Déclaration du Gouvernement relative au débat sur l'accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative au débat sur l'accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine.

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC) Voilà un peu plus de deux ans, dans une offensive cynique et brutale, la Russie a attaqué l'Ukraine. Seule responsable du conflit, elle a attaqué une nation libre qui ne la menaçait pas, en violation de toutes les règles internationales. Ce constat objectif, nous le partageons à une écrasante majorité.

Nous avons toujours fait preuve de transparence. Deux comités de liaison se sont réunis depuis le début du second quinquennat du Président de la République. La semaine dernière, le chef de l'État a reçu les présidents des deux chambres et les chefs des partis politiques pour échanger sur la situation. L'Assemblée nationale a voté hier en faveur de l'accord de sécurité entre la France et l'Ukraine.

Ce débat au Sénat confirme notre volonté de transparence. La transparence passe par le vote, car nos concitoyens ont le droit de connaître sans ambiguïté la position de chacun.

Je reviendrai d'abord sur l'origine du conflit, car de sa compréhension découle tout ce que nous décidons de faire.

Certains, en Russie, nostalgiques de l'empire et de l'URSS, n'ont jamais accepté l'indépendance des anciennes républiques soviétiques. Menés par Vladimir Poutine, ces impérialistes ne supportent pas qu'elles puissent prendre leur destin en main et faire souverainement le choix de la démocratie.

En 2014, un vent de liberté soufflait sur la place Maïdan : l'Ukraine tournait son regard vers l'Europe. Il ne s'agissait pas de se rapprocher de l'Otan, mais de signer un accord d'association avec l'Union européenne. La Russie ne l'accepte pas : des troupes russes entrent en Crimée et l'annexent en violation des règles internationales.

Huit ans plus tard, le 24 février 2022, malgré les efforts du Président de la République pour éviter la guerre, le Kremlin lance sa prétendue « opération spéciale ».

Moscou misait sur une guerre éclair, mais la résistance du peuple ukrainien a été et reste exceptionnelle. Les Ukrainiens n'ont pas cédé : ils se sont battus et se battent pour chaque village, chaque maison, chaque mètre de leur territoire. Avec vous tous, je veux leur rendre hommage. (Applaudissements)

Face à cette résistance ukrainienne, la Russie n'a reculé devant aucune exaction ni aucun crime. À Kiev ou Kharkiv, des drones et des bombardements ciblent délibérément des quartiers résidentiels, tuant familles et enfants sans états d'âme. La liste des exemples est longue et glaçante : il y a dix jours, à Odessa, un drone russe a frappé un immeuble, faisant douze morts, dont cinq enfants. Depuis le début du conflit, on estime que 10 000 civils sont morts sous les frappes de la Russie.

Depuis deux ans, la Russie pratique une politique de la terre brûlée. Des villes entières sont rasées : Marioupol, Marinka, Bakhmout, Avdviika. Les découvertes macabres se multiplient : à Boutcha ou Izium, des massacres innommables se sont tenus. La Russie a commis des crimes de guerre barbares, dont elle devra répondre : nous en prenons l'engagement.

On sait aussi que plusieurs milliers d'enfants ukrainiens ont été enlevés et conduits dans des camps pour être « rééduqués ». La Russie a franchi toutes les limites : pas une horreur, pas un massacre ne l'arrête.

Poutine a attaqué l'Ukraine, mais c'est à toutes nos valeurs qu'il a déclaré la guerre. Croire à un conflit uniquement territorial, ce serait se fourvoyer. Poutine a voulu imposer la loi du plus fort pour établir un monde où n'importe quelle puissance pourrait soumettre une nation libre.

Poutine a voulu ébranler nos valeurs. Ne nous y trompons pas : c'est bien à nos modes de vie qu'il s'attaque. Tourner le dos à l'Ukraine, ce serait trahir nos valeurs ; ce ne serait pas la paix, mais la porte ouverte à de nouvelles guerres.

Depuis la première seconde, avec le Président de la République, nous sommes extrêmement fermes, aux côtés de l'Ukraine : nous l'aiderons autant qu'il le faudra.

Poutine pensait diviser l'Europe ; il avait tort : celle-ci a fait front et a pris des sanctions fortes. Malgré nos différences et les chantages russes, malgré la désinformation et les menaces, le Kremlin n'est pas parvenu à diviser l'Europe. C'est tout le contraire : l'Europe s'est transformée.

À la lumière de cette guerre, nous avons compris que la paix n'était pas acquise, que notre destin collectif pouvait vaciller à tout instant et que nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes.

En deux ans, sur la base de l'agenda de Versailles, la souveraineté de l'Europe a fait des pas de géant : souveraineté industrielle, sur les semi-conducteurs entre autres, souveraineté énergétique, avec la fin de la dépendance de certains pays d'Europe au gaz russe, souveraineté stratégique, avec l'adoption d'une boussole commune.

Nous sommes plus unis, forts et indépendants qu'avant, même s'il reste du chemin à parcourir.

Poutine n'y croyait pas. Nous lui montrons qu'il se trompait. En lançant sa guerre, Poutine pensait diviser l'Otan ; c'est tout le contraire avec des adhésions qui semblaient impensables, celles de la Suède et de la Finlande.

Sous l'impulsion du Président de la République, nous avons apporté un soutien infaillible à l'Ukraine.

Un soutien politique, d'abord. La France est aux avant-postes : elle se tient à l'écoute de son allié. Ces dernières semaines, s'est tenue à Paris une conférence de soutien à l'Ukraine avec 27 chefs d'État et de gouvernements.

Un soutien humanitaire, ensuite, avec plus de 210 tonnes de matériel et de médicaments et 50 opérations d'urgence : envois médicaux et évacuations sanitaires, appui à la sécurité civile ukrainienne, envoi de semences agricoles et de produits alimentaires. Nous avons accueilli 100 000 réfugiés et scolarisé 18 000 enfants.

La réaction des Français a été à la hauteur de l'histoire. Nous n'aurions pas pu réussir sans l'engagement et les initiatives des collectivités territoriales.

Notre soutien est aussi militaire. Nous avons répondu présent : les faits et les chiffres le prouvent. Nous avons livré des équipements avec trois critères : livrer ce dont l'Ukraine a besoin, sans fragiliser nos propres armées et en faisant tout pour éviter l'escalade.

Depuis le début, nous avons livré pour plus de 2,6 milliards d'euros d'équipements, avec l'objectif de répondre aux besoins des Ukrainiens sur le terrain. La France n'a qu'une parole : ce que nous nous sommes engagés à livrer, nous l'avons livré effectivement.

Nous sommes le deuxième contributeur à la facilité européenne pour la paix, en engageant 1,2 milliard d'euros.

Entre 2022 et 2023, la France a donc aidé militairement l'Ukraine à hauteur de 3,8 milliards d'euros.

Nous avons livré des missiles antichars et antiaériens, des équipements de protection et de l'armement individuel, puis des équipements plus lourds et plus complexes, avec les missiles sol-air Crotale ou les canons Caesar.

Nous avons fourni aussi des blindés légers, des lance-roquettes, des missiles Scalp. Nous allons poursuivre ces livraisons.

Le Président de la République a demandé aux industriels d'accélérer leur passage à une économie de guerre. Nous livrerons dans les prochains mois 150 drones, 100 munitions télé-opérées, 6 canons Caesar - et nous en financerons 12 autres. Nous produirons par mois jusqu'à 3 000 obus, une cinquantaine de bombes AASM et une quarantaine de missiles Scalp.

La France participera au financement de l'achat d'obus en masse, comme l'ont proposé les Tchèques.

Notre soutien s'incarne aussi au niveau européen. Nous avons agi pour sanctionner la Russie : treize paquets de sanctions ont été adoptés à l'unanimité, affaiblissant profondément la Russie, n'en déplaise à la désinformation orchestrée par le Kremlin.

Protection temporaire pour les réfugiés, aide humanitaire, aide militaire : au total, 85 milliards d'euros d'aide ont été apportés par les 27 pays de l'Union européenne.

Ce soutien se poursuit. Le mois dernier, le Conseil européen a adopté une aide de 50 milliards d'euros qui permettra au pays de tenir et de mener des réformes nécessaires à son redressement.

Nous voulons aller plus loin en acceptant de livrer des armes : c'est une véritable révolution copernicienne pour l'Europe. Nos ennemis comptaient sur cette impuissance ; or c'est l'inverse : 7,1 milliards d'euros d'armements ont été livrés.

Nous voulons aboutir à un outil de production militaire européen, qui fera l'objet du Conseil européen des 21 et 22 mars prochains.

