Lutte contre les dérives sectaires (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires. La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville .  - Le 12 juin 2001, la loi About-Picard créait le régime juridique de la lutte contre les dérives sectaires, et le délit d'abus de faiblesse lié à un état de sujétion psychologique ou physique. C'est un acquis à préserver.

L'État doit aujourd'hui adapter son organisation et sa réponse pénale pour tenir compte des transformations du phénomène des dérives sectaires intervenues depuis.

Le Gouvernement est déterminé à mener ce combat et à venir en aide aux victimes. C'est tout le sens de la stratégie nationale diffusée en novembre dernier, qui comporte treize objectifs et quarante mesures opérationnelles - dont ce projet de loi.

Je serai claire : l'État ne lutte pas contre les croyances, les opinions ou les religions, mais bien contre les dérives sectaires. La République garantit la liberté de conscience : c'est l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nous y sommes profondément attachés. Mais l'État protège ses citoyens de ces dérives sectaires, qui menacent la cohésion sociale et font des milliers de victimes.

Dans son dernier rapport, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur les solutions miracles proposées par certains pseudo-thérapeutes contre les cancers, avec des injections de gui ou de jus de citron, voire des interruptions de soins. Or ces pratiques peuvent être très dangereuses. (Mme Nathalie Goulet renchérit.) Face à ces charlatans, nous ne pouvons laisser les victimes seules, nous devons les protéger.

Les dérives sectaires prennent de l'ampleur : les signalements à la Miviludes ont doublé depuis 2010. Les difficultés sociales et la crise sanitaire ont accru les vulnérabilités de certains de nos concitoyens - et ce n'est que la pointe émergée de l'iceberg.

Le phénomène s'est transformé en tirant profit du numérique, avec des gourous 2.0 fédérant de véritables communautés d'adeptes en ligne.

Citons aussi le développement préoccupant de la sphère complotiste, notamment à l'occasion de la crise du covid-19.

Face à ce constat, le Gouvernement a mené une large concertation en mars dernier. Je remercie Sonia Backès pour son engagement dans cette cause qui lui tient à coeur.

La stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027 est le fruit de ce travail. Elle comporte trois axes : la prévention, l'accompagnement de proximité des victimes, le renforcement de l'arsenal juridique.

Ce projet de loi vise à réformer le dispositif juridique actuel : il aura des effets importants tant sur la répression des auteurs que sur l'indemnisation des victimes. Nous proposons de créer deux nouveaux délits : à l'article 1er, le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ; à l'article 4, la provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins, ou à l'adoption de pratiques qui exposent manifestement à un risque grave pour la santé.

En effet, 25 % des signalements à la Miviludes concernent désormais la santé. Ma collègue Agnès Firmin Le Bodo détaillera ce second délit.

En sus d'un nouveau délit d'assujettissement psychologique et physique prévu à l'article 1er, nous avons proposé une circonstance aggravante pour plusieurs crimes et délits commis dans un environnement sectaire : meurtre, torture, actes de barbarie, violences, escroquerie, notamment.

Nous souhaitons renforcer l'accompagnement des victimes : les associations spécialisées pourront se porter partie civile, après une procédure d'agrément par l'État.

Nous prévoyons également une transmission obligatoire des condamnations et des décisions de contrôle judiciaire aux ordres professionnels de santé, pour faciliter les sanctions disciplinaires à l'encontre de praticiens déviants.

Enfin, les services de l'État, notamment la Miviludes, pourront être sollicités par les parquets ou les juridictions judiciaires pour les éclairer.

Le nouveau délit d'assujettissement physique ou psychologique doit permettre d'agir en amont de l'abus de faiblesse. Il ciblera l'embrigadement sectaire qui détruit des personnalités, coupe les personnes de leur environnement familial et ruine leur santé.

La disproportion entre le faible nombre de procédures engagées et la recrudescence des signalements doit alerter. Trop d'affaires sont classées sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée. Entre 2017 et 2022, seulement 95 condamnations sur 361 affaires instruites ! Ce n'est pas satisfaisant.

Il s'agit également d'améliorer l'indemnisation des victimes en reconnaissant mieux le préjudice qui résulte de l'altération de la santé psychologique ou mentale des personnes sous emprise sectaire. Les séquelles sont nombreuses : syndrome post-traumatique, dépression, perte d'autonomie, isolement social ou affectif extrême. En l'état, la réparation par les tribunaux est plus qu'aléatoire. Nous devons mieux protéger les victimes. Tel est l'ambition de l'article 1er.

