SÉANCE

du mercredi 28 février 2024

66e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire : Mme Marie-Pierre Richer.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Situation de l'agriculture française

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE) Le mécontentement du monde agricole vient de loin. Plusieurs manifestations se sont déroulées dans le pays, rarement avec de la violence, heureusement. Elles traduisent un sentiment d'exaspération et de découragement.

Charges, revenus, hyperadministration, surtransposition : les causes sont multiples.

Vous y avez répondu dès le début, monsieur le Premier ministre, en Occitanie notamment. Certaines solutions ont été mises en oeuvre immédiatement, comme pour le gazole non routier (GNR), le plan Écophyto, ou d'autres mesures de simplification.

Néanmoins, la colère n'est pas retombée. Le monde agricole a exigé un tempo plus rapide et des réponses plus claires.

Au Salon de l'agriculture, marqué par des violences et des excès inadmissibles à l'instigation de certains syndicats et de certains politiques, le Président de la République a apporté des réponses. (Marques d'ironie à droite)

Hier, monsieur le Premier ministre, vous avez également apporté des éléments. Le ministre de l'agriculture s'est rendu à Bruxelles pour exprimer les exigences françaises sur la future PAC. Hier, le ministre de l'économie et des finances a trouvé un accord avec les banques sur des prêts et des financements. (Marques d'ironie à gauche)

Le futur projet de loi d'orientation agricole sera présenté prochainement en Conseil des ministres.

Quel calendrier, et quelle méthode, pour traduire vos engagements dans les faits ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - Je me suis rendu en votre compagnie au Salon de l'agriculture pour échanger avec les éleveurs, les pêcheurs... Depuis début janvier, tous soulignent leur malaise et leur détresse, qui durent depuis plusieurs années. Le phénomène touche l'ensemble de l'Europe, les agriculteurs souffrent d'un manque de reconnaissance pour leur travail et d'une accumulation de réglementations. Ils en perdent le sens de leur métier.

Dès le premier jour, je me suis rendu sur le terrain, au contact, chaque semaine : dans le Rhône, en Haute-Garonne, en Indre-et-Loire, dans la Marne et en Charente-Maritime.

J'ai échangé avec les représentants des organisations syndicales agricoles.

Il y a trois semaines, ces derniers ont annoncé la levée des barrages à la suite des 62 engagements pris par mon gouvernement, et qui étaient attendus par les agriculteurs. Sur ces 62 engagements, 80 % sont tenus ou en passe de l'être - des textes sont en cours d'examen au Conseil d'État. Les choses bougent donc au niveau national.

Ma priorité, c'est que les choses bougent aussi localement. Les décisions prises et les progrès constatés au niveau national doivent se ressentir sur le terrain. Le 1er février dernier, nous avons pris un décret très attendu : pour le curage des cours d'eau, nous passons d'une procédure de neuf mois à deux mois et d'une demande d'autorisation à une simple déclaration.

Malgré cette réduction des délais, certains agriculteurs se heurtent toujours à des difficultés.

Premièrement, nous devons agir pour que nos décisions se traduisent dans les faits.

Deuxièmement, nous agissons sur la question du revenu et de la trésorerie, avec des mesures d'urgence pour faire face à la maladie hémorragique épizootique (MHE), par exemple, ou encore avec l'avance du remboursement pour le GNR. En une semaine, le nombre d'exploitations bénéficiant d'aides urgentes de trésorerie a doublé. Une réunion importante a eu lieu avec les banques hier à Bercy.

Nous avancerons aussi sur le chantier Égalim 4. Deux députés sont mobilisés sur ce sujet. Je souhaite qu'un projet de loi soit présenté d'ici à l'été prochain, avec un dispositif plus protecteur.

Les agriculteurs nous le disent : l'eau est un enjeu majeur. (MBruno Retailleau le confirme.) L'usage agricole et alimentaire doit être priorisé. Des projets en attente doivent pouvoir sortir de terre. (Protestations sur quelques travées du GEST) Ce sont des engagements concrets, tangibles, sur lesquels nous allons avancer. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

Guerre en Ukraine

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Dans la polémique lancée il y a quelques jours sur les propos du Président de la République, le cynisme le dispute à l'ironie. Les extrémistes travestis en colombes auraient proposé l'envoi de troupes pour aider la Russie s'ils étaient aujourd'hui au pouvoir. Non seulement l'argent du mage du Kremlin les a financés, mais l'alliance avec la Russie figurait en toutes lettres dans leur programme.

La France n'est pas en guerre -  au sens où nous l'entendions au XXe siècle. Mais elle sait que sa sécurité se joue à l'Est. Laisser gagner Poutine, c'est accepter la défaite de nos valeurs. Notre groupe ne peut s'y résoudre et se réjouit d'un prochain vote du Parlement.

La France n'est pas en guerre, mais elle est touchée par les conséquences du conflit en Ukraine. Via des actions de guerre 4.0, nos adversaires cherchent à saper notre volonté, voire à nous imposer la leur. Il faut contrer les cyberattaques et protéger la liberté de nos concitoyens -  nous ne réussirons pas sans eux. Lucidité, formation et participation des citoyens sont primordiales.

La France doit continuer à soutenir l'Ukraine pour rester souveraine : nous devons assurer les livraisons d'armes et prendre des mesures dans le champ informationnel. Que compte faire le Gouvernement à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe .  - Depuis deux ans, le régime de Poutine fait pleuvoir le fer et le feu sur les Ukrainiens, dont la bravoure suscite l'admiration. La posture de ce régime s'est durcie sur la ligne de front, mais aussi en Russie avec l'assassinat de Navalny, mort pour la liberté. Elle s'est aussi durcie en Europe et en France, qui sont désormais la cible de vastes campagnes de manipulation et de désinformation.

Poutine veut affaiblir le soutien de l'opinion à l'Ukraine et porter atteinte à notre débat public, clé de voûte de nos démocraties libérales. Nous l'avons vu lors de la dernière élection nationale en Slovaquie avec un hypertrucage -  deepfake en anglais  - impliquant l'un des candidats.

