ?

La complaisance gazière avec l'Azerbaïdjan doit cesser. Il ne saurait être question d'un « partenariat fiable » avec Bakou, selon l'expression de Mme von der Leyen. Total et Patrick Pouyanné ne peuvent plus afficher leur entente avec Aliyev.

Faire preuve de solidarité, c'est aussi ce que les Ukrainiens attendent, alors que le gouvernement polonais ne veut plus livrer d'armes à l'Ukraine et que le soutien américain est incertain. L'Union européenne doit tenir. La perspective de l'élargissement de l'Union aux Balkans occidentaux et à l'Ukraine, avec Grenade pour point de départ, est une nécessité géopolitique qui suppose une réforme du fonctionnement européen et des ressources propres.

À vingt-sept, on sait les difficultés du pacte Asile et immigration. Le besoin de le réformer n'a jamais été aussi urgent, mais ce texte de compromis inspire plus de malaise que de fierté. Certes, les yeux sont rivés sur la Pologne et la Hongrie, mais c'est son essence qui nous dérange. Pourquoi adopter en urgence un texte néfaste médiocre qui criminalise les ONG ? Ceux qui fuient la mort ne sont pas une menace.

Il faut être à contre-courant des réflexes de cavalier seul. Take back control, disait-on avant le Brexit : la France ne peut entonner ce refrain. Ainsi, Bruno Le Maire disait que sortir du marché de l'électricité, c'était sortir de l'Europe. Mais le Président de la République voudrait « reprendre le contrôle » des prix de l'électricité ? Est-ce à dire que l'Europe, cela commence à bien faire ? C'est le marché européen de l'électricité qui a compensé notre nucléaire défaillant cet hiver.

Autre sujet : le Green Deal. L'usage du glyphosate vient d'être de nouveau autorisé pour dix ans. La France doit défendre la santé des agriculteurs et agir pour l'interdire.

L'Europe doit tenir sur ses valeurs. Elle a besoin d'une France qui agisse en Européenne. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Dans le contexte particulier des attentats terroristes du Hamas, l'Union européenne a une responsabilité pour ouvrir la voie de la paix aux peuples israélien et palestinien.

Devant la représentation nationale, le renseignement militaire a alerté le prolongement de la guerre en Ukraine jusqu'à 2025. Après dix-huit mois, 500 000 morts et 165 milliards d'aide, quel est le résultat ? Certes, la responsabilité incombe au Kremlin, mais l'escalade est dangereuse.

Accepter la perspective d'une guerre d'usure, c'est accepter d'en faire peser les conséquences sur les citoyens européens, notamment la hausse des prix de l'énergie. Le contrat de l'Union européenne avec l'Azerbaïdjan garantit l'impunité du régime Aliyev. Alors que 120 000 Arméniens ont fui le Haut-Karabagh, il faut dénoncer et sanctionner l'Azerbaïdjan !

Les citoyens européens ont perdu 4 % de leur salaire réel. Des antivols sont apparus sur des steaks dans les supermarchés. Le vol à l'étalage a augmenté de 15 % en France et 95 millions d'Européens sont menacés de pauvreté, mais l'Union européenne poursuit l'austérité et ne propose que la révision du cadre financier pluriannuel (CFP).

Ainsi, le financement de la guerre en Ukraine concurrence la réindustrialisation, qui a du plomb dans l'aile... elle repose d'abord sur la révision des aides d'État. Or sur les 740 milliards d'euros accordés, 50 % ont bénéficié à l'Allemagne et 23,5 % à la France. Les autres pays se contentent de miettes, situation d'autant plus regrettable que ce sont les territoires de l'est qui ont les matériaux critiques pour l'industrie.

Le fonds souverain de l'Union européenne devait répondre à l'Inflation réduction act (IRA) américain de 300 milliards d'euros, mais il a été enterré avant de voir le jour. La France, pour se réindustrialiser, doit miser sur cette coquille vide qu'est la plateforme Step, recyclage de crédits en tout genre. Dix milliards d'euros pour toute l'Union européenne ? La montagne a accouché d'une souris...

Selon le chercheur Nicolas Laurent, sans budget européen, l'Union européenne arrive au bout de ce qu'elle peut fournir en biens publics.

La France et le Pas-de-Calais attendent toujours le ruissellement du plan de relance européen, mais il tarde. Or les fonds -  20 milliards d'euros  - seraient conditionnés à l'adoption de votre projet de loi de programmation des finances publiques. Nous y voyons un chantage.

