Rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes. (M. Pierre Moscovici, Premier président, prend place au banc du Gouvernement.)

C'est avec grand plaisir que nous vous accueillons pour notre désormais traditionnel débat sur le rapport public annuel de la Cour, rendu public hier. Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie.

Un représentant de chaque groupe politique prendra la parole afin que le Sénat puisse s'exprimer, dans toute sa diversité, sur les observations et recommandations de ce rapport.

Ce débat traduit notre attachement à la mission d'assistance du Parlement au contrôle du Gouvernement confiée par la Constitution à la Cour des comptes. Votre expertise est un concours précieux.

Vous regrettez, à l'instar de notre commission des finances, les perspectives de croissance trop optimistes que le Gouvernement a retenues, si bien que la loi de finances promulguée il y a moins de trois mois est déjà en partie obsolète et que le Gouvernement a dû réduire ses dépenses de 10 milliards d'euros. Nous sommes impatients d'entendre votre analyse sur la crédibilité de la trajectoire pluriannuelle et les conditions de son respect.

Cette année, l'adaptation au changement climatique est au coeur de votre rapport. Vous soulignez la nécessité d'une action transparente, cohérente et efficiente. Cela concerne tous les domaines de l'action publique et de nombreux acteurs : l'État, les ménages, les entreprises, les institutions financières, mais aussi les collectivités territoriales.

Le Sénat s'est déjà saisi de cette question, comme en témoignent les travaux de la délégation sénatoriale à la prospective en 2019, appelant à adapter les politiques publiques aux dérèglements climatiques ou, plus récemment, ceux de notre commission des affaires économiques dans le cadre de la loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, du RDPI et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes .  - Merci pour votre accueil, qui reflète la qualité des liens entre nos deux institutions.

Le rapport public annuel 2024 est le fruit d'un travail collectif des chambres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes -  pour la première fois, chaque chambre régionale ou territoriale a participé à au moins un chapitre de ce rapport.

Sa parution est un rendez-vous traditionnel et essentiel. Ce rapport public annuel n'est plus un simple assemblage. Depuis 2022, il prend la forme d'une publication thématique : cette année, l'adaptation au changement climatique, c'est-à-dire l'ensemble des mesures à prendre pour continuer à vivre de façon supportable dans un climat qui aura profondément changé. L'adaptation n'est pas l'atténuation, même s'il faut agir sur les deux volets.

Cette thématique est au coeur des préoccupations de nos concitoyens. C'est aussi un enjeu territorialisé : chaque région, chaque commune devra s'adapter. C'est un rapport d'actualité : le troisième plan national d'adaptation au changement climatique est attendu pour cet été.

Nous avons d'abord constaté l'absence de chiffrage exhaustif du coût de cette adaptation - entre 2,3 et 3,3 milliards d'euros selon les sources. Nous avons décidé de donner seize coups de projecteurs thématiques. Jusqu'à présent, il n'existait pas de panorama transversal : nous devions réaliser ce colossal état des lieux.

Notre rapport public annuel comporte toujours un premier chapitre consacré aux finances publiques. J'y reviendrai.

Les seize chapitres thématiques se répartissent en trois catégories : adaptation des secteurs transversaux - recherche, institutions financières et bancaires, Agence française de développement (AFD) ; adaptation des grandes infrastructures - villes, logement, centrales nucléaires, hydroélectricité, transport, armées ; enfin, adaptation de la nature - forêt, catastrophes naturelles outre-mer, trait de côte, cultures céréalières, stations de montagne, protection des plus vulnérables face aux vagues de chaleur.

Quatre enseignements et principes d'action pour les politiques d'adaptation peuvent être tirés de ces enquêtes.

Premièrement, il faut mieux connaître les effets du changement climatique. La prise de conscience existe, mais elle est hétérogène. Pour certains domaines, elle est récente, pour d'autres, elle reste à faire.

Nous devons améliorer les prévisions et les données, souvent lacunaires : seuls deux tiers des 200 000 bâtiments de l'État sont recensés. Les prévisions météo sont de moindre qualité outre-mer que dans l'Hexagone, alors que les risques y sont autrement plus élevés.

Deuxièmement, il faut informer les citoyens pour éviter qu'ils se « fassent avoir ». La confusion entre adaptation et atténuation est parfois savamment entretenue par les produits financiers « verts ». Communiquer, c'est aussi faire de tous des acteurs des politiques publiques et obtenir leur adhésion.

Troisièmement, nous avons besoin d'une stratégie cohérente : il faut planifier. Les objectifs doivent être conciliés avec ceux d'autres politiques publiques. Or l'articulation est souvent difficile, notamment dans les zones touristiques. J'ai vu les réactions à la publication de notre rapport sur les stations de ski. (M. Jean-Michel Arnaud s'exclame.) Ce rapport n'est pas à charge !

La planification existe, mais elle est défaillante et dispersée. Il faut un pilote dans l'avion, qui coordonne les acteurs et arbitre. Or le pilotage des grands réseaux est plus abouti au sein d'EDF que de la SNCF, par exemple. Il faut aussi mieux coordonner l'action du bloc communal.

L'État lui-même ne joue pas correctement son rôle de stratège. Ainsi, les gestionnaires d'infrastructures ferroviaires doivent pouvoir se référer à un niveau de résilience cible.

Quatrièmement, comment financer cette adaptation ? L'évaluation de son coût est lacunaire, voire inexistante. Or elle ne passe pas nécessairement par de nouvelles dépenses : mieux vaut inciter les acteurs à agir. Dans le secteur financier, il faudrait intégrer un critère d'impact environnemental aux outils financiers. Il faut aussi un fonds de solidarité face au recul du trait de côte.

Nous mettons en garde contre le risque de mal-adaptation : le développement systématique de la production de neige, parfois à température positive, est absurde. (M. Jean-Michel Arnaud s'exclame ; M. Yannick Jadot acquiesce.) Il en va de même pour le rechargement des plages en sable.