Le 12 janvier dernier, Stéphane Séjourné a révélé l'existence de 193 sites dormants grâce au service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), créé en 2021.

Le 26 février, le Président de la République a convoqué un sommet international à Paris ; les manoeuvres informationnelles étaient à l'ordre du jour de cette réunion. J'ai appelé la Commission européenne à se saisir de ses pouvoirs, issus du règlement sur les services numériques (RSN) : celle-ci doit obtenir de la part des grandes plateformes un engagement ferme...

M. Pascal Savoldelli.  - Ferme...

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - ... afin de faire respecter le silence électoral lors des élections européennes de juin prochain. (Applaudissements sur les travées dRDPI et du groupe INDEP)

Économies budgétaires (I)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le ministre de l'économie n'est pas là. (« Oh ! » sur les travées)

Il est au Brésil pour le G20. En France, il nous laisse le carnaval budgétaire...

Le RDSE, groupe le plus ancien du Sénat, n'a pas la réputation de compter des extrémistes ou des excités ; il s'appuie sur des valeurs essentielles telles que la défense des principes républicains.

Quoique minoritaires, nous ne nous opposons jamais par principe ni au Gouvernement ni à la majorité sénatoriale.

Toutefois, lors des explications de vote sur le projet de loi de finances pour 2024, j'avais souligné que celui-ci portait le sceau du mépris pour le travail du Sénat. Quelque 150 heures de débat et 3 800 amendements ont été balayés d'un revers de main.

Avec le décret du 22 février annulant près de 10 milliards d'euros de crédits votés en loi de finances, vous brutalisez encore la démocratie : or, dans notre République, il revient au Parlement de voter le budget. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

Vous jouez à la limite du hors-jeu avec la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001. Vous annulez des crédits votés il y a à peine deux mois, en oubliant le dicton connu de tous les enfants : « Donner c'est donner, reprendre, c'est voler ».

Ce décret sonne comme un aveu : vos prévisions budgétaires étaient trop optimistes, malgré nos mises en garde. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes SER, INDEP et du GEST)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Rassurez-vous : on ne brutalise pas la démocratie avec un décret d'annulation. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Plusieurs voix à gauche.  - Mais le Parlement, oui !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Pourquoi ? Parce que tel est l'esprit de la Lolf, d'initiative parlementaire, qui a été révisée en 2021 de manière transpartisane : grâce à elle, on peut s'adapter au contexte.

Ne vous en déplaise, le contexte a changé. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson.  - Il n'a pas changé !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - La Commission européenne, l'Allemagne révisent leurs prévisions de croissance, comme les Pays-Bas et l'Irlande. Tous sont touchés par un ralentissement.

Regardez ce qui se passe en Chine, regardez les effets de la guerre en Ukraine : c'est un acte de responsabilité ! (Brouhaha sur toutes les travées à l'exception du RDPI)

Monsieur Bilhac, je vous sais attaché à la nécessité de faire des économies. Je pensais que vous salueriez un acte de responsabilité.

M. Max Brisson.  - Un peu d'humilité ! Quelle arrogance !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Quand on gagne moins, on dépense moins. Nous n'allons pas demander à nos enfants et à nos petits-enfants de payer. Je remercie tous les ministres pour leurs efforts : seul le budget de l'État est concerné, par souci d'exemplarité. J'espère vous avoir rassuré. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. François Patriat.  - Très bien !

Crise agricole (I)

Mme Karine Daniel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Redonner aux prix leur rôle de marché, tel était le mot d'ordre des réformes de la PAC de 1992 et 1999. Trente ans après, les prix garantis ont disparu. Les aides directes étaient initialement versées pour compenser les baisses de prix. Or au fil des réformes, elles sont désormais plus liées à la surface des exploitations qu'à l'évolution des prix.

Acculé par la mobilisation des agricultrices et des agriculteurs, le Président de la République a reconsidéré la question et propose désormais un prix plancher. Mais un prix plancher national renforcerait mécaniquement les importations venues du reste de l'Europe et des pays tiers. Ce prix garanti doit donc être défini à l'échelle européenne. Comment comptez-vous négocier ? Sur quels critères, pour quelles productions et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - L'annonce récente du Président de la République s'inscrit dans le travail mené depuis sept ans pour améliorer le revenu des agriculteurs et faire en sorte que ceux-ci soient rémunérés de manière juste pour leur travail. Tel est l'objet des lois Égalim, construites sur la base des États généraux de l'alimentation. Les filières se sont mises autour de la table pour présenter des propositions.

Ces lois ont conduit à des progrès : elles ont amélioré le revenu des agriculteurs et promu la contractualisation.

Toutefois, cela ne va pas assez loin - c'est le sens du propos du Président de la République. Après Égalim 1, Égalim 2...

Plusieurs voix sur les travées du groupe SER.  - Égalim 5 !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - ... nous envisageons d'aller un cran plus loin : construire les prix à partir des indicateurs de référence. Il faut mieux structurer les filières, notamment celles, comme la filière viande, qui ne parviennent pas à contractualiser. Ainsi, la filière lait a structuré 90 % des volumes sous contrat. Il faut plus de contrats tripartites. Certains d'entre eux sont construits avec la grande distribution, mais cela reste encore trop minoritaire.

Nous allons agir avec les agriculteurs. Nous avons confié une mission de quatre mois à deux députés : ils formuleront des propositions qui déboucheront ensuite sur un projet de loi. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Karine Daniel.  - Nous pouvons faire Égalim 1, 2, 3, 4, 5, 6... Mais tant que nous raisonnerons au niveau français dans un marché européen, ce sera inefficace ! On parle de réguler les prix, mais il faudra aussi aborder la question de la régulation des quantités.

La bonne échelle d'intervention reste l'échelle européenne. Nous devons avoir ce débat avec les agriculteurs mobilisés sur le terrain, à l'occasion des élections européennes. Nous serons au rendez-vous pour débattre de ces sujets, notamment les enjeux de régulation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)

Crise agricole (II)

M. Gérard Lahellec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Les passions populaires suscitées chaque année par le Salon de l'agriculture ne doivent pas faire oublier la crise structurelle que connaît l'agriculture.