Madame la rapporteure, vous avez enrichi le texte en commission : renforcement de la protection des mineurs, consécration de la Miviludes dans la loi, entre autres. Attachée au travail parlementaire, je salue ces évolutions qui complètent utilement le texte du Gouvernement.

Je remercie également Nicolas About et Catherine Picard, auteurs de la loi de 2001. Je salue aussi Georges Fenech, ancien président de la Miviludes, acteur central de ce combat, ainsi que les associations spécialisées. Ce texte marque une étape importante dans notre combat contre les dérives sectaires, un sujet qui nous rassemble, et qui nous concerne tous, car nous avons tous nos faiblesses et nos fragilités.

Le sage Sénèque disait, dans De la colère : « Tous les hommes ne sont pas vulnérables de la même façon. Aussi faut-il connaître son point faible pour le protéger davantage. » (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - La menace des dérives thérapeutiques et sectaires se diversifie à la faveur d'évolution de notre société mais aussi des difficultés de notre système de santé ou du développement du numérique. Les Français sont 70 % à avoir une image positive des pratiques non conventionnelles en santé (PNCS), alors que dans le même temps, le nombre de signalements à la Miviludes est passé de 214 en 2015 à 892 en 2021.

Ce constat appelle à mieux encadrer ces pratiques et à mieux réprimer les dérives les plus dangereuses. Le 28 juin dernier, j'ai installé un comité d'appui à l'encadrement des PNCS, rassemblant acteurs de la santé et société civile. Ses travaux serviront de base à l'information des patients, à l'évaluation, et à la formation des professionnels. Ce matin, un programme de travail a été établi pour 2024.

Mais nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat sur notre arsenal pénal, car des gourous continuent de sévir : les professionnels de santé sont impuissants face à des patients qui ont suivi les conseils irresponsables de charlatans, avec des conséquences dramatiques.

L'article 4 vise à réprimer la provocation à s'abstenir de suivre un traitement. D'aucuns estiment qu'il ne serait pas nécessaire au regard des incriminations existantes, notamment du délit d'exercice illégal de la médecine. Or ce délit ne concerne que le colloque singulier, et doit être réitéré pour être caractérisé : il ne couvre donc pas les discours en ligne ou dans le cadre d'un collectif. Idem pour les médecins déviants en exercice régulier. L'article 4 initial apportait donc une réelle plus-value.

Certains craignent qu'il porte atteinte à la liberté d'expression ou conduise à condamner tout propos s'éloignant du discours scientifique « officiel ». Nous prévoyons pourtant quatre critères cumulatifs : que les personnes visées soient atteintes d'une pathologie, que l'abandon du traitement soit présenté comme bénéfique pour la santé, que les conséquences pour la santé soient graves, que le risque pour la santé soit avéré au regard des connaissances médicales.

Circonscrite aux discours présentant un danger concret, la nouvelle incrimination ne saurait être considérée comme une interdiction de toute critique des traitements recommandés ou comme un obstacle à la controverse scientifique. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement visant à réintroduire l'article 4, encouragé par les ordres.

L'article 5 vise à faciliter les procédures disciplinaires des ordres, qui ne sont informés qu'à l'issue des procédures en appel, après de longs mois pendant lesquels les patients n'ont pas été protégés.

Je suis convaincue qu'il faut nous doter de nouveaux outils en matière pénale pour faire face à une menace d'un genre nouveau. Le Gouvernement a travaillé dans un esprit de responsabilité à une rédaction exigeante, dans le souci de ne pas porter atteinte aux libertés fondamentales. ?uvrons ensemble dans l'intérêt des patients.

Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements et « Bravo » sur les travées du groupe Les Républicains) Issu des assises organisées en mars dernier, ce texte poursuit une intention louable : lutter efficacement contre les dérives sectaires. Il marque un regain d'intérêt bienvenu, après des années de relatif désengagement.

Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les dérives sectaires a dix ans. Il n'a été suivi d'aucun effet. Pis, la Miviludes a été remise en cause. Les acteurs décrivent deux évolutions majeures : d'une part, le développement des réseaux sociaux ; d'autre part, les polémiques autour de l'épidémie de covid-19, avec une remise en cause du discours des autorités mais aussi des données scientifiques sur l'efficacité et les risques des traitements.