Le rôle de la recherche est essentiel. L'agriculture céréalière a développé un système de recherche et d'innovation complet. C'est moins le cas pour la forêt ou le logement.

Dans de nombreux domaines, nous ne sommes pas à l'année zéro. Mais le défi est immense.

J'en viens à la situation de nos finances publiques, qui est préoccupante - je l'ai répété maintes fois -, d'autant plus au regard des besoins d'adaptation que je viens d'évoquer.

Je dresserai trois constats. Premièrement, 2023 a été, au mieux, une année blanche. En réalité, elle fut pire que 2022. La trajectoire 2023-2027 est exigeante : 2023 est un faux départ. Cela n'a pas été la fin du « quoi qu'il en coûte » ; les recettes fiscales ont été peu dynamiques ; de mauvaises surprises de l'ordre de 8 milliards d'euros ont creusé le déficit. La marche pour 2024 est d'autant plus haute.

Deuxièmement, le respect de l'objectif pour 2024 n'est pas acquis. La prévision de croissance 1,4 % était trop optimiste : je l'avais dit à la commission des finances au titre du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). (M. Claude Raynal acquiesce.) Finalement, le Gouvernement table sur 1 %, ce qui reste plus optimiste que le consensus des économistes. La loi de finances prévoit toujours une réduction de 0,5 point de pourcentage du déficit, de 4,9 à 4,4 %, mais les 4,9 % prévus pour 2023 risquent d'être significativement dépassés.

Aucun effort d'économie structurelle n'est programmé en 2024. Résultat : le Gouvernement est forcé d'annuler 10 milliards d'euros de crédits. Mais il faut encore identifier les réformes touchées, et ce ne sont pas des économies structurelles.

Les objectifs pour 2024 sont donc loin d'être atteints. La prévision de croissance du Gouvernement reste élevée et les recettes de 2023 sont plutôt décevantes. Il n'est donc pas certain que les 10 milliards d'euros d'économies soient suffisants. Cela explique que le ministre de l'économie ait annoncé qu'il s'agissait là d'une première étape, avant un probable projet de loi de finances rectificative à l'été.

Même si nous parvenions à tenir l'objectif de 4,4 %, nos finances publiques resteraient parmi les plus dégradées de la zone euro, avec 110 points de PIB de dette publique. L'Autriche, l'Allemagne, mais aussi le Portugal, l'Espagne, la Belgique, font mieux en Europe. Regardons cette réalité en face : nous avons un problème de crédibilité en Europe.

Troisièmement, la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) est peu ambitieuse et très fragile. Peu ambitieuse, car nous visons le passage sous les 3 % en 2027, alors que d'autres pays y sont déjà parvenus. Très fragile, car elle ne présente aucune marge de sécurité tant ses sous-jacents sont optimistes. Surtout, la trajectoire repose sur des efforts d'économies sans précédent - 50 milliards d'euros. La LPFP prévoit 12 milliards en 2025 et le ministre des comptes publics a même annoncé 20 milliards d'euros. Ces économies ne sont ni documentées ni étayées. Je plaide depuis longtemps pour des revues de dépenses intelligentes et structurelles. Le Premier ministre en a demandé quelques-unes à la Cour des comptes.

Il faut concilier ajustement budgétaire et amélioration de la trajectoire de croissance. Les deux s'entretiennent : c'est un défi incontournable.

Nous avons trop tardé à nous attaquer à la maîtrise de la dépense publique. L'effort est considérable. Je ne sous-estime pas la difficulté de l'exercice, mais nous ne pouvons nous y dérober. Il faut donc de la volonté politique, du courage, de l'intelligence, de la croissance et de la pédagogie.

Notre rapport, en prise avec les réalités du terrain, illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières. Il montre que nos finances publiques conditionnent notre capacité à nous adapter au changement climatique. (Applaudissements sur quelques travées des groupes SER, INDEP, UC, Les Républicains et du RDPI)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains) La remise de ce rapport est un exercice traditionnel, qui ne résume pas la densité de nos relations avec la Cour des comptes : hier, la commission des finances l'a entendue sur la délivrance des titres sécurisés ; monsieur le Premier président, nous vous retrouverons la semaine prochaine sur l'enquête consacrée aux industries culturelles ; en outre, chaque rapporteur spécial suit les travaux de la Cour qui le concernent.

La Cour rappelle que la croissance s'est élevée à 0,9 % en 2023 et que le Gouvernement, après avoir envisagé 1,4 % pour 2024, a révisé sa prévision à 1 %. La prudence et le réalisme auraient pourtant dû le conduire à retenir des hypothèses moins optimistes -  nous l'avions dit.

Résultat : le déficit public devrait largement dépasser les 4,9 % en 2023 et il sera d'autant plus difficile d'atteindre les 4,4 % en 2024. Le plan d'économies prévu par décret n'y suffira pas. La prévision de croissance du Gouvernement pour 2024 reste supérieure de 0,7 point au consensus des économistes... Dès 2024, le Gouvernement risque de s'écarter de la trajectoire 2023-2027.

Comment ne pas s'étonner qu'un projet de loi de finances maîtrisé de A à Z par l'exécutif, en raison de l'utilisation du 49.3, débouche sur la plus forte annulation de crédits, dès sa promulgation ?

Le Parlement a quelque chose de commun avec vous, monsieur le Premier président : la désagréable impression de prêcher dans le désert. Nous ne pouvons accepter plus longtemps ces déclarations d'intention, suivies de brutales corrections en cours d'exercice. Nous devons remettre à plat le budget tant en recettes qu'en dépenses, sans faire porter l'essentiel de l'effort sur les plus fragiles. Notre pays a besoin d'une vision d'ensemble, de priorités claires et de choix concertés.

J'en viens à la partie du rapport consacrée au changement climatique, qui fait écho à des travaux du Sénat, notamment de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique et du rapporteur spécial de la mission Écologie.

