Condamnés terroristes et lutte antiterroriste (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, présentée par M. François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues.

Explications de vote

M. Louis Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La menace terroriste reste forte : les attentats récents empêchent de l'oublier. Nous devons être vigilants face à une dynamique de radicalisation sur internet, par des individus isolés, souvent déséquilibrés et qui consultent des contenus faisant l'apologie du terrorisme.

De nombreux attentats ont été déjoués ; saluons l'engagement de nos forces.

Je reviens sur les apports parlementaires à notre droit pénal. La menace évolue, et notre droit doit s'adapter. C'est la force d'une démocratie et l'honneur du Sénat. Sans le travail de la commission des lois et de la délégation parlementaire au renseignement, sans certains travaux comme la proposition de loi de Philippe Bas et Marc-Philippe Daubresse, notre droit ne serait pas adapté à ce nouveau phénomène.

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite Silt, a démontré son efficacité. La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement en a pérennisé certaines mesures et renforcé la loi sur le renseignement de 2015.

Le texte sur lequel nous nous apprêtons à voter s'inscrit dans le même esprit. Il propose un meilleur suivi des personnes condamnées. Le juge doit prononcer davantage d'obligations de surveillance. Les terroristes les plus dangereux, y compris ceux qui souffrent de troubles psychiatriques, pourront faire l'objet d'une rétention de sûreté. Il pourra être dérogé aux durées de placement en centre éducatif fermé ou de rétention pour les mineurs radicalisés.

Sur la radicalisation en ligne, le constat est simple : notre droit doit s'adapter à la menace dans le respect des libertés publiques. Un délit de détention de contenu apologétique est créé à cette fin.

Le cadre constitutionnel reste toutefois notre seule boussole. La création de ce délit, bien qu'elle poursuive un objectif louable, risque la censure du Conseil constitutionnel, lequel a jugé que la détention de tels contenus ne suffit pas à déterminer la volonté d'agir. L'ouvrage devra être remis sur le métier.

Nous sommes favorables à l'aggravation des peines de provocation commises au sein des lieux de culte ou par des ministres de culte. Ils ne doivent pas être des facteurs de diffusion de la haine.

Nous partageons l'objectif d'éloigner les personnes dangereuses des grands événements, à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Il faudra cependant parfaire le dispositif au cours de la navette.

Le texte procède à plusieurs corrections. L'ouverture de nouveaux droits, comme la simplification du changement de nom, ouvre des brèches pour les terroristes. Le texte vise à y remédier : le procureur sera saisi par l'officier d'état civil en cas de demande par une personne condamnée pour terrorisme.

Cette proposition de loi est de nature à lutter plus efficacement contre le terrorisme tout en préservant la liberté des Français. Notre groupe la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI et du RDSE)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc-Philippe Daubresse applaudit également.) Le groupe centriste approuvera aussi la proposition de loi, pour deux raisons : une position de responsabilité et l'intérêt d'une boîte à outils.

Le terrorisme est toujours présent en France. Monsieur le ministre de l'intérieur et des outre-mer, vous avez brossé la semaine dernière un tableau de l'évolution de la menace. Le Sénat est dans son rôle quand il demande : « Avons-nous tout fait pour lutter contre le terrorisme ? »

Les mesures qui vous sont proposées sont issues du parquet national antiterroriste (Pnat) et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Nous les reprenons par souci de responsabilité. Le Gouvernement aurait tort de s'en offusquer ou d'y voir une critique. Proposer de nouvelles mesures en matière de lutte contre le terrorisme n'est ni un reproche indirect ni une mauvaise manière politique. Depuis 2015 et les mesures d'état d'urgence, la loi de 2017 et la loi de 2021, le Parlement n'a cessé d'agir.

J'en viens à la logique de boîte à outils. Tout ce qui supprime des angles morts dans la lutte contre le terrorisme est à prendre en considération, pour nos magistrats et nos policiers. La mesure de sûreté et la condamnation de la détention de contenus faisant l'apologie du terrorisme sont à saluer.