Plutôt que de renforcer les moyens de la justice, la formation des professionnels ou de mener une politique de prévention, le Gouvernement a opté pour de nouvelles dispositions répressives.

Mieux vaudrait avant tout d'appliquer les lois existantes et renforcer les moyens budgétaires et humains. Évitons les effets d'annonce et les solutions de façade pour des problèmes trop réels.

Le Gouvernement a maintenu certaines dispositions en dépit de l'avis négatif du Conseil d'État, qui a soulevé l'absence de nécessité de légiférer ou les risques constitutionnels.

La gravité du sujet et la difficulté à lutter contre des acteurs très organisés nous appellent à la responsabilité et à la vigilance. Depuis la loi About-Picard, le Sénat n'a pas dévié : inutile de légiférer si la nécessité n'est pas avérée, au risque de fragiliser l'arsenal pénal existant, et gare aux effets de bord de règles qui auront une portée générale.

La commission des lois a donc supprimé les articles 1er, 2 et 4. L'article 1er double des infractions existantes et risque d'entraîner des confusions dommageables s'agissant des violences faites aux femmes ou des violences intrafamiliales. En miroir, l'article 2 crée la circonstance aggravante de mise sous sujétion.

Bien que restreint dans sa portée depuis les critiques sévères du Conseil d'État, l'article 4, qui réprime les provocations à l'abstention ou à l'arrêt d'un traitement, demeure attentatoire aux libertés, sans garantie d'efficacité. Gare à ne pas discréditer notre cause en laissant les tenants des dérives sectaires se draper dans le manteau des libertés !

D'autres dispositions, en revanche, vont dans le bon sens. L'article 3 permettra aux associations de se porter partie civile plus facilement. Cela reconnaît leur rôle majeur.

L'article 5 renforce l'information des ordres professionnels sur les décisions judiciaires à l'encontre de leurs membres, ce qui facilitera les décisions ordinales.

L'article 6 octroie à la Miviludes le rôle d'amicus curiae en tant qu'expert dans les procès.

Enfin, la commission des lois a souhaité enrichir ce texte des recommandations des rapports parlementaires, notamment celui de la commission d'enquête de 2013. Nous avons doté la Miviludes d'un statut législatif, afin de l'inscrire dans la durée et de conforter sa vocation interministérielle, et de la protéger contre les procédures abusives.

Je m'étonne de l'absence dans le texte du Gouvernement de disposition pour réprimer les infractions commises en ligne. Nous avons donc renforcé les délits d'exercice illégal de la médecine, de pratiques commerciales trompeuses et d'abus de faiblesse dès lors qu'ils seraient commis en ligne ou au moyen de supports numériques.

Pour prendre en compte la situation des victimes mineures, nous avons prévu que le délai de prescription ne coure qu'à partir de leur majorité. Je remercie Nathalie Delattre, avec qui j'ai travaillé sur ce sujet tristement d'actualité.

Des amendements émanant de tous les groupes pourraient utilement compléter ce texte, notamment ceux de Martine Berthet, Corinne Imbert et François Bonneau sur l'exercice illégal de la pharmacie et de la biologie, et de Guy Benarroche sur le maillage territorial : j'émettrai un avis favorable sur ces amendements.

Nous aurons alors pu faire oeuvre utile sans créer ce qui existe déjà, mais en portant à leur terme des travaux parlementaires réfléchis et transpartisans. Je vous propose d'adopter ce texte complété par la commission des lois et expurgé de ses principales fragilités juridiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'actualité illustre la pertinence de nos travaux, avec un groupe sectaire exploitant des femmes sous couvert de tantrisme et un groupe nomade ayant enlevé un enfant, deux structures transnationales qui ont échappé aux radars des années durant.

La loi de 2001 procède du constat que de tels mouvements portent atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Faut-il rappeler, avec Lacordaire, que, « entre le faible et le fort, entre le pauvre et le riche, [...] c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » ?

Nous espérions un texte plus ambitieux. Les assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires annonçaient une feuille de route à dix ans. Elles avaient été précédées par de nombreux rapports parlementaires, dont celui de la commission d'enquête présidée par mon collègue de Vaucluse, Alain Milon.