Notre soumission aux marchés européens est liée aux 800 milliards d'euros que nous devons emprunter, soit 15 milliards d'euros de remboursements par an jusqu'en 2058. Mais l'austérité n'est jamais une fatalité. Ainsi, le Parlement européen enjoint la Commission de rechercher des ressources propres comme la taxe sur les cryptomonnaies.

La soumission aux marchés et aux États frugaux a assez duré. N'acceptez pas, madame la ministre, que la France accroisse sa contribution et exigez que le capital finance les transitions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Maryse Carrère et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. Ahmed Laouedj .  - L'agenda du Conseil européen est en partie bousculé par la situation au Proche-Orient. Cet après-midi, Maryse Carrère a condamné les attaques terroristes du Hamas. La violence aveugle complique l'espoir de réconciliation. Mais face à la douleur des civils israéliens et palestiniens, le processus de paix devra se remettre rapidement sur les rails.

Je salue les efforts européens de désescalade. Le haut représentant Josep Borrell a rappelé la nécessité de ne pas accroître les tensions. Mon groupe partage cette voie entre la solidarité avec le peuple israélien et la volonté de limiter les drames humains.

L'Ukraine a encore besoin de la mobilisation sans faille de l'Union. Le RDSE a toujours demandé le soutien militaire. La lassitude ne doit pas nous gagner, et je me réjouis qu'à chaque Conseil européen, les dirigeants appellent à soutenir Kiev. Toutefois, le contexte politique américain complique la situation, avec le risque de fermer les vannes à hauteur de 24 milliards de dollars. Après Grenade, il est clair que l'Europe ne compensera pas. Soutenez-vous la demande des eurodéputés de 50 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine jusqu'en 2027 dans le cadre de la révision du CFP ?

N'oublions pas l'impact du drame au Haut-Karabagh.

J'en viens à cette révision du CFP. Il est important de trouver l'équilibre entre les politiques traditionnelles comme la politique agricole commune (PAC) et les enjeux climatiques, technologiques et de défense.

La question des ressources propres continue de se poser. Il reste peu de marges budgétaires pour absorber les crises et un remboursement de 450 milliards à partir de 2028. Dans ces conditions, le RDSE défend une diversification des ressources propres, sans quoi nous risquons une contraction de 15 milliards d'euros du budget européen ou une hausse des contributions.

La taxe plastique, fondamentale, ne suffira cependant pas, non plus que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Où en est l'Union européenne sur la redevance numérique et la taxe sur les transactions financières ? Au-delà des recettes, elles amélioreraient le partage des richesses.

Sur la politique migratoire, les tragédies en Méditerranée se répètent avec leurs cortèges de victimes. L'Union européenne est parvenue à un accord après trois ans de négociations avec, en filigrane, les blocages italien et hongrois.

Que penser de l'extension de la durée de détention aux frontières et aux autres concessions accordées à Mme Meloni ?

L'Europe doit conserver ses valeurs fondatrices : humanité et solidarité. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Karine Daniel .  - Le Green Deal est une réponse concrète et une feuille de route audacieuse pour l'Europe. Notre devoir de législateur est d'y contribuer. Cela demande un engagement de chaque État membre.

Nous saluons les propositions de la Commission européenne en matière, entre autres, de climat et de transport tendant à réduire d'ici à 2030 les émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990.

Parmi celles qui traversent l'Union, la crise climatique doit rester en ligne de mire, comme les incendies, les tempêtes et les canicules nous le rappellent régulièrement. Le récent rapport du Giec souligne ces menaces et l'importance de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius. L'objectif européen de neutralité d'ici à 2050 nécessite un engagement de tous les États membres.

Notons que, en 2020, l'Union européenne avait déjà réduit ses émissions de CO2 de 32 % par rapport à 1990. L'Europe représente 9,8 % des émissions mondiales, contre 53 % pour l'Asie.

Nous devons renforcer nos partenariats et peser dans les négociations mondiales. Quelles initiatives seront-elles prises en ce sens ?

Au coeur de l'Europe, la France doit jouer un rôle de premier plan. Pour respecter les accords de Paris, la France doit investir dans une économie et une agriculture durables. Ces mesures, en plus d'être bonnes pour l'environnement, créent des emplois. Les financements devront être à la hauteur.

La sensibilisation du public est cruciale. Nous devons engager concrètement nos concitoyens et les territoires dans le Green Deal, en coordination étroite avec les autorités locales et régionales.

Soutenons les travailleurs et territoires les plus touchés en accompagnant la formation et les reconversions professionnelles et veillons à ce qu'aucun territoire ne soit laissé pour compte.

L'Union européenne doit conserver ses exigences environnementales.

