Projet de loi de finances pour 2024 (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Discussion générale

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Ce projet de loi de finances s'inscrit dans la droite ligne de la loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Nous sommes sur une ligne de crête (Mme Christine Lavarde s'en amuse), devant financer les investissements pour la transition écologique, déployer une politique de l'offre favorable à l'emploi et à la croissance, et soutenir les services publics prioritaires -  éducation, justice, armées  - , sans dégrader notre trajectoire budgétaire, tout en poursuivant une politique de justice fiscale et de lutte contre la fraude.

Malgré des points de désaccord, vous avez voté un budget en ce sens. La réduction du déficit public, à 4,4 % du PIB en 2024, est une étape qui doit nous mener sous la barre des 3 % en 2027. Nous sommes d'accord sur la priorité accordée à la maîtrise des finances publiques.

Les dépenses de l'État baisseront en 2024 : 14 milliards d'euros seront économisés grâce à la sortie des dispositifs de crise.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.  - Ce ne sont pas des économies, c'est de l'affichage !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous économisons aussi 350 millions d'euros sur la politique de l'emploi et 500 millions d'euros sur la politique de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Ces économies sont ciblées : pas de grands coups de rabot...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Allez !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - ... qui seraient contreproductifs en amoindrissant nos recettes.

Nous n'augmentons pas les impôts.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Ce sera l'an prochain !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances.  - Hélas !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous ne changeons pas de cap, car notre politique produit des résultats.

Nous nous sommes également accordés sur le financement de la transition écologique, pour 10 milliards d'euros supplémentaires. Vous avez soutenu le budget vert pour les collectivités territoriales et les opérateurs.

Je suis convaincu que nous n'atteindrons notre trajectoire de baisse des émissions qu'avec une boussole commune. Vous avez été favorables à des choix politiques ambitieux : sortie du gazole non routier (GNR), taxe sur les gestionnaires d'infrastructures, malus sur les véhicules polluants, accompagnement du nouveau modèle agricole.

Vous avez aussi conservé nos grandes orientations en faveur de l'emploi et de la croissance : suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et nouveau crédit d'impôt pour l'industrie verte. Nous nous sommes retrouvés sur le soutien à nos grands services publics au travers des budgets de l'éducation, des armées et de la justice, et vous avez validé les grandes orientations de politique fiscale comme le pilier 2, qui permettra une imposition minimale des sociétés à 15 % dès le 1er janvier 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et la Fifa, c'est de la justice fiscale ? Allô !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - La France a été leader dans cette initiative.

Vous avez voté l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, un manque à gagner de 6 milliards d'euros pour l'État, au profit de 18 millions de foyers.

La lutte contre la fraude est une mesure de cohésion sociale

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Pas moins de 250 agents supplémentaires y seront affectés. Nous renforçons nos techniques d'enquête sur internet et les sanctions contre les fraudeurs.

Vous avez aussi fait de très nombreuses propositions...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Pour quels résultats ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - ... que nous avons retenues. Au cours de nos 150 heures de débat, les sénateurs ont proposé 3 760 amendements, dont 663 ont été adoptés.

Mme Frédérique Puissat.  - Pour rien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Contrairement à ce que j'ai pu entendre, nous vous avons écoutés ! (Protestations et vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Thomas Dossus s'en amuse.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Que dalle ! C'est de la provocation !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Ce texte est riche de nos débats. Dans le 49.3, nous avons retenu 120 amendements. (Exclamations redoublées sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Loïc Hervé.  - Ce n'est pas beaucoup !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Un record historique.

D'abord des amendements transpartisans : prolongement de la garantie de l'évolution de dotation particulière « élu local » (DPEL) pour les communes nouvelles - chère à Françoise Gatel -, gel de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) outre-mer, augmentation de l'objectif d'incorporation d'énergies renouvelables dans les gazoles pour le calcul de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert).

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - C'est pour qui, tout ça ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué, rapporteur général.  - Des amendements de la majorité sénatoriale et du rapporteur général : taxe sur les plateformes de streaming, aménagement de l'éligibilité des fonds de capital d'investissement aux dispositifs d'apport-cession - porté par Christine Lavarde -, aide aux départements du Nord et du Pas de Calais.

Des amendements du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : ajustement des règles de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) en cas de fusion d'EPCI - porté par Thierry Cozic -, suppression du critère de potentiel financier dans la DPEL - portée par Éric Kerrouche.

Des amendements du groupe Union Centriste : dégrèvement en faveur des logements ayant fait l'objet de travaux de réhabilitation, fonds de compensation des pertes de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) - porté par François Bonneau -, bonification de la dotation de solidarité rurale (DSR) des communes classées France Ruralités Revitalisation (FRR) - portée par Bernard Delcros.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - À chacun, une sucette !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Des amendements du RDPI : exonération des aides versées aux entreprises touchées par la crise de l'eau à Mayotte, soutien au département de Mayotte et au syndicat de gestion de l'eau - portés par Thani Mohamed Soilihi.

Des amendements du groupe CRCE-Kanaky, comme la suppression de la redevance d'eau dans le calcul du coefficient d'intégration fiscale des communautés de communes - portée par la présidente Cukierman.

Des amendements du GEST, comme le doublement du montant des amendes prononcées par l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires -  porté par Ghislaine Senée.