Selon la Cour, MaPrimeRénov' a financé essentiellement des rénovations par étapes, au détriment des rénovations globales - 3 % des surfaces rénovées. Après avoir annoncé une réforme d'ampleur, le Gouvernement a fait machine arrière, pour revenir au financement des opérations monogestes, bien moins efficaces.

La Cour des comptes et le Sénat font le même constat sur le retrait-gonflement des argiles, qui concerne plus de la moitié des logements et menace le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles : il faut concentrer les efforts sur le bâti existant, angle mort de la prévention.

La Cour consacre un chapitre à l'adaptation des villes. La commission des finances et celle du développement durable ont lancé une mission conjointe de contrôle sur les inondations de 2023-2024.

Le changement climatique affecte les infrastructures de transport et de distribution de l'électricité ; la commission d'enquête sur la consommation, la production et les prix de l'électricité s'y intéressera.

À la demande de la commission des finances, la Cour des comptes s'est penchée en mars 2023 sur l'adaptation de nos parcs nucléaire et hydroélectrique au changement climatique, sujet central à l'heure où la France veut prolonger son parc nucléaire historique et construire de nouveaux réacteurs.

La Cour relève que les politiques de prévention des catastrophes naturelles outre-mer sont guidées par l'urgence et portent davantage sur la réparation des dégâts que sur la prévention.

Il est indispensable de prévoir l'association et l'accompagnement des différents acteurs, notamment des collectivités territoriales, qui vont devoir arbitrer entre leurs politiques traditionnelles - de logement par exemple - et ces nouveaux défis - comme s'agissant de l'artificialisation des sols. Nos collègues qui se penchent sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN) vous le diraient. Les mécanismes de solidarité financière sont plus que jamais nécessaires.

Je ne doute pas que les travaux de la Cour continueront à nourrir ceux du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDPI, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Comme chaque année, nous avons pris connaissance avec grand intérêt du rapport annuel de la Cour des comptes, qui fait un point d'étape sur la situation de nos finances publiques. Il en souligne la dégradation, par rapport à la situation d'avant crise et à celle de nos voisins européens. Sans efforts vigoureux, la LPFP risque d'être rapidement caduque.

Je veux évoquer la question de la sincérité des comptes. La loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale ont été adoptées sur la base d'une prévision de croissance du PIB de 1,4 %, alors que le consensus des économistes était à 0,8 %. L'encre à peine sèche, le Gouvernement a révisé sa prévision à 1 %, niveau que la Cour continue de considérer comme optimiste, et se sent autorisé à réduire les dépenses de 10 milliards d'euros.

C'est un dévoiement de procédure. L'examen des textes financiers est un temps fort de notre vie démocratique, à l'origine de la création des parlements. Non seulement l'Assemblée nationale n'examine plus les textes financiers en raison du 49.3, mais l'exercice est vidé de son sens par des prévisions irréalistes que le Gouvernement révise ensuite seul. C'est contraire à l'esprit de nos institutions. Espérons que c'est passager, lié à une échéance, et que le Parlement sera bientôt saisi d'un projet de loi de finances rectificative et d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative : le Sénat est prêt à en débattre dans un esprit constructif. Je souhaite que le Conseil constitutionnel s'empare de cette question de la sincérité budgétaire. (M. Hugues Saury renchérit.)

La Cour des comptes s'inquiète de la trajectoire de déficit de la sécurité sociale envisagée par le Gouvernement : 17,2 milliards d'euros en 2027 en l'absence de tout creux économique. Nous nous en étions émus à l'automne et avions rejeté l'article correspondant.

Le Sénat a pris ses responsabilités sur la réforme des retraites, comme sur celle de l'assurance chômage, mais en l'absence de projet de réforme structurelle de l'assurance maladie et de la prise en charge de la dépendance, je m'inquiète. Le Gouvernement propose de mettre toujours plus d'argent dans un système à bout de souffle - l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a augmenté de 49 milliards d'euros en cinq ans !

La Cour consacre un chapitre de son rapport à la protection de la santé des personnes vulnérables en cas de vague de chaleur. Nous nous souvenons tous des conséquences dramatiques de la canicule de 2003 pour les personnes âgées. Depuis, des mesures ont été prises : plans canicule, alertes météo, listes des personnes isolées et âgées tenues par les communes, salles rafraîchies dans les Ehpad.

La Cour recommande de renforcer nos connaissances, d'élaborer une liste de médicaments d'intérêt, d'élargir les critères d'inscription des personnes les plus vulnérables sur les listes municipales et d'évaluer l'adaptation du parc immobilier sanitaire, social et médico-social. Mais l'adaptation des lieux de vie des personnes dépendantes risque de peser sur des acteurs déjà à bout de souffle.

La cinquième branche manque d'une vision. Nous attendons un projet de loi Grand âge, ainsi que nous l'avons demandé dans la loi Bien vieillir. Une succession de propositions de loi ne saurait fixer un cap.

La commission des affaires sociales apprécie sa coopération avec la Cour des comptes. Nos échanges ne se limitent pas à la présentation du rapport annuel. Il y a aussi le rapport de certification des comptes de la sécurité sociale et celui sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, ainsi que les enquêtes demandées à la Cour, comme récemment sur l'Agence de la biomédecine ou la santé respiratoire. Vos travaux nous apportent toujours un éclairage utile. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et sur quelques travées du groupe SER ; M. Saïd Omar Oili applaudit également.)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC remercie la Cour pour cet important travail d'investigation.

En 2022, par la voix de Vincent Capo-Canellas, nous avions rappelé la situation des comptes publics. Vincent Delahaye avait souligné l'état alarmant de notre balance commerciale. L'an dernier, Jean-Marie Mizzon a évoqué les collectivités locales et notamment leur nécessaire autonomie financière.

Cette année, le rapport fait un focus sur le développement durable, avec seize enquêtes approfondies. Vous proposez notamment un effort de recherche accru et un travail de diffusion des bonnes pratiques ; nous aussi. Votre proposition d'un fonds de lutte contre les risques naturels outre-mer est soutenue par Lana Tetuanui.