Accélérons la transition environnementale et faisons en sorte qu'elle soit juste. Agissons avec détermination pour garantir un avenir durable pour tous. Nous serons attentifs à la position de la France sur la reconduction de l'autorisation du glyphosate pour dix ans.

Il est inopportun de demander une « pause réglementaire » sur les normes environnementales. Il nous faut rendre le futur plus vert. C'est notre devoir envers les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. André Reichardt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec l'arrivée en quelques jours de 200 embarcations comportant 12 000 personnes, Lampedusa a encore été le symbole d'un chaos migratoire intenable, mais aussi celui de l'échec des institutions européennes à faire front.

Nous avons, une fois de plus, assisté aux mêmes déclarations martiales fallacieuses de l'extrême droite, aux mêmes injonctions irresponsables de l'extrême gauche et aux mêmes messages creux de la Commission. Mais nous ne pouvons plus recycler des actions envisagées maintes et maintes fois. La politique européenne doit être adaptée à la réalité du XXIe siècle.

Il y a toutefois quelques raisons d'espérer : les ministres des Vingt-Sept ont enfin validé le pacte asile et immigration. Sept ans après les propositions de Jean-Claude Juncker, il était plus que temps ! Pour autant, tous les obstacles ne sont pas levés. La Commission et le Conseil ne sont pas tout à fait d'accord. Pourtant, la Commission se dit confiante dans l'atteinte d'un accord avant le scrutin de l'année prochaine. Madame la ministre, en votre âme et conscience, partagez-vous cet optimisme ?

Plusieurs États membres, dont la Pologne et la Hongrie, sont hostiles à de telles mesures. Leur rhétorique fait planer le risque d'un défaut d'application de la législation communautaire. Cela ne serait pas la première fois ! Après avoir vu des migrants dans des centres de transit en Grèce se réjouir du massacre en Israël, ces pays ne risquent-ils pas d'être renforcés dans leur scepticisme ?

Les récents événements de Lampedusa nous invitent à nous interroger sur nos partenariats avec les pays du pourtour méditerranéen - Turquie, Tunisie, Égypte, Maroc. Ces accords peuvent être des outils efficaces, mais nous devons avant tout mettre en ordre notre propre cadre juridique. Sinon, nous nous mettrons dans la main de nos partenaires, qui pourraient profiter de notre faiblesse collective.

Comment ne pas voir dans le départ quasi simultané de centaines d'embarcations depuis la région de Sfax une sévère mise en garde ? Plus au sud, la situation se dégrade, avec les coups d'État au Sahel et le départ des forces françaises. Les attaques terroristes s'ajoutent à la misère. L'alliance des juntes n'apportera probablement pas des progrès tangibles à leurs concitoyens qui risquent de s'engager encore plus massivement sur les routes de l'exil.

Le Conseil européen devra aborder la question du Sahel, région stratégique, alors que nos partenaires nous ont si peu soutenus dans notre engagement contre le terrorisme. Interrogeons-nous a posteriori sur ce qu'a vraiment fait l'Europe dans cette région ! Et espérons que l'appel de Josep Borrell à ne pas abandonner le Sahel ne reste pas lettre morte.

Enfin, l'agression terroriste du Hamas sera sans nul doute abordée. Quelles actions la France proposera-t-elle pour tirer les leçons de ce drame et éviter qu'il se répète ? Quand contrôlera-t-on les aides directes aux Palestiniens et aux associations qui encouragent le terrorisme ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Brigitte Devésa .  - J'exprime tout mon soutien au peuple israélien et aux Européens victimes du terrorisme. Je fais confiance à la présidence espagnole pour soutenir Israël face à l'obscurantisme.

La question de l'aide au développement a été posée par le commissaire européen Várhelyi. Jusqu'où la France ira-t-elle pour empêcher une organisation terroriste, le Hamas, de sévir ?

Des associations frèristes se sont implantées à Bruxelles. Comment le Conseil de l'Europe peut-il lutter contre l'islamisme alors qu'il promeut des slogans tels que « mon voile, mon choix » ou « la liberté dans le hijab » ?

Après l'attaque du Haut-Karabagh, je renouvelle mon soutien à la cause arménienne et aux chrétiens d'Orient. J'appelle Mme von der Leyen à cesser toute hypocrisie au sujet de nos accords avec l'Azerbaïdjan, y compris dans le domaine de l'énergie.

Notons au passage la lâcheté de Vladimir Poutine dans le conflit arménien, lui qui fut si longtemps présenté comme un défenseur du cessez-le-feu.

