Avenir de notre modèle agricole

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir de notre modèle agricole, à la demande du groupe Les Républicains.

Je salue Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, dont c'est la première intervention au Sénat dans le cadre de ses nouvelles fonctions. Nous lui souhaitons le meilleur. (Mme Agnès Pannier-Runacher remercie.)

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Je ne suis pas d'accord avec le ministre de l'agriculture quand il dit que les problèmes de l'agriculture remontent à plus de trente ans. Ils se sont démultipliés depuis 2015, avec la loi d'avenir pour l'agriculture et la loi Biodiversité, caisses de résonance du triptyque : peur, culpabilité, interdits. Le tout amplifié, depuis 2017, par la loi Égalim, les zones de non-traitement (ZNT), les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), l'Office français de la biodiversité (OFB)... C'est votre politique qui a conduit les agriculteurs dans la rue !

N'en déplaise à la gauche qui invoque un problème de revenu et de charge de travail, les agriculteurs ne demandent pas à travailler moins, mais à retrouver de la liberté pour travailler plus ! (M. Daniel Salmon le conteste.)

M. Jean-Claude Tissot.  - On ne vit pas dans le même pays...

M. Laurent Duplomb.  - Dans un « en même temps » schizophrène, marque de fabrique de la macronie, vous posez le bon diagnostic - concurrence déloyale, suradministration, normes abusives - mais n'apportez aucune solution. Le Premier ministre, qui flatte son public, promet de placer l'agriculture au-dessus de tout. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Sitôt les barrages levés, les ministres se relaient sur les médias pour apaiser la minorité qui les terrorise : rassurez-vous, rien ne changera !

La méthode est mortifère : on identifie l'erreur qu'est la surtransposition, et ses conséquences, mais, par lâcheté, on ne change rien ! Ne pas revenir en arrière se paiera « cash » : vous en serez comptables. Les annonces ne calmeront pas durablement la colère, car le mal n'est pas guéri.

Les solutions sournoises, comme faire du préfet le délégué territorial de l'OFB - disposition qui aurait dû être effective il y a deux ans, ne charmeront les paysans que peu de temps, et le réveil sera dangereux.

Les agriculteurs ne supportent plus cette stigmatisation, cette vindicte, ce harcèlement. Il faut donc agir vite et fort.

Arrêter la stigmatisation, cette folie française qui consiste à surveiller les agriculteurs plus que les dealers, c'est arrêter la plateforme de délation phyto-vigilance, employée par des ONG bien-pensantes pour dénoncer la moindre maladresse de l'agriculteur et transformer l'OFB en police religieuse de l'environnement. (M. Jacques Fernique secoue la tête.) Le procureur, pour éviter d'engorger les tribunaux, demandera aux agriculteurs d'accepter un compromis avec les parties civiles, c'est-à-dire de verser des dommages et intérêts aux ONG elles-mêmes. C'est sans fin - sauf pour les paysans !

Arrêter la suradministration, c'est arrêter le système de suivi des surfaces agricoles en temps réel (3STR), avec la prise de photos satellites deux fois par semaine ! (M. Michel Savin renchérit.) Épié par les satellites, l'agriculteur qui laboure une terre argileuse avant le 15 février sera pénalisé, alors qu'il agit par bon sens, et d'expérience !

Arrêter les surtranspositions, c'est accepter de revenir en arrière : si vous ne revenez pas sur l'interdiction de la cinquième famille des néonicotinoïdes, ce sera la fin de la betterave en France. (Protestations sur les travées du GEST) Puis ce sera au tour de la pomme et de la poire, quand on aura interdit le spirotétramate ! Les Polonais, eux, continueront d'inonder le marché, car l'acétamipride, autorisé chez eux, leur permettra de lutter contre le puceron cendré.

M. François Bonhomme.  - Et le balanin des noisettes !

M. Laurent Duplomb.  - Vous nous répondrez : clauses miroirs. Miroir aux alouettes ! Comment contrôler tous les interdits dans les produits importés ? Lisez mon rapport de 2020 sur le sésame bio importé d'Inde, qui contient plus de 5 000 fois la dose d'oxyde d'éthylène autorisée en Europe ! Nous interdisons ou réglementons 1 498 molécules, mais l'autocontrôle n'en cible que 450 au mieux. Un millier passe sous les radars ! Et combien de semaines aura-t-il fallu à l'administration pour retrouver la méthode d'analyse de l'oxyde d'éthylène, interdit depuis 1992 ? (Mme Sophie Primas renchérit.) Vos contrôles aux frontières se limitent à un contrôle administratif des certificats et à un contrôle visuel. Qui peut croire que les clauses miroirs nous protégeront ? Le sucre ukrainien, dont les importations sont passées en deux ans de 20 000 à 700 000 tonnes, est produit à partir de betteraves traitées avec des néonicotinoïdes interdits chez nous, sans que l'on puisse en détecter la trace dans le produit fini. Cessons cette fumisterie, qui conduit à nous inonder de produits étrangers qui ne respectent pas nos normes ! Courir après un hypothétique changement de modèle conduit le pays à sa « faim » !

Redonnons de la liberté à nos paysans, madame la ministre. Acceptez de revenir en arrière : mes 42 propositions le permettent. C'est à ce prix que vous comprendrez, enfin, le mal-être paysan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées des groupes UC, INDEP et du RDSE)

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le 25 octobre, j'alertais sur l'épidémie de MHE (maladie hémorragique épizootique) qui frappe les éleveurs du Sud-Ouest. Après la grippe aviaire, le gel et la sécheresse, cette crise de trop a été à l'origine du grand mouvement de protestation parti de mon département de Haute-Garonne, mais la crise couvait depuis longtemps.

Depuis des années, l'agriculture française supporte un bashing permanent et la multiplication des normes et surtranspositions. Le Gouvernement a annoncé des mesures de compensation, dont le gel du gazole non routier (GNR), et de simplification. C'est bienvenu, mais il faut aller plus loin. Le projet de loi d'orientation et d'avenir de l'agriculture devra nous donner les moyens de retrouver notre première place européenne. Mettons fin au démantèlement de la ferme France !