Des amendements du groupe Les Indépendants, comme le renforcement de l'assouplissement des règles de lien des taux d'impôts locaux - porté par Emmanuel Capus.

Je pourrais continuer cette énumération... (Vives exclamations sur toutes les travées)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Continuez !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je préfère parler des mesures anti-abus sur les dons de sommes d'argent en nue-propriété et de la TVA sur les locations de biens meublés - portés par le groupe RDPI et le sénateur Rambaud - ; des 2 millions d'euros pour les épiceries solidaires - portés par le Président Mouiller, la sénatrice Micouleau, la sénatrice Canalès et le sénateur Lemoyne - ; du 1 million d'euros pour la lutte contre les scolytes qui menacent nos forêts - portés par la sénatrice Loisier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Il n'y aura bientôt plus assez de sénateurs !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous avons aussi avancé sur les collectivités territoriales, car nous vous écoutons.

Mme Françoise Gatel.  - Ah !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Ajustement des règles de la Tascom en cas de fusion d'EPCI - porté par le sénateur Cozic - ; neutralisation à 100 % de la réforme de l'effort fiscal en 2024 - porté par les sénateurs Sautarel et Cukierman - ; création de 15 ETP pour le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) - porté par le sénateur Capo-Canellas.

Tous les groupes sont concernés. Nous avons dialogué, écouté.

Nous avons aussi eu des points de désaccord. (« Ah ! » sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Si peu...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - D'abord la suppression de plusieurs missions : « Cohésion des territoires », « Plan de relance », « Immigration, asile et intégration », « Administration générale et territoriale de l'État » et « Avances à l'audiovisuel public ». Le Sénat a ramené le déficit sous les 3 %, mais c'est un trompe-l'oeil.

Vous avez augmenté les recettes de collectivités territoriales - de 3 milliards d'euros en première partie et de 200 millions d'euros dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales » - au-delà du 1,15 milliard d'euros déjà prévu dans le texte du Gouvernement. Nous voulons soutenir celles qui sont en difficulté et demander à celles qui se portent bien de participer.

M. Olivier Paccaud.  - Celles qui font des efforts !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous avons privilégié une sortie progressive des boucliers et vous proposons une rédaction de compromis avec un plafonnement à 10 % - c'est déjà un effort important pour les Français.

J'espère vous convaincre que nous vous avons écoutés.

Mme Christine Lavarde.  - Et la Fifa ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La CMP n'a pas abouti. C'est bien votre opposition au redressement des finances publiques qui l'a rendue impossible.

Mme Frédérique Puissat.  - Bravo !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Les dépenses nettes sont en hausse de 700 millions d'euros par rapport au texte initial. Où le Gouvernement a-t-il fait des économies ? (M. André Reichardt renchérit.) Le déficit s'est creusé de 2,4 milliards ! Pas un centime des 7 milliards d'euros d'économies proposés par le Sénat n'est conservé.

M. André Reichardt.  - Ce n'est pas bien.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Les aides sur l'électricité restent non ciblées. Celles qui portent sur l'apprentissage sont conservées, y compris pour les grandes entreprises. Aucun effort sur l'audiovisuel public, en dépit de vos annonces, monsieur le ministre. Les sous-budgétisations sont toutes réintégrées.

Ce même gouvernement qui invite le Parlement à proposer des économies ne les reprend pas quand le Parlement les vote. Ce jeu de dupes décrédibilise le monde politique et donc la démocratie. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Vous n'avez repris que les dispositifs que vous aviez vous-même transmis aux sénateurs... (M. Thomas Cazenave le conteste.)

Le Sénat a travaillé sérieusement durant 150 heures. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub et M. Thomas Dossus applaudissent également.)

M. Michel Canévet.  - C'est vrai !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Vous nous dites que la taxe streaming est un apport du Sénat, mais pourquoi ne pas avoir repris notre dispositif ? Vous avez réécrit un dispositif de trois pages, alors que je rappelle votre avis défavorable !

Mme Frédérique Puissat.  - Exactement !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - C'était un avis de sagesse.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Le peu qu'il reste des apports du Sénat relève non du ministre des finances, mais du ministre délégué aux collectivités locales -  je pense à l'aménagement des zones FRR.

Deux autres apports : la niche Airbnb, avec la réduction à 30 % de l'abattement fiscal sur les locaux meublés de tourisme.

M. Loïc Hervé.  - Quelle folie !

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Mais allez-vous l'appliquer ?

Je me réjouis aussi de l'affectation aux communes et aux départements de 100 millions d'euros de la taxe sur les autoroutes et les aéroports. La commission des finances souhaite être associée à la rédaction du décret d'application.

Les quelques « accords trouvés » sont des écrans de fumée, car l'exécutif s'exonère de toute validation parlementaire. Il n'y a eu aucun débat en séance publique à l'Assemblée nationale - ce qui n'est pas conforme à l'esprit de la Constitution (M. André Reichardt renchérit) - et les principaux votes du Sénat n'ont pas été conservés - sur le prêt à taux zéro (PTZ), sur les aides à l'électricité, sur le fonds d'urgence climatique, sur les dotations aux collectivités territoriales, sur les quotas carbone pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de province....

Le Gouvernement ne veut pas être constructif et revient sur des dizaines d'avis favorables que vous avez vous-même rendus ici, à ce banc.