En 1946, il y avait 6 millions de paysans ; il ne reste plus que 400 000 exploitations. La moitié des agricultrices et des agriculteurs partira en retraite d'ici dix ans.

Chaque jour, deux paysans se suicident alors que les grands actionnaires de l'industrie agroalimentaire captent la moitié de la valeur ajoutée. Malgré les lois Égalim, cette dernière est donc allée plutôt vers l'aval, c'est-à-dire vers la distribution, plutôt que vers la ferme. Ce système crée une pression permanente sur les prix à la production. Dans les Côtes-d'Armor, la production de lait a chuté de 10 millions de litres en un an. Les grands groupes industriels opèrent un véritable chantage, menaçant de ne pas collecter le lait de ceux qui n'acceptent pas les prix qu'ils imposent.

Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il disposé à créer un dispositif de type coefficient multiplicateur et prix plancher et à soutenir les expérimentations en cours, notamment avec les collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Vous posez la question du revenu et relayez la colère légitime des agriculteurs : il nous faut y répondre. Ils consacrent leur vie à nous nourrir : ces efforts doivent être justement rémunérés.

A-t-on fait des progrès depuis les lois Égalim ? Oui. Grâce aux instruments créés, le médiateur aux relations agricoles suit les conflits entre les producteurs et les industriels. Un comité de règlement des conflits a été créé.

Nous avons confié une mission aux députés Alexis Izard et Anne-Laure Babault, qui remettront leurs conclusions dans quatre mois. Ainsi, nous pourrons définir le prix des contrats en marche avant ; nous pousserons les filières à mieux s'organiser ; et nous avons demandé la mise en place d'un Égalim européen pour améliorer la protection de nos agriculteurs et renforcer nos contrôles.

Troupes au sol en Ukraine ? (I)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il est 23 heures lundi soir quand, à la sortie de la conférence sur l'aide à l'Ukraine, le chef de l'État déclare que l'envoi de troupes occidentales au sol ne doit pas être exclu.

M. Guillaume Chevrollier.  - Quelle ânerie !

M. Loïc Hervé.  - Les Français découvrent un changement total de notre stratégie. Cette déclaration est d'autant plus incompréhensible qu'elle remet en cause la cohérence de la position française. Que signifie cette initiative dont nos alliés au sein de l'Otan se sont aussitôt désolidarisés ?

Cette orientation n'a été ni préparée ni concertée avec le Parlement.

En vertu de notre Constitution, la guerre ne peut être déclarée que sur autorisation du Parlement.

M. Emmanuel Capus.  - Il ne s'agit pas de guerre !

M. Loïc Hervé.  - Certes, nous allons débattre prochainement, mais de l'accord bilatéral de sécurité avec l'Ukraine, et après coup.

M. Emmanuel Capus.  - Quel coup ?

M. Loïc Hervé.  - Les enjeux sont trop grands pour laisser le champ libre à de telles improvisations, surtout au vu des déclarations de Donald Trump. Vous prenez le risque de fragiliser notre camp.

Monsieur le Premier ministre, quels engagements prenez-vous pour respecter l'ordre constitutionnel et défendre notre intérêt le plus fondamental : la paix ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe .  - (Marques de déception à droite) Le combat des Ukrainiens est aussi le nôtre ; ils se battent aussi pour la sécurité de l'Union européenne et de la France. Les dictateurs ne prennent pas de vacances. Si l'Ukraine tombait, la ligne de front se déplacerait vers l'Ouest. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

M. Emmanuel Capus.  - Exact !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Quand la maison du voisin brûle et que l'incendie menace de se propager, on se lève et on agit.

Raymond Aron disait, en 1939 : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent » (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Arlette Carlotti.  - Envoyez des armes !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Le Président de la République a déclaré lundi que nous devions explorer le champ des possibles, sans rien exclure.

Une voix à droite.  - Vous êtes bien seuls !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Ce serait une faute grave, une menace pour notre sécurité, de refuser de débattre de toutes les options qui se présentent à nous. (Exclamations à droite)

Oui, il faut que les Français soient éclairés et associés. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SER) C'est pourquoi le Président de la République a déclaré qu'un débat se tiendrait devant le Parlement au titre de l'article 50-1. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

Cure d'austérité budgétaire

Mme Ghislaine Senée .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Par décret la semaine dernière, vous avez décidé une cure d'austérité de 10 milliards d'euros, reconnaissant par là même l'insincérité du projet de loi de finances pour 2024. Depuis sept ans, vous voulez faire croire aux Français qu'il est possible de réduire à la fois les recettes et les dépenses publiques, mais moins plus moins ne fera jamais plus.

Au lieu de protéger, vous creusez les inégalités et précarisez, encore et toujours, les plus fragiles. Moins 1,7 milliard d'euros pour l'éducation, ce sont des professeurs, des AESH, des infirmières scolaires qu'on ne pourra recruter. Moins 2,1 milliards pour l'écologie, ce sont des passoires énergétiques non rénovées. Moins 1,1 milliard pour l'emploi et la formation, ce sont des demandeurs d'emploi sans solution.

Pourtant, l'argent est là : niches fiscales et sociales, baisses d'impôts et de cotisations, aides directes. L'argent pleut chaque année un peu plus sur les plus riches - sans effet sur les indicateurs économiques.

Quand abandonnerez-vous le dogme absurde de moins de fiscalité pour les plus aisés ? Quand cesserez-vous de mentir aux Français en prétextant une conjoncture défavorable que vous étiez le seul à ne pas voir venir ? Quand allez-vous enfin anticiper et investir pour l'avenir ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Silvana Silvani applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Il ne s'agit pas d'une cure d'austérité. (Marques d'ironie à gauche) L'austérité, c'est la baisse des salaires, des retraites, l'augmentation des impôts, la fermeture des services publics... (Marques d'ironie renouvelées à gauche.)