Enfin, soutenir l'Ukraine, c'est reconnaître qu'elle se bat tous les jours pour nos valeurs et qu'elle fait partie de la famille européenne. Nous sommes à un point de bascule dans le conflit. Cette guerre de positions s'inscrit dans la durée. Pour la Russie, le temps est désormais un allié. Elle compte sur la lassitude des opinions publiques désinformées et sur les échéances électorales prochaines, aux États-Unis comme en Europe.

Dans le même temps, elle durcit sa position sur son territoire national, en renforçant la chape de plomb sur la population. Je veux rendre hommage à Alexeï Navalny, (applaudissements prolongés sur les travées du RDPI, du RDSE, du GEST et des groupes SER, UC, Les Républicains et INDEP ; M. Pierre Ouzoulias et Mme Michelle Gréaume applaudissent également) cet opposant mort de façon tragique en prison. Le message est clair : le régime russe est autoritaire, déterminé à combattre nos valeurs et nos intérêts.

Sur le terrain, en Ukraine, la Russie multiplie les exactions. Parce qu'elle a pris la ville d'Avdiïvka à un coût exorbitant, elle veut faire croire qu'elle reprend l'initiative.

En Syrie, dans le Caucase, en Asie centrale et en Afrique, la Russie devient un acteur méthodique de la déstabilisation du monde, grâce à ses faux nez et ses mercenaires.

Elle propage de fausses nouvelles - la France est une cible de choix. Elle multiplie les cyberattaques. Elle engage une militarisation de l'espace et met en danger nos satellites, au mépris de toutes les règles internationales.

La Russie est non seulement une menace pour l'Ukraine, mais aussi pour l'Europe et pour le peuple français.

Si nous faiblissons face à une puissance qui ne croit qu'à la force, les conséquences seront dures. La première ligne de défense se situe en Ukraine et la Russie ne peut ni ne doit gagner. Pas simplement au nom d'arguments moraux - car que signifierait pour la vie quotidienne des Français une victoire russe ? Ce serait la fin d'un ordre international fondé sur le droit, un blanc-seing donné à toutes les puissances révisionnistes, le signal qu'attendent les régimes autoritaires pour sonner la fin de l'histoire des démocraties libérales, le danger constant des appétits insatiables pour une sécurité européenne qui s'affaiblit, la prolifération de nouveaux conflits à quelques kilomètres de nos frontières, la perspective de millions de réfugiés sur le continent. Ce serait un danger direct pour notre sécurité alimentaire : si la Russie prenait le contrôle des céréales ukrainiennes, elle en fixerait les prix comme bon lui semble. Ce serait un risque de panne énergétique généralisée : elle serait en mesure de déstabiliser encore davantage le marché de l'énergie. Je le dis clairement : la guerre actuelle a évidemment un impact, mais une victoire de la Russie serait un cataclysme pour le pouvoir d'achat des Français.

Je pourrais poursuivre cette longue liste. En résumé : le coût supporté par les Français serait décuplé. Le succès de l'Ukraine est dans l'intérêt des Français.

C'est pourquoi nous devons réagir, et pourquoi le Président de la République a appelé à un sursaut.

En refusant toute escalade, nous prenons nos responsabilités : tel est le sens de l'accord conclu le 16 février dernier, sur lequel nous vous demandons de vous prononcer. Il représente d'abord un engagement politique fort à renforcer les capacités de l'Ukraine sur tous les fronts afin de décourager toute nouvelle agression à venir.

L'accord fait suite à la déclaration adoptée par le G7 le 12 juillet 2023 en marge du sommet de l'Otan à Vilnius - démarche adoptée par 25 pays supplémentaires.

Sept pays, dont la France, ont signé des accords bilatéraux : nous vous proposons donc de vous engager dans un élan de solidarité internationale. En cas de nouvelle agression russe, nous devrons fournir une assistance militaire et économique rapide à l'Ukraine. Cet accord prévoit 3 milliards d'euros de soutien supplémentaire en 2024, presque deux fois plus qu'en 2022.

Nous vous demandons d'affirmer que la France est un partenaire fiable et porteur d'initiatives, telles que la livraison de chars légers et de capacités qui font la différence sur le terrain - canons Caesar ou missiles Scalp.

En contrepartie, l'Ukraine s'engage à poursuivre sa trajectoire ambitieuse de réformes, notamment en matière de lutte anticorruption, de consolidation de son État de droit, de décentralisation, de modernisation de son secteur de défense ou encore de transformation de son agriculture vers les standards européens.

Cet accord n'est pas juridiquement soumis à la ratification du Parlement, mais le Président de la République a souhaité que vous votiez.

J'appelle chacun à la responsabilité.

Au-delà de cet accord, la France mobilise la communauté internationale. Lors de la réunion du 26 février, de nouveaux engagements ont été pris. Collectivement, nous avons choisi de renforcer nos livraisons de munitions. Collectivement, nous avons décidé de renforcer la défense antiaérienne et la capacité à frapper dans la profondeur.

De nouveaux axes d'efforts ont été identifiés : renforcer la défense cyber et les capacités de déminage, coproduire de l'armement, assurer la défense de pays menacés par la Russie tels que la Moldavie.

Ces engagements ont porté leurs fruits, loin des caricatures des perpétuels partisans du déclin. Lors de la conférence ministérielle de suivi de la semaine dernière, des dizaines d'États partenaires ont accepté de s'engager.

Grâce à l'engagement du Président de la République et du Gouvernement, la France joue un rôle moteur. Nous avons administré un électrochoc salutaire. Nous jouons notre rôle. Nos partenaires sont libres d'avancer comme ils le souhaitent.

Dans un moment aussi grave, il n'y a pas de place pour l'instrumentalisation. (Murmures ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et Les Républicains)

Nous n'excluons par principe aucune option. Nous soutenons l'Ukraine sans faire la guerre à la Russie. Nous continuerons à adapter notre soutien aux besoins des Ukrainiens. (M. François Patriat applaudit.) En deux ans, beaucoup d'évolutions ont eu lieu. L'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'Otan semblait impensable, comme la livraison d'armes par l'Europe.

Il y a une différence entre soutien militaire et cobelligérance, que nous pratiquons tous les jours.

Ces propos sont fermes, certes, mais aucun pays plus que la France n'a oeuvré au dialogue avec la Russie, que ce soit dans les négociations en format Normandie sous l'égide du président Hollande, dans les rencontres entre le Président de la République et Poutine, dans l'organisation d'une rencontre - la dernière - en décembre 2019 entre Poutine et Zelensky, ou, dans les heures précédant le conflit, lorsque le Président de la République s'est rendu à Moscou pour éviter la guerre. (Mme Sophie Primas lève les yeux au ciel.)

La position de la France est inchangée : nous prônons une solution négociée qui respecte les intérêts de l'Ukraine et nos propres intérêts.

Hier, à l'Assemblée nationale, certaines voix ont dit qu'elles ne soutenaient pas cet accord parce qu'elles plaidaient pour une solution négociée. Mais comment imaginer une telle solution si la situation reste la même, si la Russie domine totalement l'Ukraine, si elle met un pistolet sur la tempe des Ukrainiens ? (M. Cédric Perrin approuve de la tête ; Mme Cécile Cukierman proteste.) Une solution négociée passera par un rapport de force.

Dans quelques instants, vous voterez sur notre soutien à l'Ukraine, sur notre capacité à défendre nos valeurs. Les Français nous regardent. Ils tiennent à notre liberté et à notre démocratie. Ils ont compris les dangers qui les attendaient en cas de victoire de la Russie.

Évidemment, les montants font réagir. Certes, cela a un coût, mais notre liberté et nos valeurs n'ont pas de prix. Si la Russie l'emportait, les sommes seraient autrement plus importantes.

L'Ukraine nous regarde - je salue son ambassadeur, présent en tribune. (Mmes et MM. les membres du Gouvernement et Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent l'ambassadeur.) Elle attend la confirmation de votre engagement. Nos partenaires nous regardent aussi. Ils attendent de nous que nous montrions l'exemple.

La Russie nous regarde aussi, elle qui veut nous diviser.

Dans le respect des convictions et des histoires de chacun, je sais pouvoir compter sur votre engagement.

Cette nuit, l'amiral Philippe de Gaulle est mort. (Murmures désapprobateurs ou ironiques à gauche et à droite)

Mme Silvana Silvani et M. Pascal Savoldelli.  - Ça, c'est de l'instrumentalisation !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Non, je devais lui rendre hommage.