Certaines mesures dites vertes partent d'un bon sentiment mais s'avèrent mortifères. L'écologie punitive qui ne sait qu'interdire ou supprimer n'a plus sa place. Cessons d'écouter les Khmers verts et les adeptes de la lampe à huile : la France a besoin d'une agriculture puissante qui produit et procure un revenu décent. Rendements et environnement ne sont pas incompatibles, à condition de faire confiance à la science. En autorisant l'utilisation encadrée des nouvelles variétés de plantes dites NBT, le Parlement européen reconnaît l'importance de l'innovation.

Que les hauts fonctionnaires déconnectés cessent d'empiler les réglementations et les surtranspositions qui créent des distorsions de concurrence au sein même de l'Union européenne. Quand celle-ci parlera d'une même voix, nous serons plus crédibles !

Que dire des programmes Écophyto ou Farm to Fork ? L'agriculture à zéro phyto relève du fantasme ! Il faut d'abord trouver des solutions de remplacements et s'adapter.

Cette crise structurelle révèle aussi les disparités géographiques de notre agriculture. Difficile d'adapter les textes sans différenciation territoriale : la hausse du GNR n'a pas les mêmes effets partout !

Revenons au pragmatisme écologique et administratif afin d'accompagner la transformation de nos exploitations.

Il faudra aussi revoir la copie sur la formation et l'installation des jeunes agriculteurs. Les seuils de rentabilité augmentent. Dans notre beau Sud-Ouest, il faudra regrouper les propriétés. Les chambres d'agriculture, trop timides, devront porter ce modèle.

D'ici à dix ans, un tiers des agriculteurs sera à la retraite. Facilitons la transmission, regroupons les exploitations pour donner aux jeunes les moyens de vivre leur passion. La France sans ses paysans ne sera plus la France : il est urgent d'agir pour retrouver notre souveraineté. (« Bravos ! » et applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.  - J'ai plaisir à vous retrouver sur ce sujet de l'agriculture. Je reprends à mon compte certains éléments de l'intervention de Pierre Médevielle. Vous avez raison : il n'est plus question d'écologie punitive, mais bien de concilier souveraineté alimentaire et transition écologique. Il y va de la qualité de notre nourriture, de la santé de nos agriculteurs, du bien-être des Français.

M. François Bonhomme.  - Une fois qu'on a dit ça...

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - C'est une politique fondée sur la science, qui investit dans la recherche, l'innovation, le transfert vers les agriculteurs.

Les règles européennes doivent être aussi proches que possible, et l'Europe doit savoir se défendre face à des productions qui ne respectent pas les mêmes contraintes.

La simplification, encore : les agriculteurs doivent se concentrer sur ce qu'ils savent faire, non se prendre dans un maquis complexe de réglementations. Notre ambition sera de simplifier. (M. Guillaume Gontard s'exclame ; on ironise sur quelques travées du groupe Les Républicains.) Un projet de loi sera prochainement présenté, et nous procéderons également à des simplifications réglementaires.

Enfin un service, France Service Agriculture, facilitera le renouvellement des générations et les installations, dans leur diversité.

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe INDEP) Madame la ministre, je vous félicite pour vos nouvelles fonctions. (On ironise à droite.)

Il y a des agricultures - différents modèles en fonction des filières et des territoires, que je ne veux pas opposer.

Il y a néanmoins des fondamentaux : compétitivité, souveraineté, nécessité de produire pour des marchés et des consommateurs.

Or notre agriculture perd des parts de marché : nous importons 2,2 fois plus qu'en 2000 ; nous sommes devenus le sixième exportateur - nous étions deuxièmes en 2000. Notre déficit commercial général atteint 100 milliards d'euros en 2023, le deuxième plus gros de notre histoire.

Nous décrochons en matière de capacité productive, résultat de nos dépendances accrues et de notre perte de compétitivité. Nous sommes au pied du mur : il faut donner un nouvel élan à notre agriculture. Elle a besoin d'un choc de compétitivité et de simplification.

Trois chantiers sont prioritaires : d'abord, faciliter la transmission des exploitations agricoles. Un dispositif d'accompagnement des agriculteurs en fin de carrière doit être instauré, via des incitations fiscales et des prêts bonifiés.

Ensuite, la souveraineté alimentaire doit devenir un intérêt fondamental de la nation, afin que l'agriculture ne soit pas sacrifiée au nom d'autres politiques publiques. J'avais présenté un amendement en ce sens lors de l'examen de la proposition de loi Ferme France. Il faut appliquer les lois Égalim et contrôler la grande distribution.

Enfin, la compétitivité. Depuis vingt ans, on demande à l'agriculture de répondre à de nombreuses attentes sociétales et environnementales, sans lui en donner les moyens. Un choc de simplification s'impose : les normes franco-françaises ont créé des distorsions de concurrence. Tenons-nous en aux normes européennes.

Il faut une véritable complémentarité entre énergies renouvelables et agriculture, sur la base d'un juste partage de la valeur. C'est une opportunité et un levier de résilience économique.

Faisons de notre agriculture un outil de souveraineté nationale, européen, mais aussi une force exportatrice et créatrice de richesses.

La prochaine loi d'orientation agricole devra promouvoir le redressement de notre agriculture, madame la ministre ; nous serons à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Ludovic Haye applaudit également.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le pacte d'orientation pour le renouvellement des générations contient des mesures fortes. La garantie de l'État permettra de déployer jusqu'à 2 milliards d'euros de prêts pour les jeunes agriculteurs. Nous sommes en train d'expertiser le prêt bonifié. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoira une exonération des plus-values sur les droits de succession. Le Premier ministre a également évoqué l'exonération de droits de succession et de donation en cas de transmission de biens ruraux en bail à long terme ou de part de groupements fonciers agricoles.

Nous accompagnerons la montée en charge de France Services Agriculture avec l'augmentation de la taxe affectée installation-transmission, de 20 millions d'euros au moins en 2025.

Nous procèderons à des simplifications dans le prochain projet de loi d'orientation agricole et par règlement.

Nous souscrivons à l'objectif d'une concurrence loyale, via les clauses miroirs, et voulons éviter les surtranspositions. Le partage de la valeur figurera également dans la future loi d'orientation.

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La colère des agriculteurs a révélé l'impasse du système actuel. (M. Laurent Duplomb proteste.) Le revenu agricole est le sujet central : en 2022, plus de 11 000 agriculteurs perçoivent le RSA, 40 000 la prime d'activité, avec un non-recours évalué à plus de 50 %.