Nous demandons un effort collectif, mais cet effort est ciblé sur l'État, par souci d'exemplarité, pas sur les collectivités territoriales. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; M. Jean-François Husson s'exclame.)

M. Hussein Bourgi.  - Et le fonds vert ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous aurions renoncé à notre ambition écologique, dites-vous ? Nous avons débattu ici même du budget vert de l'État : 40 milliards d'euros !

M. Thomas Dossus.  - Arrêtez !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - En hausse de plus de 8 milliards d'euros ! C'est le budget le plus vert de notre histoire ! (Vive contestation à gauche) Nous investissons comme jamais dans la transition écologique : plus 800 millions d'euros pour MaPrimeRénov', plus que l'an dernier. Sur le ferroviaire, sur la décarbonation de l'industrie, sur les énergies renouvelables, nous dépenserons plus que l'année dernière...

M. Jean-François Husson.  - Allez-y ! Les dépenses !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Face à une situation exceptionnelle de baisse de nos recettes, nous ajustons nos dépenses. L'effort représente 1,5 % de l'ensemble des crédits. On est loin de la cure d'austérité. On ne peut laisser nos finances publiques dériver...

M. Jean-François Husson.  - Ah ! Voilà !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous devons montrer aux générations suivantes que nous savons gérer correctement notre budget. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Mme Ghislaine Senée.  - À force de ne pas débattre, vous n'arrivez plus à convaincre ni la droite ni la gauche de cet hémicycle. Nous savons pertinemment que ce n'est pas un budget vert, que vous dites des mensonges ! Cessez de mentir aux Français ! Rendez-vous en juillet lors du projet de loi de finances rectificative, pour voir qui a raison. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)

Troupes au sol en Ukraine ? (II)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Lundi, le chef de l'État a tenu des propos qui ont surpris voire inquiété les Français et nos alliés. En juin 2022, il recommandait de ne pas « humilier » la Russie ; aujourd'hui, il dit ne pas exclure l'envoi de troupes au sol. Il a compris que la méthode douce ne fonctionnait pas avec Vladimir Poutine, mais on ne peut improviser sans consulter nos alliés. Ces effets de manche nous isolent en les obligeant à se désolidariser. Il s'agit de la sécurité de l'Europe !

Comment imaginer envoyer des troupes au sol, alors que nous relançons à peine notre effort de défense et que nous ne sommes pas capables de fournir à l'Ukraine les armes et munitions qu'elle réclame ?

M. Pierre Ouzoulias.  - Exact.

M. Cédric Perrin.  - Le Premier ministre polonais Donald Tusk disait : si tous les Européens étaient aussi impliqués dans l'aide à l'Ukraine que la Pologne, il ne serait pas nécessaire de discuter d'autres formes de soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - Personne ici ne peut accepter la perspective d'une victoire de la Russie.

M. Mickaël Vallet.  - Si, il y en a quatre, au fond à droite !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Derrière l'Ukraine, il y a nous. Si des pays historiquement neutres comme la Suède et la Finlande rejoignent l'Otan, c'est qu'ils se sentent directement menacés. Je vous renvoie également aux déclarations des ministres de la défense allemand et britannique sur les perspectives de conflit en Europe dans les cinq à dix ans.

La guerre que mène la Russie à l'Ukraine est aussi une guerre contre notre modèle, nos valeurs. La Russie veut démontrer que la démocratie serait un état de faiblesse, que l'État de droit serait un état d'indécision. Notre responsabilité est de démontrer l'inverse.

Dès le début du conflit, la France a recherché la paix, d'abord par la diplomatie. Le Président de la République a été jusqu'à Moscou rencontrer Vladimir Poutine pour le convaincre de renoncer à son projet d'agression. Nous avons constaté que les paroles de Poutine ne valent rien, qu'il ne tenait aucun de ses engagements. Depuis lors, nous avons assumé, avec nos partenaires européens, de soutenir l'Ukraine.

Il y a deux ans, beaucoup excluaient des modalités de soutien que nous avons ensuite accordées : nous parlions alors de sacs de couchage et de jumelles, nous envoyons désormais des chars et des missiles. Aujourd'hui, nous sommes unis, en Européens, pour permettre aux Ukrainiens de résister. Au début du conflit, la perspective d'une Europe unie autour de sanctions fermes contre la Russie n'était pas assurée.

La posture de la Russie s'est durcie, dans le cadre du conflit mais aussi à notre égard. Multiplication de fausses informations, tentatives de déstabilisation, notamment au Sahel, cyberattaques, militarisation de l'espace : la Russie est une menace directe et immédiate pour la France.

Dans ce contexte, le Président de la République réunit une coalition internationale. Un consensus se dégage, sur le constat, sur la nécessité d'aller plus loin dans la fourniture de matériel militaire. On demande au Président de la République s'il exclut par principe certaines perspectives. Si l'on se réfère à l'historique que j'ai rappelé, peut-il, en responsabilité, répondre par l'affirmative ? On peut imaginer que des soldats français soient mobilisés sur des actions de formation, de défense sol-air... (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)

Si nous avions exclu catégoriquement certaines perspectives il y a deux ans, les Ukrainiens n'auraient pas survécu à l'agression russe... (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

M. Cédric Perrin.  - Le Président de la République a souhaité maintenir l'ambiguïté stratégique, mais il a obtenu l'inverse puisqu'il a poussé nos alliés à annoncer clairement qu'ils étaient tous opposés à une intervention au sol.

Il faut être responsable sur ces questions. La consultation du Parlement s'impose. Plutôt que ces petites phrases, apportons un soutien efficace à l'Ukraine.

Poutine ne comprend que les rapports de force, aussi faut-il fournir le matériel militaire nécessaire aux Ukrainiens. C'est le plus important aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Économies budgétaires (II)

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 19 février, vous avez envoyé Bruno Le Maire annoncer à la télévision un plan d'économies de 10 milliards d'euros, tournant le dos à la réponse qu'il me faisait ici même le 25 janvier. (M. Rachid Temal ironise.)