La menace a changé. Des personnes condamnées à de très lourdes peines et demeurées dans une idéologie radicale vont sortir de détention, et d'autres souffrant de troubles psychiatriques menacent de passer à l'acte. Nous ne voulons pas une justice prédictive, comme semblait le croire le garde des sceaux.

Monsieur le rapporteur, vous avez proposé d'objectiver la mesure de sûreté par une probabilité plus élevée d'une récidive ou la notion d'adhésion avérée à une idéologie radicale et d'exclure les mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles.

Vous avez proposé d'assortir la mesure de sûreté de garanties. Dans le cadre de la boîte à outils figure aussi la pénalisation de la détention de contenus faisant l'apologie du terrorisme. Que peut faire la société face à la détention de données à caractère terroriste, découvertes lors d'une visite domiciliaire ? À l'instant présent, rien. Il est raisonnable de judiciariser ces situations, pour avoir plus de moyens pour suivre les personnes concernées.

Le Conseil constitutionnel n'avait pas censuré en 2020 cette disposition, mais émis une réserve d'interprétation quant à la lourdeur des peines encourues. Monsieur le rapporteur, la navette serait l'occasion de réviser l'échelle des peines.

Mon groupe est réservé sur la portée du bannissement numérique, car on peut toujours créer des profils successifs. De même, l'interdiction de paraître dans les transports en commun est difficilement applicable.

Les deux mesures principales proposées au vote ne sont pas décisives, mais elles sont utiles. Reste à savoir si elles sont constitutionnelles... Vaste sujet ! Toute mesure restrictive de libertés doit être nécessaire, proportionnée et adaptée. L'évolution de la menace terroriste change la manière d'y répondre.

Les garanties proposées montrent le sérieux de la démarche.

Une société a le droit de se protéger. Le groupe centriste suit un fil conducteur de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) « Un État démocratique doit s'opposer à la barbarie du terrorisme en évitant d'affaiblir l'État de droit et le respect des droits de l'Homme. Ne pas réussir à trouver cet équilibre serait une victoire pour les terroristes » : voilà que disait l'ancien commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe.

L'État de droit n'est pas un obstacle, mais l'instrument de la lutte contre le terrorisme. François-Noël Buffet le rappelait la semaine dernière : il y a une ligne de crête entre efficacité des mesures et préservation des libertés. La menace terroriste est forte et protéiforme, mais le texte marque la dérive vers une surenchère répressive.

Nouveau régime de rétention de sûreté réservé aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale, enfermement des mineurs dans des centres éducatifs fermés, nouveau délit de recel d'apologie du terrorisme : voilà qui montre le basculement de notre hémicycle vers des mesures dont la proportionnalité et l'efficacité sont douteuses.

Nous partageons les constats des auteurs du texte et du rapporteur : imprévisibilité croissante des attaques terroristes avec les « loups solitaires », radicalisation croissante des mineurs. Mais aucune mesure du texte n'y répond ! La prise en charge des condamnés terroristes ne peut se faire au détriment des libertés des citoyens.

La radicalisation des mineurs ne peut s'appréhender par la surveillance sans accompagnement. Gérald Darmanin le rappelait : la moitié des personnes impliquées dans un projet d'attentat a moins de 20 ans, est isolée socialement et est psychiquement instable. Attaquons-nous à cette réalité ! Or ce n'est pas ce que fait ce texte. Une étude de l'Institut français des relations internationales (Ifri) de 2018 montrait que les actes terroristes étaient majoritairement perpétrés par des personnes sans antécédent judiciaire. Ce texte n'aborde pas ce sujet. Il n'évite pas non plus l'écueil d'une justice prédictive.

La notion d'un comportement qui « ne respecte pas les valeurs de la République » est trop floue. Il y a un risque d'arbitraire.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a souligné lors de l'étude de la loi de 2020 son inquiétude sur la croissance de mesures privatives de liberté, source inévitable d'arbitraire.

L'inscription de la peine complémentaire d'inscription au fichier pour l'interdiction de paraître dans les transports en commun pose question, car les personnels de ces sociétés n'y ont pas accès, et certains de ces employés eux-mêmes seraient concernés.

Rien dans ce texte, par ailleurs, sur la lutte contre le financement du terrorisme.