Une voix à droite.  - C'est nul !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Quelle est donc la crédibilité de votre parole politique ?

M. Michel Canévet.  - Bonne question !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Vous revenez sur le bornage à trois ans des niches fiscales que nous venons d'adopter dans la LPFP, avec un autre 49.3... La trajectoire d'emplois de ce PLF fait fi de l'objectif de stabilité établi en LPFP. On n'y comprend plus rien !

Cerise sur le gâteau, vous introduisez dans le texte en nouvelle lecture des dispositions sans lien direct avec celles restant en discussion et qui n'auront donc été examinées par aucune des deux assemblées : réécriture du Madelin à l'article 5 quindecies, réforme de la TGAP à l'article 16 quater A, réforme de la compensation des compétences des régions en matière de formation professionnelle continue à l'article 25.

Le Gouvernement se laisse de plus en plus de marges fiscales, en violation des compétences parlementaires. Vous vous autorisez à augmenter de 1,9 milliard d'euros les accises sur le gaz et déplafonnez la taxe sur le transport aérien de passagers.

Vous réintroduisez l'article sur les reports de crédits, qui supprime tout plafond non pas pour 12, ni pour 37, mais bien pour 43 programmes ! Mais la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) impose un plafond par programme et une justification précise. C'est le principe même de l'autorisation budgétaire qui est ici piétiné.

L'article sur les fédérations olympiques est un condensé de tous ces défauts. (Plusieurs sénateurs Les Républicains renchérissent.)

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - C'est le paradis fiscal pour la Fifa ! Ni impôt sur les sociétés, ni cotisation foncière des entreprises (CFE), ni impôt sur le revenu pour ses salariés...

M. Loïc Hervé.  - Une honte.

M. Philippe Bas.  - C'est lamentable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Cette disposition n'a pas été examinée à l'Assemblée nationale et a été supprimée ici à l'unanimité. C'est une véritable provocation pour les Français.

M. Olivier Paccaud.  - Du mépris...

Une voix à droite.  - Carton rouge !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Monsieur le ministre, pourquoi cet aveuglement coupable et cet acharnement forcené ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Guislain Cambier applaudit également.)

M. Max Brisson.  - Très bien.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - La commission des finances a déposé une question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La CMP n'a pas abouti et le 49.3 a balayé la quasi-totalité des apports du Sénat.

Votre name dropping, monsieur le ministre, fait plaisir, mais pas illusion : 120 amendements retenus, sur 3 800...

Le déficit reste à 4,4 % du PIB. La dépense publique augmente de plus de 100 milliards d'euros par rapport à 2022. Nous aurions pu sortir du « quoi qu'il en coûte » : il faut calibrer autrement qu'au doigt mouillé.

Le Sénat vous a pourtant fait de nombreuses propositions d'économies, qui auraient permis de réduire le solde public de 0,3 point - compte non tenu des cinq missions non adoptées. Mon groupe déplore le rejet de certaines d'entre elles.

Nous devons rationaliser les niches fiscales - 40 % des articles de la première partie... Sur toutes les travées, nous avons rejeté la super niche fiscale de la Fifa.

M. Michel Canévet.  - C'est un scandale !

Mme Nathalie Goulet.  - Ses recettes se sont élevées à 4,6 milliards de dollars en 2022 ! Comment expliquerons-nous aux infirmiers et aux enseignants qu'ils devront payer leurs impôts ? La rupture d'égalité devant l'impôt est évidente.

M. André Reichardt.  - Impensable !

M. Olivier Paccaud.  - Des amateurs !

Mme Nathalie Goulet.  - D'autres mesures adoptées par le Sénat auraient dû attirer l'attention du Gouvernement, sur le PTZ, la taxe foncière du logement social, la fraude fiscale, les FRR, la redevance pour pollution diffuse, la taxe affectée aux chambres d'agriculture, l'abondement de la DGF, la taxe streaming, les crédits pour les scènes de musiques actuelles (Smac).

Compte tenu de l'échec de la CMP, nous voterons la question préalable.

Monsieur le ministre, nous avons travaillé dans des conditions détestables. Le Gouvernement n'est pas pour grand-chose dans les 3 800 amendements. Mais il faut travailler en amont...

M. André Reichardt.  - À quoi ça sert ?

Mme Nathalie Goulet.  - ... avec le rapporteur général et les groupes.

Vous avez montré de la bonne volonté pour avancer sur la fraude fiscale : prenons l'argent dans la poche des voleurs plutôt que dans celle des contribuables. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il y a un mois, l'approche du Gouvernement était la suivante : à l'Assemblée nationale, taisez-vous, au Sénat, cause toujours. J'aurais pu emprunter la formule du président Larcher, mais nous avons l'habitude de laisser la vulgarité à la porte de l'hémicycle. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Rémy Pointereau.  - Elle est de tous les côtés, la vulgarité !

M. Thomas Dossus.  - L'effort parlementaire paie peu. Rembobinons ce mauvais film d'un parlementarisme non pas rationalisé, mais piétiné. Lors des dialogues de Bercy, vous aviez annoncé le verdissement de la fiscalité. À l'époque, j'avais exprimé des doutes, tant nous n'étions pas à la hauteur de nos engagements. Mais 150 heures de débat n'ont permis aucune ouverture : taxation des comportements les plus polluants ou des plus aisés, tout a été balayé, avec le mépris habituel !