Les réseaux ferroviaires et électriques devront être dimensionnés aux besoins futurs, en tenant compte du développement des énergies renouvelables et du nucléaire.

Jean-Michel Arnaud, sénateur des Hautes-Alpes, estime qu'il ne faut pas traiter toutes les stations de montagne de la même façon. En effet, le modèle économique de certaines fonctionne bien.

Je partage votre constat alarmiste sur les finances publiques. La situation des comptes publics de 2023 nous oblige à chercher des économies et des recettes nouvelles. Le groupe UC a ouvert des pistes lors de l'examen de la loi de finances : supprimer les niches fiscales, transformer l'impôt sur la fortune immobilière en impôt sur la fortune improductive comme l'a proposé Sylvie Vermeillet, poursuivre notre effort de lutte contre les fraudes comme le souhaite Nathalie Goulet.

Il était prévu 4,9 % de déficit, or ce sera plutôt 5,3 %. Le commissaire européen que vous avez été pourra-t-il nous dire quelles en seront les conséquences au regard du pacte de stabilité ?

Alors que le Gouvernement estime que 12 milliards d'euros d'économies par an seraient suffisants, le groupe UC souscrit à la préconisation de la Cour de 50 milliards sur 2025-2027. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) Hier à 10 heures : voilà quand nous avons reçu le rapport, soit trente heures pour lire 725 pages ! Et notre temps de débat a été réduit. On fustige souvent le Gouvernement pour son manque de respect du Parlement ; commençons par nous respecter nous-mêmes !

Il est heureux que la Cour se penche enfin sur la préparation de notre pays aux chocs qui viennent.

Les années 2022 et 2023 ont été marquées par l'inflation et des prix de l'énergie élevés. C'est ce qui justifie aux yeux du Gouvernement les saignées envisagées : moins 10 milliards d'euros cette année, moins 20 milliards l'an prochain, puis moins 30 milliards jusqu'en 2027. On sabre dans l'écologie, la recherche, l'éducation...

Le rapport dénonce le manque de chiffrage des moyens nécessaires pour relever le défi de l'adaptation au changement climatique. Les collectivités ne sont pas épargnées : la Cour souligne que les villes ont réagi tardivement.

Le rapport aborde des défis spécifiques, comme les effets du changement climatique sur les réseaux ferroviaires et électriques, que les outils actuels ne modélisent pas bien. Des investissements supplémentaires et une meilleure coordination entre les opérateurs sont nécessaires pour la résilience de nos réseaux.

Se fixer pour seul indicateur la décarbonation est dangereux. Le développement massif du nucléaire risque ainsi de conduire à des situations de concurrence dans l'usage de l'eau.

Le rapport soulève aussi la question de l'efficacité de la dépense publique et celle de la nécessaire transformation de notre fiscalité environnementale, dont les rendements ont vocation à baisser à mesure que l'on se rapproche des objectifs.

Les deux parties du rapport sont presque antinomiques. Comment être dans l'orthodoxie budgétaire tout en préparant la transition écologique ? La dette climatique entre en concurrence avec la dette financière.

Nous militons pour une refonte de la fiscalité - car la transition écologique pèsera sur les recettes liées à l'énergie - et pour une politique budgétaire contracyclique afin de financer la transition et de soutenir les plus précaires.

Les défis du changement climatique exigent de tous une action urgente et coordonnée, incompatible avec la trajectoire budgétaire du Gouvernement. Ce rapport est le énième signal d'alarme d'une institution qui n'est pas réputée pour sa radicalité : prenons-le au sérieux. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Lucien Stanzione applaudit également.)

M. Éric Bocquet .  - Le monde change. Il fut un temps, pas si lointain, où la presse narrait les événements de la veille. Désormais, elle annonce ce qui se passera demain. Le rapport était sous embargo pour les parlementaires, mais Les Échos nous donnaient un accès libre aux meilleures pages. C'est très dommageable pour le Parlement.

Mission impossible qu'analyser ces 725 pages. Mais le ton a été donné dans Les Échos : « un effort sans précédent à accomplir ».

Le Gouvernement avait déjà voulu réduire la dépense publique de 16 milliards d'euros dans la loi de finances pour 2024. Voilà un rabot de 10 milliards par décret et Bruno Le Maire qui nous annonce que le plus dur est devant nous. La Cour estime les économies nécessaires sur 2025-2027 à 50 milliards d'euros. N'en jetez plus, la Cour est pleine !

Comme toujours, on ne regarde que les dépenses. La question fiscale n'est pas taboue, dites-vous. Parmi les nombreuses pistes à étudier, la Cour a publié en 2023 un excellent rapport sur les 465 niches fiscales, qui ont coûté 94,2 milliards d'euros en 2022. Aucune évaluation sur les onze prévues en 2022 n'a été réalisée. Certaines niches n'ont pas été évaluées depuis dix ans.

Parlons aussi des dizaines de milliards d'euros que nous coûte l'évasion fiscale, des 153 milliards de profits du CAC 40 l'an dernier et des 67,8 milliards de dividendes distribués !

Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Bruno Le Maire s'est rendu à une réunion du G20, au Brésil. Il s'y est dit favorable à ce que l'Europe porte l'idée d'une taxation minimale des individus et à ce que la France soit en pointe sur ces sujets. Serait-il le Dr Jekyll et Mr Hyde de la fiscalité ?

Entre avril 2022 et avril 2023, le nombre de milliardaires a augmenté de 7 %. Selon la banque suisse UBS, ils sont 2 544 et pèsent 13 000 milliards de dollars. Nous savons désormais où faire porter cet « effort sans précédent » ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

Mme Maryse Carrère .  - J'interviens dans ce débat en remplacement de mon collègue Raphaël Daubet, empêché.

Ce rapport est passionnant et - ô combien - nécessaire, mais, cette année tout particulièrement, sa publication, est intervenue trop peu de temps avant notre débat, nous privant de la possibilité d'un travail approfondi.