Nous dénonçons le manque de moyens humains pour le suivi psychiatrique en prison ou encore la gestion des signalements sur Pharos.

Cerise sur le gâteau, la réintroduction de mesures de la loi immigration avant leur censure par le Conseil constitutionnel. Les articles 9 et 10 reprennent ainsi des mesures de la loi depuis censurées. Nous y voyons une volonté idéologique et un entêtement, qui se doublent d'une attaque contre le rôle du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement n'avait d'ailleurs pas exprimé d'avis défavorable à notre amendement supprimant l'article 11.

Sur l'article 18, nous avions défendu un amendement essentiel contre les violences contre les biens ou les personnes, consolidant la jurisprudence du Conseil d'État. À la suite des manifestations de Sainte-Soline, le ministre de l'intérieur avait qualifié les manifestants d'écoterroristes. Notre groupe a toujours défendu les libertés associatives et syndicales. Il faut limiter l'arbitraire avec lequel l'État s'attaque à certaines associations et certains manifestants. L'État doit protéger ses agences, mais aussi le droit des manifestants de manifester en toute sécurité.

Toutes les colères, toutes les revendications doivent pouvoir s'exprimer. Les associations de désobéissance civile ne doivent pas être exposées à des décisions de dissolution arbitraires.

Notre groupe votera contre ce texte dangereux. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Ian Brossat .  - La lutte contre le terrorisme est une priorité absolue, indiscutable. Nous devons mettre en place des dispositifs efficaces pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Il ne faut pas céder au terrorisme. La société française a résisté de manière remarquable. Notre État de droit doit rester notre boussole.

Le contexte a évolué entre mardi dernier et aujourd'hui, par la décision du Conseil constitutionnel de censurer un peu moins de la moitié de la loi Immigration, comprenant plusieurs des mesures présentes dans le texte que nous examinons.

L'instrumentalisation du Conseil constitutionnel par le Gouvernement nous interpelle sur notre façon de faire la loi. Notre droit a été fait pour tous les temps, pas seulement les temps calmes : une société dans laquelle le droit prime est mieux armée.

Nous étudions une proposition de loi de lutte contre le terrorisme, mais qui contient des dispositions allant bien au-delà. La commission des lois a aggravé la situation. L'article 1er bis faisait de l'inconduite notoire l'objet d'un contrôle judiciaire. Désormais, c'est le non-respect des principes de la République, notion nouvelle dans le code pénal.

Je pense aussi aux articles 1er ter, 8, 8 bis, 15 bis et 15 quater : un quart des articles n'ont rien à voir avec l'objectif initial du texte.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois.  - Relisez la Constitution !

M. Ian Brossat.  - Le fond du texte traite essentiellement des moyens juridiques de prévention de la récidive. Notre arsenal juridique a considérablement évolué. De nombreux outils permettent de suivre les condamnés après leur sortie.

Les deux premiers articles ne contribuent pas à l'objectif d'efficacité. Ainsi, l'article 1er fragilise les autres dispositifs.

Les sortis de prison sont-ils irrécupérables ? Le monde carcéral est le talon d'Achille de notre lutte contre la radicalisation, et il manque considérablement de moyens. Attaquons-nous aux causes profondes du terrorisme, en renforçant la prévention de la radicalisation en prison.

Si nous souscrivons à l'objectif du texte, nous ne souscrivons pas à son contenu et voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER et du GEST ; M. André Reichardt s'exclame.)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le RDSE souscrit aux objectifs poursuivis et à l'essentiel des dispositifs proposés. Il faut adapter notre législation à la menace, même si durcir la répression sonne toujours comme un échec de la prévention.

Des dispositions de cette proposition de loi ne nous posent pas de difficultés particulières, comme la prévention de la récidive, l'aggravation de certaines peines liées aux actes terroristes ou l'allègement de la procédure d'achat sous pseudonyme pour des enquêtes.