Le Parlement ne tient pas le stylo et le Gouvernement n'est pas guidé par le respect du débat parlementaire. Lorsque, par miracle, un amendement transpartisan survit, c'est un oubli... Vous avez refusé nos propositions sur le PTZ, les aides sur l'énergie, la DGF ou le financement des transports publics -  rien n'a trouvé grâce à vos yeux. La seule AOM gagnante est, comme toujours, Île-de-France Mobilités.

Cela dit, nous nous réjouissons des 250 millions d'euros pour aider les collectivités dotées d'un plan Climat. La persévérance de Ronan Dantec a fini par payer.

Je conclus avec un message de colère : monsieur le ministre, l'État n'est pas à la hauteur de ses obligations en matière d'hébergement. Des milliers d'enfants dorment dans la rue. Nous avons voté 6 000 places d'hébergement d'urgence, mais vous les avez supprimées d'un trait de plume. Vous dites sans cesse que les comptes se redressent, mais que valent ces paroles lorsque des gamins dorment à la rue ? Vous êtes le comptable qui a préféré laisser dormir des gamins dehors pour rassurer les banquiers : nous ne voterons pas ce budget. (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER et CRCE-K)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - C'est un peu excessif...

M. Éric Bocquet .  - Le débat budgétaire est un long chemin et le 49.3 son mur ultime.

La copie du Gouvernement prévoit 4,4 % de déficit, alors que le Gouvernement s'entête dans le solisme et supprime les apports des parlementaires. Le paradis fiscal accordé aux fédérations sportives internationales est contraire à l'esprit de Pierre de Coubertin : l'important c'est de participer, mais surtout pas au financement des services publics !

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Éric Bocquet.  - Le solisme budgétaire conduit à des erreurs matérielles. L'amendement de Ian Brossat remédiait à une injustice : le taux d'imposition devrait être plus favorable en louant à un travailleur qu'à un touriste en Airbnb. Le Gouvernement a annoncé que ce point serait modifié, au plus tard dans le budget pour 2025 et que d'ici là, il n'aurait pas vocation à s'appliquer... Imaginez un gouvernement qui fait fuiter dans la presse que la loi ne s'appliquera pas ! Ouvrez les yeux : tous les élus locaux réclament l'imposition des Airbnb.

Notre taxe sur les rachats d'actions, modeste avec son taux de 2 %, et son produit de 400 millions d'euros, irait trop loin pour le rapporteur général de l'Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve. Peu importe que les rachats d'actions aient doublé -  à plus de 20 milliards d'euros  - , que les États-Unis aient institué une telle taxe de 1 %. Il botte en touche et nous renvoie à la prime Macron. Le solisme budgétaire, au service des plus riches, fait fi des comparaisons internationales.

Notre taxe sur le streaming a été dévitalisée, en abaissant son taux de 1,75 à 1,2 %. Les multinationales en sont quittes pour la déstructuration de la création.

Les collectivités territoriales pâtissent également du solisme budgétaire : pas de fonds exceptionnel pour les catastrophes climatiques, un fonds de compensation de la baisse des DMTO pour les départements réduit à sa portion congrue - 53 millions d'euros -, une DGF sous l'inflation. Les collectivités territoriales ne sont pas à la fête.

Nous rejetons ce budget. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. Christian Bilhac .  - La CMP n'a pas été conclusive. L'examen de ce PLF a été marqué par le sceau du mépris, notamment pour le travail du Sénat, avec ses 150 heures de débat et ses 3 800 amendements. Certes, il revient à l'exécutif d'arbitrer. Mais enfin, il y a des limites !

L'exonération fiscale accordée à la Fifa est emblématique : elle a été rejetée par tous les groupes. Restent quelques amendements rescapés : l'augmentation du plafond de la taxe affectée aux chambres d'agriculture...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Ce n'est pas rien !

M. Christian Bilhac.  - ... et des dispositions en faveur de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Beaucoup de nos dispositions de seconde partie ont disparu, sur le logement des gendarmes ou la santé scolaire. Il nous reste la protection des cétacés, mais ni la régénération du réseau ferroviaire ni le chèque énergie. Les crédits pour l'expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée, l'Institut national du cancer, les maladies de Lyme et de Charcot ont disparu. Vous avez refusé 2 millions d'euros pour la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise).

Le texte retire 1,4 milliard aux collectivités territoriales par rapport aux propositions du Sénat. PTZ pour le neuf, aide d'urgence aux départements, fraction des quotas carbone pour les AOM, fonds d'urgence climatique : tout est supprimé ! Vous avez même supprimé des amendements pour lesquels vous aviez donné un avis favorable. (M. Thomas Cazenave le reconnaît.)

Saluons toutefois le maintien de nos propositions sur les FRR, les pourboires, l'imposition minimale et la taxe streaming, sans oublier le taux réduit de TVA sur les préservatifs. Mais toutes ces avancées ne sont que des pièces jaunes jetées avec mépris à la représentation nationale. À l'Assemblée nationale, avec le 49.3, c'est ferme ta gueule - pour ne paraphraser personne. Au Sénat, c'est cause toujours...

Le déficit se creuse de 2,4 milliards d'euros et vous bafouez le principe d'annualité budgétaire, en reportant massivement des crédits d'une année à l'autre.