Sans surprise, le rapport fait état de la situation dégradée de nos finances publiques, dressant des comparaisons avec nos principaux voisins, à l'exception notable du Royaume-Uni : si notre déficit structurel, déjà élevé, a connu depuis la crise sanitaire une hausse relativement limitée, notre endettement public a beaucoup augmenté par rapport à celui des autres pays, dont certains se sont même désendettés.

S'agissant de l'adaptation de l'action publique au changement climatique, un grand nombre de préconisations visent à améliorer le suivi des indicateurs de politiques publiques. Il semble que la puissance publique ne dispose toujours pas de données suffisamment précises. Le monitoring reste donc une priorité.

Mais alors que les effets du changement climatique sont déjà bien réels, l'heure n'est plus seulement à l'accumulation de connaissances - même s'il est heureux que la recherche française excelle en sciences du climat -, mais aussi à de véritables actions d'atténuation et d'adaptation.

De bonnes tendances sont à noter, comme la hausse des moyens alloués à la rénovation énergétique des bâtiments : 7 milliards d'euros par an, contre 3 milliards en 2015. Il faut encore accélérer. La réduction de 20 % en dix ans de la consommation d'énergie des armées est également positive, mais se poursuivra-t-elle avec le changement du contexte géopolitique ?

Il est essentiel d'associer les collectivités territoriales à la mise en oeuvre des politiques d'atténuation et d'adaptation. La gestion du recul du trait de côte et sa difficile articulation avec la compétence Gemapi en sont une illustration.

M. Didier Rambaud .  - Qu'il s'agisse de la situation des finances publiques ou de l'adaptation de nos politiques au dérèglement climatique, notre groupe de la majorité présidentielle partage la principale conclusion de ce rapport : les efforts à fournir sont considérables, et nous devons dégager des marges de manoeuvre afin de financer l'avenir.

Oui, la situation macroéconomique est moins bonne qu'espéré. Les oppositions n'ont pas pour autant raison de parler d'insincérité. Nos recettes ont rapidement chuté en fin d'année, le contexte économique mondial se dégrade, nos voisins font des choix similaires aux nôtres : gardons-nous donc de tout jugement hâtif.

Nous partageons le constat dressé : il faut agir rapidement pour assainir la trajectoire des dépenses publiques. Le Gouvernement s'y est attelé, avec des efforts structurels en dépense qui commencent à porter leurs fruits - je pense notamment à la réforme de l'assurance chômage. Le récent décret d'annulation de 10 milliards d'euros de crédits confirme sa volonté de redressement.

Pour espérer ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB en 2027, nous devrons opérer des choix difficiles pour dépenser moins, mais surtout mieux. Il faut mettre un terme à l'addiction des Français aux largesses de l'État, qui suscite chaque jour de nouvelles revendications.

Au-delà de l'éventuel projet de loi de finances rectificative de l'été, je suis impatient de travailler sur la revue des dépenses publiques que le Gouvernement présentera bientôt. (M. Claude Raynal semble dubitatif.) Cette nouvelle vague de revues des dépenses renforcera l'efficacité et la crédibilité de l'action publique. Le concours de la Cour des comptes sera précieux pour atteindre une maîtrise plus volontariste de la dépense.

Peu importe le secteur concerné, les choix seront difficiles. Il faut dire que l'équation est complexe : nous devons à la fois aplanir notre montagne de dettes et franchir le mur d'investissements qui se dresse devant nous, notamment pour l'adaptation au changement climatique - le rapport Pisani-Ferry  -  Mahfouz évoque 66 milliards d'euros d'investissements supplémentaires d'ici à 2030.

Élu de l'Isère, je sais que les conséquences de la hausse des températures sont particulièrement visibles dans les stations de montagne. Si la vulnérabilité des stations varie, la diminution du taux d'enneigement est générale. Construit autour du ski, leur modèle économique doit évoluer vers un tourisme des quatre saisons. Mais à quel prix ? Selon le rapport, le coût des premières mesures d'adaptation dans les stations dépasse les 90 millions d'euros par an.

Il faut aussi repenser la gouvernance et le financement des stations. La Cour des comptes propose un fonds d'adaptation, alimenté par la taxe sur les remontées mécaniques. Il me semble important d'accompagner davantage les remontées mécaniques, les domaines skiables et les collectivités territoriales. Faut-il pour cela créer un énième fonds dont les modalités de redistribution feront débat ? Je n'en suis pas certain.

En tout cas, ces acteurs demandent plus d'accompagnement et de confiance pour réussir les transitions qui s'imposent. À nous, parlementaires, d'y travailler ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Ghislaine Senée applaudit également.) L'examen du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment important pour les parlementaires. Comme membre du groupe SER, je me réjouis du choix du thème du changement climatique.

Conformément à la tradition, le rapport traite d'abord de l'état de nos finances publiques : une croissance morose, un déficit supérieur à 5 % et une dette qui croît. Si la baisse des dépenses publiques est nécessaire, la hausse des prélèvements obligatoires ne doit plus être un tabou. Comme le disait Pierre Mendès France, « un pays qui n'est pas capable d'équilibrer ses finances publiques est un pays qui s'abandonne. »

Depuis 2017, la perte fiscale de l'État est supérieure à 60 milliards d'euros par an. La France prélèverait trop, entend-on comme une ritournelle ; mais le disque commence à être rayé. Lorsque nous ramenons les recettes publiques au nombre d'habitants, nous sommes autour de la dixième place en Europe. Il est surprenant que la possibilité d'augmenter de façon socialement juste les prélèvements obligatoires ne soit pas évoquée dans le rapport.

Le Gouvernement trouve une succession de prétextes pour continuer la forte contraction budgétaire de notre économie. Jusqu'où et à quel rythme devons-nous réduire notre déficit public ? Fortement et très vite selon l'exécutif, qui opte pour un néolibéralisme dépassé dont les classes populaires et moyennes paieront une nouvelle fois la note. Les coups de rabot à plusieurs milliards dégradent nos services publics, si utiles aux plus modestes.