Nous veillons cependant à l'équilibre entre État de droit et répression du terrorisme s'agissant de certaines dispositions. Ainsi, l'article 1er bis introduit la notion floue d'un comportement qui « manifeste qu'il ne respecte pas les principes de la République ». Certains collègues ont vu dans l'article 7 bis une forme de dérive privant les magistrats de liberté d'appréciation et pouvant témoigner d'une sorte de défiance à leur égard. L'article 11 réintroduit le délit de recel d'apologie du terrorisme, censuré en juin 2020 par le Conseil constitutionnel, selon lequel il portait une atteinte disproportionnée aux libertés d'expression et de communication ; certes, il est assorti dans ce texte de nouveaux critères, mais attention à ne pas créer une infraction fondée uniquement sur des soupçons.

Le RDSE réitère son attachement à un droit pénal des mineurs spécial et autonome. Évitons une judiciarisation à outrance des jeunes, à laquelle nous devons préférer des mesures éducatives et sociales. L'environnement des mineurs est prépondérant dans leur radicalisation.

L'État de droit garantit aux citoyens leurs droits et leurs libertés. Il est la force de la République. Je sais que la méfiance augmente envers les juges, dont les interprétations peuvent aller contre l'intérêt de certains, mais le respect des libertés constitutionnellement protégées relève de l'intérêt général. L'atteinte à ces principes est un point de non-retour !

La navette parlementaire devrait permettre une loi efficace et protectrice. Malgré ces réserves, le RDSE votera majoritairement ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Olivier Bitz applaudit également.)

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous avons tous reconnu l'importance de la lutte contre le terrorisme. Il y va de notre sécurité, mais aussi de la préservation de nos valeurs démocratiques.

Depuis 2017, nous avons considérablement renforcé nos moyens juridiques, judiciaires et administratifs pour contrer ce fléau. Grâce à l'action de nos forces de l'ordre et services de renseignement, nous avons prévenu de nombreux attentats.

Mais la menace reste prégnante, comme en témoignent les attentats d'Arras et du pont de Bir-Hakeim. La suppression de l'autorisation préalable pour l'enquête sous pseudonyme, l'interdiction de paraître pour les grands événements, la dissolution d'associations sont à relever.

La commission des lois a enrichi le texte. Je salue le travail du rapporteur (M. Marc-Philippe Daubresse apprécie) : le caractère suspensif de l'appel du ministre de l'intérieur sur l'annulation d'une Micas, la possibilité de prolonger une rétention administrative d'un étranger faisant l'apologie du terrorisme, l'information des préfets sur la prise en charge psychiatrique des radicalisés, la création d'un délit de recel d'apologie du terrorisme sont des avancées.

Le RDPI veut poursuivre la lutte contre le terrorisme dans le respect de l'État de droit. Nous avons ainsi salué les efforts du rapporteur pour un meilleur équilibre dans ce domaine.

Certaines dispositions restent toutefois insatisfaisantes. Ainsi, si la substitution du non-respect des principes de la République à l'inconduite notoire est un progrès, elle demeure trop floue. Le déclenchement d'une mesure de sûreté sur la base d'un simple critère de dangerosité et en l'absence de trouble mental médicalement constaté nous semble en contradiction très nette avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Nous voterons cependant cette loi de sécurité publique, en comptant sur la navette parlementaire pour l'améliorer. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jérôme Durain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le contexte est lourd : nous faisons face à une menace terroriste élevée, protéiforme. L'islamisme radical constitue le danger le plus immédiat, mais il ne faut pas sous-estimer l'ultradroite raciste, suprémaciste, accélérationniste. Notre groupe ne minore aucun de ces dangers.

Les modes d'action ont changé : si les menaces de masse existent toujours, la baisse de la capacité de projection des groupes internationaux laisse plus la place à des loups solitaires, individus manipulés par les réseaux sociaux et par l'instrumentalisation pernicieuse du contexte national et international.

Notre pays est une cible prioritaire pour nos ennemis. La France continue en effet de faire vivre ses valeurs -  de vivre, tout simplement ! Nous organiserons les jeux Olympiques et Paralympiques. Nous tenterons de résoudre les conflits les plus durs, parfois sans succès, mais toujours fidèles à notre idéal démocratique.

Dans les prochaines années seront libérés nombre de détenus pour terrorisme.