Pendant plus d'un siècle, il a fait souffler l'esprit de résistance. C'est bien de cet esprit de résistance si français qu'il est question. Résistance face à l'oppression et à l'invasion, pour nos valeurs : la Russie ne peut gagner. Si l'Ukraine perd, nous perdrons nous aussi.

Mme Silvana Silvani.  - C'est indécent !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Hier à une large majorité, l'Assemblée nationale a voté cet accord. Aujourd'hui je sollicite l'approbation du Sénat. Ensemble, soyons fidèles à notre histoire. Demeurons du côté de la justice et de la résistance. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes SER, UC, RDSE, Les Républicains et INDEP)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Débattre de la guerre d'Ukraine, bien sûr : le Parlement ne saurait être contourné. La donne est très différente par rapport à il y a deux ans. Débattre oui, mais de quoi ?

Depuis quelques semaines, l'inquiétude sur l'issue du conflit s'est doublée d'une inquiétude sur la confusion française, tant les déclarations intempestives du Président de la République ont déconcerté nos alliés, tant elles ont donné le sentiment d'un mélange déplacé entre la politique étrangère et la politique intérieure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, sur plusieurs travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe UC)

J'essaierai de me situer au-delà de cette polémique.

Première inquiétude : l'issue du conflit. Une nation s'est révélée, l'Ukraine, par une résistance héroïque et malgré plusieurs obstacles : l'aide américaine bloquée par le Congrès, un soutien européen qui peine à se concrétiser, la froide obstination de l'autocrate russe, pour qui rien ne compte et qui soumet sa population à une militarisation sans précédent.

Étrange paradoxe : la Russie, ajoutée à la Biélorussie, c'est à peu près 3,3 % du PIB de l'Occident. Comment ces 3,3 % du PIB peuvent-ils produire cet effort de guerre ? Il est loin le temps où un ministre de l'économie français affirmait il y a deux ans que nos sanctions allaient « provoquer l'effondrement de l'économie russe »... (On ironise à gauche.)

M. Mickaël Vallet.  - L'économie française, oui !

M. Bruno Retailleau.  - Les sanctions, nous les avons acceptées. Force est de constater qu'elles n'ont pas affaibli la Russie : au contraire, elles ont renforcé son autonomie vis-à-vis des marchés occidentaux. Pourquoi ? Parce qu'à côté de l'Occident, il y a un autre monde !

Aujourd'hui, notre effort de guerre peine à s'adapter aux rythmes des combats. Bien malin qui pourrait prédire l'issue de ce conflit. Il faudrait être la reine de Saba avec son bouclier...

Deuxième inquiétude : le Président de la République n'a pas exclu l'envoi de troupes sur le front. Vingt mois plus tôt, il avait déclaré qu'il fallait veiller à ne pas humilier la Russie - position compréhensible. Ces tête-à-queue ont eu pour résultat d'isoler la France et de déconcerter nos alliés.

Il voulait maintenir une ambiguïté stratégique ; mais quand vous forcez nos alliés à déclarer qu'aucun d'entre eux n'enverra de troupes sur le front, l'incertitude disparaît. (M. Mickaël Vallet le confirme.)

Pour qu'un État tienne son rang, il faut que le chef de l'État tienne une ligne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER ; M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Pour nous, la ligne de la France doit rester la même que depuis le début : tout faire pour que la Russie ne gagne pas cette guerre, mais ne rien faire qui nous entraîne dans une guerre que nous ne voulons pas. C'est une ligne de crête, je le reconnais ; mais c'est la seule compatible avec l'intérêt de la France.

Vous avez cité l'amiral de Gaulle : si nous soutenons l'Ukraine, c'est au nom d'un double combat peut-être gaullien et certainement français : celui de la souveraineté des nations et de la liberté des hommes.

La nation contre l'empire, la frontière contre les marches, le droit contre la force brute ou la violence, c'est le combat français.

Poutine tente de marier les deux histoires de la Russie : la tsariste et la soviétique.

Face à cet empire, la nation ukrainienne s'est révélée, mais a aussitôt découvert le sort tragique de ces « petites nations dont l'existence ne va pas de soi », selon les mots de Milan Kundera dans Un Occident kidnappé.

« Il existe un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », a écrit le général de Gaulle. Nous ne pouvons pas tolérer le retour de l'homme rouge à l'est de l'Europe. (MBruno Retailleau martèle le pupitre ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Car nous assistons au retour des vieilles pratiques soviétiques (sourires incrédules à gauche ; Mme Cathy Apourceau-Poly s'amuse), du mensonge institutionnalisé, comme en témoigne Viktor Erofeev, de l'assassinat politique, comme l'illustre celui d'Alexeï Navalny.

Le crime est récompensé : la statue de Félix Dzerjinski, déboulonnée à Kiev, trône désormais à Moscou. La mémoire est verrouillée, avec la dissolution de l'association Mémorial qui travaillait sur les crimes du soviétisme. Comme le disait Soljenitsyne, l'archipel a été, l'archipel demeure, parce qu'il n'y a pas eu de Nuremberg du soviétisme.

M. Mickaël Vallet.  - Pas plus que du franquisme.

M. Bruno Retailleau.  - Nous soutenons l'Ukraine pour ces raisons profondes. La Russie nous a agressés en Afrique et nous mène une guerre hybride.

Mais il faut accorder deux impératifs : la solidarité et la réalité. Aujourd'hui, un cessez-le-feu, un armistice sont totalement hors de portée à court terme. En revanche, notre but doit être de rendre pour Poutine - qui ne comprend que le rapport de force - la poursuite de la guerre plus coûteuse que le refus des négociations.

Ne nous payons pas de mots. Ne compensons pas des actes trop faibles par des déclarations tonitruantes. Ce qui compte, c'est le soutien militaire.

Dans cet accord, deux points nous interpellent. L'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne ne peut pas être à l'ordre du jour. Il y a trop d'obstacles : la nécessaire réforme des institutions européennes - et l'unanimité, nous le savons, est requise ; le fait que nos agriculteurs n'ont pas à payer ce conflit ; l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne qui prévoit une assistance mutuelle entre États membres.

L'adhésion à l'Otan, aussi : l'Ukraine n'y entrera pas tant que la guerre se poursuit.

Plutôt que d'incertaines promesses, ou des déclarations guerrières, donnons à l'Ukraine les moyens de se défendre. Ne traitons pas de lâche tel ou tel de nos alliés.

Monsieur le Premier ministre, vous êtes optimiste. Mais, puisque c'est une guerre de stock, ce sont les munitions qui comptent. En deux ans, nous avons livré 30 000 obus, selon un rapport de la commission des affaires étrangères - c'est ce que consomme l'artillerie russe en une grosse journée. Il y a quelques jours, à Tarbes, l'unique usine qui construit les corps d'obus en France était en panne. Ne nous payons pas de déclarations susceptibles d'effrayer la population.

L'année 2024 sera décisive. L'Union européenne a clamé qu'elle avait connu un réveil stratégique ; mais a-t-elle réellement ouvert les yeux ? Les trois quarts des armes livrées sont achetées, dont les deux tiers aux États-Unis...

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Cela va changer !

M. Bruno Retailleau.  - ... alors que nous avons une industrie de production de munitions.

Nous prenons acte de cet accord, pour ce qu'il est. Ce n'est pas un traité, sinon vous auriez utilisé l'article 53 de la Constitution. (MM. Gabriel Attal et Sébastien Lecornu le confirment.) C'est un signal de solidarité. Notre vote est un vote de soutien à l'Ukraine et en aucun cas de soutien au Président de la République ou au Gouvernement. Je prononce ces mots de façon solennelle.

Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé d'instrumentalisation ; croyez-vous que la France n'est pas suffisamment archipélisée pour qu'il faille y ajouter la fragmentation ? Devant l'adversité, l'unité n'est-elle pas une force ? Les enjeux sont si importants qu'il nous faut nous rassembler. Les temps tragiques sont de retour où le destin frappe à la porte de l'Europe. C'est pourquoi nous devons nous hisser à la hauteur de l'histoire.

Isaac Newton... (On s'impatiente sur plusieurs travées à gauche.)

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Bruno Retailleau.  - ... Isaac Newton disait : « Je sais calculer le mouvement des corps pesants, mais pas la folie des foules. » (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je salue le choix par le Gouvernement d'un débat avec vote - je dirais... enfin ! Il en faudrait plus souvent.

Je veux rendre hommage aux femmes et aux hommes d'Ukraine qui se battent depuis deux ans, qui subissent les bombes, les viols, l'envoi de leurs enfants en Russie.