La politique économique qui s'accroche à l'austérité pour des raisons doctrinales nourrit les dérives populistes. En Italie, c'est la brutalité de la contraction budgétaire qui a porté l'extrême droite au pouvoir.

La situation de nos finances publiques nécessite une action prudente en réduction de la dépense comme en hausse des recettes, afin de sauver le peu de croissance que nous enregistrons encore.

Pour retrouver des marges de manoeuvre, commençons par limiter les dépenses fiscales défavorables au climat. La Cour des comptes, le Gouvernement et les parlementaires doivent faire des propositions ambitieuses pour les réduire.

Malheureusement, le décret annulant 10 milliards d'euros de crédits affecte grandement l'écologie, diminuant notamment de 1 milliard d'euros le dispositif MaPrimeRénov', alors que les ménages les plus pauvres ont le plus à gagner aux économies d'énergie.

La rénovation des passoires thermiques est un enjeu écologique et social majeur, mais l'État met en péril l'investissement local. Les collectivités territoriales sont touchées de plein fouet par la baisse du fonds vert : leur retirer des ressources annoncées trois mois plus tôt est un mauvais signal.

En l'absence de projet de loi de finances rectificative, le groupe SER a sollicité l'organisation d'un débat au Parlement sur le budget au titre de l'article 50-1 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Ghislaine Senée applaudit également.)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La partie du rapport consacrée à la situation d'ensemble des finances publiques est un hommage à Turgot, qui contemple nos débats. (L'oratrice se tourne vers la statue surplombant l'hémicycle.)

En 1774, dans une lettre à Louis XVI, il dresse un constat dont l'acuité dans le contexte actuel est frappante : « Point de banqueroute, point d'augmentation d'impositions, point d'emprunt : pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen, c'est de réduire la dépense au-dessous de la recette. On demande sur quoi retrancher, et chaque ordonnateur dans sa partie soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons, mais comme il n'y en a point pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l'économie. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

On trouve dans le rapport quinze fois « optimiste », quatorze fois « risque », vingt-deux fois « effort », mais seulement deux fois « réalisme », une fois « confiance » et une fois « courage »... Après l'optimisme des dernières années, il est urgent d'opter pour le réalisme, c'est-à-dire le courage politique.

Or la réalité, sur laquelle nous alertons le Gouvernement depuis longtemps, c'est que la France dépense trop, que les prévisions de croissance sont trop élevées et que le recours au levier fiscal est impossible compte tenu d'un niveau d'imposition très élevé. (M. Roger Karoutchi approuve.)

Il faut entreprendre les réformes indispensables pour réduire la dépense publique structurelle, tout en adaptant notre économie au changement climatique. Sans ce courage, notre pays courra, de lois de finances optimistes en prévisions de croissance irréalistes, à sa perte.

Le pacte de stabilité et de croissance révisé sera peut-être notre meilleur allié : nous ne pouvons pas continuer de diverger par rapport à nos voisins, au risque de mettre en péril la cohésion de la zone euro.

Les 10 milliards d'euros d'économies qui viennent d'être annoncés se font au détriment de la transition écologique, notamment de MaPrimeRénov' et du fonds vert. En outre, les autres ministères suppriment d'abord leurs crédits de politique immobilière, destinés à adapter leur parc au risque climatique... Les observations du rapport consacrées à la politique immobilière de l'État sont sévères, mais justes.

Il est facile de supprimer des crédits dont les effets sont à moyen ou long terme plutôt que ceux qui financent le présent. Mais la facilité n'est pas bonne conseillère. Dans le cadre de la revue des dépenses annoncée, il ne faudra pas oublier que ne pas s'adapter ou mal s'adapter pourrait, à terme, être ruineux. Le ministre Béchu évaluait l'absence d'action à une perte annuelle de 10 % du PIB à la fin du siècle.

La Cour promeut le triptyque : connaître, informer, planifier. Selon M. Béchu, le troisième plan national d'adaptation au changement climatique sera « la grammaire du temps long, de la stratégie, de la planification »... Une chose est certaine : plus la phase de transition sera longue, plus celle-ci sera coûteuse.

Or ni l'Union européenne ni la France ne se sont dotées d'une doctrine d'emploi des fonds publics en la matière. C'est pourtant essentiel, pour que les générations futures n'héritent pas à la fois de finances publiques catastrophiques et d'un climat invivable.

Cette stratégie devra prendre en compte, avec la même importance, l'atténuation et l'adaptation. On ne peut plus raisonner en silos ! Comment peut-on envisager de financer plus de 100 000 euros de réparations pour des dommages liés au retrait-gonflement des argiles dans une maison passoire énergétique ? C'est pourtant le principe réaffirmé dans une ordonnance du 8 février 2023...

Les politiques d'adaptation sont par nature multiformes, puisqu'elles concernent des phénomènes divers - tempêtes, sécheresses, inondations - et dépendent des situations locales comme de la capacité de prévoir.

Ce rapport dresse avec acuité un constat terrible : ni nos finances publiques ni notre stratégie ne sont prêtes pour affronter le défi de la transition écologique. Un constat qui ouvre des questions sensibles, par exemple : la solidarité nationale devra-t-elle jouer lorsqu'il faudra faire déménager les habitants rendus vulnérables par le recul du trait de côte ? (M. Yannick Jadot applaudit.)

En 2022, le candidat Macron déclarait : « La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas. » J'ai le sentiment qu'elle ne l'est pas.

M. le président. - Veuillez conclure.

Mme Christine Lavarde.  - L'échec final prépare le mot désabusé du général de Gaulle : « En France, on ne fait pas de réformes, on fait des révolutions. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST)

M. Aymeric Durox .  - Je prévoyais de m'adresser au ministre de l'économie et des finances, mais, apparemment, il n'est pas invité...