Les premiers signataires de cette proposition de loi, François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, ont joué un rôle de premier plan dans un épisode législatif récent...

Le groupe SER a maintes fois démontré son attachement à la lutte contre le terrorisme. Lorsque nous étions aux responsabilités, nous avons fait évoluer notre droit : en 2014, de nouvelles infractions ont permis la judiciarisation de personnes n'étant pas encore passées à l'acte ; en 2015, nous avons voté la loi Renseignement, en 2016, nous avons créé des peines complémentaires de suivi.

Plus récemment, nous avons voté la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) pour renforcer les moyens du renseignement.

Mais cette proposition de loi pose des problèmes juridiques - même si je sais que le risque d'inconstitutionnalité, concernant la loi Immigration, ne traumatisait pas la majorité sénatoriale...

L'original de la Constitution de la Ve République présenté dans notre salle des conférences est pourtant là pour nous rappeler à l'ordre. Comme le dit Xavier Bertrand, « Quand les responsables politiques chauffent tout le monde à blanc, vous risquez d'avoir une fin de mandat qui pourrait ressembler à celle de Trump. »

Notre Constitution n'est pas qu'un ouvrage dans une vitrine, c'est un des piliers de l'État de droit. Aussi, nous aurions apprécié disposer de l'éclairage du Conseil d'État (M. Patrick Kanner applaudit), notamment sur l'inconduite notoire questionnée sur tous les bancs ou l'appel suspensif sur les Micas.

Ce texte contrevient aux principes fondamentaux de notre droit pénal, foulant aux pieds la présomption d'innocence, le droit à la réinsertion, le respect de la vie privée et familiale, la non-rétroactivité du droit pénal ou le non-cumul des peines. L'enfer étant pavé de bonnes intentions, nous craignons que le résultat soit infernal.

Le ministre de l'intérieur a multiplié les avis de sagesse, tenant de faire comprendre que de nombreuses mesures devaient être retravaillées. Mais où est la sagesse du Sénat si nous adoptons des mesures faibles constitutionnellement ? La récente loi immigration devrait nous servir de leçon. Le groupe SER ne votera pas ce texte (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Marc-Philippe Daubresse .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le vote solennel par lequel nous allons nous prononcer sur ce texte met en exergue les nouveaux défis auxquels nous faisons face : l'année dernière, la France a été frappée par des attentats barbares, montrant notre vulnérabilité.

Depuis 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés dont une majorité sont encore radicalisés.

Parmi les 391 détenus actuellement condamnés pour terrorisme, une cinquantaine ont un profil inquiétant, voire des problèmes psychiatriques mal pris en charge. Ils restent à la merci d'un passage à l'acte soudain.

Le procureur national antiterroriste souligne le rôle des réseaux sociaux dans l'autoradicalisation, plus difficile à suivre en l'état du droit. La radicalisation croissante des mineurs pose aussi problème. La menace ne provient plus seulement de groupes radicalisés, mais aussi de loups solitaires radicalisés essentiellement sur les réseaux.

Une attaque terroriste, à plus forte raison au coeur de notre capitale ou contre un enseignant, appelle une réponse des plus fermes. Nous ne devons pas trembler et agir avec intransigeance. Nous le devons aux victimes et aux Français. Tandis que le monde aura les yeux rivés sur les JOP, nous devons donner aux services tous les moyens pour combattre efficacement l'hydre terroriste.

Cette proposition de loi est bienvenue et comble les lacunes du régime juridique actuel. Nous prenons la mesure de l'enjeu des mineurs radicalisés, en préservant l'équilibre entre protection des enfants et fermeté, avec des possibilités de rétention en centre éducatif fermé ou de placement sous bracelet électronique.

Nous tirons les conséquences de l'évolution de la menace en créant le délit de recel d'apologie du terrorisme, nourri par les propositions des acteurs administratifs et judiciaires antiterroristes. Nous avons réintroduit cette disposition en tenant compte des remarques du Conseil constitutionnel.

J'ai fait adopter plusieurs articles additionnels qui - je le dis aux collègues de gauche - ont tous un lien avec le texte...