Le RDSE ne votera pas la question préalable : c'est une question de principe. Mais ce n'est pas pour autant que nous n'avons pas de réserves, bien au contraire... (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-François Husson applaudit également.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Mes chers collègues...

Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains.  - Bon courage !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Le bouclier !

M. Olivier Paccaud.  - Avec le sourire !

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Le Sénat a adopté un texte, que notre groupe juge déséquilibré. (« Oh ! » sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Plus de politique du logement, plus de crédits pour le sport l'année des jeux Olympiques, plus de crédits pour la politique migratoire -  alors que la droite sénatoriale a fait de la radicalité son marqueur politique ces derniers jours. Des réformes fiscales de grande ampleur ont été adoptées, sans concertation ni étude.

Dès lors, le sort du texte à l'Assemblée nationale était écrit : il fallait rétablir les crédits essentiels, corriger les incohérences fiscales et revenir à un budget qui puisse être exécuté pour financer nos services publics, quand le texte issu du Sénat se contentait de messages politiques.

Le Gouvernement a donc mené un travail de réécriture. Je me réjouis que l'exonération fiscale pour les entreprises mahoraises ait été préservée, de même que les mesures pour les chambres de commerce et d'industrie.

Nous déplorons toutefois que nous ne puissions en débattre : nous ne voterons pas la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Quelques voix sur les travées du groupe Les Républicains.  - Dommage !

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Sénatrice depuis 2020, j'ai bien compris que les marges de manoeuvre des parlementaires sont réduites. Cela vaut pour le budget...

La réforme constitutionnelle de 2008 n'a pas mis fin au parlementarisme rationalisé : l'initiative gouvernementale demeure totale en matière de lois de finances. Cela dit, nous ne ressentons jamais de déception. Malgré des centaines d'heures de séance publique et des milliers d'amendements examinés, je n'ai pas eu le sentiment de perdre mon temps...

Ce moment est l'occasion pour nous, la gauche, de présenter nos propositions pour rééquilibrer l'effort en faveur des classes populaires et moyennes et pour engager le chantier de la transition écologique.

Le Sénat a joué son rôle. Nous avons amélioré le zonage de FRR. Nous avons tiré la sonnette d'alarme sur les budgets verts des collectivités. Nous avons pointé les incohérences de l'exécutif : la France est à l'euro prêt pour transformer une réduction d'impôt en crédit d'impôt pour les résidents des Ehpad, mais pas pour les transports de chevaux. (Mme Nathalie Goulet proteste.)

Après trois semaines de débat, cette dernière mouture est toujours aussi injuste et en décalage avec les attentes de nos concitoyens. Le texte a été remanié par le Gouvernement, via un énième 49.3. Or la fonction première du Parlement est bien de voter l'impôt !

L'article Fifa promet de multiples exonérations aux fédérations qui s'installeraient en France -  mais certaines sont loin d'être exemplaires.

M. Olivier Paccaud.  - C'est Noël !

Mme Isabelle Briquet.  - Cette vision est symptomatique : le rapporteur général de l'Assemblée nationale, lors de la nouvelle lecture, ne voulait pas revenir sur sa suppression. Pourtant, le Gouvernement l'a réintroduite, la jugeant sans doute fondamentale. (M. Laurent Burgoa ironise.) L'exécutif gouvernera-t-il ainsi jusqu'en 2027 ? La fiscalité doit être consentie par les parlementaires. L'attitude du Gouvernement envers le Parlement pose un problème démocratique.

Nous voterons la question préalable. C'est regrettable, mais c'est de la seule responsabilité du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une question : qui dans cette assemblée sait qu'à partir du 1er janvier, toutes les communes devront envoyer le budget douze jours avant la convocation du conseil municipal ?

M. Emmanuel Capus.  - Ceux qui ont suivi les débats !

Mme Christine Lavarde.  - Personne, sauf ceux qui ont assisté à notre débat. Voilà la différence entre une approche technocratique et pragmatique. Le Gouvernement a choisi la première, nous pensons que la deuxième est meilleure.

M. Olivier Paccaud.  - Le nouveau monde !

Mme Christine Lavarde.  - C'est pourquoi le Sénat a rejeté unanimement le paradis fiscal pour la Fifa.

Une idée toute simple pour améliorer la procédure parlementaire : abandonner les 70 jours, consacrer un jour à l'Assemblée nationale et un autre au Sénat et envoyer tous les articles au Conseil d'État. De toute façon, le rôle du Parlement se limite à une simple discussion générale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ce PLF s'affranchit de la LPFP, que la majorité a elle-même écrite grâce au 49.3. Il foule aux pieds le Parlement et même vos avis favorables, monsieur le ministre.

M. Olivier Paccaud.  - Circulez, il n'y a rien à voir !

Mme Christine Lavarde.  - Nos amendements avaient pour seul défaut de ne pas avoir été déposés par votre majorité. Je pense au non-assujettissement des locaux d'enseignement privé à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) : le ministre de l'éducation nationale y était favorable. Rien n'a été retenu du Sénat, hormis les amendements puisés à bonne source...

Seule exception : le FRR. Heureusement, car la ministre Faure avait travaillé sur le sujet pendant 18 mois... Même si on aurait pu en douter en raison d'un léger flottement en séance. (Sourires)

Il ne reste que des traces des amendements du groupe Les Républicains ou de la commission des finances. La taxe sur le streaming a été supprimée au profit d'une nouvelle rédaction. Ce n'est donc pas le texte du Sénat !