Je veux rendre hommage aux Français qui ont su accueillir des réfugiés ukrainiens et continuent à les accompagner. Il n'y a rien de pire que de quitter son pays en y laissant sa famille et ses morts.

Je veux aussi rendre hommage aux opposants russes et bélarusses, qui risquent aussi leur vie, seulement pour dire non ou appeler à la liberté.

Il faut être à la hauteur des débats. Le moment de l'histoire est critique. Ce monde dans lequel nous plongeons, c'est la fin d'une parenthèse heureuse. Dorénavant, le risque de la guerre totale devient une réalité à prendre en compte. La loi de programmation militaire (LPM) devra sans doute être adaptée.

Depuis son accession au pouvoir en 1999, le dictateur de la Russie n'a mené que des guerres entre deux pauses diplomatiques : Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie, Afrique, et de nouveau Ukraine. Cela doit interroger celles et ceux qui disent qu'il a été provoqué. Vladimir Poutine a la volonté de revenir à un empire russe.

Poutine a refusé tous les traités. Il a ignoré le traité de 1991 sur les frontières entre la Russie et l'Ukraine. Il n'a pas respecté les accords de Minsk. En 2014, le Président Hollande a courageusement refusé de livrer les Mistral. C'est le charme de Twitter que de retrouver les propos de certains à l'époque (« Oh » sur les travées du groupe Les Républicains), à l'extrême droite, mais aussi quelques-uns au sein de la droite républicaine -, mais ils ont changé d'avis, depuis...

Certains prétendent qu'il faut faire la paix, que nous serions trop durs avec Vladimir Poutine. J'ai le souvenir d'un candidat aux trois dernières élections présidentielles - chacun pourra en chercher le nom... - qui souhaitait une conférence sur les frontières, répondant ainsi au souhait de Poutine. Je me souviens de l'extrême droite, qui a soutenu les faux référendums en Crimée ou au Donbass et qui, finalement, doit payer ses intérêts à son banquier...

Nous sommes inquiets quant au maintien du front. Il y a quelques mois, nos amis lançaient une grande offensive. Aujourd'hui ils sont en situation défensive extrêmement difficile. Avec le blocage de l'aide américaine, le front sera-t-il encore tenu dans quelques mois ? C'est pourquoi il faut aller de l'avant.

Déjà, les bruits de bottes se dirigent vers la Moldavie. Les pays baltes ont une frontière soit avec la Russie, soit avec le Belarus, qui est l'allié ou le vassal de Poutine.

Que faire ? Monsieur le Premier ministre, je sais tout ce que la France a déjà fait. La réalité, c'est que les Ukrainiens ne peuvent tenir dans ces conditions (M. Sébastien Lecornu acquiesce) : l'Europe et les Américains ne produisent pas suffisamment d'armements.

Le groupe SER a des propositions : il faut entendre les craintes des Français. J'invite le Président de la République, qui prendra la parole demain soir, à les fédérer.

Il faut aussi produire plus rapidement. Nous proposons un livret d'épargne défense souveraineté, offrant à chaque citoyen une protection de son épargne tout en aidant son pays. Mettons-le en place au plus vite.

Aidons les Ukrainiens à tenir leur budget : 53 % de leurs dépenses budgétaires vont à la défense. Les 200 milliards d'euros d'avoirs russes gelés dans les banques européennes doivent financer, pour leur partie française, l'achat d'armes.

Pourquoi pas un nouveau paquet de sanctions ?

La Banque européenne d'investissement (BEI) ne peut pas, à ce jour, financer notre industrie d'armement ; elle doit pouvoir le faire.

Je pourrais aussi citer le travail que nous menons avec M. de Legge sur les ingérences.

Il faut revoir la LPM, qui comportait une clause de revoyure. La situation nous oblige à reprendre nos travaux, et prévoir des mesures exceptionnelles pour produire davantage.

Sur quoi votons-nous ? Une déclaration de principe ? Cela ne pose pas de problème au groupe SER. Mais il faut le dire aux Français : ce n'est pas un accord contraignant, pas un blanc-seing pour le Gouvernement ni une déclaration de guerre contre la Russie.

Ce n'est pas l'entrée en guerre de la France, ni l'envoi de troupes combattantes en Ukraine ni l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne ou dans l'Otan.

Nous adressons un message aux Français, aux Ukrainiens, aux Russes. Nous voterons cette déclaration d'autant plus facilement que nous avons une longue tradition d'aide aux pays en difficulté.

Jean Jaurès écrivait en 1911 L'Armée nouvelle. Il était pour la paix, mais il fallait une armée pour la défendre. Vive l'Ukraine, vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC et du RDSE ; M. Philippe Tabarot applaudit également.)

M. Philippe Folliot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Avec l'agression russe de l'Ukraine, c'est la première fois depuis 80 ans que deux nations du continent européen sont en guerre ouverte. C'est la résultante de la cécité collective, voire de nos lâchetés après les agressions de Poutine en Géorgie puis dans le Donbass et en Crimée.

Les deux belligérants sont en voie d'épuisement après plus de deux ans de guerre, deux ans de sang versé par les soldats et de civils morts sous les bombes. La répression se radicalise aussi en Russie : toute opposition est durement réprimée. Ayons une pensée émue pour Navalny.

Cette guerre est duale : à la technologie du XXIe siècle s'associent des schémas tactiques qui rappellent les affres de la Première Guerre mondiale.

En février 2023, au coeur de l'hiver, je me suis rendu sur la ligne de front, à quelques kilomètres de Bakhmout. Quelle leçon de vie ! J'ai trouvé des combattants ukrainiens, russophones pour la plupart, épuisés mais motivés. Ils m'ont expliqué qu'ils se battaient pour les femmes et les enfants à l'arrière, mais aussi pour leur pays, son indépendance et son intégrité. J'ajouterais que, de fait, ils se battent aussi pour nous, notre modèle démocratique et pour le respect du droit international.

J'ai une pensée pour deux Ukrainiens. Yehor est un combattant de 2014 devenu vice-président de la commission de la défense de la Rada. Il est un infatigable combattant de la cause ukrainienne. Magnit était sculpteur avant le conflit et s'est retrouvé en première ligne. Dans les yeux de ses camarades, j'ai vu tout le respect qu'ils lui vouaient. Il est aujourd'hui en convalescence dans un hôpital près de Kiev. Souhaitons-lui un prompt rétablissement.

Les tirs opérationnels du canon Caesar, auxquels j'ai assisté, ont été très instructifs. Les soldats ukrainiens m'ont expliqué la difficile comptabilité entre leurs munitions et nos armes, ne faisant qu'un tiers de tir avec les obus de 155 mm que nous leur fournissions. Ils ont testé sept types de munitions avant de trouver celles, américaines, qui leur permettaient de tirer efficacement.

Les munitions ne sont pas interchangeables comme des capsules de café ! Si nous livrons désormais 3 000 obus par mois, les Russes en tirent 25 000 par jour, contre 5 000 pour les Ukrainiens. Nous sommes bien loin du compte !

Nous nous réjouissons que la France ait pris la tête de la coalition artillerie, et souhaitons que notre pays rejoigne la neuvième coalition, pour les frappes en profondeur, ainsi que la coalition aviation en livrant enfin des Mirage 2000 équipés de missiles Scalp, plus utiles sur le front que dans nos hangars.

La victoire de l'Ukraine est vitale pour la paix et la sécurité en Europe. Mais pour y parvenir nous devons sortir de la logique du trop peu, trop lentement, trop tard.

Le groupe UC soutient l'accord bilatéral de sécurité. Depuis 2022, la France a fourni près de 3,8 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine, avec 3 milliards supplémentaires en 2024. Cette aide ne doit être ni surestimée ni sous-estimée : il y va de notre crédibilité. Ne cédons ni à la tentation de l'autoflagellation ni à celle de l'autosatisfaction, et mettons nos actes en accord avec nos mots.

Nous avons livré d'antiques véhicules de l'avant blindé (VAB), trois fois plus âgés que les soldats ukrainiens qui l'utilisent, mais aussi des AMX-10 RC, à l'utilité relative, mais dont la livraison a toutefois fait sauter un verrou psychologique chez les alliés pour l'envoi de chars lourds. (M. Sébastien Lecornu hoche la tête.) Nous devons écouter les Ukrainiens et satisfaire, dans la mesure du possible, leurs demandes. Mais n'engageons pas, avec une mobilisation au sol non sollicitée, une escalade du conflit.