L'avenir de nos agriculteurs dépend de notre capacité à analyser et à agir sur les causes de cette faible rémunération et des inégalités qui empêchent la transition vers un système équitable et durable.

Les lois Égalim n'ont rien changé : les industries agroalimentaires ont vu leurs profits augmenter de 132 % en un an, avec une marge de 48 % en 2023. L'amont agricole n'est pas en reste : selon la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le plan Écophyto, le secteur phytosanitaire réalise des marges indécentes. Ces acteurs doivent prendre toute leur part !

Le monde paysan est le plus inégal des univers professionnels, écrivait Thomas Piketty dans Le Monde : 10 % des agriculteurs gagnent moins de 15 000 euros, alors que les 10 % les mieux rémunérés dépassent 150 000 euros - dont nombre de dirigeants de la FNSEA. La moyenne est de 19 000 euros pour les éleveurs bovins, de 124 000 euros pour les éleveurs porcins. Ce système inéquitable, injuste et inacceptable est aussi un frein majeur à la transition.

Dernière inégalité : 16 % des Français déclarent ne pas manger à leur faim. La consommation alimentaire a chuté de 17 % en un an et demi, surtout celle des plus précaires, qui se tournent vers des produits importés de faible qualité, ce qui ne bénéficie ni à nos agriculteurs ni à l'environnement.

Libre-échange et pesticides ne sont pas la solution ! Pis, ils conduisent à un effondrement des écosystèmes dont dépend notre agriculture. Miser sur ces fuites en avant revient à nier la réalité.

Mme Sophie Primas.  - Ce n'est pas vrai !

M. Daniel Salmon.  - La pause dans le plan Ecophyto, le mépris de l'agriculture biologique ne répondent en rien à la crise du revenu agricole. Il nous faut plus de régulation des relations commerciales et des marchés, plus de protection face à l'importation de produits ne respectant pas nos normes, plus d'équité dans les aides et l'accompagnement des paysans. Ce n'est pas là de l'écologie punitive ! Nous devons assurer l'accès de tous à une alimentation de qualité, en instaurant une sécurité sociale de l'alimentation.

Quand le Gouvernement abandonnera-t-il ce système qui appauvrit la grande majorité des agriculteurs ? Attendez-vous l'extinction du dernier insecte, du dernier oiseau des champs ? Changer d'indicateur ne change pas la réalité. Ce que veulent les agriculteurs, c'est un juste prix pour leurs produits et ne pas tomber malade du fait des pesticides.

M. Laurent Duplomb.  - Vos agriculteurs !

M. Daniel Salmon.  - Ils ne veulent pas des printemps silencieux, ils veulent des printemps bruissant de vie ! (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER et CRCE-K)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Nous voulons tous une politique ambitieuse en matière de biodiversité. Les agriculteurs sont les premières victimes des produits phytosanitaires. Cela dit, examinons leur innocuité ou leur absence d'innocuité. La consommation des produits phytosanitaires qui ont un impact prouvé sur le cancer a baissé de 93 %. Il y a eu un mouvement. (M. Laurent Duplomb proteste.)

Il faut le bon thermomètre, fondé sur la science. (Protestations sur les travées du GEST)

M. Guillaume Gontard.  - Et les néonicotinoïdes ?

M. Daniel Salmon.  - On va casser le thermomètre !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Souveraineté alimentaire, revenus des agriculteurs et ambition écologique : il faut tout concilier. Telle est notre ligne.

M. Laurent Duplomb.  - Avec ça, on va aller loin...

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Nous mettons sur la table 1,3 milliard d'euros supplémentaires pour la transition écologique des agriculteurs. Nous poursuivons le soutien à l'agriculture biologique : encore faut-il que les Français et les cantines puissent acheter ces produits. (M. Daniel Salmon proteste.) Le code des marchés publics doit permettre d'acheter en circuits courts.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Nous multiplions les contrôles.

M. le président.  - Il faut veiller au respect du temps de parole. Pas trop de TVA ! (Sourires)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Nos paysans lancent un cri détresse. Le prix payé au producteur et le poids des normes pèsent sur le revenu agricole.

Le monde agricole subit des mutations depuis plusieurs années. Nous les voulons à la fois gardiens de la biodiversité, chefs d'entreprise, comptables, ingénieurs...

La concentration dans la filière agroalimentaire a exercé une pression insurmontable. Les agriculteurs vivent plus des aides que de leur production ! Cette concentration capitaliste pose la question de la transmission, car il faut davantage investir qu'auparavant.

On assiste à l'apparition d'une agriculture de firme, avec une hausse du salariat et de nouvelles formes de travail. Le vieillissement des agriculteurs pose la question de notre sécurité alimentaire - nous avons perdu cent mille exploitations en dix ans ! Les agriculteurs sont les premières victimes du changement climatique. Ils ont fait évoluer leurs pratiques. Il faut continuer à les accompagner.

Les traités de libre-échange imposent des standards inférieurs aux normes européennes. Comment garantir la pérennité des exploitations face au changement climatique et à la concurrence déloyale ? Comment aller vers modèle agroécologique permettant à chacun de se nourrir sainement ? Comment garantir un juste niveau de rémunération et un juste partage de la valeur ?

L'Union européenne s'est lancée dans des traités de libre-échange qui ne répondent pas à nos exigences sanitaires et sociales ; 80 % des fonds de la PAC sont attribués aux 20 % des agriculteurs les plus riches ; avancées contractuelles des lois Égalim 1 et 2 ont déçu les agriculteurs. Seule une remise en cause des rapports de force dans la chaîne de valeur changera la donne. L'État doit fixer un prix plancher.

Mme Sophie Primas.  - Plancher et plafond ?

Mme Marie-Claude Varaillas.  - Il faut une exception agricole aux règles de concurrence intra-européenne. Nous ne remettons pas en cause la PAC : au contraire, il en faut davantage, pour mieux protéger les agriculteurs et pour une alimentation de qualité.

Il faut rétablir les prêts bonifiés pour l'aide à l'installation, simplifier les procédures. Renforçons les effectifs des chambres d'agriculture et restaurons une administration déconcentrée avec de vrais moyens au service des agriculteurs.