Seulement voilà : j'ai l'impression que la feuille de route se réduit à la taille d'un confetti, du fait notamment du choix restrictif du Gouvernement de se concentrer sur la réponse pénale. Faut-il voir un lien avec le rattachement de la Miviludes au ministère de l'intérieur il y a quatre ans ? Je le pense et souhaite que le Gouvernement redonne à celle-ci l'interministérialité nécessaire. Je fais mienne la proposition de notre commission de lui donner un statut législatif.

Le renforcement matériel et humain de la mission est également plus nécessaire que jamais pour une prévention efficace de la menace sectaire, dans laquelle prédominent désormais les réseaux sociaux et des gourous 2.0 qui opèrent de manière souvent conspirationniste. À l'inverse, le Gouvernement abandonne l'accompagnement à la société civile, qui, bien qu'engagée, n'a pas nécessairement la compétence professionnelle nécessaire.

Il faut une législation spécifique contre les dérives sectaires. Le volet pénal, en particulier, doit être amélioré, car la loi de 2001 a montré ses limites. La Miviludes doit être informée dès l'ouverture du dossier lorsqu'une dérive sectaire est liée à une infraction ordinaire.

L'abandon de l'article 1er, qui crée une infraction d'abus frauduleux de la situation de faiblesse de personnes placées en état de sujétion, viderait de sa portée le texte. L'article 223-15-2 du code pénal resterait difficile à appliquer, et les victimes en pâtiraient.

Rappelons que cet article vise plusieurs catégories de personnes considérées comme particulièrement vulnérables : le mineur, la personne âgée, la personne atteinte d'une maladie ou d'une déficience physique ou psychique et la femme enceinte. La loi de 2001, votée à l'unanimité, a ajouté la catégorie de personne « en état de sujétion psychologique ou physique ». L'alinéa 2 de l'article 223-15-2 prévoit une circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise par un dirigeant du groupement à l'origine de la sujétion.

La difficulté à distinguer les personnes vulnérables par nature de celles dont la vulnérabilité est provoquée par les pressions d'un dirigeant du groupe abusif a été mise en évidence par des décisions de justice. Certaines exigent de démontrer une vulnérabilité préexistante, alors que la loi indique clairement que cet état peut être créé. C'est le déplacement de l'ancien article du code pénal du titre relatif à la protection des biens vers celui qui porte sur la protection des personnes qui a entraîné cette confusion. L'article 1er venait clarifier la situation des personnes assujetties en instaurant le délit autonome réclamé par ceux qui assurent leur défense.

Caractériser l'emprise sectaire suppose une dimension de groupe. Il s'agit d'une forme archaïque de gouvernement où le manipulateur cumule les trois pouvoirs. Il en résulte une toute-puissance légitimant la soumission de l'adepte. Je vous mets en garde contre l'édulcoration de la spécificité de l'emprise de groupe dans le texte en discussion.

Si les apports de la commission vont dans le bon sens, l'instauration de l'infraction de mise en état de sujétion ou d'assujettissement me paraît indispensable.

Ce projet de loi est un rendez-vous manqué : précipité, il n'est pas à la hauteur des enjeux. L'histoire d'Alex, jeune Anglais retrouvé après six ans d'errance, souligne la nécessité d'agir. Le Sénat a travaillé avec sérieux en commission et continuera en séance. Reste qu'il faut aller plus loin pour protéger les 500 000 adeptes de mouvements sectaires et les 80 000 enfants élevés dans un contexte sectaire, ainsi que ceux, plus nombreux encore, qui sont approchés chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Renforçant des dynamiques déjà à l'oeuvre, la crise sanitaire a accru l'utilisation des réseaux sociaux. Les algorithmes et les bulles des filtres fragmentent notre société. Les individus sont de plus en plus seuls, et la désinformation prospère comme jamais.

Les réseaux sociaux devaient nous réunir, mais ils nous isolent. L'arrestation récente de plusieurs responsables d'une secte de yoga à l'échelle européenne rappelle la réalité des menaces qui pèsent sur nos concitoyens. Nous devons renforcer le contrôle des mouvements qui abusent de la vulnérabilité des personnes, en commençant par accroître les moyens de la Miviludes.

La commission des lois a enrichi le texte par la création de circonstances aggravantes en cas d'utilisation de moyens de communication en ligne. Nous comprenons l'objectif de la rapporteure de ne pas ajouter de nouvelles dispositions à notre droit, mais craignons que certaines mesures soient insuffisantes. À l'instar des associations d'aide aux victimes, nous regrettons la suppression de l'article 1er, qui aurait donné la possibilité de condamner des actes échappant encore à la justice.