La Russie profite aussi du conflit ukrainien pour multiplier les fronts et les affronts, à commencer par le front technologique avec les cyberattaques. L'élection présidentielle américaine exacerbe aussi le conflit, du fait des propos irresponsables de l'un des candidats.

L'Otan est fragilisée : l'article 42.7 du Traité sur l'Union européenne doit inviter l'Europe à assumer ses responsabilités, une Europe fière, volontaire, indépendante, capable d'assurer sa défense et son destin.

Le Sénat est amené à se prononcer, pour la première fois depuis 1958, par un vote sur la ratification d'un traité bilatéral de sécurité. Nous nous en félicitons.

Le groupe UC a toujours soutenu l'Ukraine. Je salue d'ailleurs l'engagement de notre collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du RDPI)

Si nous devions voter sur la teneur de votre intervention, monsieur le Premier ministre, notre vote serait beaucoup plus partagé... Votre propos aurait mérité davantage de précisions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains, INDEP et CRCE-K)

En soutenant l'Ukraine, la France a rendez-vous avec l'histoire. Soyons à ce rendez-vous, en ce triste jour où l'amiral de Gaulle nous a quittés ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains, INDEP et du RDSE)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Chacun se souvient des 22, 23 et 24 février 2022, journées de l'agression de la Russie contre l'Ukraine. Depuis lors, le peuple ukrainien donne une leçon de courage et de résistance, physique et morale, au monde entier. La Russie pensait arriver à Kiev en quelques jours, ne faire de la résistance ukrainienne qu'une bouchée : il n'en a rien été, il n'en est rien et il n'en sera rien.

L'Afghanistan a été le tombeau de l'Union soviétique ; l'Ukraine pourrait bien être celui du régime de Vladimir Poutine. Ce dernier peut se prévaloir de sa réélection prochaine, l'opposant qui faisait le plus peur a été éliminé. C'est une mascarade, un village électoral Potemkine.

Fort de son futur score soviétique, Poutine pourrait redoubler d'attaques, contre l'Ukraine comme ailleurs. La Russie est devenue une puissance de déstabilisation : dans le Caucase, avec la Géorgie et l'abandon en rase campagne de l'Arménie. C'est vrai aussi dans le Sahel, en Transnistrie ou dans les Balkans, où elle sème des vents de colère entre les peuples.

Ce débat revêt une importance particulière. Il doit avoir des conséquences pratiques et opérationnelles dans la durée.

C'est donc l'honneur de la France d'avoir suscité un électrochoc, pour ne pas nous réveiller demain avec la gueule de bois... Nous avons été les premiers à dire que l'envoi de chars n'était pas un tabou. Si la cause de l'Ukraine est légitime, en droit comme au nom de la morale, pourquoi mégoter sur notre soutien ?

Poutine, comme une partie des anciens cadres soviétiques, n'a jamais digéré la chute d'un empire soviétique fondé sur la déportation des peuples par leur prétendu « petit père ». Le régime russe affiche aujourd'hui la volonté de remettre en cause certaines frontières. Face à ce nouvel impérialisme, nulle position intermédiaire : l'Union européenne sera un sujet ou un objet. Ses nations seront un ensemble fort et uni ou des proies. Parlons-en avec nos frères baltes et de Pologne.

Bien sûr, l'Europe a permis la paix, là où, il y a quelques décennies, des VoPos de l'Allemagne de l'Est toisaient d'autres Allemands devant la Porte de Brandebourg.

Nous sommes les héritiers des pères fondateurs de l'Europe, mais aussi des combattants de la liberté : Lech Wa??sa et Solidarno??, Vytautas Landsbergis. Ne confondons pas paix et abdication : nous devons nous réarmer, ce que la France fait avec la loi de programmation militaire et ses troupes projetées à l'est de l'Europe.

Affirmons notre soutien à l'Ukraine, sentinelle du monde libre. La France le fait dès le premier jour, avec 10 000 soldats ukrainiens formés et 100 000 Ukrainiens ayant reçu une protection temporaire. Je n'oublie pas l'élan de générosité des Français et des collectivités, à travers les outils du centre de crise et de soutien du quai d'Orsay.

Après deux ans de guerre, il faut rétablir un meilleur rapport de force. Croire que la Russie viendra facilement à la table des négociations est une fable.

C'est tout l'enjeu de l'accord soumis à notre vote : soutenir plus et mieux l'Ukraine, dans la durée. Le groupe RDPI le votera.

Les propos tenus par le Président de la République à la conférence internationale de soutien ont enfin rencontré un écho fort à travers les intentions exprimées par les pays baltes, la Pologne et les Pays-Bas, au-delà du clapotis des commentaires. Je relève aussi le succès de l'initiative tchèque pour acheter des munitions, et de la coalition artillerie portée par la France.

Cet accord répond aux recommandations de la commission des affaires étrangères qui, dans son rapport « Pourquoi l'avenir de l'Europe se joue en Ukraine », soulignait l'urgence de produire plus d'armements en Ukraine.

Avec cet accord, la France assume son statut de grande nation, de pays fondateur de l'Union européenne et de membre du Conseil de sécurité de l'ONU. Nous devons être à la hauteur : cet accord est pour aujourd'hui et pour demain, pour notre sécurité, pour la paix, pour l'Ukraine et pour la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC) Notre débat est crucial, pour quatre raisons. Premièrement, l'assassinat d'Alexeï Navalny a fait comprendre aux plus aveugles que le régime de Poutine n'est pas une démocratie illibérale ou une démocrature, mais une mafia d'État, une gangrène implacable avec laquelle toute discussion est d'abord une erreur, ensuite une lâcheté, enfin le doigt dans l'engrenage de la capitulation.

Deuxièmement, la menace sur la Moldavie montre aux idiots utiles que l'impérialisme russe n'en restera pas à l'Ukraine. Comme l'a dit le boucher de Moscou, les frontières de la Russie ne s'arrêtent nulle part.

Troisièmement, la coalition des États les plus riches du monde n'est pas capable de fournir autant de munitions que la Corée du Nord et l'Iran. C'est une honte.

Quatrièmement, la proximité de l'élection américaine force les Européens à se rendre maîtres de leur destin pour la première fois depuis 1945.

Ces constats me rendent-ils pessimiste ? En aucun cas. Les accords bilatéraux se multiplient avec, enfin, une prise de conscience des Européens de l'ouest, bien après ceux de l'est, déniaisés depuis longtemps.

Les pacifistes, les collabos, les défaitistes, les troupes de Poutine en France, comme vous avez eu raison de le dire, monsieur le Premier ministre, les poutino-pétainistes comme les poutino-wokistes, ceux qui ont voté contre ou se sont abstenus à l'Assemblée nationale, sont évidemment contre ces accords, comme ils se sont opposés à l'envoi d'armes en Ukraine et ont sali la mémoire de Navalny. Ils taxent le Président de la République de va-t-en-guerre, eux qui sont les va-t-en-capitulation.

Mme Cécile Cukierman.  - Vous mentez, monsieur Malhuret ! (On renchérit sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Claude Malhuret.  - La ligne jusqu'au-boutiste de Poutine ne changera pas et se durcit chaque jour. Je préfère le Président de la République lorsqu'il parle de la nécessaire défaite de la Russie plutôt que lorsqu'il disait qu'il ne fallait pas l'humilier.

J'entends Jordan-selfie, dents blanches, haleine fraîche, Ponce Pilate de la guerre en Ukraine, dire qu'il faut fixer les lignes rouges pour limiter de notre soutien.

M. Joshua Hochart.  - Quel niveau !

M. Claude Malhuret.  - Ce Gamelin du Dniepr (sourires) prétend être un jour Premier ministre de la France ! Je lui suggère une économie considérable : supprimer le budget des armées pour le remplacer par un répondeur disant à l'armée russe : « ne tirez pas, nous nous rendons ».

Les professionnels de l'agit-prop mentent aux Français quand ils leur disent que leurs enfants iront au front : nous avons une armée de métier. Les Ukrainiens se félicitent de la position française. Les Polonais, les Moldaves le disent.

Quant aux États-Unis et au Royaume-Uni, l'humour tout britannique a sans doute échappé aux va-t-en-défaite. Ainsi, Joe Biden, vieux routier de la guerre froide, annonce sans sourciller qu'il n'enverra pas d'Américains en Ukraine au moment même où le New York Times révèle l'existence de quatorze bases de la CIA dans le pays. (Sourires) Et le Premier ministre anglais annonce qu'il ne prévoit pas d'envoyer de nouvelles troupes pour le moment, au-delà de celles qui y sont déjà...