Agissons contre la fragmentation du monde agricole et la délocalisation. Il est urgent de redonner de l'espoir au monde agricole, qui sera très attentif au futur projet de loi d'orientation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Vous avez cité de nombreux maux du monde agricole : revenus insuffisants, concurrence déloyale, normes, difficultés d'installation.

La PAC 2023-2027 prévoit des conditionnalités sociales. Nous avons une occasion historique de faire évoluer ces règles européennes. La présidente de la Commission européenne a évolué sur la question de la jachère. (M. Laurent Duplomb proteste.)

La souveraineté alimentaire européenne est clairement à l'agenda.

Les prêts bonifiés sont en cours de réexamen. La création de France Services agriculture offrira un point d'accueil unique, adapté à la diversité des territoires et des projets. (Mme Christine Bonfanti-Dossat s'impatiente.)

Pour concilier projet d'entrepreneur et transition climatique, nous proposerons des stress tests climatiques aux futurs agriculteurs.

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La colère des agriculteurs a enfin été entendue, mais ils n'ont pas été totalement écoutés. Pourquoi faut-il toujours attendre la fronde pour agir ? Nous ne découvrons pas les défis de l'agriculture, les suicides d'agriculteurs...

Cessons d'opposer les modèles entre agriculture conventionnelle et bio, réjouissons-nous de cette agriculture plurielle.

Notre agriculture est la plus saine au monde et nos paysans se sont engagés dans un modèle vertueux. Pourtant, la nation ne les récompense pas à leur juste valeur.

Grâce à leurs 120 propositions, j'espère que vous pourrez étoffer votre texte, madame la ministre. Vous avez votre feuille de route pour votre loi d'orientation agricole et pour la PAC.

Vous avez apporté des réponses dans l'urgence : ce sont des rustines. Ne confondez pas vitesse et précipitation ! Certes, nous ne pouvons pas imposer des normes plus contraignantes à nos agriculteurs, mais l'arrêt du plan Écophyto est un signal désastreux.

Les normes environnementales ne sont pas un obstacle, mais une réponse, qui doit être choisie et non subie. Donner le choix, c'est s'assurer de l'acceptabilité du monde agricole. Il faut encourager les agriculteurs dans leur engagement via des paiements pour services environnementaux (PSE). C'est la seule façon de répondre aux besoins d'une agroécologie tout en leur assurant un revenu décent. Irrigation raisonnée, coupe-feux, haies, cépages résistants sont autant de réponses à la crise climatique.

Il faut un diagnostic territorial, en fonction des enjeux, sans prendre les mesures environnementales pour cible.

Faisons le pari du consensus et d'une vision de long terme ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Oui, il faut valoriser les initiatives agricoles en faveur de l'environnement. Les agriculteurs jouent un rôle essentiel en matière de préservation de la biodiversité et de l'agroécologie. La PAC 2023-2027 promeut ces écorégimes, avec des paiements découplés, uniformes et annuels aux exploitants qui s'engagent à adopter de telles pratiques. Ainsi du bonus haies, par exemple. Nous voulons 1,5 million de kilomètres de haies à l'horizon 2050. Au total, 1,7 milliard d'euros sont consacrés à ces écorégimes.

Outre le volet formation et transmission, le projet de loi d'orientation contiendra un volet souveraineté et simplification.

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Les manifestations récentes nous obligent à rajuster notre modèle. Pour avoir une France fière de ses paysans et souveraine, il faut affronter le défi du juste revenu, de la transmission et de la transition environnementale.

Or le constat est sans appel : nombre de paysans ne peuvent vivre de leur travail. Le problème vient du détournement des lois Égalim. Il faut agir contre les fraudes, notamment en doublant les contrôles, avec 150 agents supplémentaires pour la DGCCRF.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Très bien !

M. Bernard Buis.  - Quel est le calendrier ? Faut-il créer des réseaux de contrôle européens ? Quid des centrales d'achat hors de France ?

Les négociations commerciales doivent être rééquilibrées. Comment préserver notre agriculture en vendant des fruits produits hors de l'Union européenne, avec des exigences environnementales moins élevées ? Jusqu'où souveraineté alimentaire et libre-échange sont-ils compatibles ? Nous sommes opposés au traité avec le Mercosur. En toute cohérence, ne faut-il pas renforcer les clauses miroirs, comme pour la volaille, les oeufs et le sucre ukrainien ?

Sur l'Europe, il ne faut pas se tromper de combat. Ne cédons pas aux sirènes europhobes et préservons les 9 milliards d'euros de la PAC !

L'échelle européenne est décisive, mais nous devons agir en France. L'État et les collectivités territoriales doivent être exemplaires et acheter français, selon des circuits courts. Il faut faire preuve de patriotisme agricole et alimentaire. Encore faut-il pouvoir compter sur les agriculteurs. C'est le défi de la transmission : selon Agreste, il y avait un million d'exploitations en 1988, 380 000 en 2022. La Drôme a perdu 18 % de ses exploitations, particulièrement dans l'élevage. Dans le Diois, nous avons perdu 30 % d'ovins !

Qu'est-ce qu'un métier attractif ? Certainement pas un métier physiquement éprouvant, où l'on travaille 70 heures par semaine pour un revenu modeste, avec des injonctions environnementales. Tout est lié : revenu, considération, concurrence, simplification.

Les aides-bergers sont embauchés de juin à septembre. L'agriculteur fait l'avance et les subventions arrivent avec douze mois de retard. Cela n'incite pas à poursuivre l'activité. De même, en cas de prédation sporadique par le loup, les pertes de brebis ne sont pas toujours aisées à recenser. Sur 97 brebis perdues par le groupement pastoral de Villaret La Pare, seules six ont été indemnisées.

Les agriculteurs seront des alliés pour la transition climatique. Erik Orsenna et Julien Denormandie posent la question de comment nourrir 68 millions de Français sans dévaster nos sols, notre biodiversité, notre santé et notre patrimoine, afin que la France reste le pays de la gastronomie.

Une voix à droite - Très bien !

M. Bernard Buis.  - Les agriculteurs ont su s'adapter. Aidons-les, au lieu de les délaisser. Favorisons la coopération pour créer un modèle agricole souverain et plus juste !

Dire qu'on aime les agriculteurs, c'est bien ; le montrer, c'est mieux ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Frédérique Puissat et M. Patrick Chauvet applaudissent également.)