L'article 4 visait à mieux réprimer les dérives relatives aux médecines alternatives, alors que la Miviludes fait état d'une hausse importante des signalements dans ce domaine. La pandémie a libéré les détracteurs de la science, parfois même au sein de cette assemblée. Nous voulons croire que la suppression de l'article 1er a été motivée par les réserves du Conseil d'État plutôt que par les centaines de mails envoyés par les intéressés. Il faudra lutter contre ces dérives en matière de santé.

L'article 5 est une avancée : il est important que les ordres professionnels soient informés des dérives de leurs membres et puissent prendre des mesures à leur égard.

Dans un monde de plus en plus numérique, il est à craindre que les dérives sectaires ne continuent à prospérer. Nous devons accentuer la prévention pour protéger nos concitoyens vulnérables. Mais il faudra aussi adapter notre arsenal répressif pour que la justice puisse agir avant les drames.

Notre groupe soutient les objectifs de ce texte du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les dérives sectaires se multiplient, notamment du fait des réseaux sociaux. Cette menace a grandement évolué : aux groupes à prétention religieuse s'ajoutent des individus dans les champs de la santé, de l'alimentation et du bien-être. Le nombre de signalements est en hausse de 86 % depuis 2015.

Notre mission est de nous protéger d'individus qui mettent des personnes sous contrôle pour accaparer leurs biens. Derrière l'ouverture des chakras ou le traitement de la calvitie à base de jus de betterave, ils s'intéressent surtout aux comptes en banque : « tout bien que tu détiens est un lien qui te retient », font dire Les Inconnus à Skippy, le grand gourou...

Au regard des chiffres et des rapports, les mesures actuelles ne suffisent pas. Nous sommes face à une menace difficile à appréhender, protéiforme et discrète, qui s'abrite derrière la liberté de conscience pour isoler ses victimes. Nous devons doter l'État, nos magistrats et nos forces de l'ordre des outils juridiques adéquats.

Une réécriture plus fine aurait été préférable à la suppression des articles 1er et 3. Espérons que la navette permettra d'améliorer le texte.

Les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires se sont inquiétés du changement de tutelle de la Miviludes. Nous souhaitons que ce texte lui donne un nouveau souffle et qu'elle puisse mener des missions de prévention ambitieuses.

Si nous regrettons que le texte du Gouvernement ne traite pas du financement, mieux lutter contre les dérives sectaires est nécessaire, car nous avons du retard en la matière. Nous voterons ce texte, en espérant pouvoir l'enrichir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'affaire de ce jeune Britannique de 17 ans nous rappelle la réalité des dérives sectaires. Emprise psychologique, explosion de la cellule familiale, isolement social, parfois exploitation sexuelle : ces dangers sont peu pris en compte par les pouvoirs publics - la disparition de la Miviludes a même été évoquée.

Malgré les assises nationales du début de l'année et les nombreux rapports parlementaires récents, seule une ébauche de réflexion sur de nouvelles dispositions pénales transparaît dans ce texte pauvre.

Les dérives sectaires investissent de plus en plus les champs de la santé, du bien-être ou du coaching. Si l'escroquerie financière est toujours au coeur de ces pratiques, les dangers psychiques sont également importants.

Nous soutenons le statut législatif de la Miviludes pour conforter ses missions et saluons la prise en compte de la dimension numérique du phénomène. Des personnes vulnérables peuvent être convaincues par des margoulins des prétendus bienfaits de pratiques dangereuses pour leur santé : le Gouvernement doit développer des politiques de prévention.

Les associations sont un pilier de la lutte contre les dérives sectaires, et il est juste de renforcer leur reconnaissance.

Dans la lignée des travaux de Jacques Mézard et Alain Milon, nous déplorons les insuffisances d'un texte composé de petites mesures, qui n'agit pas sur les causes des phénomènes.

Je salue toutefois l'important travail de notre commission pour rendre plus efficace la lutte contre les dérives sectaires. Si cet équilibre est maintenu, le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pierre Ouzoulias .  - Les dérives sectaires sont augmentées par l'irrationalisme, la perte de légitimité des institutions politiques et scientifiques, le complotisme et l'idée que chacun pourrait se constituer sa propre vérité sans médiation ni vérification. C'est à raison que le Gouvernement considère ces processus comme particulièrement nuisibles à nos concitoyens, notamment en matière de santé.