M. Rachid Temal.  - Ah !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - ... respectant l'esprit et la lettre de la Constitution de 2008, qui s'impose à tous. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

On ne peut, disait le Président Larcher, remettre en cause le droit d'amendement légitime du Parlement par une interprétation rigoriste de l'article 45 de la Constitution... (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Rachid Temal.  - Cela n'a rien à voir !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - J'ai été constituant, j'ai voté cette modification de la Constitution, vous ne l'avez pas fait. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Rachid Temal.  - N'importe quoi !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Je remercie François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille de leur proposition de loi. Je salue les amendements d'André Reichardt, Jacqueline Eustache-Brinio, Hervé Marseille et Nathalie Goulet, qui ont renforcé l'efficacité de notre arsenal.

Je remercie le ministère de l'intérieur de son soutien constant et le garde des sceaux pour ses avis de sagesse - il est vrai qu'en matière régalienne, le Gouvernement devrait s'en remettre plus souvent à la sagesse du Sénat... (On apprécie à droite.)

M. André Reichardt.  - Bravo !

M. Marc-Philippe Daubresse.  - En commission des lois, nous avons garanti la constitutionnalité des mesures, en restreignant la rétention de sûreté aux condamnés à plus de quinze ans de prison et en recentrant l'infraction de recel d'apologie du terrorisme ; nous avons apporté différents correctifs, notamment sur le changement de nom ou l'information des autorités académiques.

Ce texte plus équilibré et plus complet tient compte des libertés publiques. Il appartient au Gouvernement de l'inscrire au plus vite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Marques d'impatience à gauche) Votons-le, pour relever ce défi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Ravier .  - Ce texte est un symbole de plus de l'affaiblissement de notre démocratie : que des demi-mesures calibrées pour passer sous les fourches caudines des juges du Conseil constitutionnel - lequel a déjà censuré une telle loi en 2020.

La démocratie représentative est bâillonnée (protestations à gauche), la menace terroriste prospère. Certains refusent toujours de nommer le mal : l'islamisme endogène, importé par quarante ans d'immigration massive.

Selon l'Ifop, 37 % des musulmans en France ont de la sympathie pour les Frères musulmans, l'attaque terroriste du 7 octobre est considérée comme un acte de résistance par 54 % des jeunes musulmans et 31 % des élèves musulmans ne condamnent pas tout à fait l'assassinat du professeur Dominique Bernard. Voilà la réalité de votre fumeux vivre ensemble !

Ce texte est un arsenal de soins palliatifs aux échecs du ministre de l'intérieur, incapable d'empêcher l'immigration en amont et de faire respecter les OQTF en aval.

Depuis 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés ; 400 sont encore incarcérés et on recense 462 détenus de droit commun radicalisés - autant de bombes à retardement ! Il faut assécher l'immense réservoir de candidats au djihad.

Mais quand le juge constitutionnel exige de la proportionnalité, dois-je rappeler que le principe de précaution a entraîné l'enfermement de 66 millions de Français durant le covid ? Et on ne pourrait pas imaginer des mesures de restriction de liberté pour 1 000 à 1 500 détenus radicalisés, sans parler les 5 300 fichés S qui menacent la sécurité de nos compatriotes ? Combien faudra-t-il d'enfants poignardés (protestations à gauche) et de Juifs assassinés pour que les juges daignent protéger les Français ?

La mère d'Arnaud Beltrame l'a dit : il faisait passer la patrie avant tout ; il en avait marre du laxisme et voulait y mettre fin ! Alors, bougeons-nous à la hauteur de ce héros (Mme Émilienne Poumirol s'impatiente) et faisons vivre la France, une France française, forte et fière !

Scrutin public solennel

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°114 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l'adoption 235
Contre   92

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP et du RDPI)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - Je remercie le Sénat, le président de la commission des lois et le rapporteur pour ce texte important. Nous ne sommes pas favorables à toutes les mesures, mais nous pouvons nous entendre. Je forme le voeu que nous étudiions ce texte dont les services du ministère auront besoin pour les grands événements, notamment la cérémonie d'ouverture des JOP. Mon bureau est ouvert pour trouver le meilleur moyen d'y parvenir le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.