M. Olivier Rietmann.  - Il y a du travail !

Mme Nathalie Goulet.  - Il faut des preuves d'amour !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - La question des contrôles me tient à coeur. Secrétaire d'État à Bercy, j'ai transmis un dossier sur la francisation des kiwis ; ministre déléguée à l'industrie, j'ai fait infliger une amende de 100 millions d'euros à une centrale d'achats.

Nous avons fixé un objectif de 10 000 contrôles en 2024 - sur les règles d'étiquetage, l'origine des produits, la restauration hors domicile, et depuis 2022, l'obligation d'indiquer l'origine des viandes porcines et de volaille, notamment.

La francisation fait souvent l'objet de pratiques trompeuses : je pense aux fruits et légumes, mais aussi aux vins.

Il faut agir au niveau européen et porter l'esprit d'Égalim à ce niveau. Vous avez mentionné l'Ukraine, je veux rappeler les avancées obtenues sur les oeufs, la volaille et le sucre. (M. Laurent Duplomb s'exclame.)

Mme Nathalie Goulet.  - Cela va nous consoler !

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Faisons en sorte que l'agriculture n'évoque pas que la sueur et la souffrance, mais aussi le désir !

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Souveraineté, autonomie, transmission, dérèglement climatique... Nous débattons de l'avenir de ce modèle, et aurons à examiner prochainement une loi d'orientation agricole.

L'avenir passera par une formation agricole à la hauteur des nouveaux enjeux. Au-delà de la création d'un bachelor agricole, il faut créer une agrégation propre, assurer la pluralité des équipes pédagogiques et dégager des moyens supplémentaires pour les expérimentations.

Il y a aussi l'enjeu des installations, dans un contexte de renouvellement des générations. L'idée d'un guichet unique est positive, mais il faudra aussi accompagner des installations hors cadre familial. Nous réclamons depuis des années une grande loi sur le foncier agricole. Il faut donner plus de moyens aux Safer, tout en renforçant la transparence des transactions pour lutter contre les agrandissements excessifs et contre la mainmise de certaines sociétés privées.

Nous voulons une commission d'enquête sur le revenu agricole, avec des données actualisées. Les agriculteurs veulent avant tout vivre de leur production. Malgré les lois Égalim, la question répartition de la valeur ajoutée n'est toujours pas résolue. On peut citer les difficultés de l'agriculture biologique. (M. Laurent Duplomb s'exclame.) Selon l'UFC-Que Choisir, les surmarges des distributeurs atteignent 46 % du « surcoût du bio » !

L'idée d'un Égalim européen est intéressante, mais nécessiterait une coordination pour assurer les contrôles et les sanctions.

La France doit porter un plafonnement des aides de la PAC, pour plus de justice sociale, et surtout proposer des aides contracycliques, comme aux États-Unis.

Il faut accompagner les agriculteurs dans la transition de notre modèle. Agriculteur pendant vingt ans, je sais que les injonctions ne sont pas toujours faciles. Il faut accompagner la transition agroécologique : il y va de la santé des agriculteurs et de la biodiversité. Le succès des mesures agroenvironnementales et le nombre d'installations en bio témoignent de cette volonté de changement, mais l'État doit suivre, avec des moyens suffisants. (M. Laurent Duplomb s'exclame.) Il faut également rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs via les PSE.

Bien que le crédit d'impôt remplacement ait été amélioré, nous appelons à une prise en charge à 100 %.

Enfin, les accords de libre-échange seront au coeur des débats. Nous demandons des clauses miroirs sur les aspects environnementaux et sociaux. Les négociations doivent être claires et la France doit être ferme pour ne pas accepter un accord dangereux pour nos agriculteurs.

L'avenir de notre modèle passe par des exploitations à taille humaine, une juste rémunération, la révision de la PAC et l'accompagnement vers une indispensable transition.

Madame la ministre, j'espère que vous entendrez nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - La loi Descrozaille prévoit la remise d'un rapport sur les marges, particulièrement celles des produits bio. Selon les premières remontées, il n'y a, a priori, pas de surmarge sur les produits sous signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo) : le taux est le même, même si le montant est plus élevé, car le prix de base l'est aussi.

Nous voulons favoriser l'installation de nouveaux agriculteurs, faire connaître ces métiers et renforcer leur attractivité, ce qui suppose de travailler sur le cursus de formation. Le budget de l'enseignement agricole augmente de 10 % en 2024.

Sur le foncier, des groupements fonciers agricoles investisseurs (GFAI) existent, de même qu'un fonds Entrepreneurs du vivant de 400 millions d'euros, dont une première tranche de 70 millions d'euros sera déployée prochainement.

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre nation a une longue histoire d'agriculture prospère. « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », disait-on ! Mais la France n'est plus ni le grenier à blé de l'Europe, ni le deuxième exportateur mondial. On est passé de 1,2 million d'exploitations agricoles il y a cinquante ans à moins de 440 000.

J'ai entendu quantité de promesses, mais la crise est toujours là. Alors que 20 % des agriculteurs français sont sous le seuil de pauvreté, ils souhaitent vivre de leur travail. Il y a un an, le Sénat vous avait déjà alerté : vous nous promettiez alors une grande loi, mais vous avez finalement attendu que la marmite déborde.

Nous devons apporter une réponse multiple : renouvellement des générations, baisse des charges et de la fiscalité, compétitivité internationale, transition écologique. Le vieillissement est un défi majeur, alors que la transmission implique un fort coût fiscal pour les héritiers.

Les agriculteurs font face à des charges importantes - coûts de production, matériel, salaires - et à une fiscalité complexe. Leur revenu ne doit pas être la variable d'ajustement de la compétitivité.

Une petite musique vitupère notre modèle agricole. En 2017, le Président de la République défendait la montée en qualité, l'orientation vers des marchés de niches plus rémunérateurs. Mais telle Perrette, les gouvernements successifs ont trébuché sur les réalités. Les agriculteurs français doivent produire de manière compétitive et s'intégrer au marché mondial. Il est possible de nous protéger des distorsions de concurrence, européennes et mondiales. Hélas, le texte adopté par le Sénat l'an dernier s'est perdu dans la tuyauterie de l'Assemblée nationale depuis...

Préférons la carotte au bâton. L'avenir de notre modèle agricole suppose que nous délaissions les postures politiciennes. Mais vous n'avez jamais saisi les véhicules législatifs... Espérons que cette fois, vous saurez vous en inspirer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Présidence de M. Mathieu Darnaud, vice-président

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Vous avez raison, il est nécessaire d'assurer la compétitivité de la ferme France.