Après sept années dans vos fonctions, monsieur le ministre, votre bilan est devenu votre boulet. Tout récemment, le Gouvernement a fait preuve d'insincérité en supprimant 10 milliards d'euros de crédits moins de cinquante jours après le vote de la loi de finances par les représentants de la nation.

Du fait de comptes publics catastrophiques, notre pays fait face à la menace de taux d'intérêt croissants et des agences de notation. Vous prévoyez un déficit public ramené sous les 3 % en 2027 : la Cour des comptes juge cette trajectoire peu ambitieuse et fragile. Vous avez réformé les retraites à coup de 49.3 pour, disiez-vous, combler le trou de la sécu : la Cour prévoit qu'il atteindra 17,2 milliards d'euros en 2027, deux fois plus que cette année. Vous décrétez 10 milliards d'euros d'économies : elle estime qu'il en faudrait cinq fois plus pour passer sous les 3 % de déficit en 2027.

Et que dire de vos économies, monsieur le ministre ? Alors que vous annonciez une hausse des crédits pour la justice, la recherche, l'intérieur et l'environnement, ces budgets vont être rabotés. Même l'école voit son budget réduit, de 700 millions d'euros. Le Premier ministre avait promis qu'il l'emmènerait avec lui, mais il semble que, entre Grenelle et Matignon, l'école soit passée au scalp de Bercy !

La Cour des comptes regrette l'absence de chiffrage exhaustif des dépenses nécessaires pour adapter la France au changement climatique. Une fois de plus, vos lacunes empêchent l'État de jouer correctement son rôle de stratège.

Alors que la crise du logement est toujours plus alarmante, le parc est massivement inadapté aux risques climatiques. Les politiques de rénovation se concentrent sur des aides ciblées, mais les rénovations globales visant l'adaptation restent rares.

Comment conclure sans évoquer votre défaillance en matière énergétique ? Après avoir fermé Fessenheim et abandonné le nucléaire, vous avez lancé un programme de construction de nouvelles centrales. C'est malheureusement tard, et, comme le fait observer la Cour, notre pays paie l'addition de vos choix : des dizaines de milliards d'euros manquent pour adapter les nouvelles centrales, les barrages et le réseau électrique au réchauffement climatique.

Monsieur le ministre - si vous m'entendez -, votre septennat aura mené le pays au bord de la faillite. Votre impréparation financière et le « en même temps » budgétaire grèveront longtemps la capacité de la France à préparer son avenir. (MM. Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) « Nos gains de performance ont un coût caché. La dette accumulée, longtemps restée invisible, se manifeste désormais au grand jour dans les écosystèmes. » Je fais miens ces mots d'Olivier Hamant, chercheur de l'INRAE. Ils expliquent de façon limpide comment notre modèle de production a suscité, en même temps, une dette économique et une dette financière.

Il est illusoire de croire que nous pourrons réduire l'une en continuant de creuser l'autre. L'urgence de la situation, sur un plan comme sur l'autre, nous oblige à changer de modèle, en cherchant à renforcer la robustesse de notre écosystème plutôt que sa performance.

Après avoir dû réviser sa prévision de croissance de 1,4 à 1 %, le Gouvernement est contraint d'annoncer des réductions budgétaires deux mois à peine après l'adoption de la loi de finances. Notre modèle économique, fondé sur un objectif de performance, vacille dès que celui-ci n'est pas atteint.

La Cour des comptes dresse dans ce rapport un double constat alarmant : situation préoccupante de nos finances publiques et défis pour adapter notre modèle au changement climatique. Je remercie son premier président d'avoir choisi ce dernier thème, mais je regrette vivement que le rapport n'ait pas été transmis plus tôt à notre commission de finances.

J'insisterai sur trois sujets qui me tiennent à coeur.

D'abord, la Cour estime impossible d'évaluer les investissements à réaliser pour l'adaptation du parc résidentiel. C'est à la fois inquiétant, car c'est un chantier incontournable, et rassurant, au sens où le champ des possibles est ouvert. Or nous disposons en la matière de marges de progression immenses, notamment grâce à l'internet des objets. La création dans l'Aube du cluster Patrimoine bâti 4.0 le prouve.

Ensuite, sur la modernisation des infrastructures de transport, je partage le constat de la Cour : la vétusté de certaines voies ferrées augmente leur vulnérabilité. Pour développer le ferroviaire, il faudra investir pour moderniser le réseau. Mais la fiabilité dépend aussi du personnel. À cet égard, je pense à une grosse coopérative agricole qui livre sa production par voie ferrée : les grèves à répétition et les absences inopinées la contraignent souvent à se rabattre sur le fret routier, avec un bilan écologique et économique déplorable.

Enfin, comme le souligne la Cour, nous devons mobiliser davantage de financements privés et publics pour l'adaptation de nos forêts, notamment communales, au changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Stéphane Sautarel .  - S'agissant de la situation de nos finances publiques, déterminante pour la conduite de nos politiques nationales et notre influence en Europe et dans le monde, ce rapport s'inscrit dans la continuité des précédents, en plus sombre. Voilà qui interroge sur la capacité de la Cour des comptes comme du Sénat à se faire entendre...

La Cour critique avec force les prévisions de croissance du Gouvernement et juge la trajectoire budgétaire pour cette année précaire. L'année 2023 devrait se solder par un déficit public supérieur à 5 % du PIB, en dégradation par rapport à 2022 : elle n'a pas vu la sortie du « quoi qu'il en coûte ». La trajectoire votée pour 2023-2027 n'est ainsi pas tenue dès sa première année...

Depuis sept ans, nous nous heurtons à un ministre des finances tout puissant, dans l'autosatisfaction permanente et l'impunité totale. Aculé, il a été contraint à mettre en oeuvre le rabot à hauteur de 10 milliards d'euros, deux mois après le vote du budget.