La présence de soldats alliés n'a pas incité Poutine à appuyer sur le bouton, malgré sa vingt-sixième menace en deux ans.

Reste Olaf Scholz qui, n'écoutant que son courage (sourires), ne jure que par la garantie américaine et est la cible de tous les partis allemands, pour son immobilisme. Je lui donne rendez-vous après les élections américaines en cas de victoire de Trump, lui qui aura mis tous ses oeufs dans un panier qui aura disparu.

Le nombre de ceux qui comprennent que la défaite de l'Ukraine serait la nôtre ne cesse de croître, et la lassitude n'empêche pas nos concitoyens de rester largement favorables à l'aide, alors que les traîtres panicocrates espéraient un lâchage dès l'hiver 2022.

Reste un point essentiel : passer de la parole aux actes. C'est là que le bât blesse. L'économie de guerre suppose de multiplier les commandes d'armements et d'ouvrir des sites de production. La part prise par la France est importante, mais pas encore suffisante. J'espère que cet accord changera la donne.

Le discours poutinien évolue comme le discours hitlérien des années 1930 : dire que le pays a été humilié - le coup de poignard dans le dos -, dire qu'elle doit retrouver son rang dans le monde, dire enfin que partout où il y a des minorités russophones, la Russie est chez elle. Cette propagande a été relayée par de nombreux complices, conscients ou inconscients. À l'éditorial de Déat, « Faut-il mourir pour Dantzig ? » répond : « Nous ne voulons pas mourir pour le Donbass ».

Aron disait : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent. » Cette phrase n'a jamais été d'autant d'actualité. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, du RDPI et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Cécile Cukierman .  - Pour répondre aux sous-entendus, voire aux inexactitudes depuis le début de ce débat, j'affirme sincèrement, monsieur le Premier ministre, que je ne suis nostalgique ni de la Russie soviétique ni de la Russie de Catherine II. L'agression militaire de Poutine est injustifiable. Puisqu'il faut le redire, puisque des propos mensongers viennent d'être tenus, nous avons condamné l'agression dès les premières heures du conflit, un crime contre le droit international et contre la paix.

Nous exprimons notre profonde solidarité à l'égard du peuple ukrainien, qui résiste pour préserver la souveraineté de son pays. Des dizaines de milliers de soldats ukrainiens et russes sont mutilés, d'immenses territoires sont défigurés, des villes rasées, et aucune perspective ne se profile.

Malgré 200 milliards d'euros d'aide à l'Ukraine, et malgré une croissance insolente de 2,7 % et un triplement du budget militaire de la Russie, la ligne de front est figée depuis des mois. Mais la guerre ne s'apaise pas. Tandis que l'Ukraine peine à recruter, Poutine envoie sa jeunesse à la boucherie et enrôle de force dans les prisons.

Je salue à mon tour la mémoire d'Alexeï Navalny, assassiné, qui dénonçait depuis la prison les bellicistes. Or votre gouvernement nous invite à souscrire à la propagande belliciste. Le Président de la République, qui, il y a treize mois, voyait un accord possible selon « 10 000 formules différentes », n'en envisage plus qu'une seule : l'escalade guerrière.

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Il dit l'inverse.

Mme Cécile Cukierman.  - L'absence de limites claires sur le volet de la coopération militaire pose problème. Oui ou non, des militaires seront-ils envoyés en Ukraine ? Devrons-nous attendre la parole du Président de la République demain soir pour le savoir ? Quant à l'Otan, l'intégration de l'Ukraine serait un casus belli pour la Russie.

Emmanuel Macron assume l'ambiguïté stratégique, mais les réactions des chancelleries européennes sont tombées avec fracas : la majorité des États de l'Otan rejettent catégoriquement cette approche.

Notre parapluie nucléaire aurait vocation à s'étendre à l'Union européenne ? Quelle irresponsabilité de croire que l'arme nucléaire existe pour autre chose que pour un État-nation ! Quelle ineptie de penser que nous aurions les mêmes intérêts vitaux que la Pologne ou Chypre !

Monsieur le Premier ministre, mesurez-vous l'effroi de ces millions de nos concitoyens qui assistent, impuissants, à cet engrenage guerrier ? Comprenez-vous ces jeunes, leurs familles, qui ne peuvent accepter un conflit que personne ne cherche à régler par la négociation ?

À Prague, le Président de la République a persisté et signé. Que signifie ce terme de « lâche » qu'il emploie ? À qui s'adresse-t-il ? Cette dérive est à la limite de la cobelligérance.

Les budgets de défense des États membres atteindraient 236 milliards d'euros en 2022, 11 % de plus par rapport à 2021, et 284 milliards d'euros en 2025. Selon l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), 63 % des commandes européennes d'armements ont été passées aux États-Unis depuis la guerre en Ukraine.

Cette guerre, c'est aussi une opportunité pour les financiers de Bruxelles : deux tiers des 50 milliards d'aide à l'Ukraine sont des prêts avec intérêts.

Non, la guerre ne libère jamais : elle asservit les peuples !

Un conflit avec la Russie ne serait plus à exclure, mais mon groupe est convaincu d'une chose : face à une puissance nucléaire, certaines stratégies, comme celle de l'escalade, sont exclues. Dans un conflit nucléaire, il n'y a ni gagnant, ni perdant, seulement le risque de la destruction du continent européen.

Dès lors, une solution globale de sécurité s'impose. Les déclarations de Trump sur la conditionnalité de l'aide américaine doivent conduire à un sursaut de l'Union européenne. L'alignement atlantiste n'est plus possible : un cadre de paix pour la grande Europe est la seule stratégie, et un compromis acceptable devra être trouvé entre les belligérants : droit à la souveraineté de l'Ukraine et gages de sécurité pour la Russie.

Nous ne votons pas ce soir ici pour ou contre l'Ukraine, mais pour ou contre la politique du Gouvernement, pour ou contre votre déclaration, monsieur le Premier ministre. Nous voterons contre.

Les communistes n'ont pas à recevoir de leçons sur l'engagement patriotique. Tout le monde sait que les négociations démarreront tôt ou tard. Comme disait Prévert, « quelle connerie, la guerre » ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Monsieur le Premier ministre, en préambule, nous vous demandons de porter plus haut la voix de la France au Proche-Orient, et souhaitons une déclaration, au titre de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation à Gaza. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Pour consolider le soutien à l'Ukraine, il est indispensable de ne pas laisser prospérer le sentiment qu'il y aurait deux poids, deux mesures.

Monsieur le Premier ministre, même pour nous, Français habitués, qu'il est difficile de suivre le Président de la République ! (Mme Sophie Primas s'en amuse.) Je n'ose donc imaginer la perplexité des chancelleries occidentales... Certes, nous déplorons la frilosité du chancelier allemand, mais nous ne sommes pas convaincus de la disruption comme stratégie diplomatique. Le soutien polonais, balte, tchèque, est timide et tardif.

Contrairement à la France, l'Allemagne est une démocratie parlementaire digne de ce nom, sans domaine réservé soumis aux humeurs du prince-président.

L'unité est indispensable. Les écologistes ont toujours soutenu l'action du Gouvernement en soutien à l'Ukraine. Mais, monsieur le Premier ministre, votre puissante administration contient en son sein un trésor : le quai d'Orsay. Concentrer la diplomatie à l'Élysée est une dégénérescence de la Ve République. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

Faire bouger quelques lignes exige-t-il une telle cacophonie ? Nous affichons nos divisions face à l'agresseur russe. Nous regrettons la médiocrité du débat public entre un Président de la République démesurément martial et certaines oppositions qui se fourvoient dans la perspective de négociations.

C'est d'autant plus dommage que la stratégie présidentielle est valable : il faut effectivement cesser d'afficher des lignes rouges que nous ne respectons pas. Ainsi, nous saluons la volonté de rétablir l'ambiguïté et cet accord avec l'Ukraine, et nous espérons que s'ouvre une nouvelle phase de notre soutien, pour éviter d'être à la remorque des demandes de Kiev, demandes qui, comme le rappelait Dmytro Kouleba, ministre ukrainien des affaires étrangères, ne concernent pas l'envoi de troupes. Les demandes incluent des armes, des munitions et des formations. Nous saluons l'envoi de missiles Scalp et sol-air, mais la France doit faire plus.

Il y a un an, nous vous demandions d'envoyer des chasseurs. Je vous repose la question : la France livrera-t-elle des Mirage 2000 D ?