La loi de finances pour 2024 contient des mesures fiscales pour les agriculteurs ; le prochain projet de loi de finances comportera des incitations fiscales à la transmission pour les jeunes agriculteurs. Nous avons maintenu la compensation de la réduction de l'avantage fiscal appliqué au GNR, même si l'avantage fiscal est finalement maintenu.

Nous avons porté de 41 000 euros à 50 000 euros le plafond de la déduction pour épargne de précaution, qui est indexé sur l'inflation depuis la loi de finances initiale pour 2023.

Le seuil du régime de micro-bénéfices agricoles, relevé de 91 900 à 120 000 euros, fait l'objet d'une fiscalité allégée et de simplifications. De même, le seuil d'exonération des plus-values a été relevé de 250 000 à 300 000 euros pour une exonération totale, et à 450 000 pour une exonération partielle. Le Premier ministre a annoncé la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) et le rehaussement du seuil de dégressivité de 1,2 à 1,25 fois le SMIC. (M. Laurent Duplomb proteste.) Je ne peux vous laisser dire que nous n'avons rien fait pour les agriculteurs !

M. Laurent Duplomb.  - S'il en reste !

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Madame la ministre, je vous félicite pour votre nomination. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est d'actualité. La profession traverse des difficultés que Franck Menonville a détaillées. Nos agriculteurs travaillent dur pour nous nourrir sans avoir la juste reconnaissance de leur travail. Ils sont accusés de tous les maux, ce qui est injuste.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

M. Jean-François Longeot.  - Il faut appliquer le droit européen sans surtransposer.

M. Laurent Duplomb.  - Il y a du travail !

M. Jean-François Longeot.  - Exiger une production toujours plus vertueuse conduira à une hausse des importations et une baisse de notre production. Ni l'écologie, ni les agriculteurs ne seront gagnants sur le long terme. Je salue la suspension du plan Écophyto. (M. Laurent Duplomb ponctue l'intervention de marques d'approbation.) Il nous faut travailler avec nos partenaires européens, sans foire d'empoigne.

Face au réchauffement climatique, nous devons faire des choix stratégiques, sans déni. Il ne faut pas avoir peur d'accompagner les agriculteurs vers des cultures moins gourmandes en eau, notamment dans le sud de la France. Au cas par cas, je crois au stockage d'eau par bassine, mais il faut adapter nos cultures à une pluviométrie plus faible. Il faudra être innovants, particulièrement en matière de captation d'eau, comme par exemple à Port Grimaud.

Il faut alléger les contraintes dans les zones de non-traitement, qui prolifèrent. (MM. Laurent Duplomb et Michel Savin acquiescent.) Il faut de la souplesse, voire une nouvelle classification.

Autant de sujets sur lesquels je suis persuadé que nous pouvons faire confiance à la profession. À quelques jours du Salon de l'agriculture, soyons concrets, pragmatiques, ouverts à la discussion, retrouvons le bon sens paysan ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

M. Laurent Duplomb.  - Bravo !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Je suis tout à fait d'accord : il faut retrouver le bon sens paysan. (« Ah ! » s'exclame M. Laurent Duplomb.)

Il n'y aura pas d'agriculture sans eau. Ainsi, le Varenne agricole de l'eau a abouti à 24 mesures, dont 23 sont lancées et 14 réalisées. (M. Laurent Duplomb s'exclame à nouveau.)

Les décrets sur l'irrigation ont été publiés ; ils apporteront de la souplesse.

Le plan Eau crée un fonds hydraulique doté de 20 millions d'euros en 2024, 30 millions dès 2025, pour financer des ouvrages de stockage, mais aussi de réalimentation des nappes ou d'accès à l'eau.

Quant à la simplification, le projet de loi d'orientation agricole comprendra des mesures pour faciliter le stockage de l'eau et construire des bâtiments d'élevage.

Le travail de remise à plat des zonages est entamé.

M. Lucien Stanzione .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le monde agricole français et européen traverse une crise profonde. Les viticulteurs attendent des mesures d'urgence. Des mois durant, le groupe SER n'a cessé d'interpeller le Gouvernement. Hélas, celui-ci a rejeté toutes nos propositions.

Mais voilà que le ministre de l'agriculture multiplie les annonces pour éteindre les braises de la colère, avec notamment un fonds d'urgence de 80 millions d'euros. Dont acte, mais ce geste est tardif et insuffisant : 4,8 millions d'euros seulement pour le Vaucluse pour indemniser 1,2 million d'hectolitres de Côtes-du-Rhône...

Quelles sont les perspectives de restructuration du vignoble ? Espérons que les négociations avec la Commission européenne permettront de sortir du carcan des règles de minimis et de la moyenne olympique. Nous attendons encore des réponses sur l'aide au stockage privé, l'année blanche bancaire et le rééchelonnement des prêts garantis par l'État (PGE) pour les caves coopératives.

La lavandiculture est une autre source de mécontentement : 4 des 10 millions d'euros d'aides n'ont toujours pas été versés !

La filière de la cerise est en péril absolu, alors que la protection par filet est insuffisante. (M. Laurent Burgoa renchérit.)

Pourquoi ne pas soutenir la culture de la truffe, avec un statut des exploitants ?

Le plan Loup ne répond pas aux attentes des éleveurs.

Dans mon territoire, tous les instituts de recherche plaident pour la recherche d'alternatives aux produits phytosanitaires, retirés trop rapidement.

Madame la ministre, il faut des crédits massifs de recherche et une politique agricole beaucoup plus ambitieuse.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le Gouvernement ne découvre pas la situation de la viticulture...

M. Michel Savin.  - Si !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Le Premier ministre Jean Castex avait déployé 600 millions d'euros de soutien lors des périodes de gel. Nous ne sommes pas les bras croisés face au dérèglement climatique.

En 2023, 200 millions d'euros ont été déployés pour la distillation, 38 millions pour l'arrachage. Citons également les 80 millions d'euros du fonds d'urgence et les 150 millions d'euros d'appui structurel de l'État.

Il s'agit d'apporter des réponses conjoncturelles et structurelles, avec une perspective de diversification pour l'avenir.