Quelles raisons vous ont conduits à cette volte-face ? Quel plan d'action allez-vous mettre en oeuvre ? Comment allez-vous associer le Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - Je réponds au rapporteur général Husson, en souvenir des nuits passées ensemble, (rires) sur le projet de loi de finances, quand j'étais aux comptes publics.

Nous constatons partout en Europe un ralentissement de l'activité économique. L'Allemagne a réactualisé sa prévision de croissance de 1,3 à 0,2 %. Ce ralentissement touche aussi la France, mais moins que ses voisins. En responsabilité, nous avons donc révisé la prévision de croissance de 1,4 à 1 %.

M. Jean-François Husson.  - Cela ne suffira pas !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - La baisse des recettes due au ralentissement économique aura un impact sur le solde public de 2023. Dès lors, nous devons ajuster nos dépenses. Cela ne fait plaisir à personne, mais nous l'avons fait en responsabilité, en ciblant des politiques publiques identifiées, comme l'aide publique au développement ou encore MaPrimeRénov' - dont le budget continue néanmoins à augmenter massivement. Ceux qui nous font aujourd'hui la leçon sur le budget de la rénovation énergétique étaient loin d'y consacrer autant lorsqu'ils étaient eux-mêmes aux responsabilités ! (Protestations sur les travées du groupe SER)

M. Jean-François Husson.  - Vous les souteniez à l'époque !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Nous poursuivons ce travail, en prévision du projet de loi de finances pour 2025. Il nous faut dégager des économies structurelles si nous voulons financer des transitions majeures : réarmement de nos services publics, notamment régaliens, transition écologique, réarmement démographique.

J'assume vouloir avancer sur la réforme de l'assurance chômage, pour réorienter notre modèle social vers l'incitation à l'activité, pour que celui-ci soit moins coûteux et plus efficace. Si nous avions le même taux d'emploi que l'Allemagne, nous n'aurions pas de difficulté à équilibrer nos politiques. Je sais, monsieur le rapporteur général, que vous y travaillerez avec nous dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-François Husson.  - En soixante jours, tout n'a pas changé : pas plus la guerre en Ukraine, que la croissance, ou les échanges commerciaux avec la Chine.

Vous avez choisi de doper vos prévisions macroéconomiques - le double, par rapport au consensus des économistes ! - et vous êtes rattrapé par la patrouille, et par votre amateurisme. Non, le Gouvernement ne se serre pas la ceinture : le déficit de l'État était inférieur à 90 milliards d'euros par an avant 2020 ; depuis, il dépasse systématiquement 150 milliards d'euros par an. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Lors de la discussion du PLF, vous dénonciez la brutalité des 7 milliards d'euros d'économies que nous proposions. Vous proposez aujourd'hui 10 milliards - et en même temps, vous lâchez 5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. On n'y comprend plus rien ! Le Gouvernement marche sur la tête, les agriculteurs l'ont bien dit.

Vous vous félicitiez d'augmenter le fonds vert, et vous en réduisez la portée aujourd'hui. Idem pour MaPrimRénov'.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-François Husson.  - Ne soyons pas oublieux. Vous avez mis en cause, à juste titre, l'inaction des gouvernements de gauche - que vous souteniez à l'époque ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hervé Maurey applaudit également.)

Crise agricole (III)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après des semaines de tension dans le monde agricole et des années de frustration liée aux échecs des lois Égalim, le Président de la République semble, à la surprise générale, entendre enfin la principale revendication des paysans : une juste rémunération de leur travail. Mais le flou gouvernemental sur les prix planchers fait craindre que cette annonce, qui pourrait être une bonne idée, ne dépasse pas le stade de la promesse...

Comment remettre du revenu dans nos fermes, en particulier dans les filières et les régions les plus en difficulté ? Le plan de trésorerie d'urgence ne suffira pas à faire pas retomber la pression financière. Quant à une nouvelle loi Égalim, la cinquième du nom, elle n'entrerait pas en vigueur avant la fin de l'année.

En son temps, Jean Glavany, avec les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), avait sauvé de nombreuses fermes. En nous en inspirant, réfléchissons à un dispositif adapté aux enjeux actuels, qui tienne compte des réalités des territoires. Les inégalités entre filières et régions, voire entre deux exploitations distantes de quelques kilomètres, poussent à une contractualisation territorialisée et individualisée.

Le groupe socialiste du Sénat demande solennellement une révision du plan stratégique national (PSN) de la PAC, afin de nous donner les moyens d'agir pour une meilleure régulation des prix, une plus juste répartition des aides, un accompagnement renforcé de la transition agroécologique et un soutien aux filières en difficulté.

Pour faire face à la crise, allez-vous engager une telle révision de notre PSN ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Nul ne peut nier que l'agriculture européenne traverse une crise majeure, sous l'effet de la covid, de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, de la déstabilisation des marchés organisée par M. Poutine et du dérèglement climatique.

Dans ce contexte, il est naturel que la colère de nos agriculteurs s'exprime haut et fort. Pour reprendre la formule de Clemenceau, la colère gronde, mais elle ne doit pas rester sourde aux appels de l'action. Comment tolérer que ceux qui nous nourrissent ne puissent vivre décemment de leur labeur ?

Le Gouvernement est à l'action pour leur assurer une juste rémunération, les protéger de la concurrence déloyale et simplifier leur vie, pour qu'ils puissent passer plus de temps sur leur exploitation et moins dans leur bureau.

Marc Fesneau et moi-même sommes en permanence sur le terrain, à l'écoute. Nous n'avons pas attendu le Salon de l'agriculture pour agir.

Sous l'égide du Président de la République et du Premier ministre, nous déployons rapidement un plan d'action. Des fonds d'urgence ont d'ores et déjà été mis en place, et les premiers dossiers sont payés depuis mi-février : c'est de l'argent frais qui arrive dans les cours de ferme. Je pense notamment au fonds MHE (maladie hémorragique épizootique) et au fonds viticulture. Nous avons aussi pris une mesure de trésorerie sur le GNR et avons négocié avec le ministre de l'économie des mesures de trésorerie au niveau des banques.