Monsieur le Premier ministre, vous avez demandé un effort considérable à la nation pour défendre notre continent. Mais face à l'urgence, ce sont les Tchèques qui sont à l'initiative pour acheter 800 000 obus à l'Afrique du Sud. Nous comprenons la logique du Président de la République de favoriser la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne : achetons européen quand cela est possible, mais achetons à d'autres démocraties quand c'est nécessaire.

Les tensions du couple franco-allemand nous inquiètent, mais elles nous semblent dépassables. L'Europe de la Défense ne peut exister hors du cadre otanien : en témoigne l'adhésion de la Suède et de la Finlande.

Mais le chancelier allemand réalisera vite que le partenaire américain est chancelant. La victoire de Donald Trump à la prochaine élection présidentielle américaine est plausible. Quoi qu'il en soit, les fractures de la société américaine paralysent le congrès : l'aide diminuera. Il faut renforcer le pilier européen de l'Otan pour construire l'Europe de la défense. Nos deux pays reparlent d'une voix.

Monsieur le Premier ministre, cessez de financer l'économie de guerre russe et confisquez les avoirs russes pour les confier à l'Ukraine. Le gaz et l'uranium ne font toujours pas partie du 12e paquet de sanctions : nous avons acheté pour 30 milliards d'euros de ressources à l'ennemi, bien plus que l'aide à l'Ukraine. Et en économie de guerre, on ne laisse pas son premier énergéticien, TotalEnergies, faire fructifier ses affaires chez l'ennemi ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

Volodymyr Zelensky nous le rappelait lundi : « Vos enfants ne vont pas mourir en Ukraine. Mais nos enfants, eux, meurent, simplement parce que nous avons une frontière commune avec la Fédération de Russie. C'est nous qui payons le plus lourd tribut. »

Pour que la paix soit rétablie, Poutine doit perdre cette guerre. Sans hésitation, les écologistes voteront cet accord. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et INDEP)

M. André Guiol .  - Après quelques revers ukrainiens, le front se stabilise. Grâce aux précieuses livraisons d'armes, Kiev résiste. Ce n'est donc pas le moment pour que les démocraties s'interrogent sur leur soutien, alors que Poutine n'a aucun état d'âme dans la poursuite de son projet impérialiste.

Cet accord a un sens : il s'inscrit dans une stratégie de soutien de la France et de l'Union européenne, à la suite des engagements de Vilnius. Il ne fait qu'entériner l'assistance militaire à l'Ukraine.

Mais les limites de la mobilisation française sont-elles dictées par les seuls intérêts ukrainiens ? Certainement pas, tant la Russie déstabilise l'ordre international. Moscou est l'ennemi de Kiev, mais aussi de Paris, de Londres, de Berlin. Gardons le cap d'un soutien ferme.

À ceux qui trouvent encore des circonstances atténuantes au président russe, regardons sans masque le chaos qu'il a instauré : fausses informations, empoisonnements, bombardements de civils, entre autres. Ce n'est pas un roman de Ian Fleming, mais la dure réalité, surtout pour les Ukrainiens, qui meurent pour leur liberté, mais aussi pour la nôtre. Nous leur rendons hommage.

Poutine n'a jamais cessé de se comporter comme un belligérant. La Russie assume sa stratégie de guerre totale. Nous avons un temps péché par naïveté, mais il ne s'arrêtera pas aux frontières de l'Ukraine : les États baltes, la Pologne, la Transnistrie sont menacés.

Dès lors, le RDSE comprend la nécessité d'intensifier le soutien à l'Ukraine. Dans cette tragédie aux portes de l'Europe, certains devraient oublier les postures politiciennes et ne pas prendre en otage les élections européennes. Se prétendre une alternance crédible alors qu'on s'est affiché avec Poutine sur des tracts, est-ce sérieux ? En tout cas, c'est inquiétant.

Certes, nous pouvons débattre des lignes rouges : personne ne souhaite l'escalade. Mais l'espace entre faiblesse et fermeté est mince. Hier, on nous reprochait l'attentisme face à la Crimée et aujourd'hui, il faudrait tempérer les paroles.

Rappelons les prémisses de l'invasion, sous le prétexte grotesque de « dénazification ». Mais, tout simplement, Poutine ne supporte aucun contre-modèle : les pourparlers ne l'intéressent pas, sauf à reconstituer sa capacité militaire.

Nous devons aider les Ukrainiens, les Russes en exil, les pays baltes, qui sont en première ligne. Nous devons lutter contre la volonté du Kremlin d'en faire un conflit avec l'Occident, comptant sur le soutien chinois, nord-coréen, iranien et bélarusse. Face à l'alliance des autocraties, c'est bien notre modèle démocratique européen qu'il faut défendre.

Préférant la responsabilité à l'indifférence, le RDSE votera l'accord. Nous ne souhaitons pas la guerre, c'est pourquoi il faut la préparer. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; M. Rachid Temal applaudit également.)

M. Christopher Szczurek .  - Trois minutes pour évoquer un sujet aussi complexe est une gageure.

Oui, la guerre de Poutine est une atteinte à la souveraineté de l'Ukraine et une menace pour la paix.

Oui, notre soutien va à l'Ukraine et la France n'a rien à regretter de ses actions. (M. Mickaël Vallet s'exclame.)

Oui, le peuple français doit se tenir aux côtés du peuple ukrainien, qui résiste avec ténacité.

Oui, en tant que premier adjoint de Steeve Briois à Hénin-Beaumont, je suis fier d'avoir aidé l'Ukraine et d'avoir accueilli des délégations d'élus et de familles ukrainiennes, pour leur offrir un peu de répit.

M. Mickaël Vallet.  - Vous êtes de bons chrétiens !

M. Christopher Szczurek.  - Oui, l'action de la France doit rester politique et morale, mais elle ne saurait devenir de la cobelligérance, au risque d'un embrasement mondial.

Oui, comme une majorité de Français, nous nous interrogeons sur la posture martiale d'Emmanuel Macron : à vouloir être monsieur plus, il devient monsieur trop - même si cela ne justifie pas les attaques de Dmitri Medvedev, qui, à travers la fonction présidentielle, dégrade la nation française.

Cet accord ne nous semble pas indispensable. Surtout, il est contraire à certains intérêts de la France, notamment agricoles et économiques.

Notre position sur ce conflit s'inscrit dans la grande tradition géopolitique française. Faire croire, pour des raisons électoralistes, qu'elle serait celle du parti de l'étranger est abject, en plus d'être mensonger.

M. Mickaël Vallet.  - Parole d'expert !

M. Christopher Szczurek.  - Pour que la France ne se retrouve pas encore plus isolée, les trois sénateurs RN s'abstiendront sur cet accord. (On ironise sur plusieurs travées.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Merci pour ce débat de qualité. Tout d'abord, la formation est un point essentiel. La forte attrition s'explique par un sous-entraînement des conscrits. La France forme un tiers de l'objectif total que se sont fixé les Européens : infanterie, artillerie, aviation de chasse, entre autres. Nous continuerons ces formations en Pologne et dans nos bases sur le territoire national.

Ensuite, M. Lemoyne l'a rappelé, des initiatives nouvelles émergent après la conférence de Paris. Je pense aux frappes en profondeur, c'est-à-dire derrière la ligne de front, avec les Scalp et les Storm Shadow. Les bombes A2SM sont un game changer, car elles ont été adaptées aux avions de classe soviétique.

La cyberdéfense est aussi un élément clé, mais sur lequel nous partageons peu entre nations européennes : c'est là un axe de progrès, jusqu'à aller suppléer les forces ukrainiennes.

Il est nécessaire de produire davantage en Ukraine : c'est surtout vrai pour le maintien en condition opérationnelle (MCO). Nous l'avons vu avec les canons Caesar. La production de pièces détachées sur le territoire ukrainien est donc essentielle. J'y reviendrai devant votre commission, monsieur Perrin : Arquus, Delair et Nexter sont les trois premières candidates. Nous sommes la première nation à prendre ce risque. Avec les annonces de Rheinmetall il y a quelques semaines, cela permettra d'agir en Franco-Allemands...

Bruno Retailleau a évoqué la bataille de l'arrière, qui est aussi industrielle, et Claude Malhuret a rappelé nos difficultés à produire plus vite, pour l'Ukraine comme pour l'approvisionnement de nos propres forces armées et l'export. Ces difficultés s'expliquent par la baisse de la commande militaire de la fin de la guerre froide à 2017. Résultat : une perte de muscle importante. La BITD a privilégié les sauts technologiques et l'innovation sur la capacité à produire.