Le noeud de l'inquiétude, ce sont les trois D : la dette et la dépense, qui creusent le déficit. Notre dette publique, qui atteindra 3 200 milliards d'euros à la fin de l'année, est déjà supérieure de 800 milliards à son niveau de 2019. La charge de la dette enregistrera cette année une augmentation spectaculaire de 10 milliards d'euros.

Sur la dépense, les efforts annoncés pour 2025 à hauteur de 12 milliards d'euros viennent d'être relevés à 20 milliards. Selon la Cour des comptes, le besoin est de 50 milliards d'euros sur 2025-2027. Réaliser des économies sera d'autant plus complexe que la charge de la dette augmente, que les lois de programmation nous obligent et que les besoins d'investissement sont élevés, notamment pour la transition écologique.

La complexité de l'adaptation suppose une action publique cohérente et efficiente : la Cour constate que nous en sommes loin.

La dépense sociale, qui représente la moitié de la dépense publique, ne doit plus engager les générations futures. Le budget de l'État doit être tourné vers l'investissement et sérieusement revu à la baisse. Quant à celui des collectivités territoriales, il doit cesser d'être la variable d'ajustement d'un État omnipotent et impuissant - nous avons à cet égard une vision différente de celle de la Cour. L'État doit rétablir la confiance pour bâtir une politique contractuelle responsable et équilibrée et s'engager enfin dans une véritable décentralisation.

Nous devons rétablir nos comptes non pour Bruxelles ou les agences de notation, mais pour les Français : nous n'avons pas d'autre choix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes .  - Je me réjouis de l'organisation de ce débat : c'est un privilège pour la Cour des comptes, dont elle ne dispose pas à l'Assemblée nationale.

M. Jean-François Husson.  - Ici, on sait recevoir !

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes.  - Il témoigne de la prise en compte de nos observations par votre assemblée et de la qualité de notre collaboration.

J'ai entendu vos remarques sur le délai de transmission du rapport, mais c'est en réalité ce débat qui a été fixé très peu de temps avant la date prévue pour sa remise. Au reste, c'est sans doute préférable à un débat trop éloigné de la publication du rapport.

Je me réjouis d'autant plus de la grande convergence de nos travaux que je suis attaché à notre mission prévue à l'article 47-2 de la Constitution : contribuer à l'information du Parlement et au contrôle du Gouvernement.

Je suis étonné qu'on ait pu s'attendre à la présence dans ce débat du ministre de l'économie et des finances. La Cour des comptes se tient, comme le soulignait Philippe Séguin, à équidistance du Parlement et du Gouvernement. J'ai certes été ministre de l'économie, mais c'était il y a dix ans...

Le temps de l'effort est venu, non par goût de l'austérité ou pour complaire à Bruxelles, mais dans notre intérêt. L'une d'entre vous a cité Mendès France : oui, des comptes en désordre sont le signe d'une nation qui s'abandonne. Nous avons trop tardé à remettre notre maison en ordre. Au cours d'une vie publique un peu longue, j'ai appris qu'il n'y a pas de bonne politique sans finances saines. (MM. Jean-François Husson et Roger Karoutchi renchérissent.)

Certains ont parlé d'insincérité, d'optimisme, d'irréalisme. Je n'aime pas le terme d'insincérité, car il suppose une volonté de tromper. J'espère bien que les gouvernements successifs de notre pays n'ont pas eu une telle volonté. Mais on peut faire preuve d'un excès d'optimisme... Le Haut Conseil des finances publiques l'avait dit à propos du projet de loi de finances pour 2024 : la prévision de croissance de 1,4 % était très proche de l'irréalisme. Dans leurs futurs travaux, le Haut Conseil et la Cour feront preuve d'une très grande exigence.

Une revue des dépenses nous paraît nécessaire. Le rabot est toujours frustrant, parfois inintelligent. Pour assainir durablement nos finances, il faut soulever le capot des politiques publiques et examiner ce qui fonctionne, ce qui manque et ce qui ne fonctionne pas. Cette démarche doit être menée dans la durée et de façon démocratique. Le financement des collectivités territoriales et de la sécurité sociale doit être intégré à cette réflexion.

J'en viens à l'adaptation de l'action publique au changement climatique. Je suis fier que, pour la première fois, la Cour se penche sur ce sujet. Il s'agit d'un engagement durable de notre institution : nous avons vocation à en traiter au long cours.

J'ai noté vos observations sur le logement, les personnes âgées vulnérables ou l'agriculture. L'action nécessaire pour nous adapter est multiforme et territorialisée.

Nous devons aussi combattre la mal-adaptation. L'exemple des stations de ski est à cet égard éloquent. Je sais le sujet sensible, mais n'ignorons pas les réalités. De même, il faut agir maintenant sur le trait de côte pour éviter des dépenses supérieures plus tard : déménager 3 kilomètres de côtes coûterait 835 milliards d'euros, alors que 40 à 50 milliards seraient nécessaires pour agir efficacement.

Je ne vois pas de contradiction entre l'adaptation et le redressement de nos finances. (M. Thomas Dossus ironise.) La dette climatique et la dette financière sont intimement liées. Oui, nous devrons financer des dépenses nouvelles : comment le ferons-nous sans retrouver des marges de manoeuvre ?

À titre personnel, j'ai dit que la fiscalité n'était pas un sujet tabou. Le débat fiscal est l'essence du parlementarisme. Ce débat doit avoir lieu, étant entendu que la marge de manoeuvre pour augmenter notre taux de prélèvements obligatoires, déjà de 45 %, est limitée.

Mme Lavarde a cité Turgot. Oui, notre situation est sérieuse et les décisions ont trop tardé. C'est pourquoi nous avons besoin de volonté politique, de courage, d'intelligence et de pédagogie. Les Français sont un grand peuple ; nous pouvons faire beaucoup avec eux, à condition de les convaincre. C'est la condition de la confiance. (Applaudissements sur de très nombreuses travées)

M. le président.  - Merci à tous pour ce débat.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

M. le Premier président de la Cour des comptes quitte l'hémicycle.

La séance, suspendue à 18 h 15, reprend à 18 h 25.