M. Christian Redon-Sarrazy.  - Répondez sur le PSN ! (On renchérit sur plusieurs travées du groupe SER.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - De premiers textes de simplification ont été publiés, et nous engageons une réflexion à travers la mission Égalim.

L'avenir de notre modèle agricole passera par le renouvellement des générations : ce défi sera au coeur d'un prochain projet de loi.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. - Quant au PSN, il vient d'être négocié avec l'ensemble des filières. (Marques d'impatience à droite)

M. le président. - Veuillez conclure !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. - Il n'y a donc pas de raison de le modifier à ce stade : nous avons un plan d'action adapté à la situation.

Prix plancher pour les agriculteurs

Mme Sophie Primas .  - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs semaines, le Premier ministre et vous-même, madame Pannier-Runacher, tentez de renouer la confiance avec la profession agricole. Et voilà qu'à l'ouverture du Salon de l'agriculture, le Président de la République, survolté et en bras de chemise, annonce, dans un de ces grands numéros de communication qu'il affectionne, - tadam ! - les prix planchers. (Rires et quelques applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Sortie de nulle part et réclamée par personne, comme la présidente Estrosi Sassone et moi-même l'avons vérifié au Salon, cette annonce a laissé sans voix les paysans, les organisations professionnelles et jusqu'à vous-même, qui aviez du mal à cacher votre stupéfaction.

Récemment, votre collègue Olivia Grégoire disait, à juste titre, que les prix planchers rappelaient Cuba ou l'Union soviétique. (On se gausse à droite.) Quant à Marc Fesneau, il qualifiait cette mesure de démagogique...

Les prix planchers relèvent de l'économie administrée : ils n'ont aucun sens dans un marché ouvert. S'ils sont appliqués, ils deviendront des prix plafonds, lamineront notre compétitivité à l'export et entraîneront une surproduction, comme pour le lait dans les années 1980 - la profession s'en souvient.

Les effets d'annonce ne résolvent rien. Et cette méthode jupitérienne empêche de recréer la confiance entre le monde agricole et la parole publique.

Que diable êtes-vous allée faire dans cette galère des prix planchers, auxquels vous-même ne croyez pas ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

M. le président.  - Madame la ministre, nous avons un temps plancher de deux minutes... (Rires)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - Un temps plafond, si je puis me permettre... Comme temps plancher, je m'en satisferais volontiers !

Depuis plusieurs années, nous oeuvrons à une meilleure rémunération des agriculteurs à travers les lois Égalim. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous avons fait évoluer le rapport de force entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Reste que le compte n'y est pas - notamment pour les filières fragiles, comme l'élevage bovin.

Le Président de la République a pris la température (On se gausse à droite et sur certaines travées à gauche) et constaté que les lois Égalim n'ont pas tenu toutes leurs promesses. Il nous faut donc remettre l'ouvrage sur le métier et aller un cran plus loin pour faire respecter les règles et sanctionner les tricheurs.

M. Michel Savin.  - Il n'a pas dit cela !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.  - Notre objectif est que les prix soient construits en marche avant, c'est-à-dire par des négociations entre agriculteurs et industriels fondées sur des indicateurs de référence, avant le début des négociations entre industriels et distributeurs.

C'est le sens de la mission confiée à deux députés, qui présenteront leurs propositions dans les mois qui viennent.

Non, les prix planchers ne sont pas des prix administrés : ce n'est pas Cuba sans le soleil. (M. Jean-François Husson s'exclame.) Il s'agit de prix établis avec les interprofessions, sur la base d'indicateurs de référence. Mme la ministre Grégoire a eu raison de dénoncer les projets de l'extrême gauche, qui auraient eu les conséquences que vous avez décrites. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Sophie Primas.  - Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question, mais je n'en suis guère surprise.

Des solutions pour améliorer Égalim, nous vous en avons proposées, et nous continuerons. Mais la question majeure, pour vous, est : comment rétablir la confiance avec les agriculteurs ? Car ils ont compris que vous teniez deux langages : un à Paris, pour le Salon de l'agriculture, et un autre à Bruxelles, où les députés européens Renew votent des mesures de décroissance agricole ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur des travées du groupe UC ; Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Barros applaudissent également.)

Tourisme de montagne

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le dérèglement climatique bouleversera nos modes de vie. Comment accompagner la transformation des territoires de montagne ? C'est l'objet de deux rapports récents.

Le premier résulte de la commande faite par Élisabeth Borne à l'ancien ministre Joël Giraud : intitulé Pour une montagne vivante en 2030, il défend une vision de long terme, avec des investissements favorisant la diversification des activités et la préservation de la démographie. Il expose la manière de conjuguer économie de la montagne, développement durable et maintien de l'activité coeur, autour de la neige.

Le second, récemment publié par la Cour des comptes, porte sur les stations de ski dans le contexte du réchauffement climatique. Il dépeint un secteur sous perfusion, qui serait incapable de s'adapter aux enjeux écologiques. L'analyse des magistrats se fonde sur une grille exclusivement financière et des indicateurs très contestables : aucune prise en compte de l'étendue des domaines, de l'exposition des pistes ou du nombre de communes supports. À croire que leur culture montagnarde se limite à la montagne Sainte-Geneviève, qui culmine à 61 mètres à Paris... (M. Loïc Hervé renchérit.)

Pour laquelle de ces visions le Gouvernement va-t-il opter ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation .  - Voilà plusieurs années que le Gouvernement suit de près la situation économique des stations de montagne -  thème du rapport de la Cour des comptes.

Nous soutenons massivement les investissements, notamment à travers le plan Avenir Montagne lancé par Jean Castex pour plus de 330 millions d'euros, au service d'une montagne des quatre saisons. Le ski est au coeur de la montagne : il ne s'agit pas de le remplacer, mais d'accompagner ce que les élus de ces territoires appellent de leurs voeux, c'est-à-dire une montagne qui accueille en toute saison.