De plus, nous avions des besoins précis : Serval et Barkhane étaient un combat de forces spéciales et d'hélicoptères, pas d'artillerie. Or ce sont les besoins actuellement constatés en Ukraine. Dès lors, cela prend du temps. La situation est contrastée en fonction des segments. J'en profite pour rendre hommage aux ouvriers, aux techniciens et aux dirigeants des usines d'armement. Le délai de production des missiles Mistral a été divisé par deux, les capacités de production des Caesar ont triplé, et doublé pour les radars Thales GM-200.

Nous avons des gammes de produits sur lesquels cela avance. Sur d'autres segments, les choses sont plus complexes. Le missile Aster sol-air nous préoccupe. Les stocks sont tombés très bas ces dernières années. Nous avons commandé plus de 200 missiles en janvier 2023. Le calendrier de livraison de MBDA peut nous amener fin 2025. Le missile coûte 3 millions d'euros pièce.

Nous pourrions avancer la livraison à 2024.

Nombre de sénateurs ont évoqué les munitions. Parmi les obus de 155 mm, tout ne se vaut pas. Ceux de Nexter, peut-être plus chers, vont plus loin que les autres.

La fiabilité des équipements n'est pas égale. Nous devons trouver le point d'équilibre entre temps de production et qualité du matériel, dans un environnement où les normes de protection pyrotechnique ne sont pas les mêmes qu'en Ukraine.

En 2023, monsieur Retailleau, la France a produit 30 000 obus de 155 mm. Notre objectif est de doubler la production. La difficulté à l'usine de Tarbes est l'accès à la poudre, qui doit être achetée dans les pays du nord de l'Europe ou en Allemagne. Nous avons décidé de relocaliser une production de poudre à Bergerac, mais cela prend du temps. Cet enjeu majeur est clairement identifié par la direction générale de l'armement (DGA).

Les sénateurs Folliot et Temal nous ont demandé d'être à l'écoute des Ukrainiens. Cela vaut pour les équipements terrestres. Vous avez brocardé le vénérable VAB de l'armée de terre française qui a rendu de fiers services et continue à le faire... Ces segments sont demandés par les Ukrainiens. Il n'y a pas de protection du front sans protection des troupes, et le VAB l'assure. Nous sortons des VAB de nos stocks dans une démarche gagnant-gagnant avec l'Ukraine.

Plusieurs équipements vont évoluer. Nous bénéficions ainsi d'un retour d'expérience des Ukrainiens sur l'IA des canons Caesar. Nous pourrons ainsi mieux nous protéger et économiser des obus. La petite entreprise française Delair nous offrira aussi l'occasion d'un programme gagnant-gagnant avec l'Ukraine autour des drones kamikazes.

Dans un conflit qui dure, malheureusement, nous pouvons réfléchir à des programmes d'armement dont nous serons autant bénéficiaires que l'armée ukrainienne.

Le Président de la République a demandé au Gouvernement d'élaborer un nouveau paquet d'aide militaire, jusqu'à 3 milliards d'euros. Il conviendra de répondre présent sur l'artillerie, la défense sol-air, les frappes dans la profondeur, notamment.

M. Temal a évoqué la LPM. Dézoomons, notamment sur la question de la sécurisation des espaces maritimes. Nombre de nos constats sont toujours d'actualité, sur les munitions, le cyber, le renseignement, la dissuasion nucléaire. Il faudra aussi se poser la question, dans les mois à venir, de l'accélération des commandes et de la militarisation de l'espace. C'est l'enjeu de la revoyure, et je suis à votre disposition pour échanger.

Madame Cukierman, il n'y a pas de changement dans la doctrine de dissuasion nucléaire française. Nos intérêts vitaux ont une dimension européenne, a rappelé le Président de la République, dans la ligne du président Chirac en 1996.

Les présidents Marseille et Retailleau notamment m'ont accompagné en Arménie. Nous devons oeuvrer dans le sens de la réassurance, avec des actions de formation et d'équipement. Cela vaut aussi vis-à-vis de la Moldavie avec laquelle nous venons de signer un accord de défense. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Cet accord marque l'unité des Européens. À Berlin, Helsinki, Varsovie, Prague, nous sommes attendus. Tous les pays européens se sont engagés en faveur de l'Ukraine. Au-delà des étiquettes partisanes, l'unité européenne est réelle. On peut être dans l'opposition et en faveur de cet accord. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Primas.  - Merci !

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - Cet accord défend la paix. En défendant l'Ukraine, nous défendons nos valeurs européennes. Un pays ne peut pas agresser un autre pays ni violer le droit international. Cette guerre est voulue par la Russie. La paix est demandée par l'Ukraine, avec nous.

Cet accord est aussi un accord pour l'histoire, car nous sommes à la croisée des chemins, avec une agressivité inédite de la Russie. Nous devons conserver la maîtrise de notre destin.

Certains nous accusent de menacer la paix en aidant l'Ukraine. Il ne suffit pas de lever un drapeau blanc pour arrêter la Russie. (Murmures réprobateurs sur les travées du groupe CRCE-K) Écoutez ce que nous dit Moscou, ce que veut la Russie : c'est la soumission complète de l'Ukraine. Hier, Vladimir Poutine a dit : « pourquoi négocier aujourd'hui alors que l'Ukraine est à court de munitions ? » Tout est dit. Seul un soutien massif et dans la durée à l'Ukraine l'amènera à revoir ses objectifs.

Il faudra négocier une paix juste, durable, aux conditions de l'Ukraine.

J'entends les interrogations sur le risque d'escalade. Là encore, n'inversons pas les choses : la Russie est la seule agresseuse. Elle agite les peurs, brandit la menace nucléaire, mène des campagnes de désinformation.

Cet accord nous redonne la main, par rapport à la Russie.

Depuis le premier jour, notre soutien a été continu. Ce soutien est humanitaire, avec la mobilisation par la France de près de 300 millions d'euros. Il est aussi économique, dans la perspective de la reconstruction. Il est politique, puisque la communauté internationale est majoritairement derrière l'Ukraine. C'est aussi un soutien dans la lutte contre l'impunité des crimes commis par la Russie, en appuyant les enquêtes ukrainiennes, notamment à Boutcha, ou celles de la Cour pénale internationale, et en formant les magistrats ukrainiens. (Marques d'impatience sur de nombreuses travées)

Des pistes pour renforcer notre soutien financier ont été évoquées. Nous sommes favorables à avancer sur la question des intérêts des avoirs russes, mais nous ne pouvons pas les séquestrer (M. Yannick Jadot le déplore) en violation du droit international.

La Commission européenne, suivant la proposition de Kaja Kallas, Première ministre estonienne, envisage d'utiliser les intérêts produits par les avoirs russes gelés comme ressources propres pour payer les intérêts d'un emprunt européen de 100 milliards d'euros. Nous en parlerons avec nos homologues européens.

Sur l'effet des sanctions, je ne crois pas aux statistiques affichées par la Russie sur son économie, dont des pans entiers ont été exclus pour afficher un taux de croissance important. L'économie russe est désormais une boîte noire. Le Kremlin affiche son optimisme ; j'ai des doutes.

Les sanctions sont utiles. Elles renchérissent le coût de la guerre pour la Russie. Les ruptures d'approvisionnement sont légion, notamment sur les secteurs à haut potentiel technologique. Nous constatons également l'émigration de travailleurs très qualifiés, ce qui affectera l'économie russe dans la durée. (Marques de lassitude sur de nombreuses travées)

Cet accord ne cache pas l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, ou à l'Otan, contrairement à ce que certains ont dit à l'Assemblée nationale - je salue à cet égard la qualité des interventions au Sénat. Ces deux cheminements ont un calendrier et des exigences propres. Le Parlement s'exprimera le moment venu.

En conclusion... (« Ah ! » de soulagement sur plusieurs travées)

Partout les mêmes débats, les mêmes questions, mais partout la même constance et le même engagement. Dans les pays baltes comme à Varsovie, nul n'est dupe de la menace russe. Ne le soyons pas non plus, sous prétexte que nous sommes à quelques centaines de kilomètres de plus qu'eux de la frontière russe. La guerre évoque dans chacune de nos familles des souvenirs et des traumatismes.

Ce que nous vous demandons, par ce vote, c'est de continuer de rendre possible le soutien à l'Ukraine. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC)

La déclaration du Gouvernement est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°155 :

Nombre de votants 326
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l'adoption 293
Contre   22

La déclaration du Gouvernement est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, du RDPI, du GEST et du groupe SER)

La séance est suspendue à 20 h 55.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 22 h 25.