M. Michel Savin.  - Oh !

Mme Christine Lavarde.  - Le Gouvernement a partiellement entendu notre demande d'appliquer le principe « qui décide, paye » en matière d'exonération de taxe sur le foncier bâti : l'exonération des logements individuels sera à la discrétion des communes ; en revanche, celle des logements sociaux sera obligatoire. Certes, l'État a introduit un nouveau prélèvement sur recettes pour compenser les communes, mais pour combien de temps ? Chat échaudé... Les exonérations ont une durée de quinze ans. Les maires du Val-de-Marne défilaient la semaine dernière contre cette mesure...

Idem pour l'exonération de TGAP outre-mer, bien éloignée des ambitions sénatoriales, ainsi que pour la résidence secondaire des Français résidant à l'étranger - le Gouvernement a repris l'amendement du RDPI sur la résidence de repli.

Seules trois mesures du groupe Les Républicains ont été reprises, mais elles ne révolutionneront pas la fiscalité : l'aménagement de l'éligibilité des fonds de capital investissement aux apports-cessions, la déduction de TVA pour les véhicules de transport de chevaux et l'ajustement de l'écotaxe alsacienne.

Je n'ai pas cité l'amendement sur les locations de courte durée, car j'ai bien compris que c'était une erreur de navette... Dommage, c'était la seule mesure sur le logement de ce PLF. Exonération temporaire de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sur les dons pour l'acquisition et la construction de résidences principales ou pour les travaux de rénovation énergétique, remplacement de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt sur la fortune improductive, recentrage du PTZ sur le neuf : rien n'a été repris, alors que le secteur du logement va mal et que 150 000 emplois sont menacés. La fiscalité du logement est incohérente et inégalitaire, mais la future loi voit son périmètre se réduire constamment.

Le Sénat avait proposé 7 milliards d'euros d'économies : ce n'étaient pas des coups de rabot à l'aveugle !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Eh non !

Mme Christine Lavarde.  - Pis, le déficit de l'État se creuse de 2,5 milliards d'euros, les dépenses publiques augmentent, les recettes fiscales aussi, avec le relèvement des accises sur le gaz, par arrêté. Vous l'avez caché !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je l'ai dit ici.

Mme Christine Lavarde.  - Oui, mais combien de personnes nous écoutent, malheureusement ? Cela pèsera sur le budget des ménages, alors que le Sénat voulait épargner les plus fragiles. Dans votre introduction, vous avez osé évoquer la justice fiscale...

M. André Reichardt.  - Ce n'est pas bien !

M. Olivier Paccaud.  - La Fifa !

Mme Christine Lavarde.  - En 2022, nous étions le pays le plus taxé de l'OCDE, avec des recettes fiscales à 46,1 % du PIB.

Le déficit risque de se creuser, car le Gouvernement n'a pas modifié son hypothèse de croissance, alors que les dernières estimations s'écartent de la cible. Ce PLF devait être un retour au sérieux budgétaire, selon Bruno Le Maire. C'est complètement raté !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Il est où ?

Mme Christine Lavarde.  - Vous vous donnez tous les moyens de ne pas revenir devant le Parlement. Le relèvement des plafonds de report de crédits - pour 43 programmes ! - est un déni de notre rôle.

Le groupe Les Républicains votera cette question préalable et se mettra dès demain au travail pour contrôler l'action du Gouvernement : c'est désormais notre dernière prérogative ! (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Personne ici ne souhaite priver l'État de son budget... Le Gouvernement a donc engagé sa responsabilité pour faire adopter le PLF 2024, seule issue possible. Vouloir qu'il en soit autrement serait inquiétant...

Cependant, cette volonté ne doit pas dévaloriser les débats parlementaires. C'est grâce à ce même débat parlementaire que le projet de loi immigration a été enrichi. (Marques de stupéfaction à gauche)

Mme Monique Lubin.  - Ouf...

M. Hervé Gillé.  - Dépouillé !

M. Emmanuel Capus.  - Au cours de ce budget, nous avons débattu pendant 150 heures, avec plusieurs mesures fortes pour les collectivités territoriales. La commission des finances a été force de proposition pour réaliser des économies importantes. Mais une large partie de ces propositions n'a pas été retenue.

Mme Christine Lavarde.  - C'est un euphémisme...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Ah !

M. Laurent Burgoa.  - Très bien.

M. Emmanuel Capus.  - Je pense notamment à la mission « Travail et emploi ». J'espère que notre proposition d'économie de 600 millions d'euros sera retenue, pour un meilleur ciblage des aides, et donc de la dépense publique.

Le déficit est redescendu à 4,4 % du PIB, en phase avec la LPFP, mais loin de nos engagements européens. Il ne s'agit pas de subir un diktat bruxellois, mais de tenir notre parole. La dette publique reste à 110 % du PIB, ratio trop élevé. Réduire son poids est essentiel à la pérennité de notre modèle social. La croissance n'y suffira pas, il faut réduire les dépenses publiques pour préserver notre souveraineté économique.

Le Gouvernement aurait pu intégrer davantage de propositions du Sénat. Vous avez su conserver quelques points intéressants. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) C'est le cas pour le zonage FRR...