À cet égard, nous regrettons que les dispositions proposées ne concernent que le code pénal et le code de procédure pénale, sans coordination avec le code de la santé publique.

Ce n'est pas le Conseil d'État qui écrit la loi, mais il est raisonnable de l'écouter pour le faire. Vous auriez dû entendre ses critiques sévères sur l'article 4, qui entraverait les libertés d'expression et académiques, ainsi que celle d'accepter ou de refuser un traitement médical spécifique. Il serait funeste qu'il soit réintroduit à l'Assemblée nationale, d'autant qu'il ne précise pas si les professionnels de la médecine sont concernés par le délit de publicité qu'il institue. Comment cette disposition s'articulerait-elle avec la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales ?

Comme le rappelait Alain Fischer, président de l'Académie des sciences, il est impérieux que la démonstration des effets thérapeutiques des médicaments respecte les droits des personnes participant à la recherche. Je regrette que les dérives constatées pendant le covid n'aient pas été plus rapidement sanctionnées.

Je déplore, comme la rapporteure, la précipitation de l'élaboration de ce projet de loi. Il eût été de bonne politique qu'il s'inspirât du rapport de Jacques Mézard...

Je comprends la commission des lois, qui a supprimé quatre articles. Elle a apporté quelques ajouts utiles, dont la reconnaissance législative de la Miviludes, préconisé par Georges Fenech en 2008. Il faut également renforcer ses moyens.

En l'état actuel du texte de la commission des lois, le CRCE-K votera le projet de loi.

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Daniel Chasseing et Mme Olivia Richard applaudissent également.) En décembre 2000, Envoyé Spécial présentait un document inédit sur la secte de Claude Vorilhon, alias Raël : après les drames de l'ordre du Temple solaire, le grand public découvrait ainsi les dérives de ce gourou.

Mais les dérives sectaires ne se limitent plus à des groupes pseudo-religieux : elles prolifèrent sur internet, sous couvert de discours aux allures de science alternative.

Le RDSE avait suscité en 2012 la création d'une commission d'enquête sur les mouvements à caractère sectaire dans le secteur de la santé, dont notre ancien collègue Jacques Mézard était le rapporteur. Son travail, toujours d'actualité, a été repris par la commission des lois. Se rendre compte qu'un rapport relativement ancien reste aussi actuel montre à quel point nous avons trop peu agi en dix ans...

Nous avons accueilli avec enthousiasme ce projet de loi, mais regrettons qu'il soit présenté en fin de session, après le marathon budgétaire, d'autant qu'il a été préparé dans un délai contraint et souffre d'une rédaction approximative. Le sujet méritait mieux.

Je pense aux articles 1er et 2, mais aussi à l'article 4, où vous proposez de réprimer la promotion de l'abstention de soins ou d'alternatives thérapeutiques dangereuses. Je regrette toutefois que la commission des lois ait fait le choix de supprimer ces articles : si le Conseil d'État avait souligné leurs insuffisances juridiques, il avait jugé incontestable la légitimité de l'objectif visé. Nous voyons dans ces suppressions un pas de côté regrettable - même si je comprends le manque de temps de la commission et salue le travail de la rapporteure. La navette pourra porter ses fruits.

Pour le reste, les apports de la commission nous satisfont. Je pense en particulier à l'article 2 bis, qui allonge le délai de prescription lorsque l'abus de faiblesse est commis sur une victime mineure. Je pense également à l'inscription au niveau législatif du statut de la Miviludes, conformément au rapport Mézard et aux préconisations de la commission d'enquête que j'ai présidée sur la radicalisation islamiste.

Si aucune des anciennes dispositions n'est rétablie, nous voterons ce texte, non sans regret au regard des enjeux. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur des travées du groupe UC et du RDPI)

M. Olivier Bitz .  - Je serai bref, car je sens qu'un autre débat est attendu... (Sourires)

Les dérives sectaires font des dizaines de milliers de victimes. Nos dispositifs législatifs ne correspondent plus à l'évolution de la menace : présence sur internet, extension des dérives au domaine de la santé... Je regrette que la commission des lois ait voté la suppression des articles 1er et 4, car il faut traiter plus en amont les dérives sectaires.

Les policiers spécialisés, les magistrats et les associations demandent ce texte. Nous y reviendrons plus en détail lors de l'examen des amendements. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.