Nous accordons des subventions importantes à des projets concrets pour aménager la montagne dans cette perspective. Les taux d'occupation dépassent 50 % en juin dans les Alpes ; ils atteignent à la mi-septembre 60 % dans les Alpes du nord et 58 % dans les Alpes du sud. Il y a aussi la montagne de l'avant-ski et de l'après-ski.

Le Gouvernement s'attache à accompagner ces mutations, sans vision parisienne mais avec lucidité.

Vous avez écrit à Bruno Le Maire le 6 février dernier ; la réponse est en partance.

Nous répondrons aux difficultés conjoncturelles et travaillerons de manière structurelle à l'horizon 2030, dans le sens du rapport Giraud. Je salue l'engagement des collectivités territoriales.

La montagne, ça nous gagne. (M. Mickaël Vallet porte la main à son visage en signe d'accablement.) Mais surtout, elle gagne - des touristes, et en toute saison ! (M. François Patriat et Mme Patricia Schillinger applaudissent.)

M. Jean-Michel Arnaud.  - Merci de l'attention que vous portez à la montagne. Mais je souhaite que le Gouvernement dénonce clairement l'approche de la Cour des comptes, complètement à côté de la plaque.

Nous attendons une nouvelle version du plan d'aménagement de la montagne, qui vise la diversification des activités, mais aussi la consolidation de l'existant. Je pense en particulier à des aménagements qu'il faut terminer, comme sur la montagne de la Meije. C'est aussi de cette façon que l'on respectera les acteurs de la montagne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Coupes budgétaires pour l'éducation nationale

M. Jacques Grosperrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les ministres de l'éducation nationale se succèdent à un rythme soutenu, confirmant l'absence de politique éducative du Président de la République.

Quel point commun entre Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye ? Nous avons vite compris que le second avait à coeur de remettre en cause le travail du premier.

Madame Belloubet, vous succédez à Gabriel Attal, qui avait fait des annonces. Allez-vous à votre tour les remettre en question ?

Êtes-vous, comme lui, favorable au redoublement, à l'aménagement du collège unique, à la généralisation de la tenue scolaire, à l'interdiction de l'abaya et au respect de la laïcité lors des sorties scolaires, à la restauration de l'autorité à l'école ? Ou considérez-vous que ce sont là des fariboles, comme vous l'avez dit jadis ?

Alors que votre prédécesseur a dit et répété que l'éducation nationale était la mère des batailles, comment justifiez-vous la baisse de 700 millions d'euros du budget de l'enseignement scolaire ? Comment comptez-vous enrayer la baisse de niveau de nos petits Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Le Président de la République et le Premier ministre ont fixé nos priorités pour l'école : améliorer nos résultats scolaires, c'est-à-dire l'efficacité de notre système éducatif, et assurer le bien-être de nos élèves et de nos enseignants, car un climat de sérénité est indispensable à la réussite éducative.

M. Max Brisson.  - Ce n'est pas la question !

Mme Nicole Belloubet, ministre.  - Vous me posez une série de questions dont certaines m'étonnent.

Suis-je favorable à la laïcité ? Comment pourrais-je vous répondre autrement que par l'affirmative ? La laïcité est indissolublement liée à la République, et je ne vois pas comment nous pourrions ne pas exiger le respect de nos règles communes. Je suis à cet égard d'une fermeté totale.

Suis-je favorable à l'autorité ? Mais je vous le demande : peut-on vivre ensemble sans règles respectées par tous ?

Vais-je poursuivre les orientations fixées par mon anté-prédécesseur, M. le Premier ministre, autour du choc des savoirs ? Évidemment : ces mesures sont indispensables à la réussite de nos élèves. Je veillerai, dans le dialogue avec les personnels, les parents et l'ensemble de la communauté éducative, à les rendre applicables dès la rentrée prochaine.

Quant au budget de l'éducation nationale, il s'élève à 64 milliards d'euros, hors pensions. Les annulations de crédits que nous devons supporter, dans le cadre d'un effort collectif pour notre stabilité financière, représentent moins de 1 % de ce budget. Aucun poste ne sera supprimé et nous maintiendrons nos choix pour la rentrée prochaine. (Applaudissements sur des travées du RDPI)

M. Jacques Grosperrin.  - Il y a mots d'amour et preuves d'amour. Par le passé, vous n'avez pas fait preuve des grandes convictions que vous affirmez aujourd'hui. Certes, la fonction peut vous changer... (Mme Nicole Belloubet marque son incompréhension.) Reste que j'ai un grand doute - comme les professeurs, les parents et tous les Français, qui s'interrogent sur l'avenir de l'école. En matière de laïcité, notamment, nous savons que les actes ne suivront pas vos paroles. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Économies budgétaires (III)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ma question s'adressait au ministre de l'économie, qui brille une nouvelle fois par son absence...

La semaine dernière, il annonçait 10 milliards d'euros d'économies sur le budget 2024 : c'est inédit et colossal ! Une fois de plus, vous vous détournez du Parlement.

M. Jean-François Husson.  - C'est vrai !

M. Thierry Cozic.  - Nous vous avions pourtant prévenus, sur tous les bancs de cet hémicycle. Mais du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) à la Banque de France, vous n'avez écouté personne. Vos prévisions de croissance, 1,4 % puis 1 %, étaient irréalistes, frôlant l'insincérité budgétaire.

L'austérité n'est pas une fatalité, mais un choix politique. En refusant d'augmenter les impôts des plus aisés, vous faites le choix d'une punition collective pour les classes moyennes.

Alors que le quinquennat du Président de la République devait être écologique, l'écologie est, une fois de plus, la variable d'ajustement.

Ce coup de rabot budgétaire est-il vraiment de nature à réarmer notre économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Se détourne-t-on du Parlement en ayant recours à un décret d'annulation ? (M. Mickaël Vallet ironise.) La loi organique relative aux lois de finances (Lolf) le permet, et nous y avons déjà eu recours par le passé. Cet ajustement est important, car le ralentissement économique est important ; il est précoce, car ce ralentissement est intervenu en fin d'année dernière.