M. André Reichardt.  - Après négociation...

M. Olivier Paccaud.  - Encore heureux !

M. Emmanuel Capus.  - ... et la rénovation du patrimoine religieux, avec l'intégration des communes nouvelles dans le dispositif de souscription, voulue par le Président de la République et suggérée dans le rapport de nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon.

Mme Françoise Gatel.  - Absolument.

M. Emmanuel Capus.  - Traditionnellement, le groupe Les Indépendants ne vote pas les questions préalables. Ne nous privons pas de débat.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°I-1, présentée par M. Husson, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat ;

Considérant que les sous-jacents macroéconomiques sur lesquels repose le projet de loi de finances pour 2024 ne sont pas suffisamment réalistes, en particulier la prévision de croissance de 1,4 % du produit intérieur brut (PIB) pour 2024, deux fois plus élevée que celle du consensus des économistes, et qui sous-estime fortement l'effet du relèvement historique des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) ;

Considérant qu'aucun effort de maîtrise de la dépense publique n'est proposé dans le texte renvoyé en nouvelle lecture, qui présente un déficit de l'État dégradé de 2,4 milliards d'euros supplémentaires par rapport au texte initial, maintenant la France à des niveaux de déficits historiques, proches ou au-delà de 150 milliards d'euros par an, contre en moyenne 90 milliards d'euros par an avant 2020 ;

Considérant que, dans ce contexte, le Gouvernement, dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, n'a pourtant repris aucune des économies votées par le Sénat, qui totalisaient plus de sept milliards d'euros et permettaient d'engager le redressement des comptes publics de la France : ciblage des baisses d'impôt sur l'électricité, aides à l'apprentissage, réforme de l'audiovisuel public, aide au développement ou encore aide médicale d'État ;

Considérant ainsi que le Gouvernement n'a pas pris la mesure de l'effort à faire et des priorités d'action à fixer malgré la hausse des taux directeurs et l'accroissement massif de la charge de la dette qu'elle entraîne et entraînera dans les années à venir ;

Considérant qu'à l'heure où les autres pays de l'Union européenne ont, dans leur très grande majorité, engagé le nécessaire rétablissement de leurs comptes publics après la période de crise qui s'est achevée, la France est désormais identifiée comme faisant partie des pays de l'Union qui se signalent par leur mauvaise gestion budgétaire, caractérisée par les déficits et la dette publics parmi les plus élevés des États membres ;

Considérant que le seul apport significatif du Sénat, conservé par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en nouvelle lecture en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution est l'article 7 du présent projet de loi, pour sa partie relative à la création des zones « France ruralités revitalisation » ;

Considérant que le Gouvernement est, à l'inverse, revenu sur la quasi-totalité des apports du Sénat, y compris ceux pour lesquels il avait rendu un avis favorable en séance publique et ceux qui ne faisaient que traduire les engagements pris par ce même Gouvernement et votés dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ;

Considérant en particulier que le Gouvernement ne retient aucun des dispositifs fiscaux votés par le Sénat en faveur de la transmission de patrimoine et du logement, qu'il ne maintient pas le prêt à taux zéro (PTZ) en l'état sur tout le territoire, qu'il ne cible pas les aides pour l'électricité, qu'il supprime le fonds d'urgence climatique pour les collectivités territoriales, qu'il ne prend pas en compte les votes du Sénat sur les dotations aux collectivités territoriales, en particulier la dotation globale de fonctionnement (DGF) et l'aide d'urgence aux départements, et que, enfin, aucune fraction du produit de la mise aux enchères des quotas carbone ne viendra financer les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de province, dont le financement reste dans l'impasse ;

Considérant en conséquence, malgré la multiplication des déclarations du Gouvernement enjoignant les parlementaires à lui proposer des économies budgétaires, le peu de cas que celui-ci fait des plus de 150 heures de débat en séance publique au Sénat et des votes de notre assemblée, qui s'ajoute à l'absence quasi totale de discussion du présent projet de loi de finances par l'Assemblée nationale en séance publique ;

Considérant en particulier que cette procédure budgétaire dégradée conduit le Gouvernement à maintenir dans son texte, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, l'article 3 sexvicies, qui prévoit de très larges exonérations fiscales pour les fédérations sportives internationales reconnues par le Comité international olympique, alors même que le Sénat, seule assemblée ayant été en mesure de se prononcer sur cet article, l'a supprimé à l'unanimité, et que l'Assemblée nationale n'a jamais pu en débattre, et qu'il apparaît extrêmement fragile au regard des impératifs constitutionnels d'égalité devant l'impôt, l'avantage ainsi procuré apparaissant injustifiable ;

Considérant, de manière générale, la mauvaise qualité du texte transmis, qui présentait déjà en première lecture un nombre important de scories, d'erreurs et de doublons et qui comporte en nouvelle lecture de nouvelles incohérences, sur lesquelles le Gouvernement annonce d'ores et déjà qu'il compte revenir alors que le texte est encore en discussion ;

Considérant la persistance de pratiques de mauvaise gestion budgétaire qui portent préjudice à l'autorisation parlementaire, notamment les surbudgétisations récurrentes, auxquelles il n'est pas mis fin, la pratique des reports de crédits, qui n'est pas conforme à la loi organique relative aux lois de finances, ou encore la multiplication des articles transférant au profit de l'exécutif le pouvoir fiscal dévolu au Parlement ;

Considérant, enfin, au regard de ce qui précède, que l'examen en nouvelle lecture par le Sénat de l'ensemble des articles restant en discussion du projet de loi de finances pour 2024 ne conduirait vraisemblablement pas à faire évoluer le texte ;

Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 219 (2023 2024).