Il faut gagner la guerre en Ukraine, non seulement pour ce pays, mais aussi pour les autres pays européens et pour nos valeurs. Le président Zelensky a révélé l'hypocrisie russe, mais aussi occidentale. Le peuple ukrainien a montré toutes ses qualités, et nous lui dirions que l'appartenance à l'Union se mérite ? Le peuple de Kiev répond au moins à nos valeurs morales et il le prouve. Un peuple capable de cheminer parmi les mines peut se frayer la route jusqu'à l'Union européenne. J'espère que le Conseil européen facilitera un rapprochement avec l'Ukraine.

Le Président de la République prône une nouvelle approche, fondée sur des politiques communes. Le Conseil suivra-t-il la position française d'une intégration projet par projet ?

Notre pays ne regarde pas assez à l'est, alors que la Pologne monte en puissance. Nous devons regarder au-delà de l'Allemagne, longtemps présentée comme un modèle, mais qui doit revenir sur ses choix énergétiques, militaires et diplomatiques.

Aux frontières méridionales de l'Europe, la pression migratoire inquiète, malgré l'appel humaniste du pape François. Nous devons adopter une doctrine commune. La différence entre politiques danoise et française montre le manque de vision unanime sur ce sujet.

Je conclus sur l'environnement : l'Union européenne est la plus avancée sur ces questions. C'est notre honneur, cela doit devenir notre force. Réjouissons-nous de la feuille de route proposée par la présidence espagnole. Intensifions notre travail pour la biodiversité et contre les lobbies. Mais quel bilan environnemental pour les traités de libre-échange ? Stop ou encore ?

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Si l'on en croit l'ordre du jour du prochain Conseil européen, « l'Union européenne façonne une économie solide ». Permettez-moi d'en douter. Face aux géants de Pékin et Washington, l'Union européenne lance des études dont on connaît pourtant à l'avance le résultat : oui, les subventions sont massives en Chine et oui, l'impact de l'IRA sera significatif.

Une véritable politique de rupture stratégique doit s'imposer pour redonner de la compétitivité à notre économie. Quelques avancées ont été obtenues, mais ces petits pas ne sont pas à la hauteur des enjeux. À ce rythme, nous demeurerons l'Union de la régulation, plutôt qu'une véritable union économique.

Alors que l'Union européenne rattrapait les États-Unis jusqu'au début des années 2000, nous avons décroché. Cela traduit l'échec de la politique économique européenne, qui reste enfermée dans une doctrine économique datée.

Que la Commission se vante que l'économie européenne aime la concurrence n'y change rien. Elle doit rompre avec son orientation libre-échangiste, ultra-concurrentielle et libérale, peu encline à construire une politique industrielle.

Les aides aux entreprises sont extrêmement régulées alors qu'elles devraient être flexibles.

La plateforme technologique stratégique et le Net-Zero Industry Act en sont l'illustration : l'Union européenne se fixe des objectifs, mais sans véritable budget ; elle se concentre sur l'investissement en oubliant la production et la recherche et développement.

Au-delà de l'IRA, la hausse des prix de l'énergie en Europe crée un différentiel de compétitivité entre les deux continents à notre détriment et favorise les délocalisations.

La réforme du marché de l'électricité envisagée par la Commission est trop peu ambitieuse pour corriger ce différentiel.

De surcroît, la Commission interdit plus qu'elle n'incite et pénalise certains secteurs. C'est le cas du nucléaire pour lequel la France doit inlassablement batailler. Le Net-Zero Industry Act ne retient ainsi que le nucléaire de 4e génération et les petits réacteurs modulaires, des technologies non encore disponibles à la production... La première source d'énergie bas-carbone de l'Union européenne se trouve dès lors exclue.

C'est insensé ! Il faut sortir de cette logique absurde et bureaucratique.

Si je comprends l'absence de plainte concernant l'IRA devant l'OMC, pourquoi ne pas se pencher sur des règles de préférence européenne ?

Il faut une vraie politique industrielle incitative et non punitive, qui favorise des activités sur lesquelles nous avons des avantages comparatifs.

La France tiendra-t-elle une telle position au Conseil européen ? Comment convaincre les États plus frileux sur la politique industrielle, notamment ceux du nord de l'Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Merci pour ces interventions très complètes et surtout pour vos mots très forts en soutien à Israël. Face à l'horreur, nous sommes unis aux côtés de ce pays.

Vous avez été nombreux à m'interroger sur la suspension de l'aide européenne à la Palestine. Il est vrai que la situation a été confuse : cette aide n'a pas été suspendue, mais la Commission a lancé une revue pour s'assurer qu'elle va dans de bonnes mains. Monsieur Fernique, une réunion d'urgence va bien se tenir.