Nous nous tenons, avec Bruno Le Maire, à la disposition de la commission des finances du Sénat, qui devrait nous auditionner dès la semaine prochaine.

M. Jean-François Husson.  - Vous prenez votre temps !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Vous nous accusez d'insincérité. Le projet de loi de finances a été déposé le 27 septembre dernier, alors que l'OCDE, le FMI et la Commission européenne prévoyaient une croissance française comprise entre 1,2 et 1,4 %.

Votre accusation serait valable si nous étions les seuls à revoir notre prévision de croissance. Or l'Allemagne et la Commission européenne ont également tenu compte du ralentissement économique.

Je maintiens que nos prévisions ont été rigoureuses et qu'il était de notre responsabilité de nous adapter sans délai à la nouvelle donne économique. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Thierry Cozic.  - Vous cherchez à vous dédouaner de votre impéritie. Mais avec les suppressions de postes que vous envisagez dans l'éducation nationale, la justice et la recherche, vous sacrifiez l'avenir du pays sur l'autel des marchés financiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Finances des départements

Mme Pauline Martin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chefs de file en matière de solidarité et bons élèves jusqu'à présent, les conseils départementaux s'interrogent sur le modèle qu'on leur impose : droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en chute libre, leviers fiscaux anéantis, dépenses sociales en augmentation, compensations réduites comme peau de chagrin, normes par légions... Comment maintenir le cap, dans ces conditions ?

Interrogeons-nous : quel est le rapport qualité-prix de nos politiques publiques ? Un élève du secondaire coûte 13 000 dollars en France, contre 11 000 en moyenne dans le reste de l'OCDE, alors que nous régressons dans le classement Pisa.

La suppression de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), financée par l'État, va conduire ses bénéficiaires à demander le RSA, financé par les départements. Voilà une nouvelle délégation sans moyens !

Une voix à droite.  - Et voilà !

Mme Pauline Martin.  - Et l'on arrête des projets parce que de petits ponts de bois font de l'ombre à des crapauds...

Ce découragement et ce ras-le-bol rendent nos collectivités solidaires de notre ferme France qui s'enflamme - rien à voir avec l'année olympique.

Allons-nous vers une asphyxie programmée des départements ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Je partage votre constat sur la situation des départements, qui font face à un effet ciseaux.

M. Jean-François Husson.  - Ah, les ciseaux !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Les dépenses augmentent, tandis que les recettes sont à la peine - moins 20 % en moyenne pour les DMTO. Certains départements sont en difficulté, même si - j'insiste - la situation est très hétérogène.

Des mesures en faveur des départements sont prévues dans le budget 2024 : dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation, les départements bénéficient d'une fraction de TVA, soit 250 millions d'euros supplémentaires ; le fonds de sauvegarde a été porté à 106 millions d'euros ; 150 millions d'euros ont été prévus pour l'autonomie ; le fonds de péréquation des DMTO atteint 245 millions d'euros ; la possibilité pour les départements de s'assurer eux-mêmes permet une mise en réserve de 35 millions d'euros. (Mme Sophie Primas marque son désaccord.)

Nous suivons de près la situation. En avril-mai, nous aurons des données précises - débattons-en à ce moment. Par ailleurs, la semaine prochaine, nous aurons ici même un débat sur cette question.

M. Bruno Belin.  - Bla bla bla...

Mme Pauline Martin.  - Après quarante ans de toujours plus d'État, de lois, de décrets, de circulaires et de paperasse, il faut faire preuve de volonté et de courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K)

Zonage France ruralités revitalisation (FRR)

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP) La réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) est loin de faire l'unanimité dans les territoires. De nombreux élus parlent même déjà d'un fiasco en raison des aberrations et des inégalités !

Comment expliquer qu'une commune de plus de 25 000 habitants soit classée alors qu'une petite commune rurale ne l'est pas ? Des départements entiers comme la Moselle ou le Rhône sortent du classement, comme une partie de la Haute-Loire et du Jura.

Louis-Jean de Nicolaÿ, Didier Mandelli, Rémy Pointereau et moi-même vous avions mise en garde, mais vous êtes passée outre. C'est un grand tort d'avoir raison trop tôt, disait Edgard Faure... Nous n'étions pas devins, mais simplement à l'écoute des territoires, car le dialogue vaut toujours mieux que les tableaux Excel et les algorithmes.

Comment comptez-vous pallier les nombreux effets pervers de cette réforme ? Les préfets pourront-ils rattraper les communes qui n'auraient pas dû sortir du classement ? Envisagez-vous un moratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Collectivement, nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie à cette réforme, qui a abouti à un vote unanime dans cet hémicycle.

Je comprends les inquiétudes de certaines communes qui ne satisfont pas aux critères et ne seront donc plus incluses. Pour la plupart, elles avaient été maintenues artificiellement dans le classement depuis 2015. Leur situation s'est améliorée, c'est une bonne nouvelle.

L'ancien zonage était devenu inéquitable, illisible et peu efficace, car seules 7 % des communes zonées se saisissaient du dispositif.

Le nouveau zonage sera plus juste, au profit des territoires de montagne et en déprise démographique.

Il sera aussi plus efficace, grâce au renforcement des exonérations - je salue le travail de Frédérique Espagnac et Bernard Delcros.

Cette réforme cible 17 700 communes contre 13 500 auparavant, soit deux tiers des communes rurales.

J'entends les inquiétudes des maires dont les communes sortiront du zonage et j'échange avec eux. Le nouveau zonage entrera en vigueur le 1er juillet prochain. Je ne laisserai personne sans solution, mon engagement pour la ruralité est total. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

M. Jean-François Longeot.  - La réforme est mal engagée. Je vous invite à venir à la rencontre des élus du Doubs, mais pas pour leur expliquer, comme aurait dit Coluche, comment se passer du zonage ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

La séance est suspendue à 16 h 25.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 40.