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - Je me suis déjà exprimé sur ce sujet. Monsieur le ministre, vous assumez la responsabilité des finances de ce pays, avec un grand absent...

Plusieurs voix à droite.  - Qui est-ce ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Pour le déficit, nous sommes le dix-neuvième pays sur vingt dans la zone euro.

Pour la dette, seules la Grèce et l'Italie sont derrière nous... mais ces pays remontent la pente, contrairement à nous. (On s'en désole à droite.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Et la crise ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - La crise concerne tous les pays !

Le Gouvernement prévoit une croissance de 1,4 %, contre 0,9 % pour la Banque de France. Je souhaite que le Gouvernement ait raison, mais la dynamique s'émousse.

On nous a beaucoup invités à dialoguer, lors des assises des finances publiques, lors des dialogues de Bercy. On demande aux parlementaires de faire 1 milliard d'euros d'économies...

Je vais vous donner la position du Sénat : arrêtez d'aller dialoguer à l'extérieur pour faire un fond de carte inutile ! C'est beaucoup de temps perdu. (On le confirme à droite.) Engagez un véritable dialogue avec l'Assemblée nationale. Au Sénat, sur le temps de débat, nous avons fait carton plein, mais pour un résultat décevant.

Je nous avais alertés sur notre responsabilité : nous sommes la seule chambre à avoir débattu du PLF 2024. Nous avons eu des échanges sereins, constructifs, dans une véritable ambiance de travail. Le signal du Gouvernement est regrettable.

Christian Bilhac l'a dit : il y a une sorte de mépris du travail du Parlement (M. Olivier Paccaud renchérit), mais aussi vis-à-vis des Français, qui trouvent votre manière de procéder aussi critiquable que dangereuse.

La Première ministre a fait deux annonces problématiques, hors du temps de débat au sein du Parlement : premièrement, la dotation supplémentaire de 53 millions d'euros pour les départements, sans qu'on en connaisse les détails ; deuxièmement, la suppression des redevances pour pollution diffuse, à l'issue de son entretien avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs à Matignon.

Mais lorsque j'ai proposé, à l'article 16 du PLF, la suppression de ce dispositif, que n'ai-je entendu ! J'avais rappelé le manque de concertation avec les élus locaux. Vous avez eu des propos relativement accusateurs à mon endroit. Cela dénote une certaine cacophonie au sein du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Avis défavorable. (On feint de s'en émouvoir à droite.) Comment enrichir un texte dans de telles conditions - 3 700 amendements ?

J'aurais aimé vous voir, monsieur le rapporteur général, aux dialogues de Bercy !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - J'étais en campagne sénatoriale.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Mme Lavarde, elle, y était... Ces dialogues de Bercy ont été utiles : nous avons repris des amendements qui en sont issus.

Avec 3 700 amendements, on ne peut restreindre nos échanges à ce moment dans l'hémicycle. Oui à un travail très en amont, où l'on puisse choisir certains sujets, pour échanger davantage. Il est matériellement impossible, en si peu de temps, d'examiner à fond autant de propositions différentes.

Mme Cécile Cukierman.  - C'est le travail de la démocratie.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - C'est la vérité !

Mme Christine Lavarde.  - Nous nous sommes vus au mois d'octobre !

Mme Cécile Cukierman.  - Supprimez la démocratie !

M. Pascal Savoldelli.  - Un contraste saisissant se fait jour. Le Gouvernement écrit le projet de loi Immigration sous la dictée du groupe Les Républicains.

M. Laurent Burgoa.  - Et alors ?

M. Pascal Savoldelli.  - Et là, le groupe Les Républicains se fait balader. Le Gouvernement ose écrire que la crise est « achevée »... Comment ? La crise est installée ! Elle est angoissante !

Cette motion montre que le Sénat est impuissant à peser sur la procédure budgétaire et que le Gouvernement est sourd à ses demandes. Elle montre aussi que la majorité Les Républicains est incapable de bâtir un budget alternatif solide. (Murmures désapprobateurs à droite)

Toutes les mesures de recettes nouvelles ont reçu un avis défavorable : augmentation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, taxe sur les rachats d'action, non et non...

Vous prétendiez améliorer le solde budgétaire de 0,2 point de PIB... Ce n'est dû qu'au cantonnement de la dette covid : un simple jeu de passe-passe, et un jeu de dupes !

La prolongation des niches fiscales coûte cher. Les profits des entreprises ne sont partagés ni avec les salariés ni avec la population.

Nous nous abstiendrons. Mettons fin au simulacre de la procédure budgétaire à coups de 49.3. La majorité sénatoriale propose un rejet du texte bien trop tard. Nous le proposions dès le début...

Le retour à la réalité est brutal. Vous aggravez la dette et le déficit, au profit de qui ? Des prêteurs, qui sont des profiteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. le président.  - En application de l'article 59 du Règlement, le scrutin public ordinaire est de droit sur la motion n°I-1.

Voici le résultat du scrutin n°108 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 306
Pour l'adoption 251
Contre   55

La motion n°I-1 est adoptée.

En conséquence, le projet de loi de finances pour 2024 est considéré comme rejeté.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)