Les crédits de recherche que vous demandez sont prévus au plan Écophyto, avec notamment 250 millions d'euros au profit de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Il s'agit de molécules qui nuisent à la santé humaine et à la biodiversité, dont l'effondrement est un sujet pour les agriculteurs.

M. Laurent Duplomb.  - C'est pour cela que nous mangeons des cerises turques !

M. Olivier Rietmann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « On marche sur la tête ! » : ce slogan du mouvement agricole est loin d'être anecdotique, alors que la simplification administrative est au centre des revendications. Président de la délégation aux entreprises, cela ne me surprend pas : le secteur agricole est le plus touché par la frénésie normative, qui obère notre potentiel productif.

Quel secteur connaît autant de contrôles ? L'éligibilité des parcelles aux aides de la PAC est vérifiée tous les trois jours par satellite ! Quelle autre profession ne peut jamais revenir en arrière ni faire un pas de côté ? La réglementation sur les haies pénalise les bons élèves.

La conditionnalité est une bonne chose, mais l'usine à gaz, c'est autre chose ! Les effets des normes sont souvent pires que ceux de la fiscalité, car elles découragent la volonté de bien faire.

Simplifier ne veut pas dire abandonner toute ambition environnementale. Mais il est temps de faire le ménage dans nos codes. Les annonces du Premier ministre vont plutôt dans le bon sens : curage des cours d'eau, délais de recours, seuil d'évaluation environnementale. Mais des zones d'ombre subsistent : en quoi consistera l'unification du régime des haies ? Plus inquiétant, les syndicats déplorent que les dossiers de simplification n'avancent pas au rythme prévu.

Quant à nous, parlementaires, nous devrons veiller aux textes à venir, afin que l'on ne complexifie pas, sous couvert de simplification...

L'avenir de notre modèle dépend de notre capacité à faire confiance à nos 400 000 agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Je vous sais attentif à la simplification, monsieur Rietmann, comme président de délégation et auteur d'une proposition de loi sur les normes et la compétitivité des entreprises.

Les agriculteurs attendent des simplifications. Le Premier ministre a été clair et nous avons un programme de travail. Le projet de loi d'orientation agricole traitera des haies, des contentieux sur les projets d'ouvrages hydrauliques et de bâtiments d'élevage, de la sécurisation juridique des travaux agricoles et forestiers -  il est vrai que les réglementations se contredisent parfois... (MLaurent Duplomb le déplore.)

Un important travail réglementaire est en cours, pour traduire les annonces du Premier ministre, notamment en Haute-Garonne. Nous avons transmis les projets de texte aux parties prenantes agricoles, afin de respecter le calendrier fixé par le Premier ministre -  avant le Salon de l'agriculture.

M. Laurent Duplomb.  - C'est la semaine prochaine...

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Cela tombe bien, car nous les avons transmis !

Enfin, attention à ne pas compliquer en voulant simplifier : j'ai vu, lors de l'examen de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, qu'il n'est pas toujours aisé de simplifier la loi.

Mme Laurence Garnier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les agriculteurs sont retournés au travail, mais rien n'est réglé. Les paysans français restent enserrés dans un double corset de réglementations nationales contraignantes et de stratégie européenne décroissante.

Notre pays importe la moitié de ses fruits et légumes : dans mon département de Loire-Atlantique, les producteurs de radis souffrent des atermoiements de la loi Agec. Un premier décret a interdit les emballages plastiques, annulé par le Conseil d'État. Un deuxième décret a été suspendu à la demande de la Commission européenne, dans l'attente d'une réglementation européenne. Un troisième décret a été publié... (M. Laurent Duplomb ironise.)

La stratégie Farm to Fork s'apparente de plus en plus au suicide annoncé de notre agriculture. Pas moins de quatre études en cinq ans nous ont alertés, mais vous les ignorez. Trois risques sont identifiés : d'ici à 2050, baisse de 12 à 15 % de la production, hausse de 12 à 17 % du prix des produits agricoles et division par deux de nos exportations.

Avec trois conséquences : paupérisation de nos agriculteurs, alors que 125 000 exploitations agricoles ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 25 000 euros ; alimentation à deux vitesses : du local pour les riches, de l'importation pour les pauvres ; insécurité alimentaire pour 200 millions de personnes supplémentaires dans le monde.

Nous ne ferons pas la transition écologique contre les agriculteurs, les Français modestes et les plus pauvres en Afrique et en Asie. (M. Daniel Salmon ironise.)

Battons-nous pour l'avenir de nos agriculteurs. Les chiffres sont là : on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - La stratégie « de la ferme à la table » pose la question de l'équilibre entre production - l'alimentation est une arme de guerre -, d'une part, et biodiversité et enjeux climatiques - qui sont une menace certaine, notamment pour nos agriculteurs -, d'autre part. Vous-même, madame Garnier, cherchez un juste équilibre entre transition écologique et revenu des agriculteurs.

Je rappelle les succès de la France et du ministre Fesneau sur les jachères en 2024. La présidente de la Commission européenne a annoncé le retrait du règlement SUR.

M. Laurent Duplomb.  - Et nous, on continue !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Nous continuons à travailler au niveau européen pour que les États membres puissent accompagner les filières agricoles dans leur transition, mais également lutter contre la concurrence déloyale d'autres pays : c'est l'enjeu des clauses miroirs, des négociations avec l'Ukraine et de l'instauration d'une force de contrôle aux frontières de l'Union.

S'agissant de la filière maraîchère, cinq guichets permettent de mobiliser 100 millions d'euros. C'est du concret pour nos agriculteurs !

M. Stéphane Ravier .  - Si rien ne change, les prochains interlocuteurs de nos agriculteurs seront les huissiers de justice. Si vous faisiez campagne - pas seulement électorale -, vous auriez senti ce dernier cri du coeur d'une paysannerie française qui ne veut pas mourir.

Les caisses des fermes sont vides, les matériels sont à la banque, l'imposition est abusive. L'agriculture française est asséchée par une chape de plomb administrative et pseudo-environnementale.

Notre pays a tout ce qu'il faut pour produire, mais vos députés européens, madame la ministre, font le choix de la déproduction. En trente ans, l'écolo-gauchisme a eu raison de notre civilisation paysanne. À Bruxelles comme à Paris, nos gouvernants ont ligoté les paysans de normes, tout en laissant prospérer le libre-échange, la concurrence déloyale, les surtranspositions...