Le troisième sommet de la CPE à Grenade a renouvelé notre solidarité en direction de l'Ukraine et organisé notre soutien à l'Arménie - intégrité territoriale et aide aux réfugiés. Nous avons également avancé sur l'agenda de la cybersécurité. Le Royaume-Uni s'est emparé du format CPE, notamment sur les questions migratoires.

Le Conseil européen a pu débattre de deux questions relatives à l'élargissement. La France a obtenu que nous encouragions les pays candidats à accélérer leurs réformes, mais aussi que l'Union accélère sa propre réforme, nécessaire pour une union plus large. Ces deux questions devront être travaillées simultanément. Nous en débattrons le 24 octobre. Le groupe d'experts mandaté est composé de douze experts indépendants. Je me rendrai le 2 novembre prochain à une conférence sur l'élargissement à Berlin.

La réunion sur les migrations organisée par le Royaume-Uni et l'Italie et qui associait la France et l'Albanie a permis une avancée dans la lutte contre les réseaux de passeurs : ceux-ci doivent être démantelés, les pays doivent les punir, pour éviter les drames.

L'objectif est de maîtriser les flux migratoires. Nous pouvons être fiers du pacte, compromis qui reflète notre devoir de solidarité et d'humanité envers les demandeurs d'asile, mais qui appelle à traiter vite la situation de ceux qui n'y ont pas droit. Il faut aussi aider les pays de première entrée et répartir les demandeurs d'asile sur le territoire européen. Vu les positions des uns et des autres, ce pacte est un bon équilibre.

Les visas de travail relèvent des lois nationales et non de l'Europe. La lutte contre les passeurs devrait cependant améliorer la situation en Guyane et à Mayotte. Le Parlement européen y travaille et j'espère que nous aboutirons avant la fin de la mandature.

Les conséquences de l'arrêt de la CJUE sur le contrôle aux frontières intérieures sont en cours d'analyse, mais une procédure est toujours en cours devant le Conseil d'État. Dans l'attente, les contrôles aux frontières restent en vigueur.

En ce qui concerne la révision du cadre financier pluriannuel, notre position est ferme : éviter une trop forte revalorisation du budget, tout en finançant nos priorités politiques. La taxe carbone aux frontières, les recettes issues du marché du carbone, l'impôt temporaire sur les bénéfices des entreprises constituent nos ressources propres, mais nous devrons aller plus loin pour développer les politiques budgétaires européennes.

En matière de gouvernance économique, nous ne voulons pas de règles procycliques, mais une différenciation en fonction des positions initiales et des spécificités de chaque pays. Comme notre position est de bon sens, je ne doute pas que les « frugaux » finiront par s'y rallier.

Pilier de la compétitivité, la réforme du marché de l'électricité est très clivante. Jamais nous ne transigerons sur le nucléaire. Le Président de la République l'a dit à Hambourg : nous commençons à voir les positions bouger pour un accord qui nous donne un prix reflétant notre mix électrique.

La France a toujours considéré qu'il fallait des aides d'État, mais aussi un fonds de souveraineté, notamment pour les petits pays.

Monsieur Pellevat, je vous ai trouvé bien dur sur la compétitivité. Le Président de la République avait alerté en décembre sur l'IRA et dès mars des textes étaient prêts. Plus aucun pays membre ne repousse la politique industrielle.

Nous nous battons sur le nucléaire dans le cadre du NZIA. Nous aurons besoin de revoir nos politiques et les budgets associés au cours de la prochaine mandature.

Le Haut-Karabagh est à l'ordre du jour du Conseil. Nous partageons votre émotion sur l'exode massif des habitants - il ne resterait plus que quinze personnes dans la région. C'est inqualifiable ! Une réunion se tiendra avec le président Aliyev à Bruxelles, en vue de conclure un accord de paix respectueux du droit international. Le Président de la République est très engagé.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - Merci à tous, et à Mme la ministre pour ses réponses.

Nous étions concentrés sur l'Ukraine, puis l'Arménie... Voilà désormais le conflit entre Israël et le Hamas. À quinze jours du Conseil, l'ordre du jour peut encore évoluer. J'ai demandé à Franck Riester de rapprocher notre débat de la date du Conseil européen. Merci de porter cette demande au sein du Gouvernement.

Vous participerez à une conférence sur l'élargissement le 2 novembre : nous vous entendrons sur ce sujet qui nous intéresse, à quelques mois des élections. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 12 octobre 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à minuit quinze.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 12 octobre 2023

Séance publique

À 10 h 30

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Secrétaires : M. Philippe Tabarot.  - Mme Véronique Guillotin

- 28 questions orales