L'agriculture est le plus grand plan social des trente dernières années : 1,6 million d'agriculteurs dans les années 1980, 400 000 aujourd'hui. Combien de ces dépossédés ont perdu la vie au champ, au champ d'honneur de l'épuisement ?

Refusons la hausse de la redevance pour pollutions diffuses et de celle pour prélèvement en eau, et pratiquons la politique de la chaise vide à Bruxelles. Il y a des milliards pour l'Ukraine, il en faut d'abord pour nos paysans.

Le ministre de l'agriculture est désormais celui de la souveraineté alimentaire, et en même temps vous prônez la souveraineté européenne : doxe et paradoxe. Aucune cohérence, aucune émancipation de la doxa, vous jouez la montre électorale, mais les agriculteurs sont de retour.

Il faudrait pourtant anticiper les défis des big data agricoles : cette bataille est en train de nous échapper.

Que pensez-vous de la viande de synthèse, vantée par le ministre de l'économie ?

Votre gouvernement en marche n'est celui d'aucun territoire. De la Corrèze au Zambèze, vous ignorez qu'une majorité de Français reste attachée au triptyque pays, paysans, paysages, indissociables de liberté, égalité, fraternité et, bien sûr, souveraineté.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Certains de vos propos sont faux : ainsi, il n'y aura pas de hausse de la redevance pour pollutions diffuses. (M. Laurent Duplomb s'exclame.) Quant à la chaise vide, j'ai rappelé nos victoires auprès de l'Union européenne, sur les jachères notamment. (Mme Sophie Primas s'exclame.)

Vous affirmiez que nous ne pourrions pas réformer le marché de l'énergie : nous l'avons fait. La France sera forte dans une Europe forte, face aux États-Unis et à la Chine. Dire le contraire, c'est mentir aux Français et aux agriculteurs.

Nous avons contribué à réformer la PAC, avec les écorégimes et le paiement des services environnementaux.

Enfin, le ministre Fesneau, lors du Conseil du 23 janvier 2024, a rappelé notre opposition de principe à la viande cellulaire. Le bilan scientifique est en cours : ce n'est sans doute pas la meilleure façon de faire de l'agriculture responsable.

M. le président.  - Madame la ministre, je vous invite à conclure ce débat.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Je vous remercie pour la qualité de ces débats et salue l'engagement constant du Sénat sur ces enjeux. Des points de convergence émergent, sur la souveraineté agricole comme sur l'exigence climatique et environnementale.

Notre cap est celui de la souveraineté alimentaire : tel sera l'objet du futur projet de loi, attendu avant le Salon de l'agriculture. Souveraineté alimentaire, mais aussi souveraineté énergétique, via la biomasse.

Nous avons quatre chantiers prioritaires.

Premièrement, il faut relever le défi du renouvellement des générations : il faudra 30 % d'apprenants supplémentaires dans les lycées agricoles en 2030 par rapport à 2022. Il faut former plus, mais aussi former différemment, car les métiers évoluent. Les moyens de l'enseignement agricole augmentent de 10 % et un pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture a été annoncé par le ministre. Le futur projet de loi traitera de la rénovation des missions de l'enseignement agricole, de la création d'un bachelor agro et des contrats territoriaux pour ouvrir des classes.

Deuxièmement, le défi des transitions agroécologique et climatique. En décembre, le Sénat a voté 1,3 milliard d'euros supplémentaires en faveur de la planification écologique. Il ne saurait y avoir de souveraineté alimentaire qui ne soit durable et résiliente. Les contraintes climatiques pèsent déjà, notamment dans le sud du pays : le statu quo serait mortifère. Nous agirons donc en faveur des haies, du renouvellement forestier et de la réduction des produits phytosanitaires. Pas d'interdiction sans solution : cela suppose des investissements pour la recherche.

M. Laurent Duplomb.  - Cela ne veut rien dire !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Troisièmement, la compétitivité. Le Premier ministre a pris une décision forte en annulant la hausse de la fiscalité sur le GNR. Là encore, nous allons plus loin avec un volet simplification dans le projet de loi.

Quatrièmement, nous voulons un cadre européen et international protecteur. À court terme, une clause de sauvegarde concernera les produits agricoles contenant des résidus de thiaclopride et, à plus long terme, nous demandons la création d'une force de contrôle sur la concurrence déloyale en agriculture aux frontières de l'Union.

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) Ce débat est essentiel pour notre société, car l'agriculture est le fondement de la sécurité et du bien-être de notre population.

Deux dates : à six, l'Europe avait faim. Le traité de Rome a incité les paysans à produire, en contrepartie d'un revenu décent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les années 1960, ensuite, avec le renouvellement des générations, la modernisation de l'agriculture, et le rôle de l'État aux côtés des agriculteurs.

La France a la chance d'avoir des exploitations à taille humaine, et une diversité d'hommes et de femmes qui concourent à nous nourrir. Mais, au fil des ans, nous avons perdu leur confiance. (Protestations sur les travées du GEST)

Premier point : il faut sortir des carcans administratifs. Une vache n'y retrouve plus son veau !

M. Laurent Duplomb.  - Il y en a marre des technos !

M. Daniel Gremillet.  - Ces contradictions sont mal vécues au quotidien dans les territoires. Or le Sénat, c'est la France des territoires, la France de la proximité.

Deuxième point : vous avez parlé d'une transition écologique fondée sur la science, mais l'agriculture a toujours été fondée sur la science ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche.  - Eh oui, le phytosanitaire, c'est la science !

M. Daniel Gremillet.  - Le développement durable est une expression prétentieuse. Il faut que la science soit en capacité d'apporter des réponses à l'agriculture, mais à son rythme, pas plus vite.

Troisième point : il faut respecter le travail des hommes. Vous voulez renforcer les contrôles, mais arrêtons de mentir aux gens et aux consommateurs ! Tout ne passe pas par les contrôles. Ayons le courage d'aborder les questions du libre-échange, notamment au Parlement.

Dernier détail : nous avons pris nos responsabilités, avec les 42 propositions du texte de Laurent Duplomb. Imprégnez-vous-en, car l'agriculture française a besoin d'un chemin, elle ne peut rester dans les broussailles comme c'est le cas actuellement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

La séance est suspendue quelques instants.